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PV1962-01-16

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

SEANCE du 16 JANVIER 1962

La séance est ouverte à 10h.30.

Tous les membres du Conseil sont présents.

Le Conseil, saisi par M. le Premier Ministre en application de l'article 37 alinéa 2 de la Constitution, examine la nature juridique des dispositions de l'article 31 alinéa 2 de la loi d * orientation agricole du 5 août I960 - qui prévoient que : "Dans le cas où la politique agricole commune n'aurait pas reçu au 1er juillet 1961 un commencement d’exécution suffisant, le Gouvernement déposera un projet de loi déterminant les conditions sui- vant lesquelles seront fixés par décret les prochains prix d'objectifs".

Le rapporteur est M. GASSIN.

Après débat, le Conseil décide qu'il n'y a lieu de se prononcer sur la demande présentée par le Premier Ministre, en considérant en particulier que l'autorité de ses décisions "s'attache non seulement à leur dispo- sitif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien né- cessaire et en constituent le fondement même"; et qu'il a déclaré dans un motif essentiel d'une décision du 8 septembre 1961 que"les dispositions de l'article 31 al.2 ne sauraient prévaloir sur celles des articles 34 et 37 de la Constitution et fournir un fondement suffisant à la compétence du législateur en matière de prix".

La séance est levée à 12h.45.

L'original de la décision demeurera annexé au présent compte-rendu.

Séance du 16 Janvier 1962

La séance est ouverte à 10 h.30.

Tous les membres du Conseil sont présents.

Le Conseil, saisi par Monsieur le Premier Ministre en application de l'article 37 alinéa 2 de la Constitution, examine la nature juridique des dispositions de l'article 31 alinéa 2 de la loi d'orientation~âgricole (n^(a) 60-808) du 5 août 1960 - qui prévoient que : "Dans le cas où la politiqut agricole commune n'aurait pas reçu au 1er juillet 1961 un commencement d'exécution suffisant, le Gouvernement déposera un projet de loi déterminant les conditions suivant lesquelles seront fixés par décret les prochains prix d'objectifs".

Le rapporteur est M. CASSIN.

I.- Celui-ci considère que la demande du Premier Ministre "constitue un nouvel épisode du différend politique qui sépare le Gouvernement et le Parlement, au sujet du rôle respectif des pouvoirs législatif et réglementaire dans la fixation des prix agricoles".

Il rappelle quels furent les aspects successifs de ce conflit :

a) En conformité avec l'article 31 de la loi d'orienta- tion agricole, une proposition de loi fut déposée au Sénat par M.'BLONDELLE en juillet 1961 - qui avait pour objet de déterminer les conditions suivant lesquelles seraient fixés par décret les prix d'objectif de certains produits agricoles.

Son contenu fut considéré comme irrecevable par le

Gouvernement et le Président du Sénat appliquant l'article 41 de la Constitution, saisit le Conseil Constitutionnel. Celui-ci déclara, par une décision du 8 septembre 1961 que la proposition BLONDELLE n'entrait pas dans le domaine réservé à la loi par la Constitution ; cette décision se fondait en particulier sur des motifs ainsi rédigés :

" Considérant que l'ensemble de ces dispositions constitue une intervention du législateur dans une matière qui n'est pas au nombre de celles réservées à sa compétence par l'article 34 de la Constitution ;

Considérant en effet que, si l'article 34 réserve à la loi la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles, ceux de ces principes qui sont ici en cause, à savoir la libre disposition de son bien par tout propriétaire, l'autonomie de la volonté des contractants et l'immutabilité des conventions doivent être appréciés dans le cadre des limitations de portée générale qui y ont été introduites par la législation antérieure à la Constitution en vue de permettre certaines interventions jugéef nécessaires de la puissance publique dans les relations contractuelles entre particuliers ; que, s'agissant de la matière des prix, la portée des principes sus rappelés doit s'analyser compte tenu du pouvoir très général d'établisse- ment des prix reconnu au Gouvernement depuis l'ordonnance du 30 juin 1945 ; que c'est dans le cadre de cette compétence réglementaire, consacrée par la loi du 17 août 1948, qu'un décret du 18 septembre 1957 avait déjà institué un régime des prix d'objectifs agricoles qui a subi depuis diverses modifi- cations et auquel les dispositions de la proposition de loi présentement examinée ne feraient qu'apporter de nouveaux aménagements

