PV1982-03-25

Camaggi Nennig Solène 
SEANCE DU JEUDI 25 MARS 1982

Le Conseil se réunit à 15 heures tous ses membres étant présents à l'exception de Messieur Valéry GISCARD d'ESTAING, BROUILLET, PERETTI excusés.

M. Le Président rappelle que l'ordre du jour porte sur l'appréciation de la nature juridique des dispositions de l'article 3 de la loi n° 77-804 du 19 juillet 1977 concernant certains contrats de fourniture et d'exploitation de chauffage et relative aux économies d'énergie, texte soumis au Conseil constitutionnel le 11 mars 1982 par le Premier ministre, dans les conditions prévues à l'article 37, alinéa 2, de la Constitution.

Le rapporteur de cette affaire est Monsieur Louis GROS à qui le Président donne la parole.

Monsieur GROS présente alors le rapport suivant :

I. Par lettre du 11 mars 1982 le Premier ministre a saisi le Conseil constitutionnel en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution pour demander qu'il soit statué sur la nature juridique de l'article 3 de la loi du 19 juillet 1977 concernant certains contrats de fourniture et d'exploitation de chauffage et relative aux économies d'énergie.

Mais il paraît nécessaire, avant d'aborder l'objet même de la saisine c'est-à-dire l'article 3 de la loi, de situer brièvement cette loi dans l'ensemble législatif intervenu depuis 1974 à propos des économies d'énergie.

II. Le 29 octobre 1974 est promulguée une loi relative aux économies d'énergie.

Un mois après le 29 novembre 1974, se référant à la loi qui vient d'être promulguée, un décret crée une "Agence pour les économies d'énergie".

L'article 1er de ce décret, précise qu'il s'agit d'un établissement public national à caractère administratif ; l'article 2 de ce même décret définit en trois alinéas l'objet de cet établissement public.

Il est également précisé que cet établissement est placé sous la tutelle du Ministre de l'industrie et de la recherche. Les critères de la création d'un établissement public sont réunis : précision de l'étendue nationale de son activité, détermination da la tutelle administrative et définition de son objet ou spécialité.

Enfin un décret du 23 mars 1978 viendra dans son article 1er compléter et préciser la définition de l'objet des activités de cet établissement public.

Cette mission de l'établissement public, si elle a un objet particulier qui constitue sa spécialité, ne comporte pas quant à la nature de son action des aspects originaux : il s'agit d'une part de recherche et de documentation et d'autre part de diffusion d'information et d'incitation. Dans la discussion nous verrons que cette mission est analogue à celle de plusieurs autres établissements publics existant antérieurement.

III. Créé par décret du 29 novembre 1974 modifié par décret du 23 mars 1978, l'agence pour les économies d'énergie ne paraissait pas constituer une catégorie nouvelle au sens de l'article 34 de la Constitution et le Gouvernement qui a l'intention d'après la note jointe à la saisine, de supprimer l'agence et de créer un nouvel établissement public pour la maîtrise de l'énergie doté de moyens accrus, aurait pu procéder à cette suppression ou modification par voie réglementaire si la loi du 19 juillet 1977 n'était pas intervenue.

IV. En effet en fin de session parlementaire en juin 1977, le Gouvernement dépose, avec procédure d'urgence, en première lecture devant le Sénat un projet de loi "concernant certains contrats de fournitures et d'exploitation de chauffage et relatif (sic) aux économies d'énergie".
L'objet de la loi est limité à la modification de quelques dispositions de la loi de base en la matière du 29 octobre 1974 ; au Sénat procédure d'urgence ; loi votée sans opposition ni modification ou amendement.

A l'assemblée nationale le 28 juin 1977, les députés avant d'adopter le texte de la loi, vont voter, après un curieux dialogue entre le représentant du Gouvernement et les rapporteurs ou intervenants témoignant de la part des uns et des autres d'autant d'intentions louables que d'une totale ignorance du droit constitutionnel et de la procédure législative, trois articles nouveaux avant l'article I° du projet de loi.

Le premier fait obligation au Gouvernement de déposer avant le 1er octobre 1977 un projet de loi complémentaire relatif aux économies d'énergie.

Le deuxième crée un comité consultatif interprofessionnel pour les économies d'énergie.

Le troisième, le seul, dont la nature juridique est soumise à l'appréciation du Conseil est ainsi conçu ;
"l'agence pour les économies d'énergie est un établissement public à caractère industriel et commercial". Il faut observer que ces trois articles résultent d'amendements adoptés en commission : en séance le rapporteur a estimé ne pas pouvoir les retirer à la demande du Gouvernement. Lors de la discussion du premier, le caractère inconstitutionnel de l'injonction au Gouvernement a été soulevé assez timidement par le représentant de la commission des lois, mais le rapporteur ayant rappelé que l'Assemblée avait déjà, à plusieurs reprises "émis des voeux sous forme d'amendement" (sic) il a été adopté.
A propos du second le secrétaire d'Etat a bien opposé la nature réglementaire de la disposition mais sous une forme curieusement dubitative, il dit : " l'effet de la création relève plus du domaine réglementaire que du domaine législatif" mais il n'oppose pas l'irrecevabilité de l'article 41 et malgré ses observations l'amendement est adopté.
Le troisième amendement qui deviendra l'article 3 soumis à notre examen est présenté par le rapporteur M. Guermeur comme ayant pour objet de changer la nature juridique de l'agence

Il précise sa pensée en soulignant qu'au jour de la discussion "l'agence est actuellement un organisme administratif" et qu'il est proposé de la transformer en établissement public à caractère industriel et commercial. Le secrétaire d'Etat répond au rapporteur sans relever l'erreur soumise et la confusion qui paraît exister dans l'esprit des auteurs de l'amendement entre le caractère d'un établissement public et sa nature juridique cette dernière ne changeant pas si le caractère se transforme d'administratif en industriel et commercial. Le secrétaire d'Etat, cette fois, affirme bien que cette transformation soit du domaine réglementaire et non du domaine législatif et il demande expressément à l'Assemblée nationale de ne pas voter l'amendement.

