CONSEIL CONSTITUTIONNEL
SEANCE du 3 MAI 1961
La séance est ouverte à 16h.l5.
M. CASSIN est excusé.
K. le Président fait connaître qu’en application de l’article 37 de la Constitution, M. le Premier Mi- nistre a demandé au Conseil de vouloir bien examiner le caractère réglementaire ou législatif des disposi- tions des articles 87-7°, 88-VI, 89-4e al. et 92^7 du Code Electoral - qui figurent dans 1’ordonnance n° 58- 977 du 20 octobre 1958 relative à l'utilisation du vote par procuration ou par correspondance pour l'élection des députés à l’Assemblée Nationale.
Le rapporteur est M. M1CHARD-PELLISS13R.
Le Conseil constate le caractère législatif des dispositions de l'article 87-7° - qui prévoient que "les citoyens français établis.à l'étranger et immatriculés au Consulat de France" peuvent, sur leur demande et à titre exceptionnel, exercer leur droit de vote par procuration; les autres dispositions sou- mises à son examen sont déclarées avoir le caractère réglementaire comme visant seulement les conditions pratiques d'exercice du vote par procuration.
L’original de la décision demeurera annexé au présent coupte-rendu.
A la demande de M. le Président de la République et en application de l’article 16 de la Constitution, le Conseil procède ensuite à l'examen de deux projets de "décisions" présidentielles.
Ces textes concernent :
1°/ l’institution d’un Tribunal militaire 2°/ la procédure pénale.
M. POMPIDOU rapporte sur le premier texte;
M. PATIN sur le second.
Le Conseil adopte deux avis dont les originaux demeureront annexés au présent compte-rendu.
La séance est levée à 19h.
SEANCE du 3 MAI 1961
La séance est ouverte à 16h,15.
M. CASSIN est excusé.
M. le Président fait connaître qu'en application de l'article 37 de la Constitution, M. le Premier Ministre a demandé au Conseil de vouloir bien examiner le caractère réglementaire ou législatif des dispositions des articles 87-7°, 88-VI, 89-4e al. et 92-V du Code Electoral - qui figurent dans l’ordonnance n° 58-977 du 20 octobre 1958 relative à 1'utilisation du vote par procuration ou par correspondance pour 1'élection des députés à 1'Assemblée Nationale.
Ces dispositions sont les suivantes (soulignées) :
Article 87 .- "Les électeurs appartenant à l'une des catégories ci-après et que des obligations légalement constatées retiennent éloignés de la commune sur la liste électorale de laquelle ils sont inscrits, peuvent, sur leur demande et à titre exceptionnel, exercer leur droit de vote par procuration dans les conditions fixées par la présente section :
7⁰- Les citoyens français établis à l'étranger et immatriculés au Consulat de France."
Article 88 - VI .- "Pour les Français établis à l'étran- ger et pour le personnel navigant de l'aeronautique na- vale visé au 5° de l'article 87, les procurations sont données par acte dressé devant l'autorité consulaire".
Article 89 . - "La procuration est établie sans frais, en présence de deux témoins et sur présentation de l'une des pièces suivantes :
(4e al.) "Passeport, carte d'immatriculation, pièces d'identité avec photographie en cours de validité poux- les électeurs visés aux 6° et 7° de l'article 87'.'
Article 92 - V .- "Pour les électeurs visés aux 5°, 6° et 7° de l~article 87, la procuration est adressée directement par l'autorite qui l'a établie au maire de la commune sur la liste électorale de laquelle le mandant est inscrit".
Le rapporteur est M. MICHARD-PELLISSIER.
Celui-ci rèmercie M. de Lamothe-Dreuzy, rap- porteur adjoint, de la collaboration qu'il a bien voulu lui apporter.
I- Il observe d'abord que parmi les disposi- tions du Code Electoral que le Gouvernement s'apprête à modifier, certaines sont antérieures à la Constitution et sont soumises de ce fait au Conseil d'Etat; quatre seulement lui sont postérieures : ce sont celles qui sont soumises au Conseil Constitutionnel.
II- Il examine "quelle est la disposition de l'article 34 de la Constitution dont il y a lieu de faire application en l'espèce".
1/ "Ce pourrait être, dit-il, celle qui place dans le domaine législatif "le régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées locales".
"Mais le Gouvernement écarte avec raison l'ap- plication de cette disposition qui vise plus particuliè- rement le mode de suffrage (uninominal, à un ou deux tours, à la représentation proportionnelle) ou son ca- ractère direct ou indirect.