Considérant enfin que, si l'article 31 de la loi d'orien- tation agricole dispose, dans son second alinéa que "dans le cas où la politique agricole commune n'aurait pas reçu au 1er juillet 1961 un commencement d'exécution suffisant, le Gouvernement déposera un projet de loi déterminant les condi- tions suivant lesquelles seront fixés par décret les pro- chains prix d'objectifs", cette disposition, dont le Conseil Constitutionnel n'a pas eu, avant sa promulgation, à appré- cier la conformité à la Constitution, ne saurait prévaloir sur celles des articles 34 et 37 de la Constitution et fournir un fondement suffisant à la compétence du législateur en matière de prix "

b) En application de l'article 31 de la loi d'orienta- tion agricole, le Gouvernement déposa, le 19 septembre 1961, un projet de loi sur les prix agricoles. Devant 1'Assemblée Nationale, un amendement à ce projet fut présenté par M. BOSCARY-MONSSERVIN ; cet amendement fut jugé irrecevable par le Premier Ministre ; le Président de 1'Assemblée National saisit en conséquence, conformément à l'article 41 de la Constitution, le Conseil Constitutionnel qui, dans une décision du 18 octobre 1961, constate que le contenu de l'amer dement n'entrait pas dans le domaine réservé à la loi, en déclarant dans ses motifs :

" Considérant que cet amendement tend à arrêter, jusque dans leurs modalités d'application, les méthodes d'établis- sement des références servant de base à la fixation dtf£ prix d'objectifs agricoles en déterminant d'une manière impérative les différents facteurs des coûts de production à retenir comme éléments constitutifs de ces références et en imposant la procédure selon laquelle seront pondérés ces divers éléments ;

Considérant qu'un tel amendement, pour les motifs que le Conseil Constitutionnel a déjà relevés dans sa décision du 8 septembre 1961 relative à une proposition de loi dont l'une des disposition^avait un objet identique, constitue une intervention du législateur dans la matière des prix qui n'est pas au nombre de celles réservées à sa compétence par l'article 34 de la Constitution".

A la suite de cette décision, 1'Assemblée Nationale rejeta l'ensemble du texte.

c) Le Gouvernement déposa le 27 novembre 1961 un nou- veau projet de loi sur les prix agricoles qui fut rejeté par le Sénat en 2° lecture le 15 décembre.

d) En présence de ce deuxième échëc et vu la date loin- taine de l'ouverture de la session parlementaire d'avril, le Gouvernement fit connaître qu'il était impossible de retarder davantage la règlementation des conditions de fixation des prix agricoles et cette fixation elle-même : il rédigea en conséquence un projet de décret dont le contenu était inspiré par le dernier texte voté par 1'Assemblée Nationale et qui fut soumis au Conseil d'Etat.

Celui-ci, refusant d'entrer dans l'examen au fond du projet, émit, le 21 décembre 1961, l'avis suivant :

" Le Conseil d'Etat (section des Travaux Publics), saisi d'un projet de décret sur les prix agricoles qui reprend exac- tement dans son texte les dispositions d'un projet de loi adopté par 1'Assemblée Nationale et repoussé par le Sénat, a constaté que ce projet de loi avait été déposé par le Gouver- nement en exécution de l'obligation qui lui en avait été faite par l'article 31 de la loi du 5 août 1960 d'orientation agricole.

Le Conseil ne s'estime pas autorisé, dans ces condi- tions, à procéder à l'examen du projet de décret qui lui est soumis tant que le Conseil Constitutionnel n'aura pas reconnu le caractère réglementaire de la disposition contenue dans l'article 31 de la loi du 5 août I960 prévoyant l'intervention d'une loi et qu'un décret ne sera pas intervenu, à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel, pour modifier ladite disposition et pour confier à un texte réglementaire la déter- mination des conditions suivant lesquelles seront fixés par décret les prochains prix d'objectifs

e) Cet avis a provoqué la saisine du Conseil Constitu- tionnel par le Premier Ministre le 8 janvier 1962 - en appli- cation de l'article 37 de la Constitution.

