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PV1961-10-18

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

SEANCE du 18 OCTOBRE 1961

La séance est ouverte à 10h.30.

M. PASTEUR VALLERY-RADOT est excusé.

Le Conseil - qui a été saisi le 16 octobre par

M. le Président de 1'Assemblée Nationale dans les conditions prévues à l'article 41 de la Constitution - examine d'abord les dispositions d'un amendement présenté par M. BOSCARY- MONSSERVIN à un projet de loi relatif à la fixation des prix agricoles.

Le rapporteur est M. CASSIN.

Après débat, le Conseil considère que le Chef du Gouvernement pouvait opposer l'irrecevabilité de l'article 41 à l'amendement en question dès lors que celui-ci, n'ayant pas encore été soumis au vote de 1'Assemblée, était toujours en cours de discussion et ce, malgré le vote préalable d'un sous-amendement. ’

Il décide ensuite que ledit amendement n'entre pas dans le domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution.

Il est ensuite procédé, à la demande de M. le Premier Ministre et par application de l'article 37 alinéa 2, à l'examen du caractère réglementaire ou législatif des dis- positions de l'alinéa 1er de l'article 398 du Code Rural, définissant les règles relatives à l'emploi de la somme perçue à l'occasion de la délivrance du permis de chasse.

Le rapporteur est M. LE COQ DE KERLAND.

Le Conseil constate le caractère réglementaire des dispositions précitées.

La séance est levée à 12h.5O.

Les originaux des décisions demeureront annexés au présent compte-rendu.

SEANCE du 18 OCTOBRE 1961

La séance est ouverte à 10h.30.

M. PASTEUR VALLERY-RADOT est excusé.

Le Conseil - oui a été saisi le 16 octobre nar M. le Président de 1'Assemblée Nationale dans les conditions prévues à l'article 41 de la Cons- titution - examine d'abord le caractère réglementaire ou législatif des dispositions d’un amendement n° 7 (présenté nar M. BOSCARY-MONSSERVIN au nom de la Commission de la Production) à T'article 2 du projet de loi sur la fixation des nrix agricoles.

Cet amendement est ainsi conçu :

"Les prix des moyens de nroduction sont cons- tatés contradictoirement nar les services de 1’ Institut National de la Statistique et ceux des organisations professionnelles agricoles.

"La rémunération du travail d’exécution et de direction est appréciée au tarif moyen (ouvriers et cadres) d’anrès les déclarations des salaires des entreprises agricoles de toute nature.

"L’intérêt des capitaux investis est fixé selon la moyenne des intérêts proposés pour les emprunts contractés au cours de la période du 1er juillet au 30 juin de l’année précédente nar l'Etat, les collectivités publiques et les entreprises natio- nalitées.

"Les incidences des charges sociales et pro- fessionnelles doivent être incluses dans les élé- ments des coûts de production.

"La commission prévue à l'article 3 ci-dessous devra donner son avis sur la pondération des coef- ficients à faire intervenir entre les divers élé- ments des coûts de production."

Le rapporteur est M. GASSIN.

I - Celui-ci résume d'abord les débats de la séance du 12, octobre. (1) au cours de laquelle le Gouvernement, ayant opposé l'irrecevabilité à l'amendement, le Prési- dent de 1'Assemblée Nationale a saisi le Conseil Cons- titutionnel.

a/ Il constate que, dès le dépôt de l'amendement, le Ministre de 1'Agriculture a fait des réserves sur le caractère législatif de son contenu, estimant que "les définitions" qui y figuraient, entraient dans le domaine réglementaire; qu'il a dès lors déposé un amendement n° 36 qui, "sans entrer dans le détail de mécanismes ne re- levant pas du pouvoir législatif", prévoyait néanmoins la consultation des intéressés,et qui était ainsi conçu : "Les prix des moyens de production sont fixés d'après les éléments fournis par l'institut National de la Sta- tistique et après consultation des organisations pro- fessionnelles agricoles".