2/ "On pourrait envisager d'appliquer celle qui dispose que : "La loi fixe les règles concernant ... les les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques".
Tel est l'avis du Gouvernement. Mais ce choix ne paraît pas bon : En effet, l’expression "libertés pu- bliques" désigne la liberté de réunion, la liberté de pensée, la liberté d'association, la liberté de la presse etc... Si l'exercice du droit de vote par les citoyens peut contribuer indirectement à défendre celles-ci, ce droit de vote ne peut, en aucune façon, être considéré comme constituant lui-même une des garanties fondamentales de l'exercice de ces libertés".
3/ "En définitive, la seule disposition de l'article 34 qui paraît applicable est celle qui vise "les règles concernant les droits civiques".
Cette expression recouvre en effet non seulement les règles qui, telles celles de la nationalité, permettent de définir la qualité même de citoyen mais encore celles qui déterminent les prérogatives attachées à cette qualité.
Or, la plus importante de ces prérogatives est incontestablement le droit de suffrage, dont le vote par procuration n'est qu'une des modalités d'exercice.
III - "Il reste à déterminer si, au regard de cette disposition de l'article 34, les différents textes soumis à l'examen du Conseil, ont ou non un. caractère réglementaire.
"On peut soutenir que par "règles concernant... les droits civiques", le Constituant a entendu désigner en particulier celles relatives à la définition de la capacité électorale (nationalité, â£e, domicile etc.), les conditions d'exercice de celle-ci étant de caractère réglementaire. Or le vote par procuration constitue l'une des modalités de l'exercice du droit de vote. L'attributior de la faculté de l'utiliser - qui laisse entière la possi- bilité de voter directement, est sans influence sur la capacité électorale et relève dès lors du pouvoir régle- mentaire . "
"A l'appui de cette t^èse, on peut invoquer les précédents que constituent un certain nombre de décrété récents pris sur l’avis du Conseil d'Etat en application de l'article 37 de la Constitution..."
"Il ressort, d'autre part, de l'exposé des motifs du projet de décret que le Gouvernement a l'intentic de demander au Parlement une modification de l'article 12 du Code Electoral (1); celle-ci aurait pour objet de subs- tituer les mots "citoyens français établis hors de France" à l'expression "citoyens français établis à l'étranger et immatriculés au Consulat de France"; tel est précisément l'objet de la modification que le Gouvernement s'apprête à apporter par décret à l'article 87-7°. Donc celle-ci va de soi dans la limite où la mesure législative aura été prise au préalable."
M. le Rapporteur propose en conséquence le projet de décision suivant :
" Le Conseil Constitutionnel,
Considérant que si l’article 34 de la Constitu- tion réserve au législateur le soin de fixer "les règle concernant... les droits civiques", telles que celles qui ont pour objet l'attribution et le retrait de la qualité de citoyen, la détermination des droits et prérogatives attachés à cette qualité et notamment l'attribution du droit de suffrage, il appartient nor- malement au pouvoir réglementaire d'édicter, pour l'ap- plication de ces règles, les mesures qui sont néces- saires à la mise en oeuvre des droits et prérogatives ci-dessus mentionnés et, en particulier, à l'exercice du droit de vote en vue de l'élection des assemblées législatives et locales;
Considérant que les quatre dispositions sus- visées qui sont soumises à l'examen du Conseil Cons- titutionnel ont respectivement pour objet, la première de comprendre au nombre des citoyens autorisés à voter par procuration ceux qui sont visés par l'actuel arti- cle 12 du Code Electoral, les deux suivantes de déter- miner les autorités compétentes en pareil cas pour don- ner ces procurations ainsi que les pièces au vu des- quelles celles-ci pourront être établies, la dernière, enfin, de désigner l'autorité à laquelle lesdites pro- curations devront être adressées; qu'ainsi les dispo- sitions dont il s'agit tendent uniquement à faciliter, dans le cadre des règles - de caractère législatif - concernant les droits civiques, et dans le respect des
( J Article 12 du Code Electoral :
"Les citoyens français établis à l'étranger et im- matriculés au Consulat de France conservent le droit d'être inscrits, s'ils le demandent, sur la liste élec- torale de la commune où ils ont satisfait à la loi sur le recrutement de l'armée et rempli leurs obligations militaires.
principes qui les inspirent, l’un des modes d’exercice du droit de vote; que lesdites dispositions ressortis- sent, dès lors, à la, Compétence du pouvoir réglementaire.
