Vous visualisez actuellement un média autre que celui transcrit/à transcrire.
Maxime MARCHAL


SEANCE DU 17 SEPTEMBRE 1964

La séance est ouverte à 16 heures.

M. MICHELET est excusé.

M. le Président Léon NOËL procède à l’installation en ses fonctions de Conseiller de M. André DESCHAMPS, désigné par M. le Président de la République - par décision du 27 août 1964 - pour remplacer M. Bernard CHENOT, démissionnaire (1)M. CHENOT a été nommé Président du Conseil d'Administration du Groupe des Compagnies d'Assurances Générales par arrêté du 28 juillet 1964 (J.O. du 12 août 1964 - Détachement du Conseil d'Etat par décret du 20 août 1964 : J.O. du 21 août 1964). (M. DESCHAMPS a prêté serment à l'Elysée le 17 septembre à midi).

En application de l'article 37 de la Constitution et sur rapport de M. WALINE, le Conseil examine ensuite le caractère législatif ou réglementaire de la disposition contenue dans la 3e phrase du 2e alinéa de l'article 357 du Code Civil et résultant de l'article 1er de l'ordonnance du 23 décembre 1958 portant modification du régime de l'adoption et de la légitimation adoptive.

La séance est levée à 18 heures.

L'original de la décision demeurera annexé au présent compte-rendu.



SEANCE DU 17 SEPTEMBRE 1964

La séance est ouverte à 16 heures.

M. MICHELET est excusé.

M. le Président Léon NOËL procède à l’installation en ses fonctions de Conseiller de M. André DESCHAMPS, désigné par M. le Président de la République - par décision du 27 août 1964 - pour remplacer M. Bernard CHENOT, démissionnaire (1).M. CHENOT a été nommé Président du Conseil d'Administration du Groupe des Compagnies d'Assurances Générales par arrêté du 28 juillet 1964 (J.O. du 12 août 1964 - Détachement du Conseil d'Etat par décret du 20 août 1964 : J.O. du 21 août 1964). (M. DESCHAMPS a prêté serment à l'Elysée le 17 septembre à midi).

M. le Président Léon NOËL évoque les vingt années que M. DESCHAMPS a passé au Conseil d'Etat et la participation qu'il a apporté à la Résistance, pendant l'occupation du pays. Il estime que le rôle qu'il a joué dans l'élaboration de la Constitution de 1958 - puisqu' il a exercé les fonctions de Rapporteur Général du projet devant le Conseil d'Etat - rendra ses avis particulièrement précieux au Conseil Constitutionnel.

Il demande ensuite au Conseil d'examiner, en application de l'article 37 de la Constitution, le caractère législatif ou réglementaire de la disposition contenue dans la 3e phrase du 2e alinéa de l'article 357 du Code Civil et résultant de l'article 1er de l'ordonnance du 23 décembre 1958 portant modification du régime de l'adoption et de la légitimation adoptive.

Le Rapporteur est M. WALINE. Celui-ci donne lecture du rapport suivant :


RAPPORT

La question qui est soumise aujourd’hui au Conseil constitutionnel peut paraître de faibles conséquences pratiques directes, mais la décision que vous prendrez peut constituer un précédent important, et peut-être redoutable, pour l’évolution de votre jurisprudence.

Le Premier Ministre nous demande, en exécution de la dernière phrase de l’article 37 de la Constitution, de reconnaître le caractère règlementaire à une disposition de forme législative intervenue après l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958. Il s’agit en effet de la troisième phrase du deuxième alinéa de l’article 357 du Code civil, dans la nouvelle rédaction que lui a donnée l’article 1er de l’ordonnance du 23 décembre 1958, laquelle est une ordonnance prise en vertu de l’article 92 de la Constitution.

Cette disposition est ainsi rédigée :

"Si l’adopté est né à l’étranger ou si le lieu de sa naissance n’est pas connu, la décision (il s’agit du jugement ou arrêt qui admet l’adoption) est transcrite sur les registres de la mairie du 1er arrondissement de Paris dans le même délai de trois mois".

Pour en comprendre exactement la porté, il est nécessaire de la replacer dans le cadre de la réforme de l’adoption qui a été réalisée par l’ordonnance du 23 décembre 1958, ou tout au moins dans le cadre de la réforme de la publicité des jugements d’adoption.