b/ M. le Rapporteur expose qu'à ce moment du débat, deux sous-amendements à l'amendement Boscary-Monsservin ont été déposés, l'un par M. Poudevigne, l'autre par M. Barniaudy; tous deux ont fait l'objet d'un débat et d'un vote; le second a été adopté.

c/ L'Assemblée s'apprêtait alors à voter sur l'a- mendement Boscary-Monsservin, lorsque le Ministre a invoqué l'article 41 de la Constitution et a déclaré qu'il considérait le texte comme irrecevable.

d/ Le Président de l'Assemblée a fait savoir qu'il considérait que "l'exception d'irrecevabilité n'était pas fondée,alors surtout qu'elle n'avait été soulevée qu'après la discussion des sous-amendements et l'adop- tion de l'un d'eux" et qu'il appartenait au Conseil Constitutionnel de statuer.

e/ Le Premier Ministre a répondu qu'il ne pouvait accepter l'argumentation "selon laquelle, puisque le Gouvernement a accepté la discussion de sous-amendements, il ne pouvait plus faire usage de l'article 41 de la Constitution".

(D

J.O. Débats A.N. p. 2510

II - M. le Rapporteur considère que deux problèmes se posent en l'espèce :

- le problème du caractère législatif ou réglementaire de l'amendement et un problème de procédure qu'il con- vient d'examiner préalablement : l'irrecevabilité pré- vue à l'article 41 de la Constitution pouvait-elle etre invoquée par Te Gouvernement à l'égard d'un amendement, alors que deux sous-amendements avaient été mis aux voix et que l'un d'entre eux avait été adopté ?

M. le Rapporteur croit que l'article 41 était applicable. Il rappelle les termes de ce texte : "S'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38, le Gouvernement peut opposer 1'irrecevabilité.

En cas de désaccord entre le Gouvernement et le Président de l'assemblée intéressée, le Conseil Cons- titutionnel, à la demande de l'un ou de l'autre, statue dans un délai de huit jours".

Il donne lecture ensuite de l'article 27 de la loi organique sur le Conseil Constitutionnel, ainsi conçu : "Au cas prévu par le deuxième alinéa de l'ar- ticle 41 de la Constitution, la discussion de la pro- position de loi ou de l'amendement auquel le Gouver- nement a opposé l'irrecevabilité est immédiatement suspendue.

L'autorité qui saisit le Conseil Constitutionnel en avise aussitôt l'autorité qui a également compétence à cet effet, selon l'article 41 de la Constitution".

Il précise enfin que l'article 93 du Règlement de 1’Assemblée Nationale est ainsi rédigé :

"1.- Lorsqu'avant le commencement de la discussion en séance publique d'une proposition ou d'un amendement, le Gouvernement leur oppose l'irrecevabilité tirée de l'article 41, alinéa 1er, de la Constitution, le Pré- sident de 1'Assemblée peut, après consultation éven- tuelle du Bureau de 1'Assemblée, admettre l'irreceva- bilité. Dans le cas contraire, il saisit le Conseil Constitutionnel. •

"2.- Lorsque l'irrecevabilité est opposée au cours de la discussion, le Président de l'Assemblée, lorsqu'il préside' Ta séance, peut statuer sur-le-champ.

" 3. - Si le Président de 1»Assemblée ne préside pas la séance ou s'il desïre demander l'avis du Bureau de 1'As- semblée, la séance est suspendue.

"4.- En cas de désaccord entre le Gouvernement et le Président de 1'Assemblée, la discussion de la proposition ou de l'amendement est suspendue."

M. le Rapporteur explique qu'en l'espèce ce sont les § 2 et 3 de l'article 93 qui ont été appliqués. H considère qu'il résulte des trois articles précités que l'irrecevabilité peut être invoquée à l'encontre d'un texte à tout moment de la discussion relative à celui-ci; "il ne peut y avoir de forclusion, dit-il, avant qu'un vote n'intervienne sur l'amendement même car c'est ce vote qui met un terme à la discussion".

M. le Président Léon Noël propose au Conseil d'examiner immédiatement la problème de procédure et demande à M. le Rapporteur de lire la partie du projet de décision qui y est relative.

