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PV1961-07-18

SÉANCE du 18 JUILLET 1961

La séance est ouverte à 15 heures.

M. POMPIDOU est excusé.

Le Conseil examine d’abord une requête présentée par M. Pierre SIMON tendant à l'annulation des opération; électorales auxquelles il a été procédé les 4 et 11 juin 1961 dans la 7ème circonscription du département de la Seine pour la désignation d'un député à 1'Assemblée Nationale et à la suite desquelles M. KASPEREIT a été élu.

M. de LAMOTHE-DREUZY est rapporteur.

Le Conseil décide de rejeter ladite requête.

*

* *

Il est ensuite procédé à l'examen de la commu- nication en date du 28 juin 1961, de M. le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal permanent des forces armées de Paris tendant à la constatation de la déchéance de plein droit du sieur Pierre LAGAILLARDB de sa' qualité de membre de 1'Assemblée Nationale en application de l'article 8 de l'ordonnance n& 58-998 du 24 octobre 1958: celui-ci a, en effet, été condamné à dix ans de déten- tion criminelle et à la dégradation civique pour atten- tat contre la sûreté de l'Etat et infraction à la loi du 24 mai 1834.

M. PASTEUR VALLERY-RADOT est rapporteur.

Cette déchéance est constatée et prend effet du lendemain du jour où la condamnation est devenue définitive, c'est-à-dire du 5 mai 1961.

M. Patin observe que la mention de la dégrada- tion civique dans le jugement du Tribunal des Forces Armées de Paris est une erreur; en effet, la dégradation civique, définie par l'article 54 du Code Pénal, cons- titue, en application de 1'article 28 du même Code, une peine accessoire à une peine criminelle - qui s'applique de plein droit et dont il n'y a pas lieu de faire état dans le jugement.

M. Cassin propose de viser dans le texte de la decision, l'article 34 élu Code Penal. Il en est ainsi décidé.

M. le Président Léon Noël fait ensuite con- naître au Conseil qu'il a été saisi le 1er juillet 1961 par M. le Premier Ministre, dans les conditions prévues à l'article 37 alinéa 2 de la Constitution, d'une deman- de tendant à voir déclarer le caractère réglementaire des dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative à l'organisation judiciaire.

Ce texte est.ainsi rédigé î."A Paris, Lyon et Marseille, il est créé un tribunal d’instance ayant seul compétence en matière pénale'dont~Të ressort sera le même que celui du Tribunal de police existant à la date de mise en vigueur de la présente ordonnance ".

Le rapporteur désigné est M. PATIN.

I.- Celui-ci explique d'abord pour quelles raisons le Gouvernement désire modifier ce texte :

1/ Il a l'intention d'étendre à toute la Seine la compétence du "Tribunal de police" de Paris; en effet, les tribunaux d'instance des cantons suburbains qui ont une compétence à la fois civile et pénale, ne sont plus adaptés à cette double tâche : les affaires sont plus nombreuses qu'autrefois, les locaux trop exigus; d'autre part, il est généralement plus facile aux plaignants d'aller à Paris qu'au siège du tribunal d'instance;

2/ Le Gouvernement se propose également d'étendre le ressort du "Tribunal de police" de Lyon;

3/ Il souhaite créer à Versailles un tribunal d'instance à compétence exclusive en matière pénale.

II.- M. le Rapporteur examine ensuite le caractère légis- latif ou réglementaire des dispositions soumises à l'exa- men du Conseil.

Il rappelle qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution "la loi fixe les règles concernant... la procédure pénale..., la création de nouveaux ordres de juridiction".

1/ S'agit-il d'une règle concernant la procédure pénale ?

Celle-ci a notamment pour objet de fixer les conditions de saisine de chaque juridiction et notamment d'en déterminer la compétence. (L'article 522 du Code de Procédure pénale prévoit par exemple que "la connais- sance des contraventions est attribuée exclusivement au tribunal de police du ressort dans l'étendue duquel elles ont été commises..."). Mais la détermination de la cir- conscription territoriale à l'intérieur de laquelle chaque tribunal exercera sa compétence, ne constitue pas une règle de procédure; tel est le cas du texte soumis au Conseil lorsqu'il prévoit que "le ressort sera le même que celui du tribunal de police existant".

