PV1994-06-1<br><br>

Enric RIEFENSTAHL

SEANCE DU MARDI 14 JUIN 1994

La séance est ouverte â 15 heures tous les membres étant présents, à l'exception de Madame LENOIR.

Monsieur le Président : Bien, Monsieur ABADIE, c'est à vous.

Monsieur ABADIE : Monsieur le Président, Madame, mes chers collègues, nous avons été saisis, d'une part le 7 juin 1994, par le Premier ministre, d'un projet de décret modifiant le décret 64-231 du 14 mars 1964 pris pour l'application de la loi n° 62-1292 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.

Nous avons été saisis, d'autre part le 10 juin 1994, par le même Premier ministre, de deux décrets portant application des dispositions du troisième alinéa de l'article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique aux fichiers et aux libertés. Ces deux décrets sont rendus nécessaires par le traitement automatisé mis en oeuvre par le Conseil constitutionnel relatif à l'édition, la diffusion et le traitement des dons effectués en vue de la campagne pour l'élection présidentielle.

La transmission de ces décrets intervient dans le cadre des pouvoirs du Conseil constitutionnel définis à l'article 58 de la Constitution puisqu'il est chargé de "veiller à la régularité de l'élection du Président de la République".

Plus spécialement, la transmission de ces projets de décret intervient sur le fondement de l'article 46 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel rendu applicable par le premier alinéa du III de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République. La combinaison de ces deux textes, article 46 de l'ordonnance et article 3 de la loi, impose que le Conseil soit consulté par le Gouvernement sur l'organisation des opérations électorales et soit avisé sans délai de toute mesure prise au sujet des élections présidentielles.

I. REMARQUES GENERALES :

A. La consultation du Conseil constitutionnel :

Avant d'examiner ces projets de décret, on soulignera que le Conseil constitutionnel n'a pas été consulté pour avis s'agissant du décret du 14 mars 1964. A propos de l'élection présidentielle de 1988, la question s'est posée (F. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, p. 280) de savoir si la consultation du Conseil constitutionnel était exigée seulement pour les mesures d'organisation propres à une élection déterminée ou si elle

s'étendait à des dispositions à caractère permanent, c'est à dire à des décrets en Conseil d'Etat pris sur le fondement du paragraphe V de la loi de 1962 (modalités de contrôle des dépenses de campagne). Comme le dit B. Genevois, (RDP, Le conseil constitutionnel et l'élection présidentielle de 1988), "Concrètement, le Gouvernement a, lors de l'élection de 1988, procédé à deux types de saisine du Conseil constitutionnel: une saisine pour avis lorsqu'il avait la certitude qu'on se trouvait effectivement dans un cas de consultation obligatoire, c'est à dire lorsque l'organisation des opérations était en cause; une saisine pour information pour toutes les autres mesures liées à l'élection du Président de la République... On a ainsi abouti à un contrôle a priori dépourvu tout à la fois de forme juridictionnelle et de caractère public... Au total 27 avis ont été rendus".

Dans le cas des modifications du texte de 1964, il ne fait guère de doute â mon sens que le Conseil se trouve dans le cadre d'une saisine obligatoire. D'ailleurs le Gouvernement en a jugé ainsi et c'est la raison pour laquelle, figure dans les visas des projets de décret la formule "le Conseil constitutionnel consulté". Il en va de même des deux projets de décret CNIL. S'agissant du projet de loi organique, il vous est adressé bien sûr pour information.

B. Les modifications nécessaires :

Le premier projet de décret modifiant celui de 1964 est rendu nécessaire par l'évolution de la législation relative au financement de la campagne en vue de l'élection du Président de la République qui résulte de la loi organique n° 90-383 du 10 mai 1990. En effet, cette loi a étendu à l'élection présidentielle, sous réserve de diverses adaptations, les règles relatives au plafonnement et au contrôle des dépenses de campagne des candidats aux élections politiques contenues dans les articles L. 52-4 et suivants du code électoral. Les dispositions de la loi organique du 10 mai 1990 ont fait l'objet d'une codification au II de l'article 3 de la loi de 1962, au dernier alinéa du III de ce même article, et au V de cet article.

Le premier alinéa du paragraphe V de cet article 3 précise qu'un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application des dispositions relatives au financement de la campagne présidentielle.

Le premier projet de décret est pris sur la base de cet alinéa. On soulignera l'urgence des mesures à prendre puisqu'on vertu de l'article L .52-4 du code électoral c'est à compter du 1er avril 1994 qu'un candidat peut recueillir, par l'intermédiaire d'un mandataire financier, des fonds pour sa campagne (la date retenue par le Ministre de l'intérieur pour le premier tour de scrutin étant celle du 23 avril 1995).

Le décret à prendre est l'équivalent de celui du 14 décembre 1992 (n° 92-1300) codifié à l'article R. 39-1 du chapitre V bis du Livre 1er du code électoral relatif à l'élection des députés, des conseillers généraux et des conseillers municipaux et des départements.

Au cours d'une réunion qui a eu lieu le 11 mai 1994 réunissant les membres du Secrétariat général du Gouvernement et ceux du secrétariat général du Conseil constitutionnel, il a été admis par tous que le décret du 14 décembre 1992 n'était pas applicable à l'élection présidentielle. En effet, ce décret pris pour l'application de la loi du 15 janvier 1990 concerne seulement les activités de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Or, il résulte du troisième alinéa du II de l'article 3 de la loi de 1962 relative à l'élection présidentielle que le Conseil constitutionnel dispose des pouvoirs de la Commission nationale des comptes définis à l'article L. 52-15 du code électoral."La Commision nationale des comptes de campagnes et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne".

Ainsi, le décret que nous allons examiner est le décalque de celui du 14 décembre 1992 et substitue le Conseil constitutionnel à la Commission (c'est l'article 1er du décret). Nous verrons qu'il comporte aussi d'autres mesures qui répondent aux voeux de la Commission nationale de contrôle formulés à propos de l'élection présidentielle de 1988 (articles 2 et 3) et enfin quelques mesures d'adaptation.

J'en profite pour souligner ici que les mesures prévues à l'article 1er du projet de décret ont été prises en étroite concertation entre le Secrétariat général du Gouvernement et le Conseil constitutionnel.

II. EXAMEN DES DISPOSITIONS DU DECRET MODIFIANT LE DECRET DE 1964 :

A. Article 1er :

a) deuxième alinéa :

Cet alinéa reprend purement et simplement le premier alinéa du décret du 14 décembre 1992 en se bornant à substituer le Conseil constitutionnel à la Commission. En effet, il tire les conséquences de l'article L. 52-4 du code électoral rendu applicable par la loi du 6 novembre 1962. Cet article impose à tout candidat à l'élection présidentielle de ne recueillir des fonds en vue du financement de sa campagne que par l'intermédiaire d'un mandataire nommément désigné par lui qui est

soit une personne physique soit une association de financement électorale.

Techniquement, les modalités retenues pour contrôler les dons s'inspirent très largement de celles que la Commission nationale des comptes avaient retenues. Sans entrer dans le détail que nous serons amenés à revoir, il sera remis par le Conseil constitutionnel aux mandataires financiers des carnets à souches numérotés comportant un reçu détachable. En gros la souche permettra d'identifier s'il s'agit d'un don d'une personne physique ou d'une personne morale, son nom ou sa raison sociale et le montant du don versé par chèque ou en espèces. Le reçu quant à lui comportera la signature du donateur, son nom, le montant du don et la signature du mandataire financier.

