SEANCE DU MARDI 9 MAI 1967
COMPTE-RENDU
La séance est ouverte à 9 h 10 en présence de tous les membres du Conseil à l'exception de M. WALINE qui, retenu, arrivera en cours de séance.
M. le Président PALEWSKI déclare que la première affaire inscrite à l'ordre du jour porte sur l’appréciation de la nature juridique de certaines dispositions de l'article 4 et des dispositions des articles 22 et 23 de l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959, portant organisation générale de la défense.
M. le Président donne la parole à M. DESCHAMPS, rapporteur.
M. DESCHAMPS rappelle tout d'abord que le Conseil a été saisi par le Premier Ministre, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution et qu’il lui appartient par conséquent de déterminer si les dispositions qui lui sont soumises relèvent du domaine règlementaire ou du domaine législatif.
Les textes applicables à cette espèce sont les dispositions de l’article 34 de la Constitution qui précisent, d'une part,que la loi fixe "les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens" et, d’autre part, que la loi détermine les principes fondamentaux "de l'organisation générale de la Défense nationale".
Le rapporteur donne ensuite le plan général et le résumé des titres I, II et III de l’ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959, portant organisation générale de la défense.
Le titre I comporte des généralités, le titre II a trait à la direction générale et à la direction militaire de la défense, le titre III à la responsabilité des ministres en matière de défense.
M. DESCHAMPS insiste notamment sur l'article 4 ainsi rédigé : "La mobilisation générale et, sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l'article'23 delà présente ordonnance» la mise en gardé sont décidées par décrets pris en Conseil des ministres".
La partie de ce texte qui ést soulignée est seule soumise à l'appréciation du Conseil.
M. DESCHAMPS donne également lecture des articles 9, 12, 14 de l'ordonnance susvisée qui déterminent les attributions et la prééminence des autorités civiles et notamment du Premier Ministre en matière d'organisation générale de la Défense.
Le rapporteur aborde ensuite le titre IV relatif à l'organisation territoriale et opérationnelle de la défense.
Les articles 21, 22 et 23 de ce titre sont les suivants :
Article 21. La préparation, la conduite et la coordination des efforts en matière de défense sont assurées dans le cadre d'une organisation territoriale dans laquelle les circonscriptions administratives spécialisées dans des objets intéressant la défense et les circonscriptions militaires ont mêmes limites.
Article 22. La gestion, le développement et l'utilisation des ressources, leur protection et les, différentes opérations intéressant leur mobilisation ou la préparation de leur mise en oeuvre sont assurés dans le cadre régional.
La région groupe un certain nombre de départements. Au point de vue militaire, la circonscription régionale est la "région militaire" qui groupe un certain nombre de subdivisions.
Article 23. La coordination des efforts militaires de défense et le commandement des troupes en vue de leur mise en condition et de leur emploi local, s’exercent dans le cadre de zones correspondant à plusieurs régions, subdivisions ou secteurs militaires, maritimes et aériens.
Dans chaque zone, un haut fonctionnaire civil détient les pouvoirs nécessaires au contrôle des efforts non militaires prescrits en vue de la défense, au respect des priorités et à la réalisation des aides réciproques entre services civils et militaires, en vue de la défense civile et de la sécurité intérieure du territoire.
Ce haut fonctionnaire civil détient en outre les pouvoirs nécessaires pour prescrire en cas de rupture des communications avec le Gouvernement, du fait d’une agression interne ou externe, la mise en garde prévue à l’article 4, ainsi que les mesures nécessaires à l’exécution des plans de défense intérieure ou extérieure".
M. DESCHAMPS fait observer que l’article 21 précité pose le principe de la concordance géographique des circonscriptions administratives et militaires pour les questions intéressant la défense, les articles suivants comportant les modalités d’application de ce principe.
En application de ces textes les décrets n° 62-206 et 62-208 du 24 février 1962 avaient créé en métropole 6 zones de défense, 10 régions de défense et répartis les attributions respectives entre les autorités civiles (I.G.A.M.E.) et militaires (Général commandant la région militaire) dans ces circonscriptions.
La concordance des circonscriptions militaires et administratives de défense était alors assurée.
Toutefois, par la suite, un certain nombre de textes ont affecté la structure mise en place en 1962 comme il est précisé dans la note du secrétariat général du gouvernement adressée au Conseil.
Ainsi le décret n° 64-251 du 14 mars 1964, relatif à l'organisation des services de l'Etat dans les circonscriptions d'action régionale, a, dans son article 20, transféré au Préfet de la région de programme ou au préfet du département où se trouve le chef lieu de chaque région militaire ou zone de défense, les pouvoirs dévolus aux I.G.A.M.E. par le décret n° 62-206 du 24 février 1962. Une certaine distorsion entre circonscriptions civiles et militaires était donc déjà créée.
Puis le décret n° 66-106 du 22 février 1966 a modifié l'organisation militaire territoriale en réduisant le nombre des régions militaires de dix à sept et en remplaçant les subdivisions départementales par 21 divisions militaires correspondant aux limites des circonscriptions d'action régionale.
Dès lors, il y avait donc discordance entre les régions civiles, les zones de défense et les régions militaires.
Il est par conséquent apparu indispensable au gouvernement de procéder à une réorganisation afin de respecter les prescriptions de l'ordonnance du 7 janvier 1959.
A cette fin, il convenait, en premier lieu, de faire coïncider les limites, des régions de défense avec celles des nouvelles régions militaires.
Or dans presque tous les cas ces nouvelles régions militaires correspondaient aux anciennes zones de défense.
L'échelon de la région de défense devenait donc inutile et il était souhaitable de le supprimer. De plus, il apparaissait nécessaire de confier une partie des anciennes attributions des préfets des régions de défense aux préfets des régions des circonscriptions d'action régionale spécialement qualifiés pour les questions de défense en matière économique par exemple.
Le Gouvernement a donc préparé un avant projet de décret en ce sens. Toutefois, ce décret, en ce qu'il supprime les régions de défense et fait coïncider les limites des zones de défense avec celles des régions militaires, implique la modification des articles 22 et 23 précités de l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959. Une telle modification ne peut, bien entendu, intervenir que si le caractère réglementaire des dispositions desdits articles a été auparavant reconnu par le Conseil constitutionnel.
Le rapporteur fait connaître qu'à son avis l'article 22 de l'ordonnance dont il s'agit, ne comporte que des dispositions tendant à l'application du principe énoncé à l'article 21 et que, par suite, les dispositions de cet article peuvent être considérées comme relevant du domaine règlementaire.
Tous les membres du Conseil donnent leur accord à cette décision.
Le même accord est obtenu pour les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 23.
M. DESCHAMPS souligne que la question est plus délicate pour les dispositions des alinéas 2 et 3 du même article 23.
En effet l'alinéa 2 porte attribution, dans chaque zone, de certains pouvoirs en matière de défense à un haut fonctionnaire civil. Il semble donc que la qualité de civil puisse être considérée comme un principe fondamental.
M. le Président PALEWSKI fait observer que ce haut fonctionnaire ri*est chargé que du contrôle des efforts non militaires prescrits en vue de la défense et qu'il est donc normal que ce fonctionnaire soit civil.
M. DESCHAMPS se demande si en reconnaissant un caractère législatif aux dispositions précisant que certaines responsabilités sont confiées à un fonctionnaire civil le Conseil constitutionnel ne risque pas d'être amené, par voie d'extension, à faire admettre que certaines conditions de nomination à d'autres postes, pour la sécurité sociale, par exemple, relèvent également du domaine de la loi.
Dans cette perspective le rapporteur serait prêt à présenter au Conseil un projet de décision attribuant le caractère réglementaire aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 23 précité de l’ordonnance du 7 janvier 1959.
M. LUCHAIRE, partage l'avis de M. DESCHAMPS; il estime toutefois que l’expression haut fonctionnaire civil doit être prise dans le même sens dans le deuxième et dans le troisième alinéa de l’article 23. Par conséquent, dans la mesure où l’alinéa 2 est de caractère règlementaire, les mots "haut fonctionnaire civil” au début de l’alinéa 3 doivent également être reconnus comme ayant le même caractère.
M. MICHARD-PELLISSIER pense que cette séparation n’est pas indispensable car le fait que le fonctionnaire en cause doive être civil résulte de l’alinéa 2.
M. GILBERT-JULES estime que si le législateur a cru bon de préciser que certaines responsabilités, en matière de défense, devaient être confiées à un haut fonctionnaire civil, c’est qu’il entendait poser un principe fondamental de l’organisation générale de la défense et que, par conséquent, l’alinéa 2 est du domaine législatif.