2/ S'âgit-il d'une règle concernant la création d'un nouvel ordre de juridiction ?

Peut-être considérée ainsi, "toute création d'une juridiction originale dans ses différents caractères". Mais, en l'espèce, les tribunaux d'instance à compétence exclusivement pénale ne constituent qu'"une forme parti- culière des tribunaux d'instance"; ils ont conservé la moitié des attributions de ceux-ci; il ne s'agit pas d'un ordre nouveau de juridiction.

Et M. le Rapporteur conclut :

"Je considère que le texte soumis au Conseil a le caractère réglementaire.

Je présente toutefois deux observations contra- dictoires :

1°/ On ne peut que constater l'incapacité absolue du Parlement de réaliser la réforme judiciaire; il est donc préférable que le Gouvernement ait compétence pour le faire.

2°/ Il y a lieu de protester contre la manière dont le Gouvernement a élaboré les textes relatifs à l'orga- nisation judiciaire : celle-ci a fait l'objet d'une or- donnance en 19 articles et de décrets très importants; on aurait pû s'apercevoir - au moment de la rédaction - que certaines dispositions de l'ordonnance avait peut- être le caractère réglementaire."

M. le Président Coty se déclare "pleinement d'accord avec M. le Rapporteur quant à l'incapacité du Parlement de réaliser de grandes réformes, et spéciale- ment la réforme judiciaire. Cependant, dit-il, quand il s'agit d'étendre le ressort d'un tribunal tel que le Tribunal de police de Paris, qui existe depuis cent- cinquante ans, on pourrait facilement obtenir un vote. Mais ce n'est pas la question.

"La question me paraît se ramener à ceci :

Si les tribunaux de police n'avaient pas existé si nous faisons abstraction de l'ordonnance, si pour la première fois, il était question de créer des tribunaux d'instance à compétence pénale exclusive, est-ce que ce ne serait pas un nouvel ordre de juridiction ?"

M. le Rapporteur : "Sûrement".

M. le Rrésident Coty poursuit : "Le mot "ordre" doit être pris dans le sens non pas de hiérarchie mais de catégorie. Or, qu’est-ce qu'a créé l'article 5 soumis à l'examen du Conseil ? Vous avez dit : Une forme par- ticulière de juridiction. Quelle différence y a-t-il avec une catégorie ? Elle est bien mince... Est-ce que ce n'est pas délicat de donner au Gouvernement le droit de créer des formes particulières de juridictions ? Est-ce que cela n'aurait pas des inconvénients ? Le Gou- vernement pourrait demain créer à Paris indépendamment de la Cour d'Appel, un tribunal spécial, ou à la Cour de Cassation une seconde chambre criminelle ayant une com- pétence ou des règles particulières... Je me souviens de la loi de dessaisissement de la Chambre Criminelle lors de l'affaire Dreyfus (1).. De tels procédés pour- raient être renouvelés par décret.. Si une juridiction rend un arrêt qui n'est pas à la convenance du Gouver- nement, celui-ci pourra créer un autre tribunal, le composer comme il l'entendra. Faut-il que nous permet- tions cela ?"

M. le Rapporteur considère qu'"il n'est pas question de toucher aux catégories de tribunaux".

M. le Président Coty répond que l'on pourrait constituer des cours "qui puissent juger certains délits"

M. le Rapporteur ne le croit pas car, dit-ily "on toucherait alors à la compétence".

Loi du 10 février 1899

M. le Président Coty distingue deux éléments dans l'article 5 :

1°- La création d'une forme particulière de juri- diction

2°- La détermination de son ressort.

"Sur le premier point, dit-il, je ne suis pas d'avis que nous disions que le Gouvernement peut faire tout ce qu'il veut.. Je me demande si nous ne pourrions pas déclarer que l'article 5 a un caractère législatif en tant qu'il crée une juridiction nouvelle et un carac- tère réglementaire en tant qu'il en fixe le siège et le ressort. (Il est à remarquer que l'article 2 de l'ordon- nance prévoit que "le siège, le ressort et la composition des juridictions de première instance... sont fixés par décret en Conseil d'Etat"). Mais il faut être prudent. S'il y a doute, c'est la compétence législative qui doit 1'emporter".