La publicité de ces jugements a toujours été reconnue nécessaire, puisqu’ils modifient l’état-civil et même le nom patronymique de l’adopté. Aussi bien, l’article 358 alinéa 2, du Code civil énonce-t-il que "l'adoption n’est opposable aux tiers qu’à partir de la mention ou de la transcription du jugement ou de l'arrêt".

Lorsque l’acte de naissance de l’adopté se trouve dans une mairie sise en territoire français, la publicité se trouve facilement réalisée par la simple mention, en marge de cet acte de naissance, de l’adoption et des nouveaux nom et prénoms de l’adopté, à la requête de l’avoué, du Procureur de la République ou de l’une des parties intéressées.

Mais il a fallu prévoir le cas où, pour une cause quelconque, cet acte de naissance ne se trouve dans aucune mairie française par exemple parce que l’adopté est né à l’étranger ou dans un pays devenu étranger depuis lors, et



ce cas se présente aujourd'hui très fréquemment du fait de la décolonisation, et de la perte de l’Algérie.

Dans ce cas, il n'était plus possible d’assurer la publicité au moyen d’une mention en marge d’un acte de naissance qui ne se trouve nulle part en France. Il a donc fallu recourir à un autre procédé de publicité, et le législateur a donc maintenu pour cette hypothèse la nécessité d’une transcription totale du jugement, transcription à laquelle, pour les adoptés nés en France et dont le lieu de naissance est connu, la même ordonnance renonçait dans un but de simplification.

Mais cette transcription ne pouvait se faire que sur des registres ad hoc, qui auraient d'ailleurs le caractère de registres de l'état-civil. Où seraient tenus et conservés ces registres ? Le législateur avait choisi, quelque peu arbitrairement sans doute, la mairie du 1er arrondissement de Paris.

Il y a donc, dans la disposition sur laquelle on nous interroge, trois règles concernant les adoptés nés à l’étranger ou dont le lieu de naissance n’est pas connu :

1°/ Le législateur maintient, en ce qui les concerne, la nécessité d’une transcription de la décision judiciaire réalisant l’adoption, une simple mention en marge étant exclue, d’ailleurs par la force des choses.

2°/ Le choix de la mairie du 1er arrondissement de Paris pour la tenue et la conservation des registres ad hoc où ces décisions sont transcrites.

3°/ L’obligation pour les intéressés, et le cas échéant le Procureur de la République, de faire diligenter cette transcription dans les trois mois de la décision judiciaire définitive.

Des documents communiqués par les Services



du Premier Ministre, il résulte que le gouvernement a préparé un décret dont l’article 14 abrogerait différentes dispositions du Code civil, dont la troisième phrase du troisième alinéa de l’article 357 ; et si nous sommes consultés sur le caractère, législatif ou réglementaire, de cette seule phrase, c’est apparemment que les autres dispositions dont l’abrogation est envisagée sont antérieures à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958. Par suite, l’article 37 n’oblige pas le Gouvernement à nous consulter au préalable ; il prend seulement le risque, s’il abroge par décret des dispositions de forme législative, mais antérieures à 1958, d’un recours contentieux devant le Conseil d’Etat, voire d’une annulation éventuelle par celui-ci.

En fait, cette abrogation s’inscrit dans une réforme beaucoup plus vaste, inspirée sans doute par la nécessité de regrouper les actes d’état-civil des Français d’Algérie, et qui consiste à créer, par les soins du ministre des Affaires Etrangères, un "Service central d’état-civil" qui regrouperait tous les actes d’état-civil de toutes les personnes qui ne sont pas nées dans une commune actuellement françaises : personnes dont la naissance a été déclarée dans un consulat, personnes nées en mer, personnes dont les actes de naissance se trouvent dans des territoires devenus indépendants et pour lesquelles on se contentera dé reproductions (sans doute des photocopies ? ), etc.

Le Gouvernement a pensé qu'il serait judicieux de confier au même Service le soin de tenir les registres ad hoc sur lesquels seraient transcrits les jugements ou arrêts d’adoption.



On peut ajouter enfin que ce service serait installé, non plus à la mairie du 1er arrondissement de Paris, mais à Nantes.

Cela étant, il faut reconnaître que la tentation est grande de déclarer que la disposition de l’article 557 en question a le caractère réglementaire. Des trois règles que pose cette phrase, en effet, une seule à quelque importance, celle qui prescrit la transcription, et le projet du gouvernement la laisserait intacte ; en revanche, que les registres soient tenus près de Saint-Germain l'Auxerrois ou à Nantes, peut paraître une contingence sans importance juridique.