L'édition et la diffusion de ce carnet à souches sont effectuées par le Conseil constitutionnel. J'indique d'ores et déjà que le secrétariat général a passé un marché avec la société "Axycheq", société qui a déjà travaillé avec la Commission, pour qu'au début du mois de juillet ces carnets à souches soient disponibles.

La remise d'un reçu est rendue nécessaire en raison du régime fiscal décrit à l'article 18 de la loi du 15 janvier 1990 et codifié s'agissant des personnes physiques à l'article 200-2 bis du code général des impôts et, s'agissant des personnes morales, à l'article 238 bis-1, alinéa 2. Je vous avouerai que je me suis interrogé sur le fait que le premier alinéa du décret que nous examinons fait mention de l'article 200-2 bis et non de celui de l'article 238 bis 1.

Il aurait été logique, ou bien de mentionner les deux ou bien de n'en mentionner aucun, puisqu'on tout état de cause les prescriptions du code général des impôts s'appliquent. Le décret du 14 décembre 1992 concernant la Commission était libellé de façon identique et je ne crois pas que nous avons à émettre un avis sur cette question qui relève plus du Conseil d'Etat que du Conseil constitutionnel.

Monsieur le Président : C'est effrayant !

Monsieur ROBERT : Oui, c'est effrayant ! Le Conseil en arrive à devenir éditeur de carnets à souches.

Monsieur le Président : Rien n'explique qu'une juridiction constitutionnelle doive descendre à ce niveau. Rien sinon la méfiance du Général de Gaulle, en 1958, pour le Conseil d'Etat. Bien, continuez !

Monsieur ABADIE : J'en arrive au deuxième alinéa de l'article 1er qui pose, dans sa rédaction actuelle soumise à votre avis, quelques problèmes :

- en premier lieu, il indique que les souches des reçus utilisés sont jointes aux comptes de campagne soumis au contrôle



du Conseil constitutionnel. Il me semble que la formulation utilisée n'est pas satisfaisante. En effet, aux termes du troisième alinéa du II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, il est dit que le compte de campagne et ses annexes sont adressés au Conseil constitutionnel. Il faut évidemment se reporter au deuxième alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral, rendu applicable par la loi de 1962 modifiée, pour voir ce qu'il faut entendre par annexe. Cet alinéa prévoit que chaque candidat "dépose son compte de campagne et ses annexes... accompagné des justificatifs de ses recettes...". Incontestablement, les souches des reçus utilisés constituent précisément ces justificatifs de recettes. Elles doivent donc être annexées aux comptes de campagne et non pas seulement jointes. On dira que la différence est mince mais il n'en est rien car le Conseil constitutionnel qui dispose des pouvoirs de la Commission d'approuver ou de rejeter le compte peut constater que celui-ci n'a pas été déposé selon les formes prescrites. Il me semble alors nécessaire que le décret reprenne le terme "d'annexe" qui impose une obligation qui peut être sanctionnée par le Conseil plutôt que le terme de "joints".

- En second lieu, il me semble aussi nécessaire de préciser, pour la même raison, que les reçus non utilisés et les souches correspondantes sont également retournés au Conseil constitutionnel en annexe au compte de campagne. En effet, il est essentiel que les mandataires financiers, à qui les carnets sont délivrés conformément à leur demande, renvoient les carnets non utilisés de façon que le Conseil puisse vérifier tous les carnets demandés. Car, s'ils ne l'étaient pas, on pourrait imaginer des fraudes consistant par exemple à délivrer des reçus à des personnes physiques ou morales dans le seul but de leur permettre de bénéficier de déductions fiscales sans même qu'elles aient à débourser un centime. On pourrait imaginer aussi que ces carnets servent à établir une double comptabilité de campagne qui permette d'enregistrer sur un autre compte bancaire des dons et de financer des dépenses qui n'apparaissent nulle part.

Je crains même que mon imagination soit insuffisante pour appréhender tous les vices que la réalité pourrait enfanter ! ! !

Les autres dispositions du deuxième alinéa, celles du troisième, quatrième et cinquième alinéas ne me semblent poser aucun problème. Le décret n'est pas adapté.

Monsieur le Président : Vous l'avez donc réadapté. Mais je me demande si la modification que vous proposez sert à quelque chose. Il est dit "les reçus non utilisés".

Monsieur ABADIE : Non, la modification porte précisément sur le mot "annexé".

Il lit le projet d'avis correspondant.

(Assentiments).



Monsieur RUDLOFF : On va juger des contestations. Mais nous ne prononcerons pas d'inéligibilité si le compte n'est pas régulier.

Monsieur le Président : Malheureusement non ! (Sourires).

Monsieur LATSCHA : Et si le Gouvernement ne tient pas compte de notre avis ?

Monsieur ABADIE : Si, si, il est d'accord.

Monsieur RUDLOFF : Et puis on pourra toujours interpréter le texte comme on le souhaite.

Monsieur ABADIE : L'alinéa 7 peut permettre au Conseil constitutionnel de mettre en cause, s'il le souhaite, la validité d'un reçu s'il constate une irrégularité au regard des dispositions du code électoral rendues applicables par la loi organique de 1962 modifiée (article 3-II de la loi de 1962). J'indiquerai qu'il y a lieu ici de faire une remarque puisque cette applicabilité s'entend des réserves exprimées par la loi organique elle-même :

- en premier lieu, la loi organique prescrit que le solde positif éventuel des comptes des associations électorales et mandataires financiers est dévolu à la Fondation de France. Cette disposition constitue une exception au quatrième alinéa de l'article L. 52-5 du code qui prévoit que ce solde peut être dévolu soit à un parti politique soit à des établissements reconnus d'utilité publique.

- En deuxième lieu, seul le premier alinéa (sur le plafonnement des dépenses) et le dernier alinéa (sur l'actualisation) du L. 52-11 sont applicables à l'élection présidentielle et non pas les autres qui indiquent les plafonds selon les circonscriptions suivant qu'il s'agit des élections législatives, municipales, cantonales ou régionales.

- En troisième lieu, en l'état actuel de la législation et sous réserve des modifications apportées par le projet de loi organique sur l'élection du Président de la République, le dernier alinéa de l'article L. 52-12 résultant de l'article 9 de la loi SAPIN sur la prévention de la corruption (29 janvier 1993) n'est pas applicable à l'élection présidentielle. En effet, cette loi est une loi ordinaire et, même si la loi de 1962 modifiée en dernier lieu par la loi organique de 1990 rend les dispositions de l'article L. 52-12 applicables, ce renvoi ne peut inclure les modifications apportées à cet article par une loi ordinaire dès lors que les dispositions relatives à l'élection du Président de la République doivent avoir le caractère organique. Le projet de loi organique qui vous a été transmis à titre d'information spécifie à son article 4 que "La liste exhaustive des personnes morales, à l'exception des partis et groupements politiques qui ont consenti des dons à un candidat, est jointe à son compte de campagne avec l'indication du montant de chacun de ces dons".

Ainsi, il me semble que le décret devrait préciser que ces articles du code sont ceux "tels qu'ils sont rendus applicables à l'élection présidentielle par le II de l'article 3 de la loi susvisée du 6 novembre 1962".

Monsieur le Président : Tout ce système relève du trompe-l'oeil.Il faudrait que les dépenses soient en fait autorisées a priori par quelqu'un de la Cour des comptes. En 1988, on s'est moqué de nous. Un candidat, Monsieur LE PEN pour ne pas le nommer, s'est en fait fait financer par un pays étranger. Mais comment voulez- vous, trois mois après, que cela donne un résultat quelconque ? Et ici ce sera pire. Il est vrai qu'à l'époque la sanction était nulle. On aurait dû faire le compte au fur et à mesure.