M, le Rapporteur lit le texte suivant :

"Le Conseil Constitutionnel,

Saisi le 16 octobre 1961 par le Président de 1'Assemblée Nationale, dans les conditions prévues à l'article 41 de la Constitution, d'un amendement n° 7, présenté par le rapporteur de la Commission de la production et des échanges au nom de ladite Commission, au projet de loi relatif à la fixation des prix agricoles et auquel le Premier Ministre a opposé l'irrecevabilité visée audit article;

Vu la Constitution, notamment ses articles 34, 37, 41 et 62;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 27, 28 et 29;

En ce oui concerne la procédure selon laquelle a été soulevée 1 * exception d'irrecevabilité dont il s ¹ agit :

Considérant qu'il ressort des débats de la séance du 12 octobre 1961 à 1'Assemblée Nationale au cours de laquelle a été présenté l'amendement litigieux, que le Président de cette assemblée a estimé que "l'exception d’irrecevabilité n'était nas fondée, alors surtout qu'elle n'avait été soulevée qu'après la discussion de sous-amendements et l'a- doption de l'un d'eux":

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 41 de la Constitution, comme d'ailleurs de celles de l'article 93 du Règlement de 1'Assem- blée Nationale, que le Gouvernement peut à tout mo- ment, au cours de la procédure législative, opposer l'irrecevabilité à tout amendement qu'il estime ne pas être du domaine de la. loi: qu'en l'espèce, il est constant que si deux sous-amendements à l'amen- dement litigieux ont été discutés et mis aux voix avant que le Premier Ministre ne soulevât l'irrece- vabilité dudit amendement, celui-ci n'avait pas en- core été soumis au vote de l'assemblée et était donc, alors, en cours de discussion; que le Chef du Gou- vernement a pu, dès lors, valablement se Prévaloir, à ce stade de la procédure, des dispositions de l'ar- ticle 41 de la Constitution;...."

M. Le Coq de Kerland demande ce que devient le sous-amendement voté.

M. le Rapporteur répond que si l'amendement principal est rejeté, "il tombe".

M. le Président Coty déclare que M. Le Coq. de Kerland "vient de soulever un point très important". "Dans un débat, dit-il, on discute d'abord les sous- amendements, puis les amendements, puis le texte. Si un amendement est rejeté par 1'Assemblée Nationale, les sous-amendements tombent. Mais, en l'espèce, est-ce que le Gouvernement peut considérer comme nul le vote inter- venu sur un sous-amendement ?"

M/ le Rapporteur répond que ce n'est pas le Gouvernement qui en décide ainsi mais la Constitution.

M. 1P Président Léon Noël précise que "le sous- amendement tombe car l'amendement ne pouvait pas venir en discussion".

M. le Président Coty demande si l'irrecevabilité pouvait être invoquée alors qu'un vote était intervenu.

M. Chatenay considère qu'on ne peut tenir compte du vote sur le sous-amendement si le vote de l'amende- ment n'intervient pas,.car le sous-amendement tout seul n'a pas de sens.

M. le Président Coty constate que le Gouverne- ment a laissé le débat s'engager et qu'un vote est in- tervenu. "Est-ce que le Gouvernement, dit-il, ne devait pas arrêter le débat avant tout vote ?"

M. le Rapporteur répond que "tout le pro- blème est là". Il observe toutefois que les textes ne disent pas qu’il faut opposer l'irrecevabilité "au mo- ment où s'engage la discussion" - mais qu'on peut le faire "au cours de la discussion".

M, Le Coq de Kerland estime de la discussion avant le vote.

qu'il s'agit

ni le vote ni sont intervenus.

M. le Rapporteur répond que même la discussion sur l'amendement ne

M. le Président Léon Noël répond que l'ar- gument de M. Chatenay - selon lequel le seul texte du sous-amendement n'a aucun sens - est irréfutable.