II. - M. le Rapporteur se propose d'examiner quelle est la "nature juridique" des dispositions de l'article 31 alinéa 2 de la loi d'orientation agricole, au regard de l'article 34 de là Constitution.

a) Il remarque d'abord que ce texte est ainsi rédigé : "Le Gouvernement déposera un projet de loi" et qu'il ne précise pas : "Une loi, prise sur l'initiative du Gouvernement, déter- minera les conditions "Or, dit-il, le Gouvernement a

déposé non pas un seul, mais deux projets de loi à ce sujet. On peut, dès lors, se demander si ^article 31 n'a pas épuisé ses effets et s'il a encore à être appliqué §&sl^(a) l^(ettre)

c'est incontestable ; en l'esprit, je n'en suis pasucertain

Cette distinction entre l'obligation de déposer un projet de loi et celle d'obtenir le vote d'une loi a déjà été utilisée dans la procédure des décrets-lois, qui est prévue actuellement par l'article 38 de la Constitution. Mais il convient d'observer que ni le Gouvernement ni le Conseil d'Etat n'ont fait état de cet argument.... Le Conseil Constitutionnel pourrait-il le soulever d'office ? Aurait-il plénitude de juridiction pour constater que les effets de l'article 31 sont épuisés ? Pour ma part, je le crois. Mais je ne suis pas sûr qu'il serait oppor- tun que notre juridiction soulève ce problème car le Gouvernement ne l'a pas fait et que cela pourrait apparaître comme une solu- tion de facilité. "

b) Le Gouvernement, poursuit M. le Rapporteur, propose au Conseil trois solutions. Là première consisterait à reconnaî- tre un caractère pleinement réglementaire à la disposition soumise au Conseil en constatant que, bien qu'elle se borne à fixer une règle de procédure, elle participe nécessairement du caractère réglementaire de la matière des prix à laquelle elle se rapporte.

Mais il y a lieu d'observer que ce texte ne contient en lui-même aucune réglementation au fond de la matière des prix.... C'est en réalité une proposition de résolution du Parlement, en la forme législative ; elle intéresse les rap- ports du Parlement et du Gouvernement ; il est impossible d'ei éliminer le Parlement pour en faire un acte du pouvoir réglementaire.

c) La seconde solution serait de ne reconnaître le caractère règlementaire de l'article 31, alinéa 2 de la loi du 5 août 1960 qu'en tant que ce texte concerne les conditions de fixation des prix d'objectifs agricoles, qui peuvent être tenues pour une matière réglementaire.

On pourrait en effet considérer que le rôle du Parlement est de fixer les conditions générales, les princi- pes à suivre pour la détermination par décrets des prochains prix d'objectifs (par exemple les deux buts de la rentabilité de l'exploitation agricole et de la parité économique entre l'agriculture et les autres activités économiques) et que le Gouvernement est responsable de la fixation des modalités de la détermination des prix d'objectifs Le Gouver-

nement serait tout disposé à se contenter, eu égard à sa position politique, d'une déclaration du Conseil Constitu- tionnel qui constaterait seulement le caractère partiellement réglementaire de l'article 31, alinéa 2 en tant que ce texte aurait indûment conféré à la loi, le soin de régler jusque dans leurs modalités les conditions particulières de la détermination par décret des prochains prix d'objectifs et ainsi enchaîner totalement la liberté pour le Gouvernement de fixer ces prix, contrairement à la Constitution...

Mais si poussée que puisse être l'analyse de l'article 31, alinéa 2 de la loi d'orientation agricole, il paraît difficile cependant d'opérer dans les termes simples de son texte, des distinctions et des subdivisions qu'il ne comporte pas et qui pourraient d'ailleurs se trouver elles- mêmes contraires à l¹article 34 de la Constitution, parce que celui-ci a réservé à la loi, la fixation des principes fonda- mentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales et aussi programme^ déterminant les objectifs de l'action économique et sociale de l'Etat".

d) Pour le cas où les deux précédentes solutions ne seraient pas retenues par le Conseil, le Gouvernement solli- cite à titre subsidiaire "toute autre déclaration établis- sant que les dispositions de l'article 31, alinéa 2 de la loi du 5 août 1960, ne fait pas obstacle à l'exercice du pouvoir réglementaire dans la matière de la détermination def conditions de fixation des prix agricoles". Il allègue à l'appui de cette demande que "l'article 31, alinéa 2 doit normalement s’interpréter, au regard des principes constitu- tionnels, comme ne pouvant faire obstacle, sur le plan juri- dique, au libre exercice du pouvoir réglementaire dans un domaine qui lui est propre et qui a été reconnu tel par le Conseil Constitutionnel dans deux précédentes décisions re- latives à la même matière".