Cela parait d’autant plus évident que cette règle est nouvelle puisqu’avant 1959, dans la procédure de l’état de siège, c’est à un militaire qu’était confié le commandemant dans des circonstances analogues.
M. GILBERT-JULES ajoute d'ailleurs que la reconnaissance du caractère législatif aux dispositions de l’alinéa 2, de l’article 23, ne devrait pas gêner le Gouvernement puique celui-ci ne veut modifier que la désignation des circonscriptions spécialisées dans des objets intéressant la défense.
M. le Président PALEWSKI appelle l'attention du conseil sur l'importance de l'ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959 en ce qu’elle détermine les personnalités appelées à exercer la responsabilité et les pouvoirs de défense, à l’échelon national et à l’échelon régional, en cas d’évènements interrompant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, attaque atomique par exemple.
M. DESCHAMPS donne ensuite lecture du projet de décision reproduit ci-après qui reconnaît le caractère législatif aux deux derniers alinéas de l’article 23 de l’ordonnance susvisée du 7 janvier 1959 ;
Considérant que l’article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de l’organisation générale de la défense nationale ainsi que la fixation des règles concernant les sujétions imposées par celle-ci aux citoyens en leur personne et en leurs biens ; que, d’une part, il y a lieu de ranger au nombre de ces principes fondamentaux et qui, comme tels, relèvent du domaine de la loi, celui selon lequel, en vertu de l'article 4 de l'ordonnance susvisée du 7 janvier 1959, la mobilisation générale et la mise en garde, prévues par l'article 3 de ce même texte,sont décidées par décrets pris en Conseil des Ministres ainsi que celui d'après lequel dans chaque zone, c'est l'autorité civile qui détient l'ensemble des pouvoirs en vue de la défense civile et de la sécurité intérieure du territoire ; que, d'autre part, il résulte des dispositions précitées de l'article 34 de la Constitution que, si la détermination des principes fondamentaux de l'organisation générale de la défense nationale ainsi que la fixation des règles relatives aux sujétions imposées par celle-ci aux citoyens en leur personne et en leurs biens et énumérées à l'article 5 de ladite ordonnance, relèvent également du domaine de la loi, il appartient au pouvoir règlementaire de prendre les mesures qui ne sont que les modalités d'application de ces principes ou de ces règles ;
Considérant que, parmi les dispositions susvisées soumises à l'examen du Conseil constitutionnel, celles contenues à l'article 23, alinéas 2 et 3, de l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959, portant organisation générale de la défense relèvent, en raison de leur objet, du domaine de la loi ; qu'en effet ces dispositions ont pour objet, la première, de confier dans chaque zone, à un haut fonctionnaire civil les pouvoirs relatifs à la défense civile et à la sécurité intérieure du territoire, la seconde, d'attribuer en cas de rupture des communications avec le Gouvernement, du fait d'une agression interne.
ou externe, les pouvoirs nécessaires pour prescrire la mise en garde ainsi que les mesures nécessaires à l'exécution des plans de défense intérieure ou extérieure à cette même autorité, autre par conséquent, que le Gouvernement agissant par voie de décrets pris en Conseil des Ministres ; qu'ainsi elles touchent, l'une et l'autre, à des principes fondamentaux de l'organisation générale de la défense nationale ; que, par suite, elles ressortissent à la compétence du législateur ; que, par voie de conséquence, relèvent également de la même compétence, les dispositions de l'article 4 de ladite ordonnance, en tant qu'elles précisent qu'elles sont prises "sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l'article 23 de la présente ordonnance" ;
Considérant, qu contraire, que les dispositions des articles 22 et 23, alinéas 1 et 2, de la même ordonnance ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire ; qu'en effet ces dispositions tendent seulement à préciser, d'une part, la nature et les limites des circonscriptions prévues à l'article 21 de l'ordonnance, d'autre part, à définir les attributions respectives des autorités civiles et militaires dans chacune de ces circonscriptions ; que, par ailleurs, elles ne mettent pas en cause la fixation des règles concernant les sujétions imposées par la défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens qu'ainsi elles constituent des modalités d'application du principe fondamental énoncé à l'article 21 et selon lequel la préparation, la conduite et la coordination des efforts en matière de défense sont assurées dans le cadre d'une organisation territoriale dans laquelle les circonscriptions administratives spécialisées dans des objets intéressant la défense et les circonscriptions militaires ont même limites ;
DEC I D E :
Article premier - Ont le caractère législatif les dispositions de l'article 23, alinéas 2 et 3, de l’ordonnance susvisée n° 59-147 du 7 janvier 1959 ainsi que les dispositions de l'article 4 de la même ordonnance en tant que celui-ci comporte les mots "sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l'article 23 de la présente ordonnance".
Article 2 - Les autres dispositions de l'ordonnance susvisée n° 59-147 du 7 janvier 1959 soumises à l'examen du Conseil constitutionnel ont le caractère réglementaire.
Quelques modifications de forme sont apportées à ce projet notamment sur proposition de M. GILBERT-JULES .
M. GILBERT-JULES fait également accepter la suppression du membre de phrase du premier considérant relatif aux dispositions de l’article 5 de l’ordonnance n° 59-147, cet article n’étant pas soumis à l’appréciation du Conseil»
M. LUCHAIRE propose qu’à l’article 2 du dispositif du projet la mention : "les autres dispositions ... soumises à l’examen du Conseil constitutionnel..." soit remplacée par l’énumération de ces dispositions.
M. MICHARD-PELLISSIER répond que la formule figurant à l’article 2 du projet a toujours été celle adoptée par le Conseil et, que, par conséquent, il ne saurait être fait un sort particulier à l’espèce en cause, sauf à changer à l’avenir la pratique suivie jusqu’alors par le Conseil. La formule retenue par le Conseil trouve d’ailleurs sa justification dans le premier alinéa de l’article 37 de la Constitution qui est ainsi conçu :
"Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère règlementaire"•
Dans ces conditions le Conseil peut, après avoir énuméré celles des dispositions à lui soumises qui relèvent du domaine de la loi, déclarer les autres dispositions règlementaires sans les désigner à nouveau.
M. LUCHAIRE précise bien que son intention est de changer la formule précitée de l’article 2 pour toutes les décisions et demande que sa proposition figure au procès-verbal de la séance.
M. MICHARD-PELLISSIER intervient pour indiquer que le procès-verbal est une sorte d'analytique de la séance qui doit rester secret et ne pas être communiqué à d’autres personnes que les membres du Conseil et que, par suite, il ne voit pas la justification des demandes d’inscription au procès-verbal.
M. LUCHAIRE déclare en réponse que la composition et les méthodes du Conseil peuvent changer et qu’en demandant l’inscription de sa proposition au procès-verbal de séance, il prend date sans pour autant contester le caractère secret du procès-verbal.
M. LUCHAIRE demande qu'il soit procédé à un vote sur le maintien en l'état de l'article 2 du dispositif de la décision ou sur sa modification.
Le maintien de l'ancienne formule est décidé par cinq voix contre deux (MM. CASSIN et LUCHAIRE) et deux abstentions (MM. WALINE et GILBERT-JULES).
Le projet est ainsi adopté.
L'original de la décision sera annexé au présent compte-rendu.
M. le Président PALEWSKI donne ensuite la parole à M. PAOLI pour la présentation de son rapport relatif aux requêtes en annulation d'élections législatives fondées sur les dispositions de l'article L.O. 134 du code électoral.
M. PAOLI présente le rapport suivant :
Sont inscrites à l'ordre du jour de la présente séance cinq requêtes qui sont toutes fondées uniquement sur le moyen tiré des dispositions de l'article L.O. 134 aux termes duquel : "un député, un sénateur ou le remplaçant d'un membre d'une assemblée parlementaire ne peut être remplaçant d'un candidat à l'Assemblée nationale".
Ce sont les requêtes de :
- Madame BERTOU (67-465) contre l'élection de M. Jacques MARETTE (Seine 17e circ.)
- MM.TISLENKOFF (67-366) et AUBERT (67-477) contre l'élection de M. Christian FOUCHET (Meurthe et Moselle 1ère circ.)
- M. ARNAUD (67-382 contre l’élection de M. Georges BONNET (Dordogne 3e circ.)
- M. SALVADORE (67-479) contre l’élection de M. CORNUT-GENTILLE (Alpes-Maritimes 5e circ.)
Ces requêtes ont été choisies par la section d’instruction parce qu'à elles cinq elles posent à juger les différentes questions soulevées par tous les pourvois fondés.sur l'article L.O. 134 et qui sont les suivantes :
- une personne qui, dans la précédente législature avait la qualité de remplaçant peut-elle être remplaçant d'un candidat ? (élection G. BONNET, élection CORNUT-GENTILLE).
