PV1991-07-09

COMPTE RENDU DE LA SEANCE DU 9 JUILLET 1991

La séance est ouverte à 10 h 05 en présence de tous les membres du Conseil.

Monsieur le Président : Bien, nous allons donc examiner cette question de la modification de notre règlement de procédure, après quoi nous mettrons au point notre emploi du temps. Nous avons donc eu un premier échange de vues sur cette affaire<>, dont je vous rappelle qu'elle se scinde en deux points : les modifications à apporter compte tenu de la loi nouvelle, dans la perspective de l'exposé que nous a fait Monsieur GENEVOIS<> ; la modification éventuelle impliquée par la proposition que j'ai faite quant à un exercice oral des droits de la défense. Monsieur LATSCHA, je vous donne la parole.

Monsieur LATSCHA : Monsieur le Président, mes chers collègues,

Nous avons eu en effet, le mercredi 26 juin dernier, un "débat d'orientation", introduit par un exposé de Monsieur le Secrétaire général, sur les modifications qu'il y aurait lieu d'apporter au règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs.

Il m'a semblé ressortir assez clairement des propos que nous avons échangés :

- que l'unanimité se faisait quasiment entre nous sur le principe comme sur la nature de celles de ces modifications impliquées par l'intervention des lois, ordinaire du  15 janvier 1990 et organique du 10 mai 1990, relatives au financement de l'activité politique et des campagnes électorales ;

- qu'en revanche notre Conseil était quelque peu divisé sur l'éventualité d'admettre, dans la perspective d'un renforcement du principe des droits de la défense, qu'au moins une certaine place soit faite à l'oralité dans la procédure suivie devant nous pour le contentieux de l'élection des parlementaires.

Dans ces conditions, il m'a paru de meilleure méthode (et plus honnête intellectuellement) de vous proposer non point un seul, mais deux projets de décision, quitte à vous dire vers lequel j'incline plutôt pour ma part :

. le projet A renferme ce sur quoi nous paraissons tous d'accord (c'est-à-dire tout ce qui touche aux rapports entre le

V. séance du 26 juin 1991.

Conseil constitutionnel et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques), tout en profitant de l' occasion pour insister ici ou là sur le caractère contradictoire de notre procédure écrite (mais qui le demeurerait, exclusivement).

. le projet B reprend exactement ce qui, dans le précédent, est relatif aux rapports du Conseil et de la commission ; mais y ajoute une substantielle modification du règlement, ouvrant la possibilité, dans le contentieux électoral, d'un débat contradictoire oral.

I. J'aborderai successivement ces deux points, en commençant par ce qui ne devrait nous retenir que peu de temps : les modifications du règlement devant ou pouvant découler de la création de la Commission et des compétences attribuées respectivement à cette dernière et au Conseil constitutionnel par les lois de 1990.

Je dis "devant ou pouvant", car comme il résultait de l'exposé que nous a fait M. le Secrétaire général le 26 juin dernier, ces modifications sont de deux ordres :

- les unes sont impliquées nécessairement par le fait que désormais nous n'aurons plus à connaître des élections législatives par le biais exclusif de "requêtes" classiques, mais aussi par l'intermédiaire de "saisines" de la Commission : il nous faut bien intégrer à notre règlement cette procédure nouvelle et ce, chaque fois que c'est nécessaire.

- on pourrait à la limite s'en tenir là. Mais comme nous en sommes convenus lors de notre débat d'orientation, il est sans doute sage d'aller plus loin et de formaliser "par temps calme" (comme a dit l'un d'entre nous) nos relations fonctionnelles avec la Commission, dont on ne peut exclure tout à fait qu'elles deviennent un jour moins consensuelles.

Par courrier reçu le 3 juillet dernier, la Commission a d'ailleurs informé le Conseil de ce qu'elle avait donné son aval aux modifications que nous envisagions d'apporter sur ce point à notre règlement de procédure(<>). Ces modifications sont celles-là mêmes que M. le Secrétaire général nous a suggérées le 26 juin, au vu de la première expérience vécue à l'occasion des affaires de M. GALY-DEJEAN et de Mesdames BARZACH et CARADEC. Il m'est apparu qu'il n'y avait rien à y reprendre : ce sont encore les mêmes que je vous propose aujourd'hui.

1° Sans revenir sur le détail de ce que nous a exposé

(1 ) La Commission a fait une légère réserve, mais inspirée par une crainte qui ne m'a pas paru fondée. 

M. GENEVOIS, je voudrais toutefois, avant de vous présenter ces deux séries de modifications (obligées, puis opportunes), vous rappeler d'un mot les grandes lignes de la législation nouvelle qui les motive :

. aux termes de l'article L. 52-11 du code électoral, est institué un plafond - fixé à 500 ou 400.000 F. selon les cas - des dépenses électorales exposées par chaque candidat à une élection législative.

. l'article L. 52-14 a créé une Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques qui reçoit dans un délai prescrit, "approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne" (L. 52-15).

. en vertu de l'article L.O. 136-1, la Commission saisit le juge de l'élection - le Conseil constitutionnel en l'occurrence -dans les trois cas :

- du non dépôt du compte dans le délai prescrit,

- du rejet par ses soins du compte,

- du dépassement du plafond des dépenses, le cas échéant après réformation.

Dans le cas de la constatation de certaines irrégularités, la Commission transmet en outre le dossier au Parquet.

. Ainsi saisi par la Commission (ou par ailleurs par le biais d'une requête "classique" ), le Conseil constitutionnel, par application des articles L.O. 128 et L.O. 136-1 :

- doit déclarer inéligible à l'Assemblée nationale pendant un an le candidat qui n'a pas déposé son compte dans le délai prescrit ;

- doit encore prononcer la même inéligibilité pour le candidat dont le compte a été rejeté par la Commission, pourvu que ce rejet soit fondé ;

- peut, enfin, prononcer cette inéligibilité si le candidat a dépassé le plafond des dépenses.

Le Conseil constitutionnel a donc compétence liée dans les deux premiers cas, quant au principe et à la nature de la sanction, si du moins la Commission ne s'est pas trompée en appréciant le fait ou le droit. En revanche, dans le troisième cas, il lui est loisible d'apprécier si le dépassement du plafond doit entraîner ou non la sanction, qui demeure toutefois forcément l'inéligibilité.