Votre rapporteur vous demande cependant de résister à cette tentation, et cela pour diverses raisons.

La première est que nous ne devons jamais oublier que si le Premier Ministre a la courtoisie de nous informer, chaque fois qu'il nous demande de statuer en vertu de la dernière phrase de l’article 37, de la teneur du texte de la réforme qu’il projette, ce n’est pas cependant cette réforme que nous avons à juger, ce n’est ni, naturellement son bien-fondé, ni même son importance, la gravité de ses conséquences, et par là le caractère législatif ou réglementaire du texte qu’il envisage de décréter, que nous avons à apprécier. Ce que nous avons à décider, c’est le caractère législatif ou réglementaire du texte actuellement en vigueur, et qu’il envisage d’abroger ou de modifier.

Par conséquent, même s’il n'a pas envisagé actuellement soit de modifier le délai de transcription des jugements d'adoption, soit même d’abolir la nécessité d’une telle transcription, nous devons juger comme s’il était ainsi : car, une fois que nous aurions jugé que, dans son ensemble, la troisième phrase du deuxième alinéa de l'article 357 du Code civil n’avait pas le caractère législatif, le gouvernement (et je n’entends pas par ce mot "le gouvernement actuel", mais celui-là ou n'importe quel autre gouvernement dans l’avenir) serait en droit de réaliser par décret, et sans même nous consulter de nouveau puisqu'il y aurait chose jugée, une réforme beaucoup plus importante que celle actuellement projetée, pouvant aller jusqu'à la suppression totale de la nécessité de la transcription des jugements d'adoption, ce qui équivaudrait pratiquement à leur ôter toute publicité, et par suite à ne les rendre jamais opposables aux tiers.


Certes, on serait tenté de répondre qu'il suffirait, pour prévenir ces conséquences dont chacun ressent évidemment l’absurdité, de distinguer, dans le texte qui nous est soumis, la disposition édictant la nécessité d'une transcription, qui serait de nature législative, et des dispositions en quelque sorte d’application, telles que le choix d'une mairie pour la tenue des registres, voire même peut-être le délai de trois mois, que nous déclarerions réglementaires.

Mais nous arrivons ici au point crucial : sommes-nous en droit de faire une telle discrimination dans le texte en question ?

Certes, on pourra dire : n'avons-nous pas souvent fait de telles distinctions ? N'avons-nous pas souvent déclaré : telle disposition a le caractère législatif, en tant qu’elle pose tel principe, ou telle régle, mais elle a le caractère réglementaire pour le surplus ?

Il est vrai que nous avons plus d’une fois fait de telles distinctions. Mais c’est qu’il s’agissait de textes à l’égard desquels les termes de l’article 34 de la Constitution nous autorisaient, voire nous invitaient, à faire de telles distinctions, alors que les termes de ce même article 34 nous lient beaucoup plus impérativement dans le cas présent.

L'article 34 emploie en effet, pour déterminer le domaine restreint, voire exceptionnel, mais exclusif, du législateur, des expressions fort différentes selon les cas.

L’article 34 énumère en effet des matières qui sont intégralement législatives, en employant la formule : "La loi fixe les règles concernant..." -(telle matière).

Puis il énumère des matières où seuls, les "principes fondamentaux”, ou les "garanties fondamentales" sont du domaine législatif.

Pour ces dernières, qui concernent les libertés publiques, le statut des fonctionnaires, la défense nationale, les collectivités locales, l’enseignement, le régime de la propriété, des droits réels et des obligations, le droit du travail, le droit syndical et la sécurité sociale, il est évident que le Constituant nous invite lui-même, lorsque nous serons saisis du point de savoir si une disposition relève du seul législateur, à faire, en notre âme et conscience, le tri



entre ce qui est vraiment important et ce qui, au contraire, n’étant que détail d'application, peut être abandonné au pouvoir réglementaire. C'est ce que nous avons fait maintes fois, et avec raison, en ce qui concerne par exemple la sécurité sociale.

Mais lorsque le Constituant, dans le même article 34, dit que, "la loi fixe les règles (entre autres) concernant la nationalité, l’état et la capacité des personnes, notre rôle m’apparaît tout différent : il n’y a plus à faire une appréciation de gravité ou d'importance de la disposition étudiée, il s’agit seulement de savoir quel est son objet, et si celui-ci entre dans la liste ainsi établie par le Constituant, des matières intégralement législatives.