M. Le Coq de Kerland l'admet. "Il est évident, dit-il, que le sous-amendement Barniaudy qui se réduit au mot "fiscales" ne se suffit pas à lui-même. Mais si on l'a voté, c'est qu'on a voulu voter l'amendement".

M. le Président Léon Noël n'est pas d'accord "car, dit-il, j'aurais pu voter pour le sous-amendement en pendant atténuer la portée de l'amendement au cas où oelui-ci serait voté ensuite".

M. Le Coq de Kerland considère que de toutes

manières "la situation n'est plus entière".

M. le Président Coty déclare n'être nas très convaincu par 1'argumentation de M. le Rapporteur.

M. Gilbert-Jules juge "extraordinaire" que le Gouvernement n'ait pas invoqué l'article 41 dès le début de la discussion :

"1°/.Il connaissait, dit-il, le texte de l'amendement avant que le débat ne commence; il ne peut prétendre avoir été surpris".

2°/ Par ailleurs, il disposait de toute une série d'ar- mes telles que celle de l'article 40 de la Constitution. L'article 41 constitue une procédure exceptionnelle : il est bien précisé dans le texte que le Gouvernement peut opposer l'irrecevabilité; si c'est une possibilité, elle doit être utilisée in limine litis, au cours de la discussion, mais non pas après l'intervention d'un vote."

M._(t) déclare se refuser "à faire de

la stratégie politique", "à considérer si le Premier Ministre a été surpris ou non"."s'il était ou non d'ac- cord avec le Ministre de .l'Agriculture" .

"Nous devons seulement, dit-il, observer la Constitution. Or, celle-ci a assez curieusement laissé la possibilité au Gouvernement d'accepter le vote de lois relatives à des matières de caractère réglementaire; elle aurait pu contraindre le Gouvernement à faire res- pecter l'article 34: elle ne l'a pas voulu; elle lui a donné une latitude très large nour apprécier le moment où il convient d'invoquer le caractère réglementaire d'un texte : Le Gouvernement nourra.it laisser l'Assem- blée voter certaines dispositions de caractère régle- mentaire sans présenter d'objection et soulever l'ir- recevabilité devant le Sénat. Il pourrait laisser le Sénat leur apporter quelques modifications et invoquer l'irrecevabilité devant 1'Assemblée lors de la 2e lecture II, y a plus : Un texte voté par les deux Assemblées pourrait être, dès le lendemain de sa publication au Journal Officiel, soumis au Conseil Constitutionnel en application de l'article 37.

On voit donc que, peut-être sans s'en aper- cevoir, les constituants ont donné au Gouvernement la faculté d'opposer à tout moment le caractère réglemen- taire d'une disposition".

M. le Président Léon Noël ajoute : "Sans parler de l'article 61".

M. Pompidou poursuit : "On pourrait conce- voir que l'irrecevabilité doive être invoquée dès le début. Mais la Constitution est formelle en sens inverse. Je considère que la thèse de M. le ^Rapporteur constitue déjà une limitation des pouvoirs du Gouvernement, car on pourrait très bien imaginer que l'article 41 soit utilisé même au moment du vote. Je ne crois pas que ce serait de la bonne technique politique car cela ressem- blerait au jeu du chat et de la souris mais c'est la Constitution.. Par ailleurs, je suis stupéfait que le problème des sous-amendements puisse se poser et que la procédure d'un vote à 1'Assemblée Nationale se déroule de cette manière".

M. le Président Coty déclare avoir demandé un jour au Président "Buisson les motifs de cette pro- cédure mais n'avoir pas très bien compris l'explication proposée.. Il rappelle que pour éviter toute modificatior du texte des ordres du jour d'interpellation, il était traditionnel d'y insérer la formule finale : "Et renous- sons toute addition". "Après, dit-il, on était bien tranquille; de même que pour éviter que les socialistes ne votent pour un texte, on y ajoutait : "Et réprouvons le collectivisme"."