Enfin, ayant constaté ou décidé l'inéligibilité d'un candidat, s'il s'agit de celui qui a été proclamé élu, le Conseil constitutionnel annule par voie de conséquence son élection.

2° Les dispositions que je viens de rappeler paraissent d'abord impliquer nécessairement qu'un certain nombre de modifications soient apportées au règlement de procédure. J'en vois sept, qui toutes se rattachent à l'obligation d'intégrer ce concept nouveau de "saisine" par la Commission à la procédure telle qu'elle se déroule devant nous.

Dans le tableau comparatif "Règlement en vigueur/ Projet A" qui vous est soumis, elles portent les numéros en chiffres romains I, III, IV, VII, IX, X et XI. Le mieux, je crois, est que nous les lisions ensemble, quitte à ce que j'ajoute chaque fois un mot de commentaire :

* lecture de l'article 1er alinéa 1er du règlement en vigueur et du I du projet A : il s'agit de faire la réserve des "saisines" dans une rédaction qui ne permet au Conseil que de statuer sur des "requêtes" ;

* lecture de l'article 2, alinéa 1er du règlement et du III du projet : il s'agit de prévoir l'enregistrement des nouvelles "saisines" ;

* lecture de l'article 6 du règlement et du IV du projet : il s'agit d'informer l'Assemblée nationale des saisines de la Commission lorsqu'elles concernent un candidat proclamé élu ;

* lecture de l'article 9, alinéa 1er du règlement et du VII du projet : il s'agit de permettre le lancement de notre procédure contradictoire écrite pour les saisines, tout comme nous le faisons jusqu'à présent pour les requêtes. Vous observerez qu'à cette occasion est précisée la possibilité de présenter par écrit "tout moyen de défense".

* lecture de l'article 18 du règlement et du IX du projet : il s'agit de prévoir la notification des décisions rendues sur saisine, au président de la Commission et au candidat intéressé si elle conduit à son inéligibilité.

* lecture de l'article 19 du règlement et des X et XI du projet : il s'agit de nos archives ; les dossiers des saisines seront comme ceux des requêtes archivés au Conseil (X) ; la Commission étant elle-même astreinte à certaines publications, il conviendra toutefois de lui retourner un certain nombre de documents (XI, al. 1er) ; j'ai, à la demande du Secrétaire général, et à la suite des contacts qu'il a eu avec M. FAVIER, Directeur des Archives nationales, ajouté enfin un alinéa (XI, al. 2), qui met le Conseil constitutionnel en conformité avec la loi du 3 janvier 1979 sur les archives et . . . lui permet de se désencombrer un peu : le processus est d'ailleurs déjà lancé pour les archives concernant les élections présidentielles et les référendums.

3° J'en viens à présent aux modifications du règlement qui me paraissent opportunes, dans la perspective d'une bonne administration des relations qu'entretiendront le Conseil et la Commission.

Il s'agit de faire en sorte que les deux institutions s'informent l'une l'autre dans toute la mesure utile, et de raccourcir autant que faire se peut les délais d'instruction. Je vous rappelle que la Commission a donné son aval à ces orientations.

Je vous propose de nous reporter aux n° II, V et VI du projet A, sur le même tableau comparatif ; ils organisent un système de double communication croisée entre le Conseil et la Commission :

* lecture du II du projet : saisi par la Commission, le Conseil reçoit de cette dernière, en même temps que la saisine, l'ensemble des pièces de la procédure (ou leur double si la Commission a par ailleurs transmis le dossier au Parquet). Vous noterez que réserve est faite de l'hypothèse dans laquelle, en vertu de l'article L.O. 187, alinéa 1, du code électoral, le Conseil, saisi par ailleurs en tant que juge de l'élection par une requête "classique", peut se faire communiquer tous les documents en possession de la Commission et dessaisir cette dernière.

* lecture du V du projet : dès l'enregistrement d'une requête mettant en cause une élection de député "dans une circonscription déterminée" (ce qui met de côté les requêtes fantaisistes qui ne "ciblent" pas des opérations électorales précises), nous la communiquons pour information à la Commission (ce qui l'incite à examiner par priorité les comptes relatifs à l'élection correspondante) (V al. 1er).

Dans le cas où (ou dès que) nous sommes saisis d'un moyen tiré du dépassement du plafond des dépenses électorales, nous communiquons en outre à la Commission l'ensemble des productions écrites échangées devant nous (de façon à permettre autant que possible qu'une même appréciation soit faite par les deux institutions) (V, al. 2)

* lecture du VI du projet : dans la même hypothèse que celle envisagée précédemment, où nous sommes saisis d'un moyen tiré du dépassement du plafond des dépenses, il est souhaitable que la Commission nous transmette ses décisions relatives à l'ensemble des candidats à l'élection en cause, alors même que ces décisions seraient d'approbation des comptes.Je n'arrive pasà supprimer la balise pb. J'avais commencé par mettre tous les pb à la fin mais il faut les mettres au début de la page. dans certains cas, je n'ai pas réussi à les enlever du bas. Merci pour votre compréhension. 

Vous aurez remarqué que reste le point n° VIII : il ajoute un alinéa à l'article 9 du règlement, de nature à traduire par écrit la pratique qui est déjà la notre : c'est le Secrétaire général qui accomplit effectivement les divers actes d'instruction, sur mandat de la Section d'instruction, suite à une délibération du Conseil qui remonte à mars 1967.

Je vous propose, Monsieur le Président, que le Conseil se détermine sur cette première série d'amendements apportés à notre règlement de procédure avant d'aller plus avant dans mon propos.

Monsieur le Président : Très bien, voilà qui est très clair. Vos tableaux sont très commodes. Je remercie encore Monsieur le Secrétaire général de nous avoir donné les éléments de notre réflexion sur ces différents points. Qui souhaite intervenir ?... Pas de difficultés ?...

Monsieur CABANNES : A l'article 6, deuxième alinéa, le "il" de "Il communique pour information" est désormais un peu loin, mieux vaut redire "le Secrétaire général"...