M. le Rapporteur constate que "l'on est ici sur un terrain beaucoup plus proche de la vérité juridique que précédemment". Cette solution, dit-il, consiste à rappeler les motifs qui ont servi de fondement aux deux décisions rendues par lui, les 8 septembre et 18 octobre 1961, savoir, d'une part, que la matière des prix n’est pas, en elle-même, au nombre de celles réservées à la compétence du Parlement par l'article 34 de la Constitution ; d'autre part, que la disposition de l'article 31, alinéa 2 de la loi d'orientatior agricole ne saurait prévaloir sur celles des articles 34 et 37 de la Constitution. Or, c'est un "principe général" admis dans notre droit, aussi bien administratif que judiciaire, que l'autorité de la chose jugée s'attache non seulement au dispositif des décisions de justice, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, qui en constituent le

,.,_(u) fondement même ou qui sont indispensables pour en déterminer et en compléter le sens. La jurisprudence du Tribunal/et celle du Conseil d'Etat sont sur ce principe les-mêmes que celle de la Cour de Cassation, rendue notamment dans les domaines où l'autorité de la chose jugée a un caractère absolu... L'arrêt le plus important à cet égard est un arrêt du Conseil d'Etat- Automobiles Berliet-de 1949 (1) qui contient la formule suivante : " Considérant.... que lesdits motifs étant inséparables du dispositif, la contes- tation que soulève 1'Administration se heurte, désormais, à l'autorité qui s'attache à la chose jugée"

(D

C.E. 28 déc. 1949- Sté anonyme des automobiles Berliet-

Dalloz 1950. J. 383. Note Weil-

Sirey 1951. III.1, Conel,Guionin- Note Mathiot-

Le principe de l'autorité de la chose jugée figure certainement au nombre des principes généraux du droit : C'est ce qu'affirment Letourneur dans son article G)et Jeanneau dans sa thèse (2). Le Conseil Constitutionnel ne rend sans doute pas des jugements au sens étroit du mot mais aux termes de l'article 62 in fine de la Constitution : "Ses décisions.... s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles". Le "principe général" dégagé sur l'étendue de l'autorité de 1 chose jugée, doit donc être appliqué aux décisions du Conseil Constitutionnel.

La conclusion de ce rapport est donc que le Conseil / doit invoquer formellement dans l'espèce que l'autorité de la chose décidée précédemment par lui s'attache non seulement aux dispositifs de ses décisions antérieures, mais aussi aux motifs qui en ont été les soutiens nécessaires et que, par suite, le Conseil doit décider qu'il n'y a lieu pour lui de se prononcer sur la demande présentée par le Premier Ministre celle-ci ayant d'ores et déjà fait l'objet de deux décisions.

e) Une difficulté cependant demeure : Si le Conseil se borne à constater qu'il a déjà statué en la matière, on se trouvera en présence d'un article de loi en vigueur puisque le Conseil n'aura déclaré ni que ses effets étaient épuisés ni que ses dispositions avaient un caractère réglementaire. Comment concevoir qu'une loi en vigueur ne puisse être appli- quée ? C'est alors qu'il faut faire intervenir le principe de la hiérarchie des normes, en l'espèce celui de la supério- rité de la loi constitutionnelle sur la loi ordinaire : C'est ainsi qu'a procédé le Conseil d'Etat lorsqu'après la dissolution de 1'Assemblée Nationale en 1955, il a été saisi du problème de la date des élections : Aux termes de l'arti- cle 52 de la Constitution de 1946, celle-ci devaient avoir lieu dans le délai maximum de 30 jours ; en raison des fêtes de fin d'année, il était pratiquement impossible de les faire se dérouler un dimanche ainsi que le prévoyait la loi électorale ; elles furent en définitive fixées au lundi 2 janvier 1956 ; le Conseil d'Etat, dans un avis du 2 décem- bre 1955 avait en effet considéré qu'entre deux textes

(1) Letourneur- "Les principes généraux du droit dans la jurisprudence du

Conseil d'Etat. Etudes et Documents- 1951. p. 19.

(2) Benoît Jeanneau-"Les principes généraux du droit dans la jurisprudence

administrative" Sirey- 1954. p,102.