S’il en est bien ainsi, nous n'avons qu’une seule question à nous poser : les règles contenues dans la troisième phrase du deuxième alinéa de l’article 357 du Code civil concernent-elles oui ou non, l'état des personnes ?

Pour juger qu’elles ne le concernent pas, il faudrait soutenir (et effectivement, a priori, ce n’est pas absolument insoutenable), que ces règles, ne jouant que pour la publicité à donner aux jugements rendus par les tribunaux en matière d’adoption, ne s’imposent pas aux juges qui statuent en matière d’adoption, puisqu’elles n’ont lieu de s’appliquer qu’une fois le jugement rendu, et que c’est en définitive ces jugements et arrêts qui modifient l'état-civil de l'adopté.

Mais il me semble cependant difficile de soutenir que ces règles ne concernent pas l’état des personnes, car que concerneraient-elles alors ? La tenue de registres qui sont en définitive des registres d’état-civil. Mais est-il possible de dire que les règles de tenue des registres d’état-civil ne concernent pas l'état-civil ?

La note communiquée par les services du Premier Ministre ne contient-elle pas une contradiction lorsque, dans la même phrase, elle dit que "les dispositions qu'il s’agit de modifier ne touchent pas à l'état des personnes, mais précisent seulement selon quelles modalites est operée la publicité, sur les registres de l'état-civil, de certaines décisions rendues en matière d'état...


Comment peut-on dire que des règles relatives à des décisions ”en matière d’état” ne "concernent” pas (le mot ”concernant” est celui de l'article 34) ce même état des personnes ?

Je ne méconnais certes pas que les modifications envisagées par le Gouvernement paraissent mineures, et que l’on pourrait trouver excessif de déranger le législateur pour une réforme dont on ne peut appréhender de conséquences dangereuses pour les citoyens. Aussi bien, aurait-on compris que le législateur de 1958, en modifiant l’article 357 du Code civil, se fût contenté de poser le principe de la transcription des jugements d’adoption sur des registres d’état-civil et de renvoyer à des réglements d’application, par exemple un réglement d’administration publique, le soin de régler des détails tels que celui du lieu de tenue de ces registres, au lieu de préciser lui-même qu'ils seraient tenue à la mairie du 1er arrondissement de Paris. Certes, cela eût sans doute été raisonnable, et eût prévenu la difficulté actuelle. Mais cela, à tort ou à raison, les rédacteurs de l'ordonnance de 1958 ne l’ont pas fait ; et ce n’est pas à nous de le faire à leur place.

Il convient enfin de réfléchir sur les conséquences que pourrait avoir pour notre jurisprudence ultérieure une décision par laquelle nous croirions pouvoir discriminer, dans les textes concernant l’état des personnes, ceux que le peu d'importance que nous leur attribuerions nous permettrait de les déclarer de nature réglementairee.

Le précédent ainsi créé ne vaudrait pas seulement pour les questions d’état dès personnes, mais aussi pour toutes les matières que le Constituant a déclarées législatives dans les mêmes termes, sous les mêmes rubriques. Or, parmi celles-ci figurent notamment les droits civiques, les sujétions imposées aux citoyens par la défense nationale, la détermination des crimes et délits et celle des peines, l’assiette et le taux des impôts, leur recouvrement, le régime d’émission de la monnaie, le régime électoral, etc. Est-il sage de nous reconnaître le pouvoir et la mission de discriminer, en toutes ces matières, une zone d'intervention possible de l'exécutif ?

Pour en revenir, pour conclure, à un point de vue exclusivement juridique, il me semble que si, dans les matières déclarées en bloc législatives par le Constituant, nous nous permettions de reconnaître à certains textes de forme législative le caractère règlementaire, nous nous exposerions au



reproche que la Cour de Cassation fait quelquefois aux Cours d'appel lorsqu’elle casse leurs décisions on disant "qu’en statuant ainsi, la Cour a introduit dans la loi une distinction que le texte de celle-ci ne comportait pas."

Votre rapporteur vous propose en conséquence de déclarer que la dernière phrase du 2ème alinéa de 1l'article 357 du Code civil, étant relatif à I'état des personnes, les règles qu’il pose ont le caractère législatif au sens de l’article 34 de la Constitution.