L'amendement est adopté.

Monsieur le Président : Cette mention ne peut que vous être chère, Monsieur le Secrétaire général... Bien, je mets donc l'ensemble aux voix.

Les conseillers se prononcent favorablement à l'unanimité.

Monsieur le Président : Parfait, nous passons à la seconde partie, qui est plus difficile...

Monsieur LATSCHA : J'en viens, en effet, à une question plus délicate. Je ne le ferai pas sans avoir au préalable remercié le service juridique : c'est, de fait, le fruit de son travail que je vais vous exposer, auquel je n'ai fait que souscrire...

Monsieur le Président, vous avez, au cours de notre séance du 26 juin 1991, lancé et soutenu l'idée que l'édiction de la nouvelle législation sur le financement de la vie politique et des campagnes électorales obligeait à faire un pas de plus dans la modification de la procédure suivie par le Conseil constitutionnel dans le contentieux de l'élection des parlementaires, ou au moins des députés.

Il s'agirait d'un pas important : l'introduction au sein de cette procédure, d'une manière ou d'une autre, d'une phase orale, au cours de laquelle comparaîtraient physiquement devant le Conseil, les députés ou les candidats malheureux intéressés.

Je ne crois pas trahir votre pensée en indiquant que cette proposition est inspirée par une idée-maîtresse : dès lors 
dites-vous, qu'il s'agit désormais d'infliger à ces intéressés cette véritable peine que constitue l'inéligibilité (peine touchant aux droits civiques d'une personne), il n'est plus envisageable que le Conseil constitutionnel qui, en matière électorale est une juridiction comme les autres, ne permette pas à la personne considérée de se faire entendre par son juge.

J'aborde cette question avec beaucoup de prudence ; voici bien longtemps que je n'ai fait de procédure civile. Mais j'ai beaucoup réfléchi à ce problème ; pesé le pour et le contre des différentes possibilités ; essayé d'envisager les avantages et les inconvénients des diverses options.

Ce que j'appelais à l'instant l'idée-maîtresse du Président BADINTER me paraît, au terme de mes réflexions, devoir être préservée. En revanche, je crois qu'il faut écarter les conséquences en découlant qui iraient au-delà de la satisfaction, ou de la quasi-satisfaction, de l'objectif qu'elle poursuit.

Je résumerais en une formule la proposition que j'entends vous faire : oui à l'oralité, mais non à la publicité. Oui au principe de l'exercice oral du droit à la défense, mais selon des modalités qui nous garderaient de certains dangers.

Ce n'est pas par goût des solutions de compromis que je me suis arrêté à cette position : elle me paraît sauvegarder les principes, tout en étant adoptée à la spécificité du Conseil constitutionnel, et à sa tradition.

1° Non, disais-je, à la publicité, c'est-à-dire, parlons clair, aux audiences plénières publiques où pourraient s'exprimer les parties et leurs représentants, notamment avocats, et auxquelles tout un chacun pourrait assister.

Pourquoi suis-je réticent à l'égard de la publicité des séances ? Tout simplement parce qu'elle me paraît peu utile, risquée, voire dangereuse :

- D'abord peu utile : on voit mal le profit (autre que de curiosité) que pourrait retirer un public d'une audience relative à un contentieux dont la procédure, qui demeurera essentiellement écrite, a été poussée au préalable jusqu'au terme des échanges contradictoires de mémoires entre les parties. L'intérêt de voir, comme au Conseil d'Etat, probablement, une fois passé l'effet de nouveauté, les avocats se lever quelques instants à l'appel du Président ... pour s'en rapporter à leurs observations écrites ?

Il ne faut jamais désespérer du goût du verbe des avocats, mais enfin, en tout état de cause, ils ne pourraient jamais, en outre, se lancer dans des plaidoiries, mais seulement présenter éventuellement quelques observations orales à l'appui de leurs conclusions écrites. idem ici pour les pages

J'ajoute, comme je vous le rappelais tout à l'heure, que, dans ce contentieux, le Conseil constitutionnel aura souvent compétence liée, s'agissant du principe comme de la nature de la sanction encourue (l'inéligibilité) : il ne faut pas davantage désespérer de l'inventivité des avocats, mais le moyen d'ajouter utilement aux productions écrites en cas de dépôt tardif du compte de campagne, de non-désignation d'une association ou d'un mandataire financier pour recueillir les fonds, ou de fonds recueillis tardivement... etc ?

On objectera qu'au Conseil d'Etat l'audience est publique et qu'elle le restera pour le contentieux, ressortissant à sa compétence, des dépenses de campagne pour les élections administratives.

Mais je vois une différence de taille quant à l'utilité de cette publicité : c'est l'intervention, au Conseil d'Etat, du Commissaire du Gouvernement ; le rapporteur devant le Conseil constitutionnel est le rapporteur de la section d'instruction, il exprime les options de cette dernière et non pas, comme un Commissaire du gouvernement, un point de vue indépendant ; il me paraît exclu de le faire intervenir publiquement autrement qu'en présentant en quelques mots les données du litige (comme le fait le rapporteur au Conseil d'Etat), sauf à trahir le secret du délibéré de la section.

Pour me résumer sur ce point, il me semble qu'il n'y a pas d'utilité majeure, ni pour un public éventuel ni pour le Conseil, à ce qu'on franchisse le pas conduisant de l'oralité à la publicité.

- Il y aurait, en deuxième lieu, plus d'un risque à le faire.

Je passe sur ce point : Monsieur MOLLET-VIEVILLE, au cours de notre débat d'orientation*, nous a déjà fait sentir les inconvénients qu'impliquerait une médiatisation de nos travaux.

- Opter pour des audiences publiques serait, enfin, me semble-t-il, quelque peu dangereux : je songe au fait que, comme je vous l'ai déjà dit, la Commission peut être amenée, lorsqu'elle a constaté certaines infractions, à transmettre le dossier au Parquet : la publicité de nos audiences pourrait, de ce point de vue, poser un certain nombre de problèmes juridiques délicats.