M. le Rapporteur remarque que l'article 5 n'a, en réalité, rien "créé" car des "tribunaux de police" existaient avant 1958 à Lyon et à Marseille.

M. le Président Léon Noël croit que le texte est mal rédigé et que l'on n'aurait pas dû écrire que les tribunaux en question étaient "créés" puisqu'il s'a- gissait seulement d'organiser leur fonctionnement.

M, le Président Coty considère que 1'on a créé à Paris, Lyon et Marseille "une forme particulière de juridiction" qui constitue, selon lui, "une catégorie".

M. le Président Léon Noël estime qu'il appar- tiendrait au Parlement de créer une nouvelle Cour de Cassation mais que la création d'une chambre supplémen- taire relèverait du pouvoir réglementaire.

M. le Rapporteur déclare que le "tribunal de police" est "un tribunal d'instance à attributions par- ticulières" .

M. Michard-Pellissier observe que les tribunaux d'instance ont normalement une compétence civile et une compétence pénale. "A titre exceptionnel, trois tribunaux n'ont pas cette double compétence; mais si leur nombre s'accroît, n'est-ce pas la création d'une nouvelle caté- gorie ?"

M. le Rapporteur répond, qu'il s'agit de "tribu- naux un peu particuliers" à l'intérieur d'une catégorie qui existe; "qu'on puisse par décret en eréer à Toulouse ou ailleurs, je crois - dit-il - qu'on le peut".

M. le Secrétaire Général intervient, à la demande de M. le Président :

"Je suis convaincu, dit-il, du caractère régle- mentaire de la disposition soumise à l'examen du Conseil. M. le Président Coty considère qu'il n'y a qu'un mince espace entre une forme particulière de juridiction et une catégorie particulière. Mais je crois qu'il n'y a , en 1' espèce.', qu'une forme particulière d'organisation admi- nistrative. Je ne vois pas, en effet, qu'en déchargeant certains tribunaux, on empiète sur les attributions d'un autre ordre de juridiction".

M. le Président Coty répond qu'on empiète sur la compétence des tribunaux d'instance dessaisis.

M. le Rapporteur déclare que les arguments de M. le Président Coty l'ont impressionné. "Il me paraît inquiétant, dit-il, que le Gouvernement puisse diviser les compétences des tribunaux; ce démantèlement m'inquiète un peu.. Je serais d'avis de déclarer que l'article 5 a un caractère législatif dans la mesure où il a créé des tribunaux d'instance à compétence pénale exclusive et qù'il à'ùn caractère réglementaire en tant qu'il a dé- terminé leur ressort".

"Je considère, d’ailleurs, qu'en dehors de la Cour de Cassation, il n'est pas bon que les juges soient des spécialistes".

M. Gilbert-Jules désire présenter trois obser- vations :

" 1°- Le Gouvernement n'aurait aucune difficulté à obtenir du Parlement un vote favorable à la réforme projetée ;

2°- L'ordonnance a fait l’objet d'un rapport du Garde des Sceaux qui a été l'auteur de la Constitution; il serait étonnant qu’il n'ait pas examiné soigneusement si son contenu était conforme à l'article §4;

3°- Si la détermination du ressort des tribunaux n'est pas dans le domaine législatif, le Gouvernement peut tout faire; il peut créer de nouvelles juridictions, modifier la compétence, en définitive bouleverser toute la procédure pénale."

M. le Président Léon Noël se déclare moins as- suré que M. Gilbert-Jules du vote favorable du Parlement.

Il demande à M. le Rapporteur de lire le projet de décision qui avait été préparé.

M. le Rapporteur donne lecture du texte suivant :

"Le Conseil Constitutionnel,

Saisi le 1er juillet 1961 par le Premier Ministre dans les conditions prévues à l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, d'une demande tendant à voir dé- clarer le caractère réglementaire des dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 rela- tive à 1'organisation judiciaire;

Vu la Constitution, notamment ses articles 34,

37 et 62;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 24, 25 et 26;

Considérant que si l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer "les.règles concernant .... la création de nouveaux ordres de juridiction", la détermination du nombre, du siège et du ressort de chacune des juridictions créée dans le cadre des principes définis par la loi est de la compétence réglementaire;