Mais une fois encore, il n'oppose pas les dispositions de l'article 41 et l'Assemblée vote l'amendement qui devient l'article 3 de la loi du 19 juillet 1977.
Ce changement du caractère de l'établissement public créé par le décret du 29 novembre 1974, ayant été réalisé par la loi, le gouvernement ne peut plus, tant que le texte est de nature législative, supprimer ou modifier l'établissement en question.

Quelle est la nature juridique de cet article ?

Discussion La première observation à formuler est l'obligation de répondre à la question suivante : l'article 3 en question a-t-il créé l'agence ou simplement change-t-il son caractère d'établissement public à caractère administratif en établissement à caractère industriel et commercial.
Sans doute seul l'article 1er du décret du 29 novembre 1974 use de l'expression sans équivoque : "il est créé..." alors que l'article 3 de la loi du 19 juillet 1977 se borne à affirmer cette exigence en disant : "L'agence... est un établissement public...".

Mais je l'ai souligné, au cours des débats l'intention des auteurs de ce texte finalement voté était de '"transformer" un organisme administratif en un établissement public à caractère industriel et commercial.

Dans quelle mesure cette rédaction juriquement défectueuse participe de la création par transformation ou seulement du simple changement de caractère ? Je crois donc que pour éviter toute critique, et toute équivoque ou interprétation de la décision à intervenir comme opérant un changement ou une évolution de la jurispridence du Conseil, le Conseil ne devrait pas se borner, comme je l'avais estimé au premier abord, à rappeler que le changement de caractère d'un établissement public est du domaine réglementaire et cela conformément à sa jurisprudence et notamment à la décision du 25 juillet 1979, suivant sur ce point la jurisprudence du Conseil d'Etat dans l'affaire l'Herbier, mais devrait aussi dans sa décision préciser que l'agence pour les économies d'énergie, par sa spécialité, son caractère et sa compétence ne constitue pas une catégorie nouvelle d'établissement public au sens de l'article 34 et qu'en conséquence sa création la définition de son caractère et son action sont du domaine réglementaire.

Sur ce point, je ne retiendrai pas longtempts votre attention : la jurisprudence du Conseil et l'évolution de cette jurisprudence vous étant connue.

Permettez-moi simplement de vous en rappeler les grandes étapes.

Après avoir précisé dans une décision du 27 novembre 1959 à propos de la R.A.T.P. qu'une catégorie d'établissement pouvait ne comporter qu'un seul établissement, c'est une décision de 1961 relative à l'institut des hautes études d'outre-mer qui a fixé les trois critères nécessaires à réunir pour considérer qu'un établissement constituait une catégorie nouvelle, donc de création obligatoirement législative. Aux termes de cette jurisprudence il fallait que les établissements d'une même catégorie soient : 1°) placés sous une tutelle territoriale de même type (nationale, départementale ou communale), 2°) de caractère identique, 3° qu'ils aient une spécialité étroitement comparable.
Ainsi que je viens de le rappeler le critère de l'identité de caractère a été abandonné depuis la décision du 25 juillet 1979.

Le critère d'identité de tutelle demeure. Quant à celui de spécialité "étroitement comparable" il est devenu l'exigence d'une analogie de mission.
Dans ses décisions du 30 mai et du 13 septembre 1979 le Conseil a estimé qu'il convenait de s'attacher à l'analogie des finalités et non à une étroite comparaison ou superposition des spécialités. Chaque établissement étant créé avec une tâche particulière "spéciale" et propre cele revenait en quelque sorte à créer autant de catégorie que d'établissements.

Dans le cas qui nous occupe la spécialité est "l'économie d'énergie" mais les diverses actions que doit mener cet établissement appartiennent au domaine de la recherche, de l'étude et de la mise en oeuvre des moyens et procédés nouveaux, réunir des informations et leur exploitation, diffuser des conseils et des recommandations ect. c'est à dire un facteur commun aux actions poursuivies déjà par d'autres établissements publics dont les missions sont aussi la recherche l'information, l'animation, ou l'incitation mais orientées vers d'autres spécialités.

Je ne vous en citerai que quelques uns bien connus : Institut de recherche d'informatique et d'automatique I.R.I.A. ou encore I.N.S.E.E. ; le Centre national d'étude et d'expérimentation du machinisme agricole qui existe depuis 1955 l'institut de recherche des transports depuis 1970.... l'A.N.V.A.R. pour la valorisation de la recherche depuis 1967 etc.

Je borne là une énumération qui pourrait être beaucoup plus longue, mais, qui pour ma part suffit à me convaincre que l'Agence pour les économies d'énergie ne constitue pas une catégorie nouvelle d'établissement public au sens de l'article 34.

Je propose donc au Conseil de rendre une décision déclarant le caractère réglementaire des dispositions faisant l'objet de l'article 3 de la loi du 19 juillet 1977.

M, Le President remercie vivement Monsieur GROS pour son exposé remarquable. Il déclare alors la discussion générale ouverte.

Aucun membre n'ayant à formuler d'observation, Monsieur le Président demande à Monsieur GROS de bien vouloir lire son projet de décision.

Celui-ci est adopté à l'unanimité.

La séance est levée à 15 h 35.