Finalement, je voudrais rappeler que le Conseil constitutionnel a sa tradition : l'absence de publicité de ses travaux. De nombreuses cours constitutionnelles européennes (Allemagne, Autriche, Italie, Espagne) ont la tradition inverse - du moins dans les textes qui les régissent, car dans la pratique toutes.

V. séance du 26 juin 1991. s'efforcent de et réussissent, par tel ou tel biais, à limiter au maximum les audiences publiques. Il me semble, au total, qu'il y aurait pour nous plus d'inconvénients que d'avantages à modifier sur ce point des règles de fonctionnement qui font notre spécificité et ont donné jusqu'à présent globalement satisfaction.

2° Comment, dès lors, préserver le souci, qui me paraît légitime et devoir trouver une traduction dans les faits, de permettre une défense orale à qui risque cette sanction électorale qu'est l'inéligibilité, sans pour autant que cette défense se déployé en audience publique ?

- On pourrait d'abord songer à la solution consistant à ne faire comparaître devant nous, en séance non publique, que les parlementaires ou candidats malheureux intéressés et les requérants, eux-mêmes.

Mais je ne crois pas qu'on puisse ainsi priver les parties de l'assistance d'un conseil. Ce serait heurter un principe général, et risquer de créer des situations d'inégalité : la capacité a défendre oralement sa cause peut être sans commune mesure entre un député chevronné et tel modeste candidat indépendant n'ayant recueilli que quelques voix, et, plus encore, dans la même instance, entre le même député chevronné et tel électeur requérant "lambda". Qui plus est, il me paraît difficilement envisageable d'autoriser l'assistance d'un avocat pour les productions écrites, et d'obliger ensuite le conseil à abandonner son client lors de la phase orale ...

Mais dire assistance d'un avocat implique en règle générale que l'audience soit publique. Il n'y a guère, au sein des juridictions françaises, que les juridictions financières( 1 ) et les juridictions ordinales qui fassent exception à la règle. Dans le cas des juridictions ordinales, le simple fait d'être attrait devant la juridiction de son ordre professionnel risque, au cas où le public en serait informé, de compromettre, éventuellement sans raison aucune, les conditions d'exercice ultérieur de sa profession par l'intéressé. Cela explique pourquoi, même sous l'empire de la Convention Européenne des Droits de l'homme, les intéressés renoncent à la publicité.

Il nous faut donc admettre la présentation d'observations orales par des avocats, tout en évitant, pour les raisons que j'ai indiquées précédemment, une audience publique.

- la meilleure option me paraît être de situer cette phase orale devant la section d'instruction, siégeant bien entendu, comme à l'accoutumée, en séance non publique.

(1) Il s'agit des Chambres régionales des Comptes, de la Cour des Comptes et de la Cour de discipline budgétaire.

Pourra-t-on objecter que les intéressés ne seront pas, dès lors, entendus par leur juge ? Oui formellement, mais non au fond des choses. D'abord ils le seront du moins par trois de leurs neuf juges. Ensuite, par définition la section diligente l'instruction et collecte tous les éléments utiles produits par cette dernière, pour les besoins de la formation plénière de jugement ; elle ne manquera pas de soumettre à cette dernière, par la voix du rapporteur ou des conseillers en ayant fait partie, la substance des observations orales recueillies.

Si vous faisiez vôtre cette solution, il pourrait en résulter les modifications au règlement que j'ai consignées dans le deuxième tableau comparatif que vous avez au dossier de séance (Règlement intérieur/Projet B) sous la rubrique IX

(les autres sont identiques à celles contenues dans le tableau comparatif précédent : nous les avons déjà examinées).

Je vous propose, comme tout à l'heure, de lire les trois articles nouveaux (9-1, 9-2 et 9-3) introduits dans le règlement sous cette rubrique IX, en assortissant ma lecture de quelques commentaires.

* lecture de l'article 9-1 : il s'agirait d'avertir les intéressés de la date de la séance, en essayant d'éviter autant gue faire se peut qu'ils choisissent d'y comparaître. On aurait pu songer à ne prévoir la convocation que de ceux qui spontanément dans leurs mémoires écrits, voire dans le premier d'entre eux, auraient manifesté leur désir d'être entendus. J'ai préféré, par souci d'éviter l'encombrement, un système où toutes les personnes intéressées sont avisées de la tenue de la séance, mais doivent faire savoir, dans un délai relativement bref, si elles se présenteront effectivement : à défaut, elles ne seraient pas entendues.

* lecture de l'article 9-2 : le principe de la non publicité est posé par l'alinéa 1er. L'alinéa 2 prévoit un rapport succinct par le rapporteur adjoint, à l'image de ce qui se fait au Conseil d'Etat. L'alinéa 3 ouvre donc la possibilité d'observations orales à l'appui des conclusions écrites, soit par les parties elles-mêmes, soit par un avocat (aux Conseils ou inscrits à un barreau : il ne m'a pas paru possible de discriminer au profit des seuls avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation). Le quatrième et dernier alinéa transpose devant le Conseil constitutionnel les règles classiques de police des audiences, afin de donner au Président de la Section tous moyens d'éviter des débordements. (Les articles correspondants du nouveau code de procédure civile sont à votre dossier de séance).

* lecture de l'article 9-3 : il s'agit d'éviter de lier systématiquement réunion de la section (il peut y en avoir plusieurs) et audition des parties. Celles-ci entendues une première fois, et le principe étant donc sauvegardé, ellesidem ici pour les pages

ne pourraient l'être à nouveau que si le Président le jugeait utile.

3° Reste la question relative aux affaires pendantes ce jour devant le Conseil constitutionnel. Je songe évidemment aux dossiers GALY-DEJEAN, BARZACH et CARADEC, pour lesquels votre section d'instruction compétente s'est réunie par deux fois, et qui devraient en principe venir devant le Conseil le 31 juillet prochain, donc après la publication au Journal officiel du projet B si vous décidez d'en faire votre décision.

J'ai, dans l'article 2 du projet (vous en retrouvez les termes à la fin du tableau comparatif) prévu une disposition transitoire ayant pour objet d'éviter que ne soit rompue l'égalité de traitement entre ces affaires pendantes et celles qui sont à venir. Cela implique évidemment une nouvelle réunion d'ici le 31 juillet de la section d'instruction (peut-être au matin du 31 ?), afin que puisse se dérouler la phrase orale.

