SEANCE DU 20 NOVEMBRE 1969
COMPTE-RENDU
La séance est ouverte à 10 heures en présence de tous les membres du Conseil à l’exception de M. WALINE, excusé.
M. le Président PALEWSKI déclare que l'ordre du jour porte sur l'examen de la conformité à la Constitution, en application de l'article 61 de celle-ci, d'une résolution en date du 23 octobre 1969, modifiant et complétant le règlement de l'Assemblée nationale
M. CHATENET, rapporteur, rappelle que le règlement de l'Assemblée nationale a été élaboré en 1959 et soumis à l'examen du Conseil constitutionnel, au rapport de M. Victor CHATENAY, en juin et juillet 1959.
Depuis cette époque des résolutions du 18 décembre 1959, 5 décembre 1960, 4 mai 1961, 3 juillet 1962, 19 décembre 1963, 6 octobre 1964 et 26 avril 1967 ont amendé ce règlement sur des points d'inégale importance et toutes ces résolutions ont été, selon la procédure prévue à l’article 61 de la Constitution, soumises à l'examen du Conseil constitutionnel qui les a déclarées conformes à la Constitution.Aujourd'hui c'est un projet plus consistant qui est soumis au Conseil, au moins quant à son abondance, puisqu'il modifié 58 articles du règlement et comporte 105 amendements.
Cette modification trouve son origine dans une idée du Président de l'Assemblée nationale, qui était alors M. CHABAN- DELMAS, idée qui comportait un projet assez important tenant compte des observations faites pendant dix années d'application du Règlement.
Le Président de l’Assemblée nationale dut soumettre ce premier projet aux présidents de groupe, ce qui entraina déjà la disparition d’un certain nombre de dispositions et se concrétisa par une proposition de résolution portant la signature de tous les présidents de groupe à l’exception du groupe communiste pour des raisons tenant d’ailleurs à des principes constitutionnels et non à la teneur du projet lui-même.
A ce niveau, la proposition de résolution avait encore quelque élément de substance mais après les laminages successifs de la commission spéciale et de l’Assemblée il en reste peu de choses.
En effet, dans un régime démocratique, ainsi que le rappelle Eugène PIERRE, chaque chambre est souveraine quant à son règlement sous réserve du respect de la Constitution.
Toutefois, le constituant de 1958 a tenu à poser dans Constitution elle-même un certain nombre de règles concernant le fonctionnement des Assemblées afin d’éviter les abus des régime précédents.
De sorte qu'ainsi que l'a fait remarquer M. GOGUEL, le principe de la souveraineté des assemblées en matière de règlement se trouve appliqué dans un cadre plus précis et le constituant a ajouté l'article 61 pour assurer le respect de ce cadre.
Dans ces conditions, certaines modifications que comportaient le premier projet de résolution ont du être abandonnées car elles comportaient un préalable constitutionne
Pratiquement, on a sacrifié le fond de ce projet à l'apparence de l'accord politique d'où la limitation à des problèmes techniques et l’amenuisement progressif de l’importance du texte. Il reste un manteau d'arlequin dans lequel il a fallu faire de la tapisserie.
Les modifications se regroupent autour de quatre rubriques principales :
- les désignations et nominations ;
- les commissions ;
- l'organisation et le déroulement des débats publics ;
- le contrôle parlementaire.
Avant d'aborder l'examen détaillé des articles le rapporteu tient à faire quelques observations d'ordre général sur les problèmes à côté desquels le texte est passé mais qui ont un rapport avec lui.
Si on laisse de côté les questions purement techniques les problèmes soulevés sont de trois types. Ils concernent : les commissions,les groupes et les questions.
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En ce qui concerne les commissions, un problème a été traité celui des rapports entre les commissions spéciales et les commissions permanentes, un problème a été abordé : celui des commissions permanentes enfin, un problème a été étouffé celui de la publicité des travaux des commissions.
Pour ce qui a trait aux rapports entre les commissions permanentes et les commissions spéciales la pratique, depuis dix ans, a été contraire au voeu du constituant. En effet, quand un projet ou une proposition de loi était déposé sur le bureau de l'Assemblée, il était le plus souvent renvoyé à une commission permanente.