En conclusion, M. WALINE rappelle qu'une ou deux décisions paraissent contraires a ses conclusions(1)(1) Décisions n° 61-13 L du 3 mai 1961 et n° 62-20 L du 4 Décembre 1962.  ; il croit savoir que son argumentation avait été défendue naguère par M. le Président COTY mais qu'elle avait été écartée par le Conseil (2) (2) Cf. compte-rendu de la séance du 3 mai 1961.  ; il considère cependant que la jurisprudence peut évoluer et ne croit pas qu'une décison déclarant le caractère législatif de l'ensemble du texte soit de nature à gêner le Gouvernement.

M. GILBERT-JULES écarte ce dernier argument. Il déclare que s'il comprend bien, M. WALINE considère que la totalité d'un texte relatif à l'une des matières énumérées dans la première partie de l'article 34, aurait le caractère législatif. Il ne croit pas qu'il faille donner à l'intervention de M. le Président COTY la portée que lui attribue M. le Rapporteur : il s'agissait alors du problème très important des conditions du vote par procuration. Il observe que le Conseil a toujours jugé que les modalités d'application avaient le caractère réglementaire : ainsi a-t-il statué en matière de catégories d'établissements publics, de droits civiques, de nouveaux ordres de juridiction etc... "Autant, dit-il, il m'apparait en l'espèce que le principe de la publication a le caractère législatif, autant je considère que le fait que la publication ait lieu à Nantes ou à Paris est une modalité d'application qui a le caractère réglementaire. Je suis d'avis de maintenir notre jurisprudence en déclarant que l'article 357 est législatif en tant qu'il établit la règle d'une publication et réglementaire en tant qu'il en prévoit le lieu et le délai. J'observe à cet égard que, par une lacune qu'il y aurait lieu de signaler, le projet de décret ne précise pas ce délai".

M. MICHARD-PELLISSIER déclare qu'il n'a pas grand chose à ajouter à ce qu'a déclaré M. GILBERT-JULES : "Jusqu'à présent, dit-il, nous n'avons pas donné à la distinction entre les règles et les principes un caractère aussi catégorique que celui que lui attribue M. WALINE. J'ai été rapporteur de l'une des décisions auxquelles il a fait allusion. L'idée qui a présidé à notre jurisprudence c'est que les règles et les principes essentiels doivent rester à



l'appréciation du Parlement et que tout ce qui est mesure d'application est dans le domaine réglementaire. En l'espèce, peu/il importe/que le délai de publication soit de 3 ou de 6 mois, que la transcription ait lieu à Nantes ou à la mairie du 1er arrondissement de Paris. Cela ne change en rien le principe de la publication et le principe du délai ; la durée du délai et le lieu ne sont pas en l'espèce essentiels".

M. GILBERT-JULES précise : "Je suis un peu en désaccord avec M. MICHARD-PELLISSIER. Nous avons délimité le domaine législatif plus loin lorsqu'il s'agissait de règles que lorsqu'il s'agissait de principes fondamentaux".

M. MICHARD-PELLISSIER approuve et ajoute qu'il ne voulait pas entrer dans le détail.

M. le Président Léon NOËL est d'accord. "A l'origine dit-il, la question s'est posée comme l'exprime M. WALINE. Ce qui nous a déterminé dans le sens indiqué par M. GILBERT-JULES et par M. MICHARD-PELLISSIER, c'est essentiellement une question d'ordre pratique : Si on admettait que toute une matière a le caractère législatif, il n'y aurait plus de barrière : le détail le moins important devrait relever du pouvoir législatif. Cela ne peut pas être ce qu'on a voulu.

Au début du rapport, vous nous dites : la décision peut constituer un précédent redoutable. Mais ce n'est pas une évolution que vous nous demandez,c'est un revirement total. Les membres anciens savent que ma tendance n'est pas de diminuer le domaine législatif. Mais ce n'est pas un service à rendre au pouvoir législatif que de lui attribuer la réglementation de détail. Ce n'est pas le grandir c'est le diminuer".