Il existe d'autres solutions, mais qui rompraient de facto l'égalité, tout en étant inattaquables juridiquement : on pourrait prévoir l'entrée en vigueur des nouvelles règles sur la phase orale à la rentrée, au 1er octobre par exemple, ou, après avoir décidé aujourd'hui d'entériner le projet B, ne l'adopter formellement que lors d'une brève séance ce 1er octobre prochain, la publication de la décision intervenant quelques jours après : la rupture d'égalité serait moins voyante pour les parties aux instances relatives à la législative partielle dans la 13ème circonscription de Paris.

Monsieur le Président, mes chers collègues, tel est le sens dans lequel je vous propose de modifier notre règlement de procédure, tout en ayant conscience qu'il n'aboutit pas à une solution pleinement satisfaisante.

Monsieur le Président : Très bien, Monsieur le rapporteur... Chacun s'exprimera à tour de rôle sur cette question. Je me réserve d'intervenir à la fin, un peu longuement. Qui désire prendre la parole ?... Vous, vous proposez donc d'ouvrir la section d'instruction au justiciable flanqué de son avocat... Telle est la position de Monsieur LATSCHA... Evidemment, le débat est libre, chacun pouvant revenir sur ce qui avait pu être sa position première...

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Il est toujours délicat d'intervenir en premier, mais je voudrais d'abord poser des questions qui pour moi sont importantes. Page 4 du projet B, à l'article 9-1, il est fait état du président de la section... Il me semblait que nous étions tirés au sort... Je ne me souvenais plus qu'il y eût un président de section...

Monsieur le Secrétaire général : En vertu de l'article 36, alinéa 1, de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 relative

au Conseil constitutionnel, ce dernier forme en son sein trois sections composées chacune de trois membres désignés par le sort. Il est procédé à des tirages au sort séparés entre les membres nommés par chacune des autorités de nomination. Il est fréquent que ce soit le membre nommé par le Président de la République qui préside la section à laquelle il appartient.

Monsieur CABANNES : Ce n'est pas le plus âgé ?

Monsieur le Secrétaire général : Je ne le crois pas. C'est ainsi que Monsieur FAURE, par exemple, a été amené à présider sa section.

Monsieur le Président : S'agit-il de faire naître un problème là où il n'y en a pas ?

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Evidemment non... Je voulais simplement savoir d'où cela venait... Si cela reposait sur un texte ou sur une pratique coutumière.

Monsieur le Président : J'ajoute que je ne vois pas comment le Président du Conseil constitutionnel ne présiderait pas sa section...

Monsieur JOZEAU-MARIGNE : J'avoue ne m'être pas posé la question. Que Monsieur MAYER préside la section à laquelle j'appartiens alors que tout à la fois il est le doyen et a été désigné par le Président de la République, m'a paru tout naturel... Et en effet le Président du Conseil ne peut qu'être président de section...

Monsieur MAYER : J'ajoute une difficulté supplémentaire. Je préside la section que je forme avec Messieurs JOZEAU-MARIGNE et MOLLET-VIEVILLE. Jusqu'à présent il n'y a pas eu de problème. Mais dans l'hypothèse où il en surgirait un, où l'on s'approcherait quelque peu de la politique : un président peut être mis en minorité ; qui trancherait ?...

Monsieur le Président : Je suggère que nous reportions 1¹ examen éventuel de ces questions après que nous aurons tranché la question de principe qui nous occupe.

Monsieur le Secrétaire général : Monsieur PAOLI me précise qu'il y a eu des exceptions à la pratique que j'ai indiquée. C'est ainsi, par exemple, qu'il est arrivé à Monsieur LECOURT de présider, en considération de son ancienneté au sein du Conseil et de son âge. Il conviendrait de procéder à une recherche pour être pleinement fixé.

Monsieur CABANNES : Si le Président de la République nommait Président du Conseil constitutionnel un autre membre que l'un de ceux nommés par lui, l'intéressé n'en présiderait pas moins sa section...

Monsieur le Président : Nous poursuivons...

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : A l'intérieur du même article, alinéa suivant, les "personnes visées" : si elles sont trois ou quatre, et se présentent toutes, flanquées de leurs avocats, cela risque de faire une séance un peu lourde.

Monsieur LATSCHA : J'ai une proposition d'ordre : nous n'avons pas encore fait la lecture des articles...

Monsieur le Président : Oui, il nous faut passer au principal, sauf à ce que des questions préalables conditionnent le principe... Monsieur le rapporteur, je vous prie de répondre d'un mot à la question posée.

Monsieur LATSCHA : Les "personnes visées", ce sont le requérant, le défendeur et les autres candidats.

Monsieur le Président : Tous ceux qui sont susceptibles d'encourir l'inéligibilité.

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Bien. Alors, j'en viens au fond. Jusqu'à présent nous procédions de façon écrite. Maintenant, la procédure serait orale. Comment va se conduire cette section ? J'ai vu dans le projet qu'étaient visés les articles 438 à 440 du Nouveau code de procédure civile. Le Président aura la police des audiences. Il y a un demandeur, un défendeur. Qui tiendra le rôle du ministère public ? La section sera désormais une véritable juridiction ! Mais l'est-elle juridiquement ? Je ne le crois pas. Sinon, le code de référence, c'est celui de procédure pénale et non pas civile. Puisqu'aussi bien on se dirige vers des sanctions ! La section serait un juge d'instruction. Je vois l'article 49 du code de procédure pénale...

Monsieur le Président : Je vous arrête. Il existe des mesures d'instruction devant toutes les juridictions civiles ou administratives. La référence au code de procédure pénale est impossible, sauf pour les principes généraux. Aucun d'entre nous ne pense que nous allons nous instituer en juridiction pénale.

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Vous m'avez précédé dans ma conclusion. Un juge d'instruction ne peut à peine de nullité participer au jugement... Il me semble que les membres du Conseil vont être gênés d'avoir à participer à cette section... Et cette référence au code de procédure civile ne me gêne pas moins... Mais j'en viens aux observations orales... Je prends l'exemple du contentieux commercial : il est bien difficile, sinon impossible, de limiter des observations orales. Cela peut prendre des proportions considérables... Quant à l'option entre personne seule ou avocat...