M. Pompidou ajoute : "Nous savons tous que

la stratégie parlementaire consiste à démolir l'amende- ment par le sous-amendement; on arrive à cette conception que le vote du sous-amendement est conditionnel. On peut dire que toute la stratégie est que la discussion sur l'amendement ne s'ouvre pas tant que se poursuit la dis- cussion sur le sous-amendement.. Dieu sait si les parle- mentaires radicaux étaient habiles dans ce jeu.. Que le sous-amendement ait été adopté ou rejeté n'a aucune im- portance. On voudrait faire dire que la discussion sur l'amendement est close parce qu'il y a eu un vote sur un sous-amendement. Mais cela ne correspond pas à la réalité".

M. le Président Coty répond : "Ce qui me ren- force dans la thèse opposée, c'est que la fin de non- recevoir de l'article 41 est une faculté pour le Gouver- nement. Dès lors que c'est une faculté, il y a une in- compétence relative du Parlement et non absolue; elle doit être soulevée in limine litis. Le Gouvernement neut renoncer expressément ou implicitement à user de cette faculté..

Vous me répondez : il y a un texte.. Mais que dit l'article 41 ? : "S'il apparaît au cours de la procédure législative..."- Je serais tenté de dire : "Quand il apparaît...". Donc, ce n'est pas nécessairement au début que 1'irrecevabilité peut être invoquée, c'est au moment où elle apparaît.. Or, en ce qui concerne l'a- mendement, il est apparu dès le début de la discussion que le Gouvernement le considérait comme réglementaire.

Enfin, il y a le vote. C'est avant le vote que l'article 41 peut s'appliquer et je dirais même : avant tout vote. Car s'il y avait un vote par division, si un vote sur un article 1er intervenait, est-ce qu'il serait mis à néant ? Si un sous-amendement supprimant telle disposition du texte était voté, serait-il sans effet ? Croyez-vous que le Gouvernement puisse dire aux parlementaires : je vous ai laissé discuter; maintenant, halte-là !" et qu'il puisse annuler par sa seule volonté un vote de 1'Assemblée ? Ce serait une inconvenance..

Vous dites : "La Constitution permet cela"; or, elle est très bien faite et elle attribue seulement au Gouvernement une faculté.

Vous avez donné un argument qui parait militer très fort en faveur de la thèse opposée à la vôtre : Vous avez indiqué toutes les possibilités qu'avait encore le Gouvernement après avoir laissé voter un texte. Vous avez dit : "Il peut encore devant le Sénat opposer l'ir- recevabilité; après tous les votes, il peut encore appli- quer l'article 37". Et quand il a toutes ces armes, il irait faire quelque chose de choquant, il laisserait voter 1'Assemblée pour annuler ensuite son vote - cela me paraîtrait - excusez l'expression - un peu fort de café".

M. le Président Léon Noël présente trois obser- vations :

- I⁰/ Il croit que l'intention du Gouvernement de con- sidérer le texte comme réglementaire n'était cas douteuse dès le début puisque M. Pisani a déclaré : "Le Gouverne- ment ne peut pas accepter que soient données dans le tex- te de telles définitions qui entrent dans le domaine ré- glementaire". M. le Président Léon Noël pense que le Ministre a peut-être voulu "ménager" 1'Assemblée en lais- sant se poursuivre le débat et qu'il a attendu l'arrivée du Premier Ministre pour demander confirmation de son point de vue.

- 2°/ Il considère.qu'il n'est pas de l'intérêt des dé- putés que le Gouvernement laisse voter un texte à 1'As- semblée et inVoque ensuite l'article 41 devant le Sénat ou l'article 37; qu'il est préférable qu'il utilise l'ar- ticle 41 au cours de la discussion à 1'Assemblée.

- 3°/ Il pense qu'étant donné la rédaction de l'article 27 de la loi organique,aux termes de laquelle "la dis- cussion... de l'amendement... est immédiatement suspen- due", il n'y a pas de doute que le Gouvernement peut appliquer l'article 41 tant que celle-ci n'est pas ter- minée .