Monsieur ABADIE lit la partie du projet correspondante.

Le vote est acquis à l'unanimité.

Monsieur ABADIE : J'en viens au dernier alinéa de cet article qui pourrait aussi faire l'objet d'une observation dans la mesure où :

- l'ensemble de l'article 1er ne concerne que le Conseil constitutionnel en tant qu'il contrôle les comptes de campagne et il serait paradoxal d'énoncer à son dernier alinéa que, pour "l'application du présent article...", la Commission nationale des comptes de campagne prête son concours. Il me semble qu'il vaudrait mieux dire "pour la mise en oeuvre du présent article".

- Ensuite, dire que la Commission prête son concours semble inclure nécessairement celle-ci dans le mécanisme du contrôle des comptes. Or, vous l'avez constaté, le Conseil constitutionnel est responsable de bout en bout de la régularité des élections présidentielles. S'il est bon de ne pas se priver éventuellement du concours des services de la Commission et donc de disposer d'une base réglementaire pour ce faire, il vaut mieux écrire que "la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques prête, en tant que de besoin, son concours au Conseil constitutionnel". On peut préciser en effet que ce concours est en tant que de besoin puisque le Conseil constitutionnel est maître de la procédure. L'aide de la Commission est seulement éventuelle. Celle-ci consiste essentiellement en conseils plus ou moins formalisés sur l'élaboration des documents nécessaires et la mise en place des traitements informatisés des reçus et de l'examen des comptes.

Monsieur le Président : Mais il faut bien qu'elle nous aide. C'est insensé de penser qu'elle pourrait ne pas nous aider. Comment voulez-vous que nous nous passions d'elle ?

Monsieur CABANNES ; Oui, il faut toujours une première instance.

Monsieur CAMBY : Le législateur organique a substitué aux compétences de la Commission celles du Conseil s'agissant des

présidentielles. C'est donc vous qui recevrez, instruirez et publierez les comptes. C'est au Conseil qu'il revient d'assurer une instruction contradictoire, s'il y a lieu, et de prendre une décision en application du II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962.

Monsieur le Président : Mais c'est suicidaire, les textes n'empêchent pas que la Commission nous aide !

Monsieur le Secrétaire général : En dehors du contexte juridique que vient de rappeler Jean-Pierre CAMBY, je voudrais indiquer que les rapporteurs de la Commission des comptes n'auraient aucun pouvoir propre d'instruction. Nous allons être saisis des comptes. On peut les envoyer à la Commission qui les répercutera sur ses rapporteurs ; parfois, en province. Or, ces informations sont confidentielles et je crains fort que ce traitement pose un très sérieux problème à la C.N.I.L. Ce sont nos rapporteurs adjoints pour lesquels l'autorisation est demandée. Il me paraît impossible de faire faire un aller-retour supplémentaire à ces comptes.

Monsieur le Président : C'est donc nos rapporteurs adjoints qui vont le faire. Mais on ne s'en sortira jamais !

Monsieur le Secrétaire général : Vous n'êtes tenus par aucun délai pour statuer.

Monsieur le Président : Oui, c'est vrai, mais il reste "qu'en tant que de besoin" cela me paraît inutile.

Monsieur CABANNES : Oui, je suis totalement hostile à tout ajout. Sur ce point, ne disons rien.

Monsieur le Président : Qui est pour le prendre ? Personne ? Bon, alors on l'enlève et on laisse le texte en l'état.

Monsieur ABADIE : L'article 2 du décret se borne à modifier le dernier alinéa de l'article 10 du décret du 14 mars 1964 pour prendre en compte une suggestion formulée par la Commission nationale de contrôle à l'occasion de la précédente élection présidentielle. Il s'agit seulement de prévoir l'installation de cet organisme â une date antérieure à celle de la publication du décret de convocation des électeurs. Cette installation pourrait ainsi avoir lieu dès le moment où les formulaires de présentation sont adressés par l'administration aux citoyens habilités par la loi organique à présenter un candidat à l'élection du Président de la République.

Cela ne pose pas de problème. J'attire seulement l'attention sur une légère distorsion entre l'exposé des motifs et le texte. Celui-ci parle de l'installation de la Commission de contrôle après l'envoi des formulaires alors que l'exposé des motifs semble souhaiter une installation dès l'envoi des formulaires.

L'article 3-1 du projet de décret vise à modifier le premier alinéa de l'article 12 de l'actuel décret de 1964. Il comporte deux types de nouveautés : d'une part, le temps pendant lequel une réglementation spécifique s'applique aux programmes des sociétés publiques et des chaînes et radios privées et, d'autre part, les principes qui sont applicables pendant cette période.

I. LA PERIODE SPECIFIQUE :

A l'heure actuelle, cette période coïncide avec la "durée de la campagne électorale". Or, l'article 9 du décret prévoit que la campagne est ouverte à compter de la publication de la liste des candidats et qu'elle prend fin le vendredi précédant le scrutin. S'il y a lieu à un second tour, la campagne s'ouvre à compter de la publication au Journal officiel, de la liste des deux candidats restant en lice et elle prend fin le vendredi précédant le scrutin à minuit.

En 1988, la liste des candidats a été publiée le 8 avril au Journal officiel. Les résultats du premier tour ont été publiés au Journal officiel du 28 avril, alors que les opérations électorales avaient eu lieu le 24 avril. La liste des deux candidats habilités à se présenter au second tour, a été publiée au Journal officiel du 29 avril.

On peut donc en conclure qu'entre le 22 avril et le 29 avril, puis à nouveau entre le 6 et le 8 mai, cette réglementation n'avait pas à s'appliquer. Outre cette "curiosité" juridique soulevée par la Commission nationale de contrôle, se pose un très réel problème aux chaînes qui, en fonction de la neutralisation des deux jours précédent chacun des deux tours, doivent sélectionner des invités pour les magazines d'information. Vous vous souvenez d'ailleurs que ce problème s'était posé pour le référendum du 20 septembre 1992.

Sur ce point, la solution proposée me paraît être la bonne. En effet, la nouvelle rédaction de l'article 12 du décret couvre toute la période allant de la publication au Journal officiel jusqu'au jour du scrutin où l'élection est acquise. Cette modification ne pose pas de difficulté, au contraire, elle clarifie la situation.

II. LES OBLIGATIONS APPLICABLES PENDANT CETTE PERIODE :

En revanche, on peut être beaucoup plus dubitatif sur le contenu de la "neutralisation" ainsi prévue qui, concrètement, dépendra d'une application par le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Je rappelle qu'elle s'applique aussi bien aux chaînes publiques qu'aux chaînes privées. Jusqu'à présent, l'article 12 du décret de 1964 retient une formule selon laquelle "le principe d'égalité entre les candidats doit être respecté dans les programmes d'information... en ce qui concerne la


reproduction des déclarations et écrits des candidats et la présentation des personnes". Ce texte date de 1964, et si l'article 12 a été modifié par l'article 6 du décret n° 88-22 du 6 janvier 1988, cette modification ne portait pas du tout sur l'égalité qui s'applique donc d'une manière constante depuis 1964. Je précise que ni le décret du 14 mars 1964 ni celui de 1988 ne nous a été soumis.

Le nouveau texte prévoit, d'une manière beaucoup plus souple, que les programmes d'information doivent respecter le "pluralisme".