Monsieur le Président : Nous en sommes encore ici aux modalités ! Il faut d'abord que chacun s'exprime sur le principe !

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Alors je serai très bref sur le principe. Quant au nécessaire respect des droits de la défense, ma réponse est nécessairement oui... Mais les difficultés surgissent au niveau des modalités, voilà pourquoi j'avais tendance à les aborder en premier lieu... Voici trente-trois ans que cette institution suit la procédure écrite... Faut-il absolument aujourd'hui venir l'orner d'une phase orale, avec ce que représente d'alourdissement la présence d'avocats difficiles à endiguer ? La procédure écrite a fait ses preuves. Ouvrir la section à la présence physique des personnes la transformerait en un mixte de formation d'instruction et de formation de jugement. Je dirais même que d'être coupé des personnes physiques nous apporte l'apaisement nécessaire ! Les choses vont bien, la coutume est bonne. Bref, je suis hostile à la modification envisagée.

Monsieur le Président : Monsieur le Bâtonnier, voilà qui est très clair. Vous êtes donc opposé à toute modification du règlement de procédure qui irait au-delà du projet A.

Monsieur ROBERT : Pour moi, vous n' avez pas été sans remarquer que j'étais quelque peu réticent lors de notre débat du 26 juin dernier. J'ai réfléchi depuis lors. Il y a au fond une thèse minimaliste, que vient d'illustrer à l'instant le Bâtonnier - nos habitudes sont bonnes, pourquoi les changer ? Et il y a une thèse maximaliste, qui insiste sur ce que notre compétence est désormais différente, sur ce que pour la première fois nous allons être amenés à prononcer des inéligibilités, ce qui est très grave, et implique que le justiciable soit entendu par le Conseil constitutionnel. Je me demande s'il ne s'impose pas de choisir carrément entre les deux branches de cette alternative. Et si la thèse moyenne - pardonnez-moi, Monsieur le rapporteur - n'est pas la plus mauvaise, qui cumule tous les inconvénients. Il faut aller jusqu'au bout, et rejeter une position intermédiaire. Celle-ci ne donnera pas le profit d'une ouverture large ; on dira : ils ont entrouvert la porte ; l'avocat pourra être entendu par trois membres, pourquoi pas neuf ? Sans pour autant éviter les inconvénients tenant à la longueur des avocats, à la médiatisation, etc...

Monsieur le Président : Je suis tout a fait d'accord avec vous...

Monsieur FAURE : Moi... Mais je remarque, Monsieur ROBERT, que vous n'avez pas conclu pour vous-même...

Monsieur le Président : Chacun va à son rythme.

Monsieur FAURE : Moi, je crois qu'il y a quatre questions : faut-il s'en tenir à la procédure écrite ou ouvrir la porte à

l'oralité ? Dans quelle mesure faire cette place à l'oralité ? Les candidats seront-ils assistés ou non d'avocats ? Les débats seront-ils publics ou tenus à huis-clos ? Je rejoins assez volontiers la position du rapporteur. Non par goût inné pour le compromis. Mais parce qu'elle me paraît raisonnable : elle fait droit à l'essentiel de ce qui est impliqué par la novation incontestable introduite par la loi de 1990. Je suis donc pour le principe d'ouvrir la voie à une forme d'oralité, mais devant la section seulement. On dit : ils ne seront entendus que par trois de leurs neuf juges ; mais c'est mieux que de ne l'être par aucun ! Je crois aussi qu'on ne peut éviter l'assistance des avocats. En revanche, je suis contre la publicité. Non pas du tout que je partage les préoccupations du Bâtonnier : la nature de la section ne changera pas pour autant, ni sa marge de responsabilité, ni son rôle... D'être juge des élections n'est pas la responsabilité principale du Conseil constitutionnel. Les élections parlementaires auparavant étaient jugées par les assemblées. Simplement, la Constitution les a englobées avec les présidentielles et les référendums, pour attribuer le tout au Conseil. Mais le rôle principal de ce dernier, c'est d'être le juge des saisines en inconstitutionnalité. Et si nous poussons trop loin, si nous allons à la publicité - avec ce que cela implique d'interventions de la presse, de déclarations, de polémiques... -, nous risquons une banalisation du Conseil. Pire : une atteinte portée à son prestige. Il n'est pas sûr qu'il résisterait à une épreuve de ce genre. A quoi s'ajoutent des considérations d'ordre quantitatif : comment nous sortirions- nous de la prochaine épreuve des élections législatives générales ? Elle sera rude en tout état de cause. Mais à plus forte raison si sur les deux cents dossiers dont nous serons saisis nous entendons deux ou trois personnes : il faudra y passer cinq ans ! Alors, ce moyen terme est préférable... Ma position n'est pas passionnée... Je n'ai pas de certitude... Je crois éviter le pire tout en concédant au principe. La section est représentative du Conseil ; elle est une formation d'instruction, mais conserve sa liberté de mouvement... Il y a une dernière raison qui m'inspire : la sanction prévue est lourde, très lourde, mais il ne s'agit pas pour autant d'une sanction de caractère pénal.... Et je souligne enfin l'incohérence du système : il pourra se faire que l'inéligibilité d'un an soit prononcée par nous, alors qu'il ne restera plus que quelques mois avant qu'une année soit écoulée ! ...

Monsieur le Secrétaire général : L'inéligibilité s'appliquera rétroactivement. Il n'y aura problème que si le juge est amené à statuer alors qu'une année s'est écoulée. Se poserait alors la question de l'effectivité de l'inéligibilité.

Monsieur FAURE : Quoi qu'il en soit, je suis donc au total contre la publicité dans ce genre de débat.

Monsieur le Président : En effet, il y a le risque que nous nous prononcions sans que cela ait d'autre effet que symbolique...

Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Mesurons tous les conséquences de ce que nous envisageons. Nous avons vu les modifications indispensables - c'est le projet A, qui a recueilli l'unanimité de nos suffrages. Sur le deuxième point, chacun de nous s'exprime à tour de rôle sur la position intermédiaire proposée par Monsieur LATSCHA. En présence d'un tel problème, je crois qu'il faut envisager le rôle et la situation spécifiques du Conseil constitutionnel. Il ne faut pas le mélanger avec n'importe quelle autre juridiction. Votre rédaction, Monsieur le Président, est d'un avocat...

Monsieur le Président : Non, pas d'un avocat...

Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Disons qu'il vous est difficile de faire la répartition entre les deux ventricules de votre coeur ! ... Et de ce cadeau charmant que vous avez fait à Monsieur LATSCHA, il a essayé de tirer une solution, qui, dans son esprit, pourrait amener à un consensus... Le malheur, c'est que ce problème touche à de grands principes du droit. La section n'est qu'un moyen d'instruction. Elle ne peut faire que des propositions. C'est la formation plénière, et elle seule qui décide. En sorte que l'oralité devant la seule section ne peut satisfaire en rien ceux qui plaident pour la nécessité de la défense orale devant le Conseil. Quant à envisager la venue des membres du barreau en séance plénière, j'y suis absolument opposé. Oui, Monsieur FAURE a employé le bon mot, ce serait "banaliser" le rôle du Conseil. Faut-il au nom du désir de renforcer les droits de la défense, aller jusqu'à changer le rôle du Conseil constitutionnel et entamer la confiance qu'a la Nation dans cette institution ? Je ne souscris donc pas à la proposition de Monsieur LATSCHA. Y-a-t-il seulement moyen de faire mieux que ce qui est fait aujourd'hui ? La section peut faire entendre toute personne qu'il lui semble bon. Peut-on ajouter que, sur sa demande, elle pourra entendre l'intéressé et lui - ou elle - seul ? Sinon, je suis pour le maintien pur et simple du statu quo !

Monsieur MAYER : Qu'on ne prenne pas en mauvaise part ce que je vais dire, mais il me semble qu'on s'attache plus à la procédure, à la façon dont fonctionne le Conseil, qu'au problème de fond. J'ai entendu le Bâtonnier ; il nous dit : tout s'est bien passé jusqu'à présent, inutile d'ouvrir la porte à la pagaille, le Conseil n'aura plus d'autorité. Mais la différence entre hier et aujourd'hui, c'est l'enjeu. Depuis notre débat du 26 juin, je suis hanté par le cas de figure d'un élu qui aura dépassé de très peu les crédits autorisés, aura donc vu son compte rejeté, se verra interdire par nous d'être candidat, et se trouvera par conséquent déshonoré dans l'esprit de ses électeurs : il devra donc expliquer qu'il a été condamné sans être entendu ! Cela rappelle fâcheusement la fameuse

formule : "la question ne sera pas posée", de certains procès célèbres ! C'est sur ce terrain que se joue notre autorité. M'exprimant ainsi, je ne le fais pas en avocat, je ne le suis pas...

Monsieur le Président : Ce ne serait pas une tare ! Mais oui, la difficulté tient à ce que nous sommes dans une situation complètement originale, tout à fait neuve, dont il faut tirer les conséquences, sans en rester aux douceurs du passé !

Monsieur CABANNES : Les droits de la défense, c'était le sujet de mes dernières conclusions à la Cour de cassation. Sans faire de logomachie, il ne s'agit de rien de moins que de savoir si l'on change la nature des travaux du Conseil constitutionnel. La procédure, c'est de l'algèbre, et le fond du droit, de la géométrie. Veut-on passer d'une procédure de type inquisitoire au type accusatoire ? Nous sommes une institution jeune, qui n'a pas entièrement pris ses marques juridiques, même si elle a acquis des lettres de noblesse. La Cour de cassation et le Conseil d'Etat ont eux résolu ces questions pour ce qui les concerne de longue date. A mon sens, il est prématuré de changer la nature des travaux du Conseil - car je rejoins Monsieur ROBERT, si l'on y va, il faut y aller complètement, et jusqu'à la publicité des audiences. "Magistrats ignorants, c'est la robe qu'on salue", dit LA FONTAINE. Mais cette thèse maximaliste obligée, j'y suis opposé ; je ne dis pas que je n'y serai pas favorable dans dix ans ; je pourrais alors donner mon avis comme simple citoyen ! Quant à la proposition de Monsieur LATSCHA, elle me paraît bâtarde : il faudrait plutôt faire l'inverse : de l'inquisitoire en section et de l'accusatoire en plénière.

Monsieur FABRE : Dès la dernière séance, j'ai marqué mes réserves. J'ai depuis réfléchi. Les inconvénients continuent à me paraître les plus lourds. Je ne suis pas pour la comparution. Etant donné que nous ne pouvons pas moduler les peines, à quoi servirait-elle ? Pour Madame BARZACH, par exemple, c'est le tout ou rien : sa venue devant nous pourrait nous fendre le coeur, pas nous faire changer d'opinion. Je n'ajoute pas à ce qui a été déjà dit sur l'alourdissement de nos travaux, les risques d'atteintes portées au secret de nos délibérations, on finirait toujours par savoir ce qui s'est passé... La section a tous les moyens d'étudier à fond les dossiers, avec le concours de cette nouvelle Commission nationale. Elle a bien joué son rôle jusqu'à présent. L'article 14 de notre actuel règlement lui permet de décider d'elle-même la comparution, si elle le juge utile. Mais elle resterait maîtresse de sa décision, ce qui n'est pas la même chose que de voir se présenter 250 personnes flanquées de leurs avocats. Le maintien en l'état ne me paraît pas être une stagnation ou le signe d'un esprit passéiste. Qui s'est plaint jusqu'à présent d'une annulation ?...

Monsieur MAYER : Mais on pouvait se représenter à l'élection consécutive à l'annulation.

Monsieur FABRE : Je suis donc pour nous en tenir au projet A, tout en mettant l'accent sur le fait que la section peut entendre les intéressés.

Monsieur FAURE : Dans votre esprit, ce serait une possibilité, pas une obligation ?

Monsieur FABRE : Oui, une possibilité, et qu'il n'est pas nécessaire de codifier.