Ainsi sous la première législature 11 commissions spéciales furent constituées ; sous la deuxième législature, six ; sous la troisième, dix ; sous la quatrième, trois. Au total, il ne fut donc constitué que 30 commissions spéciales et douze d'entre elles virent leurs travaux aboutir à l'adoption d'un texte.
A cela il existe d'abord une raison de procédure, il faut en effet huit jours pour constituer une commission spéciale alors que le renvoi à une commission permanente est beaucoup plus facile. C'est pourquoi le nouveau texte prévoit la simplification de la procédure pour la constitution des commissions spéciales.
D'autres raisons non officielles ont été déterminantes : d'une part la susceptibilité des présidents des commissions permanentes et, d'autre part, le fait que sous la troisième législature les commissions spéciales comprenaient un nombre égal de députés de la majorité et de députés de l'opposition ce qui conduisait ces commissions à une certaine impuissance. Sur ce point la réforme entreprise peut être utile.Toutefois si les mesures de simplification de procédure et d'augmentation de l'effectif des commissions spéciales semblent bien adaptées il ne faut pas se faire trop d'illusions sur leur effet tant que n'aura pas changé l'esprit qui régit leur application.
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Les commissions pourraient permettre une adaptation du Parlement tel qu'il fonctionnait au 19ème siècle aux réalités du 20ème siècle. Mais jusqu'à présent elles n'ont pas rempli ce rôle.
La Constitution a limité leur nombre à six afin d'éviter la formation de commissions spécialisées et très influentes pouvant constituer un véritable "shadow-cabinet". Le Parlement a aggravé les choses en voulant donner à chaque député le droit d'appartenir à une commission, ce qui a eu pour conséquence de donner à celle-ci un effectif trop important et d'encourager l’absentéisme. Il faudrait donc que le Parlement se réforme pour mettre fin à ces deux défauts : l’absentéisme et l’inefficacité.
Le problème a été vu mais les mesures proposées ne pourront le résoudre. Ces mesures tendent à l'accentuation du rôle des groupes dans la désignation des membres des commissions et à la précision de la répartition des compétences entre elles par l'énumération de toutes les questions dont chacune d'elles aura à connaître. Une telle répartition est dangereuse car un oubli est toujours possible et l'affaire aurait pu être réglée plus simplement.
En réalité la question des commissions permanentes était de toute première importance car, compte tenu de l’évolution, c'est par elles que l'on peut essayer de trouver une solution à l'adaptation du Parlement au 20ème siècle.
L'ère des grands débats est terminée et il faut maintenant créer des organes de travail.
Jusqu'à présent, et sauf exceptions, les commissions n'ont pas vraiment joué ce rôle et la réforme soumise au Conseil ne les y conduit pas.
Enfin troisième problème concernant les commissions : la publicité de leurs travaux.
Si les commissions constituent des organes de travail il faut qu'elles transmettent des éléments d'information aux membres de l'Assemblée et aux journalistes parlementaire
Le Président de la précédente assemblée avait prévu que, dans certains cas, un réseau de télévision intérieur pourrait permettre aux parlementaires et aux journalistes de suivre les travaux des commissions.
Cette idée ne concernait que certaines séances car il fallait laisser des séances en dehors de toute publicité pour que leurs travaux gardent un caractère de sérieux. Par contre cette publicité était bien adaptée au rôle de contrôle parlementaire pour certaines séances où sont entendues les ministres ainsi qu'il est procédé pour les "hearings" en Grande Bretagne.
Il n'est rien resté de ce projet.
L'Assemblée a préféré le silence à la présence et à la participation intellectuelle, reculant devant l'idée de faire parler les membres des commissions sous les yeux de la presse.
Il y a là une sorte d'inhibition du parlementaire à l'égard de la publicité des séances de travail.
La Constitution de 1958/1962 a fait un pas vers la démocratie directe et tout à coup il y a une rétractation devant un de ses instruments : la publicité notamment par la télévision.