J'indique tout de suite que ce principe du pluralisme n'est rien d'autre que l'application de la loi du 30 septembre 1986. L'article 13 de cette loi, dans sa rédaction issue de la loi du 17 janvier 1989, dispose que le Conseil supérieur de l'audiovisuel assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes de société nationale et notamment pour les émissions d'information politique, tandis que l'article 28 prévoit pour les services soumis à autorisation que les conventions délivrant l'autorisation respectent l'honnêteté et le pluralisme de l'information. On le voit, le nouveau texte du décret ne fait que transposer les obligations générales de la loi au cas de l'élection présidentielle. En revanche, l'article 12 du décret de 1964 emporte un degré de contrainte supplémentaire. C'est ce degré de contrainte qu'il est proposé de supprimer.

L'expression "pluralisme" fait référence à la fois à la loi de 1986, à la jurisprudence générale du Conseil constitutionnel et à une jurisprudence du Conseil d'Etat, notamment à un arrêt d'assemblée du 20 mai 1985, Labbé et Gaudin. Le Conseil d'Etat a alors laissé à la compétence de l'autorité de régulation de l'audiovisuel le soin, très largement entendu, d'assurer le respect du pluralisme et des programmes. En particulier, dans cette affaire, elle a admis qu'une série d'émissions déterminées pouvaient être régies par la règle des "trois tiers" c'est-à-dire le partage du temps d'antenne entre le Gouvernement, la majorité et l'opposition.

Nous-mêmes, appelés à nous prononcer par un avis sur la recommandation n° 92-4 du Conseil supérieur de l'audiovisuel en date du 30 juillet 1992, nous avons admis que, pour ce qui était de l'actualité non liée au référendum, la règle des trois tiers continuait de s'appliquer. C'était la première fois que nous avions à juger de la mise en oeuvre de cette règle coutumière et ancienne. Mais il faut indiquer que l'expression "pluralisme" peut revêtir des acceptions plus ou moins larges selon les périodes, la nature des élections en cause, et le lien entre l'information et la consultation dont il s'agit. Les décisions et recommandations du Conseil supérieur de l'audiovisuel en témoignent.

Pourquoi ce changement de l'égalité au pluralisme ? Il est partiellement justifié par la position prise par la C.N.C.L. en



1988. Dans son rapport public (page 56 et suivantes), celle-ci avait estimé que le principe d'égalité de traitement était difficilement applicable, notamment aux radios locales privées. En ce qui concerne les chaînes nationales, la C.N.C.L. souhaitait que le principe soit appliqué d'une manière quasi jurisprudentielle, c'est-à-dire qu'à des situations différentes puissent être appliquées des règles différentes. En revanche, la C.N.C.L. suggérait pour le second tour un respect scrupuleux de cette égalité, tout spécialement à l'intérieur du dernier jour de la campagne. Les difficultés constatées ont notamment été les suivantes : les rédactions audiovisuelles nationales n'ont véritablement appliqué une égalité de traitement qu'entre les candidats du premier tour qu'elles estimaient "présidentiables" et ont opéré, en toute hypothèse, une distinction entre ceux qui bénéficiaient d'un soutien politique étayé par un ou plusieurs groupes parlementaires et les candidats des petits partis non représentés au Parlement ou des groupements marginaux.

Plus concrètement, une protestation figure dans le rapport public de la C.N.C.L. Monsieur Michel CHARASSE avait en effet saisi en 1988 la Commission nationale de contrôle quant aux inégalités constatées entre les divers candidats. Celle-ci lui a répondu qu'il y avait bien une différence de traitement entre deux groupes de candidats mais qu'au sein du groupe de candidats le plus favorisé il n'y avait pas de discrimination. Concernant le second tour, la Commission nationale de contrôle, par lettre du 26 avril 1994, a attiré l'attention de la C.N.C.L. sur la nécessité d'assurer un strict respect de l'égalité entre les deux candidats pour les questions d'actualité revêtant une importance au regard de la campagne présidentielle, notamment la Nouvelle-Calédonie.

Il ne semble donc pas que la question de l'égalité de traitement ait soulevé de très grosses difficultés pratiques. Au demeurant, la C.N.C.L., je le répète, avait demandé un maintien scrupuleux dans l'application de l'égalité de traitement entre les candidats demeurant présents au second tour.

Le texte proposé, on le voit, est très loin de cette suggestion.

En 1988, la recommandation de la C.N.C.L. mettant en oeuvre "l'égalité" prévoyait un traitement équilibré des commentaires, des déclarations et écrits des candidats, une information sur les interventions de chaque candidat, un suivi de leur activité publique "avec la même attention" pour tous les candidats qu'ils aient ou non trouvé l'appui d'une famille politique représentée par un groupe à l'Assemblée nationale. Les portraits des candidats devaient se faire d'une façon "complète, objective et impartiale" et les montages ou utilisations des documents ne devaient pas déformer le sens initial des propos tenus. Une exigence de rigueur supplémentaire dans l'application de la règle des "trois tiers" pour l'actualité non liée à l'élection présidentielle était également contenue dans la recommandation de 1988.

On le voit, le principe d'égalité a été appliqué d'une manière assez souple dans le texte de la recommandation de 1988. Il ne s'agit pas d'une égalité de traitement entre tous les candidats au premier tour par exemple dans les temps d'une antenne mais bien plutôt d'un objectif d'égalité dans le traitement de l'information générale qui a été recherché. Quant au second tour, c'est une notion plus stricte de l'égalité entre les candidats restant en présence qui doit s'appliquer. On voit bien les inconvénients du maintien de l'égalité qui, il est vrai, ne peut pas être une règle d'application mathématique pour des petites radios par exemple. Mais le changement proposé ne se borne pas à mettre le droit en accord avec les faits. Il présente certains risques et je voudrais souligner les inconvénients d'une simple référence au pluralisme. En la matière, cela signifierait un assouplissement certain des exigences auxquelles sont confrontées les rédactions, telles que les définira le Conseil supérieur de l'audiovisuel dans sa recommandation dont la valeur juridique est assez floue. Le degré de contrainte défini par le concept d'égalité en matière audiovisuelle est moindre que si cette notion était contenue dans une loi sur l'égalité d'accès aux emplois publics ou devant l'impôt. J'en veux pour preuve le caractère assez souple du contenu de la recommandation de 1988 qui a mis en oeuvre ce principe. La disparition de l'objectif d'égalité au profit du pluralisme, notamment au second tour, pourrait avoir des conséquences très fâcheuses parce que l'exigence du texte est moindre. Les discriminations entre les candidats seront plus faciles et la souplesse de programmation ainsi offerte aux chaînes risquera de marginaliser encore plus les "petits" candidats au premier tour. Alors, même si le Conseil supérieur de l'audiovisuel doit être confronté aux mêmes difficultés pratiques qu'en 1988 qui ne doivent pas être exagérées, je préfère quant à moi un texte plus exigeant dont l'application sera nécessairement souple. J'ajoute que depuis 1964 ce principe s'est toujours appliqué et qu'il ne me paraît pas opportun que le Conseil constitutionnel puisse paraître, d'une manière quelconque, avoir admis ou favorisé ne serait-ce qu'un déséquilibre entre les candidats. Le reproche ne manquerait alors pas d'être fait d'avoir laissé passer un texte permettant de réduire les temps d'antenne consacrés aux petites formations politiques ou de ne pas assurer une présentation objective des positions de tel ou tel. Il faut rappeler que nous intervenons ici dans un domaine extrêmement sensible et, il faut bien le souligner, beaucoup plus important que celui de la campagne officielle. Il ne me paraît pas conforme à notre rôle que le Conseil s'associe à ce qui serait interprété comme un changement permettant des ruptures dans l'égalité et l'objectivité de présentation entre les candidats.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de demander le maintien de la référence au principe d'égalité.