M. Michard-Pellissier a une opinion "proche de celle de M. le Président Coty". Il estime que "s'il ap- paraît" signifie "lorsqu'il apparaît". "Or, dit-il, s'il apparaissait au Ministre de 1'Agriculture, dès le début de la discussion, que le texte était réglementaire, il lui appartenait alors d'opposer l'article 41. Ne le fai- sant pas dès ce moment, il renonçait à son application ultérieure".

M. Pompidou considère que M. Michard-Pellissier vient de s'exprimer en "civiliste". "En droit civil, dit- il, on peut imaginer de renoncer à un droit. Mais le Ministre ne peut pas le faire".

10

M. Patin déclare "avoir quelque peine à suivre le débat". Il lui paraît néanmoins que l'argument selon lequel le Gouvernement ne pourrait pas utiliser l'arti- cle 41 après le vote d'un sous-amendement "ne lui paraît guère acceptable".

"En effet, dit-il, à quel moment l'amendement aura-t-il sa forme définitive : c'est après le vote dés sous-amendements. S'il apparaît au Gouvernement qu'un amendement a le caractère réglementaire, à quel moment le Gouvernement va-t-il se décider à en faire état : s'il y a des sous-amendements, il faut d'abord qu'il les laisse voter pour que l'amendement prenne sa forme. Il laisse donc se dérouler la discussion et il soulève l'irrecevabilité ensuite.

Je ne suis nas choqué par la méthode du Gou- vernement et je ne crois nas qu'elle soit choquante pour le Parlement. On peut la comprendre".

M. le Rapporteur déclare avoir écouté avec

beaucoup d'attention les différentes interventions.

En ce qui concerne la procédure de vote adop- tée par 1'Assemblée Nationale et qui peut paraître "ab- surde", il a constaté qu'elle était utilisée dans plu- sieurs pays étrangers : elle s'expliquerait, selon lui, par la crainte que si l'on votait d'abord sur le texte de l'amendement, les sous-amendements ne puissent plus ensuite être soumis au vote, car ils apparaîtraient comme "non viables".

"Mais - dit-il - la question qui se pose est de savoir si oui ou non le Gouvernement a opposé l'ir- recevabilité "au cours de la discussion". On aurait pu prévoir dans les textes qu'il devrait le faire au com- mencement de la discussion. Mais on a écrit : "au cours de la discussion". Oela veut dire : jusqu'à la fin de la discussion; jusqu'au moment où le Président dit : la discussion est close. Il faudra répondre dans la déci- sion à la question de savoir si l'irrecevabilité est opposable au cours de la discussion : je serais bien gêné si le Conseil disait non".

M. le Président Coty demande de quelle dis- cussion il s'agit. ” '

, M. le Rapporteur : "De celle de l'amendement".

-ï. le Président Coty : "Mais non",.

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M. le Président Léon Noël considère que le Conseil est suffisamment éclairé. Il met aux voix la question suivante : "Le Gouvernement avait-il, en l’es- pèce, le pouvoir d'appliquer l'article 41 de la Cons- titution ?"

Le Conseil répond par l'affirmative à la majorité de 5 contre 4 (Ont voté contre : M.le Président Coty, M. Le Coq de Kerland, M. Gilbert-Jules et M. Mi- chard-Pellissier) .

M. le Rapporteur rappelle les termes de son projet de décision :

.’^En ce c|ui concerne la procédure selon laquelle a été soulevee l'exception d'irrecevabilité dont il s'agit :

Considérant qu'il ressort des débats de la séance du 12 octobre 1961 à 1'Assemblée Nationale au cours de laquelle a été présenté l'amendement litigieux, que le Président de cette assemblée a estimé que "l'exception d'irrecevabilité n'était pas fondée, alors surtout qu'elle n'avait été sou- levée qu'après la discussion de sous-amendements et l'adoption de l'un d'eux";

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 4q de la Constitution, comme d'ailleurs de celles de l'article 93 du Règlement de 1'Assemblée Nationale, que le Gouvernement peut à tout moment, au cours de la procédure législative, opposer l'ir- recevabilité à tout amendement qu'il estime ne pas être du domaine de la loi; qu'en l'espèce, il est constant que si deux sous-amendements à l'amendement litigieux ont été discutés et mis aux voix avant que le Premier Ministre ne soulevât l'irrecevabilité dudit amendement, celui-ci n'avait pas encore été soumis au vote de l'assemblée et était donc, alors, en cours de discussion; que le Chef du Gouvernement a pu, dès lors, valablement se prévaloir, à ce stade de la procédure, des dispositions de l'article 41 de la Constitution; ..."