Considérant que les tribunaux d'instance ayant compétence exclusive en matière pénale, analogues aux tribunaux de police qui avaient leur siège dans cer- taines grandes villes antérieurement à la. modification de l'organisation judiciaire réalisée par l'ordonnance du 22 décembre 1958, ne constituent pas un ordre de juridiction distinct des tribunaux d'instance insti- tués par l'article 1er de ladite ordonnance, mais une forme particulière d'organisation de ces juridictions qui ont, normalement, comme les justices de paix qu’ elles ont remplacées, une double compétence d'attri- bution, civile et pénale:

Considérant au surplus que la détermination du ressort des tribunaux d'instance à compétence exclu- sive en matière pénale ne peut être comprise au nombre des "règles concernant la procédure pénale" que la Constitution a placées dans le domaine de la loi;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 qui ont pour objet de créer dans certaines villes de tels tribunaux et d’en déter- miner le ressort, ne relèvent pas de la compétence législative en la matière;

Décide :

Article 1er.-

Les dispositions susvisées de l'ar- ticle 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 rela- tive à 1 ' organisait ion judiciaire ont un caractère réglementaire.

Article 2.-

La présente décision sera publiée au Journal Officiel de la République française."

M. le Rapporteur déclare qu’il préférerait que le Conseil déclare que l'article 5 a un caractère législatif en tant qu'il crée une catégorie de juri- diction.

M. Cassin se rallie à ce point de vue.

"Je ne crois pas, dit-il, que lorsque le Constituant a prévu que serait dans le domaine légis- latif "la création de nouveaux ordres de juridiction", il songeait à des subdivisions de ce genre. Mais, la discussion a montré que la décomposition des compétences des tribunaux d'instance risquait d'aboutir- à une pro- lifération de juridictions spéciales. Je considère donc que la création d'un type particulier de juridiction, telle qu'elle résulte de l'article 5, est dans le do- maine législatif mais que la modification du ressort des tribunaux ou l'augmentation de leur nombre est dans le domaine réglementaire. M» Gilbert-Jules souhaiterait aller plus loin mais l'ordonnance déclare que le siège, le ressort et la composition des juridictions., sont fixés par décrets en Conseil d'Etat.On peut certes dis- cuter sur le point de savoir si l'ordonnance a respecté la Constitution:* Mais il y a là a priori un terrain solide"

M. le Président Léon Noël met aux voix la proposition de M. le Rapporteur qui est adoptée par la majorité des membres du Conseil.

Il demande en conséquence à M. le Rapporteur de rédiger un nouveau projet de décision qui sera soumis au Conseil après que celui-ci aura procédé à l'examen de la 4© affaire inscrite à son ordre du jour. (Il s'agit d’apprécier le caractère réglementaire ou législatif de certaines dispositions des articles 2 et 4 de l'ordon- nance du 5 janvier 1959 portant création de l'institut des Hautes Etudes d'Outre-Mer) (1).

- Lorsque le débat est repris sur l'article 5 de l'ordonnance relative à l'organisation judiciaire, M; le Rapporteur donne lecture du projet de décision suivant :

"Le Conseil Constitutionnel,

Saisi le 1er juillet 1961 par le Premier Ministre dans les conditions prévues à l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, d'une demande' tendant à voir dé- clarer le caractère réglementaire des dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative à l'organisation judidiaire;

Vu la Constitution, notamment ses articles 34, 37 et 62;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 24, 25 et 26;

Considérant que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer "les règles concernant ... la création de nouveaux ordres de ju- ridiction" ;

Considérant que si les tribunaux d'instance à compétence exclusive en matière pénale peuvent être regardés non seulement comme une forme particulière d'organisation des tribunaux d'instance créée par l'article 1er de l'ordonnance du 22 décembre 1958 mais bien comme un ordre de juridiction distinct créé par le législateur, leur siège et leur ressort demeurent de la compétence du pouvoir réglementaire en vertu de l'article 2 de l'ordonnance précitée du 22 décembre 1958;

Considérant au surplus que la détermination du ressort des tribunaux d'instance à compétence exclu- sive en matière pénale ne peut être comprise au nombre des "règles concernant la procédure pénale" que la

Constitution a placées dans le domaine de la loi

(3*) Pour la clarté de l'exposé, l'examen de cette affaire est analysé à la suite, p. 12

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Considérant qu'il résulte de ce qui précède que si les dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relèvent du domaine législatif en tant qu'elles créent l'ordre particulier de juridiction que constituent les tribunaux en cause, ces dispositions ont par contre un caractère réglementaire en tant qu' elles fixent le siège et le ressort desditx tribunaux;

Décide :

Article 1er.-

Les dispositions susvisées de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative à l'orga- nisation judiciaire ont un caractère réglementaire en tant qu’elles fixent le siège et le ressort des tribu- naux d'instance à compétence exclusive en matière pénale.