- une personne qui, dans la précédente législature avait effectivement remplacé le titulaire d'un mandat peut elle être remplaçant d'un candidat ? (élection de M. MARETTE)
- une personne qui, dans la précédente législature avait été élu député peut elle être remplaçant d'un candidat ? (élection de M. Christian FOUCHET).
Ces cinq requêtes vous permettent donc de statuer sur les trois situations que nous retrouverons dans les quatre vingt cinq requêtes dont vous êtes saisis sur le fondement de l'article L.O. 134.
Pour la commodité du débat nous avons cru devoir reproduire dans un rapport d'ensemble ces différents types de requêtes - qui posent toutes à juger la question de savoir quelle est la portée de L.O. 134 - sauf à examiner s'il y a lieu d'avoir une solution déterminée selon que le remplaçant avait dans la précédente législature |e mandat de député élu ou de remplaçant et dans ce dernier cas selon qu'il avait ou non effectivement assuré le remplacement du titulaire du mandat.
Les requérants soutiennent :
- d'une part, qu'en vertu de L.O. 134 le candidat élu était inéligible, le remplaçant choisi par lui étant lui même inéligible ;
- d'autre part, que l'élection s’est déroulée suivant une procédure irréguliere dès lors que le préfet a enregistré la candidature d'un candidat inéligible alors que l'article L.O. 160 lui fait obligation de surseoir à l'enregistrement de la candidature et de saisir le Tribunal administratif.
Ce second moyen est inopérant car de deux choses l’une :
- ou bien le remplaçant était inéligible en vertu de L.O. 134 et, dans ce cas l’élection doit être annulée sur le fondement de cette seule disposition.
- ou bien il n'était pas inéligible et, das ce cas,c’est à bon droit que le préfet a enregistré la candidature du candidat principal.
- I - Rappel historique.
Ce rappel historique portera :
- Sur les conditions dans lesquelles la question a été soulevée dès avant les élections ;
- Sur l'origine de l’article L.O. 134 ;
A - L'article L.O. 134 s'est borné à introduire dans le code électoral une disposition qui résulte de l’ordonnance du 4 février 1959 complétant et modifiant l’ordonnance du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d’éligibilité et aux incompatibilités parlementaires.
Or cette disposition n’a été invoquée ni à l'occasion des élections à l’Assemblée nationale de 1962 ni à l’occasion des renouvellements du Sénat intervenus en 1962 et en 1965.
La question a été soulevée pour la première fois lors des élections législatives de 1967, soit huit années après la publication de la disposition litigieuse.
Après avoir fait l’objet d’un article de l'hebdomadaire "Minute", elle a donné lieu à une question écrite n° 6591 adressée au Premier ministre le 10 février 1967 par M. BARRACHIN qui demandait au chef du gouvernement si l'article L.O. 134 ne faisait pas obstacle à ce que 18 ministres en exercice ainsi que d'autres personnalités, candidates aux élections de mars 1967 aient choisi pour remplaçants des députés en exercice.
Dans sa réponse, le Premier ministre a estimé que l'interprétation du texte selon laquelle le député, sénateur ou remplaçant sortant ne pouvait se présenter comme remplaçant dans la nouvelle assemblée était contraire à l'intention du législateur de 1959, à l'esprit dans lequel des dispositions ont toujours été interprétées par les pouvoirs publics, l'administration et les parlementaires eux-mêmes et enfin aux principes qui régissent le droit dès inéligibilités, entendu traditionnellement de façon restrictive et non extensive. Le Premier ministre ajoutait que rien dans la loi ne permettait de distinguer ni entre des candidats exerçant des fonctions ministérielles et les autres candidats, ni entre les remplaçants qui dans la précédente législature étaient parlementaires en exercice et ceux qui avaient seulement la qualité de remplaçants éventuels.
B - Après avoir ainsi rappelé les circonstances dans lesquelles la difficulté a "émergé", nous examinerons l'origine de la disposition de l'article L.O. 134.
L'article 25 de la Constitution dispose que la loi organique chargée de fixer la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, le régime des inéligibilités et des incompatibilités fixera également
les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer, en cas de vacance du siège, le remplacement des députés ou des sénateurs jusqu’au renouvellement général ou partiel de l'assemblée à laquelle ils appartenaient.
En application de l'article 25 de la Constitution sont intervenues trois ordonnances portant loi organique :
- l'ordonnance du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires ;
- l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique relative à la composition et à la durée des pouvoirs de l'Assemblée nationale ;
- l’ordonnance du 15 novembre 1958 portant loi organique relative à la composition du Sénat et à la durée du mandat des sénateurs.
La première de ces trois ordonnances prévoit, en son article 10 que, toute personne ayant la qualité de remplaçant d'un député ou de sénateur perd cette qualité si elle est élue député ou sénateur.
Quant aux deux autres ordonnances, elles se bornaient à prévoir que les députés ainsi que les sénateurs élus au scrutin majoritaire dont le siège devient vacant pour cause de décès, acceptation de fonctions gouvernementales ou de membre du Conseil constitutionnel ou de prolongation au delà de six mois d'une mission temporaire conférée par le gouvernement sont remplacés par les personnes élues en meme temps qu'eux à cet effet.
Ainsi à l'exception de l'article 10 de l'ordonnance du 24 octobre 1958 édictant une incompatibilité entre la qualité de remplaçant et l'exercice d'un mandat parlementaire conféré posterieurement, aucun de ces trois textes organiques n'édictait d'inéligibilité ou d'incompatibilité spéciale à l'égard des remplaçants.
Ce silence relatif de la loi a pris fin avec l’ordonnance du 31 octobre 1958 complétant l’article 6 de l'ordonnance organique du 24 octobre 1958 sur les conditions d'éligibilité et les incompatibilités parlemen- taires par une disposition prévoyant qu'un membre d'une assemblée parlementaire ne pouvait être remplaçant d'un candidat à l'autre assemblée.
Edictée à l'époque ou allaient se succéder le renouvellement de l'Assemblée nationale (novembre 1958) et la formation du nouveau Sénat (mars 1959), cette disposition avait pour objet d'empêcher l'élu d'une assemblée, d'aller en cours de mandat, soutenir comme suppléant une candidature dans l'autre assemblée.
Il s'agissait donc d'éviter un chassé-croisé entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Peu de temps après est intervenue l'ordonnance du 4 février 1959 qui a remplacé la disposition ajoutée à l‘ordonnance du 24 octobre 1958 par celle du 31 octobre 1958 par la disposition suivante :
"Un député, un sénateur ou le remplaçant d'un membre d'une assemblée parlementaire ne peut être remplaçant d'un candidat à l'Assemblée nationale ou au Sénat".
Cette disposition élargit sur deux points celle de l'ordonnance du 31 octobre 1958 :
- elle vise non plus seulement le cas ou le parlementaire et le remplaçant appartiennent respectivement à l'Assemblée nationale et au Sénat, c’est à dire l'hypothèse d'un chassé croisé entre les deux assemblées, mais aussi celui où ils appartiennent l'un et l'autre à la même assemblée ;
- elle rend applicable cette inéligibilité non seulement aux parlementaires mais aussi aux remplaçants des parlementaires.
-Il - Examen des requêtes et des observations en défense
Les requêtes sont rédigées de façon presque identique.
Elles se fondent sur les termes mêmes de l’article L.O. 134 : le remplaçant du candidat élu était au moment de l'élection député ou remplaçant d’un député puisque le mandat des députés sortant n’a expiré qu’à la date d'entrée en fonction de la nouvelle assemblée, c'est à dire le 3 avril. Dans ces conditions, l'article L.O. 134 faisait obstacle à ce qu'ils fussent remplaçants du candidat élu. Etant inéligibles comme remplaçants, cette inéligibilité entraine celle du candidat principal : l'inéligibilité d'un remplaçant entraîne en effet celle du député (A.N. Wallis et Futuna 10 juillet 1962 p. 39) (A.N. Seine-Maritime 4e circ. - 22 janvier 1963 p. 82).
Les requérants répondent en outre par avance à l'objection tirée de ce que, dans des circonstances analogues, la disposition de l'article L.O. 134 n'avait pas été opposée lors du renouvellement de l'Assemblée nationale en 1962. Selon eux la situation était alors fort différente : l'Assemblée avait été dissoute le 3 octobre 1962 et, de ce fait, le mandat des députés siégeant à cette assemblée avait pris fin au jour de la dissolution. Au jour de l'élection de la nouvelle Assemblée, les remplaçants des candidats élus, bien que députés ou remplaçants dans l'ancienne Assemblée, avaient cessé d'être députés ou remplaçants. Ils ne tombaient donc pas sous le coup de l'inéligibilité édictée par l'article L.O. 134. On pouvait se demander si en cas de dissolution, l'assemblée dissoute ne conservait pas, après sa dissolution, une certaine existence jusqu'à l'entrée en fonction de la nouvelle assemblée. Les textes sont muets à cet égard. La question s'est posée sous la monarchie de juillet, notamment dans l'hypothèse où le Gouvernement négligerait de convoquer les électeurs dans le délai prescrit par la Constitution. Cette thèse n'a pas été retenue. Selon Duguit (DC/Th.p.583 et Pierre, la chambre dissoute est morte et ne peut plus se reconstituer et se réunir ;
Les arguments en réponse présentés tant par les députés dont l'élection est attaquée que par le ministre de l'Intérieur peuvent être ainsi analysés.