Monsieur le Président : J'irai même plus loin. Il faut que le Conseil s'oppose à cette obligation. Pluralisme et égalité ce

n'est pas la même chose ! Et s'il y a deux candidats écologistes ? Non mais, c'est inimaginable !

Monsieur CABANNES : Il n'y a aucune justification à cela.

Monsieur le Président : C'est très douteux. Pourquoi renoncer au principe d'égalité ?

Monsieur FABRE : On peut peut-être rajouter "égalité" au mot "pluralisme".

Monsieur le Président : Non, égalité c'est plus exigeant. Il faut à toute force le maintenir.

Monsieur ABADIE : Oui, oui, je suis tout à fait de cet avis.

Monsieur le Président suggère une nouvelle rédaction faisant état du maintien du principe d'égalité.

(Elle est adoptée à l'unanimité).

Monsieur ABADIE : J'en viens aux articles 3-II et 3-III :

Ces deux alinéas concernent seulement des adaptations du texte de 1964 puisque la loi du 17 janvier 1989 a remplacé la Commission nationale de la communication et des libertés par le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

L'article 4 insère dans le Titre IV du décret de 1964 un article 28-1 nouveau dont la rédaction est la suivante :

"Les décisions du Conseil Constitutionnel statuant définitivement sur les comptes de campagne des candidats sont notifiées au Ministre de l'intérieur".

Cette rédaction tient compte de la formulation du 1er alinéa de l'article L. 52-15 du code électoral rendu applicable par la loi du 6 novembre 1962 qui prescrit que le Conseil constitutionnel approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Ce sont ces décisions qui sont notifiées au ministère de l'intérieur.

On pourra être intrigué par ailleurs par le terme de "statuant définitivement". Cette formulation tient compte de la prescription du dernier alinéa du paragraphe III de l'article 3 de la loi de 1962 qui oblige le Conseil constitutionnel à publier les comptes de campagne au Journal officiel dans les 10 jours suivant le tour de scrutin où l'élection a été acquise.

Sur une suggestion du secrétariat général du Conseil constitutionnel, l'article 5 du projet de loi organique sur l'élection du Président de la République prévoit qu'il faut distinguer entre la publication dans les 10 jours de l'élection des comptes de campagne tels qu'il ont été adressés au Conseil

constitutionnel et la publication ultérieure des comptes tels qu'ils ont été réformés par lui (A ce propos, on ne pourra qu'observer que le texte de la loi organique ne mentionne que les comptes tels qu'ils ont été réformés et non ceux qui pourraient être rejetés !). Il était en effet impossible matériellement au Conseil constitutionnel d'examiner les comptes de façon contradictoire et de rendre des décisions d'approbation, de réformation ou de rejet dans un délai de dix jours.

Dès lors, le terme de "définitivement" dans le décret qui vous est soumis tient compte de cette publication des comptes en deux temps.

Il est évident que la publication des comptes réformés (et/ou rejetés) intéresse au plus haut point le Ministre de l'intérieur pour qu'il puisse exécuter les dispositions de l'avant-dernier alinéa du paragraphe V de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 qui prévoient un remboursement forfaitaire à chaque candidat, remboursement plus ou moins élevé en fonction de ses résultats.

Le dernier alinéa quant à lui prescrit que "le remboursement forfaitaire n'est pas effectué aux candidats qui ne se sont pas conformés aux prescriptions des deuxième et troisième alinéas du paragraphe II. Ces prescriptions sont celles qui sont relatives au plafonnement des dépenses et celles qui sont relatives à l'obligation de déposer son compte de campagne et ses annexes dans les deux mois qui suivent le tour de scrutin où l'élection a été acquise.Je rappelle à ce sujet le considérant 7 de votre décision du 4 mai 1990. Elles font également référence au pouvoir de rejet des comptes dévolu au Conseil constitutionnel.

J'ajouterai d'ailleurs que le projet de loi organique, levant une ambiguïté d'interprétation, explicite cette circonstance dans laquelle le remboursement forfaitaire n'est pas effectué, celui du cas d'un compte qui aurait été rejeté ce qui est parfaitement conforme au bon sens.

Monsieur le Président : Si on considère que le compte est irrégulier, il n'y a pas remboursement. Nous publions dans un premier temps un compte tel que transmis puis nous jugeons. Mais vous allez voir les candidats piaffer. En 1988, Monsieur LE PEN réclamait tous les jours qu'on lui rembourse. Certains candidats ont emprunté aux banques et les agios courent. Le problème est très difficile. Mais vous allez avoir un très très vif intérêt financier là-dedans. A l'heure actuelle, un candidat touche trois millions de francs d'avance. Il y en a qui se feront financer rien que pour les municipales si celles-ci ont lieu en même temps. Voyez le Midi ! Monsieur le Président fait allusion au cas de Bernard TAPIE

.


Monsieur FAURE : Il a dit qu'il n'était pas candidat.

Monsieur le Président : Attendez, on lui rembourse jusqu'à trente millions de francs, dont trois d'avance. Vous imaginez qu'avec ce qui se passe il ne sera pas candidat ? Je suis sûr du contraire.

Monsieur ABADIE : le projet de loi organique ramène l'avance de trois millions à un million de francs. Et on ne rembourse qu'à l'issue de notre examen des comptes.

Monsieur le Président : Oui, et bien je vous parie que vous aurez les pires difficultés. Vous allez ouvrir la voie à des hurlements. Imaginez que Monsieur LANG soit candidat, ou Monsieur TAPIE, et que vous rejetiez son compte. Cela serait terrible. Il faut à toute force que vous le fassiez après que l'intéressé soit venu s'expliquer, sinon vous entendrez trois fois ce que vous avez entendu pour les inéligiblités. En 1988, j'ai tenté d'ouvrir les séances en faisant une audience publique. J'ai été battu par le bâtonnier MOLLET-VIEVILLE qui ne voulait pas voir les avocats et par Maurice FAURE. Mais, là, je vous en conjure, avant les présidentielles, prévoyez une audience orale. Pour ce cas de figure au moins.

Monsieur RUDLOFF : J'ai eu quelques échos sur le fait que Messieurs LANG mais aussi ESTROSI et PIERRE-BLOCH avaient saisi la Cour européenne. La question est de savoir si l'inéligibilité est une sanction au sens de la Convention.

Monsieur le Président : Vous voyez, cela me renforce dans ma conviction. Il faut que vous procédiez à une audition avant de rejeter un compte. Sinon, vous les entendrez hurler.

Monsieur FAURE : Je concède que là on s'adresse à des candidats de très haut niveau.

Monsieur le Président : Il faut à tout prix faire une audience contradictoire et publique, sans caméras, bien sûr !

Monsieur FAURE : Mais, même sans la télé, Monsieur LANG serait venu avec ses copains journalistes et il se serait fait filer à la sortie !

Monsieur le Président : Cela aurait été dissuasif. Vous pensez le déballage sur le Louvre, les enfants des écoles et le reste ? Je crois qu'il faut prévoir une audience publique. Pour ce faire il suffit de créer un règlement applicable aux élections présidentielles.

Monsieur ABADIE : L'article 5 du décret se borne à effectuer l'abrogation de deux articles du décret de 1964 rendus caducs depuis que la loi organique du 10 mai 1990 a supprimé, à son article 3, les dispositions concernant respectivement le

cautionnement exigé de chaque candidat et les conditions mises à son remboursement.