Monsieur le Président : J'ai écouté vos interventions avec un extrême intérêt. Je voudrais d'abord faire une auto-critique : j'ai amené le sujet un peu tard, sans avoir suffisamment éclairé le Conseil. Croyez bien que je ne mets dans cette affaire ni malice ni obsession professionnelle. Si j'avais encore un tropisme irréversible pour la profession d'avocat, eh bien je me réinscrirais à l'ordre et pratiquerais, comme le fait Monsieur MOLLET-VIEVILLE... Mon souci, en réalité, est de faire en sorte que le Conseil constitutionnel soit irréprochable. Le prestige qui est aujourd'hui le sien, il n'était pas acquis au début. S'il a gagné de plus en plus de galons, c'est en fonction des décisions qu'il a prises, en étant indépendant, et irréprochable au niveau des principes. Jusqu'à présent, en matière de contentieux électoral, les choses se sont raisonnablement bien déroulées. Mais ça n'est pas la même chose que l'annulation d'une élection et le prononcé de l'inéligibilité d'un candidat. Certes, il ne s'agit pas d'une sanction pénale, mais bien d'une "peine". Désormais, nous n'annulons plus des opérations électorales, nous frappons un homme ou une femme ! Il faut dissocier ce cas de celui du Conseil constitutionnel statuant sur la constitutionnalité des lois, qui est une institution sui generis, où il y a un demandeur, mais pas de défendeur ; je ne parle pas ici de cela. En matière de contentieux électoral, nous sommes une juridiction exactement comme les autres, et pas une institution bizarre. Il n'y a aucune différence avec le Conseil d'Etat ou le tribunal administratif, autre que de niveau. Je veux dire de compétence : le maire de Lyon ou de Marseille, c'est aussi important, sinon plus, qu'un député de la 13ème circonscription de Paris. Nous ne sommes pas ici d'essence supérieure au Conseil d'Etat : statuant en matière électorale, eux et nous sommes des juridictions. Or, même si c'est ennuyeux et désagréable, nous ne pouvons pas empêcher qu'il y a un certain nombre de textes dans l'ordre international, qui dictent la conduite à suivre. Reportez-vous à l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, au Pacte sur les droits civils... Selon tous ces textes, tous sont égaux devant les tribunaux et toute personne a le droit de se faire entendre de ses juges ! C'est le fondement du système juridique. Alors, la présence des avocats, moi aussi cela

m'ennuie ! Je pensais au mot merveilleux d'un ami aujourd'hui décédé : "Ce que les avocats détestent le plus, ce sont les plaidoiries : mauvaises, elles les ennuient, bonnes, elles les irritent...". On s'en est tiré jusqu'à présent avec la jurisprudence de la Cour européenne. Le contentieux électoral, a-t-on dit, n'entre pas dans le champ d'application de l'article 6. En 1988, on a pris la tangente(<>). Déjà alors je n'étais pas très à l'aise. Il ne s'agit pas de textes mineurs pour nous ; tous ceux qui sont assis à cette table doivent en être, en sont les défenseurs acharnés. Mais désormais, il s'agit de sanctions, de peines, et, cette fois-ci, nous sommes coincés... Les plaideurs et les avocats sont aussi intelligents que nous... Si Monsieur MARTINEZ, Monsieur MEGRET disent vouloir être entendus par le Conseil constitutionnel, que faisons-nous ? Nous leur répondons : non ? Nous leur disons : la convention européenne, garantie fondamentale en Europe, ne vous est pas applicable ? Il s'agit peut-être d'une sanction, mais ni "civile" ni "pénale" ? Notre position ne résistera pas une seconde ! Que vaudra politiquement une argutie juridique que personne ne comprendra exactement ? Et j'irais plus loin. Nous n'avons pas que des amis, vous le savez. On dira : ils n'appliquent les principes qu'aux autres et pas à eux-mêmes. Je vois très bien un avocat aller ensuite saisir la Cour européenne et le Conseil constitutionnel revêtir le visage de l'accusé. Allez expliquer à un haut magistrat de la Cour européenne que nous nous débrouillons très bien avec la procédure écrite et que nous refusons l'oralité : il sera stupéfié ! Alors, c'est cela que je veux à tout prix éviter. Il y a péril en la demeure ! Sur deux cents dossiers, ça arrivera inévitablement.

Quant à la solution transactionnelle que vous proposez, Monsieur LATSCHA, je vous remercie, cher ami, de l'effort que vous avez fourni afin de l'élaborer. Mais elle n'est pas possible. Et je ne crois d'ailleurs pas que vous-même y croyiez vraiment... Il faut donc continuer de réfléchir à cette affaire. Soit, pour le dossier en cours nous nous passerons des beaux yeux de Madame BARZACH... Mais, à mon sens, nous ne pourrons pas éviter à terme de passer par ce changement... Je suis convaincu gue notre force vient de notre attachement aux principes... Moi, je suggérais une procédure proche de celle qui est en vigueur au Conseil d'Etat, légèrement modifiée... Cela nous prendrait du temps ? Certes tous les cinq ans, il nous faudrait pendant une période siéger tous les jours... Comme... tous les juges ! Ma conclusion est donc qu'en l'état il nous faut aujourd'hui nous en tenir au projet A. Mais il faudra que cette discussion soit reprise ultérieurement. Avant le rush de 1993. Ou de façon plus urgente si avaient lieu des élections anticipées. Il s'agira de nous, ou d’une autre formation du Conseil, mais nous n'y échapperons pas !

(1) Allusion à la décision du 8 novembre 1988.

Monsieur FABRE : L'article 44 ouvre une possibilité d'oralité en l'état actuel du règlement...

Monsieur le Président : Il laisse dans le vague la question fondamentale... Doit-on attendre qu'un premier justiciable vienne frapper à la porte ou devons-nous anticiper ?... Il nous faut nous draper d'"irréprochabilité", en anticipant... Bien, Monsieur LATSCHA, nous passons à la lecture du projet.

Plusieurs conseillers : C'est au fond déjà fait par la lecture du premier tableau...

Monsieur le Président : Alors nous passons au vote.

Le projet A est adopté à l'unanimité.

Les conseillers mettent ensuite au point le calendrier des séances à venir.

La séance est levée à 12 h 37.