Ces arguments se situent sur deux terrains :
- celui de l'opportunité et de l'intention du législateur ;
- celui, plus juridique, de l'exégèse du texte de l'article L.O. 134 à la lumière des principes généraux du droit des inéligibilités.
a) - Les arguments fondés non sur la lecture du texte mais sur des considérations d'ordre général, sont au nombre de 3 :
- tout d'abord, l'intention du législateur et la raison d'être de l'article L.O. 134.
Les candidats élus et le ministre de l'Intérieur estiment que, en édictant l'article L.O. 134, le législateur a visé un double but.
En premier lieu et surtout, faire obstacle aux candidatures multiples : un parlementaire ou un remplaçant qui, en cours de mandat ou de fonctions de remplaçant ferait acte de candidature en qualité de remplaçant d'un candidat principal, aurait un comportement qui s'apparenterait aux candidatures multiples, prohibées par les textes et par une longue tradition : il solliciterait, au cours d'une même législature les suffrages d'électeurs dans plusieurs circonscriptions. S'agissant au contraire du parlementaire ou du remplaçant sortant, le fait d'être candidat remplaçant pour la nouvelle législature ne saurait être assimilé à faire acte de candidatures multiples, la notion de candidature multiple n'a de sens que dans le cadre d'une législature déterminée. Un candidat qui se représente pour une nouvelle législature ne tombe évidemment pas sous le coup des candidatures multiples.
En second lieu, estiment les défendeurs, les auteurs de l’article L.O. 134 ont entendu éviter les vacances de suppléance qui provoqueraient des élections partielles un remplaçant qui, au cours d’une législature, ferait acte de candidature en qualité de remplaçant dans une nouvelle circonscription ou dans l'autre assemblée ne pourrait plus remplacer le parlementaire auquel il avait vocation à se substituer en cas d'empêchement de celui-ci ; une élection partielle serait alors nécessaire. Or, la raison d'être de l'institution des remplaçants est précisément de limiter le recours aux élections partielles. S'agissant d'un député ou d'un remplaçant sortant qui fait acte de candidature comme remplaçant, le risque d'élection partielle n'existe pas puisqu'il n'y a pas lieu à élection partielle dans les 12 mois précédant l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée ce qui par hypothèse est le cas, les parlementaires sortants ne demeurant en fonction après un renouvellement que quelques semaines.
- Le second argument est tiré des précédents : avant 1967, ni les pouvoirs publics, ni les parlementaires, ni l'administration n'ont songé à opposer aux parlementaires ou remplaçants sortants l'inéligibilité de l'article L.O. 134.
- Le dernier des arguments d'ordre général est tiré de ce que l'interprétation donnée par les requérants de L.O. 134 aurait cette conséquence absurde qu'un député sortant ne pourrait pas pour la nouvelle législature reprendre le remplaçant qu'il avait pendant l'ancienne législature. Et si l'interdiction faite à un parlementaire sortant d'être remplaçant d'un candidat peut paraître moins abusive, ce cas ne peut être dissocié du précédent, le texte étant indivisible ; ainsi le caractère déraisonnable de la 1ère conséquence (l'interdiction pour un candidatde reprendre le remplaçant qu'il avait sous la précédente législature) commande d'écarter selon les défendeurs, l'interprétation proposée par les requérants, même en ce qui concerne la situation du remplaçant qui était titulaire d'un mandat dans la précédente législature.
b) les arguments d’ordre juridique présentés en réponse aux requérants sont les suivants :
- tout d'abord est invoqué le principe selon lequel, les inéligibilités et incompatibilités édictées par la loi sont d'interprétation stricte : la règle est la liberté, les atteintes à cette liberté ne peuvent résulter que de dispositions expresses de la loi et ces dispositions doivent être entendues strictement. Les inéligibilités et incompatibilités prévues par la loi résultent de textes précis : L.O. 135, L 155.
- le second argument est tiré de ce que l'inéligibilité prévue à l'article L.O. 134 doit être appréciée, non à la date de l'élection, mais à celle où commence le mandat du nouvel élu, lorsqu'il s'agit d'un renouvellement de l'Assemblée.
Cet argument est présenté par le Ministre de l'Intérieur et par M. Georges Bonnet de façon d'ailleurs assez différente.
Selon le Ministre de l'Intérieur, la date à laquelle il y a lieu de se placer pour apprécier l'éligibilité d'un candidat est celle du début du mandat. Lorsqu'il s'agit d'élections cantonales ou municipales, la date de début du mandat se confond avec celle de l'élection et c'est pourquoi le Conseil d’Etat, juge de ces élections retient pour apprécier si un candidat est éligible, la date de l'élection. Il en est de même en cas d'élections
législatives partielles. En revanche, en cas de renouvellement d'une assemblée parlementaire, le mandat des nouveaux élus ne commence que plusieurs jours après l'élection, car les pouvoirs de l'ancienne assemblée se prolongent jusqu'au début de la session ordinaire de printemps. Les nouveaux députés ne peuvent être regardés comme élus qu'à la date de la rentrée parlementaire. Or à ce moment, les députés et remplaçants restants ne sont plus députés et remplaçants : l'inéligibilité de l'article L.O. 134 ne saurait donc les frapper.
Le raisonnement de M. Georges Bonnet - bien que voisin de celui du ministre - est moins audacieux. Il procède de cette constatation que le député ou le remplaçant sortant ne sera éventuellement le remplaçant d'un candidat que lorsque les pouvoirs de la nouvelle assemblée auront commencé, c'est à dire le 3 avril et que le nouvel élu sera devenu député. Or à cette date, le sortant ne sera plus député ou remplaçant d'un ancien député. Ainsi, en aucun cas, il ne peut y avoir cumul entre la qualité de député ou de remplaçant d'un député et celle de remplaçant du nouvel élu.
Le troisième argument est présenté par Me LABBE pour M.Georges BONNET.
Me LABBE soutient que l'article L.O. 134 ne peut jouer qu'en cas d'élections partielles.
Il estime que, s'agissant d'élections générales il est superfétatoire puisque l'interdiction qu'il édicte résulte déjà de la loi de 1889 (27 juillet) qui interdit de déposer plus d'une candidature, disposition qui, selon lui, joue aussi bien à l'égard du suppléant du candidat qu'à l'égard du candidat lui-même puisqu'en vertu dés articles L.154 et L. 155 la déclaration de candidature doit indiquer le nom du candidat et celui de son suppléant et que l'article 155 interdit par ailleurs au suppléant d'être candidat et suppléant ou d'être suppléant de plusieurs candidats.
Ainsi, en cas d'élections générales, comme par hypothèse, il n'y a en présence que des candidats, les textes antérieurs à L.O. 134 interdisaient déjà ce qui est interdit par L.O. 134.
En second lieu, il souligne ce qu’aurait d’inéquitable et d’incompatible l’application de l’inéligibilité aux parlementaires ou aux remplaçants sortants :
- pourquoi interdire au remplaçant sortant d’être candidat remplaçant alors, d'une part, qu'il pourrait être candidat député, d'autre part, que le député sortant peut lui, solliciter le renouvellement de son mandat.
Citons en terminant le cas particulier de M. BOULIN dont l'élection est attaquée par MM. LAVIGNE - PALMIERI et qui invoque un argument particulier : M. BOULIN a pris comme remplaçant M. BOYER-ANDRIVET, qui était son remplaçant dans l'ancienne législature et qui l'a en fait remplacer quand M. BOULIN est devenu Secrétaire d'Etat au Budget. M. BOULIN estime que M. BOYER-ANDRIVET, n'avait pas la qualité de député : selon lui un remplaçant qui est appelé à remplacer un parlementaire, conserve la qualité de remplaçant et n’acquiert pas celle de député au séria de l'article L.O. 134.
Discussion.
Celle-ci peut être envisagée à deux points de vue :
- Soit en considérant ce texte de l'article L.O. 134 en lui-même et selon sa lettre indépendamment de son contexte
- Soit en interprétant ce texte à la lumière des intentions de ses auteurs.