Monsieur le Président : Je mets aux voix.

(Unanimité).

Monsieur ABADIE : J'en viens à l'examen des deux décrets pris en application de l'article 31 de la loi de 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Ces deux décrets sont rendus nécessaires par le dernier alinéa de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. En effet, celui-ci prescrit qu'un décret en Conseil d'Etat doit être pris après avis conforme de la C.N.I.L. chaque fois que des données nominatives font directement ou indirectement apparaître des opinions politiques.

L'organisation informatisée tant de la gestion des reçus-dons que de la gestion de l'examen des comptes de campagne prévue par le Conseil constitutionnel, notamment à l'occasion de l'édition, de la diffusion et de la gestion des carnets à souche, nécessite la mention de données nominatives corrélées avec l'opinion politique.

Dès lors, il appartient au Conseil, dans un premier temps, de soumettre pour avis à la C.N.I.L. deux projets de déclaration de traitement automatisé de données nominatives, le premier concernant la gestion des reçus-dons faisant apparaître le nom du mandataire, le second concernant la gestion de l'examen des comptes qui fait apparaître le nom des donateurs et, par voie de conséquence, leur opinion politique puisqu'il versent de l'argent pour soutenir l'action d'un candidat portant une étiquette politique donnée.

La procédure normale impose que soient joints les projets de décrets, que nous examinons aujourd'hui, à la demande d'avis â la C.N.I.L.

Aux mots près, ces deux décrets sont calqués sur les décrets du 14 décembre 1992 (92-1298 et 92-1299) concernant les mêmes problèmes rencontrés par la Commission nationale des comptes de campagne pour les élections entrant dans le champ de ses compétences. Seuls les termes de "Conseil constitutionnel" et "d'élection présidentielle" ont été substitués aux termes des décrets de 1992.

Les mêmes garanties que celles qui ont été prises par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ont été assurées par le Conseil constitutionnel afin

de préserver la confidentialité et la sûreté des données nominatives. Pour plus de détail sur ces données, il faut se reporter à l'imprimé de déclaration d'un traitement automatisé d'informations nominatives transmis à la CNIL .

Enfin, je voudrais terminer par des propositions à faire aux questions que nous pose le Secrétariat général du Gouvernement. Ces questions sont les suivantes :

- Est-ce que le Conseil constitutionnel doit être mentionné dans les visas des décrets ?

- Si oui, à quelle place dans les visas ?

Il n'est pas certain que le Conseil Constitutionnel ait à répondre aux questions posées. Et ce pour plusieurs raisons :

En effet, en 1987, le traitement automatisé des présentations de candidature en vue de l'élection présidentielle a été autorisé dans le respect des dispositions de la loi de 1978 relative à l'informatique et aux libertés. C'est le Conseil constitutionnel seul qui, de sa propre initiative, a sollicité sur le fondement de l'article 31 de la loi de 1978 l'intervention d'un décret pris après avis conforme de la C.N.I.L. l'autorisant à procéder à ce traitement. Cette autorisation est intervenue sous la forme du décret n° 87-1028 du 22 décembre 1987. Autrement dit, contrairement à ce qu'indique le premier visa des deux décrets qui vous sont soumis, ce n'est pas "sur le rapport du Ministre d'Etat, garde des sceaux, Ministre de la justice, et du Ministre d'Etat, Ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire" qu'a été pris le décret de 1987, mais sur proposition du Conseil constitutionnel. Cette formule a l'avantage, outre qu'elle constitue la reprise d'un précédent, de souligner que le Conseil constitutionnel a été seul à décider de se soumettre â la législation sur l'informatique et les libertés.

On relèvera, en second lieu, comme le fait Bruno GENEVOIS dans une note de son commentaire sur les élections présidentielles (déjà citée) , que le décret du 22 décembre 1987 ne comporte aucun contreseing. "Cette façon de procéder s'inspire d'un avis du Conseil d'Etat du 6 novembre 1947 qui, sous l'empire de la Constitution de 1946, avait considéré que le contreseing des actes du Président du Conseil n'était pas requis lorsqu'un décret portait sur un service directement rattaché à la Présidence du Conseil, auquel aucun ministre n'était intéressé, motif pris de ce que le contreseing des actes du Chef du Gouvernement repose uniquement sur la nécessité d'assurer la cohérence des travaux ministériels. Le raisonnement suivi vaut a fortiori pour le Conseil constitutionnel qui ne dépend d'aucun ministère".

Enfin, on évitera ainsi les problèmes de susceptibilité sur la place respepective des visas concernant la consultation du Conseil constitutionnel et celui du Conseil d'Etat entendu !

C'est pourquoi, s'agissant de ces décrets, je vous propose :

- de substituer au premier visa les mots : "sur proposition du Conseil constitutionnel" ;

- et de supprimer à l'article 3 l'indication des ministres contresignataires et de remplacer sa rédaction par l'indication que le présent décret sera publié au Journal officiel.

Je vous remercie.

Monsieur ROBERT : Oui, cela lie le Gouvernement. C'est plus intéressant pour nous•

Monsieur CABANNES : Mais l'absence de rapport me gêne.

Monsieur le Secrétaire général : Le précédent c'est que, dès lors que le décret est pris sur votre proposition, il n'y a plus ni rapport ni contreseing.

Monsieur PAOLI : Je suis du même avis. Il n'y a pas là de difficulté dès lors que le rôle du Conseil devient prééminent.

  Monsieur RUDLOFF : Qui signe ?

Monsieur CAMBY : C' est le Premier ministre.

Monsieur LATSCHA : Oui, alors, tous les contreseings disparaissent.

Monsieur le Président : Mais doit-on mentionner l'absence de contreseing ?

(les conseillers entament un débat sur ce point).

Monsieur le Président : Oui, effectivement, il faut bien mentionner qu'il n'y a plus de contreseing, ni dans l'article 3, ni à la fin du texte.

(Les conseillers s'accordent sur une formule).

(Le vote est acquis à l'unanimité).

La séance est suspendue à 17 h 10. Elle est reprise à 17 h 20.

Monsieur le Président : Monsieur FAURE, c'est à vous.

Monsieur FAURE : Monsieur le Président, Madame, mes chers collègues. Le Premier ministre, conformément aux dispositions des

articles 46 et 61, alinéa 1, de la Constitution, vous a transmis le texte de la loi organique relative au transfert à l'Etat des compétences du territoire de la Polynésie française en matière pénitentiaire.

I. LA REGLEMENTATION ANCIENNE ET LES MODIFICATIONS APPORTEES PAR LA NOUVELLE LOI :

La réglementation et la gestion du service public pénitentiaire en Polynésie française relevaient, avant la loi organique qui vous est soumise, de la compétence du territoire.

En effet, l'article 3 de la loi du 6 septembre 1984 portant statut du territoire de la Polynésie française dispose que les autorités de l'Etat sont compétentes dans un certain nombre de matières. Le 13° de cet article, modifié par la loi du 12 juillet 1990 (pour y inclure les frais de justice) et celle du 31 décembre 1991 (pour y inclure l'organisation des professions juridiques et judiciaires), dispose que l'Etat est compétent en matière de, je cite :

"Justice, organisation judiciaire, organisation de la profession d'avocat, à l'exclusion de toute autre profession juridique ou judiciaire, frais de justice, criminelle, correctionnelle et de police, droit pénal sous réserve des dispositions des articles 25 (5°), 30, 64, 65 et 66, commissions d'office, procédure pénale à l'exclusion de la réglementation pénitentiaire et de la réglementation relative â la liberté surveillée des mineurs ;"

Dans la mesure où l'article 2 du statut dispose que les autorités du territoire sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas réservées à l'Etat par l'article 3, c'est à elles que revient la compétence en matière de réglementation pénitentiaire et de réglementation relative à la liberté surveillée des mineurs.