En ce qui concerne les différentes dispositions relatives aux groupes parlementaires l'idée dominante est l'augmentation du rôle des groupes et des présidents de groupe.
Ainsi sont employées des expressions telles que "groupes qui disposent de sièges, ...... sièges attribués aux groupes". Or un siège est inaliénable et le droit de vote est personnel ainsi qu'en dispose l'article 27 de la Constitution.
Désormais le groupe est devenu une entité qui tend à disposer du mandat. Cette tendance à l'hypertrophie du groupe soulève un problème très important : la transformation du parlementaire en robot ce qui est une déviation grave de l'idée de représentation.
Cette idée n'a pas de conséquence précise dans les dispositions présentement soumises au Conseil mais peut être serait-il souhaitable de tirer un coup de semonce contre une tendance dont l'accentuation paraîtrait remettre en cause des principes essentiels.
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Reste le problème des questions. A ce sujet, il faut évoquer le problème de la triste séance du vendredi après-midi alors que la procédure des questions devrait être un élément du contrôle parlementaire a défaut d'interpellations.
Finalement cette procédure non sanctionnée est deve- nue sans intérêt.
Les auteurs du projet de résolution avaient envisagé la procédure des questions d'urgence mais il n'en est pas resté grand chose. On peut regretter que cette procédure, contrairement à ce qui se passe en Grande Bretagne, paraisse si difficile à adapter en France. Sur ce point comme sur le reste ce ne sont pas des textes mais des états d'esprit qui sont en cause.
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Après ces observations d'ordre général du rapporteur M. le Président CASSIN demande si une réforme tendant à instituer la procédure de la question immédiate n'a pas été tentée.
M. CHATENET précise qu'initialement les questions pouvaient être posées jusqu'à 18 heures la veille du jour où il devait y être répondu mais que dans l'état définitif de la résolution on est revenu à une procédure routinière.
M. DUBOIS estime que le fait que le débat faisant suite à la question soit dépourvu de sanction prive celle-ci de toute utilité.
M. CHATENET considère que la publicité donnée aux questions peut contrebalancer le défaut de sanction.
M. LUCHAIRE relève une certaine contradiction dans les propos du rapporteur qui veut à la fois encourager la démocratie directe et sauvegarder le régime représentatif.
La démocratie directe signifie que l’élu est subordonné à l'électeur. Il y a donc une contradiction.
Les deux principes existent dans la Constitution il faut donc s'en contenter et un débat de philosophie constitutionnelle n'est peut être pas utile, chacun ayant ses propres conceptions.
M. CHATENET ne voit pas de contradiction dans ses propos. Certes le système constitutionnel est une série de compromis pour l'adapter aux circonstances du moment ce qui peut laisser croire à des contradictions apparentes mais l'élection du Président de la République au suffrage universel n'empêche pas un rôle plus actif des commissions et ne signifie pas que le député doive devenir un robot.
M. LUCHAIRE : "Il s'agit de savoir si l'on va dans le sens de la liberté de l'élu ou pas."
M. MONNET déclare : "Le Parlement joue perdant dans la mesure où il ne brille pas".
M. le Président PALEWSKI fait observer que nous vivons sous un régime qui est sui generis et qui enferme les deux idées. La troisième République vivait sous le régime des commissions plutôt que sous un régime d'assemblée : Une commission comme celle des finances bien que composée d'éléments souvent médiocres disposait d'une toute puissance qu'elle exerçait sur le Gouvernement et sur l'administration
Maintenant les choses sont tout à fait différentes. L'un des graves inconvénients de la stabilité gouvernementale c'est la toute puissance de l'administration alors que sous la troisième République les commissions pouvaient joue: un rôle de défense des citoyens.
En ce qui concerne la publicité des travaux des commissions M. le Président a un avis réservé sauf pour les "hearings". Il faudrait surtout que les députés y décident en fonction de la valeur des textes et non dés impératifs des groupes.
Pour les questions le système britannique qui va de pair avec une extrême brièveté dans les interventions parait difficilement transposable chez nous latins.