A - Le texte en lui-même
- La question qui se pose est de savoir à quel moment on doit se placer pour appliquer l'article L.O. 134.
En effet selon qu'on se place avant ou après la date à laquelle le parlementaire ou le remplaçant sortant perd son mandat ou sa qualité, ce parlementaire ou ce remplaçant ne peut pas ou, au contraire, peut être remplaçant d'un nouveau candidat.
En d'autres termes si, pour l'application de l'article L.O. 134, il convient de retenir comme date de référence une date antérieure au 3 avril 1967, date à laquelle le mandat et la fonction des députés et remplaçants sortants ont seulement pris fin, l'interdiction édictée par cet article joue à l'égard des députés et remplaçants sortants : en effet, à cette date, les intéressés n'avaient pas encore perdu leur mandat ou leur qualité de remplaçant : étant encore députés ou remplaçants ils ne pouvaient, aux termes mêmes de l'article L.O. 134, être remplaçants d'un candidat à l'Assemblée nationale.
Si, en revanche, la date à prendre en considération pour apprécier la situation au regard de l'article L.O. 134 est celle du 3 avril, date de l'entrée en fonctions des nouveaux élus, ou une date postérieure, rien ne s'oppose à ce que le député ou le remplaçant sortant soit remplaçant du nouvel élu puisqu'à cette date il n'est plus titulaire de son ancien mandat ou fonction.
Cette question de la date de référence est donc primordiale.
- Il apparait que la réponse à donner à cette question dépend de la nature de l'interdiction posée par l'article L.O. 134 : s'agit-il d'une inéligibilité ou d'une incompatibilité ?
La réponse, parait certaine : il s'agit d'une inéligibilité. L'article L.O. 134 tout comme le texte de l'ordonnance du 4 février 1959 dont il est issu figure au chapitre des conditions d'éligibilité et non à celui des incompatibilités.
Il en résulte que l'argumentation de M. Georges BONNET est inopérante. Rappelons que celui-ci fonde son raisonnement sur la constatation que, s'agissant d'un député ou d'un remplaçant "sortant" choisi comme remplaçant par un candidat, il ne peut y avoir cumul entre la qualité de député et remplaçant dans l'ancienne législature et celle de remplaçant dans la nouvelle puisque lorsque l'intéressé sera dans le cas d'avoir à remplacer l'élu, il ne sera plus député ou remplaçant d'un parlementaire de l'ancienne assemblée. Or, si les incompatibilités
ont seulement pour objet d’empêcher les cumuls, il n’en est pas de même pour les inéligibilités. Les inéligibilités tendant à empêcher non le cumul défendu mais l’élection elle-même.
C'est pourquoi les conditions d’éligibilité sont traditionnellement appréciées à la date de l’élection. Même si une inéligibilité a disparu postérieurement à l’élection, elle entraîne l’annulation de celle-ci. La jurisprudence du Conseil d'Etat est constante à cet égard.
- élections cantonales de St-Hilaire - 22 mai 1963 (une mutation postérieure à l'élection contestée ne fait pas disparaître la cause d'inéligibilité)
En revanche l'incompatibilité s'apprécie, non à la date de l'élection mais à celle du jugement. Si elle a disparu entre l'élection et le jugement, l'élection ne peut être annulée.
- élections municipales de Lauresses - 11 juillet 1956 p. 320
- élections municipales de Sarcelles - 22 janvier 1965 p. 47.
(officier de police détaché après l'élection dans les fonctions d'attaché d'administration centrale).
La jurisprudence en vertu de laquelle l'inéligibilité doit être appréciée à la date de l'élection est d'ailleurs conforme à la nature même de l'inéligibilité. Une personne inéligible ne peut être élue. Selon Laferrière (D. Constitution, p. 669), l’inéligibilité joue avant l'élection : elle la rend juridiquement impossible.
Le Ministre de l'intérieur tente de surmonter la difficulté en soutenant que, lorsqu'il s'agit d'un renouvellement d'une assemblée parlementaire, le mandat ne commence à courir qu'un certain temps après l'élection
et que jusqu’alors, le candidat élu n'est pas véritablement élu : c’est en quelque sorte un élu à terme. Il ajoute que la date à laquelle doit être appréciée l'éligibilité est celle du début du mandat. Si, selon le Ministre, le Conseil d'Etat retient celle de l'élection c'est parce que pour les élections cantonales et municipales dont il est juge, la date de l'élection se confond avec celle du début du mandat. Quand il en est autrement, c'est la date du mandat qui doit être prise en considération !
Cette argumentation ne peut être accueillie.
- tout d'abord elle repose sur une dénaturation de la notion d'éligibilité. Comme on l'a vu l'inéligibilité fait obstacle à ce qu'un candidat soit élu. Elle rend l'élection juridiquement impossible. Et cette règle s'applique non seulement aux élections administratives mais aussi aux élections législatives. C'est la différence avec l'incompatibilité, qui ne fait pas obstacle à l'élection à moins d'admettre que L.O. 134 a établi une inéligibilité sui generis qui, à la différence des autres, devrait être appréciée à la date d'entrée en fonctions (argument de texte : "ne peut être remplaçant" c'est à dire ne peut avoir à remplacer. Il y a une certaine ambiguité dans le texte).
- en second lieu elle conduit à escamoter l'opération électorale au profit de la notion de commencement du mandat. Sans doute, à l'élu, proclamé, la qualité de Membre du Parlement, avec les pouvoirs et les prérogatives qu'elle comporte, n'appartient qu'à partir du jour où commence son mandat, sous la condition résolutoire de l'invalidation de son élection (Laferrière). Mais, contrairement à ce que soutient le Ministre, ce candidat est un élu dès la proclamation des résultats.
Son élection entraîne des effets avant même le commencement du mandat.
C’est ainsi que le délai de contestation de l'élection devant le Conseil constitutionnel a pour point de départ la proclamation des résultats de l'élection et non la date de début du mandat. Par ailleurs, entre l'élection et l'entrée en fonction du nouvel élu, en cas de vacance du siège, son remplaçant se substitue à lui et aura vocation à occuper le siège lorsque le mandat commencera.
Enfin et surtout la thèse du ministre conduirait à apprécier toutes les conditions d'éligibilité et non seulement celle de L.O. 134 à la date d'entrée en fonction de la nouvelle assemblée. Or même en matière d'élections législatives les conditions d'éligibilité sont appréciées à la date de l'élection : par exemple : l'âge.A.N. Seine-Maritime 4e circ 22/1/63 p. 82.
- enfin même si on était disposé à regarder ces principes comme non applicables au cas de l'espèce, le texte même de la loi commanderait d'y revenir et d'apprécier l'éligibilité du remplaçant à la date de l'élection . L'article L.O. 134 dispose en effet qu'un député ou sénateur ou le remplaçant d'un membre d'une assemblée parlementaire ne peut être remplaçant d'un candidat à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Il nous convie donc à apprécier l'inéligibilité qu’il édicte au moment de la candidature. En second lieu, l’article 7 de l'ordonnance du 24 octobre 1958, qui suit immédiatement la disposition-figurant à l'article 6 - édictant l'inéligibilité litigieuse dispose qu'est interdit l'enregistrement de la candidature d'une personne inéligible en vertu des dispositions des articles précédents. Ces dispositions prouvent que l'inéligibilité édictée à l'article 6 (devenu l'article L.O. 134) doit être appréciée, non pas à la date du commencement du mandat mais dès la date de début de la candidature et, en tout cas, au moment de l'élection. Or par hypothèse, à cette date, le parlementaire ou le remplaçant sortant a encore la qualité de député, de sénateur ou de remplaçant.
Ainsi, sur la base des termes mêmes de l'article L.O. 134, il ne parait pas possible d'échapper à ses conséquences : les candidats qui avaient choisi comme remplaçant un parlementaire ou un remplaçant de l'assemblée sortante étaient inéligibles.
Au surplus à la date où commence le mandat, le délai de recours contre l’élection est le plus souvent expiré. C’était le cas le 3 avril. Or on ne saurait demander à un requérant d’introduire une requête en annulation d’une élection en se fondant sur un cas d’inéligibilité qui ne peut pas encore être apprécié à la date d'introduction du pourvoi.
Avant d’en terminer avec ce débat purement juridique et en quelque sorte exégètique, il reste à examiner l’argumentation présenté pour M. Georges BONNET par Me Léon LABBE.
Selon Me LABBE, rappelons le, le texte ne peut viser que les élections partielles car lorsqu'il s'agit d'élections générales, d'autres dispositions édictent déjà l'inéligibilité prévue à l’article L.O. 134 et on ne peut présumer que le législateur ait entendu reproduire ces dispositions, qui résultent de la loi de 1889 prohibant les candidatures multiples ainsi que des articles L. 154 et L. 155 du code.