Décide :
.Article 1er.- les dispositions sus-mentionnées, figuran' aux articles 87-7°, 88-71, 89-4° alinéa et 92-7 du Gode Electoral, ont le caractère réglementaire.
Article 2.- La présente mier Ministre et publiée publique française. "
décision sera notifiée au Journal Officiel de
au Pre- la Ré-
M. Gilbert-Jules estime qu'une modification de l'article 87 peut être considérée comme la création d'une nouvelle catégorie de citoyens admis à bénéficier du droit de vote par procuration. "Cette modification est-elle régle- mentaire ou législative ?... Il convient de remarquer, dit- il, que le vote par procuration est réservé aux électeurs "que des obligations légalement constatées retiennent éloi- gnés de la commune sur la liste électorale de laquelle ils sont inscrits" - tandis que sont admis à voter par corres- pondance ceux qui se trouvent absents de ladite commune. En d'autres termes, votent par procuration ceux qui ont leur domicile hors de la commune et votent par correspondant ceux qui sont hors de leur domicile... La règle de caractère législatif paraît être,dans le premier cas la condition d'é- loignement, dans le second, la condition d'absence. Je ne pense pas que le Gouvernement pourrait étendre la possibi- lité du vote par procuration à ceux qui sont absents de leur domicile. Je crois qu'une modification de l'article 87 est réglementaire à la condition de respecter la règle d'éloi- gnement pour le vote par procuration et de réserver le vote par correspondance aux cas d'absence. Je serais choqué, par exemple, que les malades fussent admis à voter par procura- tion alors que l'article 200 du Code Electoral leur donne le bénéfice du vote par correspondance. Il s'agit en effet de deux procédures d'esprit différent : dans l'une, on ac- corde sa confiance à une personne; dans l'autre, le secret est préservé."
M. le Président Léon Noël met aux voix les con- clusions de M. le Rapporteur relatives aux dispositions des articles 88, 89 et 92.- Celles-ci sont adoptées.
Il reconnaît que le problème posé par l'article
87 est "plus délicat". Il observe que les intentions des rédacteurs du texte sont de faciliter l'exercice du droit de vote.
M. le Président Coty se déclare "plus radical que M. Gilbert-Jules". "La Constitution, dit-il, prévoit que "la loi fixe les règles concernant les droits civiques"; on ne parle_ pas de "règles fondamentales" ; je considère que l'exercice des droits civiques "concerne" les droits civiques. Je le pense pour des raisons juridiques et pour des raisons psychologiques.
Si l'on admet que l'article 87 est de caractère réglementaire, le Gouvernement pourra faire tout ce qu'il voudra puisqu'officiellement le Conseil n'a pas à connaî- tre du projet de modification. Si un alinéa de ce texte est réglementaire, les autres peuvent l'être également : ils précisent les conditions de vote des marins, des mi- litaires etc; le Gouvernement pourrait donc demain pren- dre un décret supprimant en fait le droit de vote des marins ou des militaires!...
Je vous demande de feuilleter le Code Electoral. Vous y voyez à chaque page des dispositions qui prévoient de quelle manière les électeurs exerceront leur droit de vote. L'obligation de passer par un isoloir, par exemple, est un élément de l'exercice du droit de vote. Tout cela pourrait être abrogé par simple décret ^„je ne le crois pas
D'autre part, du point de vue psychologique, il convient de se rappeler que les parlementaires sont par- ticulièrement ombrageux dès qu'il s'agit de la. matière électorale : ils considéreront la procédure gouvernemen- tale comme une atteinte à leurs droits. Par contre, la modification projetée ne soulèverait pas de contestation sérieuse au Parlement si elle lui était soumise.
En conclusion, et sous réserve d'un argument qui m'aurait échappé, je pense que tout ce qui concerne l'exer- cice des droits civiques concerne les droits civiques".
M, Gilbert-Jules se déclare d'accord avec M. le Président Coty. Il observe toutefois que la faculté de voter par procuration est accordée "à titre exceptionnel".
M, Michard-Pellissier n'est "pas loin" d'adopter la position de M. le Président Coty.
Il explique néanmoins que lors de l'établissement de son rapport, il avait été frappé par deux considérations
1° Il ressortait de l'exposé des motifs du décret que l'article 12 relatif à l'inscription sur la liste électo- rale devait être modifié par la voie législative et que l'article 87 qui comportait une modalité d'application pouvait être modifié par voie réglementaire.
2° Il s'agissaiti semblait-il, beaucoup plus de modi- fications de terminologie que de fond. Le but à atteindre était de rendre plus aisée l'inscription des Français ré- sidant dans les Etats de la Communauté.