M. CASSIN déclare : "Je voudrais seconder M. WALINE. Lorsqu'on a rédigé la Constitution, on a bien vu à quelles difficultés on s'exposait en délimitant le domaine législatif. Je voudrais rappeler la première monographie sur le sujet (1)(1) "La décadence de la loi dans la Constitution de la Ve République" par Paul Durand. J.C.P. du 4 février 1959- 1470.


celle de Durand, qui est mort depuis dans des circonstances tragiques (1)(1) M. Paul DURAND qui se trouvait à Agadir lors du tremblement de terre du 1er mars 1960, a été porté disparu.. Durand avait bien vu toutes les conséquences de l'article 34, les absurdités auxquelles on aboutirait. C'est en parfaite connaissance de cause que le constituant a rédigé ce texte... J'ai obtenu à grand peine qu'un alinéa fût ajouté à l'article 34, prévoyant que celui-ci peut être complété par une loi organique (2)(2) Cette disposition figure pour la première fois dans le projet de Constitution élaboré par le Conseil d'Etat (4e état du texte constitutionnel). : Ceci avait pour but de pallier ses insuffisances.

En second lieu, les précédents invoqués qui déterminent des règles de création de catégories ou des "garanties fondamentales" ne sont pas à retenir.

En l'espèce, il y a lieu seulement de considérer si la matière concernée est ou non dans la première partie de l'article 34 ; si elle s'y trouve, la disposition a le caractère législatif.

Le Gouvernement a une compétence primaire pour réglementer tout ce qui n'est pas énuméré à l'article 34. Il a une compétence secondaire pour les matières de l'article 34 : il a toujours été admis qu'il avait la possibilité de demander une délégation de pouvoirs et que le Parlement pouvait renvoyer à un Règlement d'Administration publique. Mais dans ces deux cas, le Gouvernement ne tient pas ses pouvoirs du constituant mais du législateur. Si l'on dit que le Gouvernement a une compétence primaire pour déterminer le mode de publicité des actes d'état civil, cela peut constituer un précédent. Une modification des régimes matrimoniaux est en cours. Vous croyez que le Gouvernement pourrait changer leur mode de publicité ? Sûrement pas !.. Supposons qu’un Gouvernement d'aventure projette d'introduire des innovations étrangères au droit français. Par analogie avec l'adoption, on déclarerait que c'est dans sa compétence ! Cela ne se peut pas..

Et la publicité en matière d'adoption est bien plus grave qu'en toute autre matière. Je n'approuve pas la suppression de la transcription car c'est elle qui établissait le lien entre les parents et l'enfant. Je m'insurge contre l'extension de cette suppression que le Gouvernement envisage :



Cela ressort de la note gouvernementale qui précise : il a paru opportun de compléter la réforme ...

Je pense que le Gouvernement pourrait utiliser notre jurisprudence si l’on dit que la publicité relève du pouvoir réglementaire. La publicité est liée à l’état des personnes. Je ne ferai pas d’effort pour étendre à cet égard la compétence réglementaire ...”

M. le Président Léon NOËL répond : "Votre argumentation porte sur une proposition qui n'a pas été faite. Aucun d'entre nous ne pense qu'on puisse déclarer que l'ensemble du texte est réglementaire.

D'autre part, je souhaiterais apporter une précision sur notre jurisprudence. Deux décisions ne portent pas sur des garanties fondamentales mais sur les règles concernant les droits civiques. Je lis la décision du 3 mai 1961 :

Considérant que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer "les règles concernant ... les droits civiques", au nombre desquelles figure notamment l'attribution du droit de suffrage et qu'il n'appartient au pouvoir réglementaire que d'édicter les mesures d'application qui sont nécessaires à la mise en oeuvre de ces règles ;

Considérant que les quatre dispositions susvisées soumises à l'examen du Conseil Constitutionnel ont respectivement pour objet, la première de déterminer l'une des catégories de citoyens autorisés à voter par procuration, les deux suivantes de définir l'autorité devant laquelle sont dressées ces procurations, ainsi que les pièces au vu desquelles celles-ci sont établies, la dernière, enfin de désigner l'autorité à laquelle lesdites procurations sont adressées ;

Considérant que si, à raison de son objet, la première disposition ci-dessus mentionnée doit être regardée comme faisant partie des règles concernant le droit de suffrage qu'il appartient au législateur de fixer, les trois autres, tendant uniquement à déterminer, dans le cadre de ces règles et dans le respect des principes qui les inspirent, les conditions pratiques d'exercice du droit de vote par procuration, ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire;



C'est une distinction analogue que M. GILBERT-JULES et M. MICHARD-PELLISSIER proposent de faire".