M. le Président Coty souhaiterait que le texte mette bien en relief les motifs qui ont déterminé l'opinion de la majorité des membres du Conseil. Dans le 2e considérant, les mots "à tout moment" lui parais- sent insuffisants.

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M. le Rapporteur propose d’y substituer la formule 7 "jusqu’à la fin de la discussion".

M. le Président Coty suggère l’expression : "tant que la discussion de cet amendement n’est pas close" - ce qui est adopté.

M. Gilbert-Jules se demande si le 1er con- sidérant est nécessaire, étant donné que le Président de 1'Assemblée Nationale aurait pu ne pas invoquer, dans sa lettre de saisine, le problème de procédure et que le Conseil aurait eu à rechercher d’office si l'article 41 était applicable.

M. le Président Coty croit qu'"il ne serait pas séant d'ignorer ce qu'a dit le Président de 1'As- semblée Nationale".

M. le Président Léon Noël estime que la rédaction de M. le Rapporteur est "plus claire et plus courtoise" et propose au Conseil de l'adopter.

Il en est ainsi décidé.

- Dans le 2e considérant, M. le Président Coty souhaiterait que l'on fasse état de l'argument de M. Pompidou selon lequel le Gouvernement pourrait utiliser l'article 41 devant le Sénat ou en deuxième lecture devant 1'Assemblée Nationale. Mais il recon- naît que cette addition n'a d'intérêt que si sa portée apparaît clairement - ce qui pose un difficile pro- blème de rédaction.

En définitive, le Conseil adopte le texte de M. le Rapporteur avec une légère modification de pure forme.

*

* *

L'examen de la question de procédure étant ainsi terminé, M. le Président Léon Noël propose au Conseil de passer à l'examen au fond, c'est-à-dire de déterminer si le contenu de l'amendement Boscary- Monnservin est de nature législative ou réglementaire.

M. le Rapporteur rappelle d'abord que le

8 septembre 1961, le Conseil Constitutionnel, statuant sur une proposition de loi Blondelle ( tendant à dé- terminer les conditions suivant lesquelles seront

-In-

fixés par décret les prix d'objectif de certains produits agricoles) s'exprimait ainsi :

"...Considérant que l'ensemble de ces disposi- tions constitue une intervention du législateur dans une matière qui n'est pas au nombre de celles réser- vées à sa compétence par l'article 34 de la Constitu- tion;

Considérant en effet que, si l'article 34 réserve à la loi la détermination des principes fon- damentaux du régime de la propriété et des obligations civiles, ceux de ces principes qui sont ici en cause, à savoir la libre disposition de son bien par tout propriétaire, l'autonomie de la volonté des contrac- tants et l'immutabilité des conventions, doivent être appréciés dans le cadre des limitations de portée gé- nérale qui y ont été introduites par la législation antérieure à la Constitution en vue de permettre cer- taines interventions jugées nécessaires de la puis- sance publique dans les relations contractuelles entre particuliers; que, s'agissant de la matière des prix, la portée des principes sus-rappelés doit s'analyser compte tenu du pouvoir très général d'établissement des prix reconnu au Gouvernement depuis l'ordonnance du 30 juin 1945; que c'est dans le cadre de cette compétence réglementaire, consacrée par la loi du 17 août 1948, qu'un décret du 18 septembre 1957 avait déjà institué un régime des prix d'objectifs agricoles qui a subi depuis diverses modifications et auquel les dispositions de la proposition de loi présentement examinée ne feraient qu'apporter de nouveaux aménage- ments; ..."