•D'qutre part, il ne pense pas qu'il faudrait déduire le caractère réglementaire de la totalité de l'ar- ticle 87 de la constatation du caractère réglementaire de son alinéa 7.
Il croit en définitive que le Conseil pourrait déclarer que l’article 87 n'est pas de nature réglementai- re]; que,par fontre, les autres dispositions soumises au Conseil, étant de simples modalités d'application, ont ce caractère.
I^(;)I. Pompidou déclare qu'il est "tout prêt" à se rallier à ce point de vue.
En réponse à M. le Président Coty, il observe que lorsque les dispositions examinées sont longues et dé- taillées, il y a des difficultés à établir la frontière entre ce qui est législatif et ce qui est réglementaire, car elles ont souvent im caractère mixte. Il estime qu'en l'espèce on pourrait dire que "Français établis à l'étran- ger" est législatif et que "immatriculés au Consulat" est réglementaire mais il lui paraît plus simple de déclarer que tout est législatif.
M. Gilbert-Jules répond que le Conseil aurait la possibilité de constater cette distinction.
M, le Président Léon Noël ne croit pas qu'il soit si évident que l'immatriculation au Consulat constitue une disposition réglementaire. Il considère que tout est "question de mesure" dans la répartition des compétences, sinon on pourrait admettre qu'un texte modifiant les heures de clôture du scrutin est de caractère législatif.
Il met aine voix le caractère législatif de l'article 87, 7e al.
Il en est ainsi décidé
Il est ensuite procédé à la rédaction de la décision qui est adoptée sous la forme suivante :
"Le Conseil Constitutionnel,
Considérant que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer "les règles concernant... les droits civiques", au nombre desquelles figure notamment l'attribution du droit de suffrage, et qu'il n'appartient au pouvoir réglementaire que d'édic- ter les mesures d'application qui sont nécessaires à la mise en oeuvre de ces règles;
Considérant que les quatre dispositions susvisées soumises à l'examen du Conseil Constitutionnel ont res- pectivement pour objet, la première de déterminer l'une des catégories de citoyens autorisés à voter par procu- ration, les deux suivantes de définir l'autorité devant laquelle sont dressées ces procurations, ainsi que les pièces au vu desquelles celles-ci sont établies, la dernière, enfin, de désigner l'autorité à laquelle les- dites procurations sont adressées;
Considérant que si, à raison de son objet, la pre- mière disposition ci-dessus mentionnée doit être regar- dée comme faisant partie des règles concernant le droit de suffrage qu'il appartient au législateur de fixer, les trois autres, tendant uniquement à déterminer, dans le cadre de ces règles et dans le respect des principes qui lus inspirent, les conditions pratiques d'exercice du droit de vote par procuration, ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire;
Décide :
Article 1er.- Les dispositions codifiées sous l'article 87-7° du Code Electoral ont le caractère législatif.
Article 2.- Les dispositions codifiées sous les ar- ticles 88-VI, 89-4° alinéa et 92-V du Code Electoral ont le caractère réglementaire.
Article 3.- La présente décision sera notifiée au Premier Ministre et publiée au Journal Officiel de la République française. "
M, le Président propose d'examiner ensuite deux projets de "décisions présidentielles" transmises par M. le Président de la République en application dé l’ar- ticle 16 al. 3 de la Constitution.
- Le premier de ces textes est relatif à l'ins- titution d'un Tribunal Militaire. Son rapporteur est M. POMPIDOU. ‘
procédure
pénale.
- Le second concerne la M. PATIS est rapporteur.
M. le Président donne la parole à M. POMPIDOU.
Celui-ci explique en quoi le Tribunal Militaire que l'on se propose de créer diffère du Haut Tribunal Mi- litaire qui a fait l'objet d'une décision du 27 avril :
1/ "Il s'agit d'une juridiction d'un rang inférieur destinée à juger des personnalités moins importantes ou des crimes ou délits de moindre gravité. Cette préoccupa- tion se retrouve dans l'article 2 qui prévoit l'existence de plusieurs Chambres".
2/ "Comme le Haut Tribunal, il a un caractère spé- cifiquement militaire : chaque Chambre est Composée de 5 membres dont 3 officiers supérieurs. Une question se pose : Pourquoi les magistrats sont-ils désignés par dé- cret et les officiers par arrêté ?"
3/ "La procédure fait l'objet d'une réglementation précise. Le Ministère public est placé sous l'autorité du Procureur Général près le Haut Tribunal Militaire? afin que les instructions soient coordonnées".