également en vigueur il convenait de faire prévaloir celui qui dans la hiérarchie des normes était le plus élevé, à savoir la Constitution.

Le Conseil Constitutionnel peut procéder de la même manière et considérer que les dispositions de l'article 31 de la loi d'orientation ne sauraient prévaloir sur celles de l'article 34 de la Constitution. En proclamant le principe de la hiérarchie des normes, il rétablira la paix entre le Gouvernement et le Parlement. ⁰

M. POMPIDOU approuve entièrement les conclusions de M. le Rapporteur.

Il constate que la question est posée "de la façon la plus embarrassante", que la tentation est grande de dire au Conseil d'Etat "qu'il exagère", à l'Assemblée "qu'elle ne respecte pas la Constitution" et au Gouvernement "qu'il se débrouille bien mal" ; mais la solution de M. le Rapporteur lui paraît "très juridique" ; "elle consiste à dire à chacun : débrouillez-vous ; c'est très valable, dit-il; "je n'ai rien à ajouter".

M. GILBERT-JULES présente quelques observations :

TJ 11 considère que le Gouvernement s'est effective- ment "mal débrouillé" et qu'il aurait pu obtenir un vote du Parlement avant le 15 décembre en invoquant l'urgence.

2) Il félicite M. le Rapporteur et se déclare parti- culièrement satisfait par l'affirmation qui figure à la page 7 dt rapport : "Le Conseil Constitutionnel a plénitude de juridiction pour apprécier tous les problèmes juridiques d'ordre constitu- tionnel ou législatif, concernant la validité, l'applicabilité, la nature ou la portée juridique d'un texte soumis à son examen".

3) Il s'étonne que l'on puisse considérer que la disposition soumise en Conseil n'a ni le caractère réglementaire ni le caractère législatif ; "il s'agirait donc, dit-il, d'une troisième matière non prévue par la Constitution ; si le Conseil avait été saisi pour examen de conformité^au regard de quelle disposition de la Constitution aurait-il fallu apprécier cette disposition ? "

4) Il admet la solution proposée par M. le Rapporteur et considère que l'autorité de la chose jugée s'attache aux moyens qui sont le soutien nécessaire de la décision ; il croit toutefois que l'affirmation de la supériorité de la loi constitu- tionnelle sur la loi ordinaire est discutable.

M. le Président COTY exprime son admiration pour "le rapport si fouillé et si sage de M. Cassin" ; il précise néanmoins que celui-ci ne l'a pas entièrement convaincu.

Il considère qu'ainsi que le propose M. le Rappor- teur, il y a lieu pour le Conseil de déclarer que la question qui est posée est sans objet. Mais il suggère d'utiliser "une autre voie" pour parvenir à ce résultat.

"Il m'apparait, dit-il, que le principe de la compé- tence gouvernementale en matière de prix agricoles n'est pas celui sur lequel nous sommes interrogés... Nous n'avons pas à répondre au Conseil d'Etat mais au Gouvernement qui nous demande quelle est la nature juridique de l'article 31. Voilà la question. Or, l'article 26 de la loi organique sur le Conseil est ainsi conçu : "Le Conseil Constitutionnel constate, par une déclaration motivée, le caractère législatif ou réglementaire des dispositions qui lui ont été soumises" ; dès lors qu'on nous soumet l'article 31, il faut que nous disions s'il a un caractère législatif ou réglementaire ; on ne peut se dérober.... Ce que l'on peut observer c'est que l'article 31 a prévu seulement le dépôt d'un projet de loi et que par conséquent il a été exécuté, qu'il est devenu sans objet. Nous avons à interpréter des lois en vigueur ; puisque l'article 31 n'a plus de valeur, que ses effets sont épuisés, nous n'avons pas à l'interprêter. La solution de M. le Rapporteur ne répond pas à la question... Il me paraît préférable de déclarer qu'il s’agit d'une loi valable qui a été exécutée.. Cette solution est plus juridique car elle répond à la demande du Premier Ministre, conformément à l'article 26 de la loi organique.

M, le Président Léon NOËL demande si cette objection porte sur les modalités de la décision ou sur le fond.

M. le Président COTY répond qu'elle porte sur le fond ; il ne croit pas en effet qu'il soit souhaitable d'invoquer l'autorité de chose jugée, car cela pourrait gêner une évolution de la jurisprudence.