Or, M. le Rapporteur constate que l'amen- dement Boscary-Monsservin n'est que la reproduction de l'article 6 de la proposition Blondelle. Il estime qu'il doit donc être considéré, pour les mêmes motifs, comme ayant le caractère réglementaire.

"Le Parlement, dit-il, a le pouvoir d'éta- blir les méthodes de calcul des prix mais non pas les modalités d'application de ces méthodes. Il doit laisser au Gouvernement une liberté d'option, une marge d'appréA dation, sinon il parvient à fixer lui-même les prix - ce qui n'est pas conforme à l'article 34. Il y a une limite qu'on ne peut pas dépasser. Il convient de conci- lier les pouvoirs du Parlement qui consistent à fixer les principes fondamentaux et les méthodes avec ceux du

- 14 -

Gouvernement à qui il appartient de fixer les prix. Le Parlement sort de son pouvoir s’il établit une réglemen- tation des modalités d'application si précise que le Gouvernement s'y trouve emprisonné."

M. Gilbert-Jules considère que lor s qui il est prévu qu'une Commission donne son avis sur la pon- dération des coefficients, la liberté du Gouvernement reste entière.

M. le Rapporteur répond que prévoir, par exem- ple, que "la rémunération du travail d'exécution est appréciée d'après les déclarations des salaires.." ne laisse pas le plus petit pouvoir d'appréciation au Gou- vernement. Il rappelle que l'amendement préparé par le Gouvernement lui laissait au contraire un tel pouvoir.

M. le Président Léon Noël observe que le texte reprend la proposition Blondelle sur laquelle le Conseil a déjà statué.

M. le Rapporteur remarque que, sur proposition du Conseil d'Etat, il a été prévu dans l'article 34 que celui-ci pourrait être complété et précisé. Mais, il croit que dans l'état actuel du texte, on doit maintenir la distinction entre les méthodes et leurs modalités d'ap- plication.

M. le Président Léon Noël demande aux membres du Conseil de voter sur le caractère réglementaire de l'amendement. Le Conseil émet un vote favorable.

M. le Rapporteur donne lecture de la partie du projet de décision qui est relative à l'examen au fond et qui est ainsi conçue :

I!

Sur le caractère de l'amendement litigieux au regard de l'article 34 de la Constitution :

"Considérant que cet amendement tend à fixer, jusque dans leurs modalités d'application, les méthodes d'établissement des références servant de base à la révision des prix d'objectifs agricoles en déterminant les différents facteurs des coûts de production à re- tenir comme éléments constitutifs de ces références et en prévoyant la procédure selon laquelle seront pondérés ces divers éléments;

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"Considérant qu’un tel amendement, pour les motifs que le Conseil Constitutionnel a déjà eu l’occasion de relever lors de l'examen d’une pro- position de loi dont l'une des dispositions avait un objet semblable, constitue une intervention du législateur dans la matière des prix qui n’est pas au nombre de celles réservées à sa compétence par l’article 34 de la Constitution;..."

M» Gilbert-Jules désirant que l’on réponde plus nettement aux arguments qu’il a présentes, demande que l'on insère dans le 1er considérant, après "déter- minant"- les mots 1 "d’une manière impérative". Il en est ainsi décidé.

L’ensemble du projet de décision est ainsi adopté.

M» le Président Léon Noël demande alors au Conseil de bien vouloir' ex^misaer, en application de l’article 37 de la Constitution et à la demande de M, le Premier Ministre, le caractère réglementaire ou lé- gislatif des dispositions du £ Il de l’article 75 de 1’ordonnance du 30 décembre 1958 portant loi de finan- ces pour T559 Tanticie 398 al. 1er du Code Rural); ces dispositions définissent les règles relatives, à l'emploi de la somme perçue à l'occasion de~la ieïivTuice du permis de chasse.

Le rapporteur est Le Coq de Kerland

(Rapport joint au présent compte-rendu). '

Après un débat extrêmement bref, le Conseil constate le caractère réglementaire des dispositions précitées «

U, Gilbert-cules propose une addition au

2e considérant du projet de décision - qui est adoptée.

- La séance est levée à 12 h.50.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.