4/ "Le recours en Cassation est prévu. Cela souligne l'impossibilité d'un tel recours à l'encontre des décisions du Haut Tribunal; il était, il est vrai, plus difficile de l'instituer dans ce dernier cas du fait d’une part, qu'il s'agissait d'une haute juridiction et d'autre part, que seul était possible un recours devant la Cour de Cassation. L'existence de plusieurs Chambres au sein du Tribunal Mi- litaire permet au contraire le renvoi devant une autre Chambre.
"Le texte entre dans le cadre de l'article 16".
M. le Président Léon Noël remercie M. le Rap- porteur.
10
Il transmet le voeu du Président de la République que le Conseil émette un avis le plus rapidement possible. "Notre mission, ditèil, consiste à apprécier si le texte entre dans le cadre de l'article 16. Le Général de Gaulle est très satisfait que nous présentions des suggestions mais nous ne pouvons pas, en la matière, jouer un rôle semblable à celui du Conseil d'Etat. Notre responsabilité est ainsi suffisamment grande".
M. Patin est d'avis que le Conseil doit en effet se limiter le plus possible; il rappelle que les observa- tions présentées à propos de l'institution du Haut Tribunal Militaire n'ont pas eu de suite. Il estime toutèfois "assez curieux" que le Ministère public soit assuré par un Procu- reur Général militaire ("auprès des tribunaux militaires, il y a ordinairement un Commissaire du Gouvernement") et que celui-ci soit placé sous l'autorité du Procureur Gé- néral près le Haut Tribunal Militaire. ("Comment celui-ci pourra-t-il en outre exercer ses fonctions auprès de la Cour de Cassation ?")
M. le Président demande que l'on introduise M. de Bresson, chargé de mission auprès de M. le Président de la République.
M. le Rapporteur s'étonne que les membres offi- ciers du Tribunal soient désignés par arrêté tandis que les membres magistrats sont désignés par décret (article 2 du texte).
M. de Bresson explique que c'est la coutume mais que l'unification du mode de nomination ne présenterait pas de difficultés.
Sur une remarque de M. Gilbert-Jules, il admet que l'on devrait écrire à l'article 2, au lieu de : "trois officiers supérieurs", "trois officiers généraux ou supé- rieurs" .
Sur l'article 4 il précise que le Procureur Général militaire sera assisté de magistrats civils mobi- lisés pour la circonstance quel qu'ait été leur grade dans 1'Armée.
M. le Rapporteur demande pourquoi ce Procureur n'est pas dénommé Commissaire du Gouvernement.
M. de Bresson répond qu'il est préférable d'uti- liser une terminologie spéciale.
M. Patin désire savoir pourquoi il est subor- donné au Procureur du Haut Tribunal.
I-T. de Bresson explique que celui-ci sera à même de faire le "dispatching" nécessaire entre les affaires soumises aux tribunaux de droit commun au Haut Tribunal Militaire ou au Tribunal Militaire.
M. Le Coq de Kerland craint que le juge d'ins- truction ne perde son indépendance.
M. de Bresson précise que l'instruction se situe dans une phase antérieure.
M. le Président Coty constate qu'il n'est pas logique de donner compétence dans un cas à un Parquet civil, d'instituer dans le 2e cas un Parquet militaire et de sou- mettre le second au premier.
Il se demande dans quelles conditions seront rappelés les "avocats généraux militaires".
M. de Bresson est d'avis que l'expression "ma- gistrats militaires" serait préférable et propose de recti- fier ainsi le texte.
Sur l'article 5, il explique - sur une remarque de M. Gilbert-Jules - que la garde à vue qui est prévue est la garde à vue judiciaire, différente de la garde à vue administrative qui a fait l'objet d'une décision présiden- tielle précédente.
M. Gilbert-Jules trouve "bizarre" qu'il y ait deux gardes à vue qui puissent s'additionner.
Sur les articles 7 et 8, M. le Président Coty propose d'insérer dans l'article 7 la disposition figurant à l'article 8 al. 2 :
"Si U.accusé n'a pas désigné précédemment un conseil, il est avisé qu'à défaut de ce choix dans les 48 heures, il lui en sera désigné un d'office pour l'audience."
Les autres articles ne donnant pas lieu à ob- servation essentielle, M. le Président remercie M. de Bres- son.