M. PATIN rend hommage à M. le Rapporteur mais se déclare néanmoins frappé par l'objection de M. le Président COTY.

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Il rappelle que l'autorité de chose jugée s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du jugement mais qu'elle n'a qu'une portée relative : il remarque que M. le Rapporteur a substitué la notion "d'autorité de la chose décidée" à celle "d'autorité de chose jugée" ; cela lui paraît"très habile" car dit-il, à la différence des jugements des tribunaux, les décisions du Conseil s'imposent à tous".. Il lui paraît "très intéressant" de faire état de l'article 62.

Il se demande néanmoins si le dispositif du projet est suffisant "puisque le Conseil d'Etat - excédant peut-être ses pouvoirs - déclare qu'il ne statuera pas tant que l'articl<31 subsiste". Il considère que l'on pourrait peut-être ajouter au projet de M. le Rapporteur, la proposition de M. le Président COTY "à savoir qu'au surplus l'article 31 est épuisé".

M. le Président Léon NOËL croit qu'il ne convient pas d'exagérer la portée de l'avis du Conseil d'Etat qui comporte selon lui une part de "taquinerie à l'égard du Conseil Constitutionnel et du Gouvernement". Il estime, "sans prendre parti" sur la suggestion de M. PATIN, que prendre en considé- ration les termes de l'avis du Conseil d'Etat n'est pas ce qu'il y a de plus important.

M. le Président COTY se rallie à la solution de M. PATIN Il considère qu'on peut rappeler la jurisprudence du Conseil mais il croit que ce serait "une chose utile" de constater que l'article 31 a épuisé ses effets. "Sinon, dit-il, le Conseil d'Etat pourrait répondre : Votre décision ne me rassure pas du tout car ce que vous affirmez je le sais déjà".

M. POMPIDOU estime que le projet de M. le Rapporteur est "très juridique et très habile", car "il porte sur le noeud du problème". "Le Parlement et le Gouvernement, dit-il, ont ignoré la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. C'est une leçon de dignité que nous donnons.... Je ne crois pas qu'il soit souhaitable d'examiner cet article 31; il est inutile de rappeler que le Parlement s'est mêlé de ce qui ne le regardait pas ; il s'agit d'une intrusion dans le domaine réglementaire"

M. le Secrétaire Général ne le pense pas.

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M. POMPIDOU poursuit : "La Constitution refuse aux parlementaires le droit d'émettre des propositions de réso- lution ; le Parlement a émis un voeu et il l'a fait dans la matière réglementaire ; il a donc violé la Constitution deux fois... Je ne crois pas opportun de soulever ce problème".

M. le Président COTY constate que le Conseil n'a plus le pouvoir, en l'espèce, d'examiner la constitutionnalité, puisqu'il est saisi en vertu de l'article 37.

M. GILBERT-JULES déclare: "Nous ne pouvons plus dire si la Constitution a été violée. Mais nous devons dire si le texte a le caractère réglementaire; sinon ou bien il est de nature législative ou bien il s'agit d'un troisième domaine qui n'est pas prévu par la Constitution".

M. le Rapporteur croit que M. GILBERT-JULES "s'enferme dans un cercle ouvert". "Ce n'est pas vrai, dit-il, de décla- rer que le Parlement n'a rien à voir en matière de prix. En réalité, la formule si vague de l'article 31 couvre à la fois le domaine législatif et le domaine réglementaire. Une telle disposition pourrait être considérée soit comme législative, soit comme réglementaire, soit comme une loi inconstitution- nelle - ce qui ne se confond pas avec un règlement."

M, le Président COTY se demande si dans un cas semblable on ne pourrait pas avoir recours à la procédure de la loi organique qui est prévue par l'article 34 pour compléter la liste des matières législatives.

M. le Rapporteur rappelle que c'est le Conseil d'Etat qui - sur la suggestion de M. Julliot de La Morandière et afin d'éviter une éventuelle réforme de la Constitution - a inséré dans le projet de Constitution une disposition selon laquelle "la loi fixe les règles concernant., toutes matières reconnues de nature législative par une loi organique "mais, dit-il, ce texte n'avait pas pour but de résoudre des cas particuliers".

A la demande de M. le Président, M. le Rapporteur donne lecture du projet de décision qui est soumis aux voix paragraphe par paragraphe. Il est adopté sans modification importante. (M. le Président COTY s'abstient).

La séance est levée à 12 h.45.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.