Cette argumentation n'est pas décisive.
- ce n'est pas parce qu'un texte reproduit des dispositions antérieures qu'il n'est pas applicable aux situations visées par ces dispositions ;
- en second lieu, il n'est pas exact que, s'agissant d'élections générales, L.O. 134 se borne à reproduire les dispositions interdisant les candidatures multiples. En effet si L.O. 134 n'existait pas, aucune disposition ne ferait obstacle à ce qu'un sénateur ou le remplaçant d'un sénateur soit candidat remplaçant d'un député ou inversement. En effet, il ne s'agit pas dans ce cas d'une candidature multiple.
- enfin l'argument tiré de ce que les candidatures multiples étant déjà interdites, l'article L.O. 134 qui reprend et applique cette règle ne peut s'appliquer en cas d'élections générales ne vaut pas dans l'hypothèse - qui est précisément l'hypothèse litigieuse - ou le remplaçant est un parlementaire ou un remplaçant sortant. Dans ce cas on n'est pas en présence de candidatures multiples.
En revanche, les arguments tirés par lui du caractère inexplicable et inéquitable de l'inéligibilité qui frapperait le sortant emportent tout à fait notre adhésion.
Ajoutons qu'il n'est pas exact que, ainsi que le soutient Me LABBE, le député élu au Sénat ou le sénateur élu député ont la faculté de choisir entre les deux mandats : en vertu de L.O. 134, tout député élu sénateur ou tout sénateur élu député cesse de ce fait d'appartenir à l'assemblée dont il était membre.
On ne peut échapper à cette conséquence qu'en se situant non sur le terrain de la portée du texte mais sur celui de son champ d'application tel qu'il parait résulter de l'intention du législateur.
La gravité des conséquences auxquelles conduirait l'application intégrale du texte justifie la recherche d'une solution acceptable au prix d'un effort qui ne parait pas insurmontable.
En effet, l'enjeu est constitué, non seulement par les 80 élections qui vous sont déférées sur le fondement du moyen tiré de l'article L.O. 134 mais par les quelques 120 autres élections qui, bien que non contestées tombent selon les déclarations du Premier Ministre sous le coup de cette disposition. Rappelons qu'en vertu de l'article LO. 137 sera déchu de plein droit de la qualité de membre de l’Assembée Nationale celui dont l'inéligibilité se révèlera après la proclamation des résultats et l'expiration du délai pendant lequel elle peut être contestée. De sorte que si les 80 élections qui vous sont déférées étaient annulées, cette annulation entraînerait la déchéance de plein droit des 120 autres députés qui se trouvent dans la même situation.
En vertu de la jurisprudence du Conseil d'Etat, ce n'est que lorsqu'un texte n'est pas clair qu'il y a lieu de se reporter aux travaux préparatoires ou à l'intention du législateur :
Interprétation.
Même s'il parait résulter des travaux préparatoires que le législateur a exprimé sa pensée ou sa volonté en des termes qui ont trahi ses intentions, la lettre du texte, lorsqu'elle ne permet par la controverse, doit prévaloir sur son esprit.
12 décembre 1952. Maire p. 576
28 juin 1963. Bardon p. 413.
En vertu du texte d'un décret qui ne citait que les inspecteurs principaux de la santé publique ou de la population comme pouvant être nommés inspecteurs généraux adjoints, a été jugé interdite la nomination a ce grade des inspecteurs divisionnaires, pourtant titulaires d'un grade plus élevé que celui d’inspecteur principal.
Il est vrai que des textes dont le sens pouvait paraître clair ont été interprétés compte tenu des travaux préparatoires.
25 mai 1962. Vve Duhail p. 347.
Ce n'est donc en principe que si la loi est obscure ou seulement imprécise que le juge peut se référer aux travaux préparatoires ou à l'intention du législateur.
27 décembre 1948. ép. Duchauffoin p. 499
8 décembre 1961. Adam.
On peut à la rigueur soutenir que le texte de l'article L.O. 134 n’est pas d'une parfaite clarté et que, dès lors, il est légitime de rechercher quelle a été l'intention du législateur. En effet, le mot "remplaçant" qui figure dans la seconde partie de la phrase : "un député ... ne peut être remplaçant d'un candidat à l'Assemblée nationale ou au Sénat" comporte une certaine ambiguïté. Il peut signifier qu'un député .... ne peut être candidat remplaçant d'un candidat à l'Assemblée nationale ou au Sénat ou au contraire
qu'il ne peut être dans le cas d'avoir à remplacer un candidat lorsque ce candidat sera élu et titulaire de son mandat. Nous avons vu que cette ambiguité peut être levée si on rapproche le texte de la disposition de l'ordonnance du 24 octobre 1958 qui prévoit qu'est interdit l'enregistrement de la candidature d'une personne inéligible en vertu des dispositions des articles précédents, au nombre desquels figure la disposition qui est devenue l'article L.O. 134. Mais on peut semble-t-il admettre que, pris en lui-même, l'article L.O. 134 comporte une certaine ambiguité.
Une autre raison parait justifier la recherche de l'intention du législateur : c'est le caractère inexplicable de la disposition, dans la mesure où elle serait interprétée comme faisant obstacle à ce qu'un candidat prenne comme remplaçant celui qu'il avait dans l'ancienne législature. Ainsi que le relève Me LABBE, on ne comprend pas pourquoi un remplaçant ne pourrait exercer cette fonction que pendant une législature alors qu'un député peut solliciter le renouvellement de son mandat. Ou même pourquoi un député sortant ne pourrait se présenter comme remplaçant alors qu'il peut se présenter comme député. Avant de tirer une telle conséquence du texte, il est légitime de s'assurer que telle a voulu être l'intention du législateur.
Rappelons enfin que le régime des inéligibilités, qui portent atteinte au principe de la liberté des candidatures est de droit strict : s'il existe le moindre doute, il est légitime de rechercher qu'elle est l'intention du législateur.
Disons tout de suite qu'il n'existe pas de travaux préparatoires de l'ordonnance du 4 février 1959, ce qui rend malaisé la recherche de l'intention de ses auteurs : celle-ci n'a été accompagnée d'aucun exposé des motifs et il n'existe aucune trace des débats auxquels elle a donné lieu devant la commission permanente du Conseil d'Etat.
L'intention du législateur peut être recherchée à deux points de vue :
- quels sont les motifs qui l’ont inspiré en édictant les dispositions figurant à l'article L.O. 134 ?
- a-t-il voulu interdire à un député, un sénateur ou le remplaçant d'un parlementaire sortant d’être remplaçant d'un candidat à la nouvelle législature ?
Il est plus aisé de répondre à la seconde question qu'à la première.
Il n'est pas douteux que les auteurs du texte n'ont nullement entendu interdire à un parlementaire ou à un remplaçant sortant d'être remplaçant d'un candidat à la nouvelle législature. Cela nous a été indiqué de la façon la plus nette par un des rédacteurs du texte. La rédaction de ce texte résulte d'une inadvertance qui est imputable aux conditions dans lesquelles il a été élaboré.
D'une part, en effet, l'ordonnance du 4 février 195
D'autre part les rédacteurs ont travaillé dans la perspective des premières élections et non dans celle des renouvellements. C'était l'époque de la mise en place des institutions : l'Assemblée nationale avait été élue en novembre 1958 ; le nouveau Sénat allait être constitué en mars 1959. Ils n'ont pas aperçu qu'en cas de renouvellement de l'Assemblée nationale, l'ancienne assemblée demeurait en fonction quelques temps après les élections.
Enfin les auteurs du texte ont rédigé à partir du texte de l'ordonnance du 24 octobre 1958 : ils ont pensé qu'il suffisait d'adopter le système de rédaction retenu pour ce dernier texte, en se bornant à étendre l’inégibilité qu'il
édictait à de nouveaux cas, sans s'apercevoir que, ce faisant ils "enjambaient" la période au cours de laquelle l'ancienne Assemblée nationale survit aux élections générales jusqu'au début de la session de la nouvelle assemblée, situation qui, évidemment ne se présente pas lorsqu'il s’agit d'une inéligibilité "chevauchant" l'Assemblée nationale et le Sénat.
Telles sont les circonstances qui expliquent que la rédaction adoptée par la disposition qui est devenue L.O. 134 ait trahi les intentions de ses auteurs qui n'ont, selon leurs déclarations, nullement entendu interdire à un député ou à un remplaçant d'un député de l'ancienne assemblée d'être candidat remplaçant pour la nouvelle législature.
Si l'on recherche maintenant quel a été l’objectif poursuivi par le législateur, plusieurs explications viennent à l'esprit.