M. le Secrétaire Général donne lecture du projet d'avis suivant qui est adopté :
"Le Conseil Constitutionnel,
Consulté le 3 mai 1961 par le Président de la République sur un projet de décision instituant un Tribunal Militaire, constate que les mesures qui font l'objet de cette décision entrent dans le champ d'ap- plication de l'article 16 de la Constitution;
Le Conseil estime que la rédaction des articles 2, 4 et 7 du projet mérite d'être revue dans le sens qui a été indiqué au représentant du Président de la République."
Le Conseil procède ensuite à l'examen du 2e texte qui lui est soumis par le Président de la République en application de l'article 16 et dont M. PATIN est rapporteur. Il s'agit de dérogations (applicables jusqu'au 31 décembre. 1961), aux règles de l'instruction préparatoire "dans les affaires concernant les crimes et délits de toute nature commis en relation avec les évènements survenus en Algérie depuis le 30 octobre 1954, ainsi que les infractions con- nexes" .
M. le Rapporteur déclare ne pas être favorable à ce texte qui, dit-il, "a été demandé par la Chancellerie".
Le raccourcissement du délai de 48 heures à 24 heures prévu à l'article 7 pour la convocation du conseil de l'inculpé aux intérrogatoires et confrontations, ne pa- raît pas avoir de portée pratique.
L'article 11 qui prescrit qu'"aucun recours ne sera reçu contre les décisions de la Chambre d'accusation" lui semble contestable car "si on ne peut se pourvoir contre l'arrêt de renvoi, cela oblige à tout recommencer".
Mais ce qui 1''inquiète le plus", "c'est l'article 9 qui prévoit que "jusqu'à la clôture de l'information, seules les décisions du juge d'instruction statuant sur la liberté provisoire sont susceptibles d'appel" : "on n'a pas tenu compte, dit-il, de l’avis que j'avais donné et qui était de laisser la possibilité d'appel du Ministère Public".
M. Pompidou demande pourquoi il est précisé à l’article 1er "depuis le 30 octobre 1954" et croit qu'il faudrait écrire simplement : "en relation avec les évène- ments d'Algérie".
M. de Bresson, chargé de mission auprès de
M. le Président de la République, est introduit à ce morne ni
M. le Président Léon Noël répète l'observation que vient de faire M. Pompidou.
M. Gilbert-Jules observe que cette précision de date met en cause la relation du texte avec l'article 1(
M. le Rapporteur demande pourquoi l'article 9 supprime l'appel du Ministère Public.
t
M. de Bresson répond qu'il ne serait "pas juste de le maintenir si on is: supprime cette possibilité à l'in- culpé .
M. le Rapporteur est d'avis qu'on dépouille le Procureur Général d'unie attribution importante.
Il observe par ailleurs que l'article 7 a pour but de réduire le délai de convocation à 24 heures. Il rappelle qu’on utilise ordinairement une lettre recomman- dée et croit que "c'est beaucoup de perturbation pour ga- gner 24 heures".
M. le Président Léon Noël demande à M. de Bresson s'il estime que le texte apporte "de grandes amé- liorations" .
M. de Bresson répond que ce sont des praticien, qui ont suggéré ces modifications.
M. Michard-Pellissier déclare que "l'ensemble du texte donne l'impression qu'on a profité de l'occasion pour supprimer des principes : L'envoi de la lettre recom- mandée par l'avocat est un de ces principes. On peut pen- ser que tous les Barreaux de France vont protester".
M. le Président Léon Noël juge "regrettable" que la Chancellerie demandé ~au Président de la République de prendre la responsabilité de mesures contestables.
M. de Bresson observe qu'elles n'ont qu'une portée limitée.
- 14 -
efficaces.
M. le Rapporteur croit qu’elles ne seront pas
M, le Président Léon Noël estime qu'il n'est pas bon de "galvauder l'article 16".
îi. de Bresson déclare qu'il rapportera au Président de la République les observations du Conseil. Il remarque toutefois :
1) que les mesures n'ont qu'une portée limitée dans le temps;
2) que les améliorations prévues ne touchent pas à
des principes et n'ont pour but que d'éviter dans les cas prévus les difficultés d'application du Code de Procédure Pénale. .
M. Gilbert-Jules demande ce qui se passera si un avocat conteste la relation entre les faits incriminés et les évènements d'Algérie. "Qui jugera ? - dit-il - : la Cour de Cassation ? D'après quel critère ?"
M. de Bresson constate que c'est l'article 7 "qui soulève le plus de critiques".
M. Pompidou ajoute : "et la date du 30 octobre 1954".
M, le Président remercie M. de Bresson.