C'est donc ce 13° que la loi organique qui vous est soumise modifie, afin de transférer à l'Etat la responsabilité du service pénitentiaire tant du point de vue de la réglementation que de celui de la gestion. Selon la loi, le territoire conserve en revanche, comme hier, la compétence dans le domaine de la réglementation applicable à la liberté surveillée des mineurs.

La date d'entrée en vigueur du transfert des compétences est fixée au 1er janvier 1995. Le principe du transfert fait l'objet de l'article 1er de la loi organique. La date d'entrée en vigueur de ce transfert fait l'objet de l'article 3 de la loi.

En revanche l'article 2 de la loi renvoie à une Convention à négocier entre l'Etat et le territoire pour la fixation des conditions du transfert à l'Etat en ce qui concerne les biens meubles et immeubles affectés au service pénitentiaire ainsi que les modalités du transfert des dépenses en ce qui concerne le

personnel et le fonctionnement du service. Comme l'indique l'article 2, la prise en charge par l'Etat interviendra de façon progressive sur une période de cinq ans à compter de la date d'entrée en vigueur du transfert de compétences fixée comme je l'ai dit au 1er janvier 1995.

Avant d'aborder les problèmes juridiques posés par ce texte, je dirai quelques mots des motifs qui ont conduit le Gouvernement à opérer ce transfert.

II. LES MOTIFS DU TRANSFERT :

Dans l'exposé des motifs de la loi organique, le Gouvernement fait valoir que ce transfert de compétences s'inscrit dans le cadre de discussions entre l'Etat et le territoire qui ont conduit à la loi définissant les orientations des aides de l'Etat en faveur du développement économique, social et culturel de la Polynésie française du 5 février 1994. En reprenant à sa charge les dépenses afférentes au service public pénitentiaire de Polynésie, l'Etat permettra au territoire de dégager des recettes nouvelles destinées à la mise en valeur de ses ressources propres (en 1993, les dépenses s'inscrivaient dans le budget primitif du territoire à quelques 43 500 000 F) .

Dans le cadre défini par cette loi, il est apparu au Gouvernement que la compétence de l'Etat en matière de justice devait trouver son prolongement dans sa compétence en matière d'exécution des peines. Sa réalisation se justifiant tant par le caractère de missions de souveraineté des compétences en cause que par la nécessité de garantir le bon fonctionnement des services pénitentiaire et la cohérence des actions en confiant à la même autorité la décision de justice et son exécution.

J'indique que la loi qui vous est soumise correspond non seulement à une demande qui avait été formulée par la Commission des lois du Sénat lors de la modification apportée à l'article 13-3° par la loi du 12 juillet 1990 mais aussi à un souhait du territoire. En effet une mission de la Commission avait été envoyée sur place à l'époque et elle avait pu se rendre compte de l'état médiocre dans lequel se trouvait le principal établissement pénitentiaire qui se trouve près de Papeete et compte environ 220 places. En avril 1990, déjà, Monsieur Bernard Laurent, rapporteur au nom de la Commission des lois au Sénat avait proposé par amendement la prise en charge par l'Etat du service pénitentiaire auquel le Gouvernement d'alors avait opposé l'article 40 de la Constitution.

Ce transfert de compétences voulu par les uns et par les autres s'accompagne de modalités qui doivent être prévues par Convention, comme je l'ai dit, puisqu'il est bien certain que l'Etat devenant compétent en matière de service public pénitentiaire doit disposer, dès l'entrée en vigueur de la

présente loi, des biens meubles et immeubles indispensables au fonctionnement de ce service.

En revanche, la prise en charge des dépenses de personnel et de fonctionnement du service se fera sur une période de cinq ans. J'attire d'ailleurs votre attention, mais nous y reviendrons, sur le fait que ce projet de loi organique a été présenté et discuté en même temps qu'un projet de loi ordinaire qui tire les conséquences du premier et qui est relatif â l'intégration des personnels de l'administration pénitentiaire en Polynésie française dans des corps des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire de l'Etat.

III. LES PROBLÈMES JURIDIQUES QUI SE POSENT :

Vous le savez, puisque nous avons déjà rencontré cette question à propos de l'examen des lois de ratification concernant l'accord conclu entre la France et la Mongolie (93-318 DC) et la Convention concernant la prévention et le contrôle des substances cancérogènes (93-319 DC) , les lois relatives au statut des territoires d'outre-mer qui définissent notamment les compétences de leurs institutions propres ou qui les modifient ont le caractère de lois organiques.

Cela résulte de l'amendement Léontieff qui a donné lieu à la nouvelle rédaction des deuxième et troisième alinéas de l'article 74 de la Constitution issue de la révision constitutionnelle du 25 juin 1992.

Je rappelle le texte :

"Les statuts des territoires d'outre-mer sont fixés par des lois organiques qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres, et modifiés, dans la même forme, après consultation de l'assemblée territoriale intéressée.

Les autres modalités de leur organisation particulière sont définies et modifiées par la loi après consultation de l'assemblée territoriale intéressée."

Le Gouvernement a bien pris le soin de distinguer entre la loi ayant une forme organique et la loi ayant une forme ordinaire puisqu'il a déposé deux projets de loi distincts :

- l'un qui concerne le transfert de compétences qui a une forme organique ;

- l'autre qui concerne l'intégration des personnels de l'administration pénitentiaire en Polynésie française dans des corps des services déconcentrés. On fera remarquer au passage que ce deuxième projet de loi est étroitement lié à la loi organique

puisqu'il tire les conséquences du transfert de compétences. Or, il est assez paradoxal de constater que cette loi relative au personnel a été publiée au Journal officiel le 4 juin 1994, c'est-à-dire avant même que le Conseil constitutionnel ait rendu sa décision sur la loi organique. Je ne vous propose évidemment pas de censurer la loi organique mais, du point de vue de la procédure, on peut se demander s'il est logique qu'une loi ordinaire qui est la conséquence d'une loi organique soit publiée avant qu'une décision soit rendue sur le principe. Que serait-il advenu si vous jugiez maintenant cette loi organique non conforme à la Constitution ? On pourrait penser que le Président de la République serait amené à demander une nouvelle lecture de la loi ordinaire dans le délai de 15 jours qui lui est imparti pour promulguer la loi. Mais cela obligerait évidemment le Conseil constitutionnel à se prononcer dans ce même délai sur la loi organique alors que rien ne l'y oblige au vu des textes. Et même s'il se prononçait dans ce délai, cela ne constituerait pas une garantie que la loi ordinaire ne serait pas promulguée avant sa décision puisque le délai de 15 jours est un maximum. On ne peut alors que relever les effets de la distinction entre le délai de la promulgation de la loi ordinaire et le délai accordé au Conseil pour statuer dans le cas où deux lois sont intimement reliées. Au fond, la seule solution qui permettrait d'éviter l'écueil serait que le Gouvernement demande au Conseil l'urgence sur le fondement du troisième alinéa de l'article 61 de la Constitution, ce qui permettrait de rendre compatible le délai de promulgation de la loi ordinaire et celui de la décision rendue sur la loi organique.

Il s'agit là d'une notation un peu anecdotique, mais elle n'est pas sans importance.