Nous devons à la vérité de dire que cette recherche est malaisée et assez arbitraire puisqu'il n'existe pas de travaux préparatoires consignés par écrit.
a) en premier lieu, on pourrait songer - ainsi que le fait le Ministre de l'Intérieur et certaines parties en cause - à rattacher L.O. 134 aux mesures destinées à empêcher les candidatures multiples, qui sont, depuis la loi du 27 juillet 1889, prohibées par notre droit électoral.
Indiquons tout de suite que telle ne nous parait pas avoir été la pensée des auteurs de L.O. 134.
Il n'y a de candidatures multiples que lorsqu'un candidat sollicite les suffrages du corps électoral dans deux ou plusieurs circonscriptions différentes au cours d'une même consultation électorale. Le fait pour un membre d'une assemblée d'être candidat, soit à l'autre assemblée, soit à un autre siège devenu vacant en cours de législature de l'assemblée à laquelle il appartient, soit a un siège quelconque à l'occasion du renouvellement de l'assemblée à laquelle il appartient ne se rattache pas à la notion de candidatures multiples.
Il en va de même du parlementaire qui, à l’occasion d'un renouvellement général ou d'une élection partielle fait acte de candidature en qualité de remplaçant.
Enfin il en va de même du remplaçant d'un parlementaire de l'ancienne assemblée qui, à l'occasion d'un renouvellement général ou d'une élection partielle, fait acte de candidature en qualité de remplaçant.
En effet, dans aucune de ces hypothèses, qui sont celles où L.O. 134 trouve son application, l'intéressé ne présente plusieurs fois sa candidature à l'occasion d'une même consultation. L'élément qui caractérise les candidatures multiples fait donc défaut.
Il n'y aurait candidatures multiples que si une même personne faisait à l’occasion d'une même consultation à la fois acte de candidature comme député et comme remplaçant ou comme remplaçant de plusieurs candidats. Or ces hypothèses sont visées, non par L.O. 134, mais par l'article L 155 du code, qui interdit de figurer comme remplaçant sur plusieurs déclarations de candidatures ou d'être à la fois candidat et remplaçant d'un autre candidat.
Ainsi, d'une part, dans toutes les hypothèses pouvant se rattacher à L.O. 134 on ne se trouve pas en présence de situations pouvant être qualifiées de candidatures multiples, d'autre part, dans toutes les situations pouvant être regardées comme des candidatures multiples, il existe une autre disposition du code électoral que celle de l'article 134, qui édicte une interdiction.
C'est dire qu'en prenant l'article L.O. 134, le législateur n'a pas entendu viser les cas des candidatures multiples.
b) le second motif qui aurait pu déterminer le législateur est le souci d’interdire la pratique dite des "locomotives" par laquelle une personnalité politique influente met cette influence au service d'un candidat.
Si tel a été l'objectif poursuivi par le législateur, on pourrait envisager de faire une distinction entre le cas du remplaçant qui, sous la précédente législature, était parlementaire et celui du remplaçant qui sous la précédente législature n'était que remplaçant, notamment lorsqu'il était déjà remplaçant du candidat. En effet, dans la second hypothèse, il est bien difficile de soutenir que ce remplaçant sert de "locomotive" au candidat ; c'est plutôt l'inverse : un candidat peut, s'il est appelé à des fonctions ministérielles faire de son remplaçant un député. En revanche s'agissant d'un remplaçant qui était parlementaire dans l'ancienne législature, on peut se trouver en présence d'un personnage qui favorise ainsi l'élection du candidat principal.
A l'appui de cette distinction, on pourrait se fonder, ainsi qu'y a pensé M. le Professeur LUCHAIRE sur le rapprochement entre L.O. 134 et les articles 5 et 6 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant L.O. relative à la composition et la durée des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
L'article 5 de cette ordonnance prévoit que les députés dont le siège devient vacant pour cause de décès, acceptation de fonctions gouvernementales ou de membre du conseil constitutionnel ou de prolongation au delà de 6 mois d'une mission temporaire confiée par le gouvernement sont remplacés juqu'au renouvellement de l'Assemblée nationale par les personnes élues en même temps qu'eux à cet effet.
L'article 6 prévoit que dans les autres cas de vacance, il est procédé à des élections partielles, sauf dans les 12 mois précédant l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Ces deux articles paraissent ainsi établir une distinction entre le renouvellement et l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée. Or, si le renouvellement n'a pas
le même sens que l’expiration des pouvoirs ; il ne parait avoir d’autre sens que celui d'élections générales.
S'il en est ainsi, les pouvoirs du remplaçant prennent fin en vertu de l'article 5 de l'ordonnance, non à l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée, mais dès l'élection des nouveaux députés, et par suite, puisque nous avons vu que l’inéligibilité édictée par L.O. 134 doit être appréciée au jour de l'élection, le remplaçant qu'il ait effectivement assuré un remplacement ou qu'il ait eu seulement vocation à l'assurer - perdant cette qualité au jour de l'élection, ne tombe plus sous le coup de l'inéligibilité édictée par L.O. 134. Il en va tout autrement de celui qui sous la précédente législature avait la qualité de député puisque son mandat se prolonge au delà des élections et ne prend fin qu'à l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans ces conditions, il résulterait de la combinaison de L.O. 134 et des dispositions sus rappelées de l'ordonnance du 7 novembre 1958 que celui qui, dans la précédente législature avait la qualité de remplaçant ne saurait se voir opposer l'inéligibilité prévue à L.O. 134. Seul celui qui, dans la précédente assemblée était titulaire d'un mandat, ne pourrait être remplaçant dans la nouvelle assemblée.
Il n'est pas douteux qu'en vertu de textes constitutionnels, les remplaçants exercent leurs fonctions jusqu'au renouvellement général ou partiel de l'assemblée à laquelle ils appartenaient. Cela résulte clairement de l'article 25 de la Constitution.
Il est beaucoup moins certain que les constituants aient entendu donner ici au mot renouvellement un sens autre que celui d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée. Sans doute trouve-t-on dans certains textes cette distinction entre le renouvellement et l'expiration des pouvoirs. Il en est ainsi dans l'ordonnance du 7 novembre 1958 dont l'article 3 dispose que l'Assemblée
nationale se renouvelle intégralement et l’article 4 que les pouvoirs de l’Assemblée nationale expirent à l’ouverture de la session ordinaire d'avril de la 5e année qui suit son élection. Mais il n'est pas évident que le terme de "renouvellement " soit synonyme d'élection générale. Selon Barthélémy et Duez p. 489 il y a renouvellement intégral lorsque tous les membres d'une même assemblée arrivent au même jour au terme de leur mandat. On ne peut donc affirmer étant donné l'imprécision de la terminologie que les auteurs de la Constitution et des textes organiques aient entendu rendre synonyme renouvellement et élection. On n'aperçoit d'ailleurs pas pour quelles raisons les auteurs de la Constitution auraient fixé à des dates différentes l'expiration du mandat des députés selon que ce mandat résulte de l'élection ou d'un remplacement. Il en résulterait qu'au cas où, entre les élections et l'entrée en fonction de la nouvelle Assemblée, l'ancienne assemblée devrait se réunir, les circonscriptions dont le député est issu d'un remplacement ne seraient pas représentées.
C'est pourquoi cette construction juridique qui repose sur une combinaison de textes à laquelle, de toute évidence le législateur n'a pas songé nous parait fragile. Par ailleurs si elle permet dans l'affaire L.O. 134 d'éviter l'absurdité qu'il y aurait à empêcher un candidat de reprendre son remplaçant, elle conduirait à une absurdité plus grande encore, qui consisterait à fixer le terme du mandat parlementaire à des dates différentes suivant que le député tient ou non son mandat de l'élection.
Si vous ne retenez pas cette argumentation fondée sur l'ordonnance du 7 novembre 1958, reste à rechercher si le législateur a entendu établir une distinction entre les remplaçants, selon que sous l'ancienne législature, ils étaient titulaire d'un mandat ou seulement de la qualité de remplaçant.
Sans qu’il soit possible d’affirmer que le législateur n’a pas songé à prohiber la pratique dite des "locomotives’’, il est peu probable que cette pensée ait été vraiment à l'origine de L.O. 134.
En effet, la pratique du parrainage n’est pas prohibée par notre droit électoral : un parlementaire, une personnalité politique importante peut légalement apporter son soutien à un candidat, sauf lorsque ce parrainage est susceptible de conférer à une candidature un caractère officiel ou en cas de manoeuvres :
A.N. Charente 3e circ. 8 janvier 1963 p. 55
A.N. Allier 3e circ. 22 janvier 1963 p. 78
Cette pratique est traditionnelle et l’exemple de ces dernières élections montre qu'elle ne fait que se développer. Un très grand nombre de candidats ont bénéficié sous les formes les plus diverses du soutien des leaders et, notamment des anciens candidats à l'élection présidentielle. Dans ces conditions, il est très peu probable que les auteurs de l’article L.O. 134 aient été déterminés par le souci d'empêcher cette pratique dite des "locomotives".