Article 2.-

La présente décision sera publiée au Journal Officiel de la République française."

M. Gilbert-Jules ne croit pas que la détermi- nation du ressort soit dans le domaine réglementaire et n'est pas d'accord en conséquence sur le Je considérant du projet.

M. le Secrétaire Général répond :

"Etablir le ressort d'un tribunal c'est dire dans quelle circonscription il exerce ses attributions; le reste, c'est la compétence; or, prévoir que telle com- mune se trouve dans le ressort de tel ou tel tribunal , a toujours relevé du pouvoir réglementaire".

M. Gilbert-Jules considère qu'en modifiant le ressort, on peut porter atteinte à des règles de procédure pénale.

M. le Président Léon Noël met aux voix le ca- ractère réglementaire de "la détermination du ressort d'un tribunal. Le Conseil l'admet. (Votent contre : M. Gilbert- Jules, M. le Coq de Kerland, M. Michard-Pellissier).

M. le Président rnet ensuite aux voix le carac- tère réglementaire du texte soumis à l'examen du Conseil. Celui-ci émet, à la majorité, un vote favorable. (Votent contre : M. Gilbert-Jules, M. le Coq de Kerland - M. Michard Pellissier s'abstient).

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Le projet de décision est enfin adopté - après quelques modifications - dans la forme définitive suivante :

"Le Conseil Constitutionnel,

Saisi le 1er juillet 1961 par le Premier Ministre dans les conditions prévues à l'article 57, alinéa 2, de la Constitution, d'une demande tendant à voir décla- rer le caractère réglementaire des dispositions de l'ar- ticle 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative à l'organisation judiciaire;

Vu la Constitution, notamment ses articles 34, 37 et 62 ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 24, 25 et 26;

Considérant que, si l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer "les règles con- cernant ... la création de nouveaux ordres de juridic- tion", la détermination du nombre, du siège et du res- sort de chacune des juridictions créées dans le cadre des principes définis par la loi, est de la compétence réglementaire ;

Considérant que les tribunaux d'instance à compé- tence exclusive en matière pénale constituent un ordre de juridiction distinct des tribunaux d'instance créés par l'article 1er de l'ordonnance susvisée du 22 décem- bre 1958; que la disposition de ladite ordonnance qui institue de tels tribunaux a donc le caractère législa- tif, mais qu'il entre dans la compétence du pouvoir ré- glementaire de fixer leur nombre, leur siège et leur ressort ;

Considérant, au surplus, que la détermination du ressort desdits tribunaux ne peut être comprise au nom- bre des "règles concernant la procédure pénale" que la Constitution a placées dans le domaine de la loi;

Décide :

Article 1er .-

Les dispositions susvisées de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative à l'orga- nisation judiciaire, qui instituent des tribunaux d'ins- tance à compétence exclusive en matière pénale, ont un caractère réglementaire en tant qu'elles fixent le nom- bre, le siège et le ressort de ces tribunaux.

Article 2.-

La présente décision sera publiée au Journal Officiel de la République Française."

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Au cours du débat ainsi terminé, M. le Président Léon Noël a demandé à M. GILBERT-JULES de bien vouloir présenter au Conseil son rapport sur la 4e affaire ins- crite à l'ordre du jour : Il s'agit d'apprécier - à la demande de M. le Premier Ministre et en application de l'article 37 de la Constitution - le caractère réglemen- taire ou législatif de certaines dispositions des articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 59-42 du 5 janvier 1959 portant création de l'institut des Hautes Etudes d'Outre-Mer.

Les dispositions soumises à l’examen du Conseil sont soulignées dans le texte de l'ordonnance qui est le suivant :

"Article 1er.- Il est créé un Institut des Hautes Etudes d'outre-mer.