A. La constitutionnalité du texte :

Quant à la loi organique, vous devez examiner, en premier lieu, si elle est conforme à la Constitution et, en second lieu, si les dispositions qui y figurent ont bien le caractère de dispositions organiques. C'est évidemment ce second aspect qui retiendra notre attention. En effet, la reprise par l'Etat de compétences qui doivent logiquement lui revenir puisqu'il s'agit, en matière d'administration pénitentiaire, d'une mission de souveraineté ne pose pas de problème de constitutionnalité. Cette reprise permet de constituer un bloc de compétence judiciaire du service public pénitentiaire qui assure une cohérence entre la décision pénale qui est de toute façon du ressort de l'Etat et l'exécution de cette dernière qu'il s'agisse des modalités de la détention ou de celles de l'aménagement de la peine.

On soulignera par ailleurs qu'un tel transfert de compétences avait déjà été opéré s'agissant de la Nouvelle Calédonie par la loi référendaire du 9 novembre 1988.

B. La consultation de l'Assemblée intéressée :

Le second problème qu'il faut aborder est celui de la consultation de l'assemblée intéressée qui est rendue nécessaire, tant au regard du deuxième alinéa que du troisième alinéa de l'article 74 que j'ai cité tout à l'heure. En effet, dans votre décision du 22 juillet 1980 (80-122 DC) relative à la loi rendant applicable le code de procédure pénale dans les territoires d'Outre-mer, vous avez censuré ses dispositions pour défaut de consultation des assemblées territoriales intéressées. Vous avez renouvelé votre censure pour le même motif s'agissant de la loi portant dérogation au monopole d'Etat de la radiodiffusion par votre décision des 30 et 31 octobre 1981 (81-129 DC) . Même chose s'agissant de la loi relative à l'enseignement supérieur dans votre décision 83-165 DC du 20 janvier 1984.

La consultation des assemblées intéressées est donc une formalité substantielle que vous vérifiez toujours, d'autant plus que la rédaction de l'article 74 de la Constitution a été renforcée dans le sens de la spécialité des territoires d'Outre-mer.

Dans le cas d'espèce, la consultation de l'Assemblée du territoire de la Polynésie française a été faite le 25 novembre 1993 et elle a donné lieu à un avis favorable. La procédure a donc été respectée.

C. Caractère organique des dispositions soumises :

La troisième question à traiter est celle du caractère organique ou non des dispositions soumises à votre examen. En effet, sous l'empire de la Constitution de 1958, et notamment de son article 46, les lois organiques sont celles qui sont définies comme telles par la Constitution. Elles se caractérisent par le domaine d'intervention particulier qui lui est assigné par le texte constitutionnel. Vous l'avez jugé explicitement dans la décision 88-242 du 10 mars 1988 concernant la loi organique relative à la transparence financière de la vie politique. Vous avez décidé au considérant 12 que :

"une loi organique ne peut intervenir que dans les domaines et pour les objets limitativement énumérés par la Constitution."

Dès lors, il vous appartient de contrôler le caractère organique ou non des dispositions en cause. Si tel n'est pas le cas, vous ne censurez pas la loi mais vous opérez à l'intérieur de la loi un déclassement des dispositions que vous jugez avoir le cas de lois ordinaires (voir à cet égard encore la décision du 10 mars 1988) . En revanche, vous censurez une loi ordinaire qui empiète sur le domaine de la loi organique (voir les deux décisions 84-177 DC et 84-178 DC du 30 août 1984) .

Dans le cas qui nous occupe, il ne fait aucun doute que les dispositions de l'article 1er qui pose le principe du transfert des compétences du service public pénitentiaire à l'Etat ont le caractère de dispositions organiques répondant aux prescriptions du deuxième alinéa de l'article 74 de la Constitution. Il en va de même de l'article 3 de la loi qui fixe l'entrée en vigueur de cet article 1er au 1er janvier 1995.

En revanche, je vous avoue avoir un tout petit peu hésité sur les dispositions de l'article 2. En effet, le premier alinéa de cet article pose le principe d'une Convention entre l'Etat et le territoire qui fixera les conditions de transfert à l'Etat des biens meubles et immeubles affectés au service public pénitentiaire, tandis que le second alinéa énonce que cette convention précisera également les modalités selon lesquelles l'Etat prendra progressivement en charge les dépenses de personnel et de fonctionnement du service.

On aurait pu imaginer que le principe du transfert des compétences ait le caractère incontestable de disposition organique, mais qu'une fois le principe du transfert acquis, les modalités de celui-ci relèvent de la loi ordinaire et donc plutôt du troisième alinéa de l'article 74 de la Constitution que du deuxième. Ce souci de limiter les dispositions de caractère organique applicables aux territoires d'Outre-mer aurait en outre l'avantage pratique de ne pas compliquer la tâche du Gouvernement chaque fois qu'il veut modifier les modalités d'organisation particulière de ces territoires.

Cependant, ma conviction s'est faite pour conférer à cette Convention et aux dispositions qu'elle devra contenir le caractère de disposition organique. Cette conviction repose sur des arguments de droit et des arguments de fait :

- Le texte de l'article 74, deuxième alinéa, est suffisamment flou pour faire pencher la balance dans ce sens. Le texte dit que des lois organiques définissent notamment les compétences de leurs institutions propres. Comme le dit le professeur LUCHAIRE dans son ouvrage (Le statut constitutionnel de la France d'Outre-mer), "si les attributions des organes territoriaux font partie du statut, l'adverbe "notamment" montre que d'autres règles sont aussi les éléments du statut". Dans le cas d'espèce, la Convention qui devra être négociée entre l'Etat et le territoire donne un pouvoir et une compétence à celui-ci qui la fait rentrer dans les attributions des organes territoriaux.

- En deuxième lieu, le transfert qui est organisé aux termes de cette convention doit s'étaler sur 5 ans. En effet la prise en charge des dépenses de personnel et de fonctionnement du service est progressive et devra être achevée à l'issue d'une période de cinq années à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi. Ce qui veut dire que pendant ces cinq ans, il peut être mis à la charge du territoire des obligations financières

qui pèseront encore sur son budget. Là encore ces obligations touchent très directement aux attributions des organes territoriaux.

- En troisième lieu, on remarquera que si le deuxième alinéa de l'article 2 parle des modalités selon lesquelles l'Etat prend en charge les dépenses, le premier alinéa quant à lui parle des conditions du transfert. Ici il ne s'agit pas simplement d'organisation pratique mais d'un véritable pouvoir de négociation qui est conféré au territoire pour discuter des conditions du transfert. Aussi il me semble que là aussi on touche de très près aux attributions des organes territoriaux.

L'ensemble de ces arguments joint au fait que le Gouvernement a pris soin de bien distinguer en déposant deux projets de loi ce qui est de l'ordre de la loi organique et ce qui est de l'ordre de la loi ordinaire, me conduit à conclure que l'ensemble des dispositions qui vous sont soumises a bien le caractère de dispositions organiques.

Aussi, c'est dans le sens d'une conformité totale de la loi organique à la Constitution que je soumets à votre assemblée ce projet de décision.

Je vous remercie.

Monsieur le Président : Très bien.

Monsieur CABANNES : Et l'éducation surveillée ?

Monsieur ABADIE : On n'y touche pas !

Monsieur le Président : Lisez.

Monsieur FAURE lit le projet.

Monsieur le Président : Le considérant est bien long. Mettons plutôt "que d'autre part" pour scander un peu mieux la phrase. Et pourquoi indiquer ce "ne que" ? Supprimons-le.

Le vote est acquis à l'unanimité dans cette rédaction.

Les conseillers s'accordent sur les prochaines séances.

La séance est levée à 17 h 45.