Et comment peut-on penser que s'il avait entendu empêcher cette pratique, il n’aurait opéré lui-même la distinction entre le cas du remplaçant qui était déjà remplaçant et celui du remplaçant qui était parlementaire. Or cette distinction n'est pas faite dans le texte et ce serait de façon purement arbitraire qu'elle serait introduite.
c) Nous en venons à un troisième motif qui est vraisemblablement à l'origine de l'article L.O. 134 : il s’agit du souci d'assurer une application conforme à la Constitution des dispositions concernant l'institution des remplaçants.
L'article L.O. 134 a été pris sur le fondement de l'article 25 de la Constitution en vertu duquel : "une loi organique fixe ... les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer, en cas de vacance du siège, le remplacement des députés et des sénateurs,
jusqu'au renouvellement général ou partiel de l'assemblée à laquelle ils appartenaient". On rappellera qu'une des préoccupations des auteurs de la Constitution a été d’éviter dans toute la mesure du possible le recours aux élections partielles, par l'institution des remplaçants.
Il s'agissait donc d'empêcher de laisser élire un remplaçant qui ne serait pas en mesure, le moment venu, d'assurer le remplacement. Or cela aurait pu être le cas si, au cours d'une même législature, un parlementaire ou le remplaçant d'un parlementaire, avait pu être élu remplaçant. En cas de vacance du siège, il aurait pu choisir de conserver son propre mandat ou sa première qualité de remplaçant et l'institution du remplacement n'aurait donc pas joué puisqu'on ne peut être titulaire de plusieurs mandats ; une élection partielle aurait donc été nécessaire.
Lorsqu'il s'agit au contraire de la candidature comme remplaçant d'un parlementaire sortant, c’est-à-dire d'un député de la précédente législature, l'inconvénient auquel semble avoir voulu parer le législateur n'existe pas : au moment où il y a lieu à remplacement effectif, l'intéressé n'est plus titulaire d'un mandat ou d'une fonction de remplaçant dans l'ancienne législature ; quant à la période comprise entre l'élection et le commencement du mandat des nouveaux élus, il y a tout lieu de penser, que s'il y avait lieu à remplacement, le remplaçant élu, entre la perspective de conserver son ancien mandat pendant quelques jours et celui d'assurer un remplacement pendant cinq ans choisirait cette dernière solution.
Dans ces conditions, si on admet que l'intention du législateur a été de permettre d'assurer effectivement le fonctionnement du mécanisme de remplacement en établissant une inéligibilité destinée à empêcher l'élection de remplaçants qui le moment venu pourront être défaillants, on est conduit à penser que cette
disposition ne concerne pas la candidature du remplaçant puisque, dans cette hypothèse, - et qu’il s'agisse tant d'un parlementaire sortant que du remplaçant d'un parlementaire sortant -, le risque de défaillance tenant à cette circonstance n'existe pas.
A cette intention du législateur tirée des objectifs poursuivis par le texte, on peut ajouter un argument tiré de la rédaction de l'article tel qu'il ressort de l'ordonnance du 4 février 1959.
En effet la disposition de l'article 1er de l'ordonnance du 4 février 1959 est applicable au remplaçant d'un candidat à l'Assemblée nationale et au remplaçant d'un candidat au Sénat.
Or, si cette disposition était interprétée comme interdisant à un candidat à l'Assemblée nationale de prendre pour remplaçant un député ou un remplaçant d'un député appartenant à la précédente assemblée, il en résulterait une inégalité de traitement entre le député ou le remplaçant d'un député qui, par hypothèse, ne pourraient être candidats remplaçants pour la nouvelle législature et le sénateur ou le remplaçant d'un sénateur de l'assemblée sortante qui eux échapperaient à cette inéligibilité et peuvent être remplaçants d'un candidat sénateur à l'occasion d'un renouvellement triennal. Il est peu vraisemblable que le législateur ait entendu établir une telle inégalité.
S'il en est ainsi, la conclusion est que le parlementaire ou le remplaçant "sortant", n'entre pas dans le champ d'application de l'article L.O. 134. Les requêtes susvisées doivent, par suite, être rejetées.
Solution qui, sans doute, n'est pas pleinement satisfaisante car elle conduit à aller à l'encontre de ce qui semble être la lettre du texte et à enlever à celui-ci l'essentiel de sa portée - qui se trouve limitée au cas des élections partielles et au cas chevauchant l'Assemblée et le Sénat, mais elle est conforme au bon sens et parait être l'expression de la volonté du législateur.
M. le Président PALEWSKI remercie M. PAOLI pour son rapport et donné là parole a M. GILBERT-JULES qui pose deux questions :
1°- l’argument tendant à introduire une distinction entre les notions de renouvellement d’une assemblée et d’expiration de son mandat a-t-il été soulevé par un des requérants ?
M. PAOLI précise en réponse que cet argument a été soulevé non par un requérant mais par M. le Professeur LUCHAIRE en section.
2°- qui est le rédacteur des dispositions de l’article L.O. 134 ?
M. PAOLI répond qu’il s’agit de l’un de ses collègues du Conseil d’Etat.
M. LUCHAIRE fait remarquer que la distinction entre l'expiration du mandat d'une assemblée et son renouvellement n'est pas une notion nouvelle puisqu'il en était fait état dans le traité d'Eugène Pierre et que des textes antérieurs, tels que la loi de 1948 sur les élections au Conseil de la République contenaient cette distinction.
M. CASSIN pense que l'argument portant sur une telle distinction est un argument de droit qu'il est préférable de ne pas invoquer afin de régler le problème au fond.
M. CASSIN ajoute qu'il est favorable au rejet des requêtes fondées sur les dispositions de l'article L.O. 134 mais estime qu'il serait bon de faire valoir que le législateur en prenant les dispositions en cause a voulu éviter non les candidatures multiples mais le cumul de mandat et qu'hypnotisé par ce souci, il n'a pas pensé au cas normal du renouvellement général d'une assemblée.
M. CASSIN pense qu'évidemment le texte tel qu'il est rédigé parait laisser peu de possibilités d'interprération mais que le Conseil constitutionnel est moins qu'une autre juridiction tenu au respect de la lettre d'un texte.
M. MONNET estime que le fait que l'on n'ait pu vouloir édicter une inéligibilité plus grave pour le remplaçant que pour le député est un des arguments importants justifiant le rejet des requêtes.
M. WALINE pense que l'article L.O. 134 aurait été inopérant si les députés avaient démissionné avant les élections.
M. LUCHAIRE rappelle que la démission d'un député ne prend effet qu’au jour où le Président en a donné lecture à l'Assemblée nationale.
Tous les membres du Conseil ayant exprimé leur accord avec les conclusions du rapporteur pendant au rejet des requêtes, il est décidé de confier au rapporteur le soin de rédiger un nouveau projet de décision, le projet présenté (annexe I) ne paraissant pas satisfaisant.
Dans la rédaction du nouveau projet, M. CASSIN estime qu'il faudrait insister sur le but poursuivi par le législateur en édictant l'article L.O. 134 qui était d'assurer la disponibilité permanente du remplaçant et d'éviter les élections partielles.
M. GILBERT-JULES estime qu'il serait souhaitable d'insister d'abord sur le fait que le droit des inéligibilités ne peut faire l'objet que d'une interprétation stricte et ensuite de démontrer qu'en édictant l'article L.O. 134 le législateur a seulement voulu éviter les élections partielles.
L'intention du législateur a d'abord été d'interdire le chassé-croisé des candidats entre les deux assemblées, tel était l'objet de l'ordonnance n° 58-1027 du 31 octobre 1958 puis cette interdiction a été étendue par l'ordonnance n° 59-224 du 4 février 1959 à l'intérieur d'une même assemblée toujours dans le but d'éviter les élections partielles.
M. LUCHAIRE est d'accord pour adopter ce plan mais il insiste pour qu'il soit fait mention expresse de l'ordonnance n° 59-224 du 4 février 1959, texte original et non de l'article L.O. 134 qui n’en est qu'une codification partielle.
M. ANTONINI insiste également sur ce point.
Le Conseil décide alors de renvoyer à la séance du jeudi 11 mai 1967 l'examen du projet définitif qui devra être mis au point par M. PAOLI après avis de M. LUCHAIRE.
La séance est levée à 12h30.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.