Article 2.- Cet Institut est chargé, dans les conditions fixées au règlement d'administration pu- blique prévu à l'article 6 et à la demande des auto- rités de la République et des Etats membres de la Communauté :

De la formation des candidats aux emplois supé- rieurs de l'administration publique des pays d'outre- mer membres de la Communauté;

■^e l'organisation de cours et stages à l'usage des fonctionnaires et magistrats chargés de fonctions outre-mer.

Il peut en outre accueillir des élèves ou audi- teurs à titre étranger.

Article 3.- L'Institut des Hautes Etudes d'outre- mer est un établissement public relevant du Ministre chargé de la Fonction Publique.

Il est administré par un directeur, assisté d'un Conseil d'administration.

Le directeur est nommé par décret.

Article 4.- Le Conseil d'Administration de l'ins- titut est composé :

De représentants des Etats membres de la Commu- nauté désignés par leur Gouvernement ;

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-^e représentants des Territoires d¹ outre-mer désignés par décret sur proposition de leur conseil de Gouvernement.

De membres de 1'Administration et de professeurs d’Université désignés par décret.

Article 5.- la composition du Conseil d’Adminis- tration ainsi que le fonctionnement administratif et financier de l'institut seront déterminés par décrets en Conseil d'Etat.

Article 6.- Les modalités d'application de la présente ordonnance, et notamment les conditions d'en- trée à l'institut, l'organisation des enseignements et le régime des études, sont déterminés par un rè- glement d'administration publique pris après consul- tation du Conseil d'Administration.

Article 7.- La présente ordonnance sera publiée au Journal Officiel de la République française et exécutée comme loi."

M. le Rapporteur rappelle qu'aux termes de l'ar- ticle 34 de la Constitution, la loi fixe les règles con- cernant "la création de catégories d'établissements pu- blics"; que, dans sa décision du 27 novembre 1959, le Conseil Constitutionnel a considéré que la Régie Auto- nome des Transports Parisiens constituait "une catégorie particulière d'établissement public sans équivalent sur le plan national"; qu'en conséquence, les règles qui la régissaient étaient du domaine de la loi. Il observe que le Conseil d'Etat a adopté un point de vue différent et qu'il a estimé qu'un établissement public ne pouvait être créé par décret que si une loi avait défini auparavant une catégorie à laquelle il puisse être rattaché; c'est ainsi que le Centre National d'Etudes Judiciaires ë.t l'Ecole Nationale de la Santé Publique ont été respec- tivement créés par une ordonnance et par une loi.

M. le Rapporteur a, dans ces conditions, jugé souhaitable de préciser la notion de catégorie d'éta- blissement public dans un projet de décision qui est le suivant :

"Le Conseil Constitutionnel,

Saisi le 1er juillet 1961 par le Premier Ministre dans les conditions prévues à l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, d'une demande tendant à voir dé- clarer le caratère réglementaire de dispositions fi- gurant aux articles 2 et 4 de l'ordonnance du 5 jan- vier 1959 portant création de l'institut des Hautes

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Etudes d’outre-mer et ainsi conçue :

- Article 2.- à la fin du 1er alinéa "... et à la demande des autorités de la République et des Etats membres de la Communauté";

- à la fin du 2ème alinéa "... membres de la Communauté";

- à la fin du 4ème alinéa "... à titre étranger";

- Article 4.- de représentants des Etats membres de la Communauté désignés par leur Couve rneihent" ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 34, 37 et 62;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 24, 25 et 26;

Vu l'ordonnance du 5 janvier 1959 portant création de l'institut des Hautes Etudes d'outre-mer;

Considérant que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer "les règles concernant .... la création de catégories d'établis- sements publics";

Considérant que doivent être regardés comme entrant dans une même catégorie, au sens de la disposition sus- mentionnée, les établissements publics dont l'activité a le même caractère - administratif ou industriel et commercial - et s'exerce, territorialement, sous la même tutelle administrative, et qui ont une spécialité étroitement comparable;

Considérant que, dans le cadre des règles fixées par le législateur pour la création d'une catégorie, les dispositions régissant chacun des établissements qui peuvent être rangés dans ladite catégorie ressor- tissent à la compétence réglementaire;