- La séance est interrompue pour procéder à la rédaction de l'avis.
A la reprise, M. le Secrétaire Général donne lecture du projet suivant qui est adopté :
"Le Conseil Constitutionnel,
Consulté le 3 mai 1961 par le Président de la République sur un projet de décision concernant la pro- cédure pénale, sans contester que, en raison des limites assignées à leur application, de la référence faite aux évènements d'Algérie, et sous réserve que disparaissent les termes "depuis le 30 octobre 1954" figurant à l'ar- ticle 1er, les mesures qui font l'objet de cette décisioi puissent entrer dans le champ d'application de l'article 16 de la Constitution, croit devoir émettre des doutes sur l'opportunité et l'efficacité desdites mesures."
La séance est levée à 19 heures.
+---------------------+------+------+----------------------+ | | | Z X | Xjfa f ' f J JS t If | +---------------------+------+------+----------------------+ | Affaire n* 61-13 L. | * | , A' | $4,1À 'l lb_(c)ac.-r | +---------------------+------+------+----------------------+ | (3 A*' > | | | .h:/- | | | | | | | | | | / | | | | | | | | | | / i | +---------------------+------+------+----------------------+ | | NOTE | | | +---------------------+------+------+----------------------+
Sur La demande présentée le 28 avril 1961 au Conseil Constitutio nel par le Premier Ministre en application de l'article 37 de la Constitution et tendant à voir déclarer le caractère réglementai de plusieurs dispositions contenues aux articles 3, 5, 6 et 8 de l'ordonnance n° 58-977 du 20 octobre 1958 et codifiées sous les articles 87-7°, 88-VI, 89-4° alinéa et 92-V du Code électoral -
Il convient Î
I - de préciser quels ^ont les textes qui sont soumis à l’examen du Conseil Constitutionnel;
II- d’établir quelle est la disposition de la Constitution dont il doit être fait application en l’espèce;
III- de déterminer, au regard de ladite disposition, si les tex- tes soumis à l’examen du Conseil Constitutionnel sont ou non de la compétence du pouvoir réglementaire.
o
o o
¹ - QUgL⁸ SONT LES TEXTES QUI SONT SOUMIS A L’EXAMEN DU CONSEIL CONSTITU-
Dans le but d’aplanir certaines difficultés rencontrées par les citoyens dans l’exercice du droit de vote, le Gouverne- ment envisage de modifier par décret un certain nombre de dispo- sitions du Code électoral (cf. projet d© décret joint au dossier)
Certaines de ces dispositions, qui font l’objet des alinéas 2), 4), 6), 8), 9) et 10) du projet de décret, modifient ou complètent des dispositions du Code électoral dont l’inter- vention est antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution.
- 2 -
En application du 2° alinéa de l’article 37 de la Constitution, ces textes peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d’Etat. Ils ne sont donc pas soumis à l’examen du Conseil Constitu- tionnel .
En revanche, les quatre disposition figurant sous les alinê
1), 3), 5) et 7) du projet de décret et qui tendent à modifier les articles 87-7^(ü), 88-VI, 89-4ème alinéa et 92-V du Code électoral fon expressément l'objet de la demande d'examen présentée par le Premia Ministre, car ils tendent à modifier différentes dispositions conte nues dans une ordonnance du 20 octobre 1958 et donc postérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution.
Seules ces quatre dernières dispositions sont donc, en défi nitive, soumises à l'examen du Conseil Constitutionnel.
II - QUELLE EST LA DISPOSITION DE L'ARTICLE 34 DE LA CONSTITUTION DONT IL YTTtw^TÂrRE wgçrcÀTOirw L'ËSPEC'Ê~? ——-—•
On peut hésiter entre trois dispositions de l'article 34 :
1) celle d’apràè laquelle "La loi fixe les règles concernant.... les droits civiques";
2) celle qui dispose que "La loi fixe les règles concernant.... les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice de libertés publiques";
3) celle, aux termes de laquelle "La loi fixe également les règles concernant.... le régime électoral des assemblées parlementaires des assemblées locales".
Dans sa note d’observation, le Gouvernement écarte cette dernière disposition, comme n'étant pas celle dont il convient de faire application en l'espèce. Avec raison, semble-t-il. En effet, par l’expression "le régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées locales", on entend, en général, faire allusion au caractère direct ou indirect du suffrage, au mode particulier du scrutin (uninominal, à un ou deux tours, ou à la représentation pro- portionnelle), c'tst-à-dire à tout autre chose qu'au vote par procu- ration qui fait l'objet des textes en cause.