M. GILBERT-JULES déclare : "Je ne voudrais pas ouvrir une controverse à cet égard mais je considère que le Règlement d'Administration publique n'existe plus. Quant au texte qui nous est soumis, il me parait législatif en ce qu'il prévoit une publicité et réglementaire en ce qu'il en fixe le lieu. Cela n'engage pas quant à la publicité des régimes matrimoniaux".

M. WALINE répond : "Je voudrais présenter ma défense. On a dit qu'il y avait une jurisprudence constante. Mais on ne peut tenir compte que des deux décisions relatives aux droits civiques. Les autres ne déterminent pas des règles concernant une matière : Elles précisent des garanties fondamentales accordées aux citoyens ou aux fonctionnaires ; elles établissent des règles constitutives dans le cas des établissements publics ; elles donnent une nouvelle définition des ordres de juridiction (le constituant a oublié qu'il n'y avait que deux ordres de juridiction). Il ne faut pas invoquer ces précédents contre ma thèse. En réalité, on ne peut m'opposer que les deux décisions rendues en matière électorale.

Je crains cependant que le Conseil ne confonde les règles et les principes. Qu'est ce qui distingue les règles de droit des autres normes juridiques ? c'est le fait qu'elle s'appliquent à tous les citoyens... Mais la règle et le principe, ce n'est pas la même chose. En ce qui concerne les matières du Droit civil, la Constitution a prévu qu'étaient dans le domaine législatif tantôt les règles, tantôt les principes fondamentaux, tantôt les garanties fondamentales. On a dit que le Conseil établissait une différence entre ces termes ; mais elle n'est pas très grande.

Je vois bien le reproche qu'on adresse à ma thèse c'est qu'on va mettre les broutilles dans le domaine législatif : Mais c'est le texte de la Constitution. Le législateur peut, s'il le désire, renvoyer à un Règlement d'administration publique. M. GILBERT-JULES pense qu'on n'en a pas le droit. J'avais posé la question dans mon traité ou dans un article. Mais on prend des Règlements d'Administration publique : C'est une pratique constante (1). (1) Cf. Waline. Traité de droit administratif 1963 p. 124


Celui qui n'a pas été raisonnable, c'est le rédacteur de l'ordonnance du 23 décembre 1958 car il y a introduit des dispositions trop mineures. Mais je crois que nous n'avons pas le droit de dire qu'elles ont le caractère réglementaire car sinon le mot "fondamental" n'a plus de sens.

Je me souviens d'ailleurs que le Comité Consultatif Constitutionnel avait adopté, sur ma proposition, un texte introduisant dans l'article 34 la totalité des matières qui font l'objet du Code Civil". (1)(1) Cf. Travaux préparatoires de la Constitution. Documentation française pp. 103 et 211.

M. DESCHAMPS rappelle que lors de la discussion sur le projet de Constitution à l'Assemblée générale du Conseil d'Etat, il avait proposé d'écrire que des "lois cadres" déterminent "les principes généraux" de certaines matières (2)(2) Cf. Compte-rendu dactylographié des séances de l'Assemblée Générale du Conseil d'Etat p. 306 "Cela, dit-il, est devenu "les principes fondamentaux". Quant aux règles le Comité Consultatif Constitutionnel souhaitait que l'on mît sous cette rubrique tout le Droit Civil. Au Conseil d'Etat, M. JULLIOT de la MORANDIERE demandait que l'on écrivit que : Relèvent de la loi le titre préliminaire et le titre 1er du Code Civil. J'ai fait une objection à savoir que dans le Code Civil il y a des textes d'application et j'ai demandé que l'on laissât l'énumération des matières pour qu'on ne puisse pas déclarer que tous les détails ont le caractère législatif".

M. le Président Léon NOËL demande au Conseil de voter sur le sens du projet de M. le Rapporteur.

Par 6 voix contre 2 (M. CASSIN, M. WALINE) ce projet est écarté par le Conseil.

Un projet de décision, préparé par M. PAOLI, est soumis à l'examen du Conseil. Aux termes de celui-ci ont le caractère législatif les dispositions soumises au Conseil "en tant qu'elles prévoient que les décisions d'adoption concernant les personnes nées à l'étranger et celles dont le lieu de naissance n'est pas connu doivent être portées sur un registre d'état civil".

M. GILBERT-JULES propose d'ajouter dans un délai déterminé.

Cette proposition est adoptée.

Avec quelques modifications de forme, le projet est adopté.

La séance est levée à 18 heures.

Cette décision contient des annexes

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.