Considérant que l’institut des Hautes Etudes d’outre-mer, créé par l'ordonnance du 5 janvier 1959, constitue un établissement public de caractère adminis- tratif, dont l'activité s'exerce sous la tutelle de l'Etat et a un objet comparable à celui de nombreux autres établissements publics nationaux d'enseignement supérieur obéissant à des règles communes de fonction- nement et d'organisation; que, ledit Institut des Hautes

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Etudes d'outre-mer ne constitue point, dès lors, une catégorie particulière d'établissement public; qu'en conséquence, les dispositions des articles 2 et - de l'ordonnance précitée du 5 janvier 1959, relatifs aux attributions et à l'administration de cet établissement, n'entrent pas dans le domaine du législateur en la matière;

décide :

Article 1er.- Les dispositions des articles 2 et 4 de l'ordonnance susvisée du 5 janvier 1959, soumises à l'examen du Conseil Constitutionnel, ont un carac- tère réglementaire.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal Officiel de la République française."

M. le Président Léon Noël déclare que la ré- daction de M. le Rapporteur est "très sage".

M. le Président Opty précise que la définition de la catégorie lui paraît bonne mais se demande si, en la formulant, le Conseil ne transgresse pas la règle qu’il s'est fixée de ne pas statuer "au-delà de l'es- pèce" .

M. le Président Léon Noël considère que si on supprimait, dans le projet, l'analyse qui est faite de la notion de catégorie, "on se bornerait à une affir- mation" .

M. Cassin est d'accord avec M. le Rapporteur.

Il estime que la timidité du Conseil d'-Etat dans la définition des catégories d'établissements pu- blics a gêné leur progression et qu'il est excessif d'obliger le Gouvernement à demander au Parlement de déclarer le caractère public d'un établissement. Il croit que cela rendrait service et que le Conseil d'Etat serait heureux que le Conseil Constitutionnel apporte quelque précision dans ce domaine.

M. le Président C

daction des décisions du Conseil. "Cette manière de rédiger sous forme d'arrêt de règlement me chiffonne pas mal - dit-il T Mais je ne veux pa^prolonger la discussion. Je m'abstiendrai".

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M. Patin demande si on ne pourra.it pas fusionner les 2ème et 3ème considérants.

M. le Président Léon Noël craint qu'on ne désé- quilibre la rédactionT'très prudente" de M. le Rapporteur

M. Patin déclare partager les craintes de M. le Président Coty.

M. Cassin estime que le Conseil - qui a plus de deux ans d'existence - ne doit pas avoir peur de montrer "une certaine maturité". Il craint que si la procédure de création des établissements publics est trop longue et trop complexe, on ne préfère recourir à la constitu- tion de sociétés d'économie mixte.

M. le Président Léon Noël déclare : "C'est une décision de principe; ce n'est pas un arrêt de règlement - procédure abandonnée à juste raison à l'époque révo- lutionnaire .

Quel est notre rôle ? C'est de délimiter la fron- tière de l'article 34. Or, lorsqu’une commission de dé- limitation opère, il faut bien qu'elle pose quelques principes".

M. le Président Coty admet qu'il ne s'agit pas d'un arrêt de règlement. "Mais, dit-il, nous prenons une position différente de celle qui a été adoptée pré- cédemment. Je n'y suis pas hostile par principe. Mais, en l'espèce, nous sommes pris de court. Il est peut-être imprudent de modifier notre jurisprudence au pied levé".

M. le Président Léon Noël répond qu'il ne s'agit pas pour M. le Rapporteur "d'une modification au pied levé".

M. le Président Coty croit que le dernier alinéa se suffit à lui-même. "Quant au reste, dit-il, si ce n'est pas nécessaire, il vaut mieux ne pas le dire.. Peut-être pourrions-nous modifier notre mode de rédac- tion un autre jour, dans une autre affaire, alors que nous aurions été prévenus".

M/ le Rapporteur estime au contraire qu'à l'occa- sion de cette "petite affaire", il est bon de préciser certaines notions.

- 17 -

M. le Président Léon Noël est d'accord que "le Conseil doit être très prudent, dans l'avenir".

Il met aux voix le projet de décision de

M. le Rapporteur, qui est adopté (M. le Président Coty et M. Chatenet s'abstiennent)

Après la fin du débat sur la 3ème affaire soumise à l'examen du Conseil, la séance est levée à 18 heures.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.