Lg Gouvernement, en revanche, croit pouvoir discerner dans la deuxième^dispositions de l'article 34 sus-énoncée* et qui vise la* règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour 1'exercice des libertés publiques la disposition dont il convient de faire application en l’espèce.
Ce choix no paraît pas bon.
En effet, les garanties visées dans la disposition dont il s’agit sont celle* qui résultent de* textes (notamment Code Civil, Code Pénal, Code de Proeéduré Pénale) concernant l'exercice des différentes libertés publiques, telles que liberté de réunion, liber- té de penser, liberté d'association, liberté de la presse. Si l'exer- cice du droit de vote par les citoyens peut, indirectement contri- buer à les défendre, ce droit de vota ne peut, en aucune façon, être considéré comme constituant lui-même une des garanties fondamentales de l’exercice des libertés.
En définitive, la seule disposition de l'article 34 qui paraît applicable est celle qui vise “les droits civiques".
“Les droits civiques" ou droits du citoyen recouvrent, en effet, non seulement toutes les matières qui comme, par example, la nationalité, sont, par principe, incluses dans la définition même de la qualité dtf citoyen, mais encore toutes prérogatives qui sont attachées à cette qualité.
Or, le droit de suffrage dont le vote par procuration n'est qu'une des modalités d’exercice est incontestablement la plus impor- tante de ces prérogatives.
A cet égard, deux attitudes sont possibles :
A.- On peut, dans une première attitude poser en principe que par "règles concernant.... les droits civiques", le Constituant a entenc désigner seulement le* règles relatives à la capacité électorale
(conditions de nationalité, d’âge, de saxe, de capacité juridique, de résidence, d'inscription sur les listes électorales, etc...), à l'exclusion des mesures prisés ou à prendre en vue de l'applica- tion de ces règles ou de l'exercice de ce droit de vote, mesures dont le vote par procuration, comme d’ailleurs le vote par corres- pondance, n'est que l'une des variétés.
A l'appui de cette manière de voir, on peut faire valoir que le vote par procuration, n'étant que l'une des modalités d'exer cice du droit de vote, n'est susceptible d'exercer aucune influ- ence sur la capacité électorale qui, elle, est d'essence législa- tive, puisque par définition, il n'agit sur aucune des conditions qui entrent dans le champ d'application de celle-ci (âge, nationa- lité, etc...) ; le vote par procuration n'est qu'une facilité accessoire, une modalité subsidiaire de l'exercice du droit de vote et qui laisse toujours entière, à son bénéficiaire la faculté de voter directement.
On peut invoquer également au soutien de cette thèse les précédents que constituent un certain nombre de décrets récents pris sur l'avis du Conseil d'Etat en application de l'article 37 d<la Constitution et notamment le décret n° 58-1344 du 27 décembre 1958 portant dérogation aux dispositions de l'article 248 du Code électoral relatives à la date d'élection des conseils municipaux; le décret n° 60-1300 du 8 décembre I960 portant extension à cer- taines catégories d’électeurs des dispositions des articles 34 à 39 du Code électoral et permettant l’inscription en dehors des pé- riodes de révision des listes électorales ; enfin, le décret n® 61-250 du 18 mars 1961 portant dérogation aux articles 214 et 217 du Code électoral relatifs à la date d’élection des Conseils Géné- raux. Il ne fait guère de doute qu'en autorisant ces modlficatioï par décret, le Conseil d’Etat est allé sensiblement plus loin qu’: n'est demandé aujourd'hui au Conseil Constitutionnel d'aller en déclarant que les dispositions soumises à son examen sont de caractère réglementaire.
* S *
B.- Dans uns deuxième attitude, plus nuancée, mais aussi plus res- trictive que la précédente, on peut assortir le critère précédemman retenu pour reconnaître le caractère réglementaire des dispositions en cause d’une réserve fondée sur la constatation que lesdltes dispositions visent uniquement à permettre un plus large exercice du droit de suffrage et qu'elles vont ainsi dans le sens d'une évolution démocratique.
Si elle peut, dans une certaine mesure, faciliter l'adoptio: de la solution de principe proposée, cette attitude présente, toute fois, le grave Inconvénient de lier son auteur en l'empêchant, par avance, d'une manière d'ailleurs assez illogique, de revenir dans l'avenir Sur les concessions qu'il aura£ ainsi été amené à faire.
C'est, cependant, en définitive, la solution qui résulte du projet de décision soumis au Conseil Constitutionnel.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.