Enfin, M. le Président partage tout à fait les soucis du rapporteur quant au monolitisme des groupes et à la nécessité de défendre la liberté individuelle du parlementaire.
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M. CHATENET procède ensuite à l’examen, article par article, de la résolution soumise au Conseil.
Il donne lecture et fait une brève analyse de chacune de ces dispositions.
Les articles 7, 10, 11, 20, 25 et 26 sont ainsi reconnus conformes à la Constitution.
M. DUBOIS fait observer que l'article 28 nouveau remplace un précédent article qui prévoyait la nomination des représentants de l'Assemblée nationale au Sénat de la Communauté. Or, ce Sénat a disparu en fait mais non en droit puisque son existence est toujours prévue par la Constitution.
Dans ce cas peut-on déclarer conforme à la Constitution des dispositions abrogeant la référence au Sénat de la Communauté ?
M. CHATENET pense qu'il est difficile de mentionner le Sénat de la Communauté dans un texte actuel.
M. LUCHAIRE constate que le règlement de l'Assemblée nationale ne supprime pas le Sénat de la Communauté mais qu'il ne règle plus les modes de désignation à ce Sénat. Ce que le Conseil approuve c'est le nouveau règlement qui n'a rien de contraire à la Constitution.
L'article 29 dispose que "les représentants de l'Assemblée nationale se concertent chaque année pour présenter à la commission des affaires étrangères un rappor écrit sur l'activité de l'Assemblée européenne dont ils font partie".
M. CHATENET estime que cette disposition n'est pas contraire à la Constitution mais à l'esprit du traité de Rome dans la mesure où elle tend à montrer que les députés qui vont dans les assemblées européennes n'y vont pas à titre individuel mais en tant que représentants d'une assemblée et même d'une commission.
Selon le traité de Rome les députés au Parlement de Strasbourg y vont en tant que député à titre individuel.
Désormais l'article 29 du règlement fait apparaitre une entité nationale alors qu'on a voulu que les députés se joignent pas tendances et non pas nations.
Les articles 30 et 31 alinéas 1 et 3 ne donnent pas lieu à débat.
Pour l'article 31 alinéa 4, le rapporteur fait observer qu'il s'agit de l'organisation du débat faisant suite à une opposition à une demande de Constitution d'une commission spéciale.
Les nouvelles dispositions précisent qu'au cours de ce débat "peuvent seuls prendre la parole .... l'auteur de l'opposition, l'auteur ou le premier signataire de la demande et les présidents des commissions permanentes intéressées".
La possibilité d’intervention du Gouvernement n'est donc plus mentionnée dans les nouvelles dispositins alors qu'elle figurait dans le précédent texte et qu'elle est indiquée dans de nombreuses autres dispositions. Or cette intervention est de droit en vertu de l'article 31 de la Constitution.
Il faut donc déclarer non conformes à celle-ci les dispositions de l'article 31 alinéa 4.
M. ANTONINI pense qu’une telle attitude serait rigoureuse car le problème n'a pas échappé aux auteurs de la proposition de résolution ainsi qu'il est mentionné à propos de l'article 135 dans le document parlementaire n°399 (p. 59), toutefois ceux-ci ont cru que la mention du droit d'intervention du Gouvernement était superfétatoire.
M. CHATENET estime qu'il faut éviter les incidents et faciliter le rôle des présidents de séance.
Le Conseil décide de déclarer non conformes les dispositions de l'article 31 alinéa 4.
L'article 32 est déclaré conforme.
Pour l'article 33 qui donne le droit au Président de l'Assemblée de fixer, dans certains cas, l'effectif d'une commission spéciale à 41 membres, M. LUCHAIRE fait observer que cela parait contraire aux dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qui précisa que c'est le règlement des Assemblées qui fixe la composi- tion des commissions. Or le Conseil constitutionnel a déjà décidé que des dispositions non conformes à celles de l'ordonnance susvisée devaient être considérées comme inconstitutionnelles (66-28 DC du 8 juillet 1966, Rec.p.15)
M. DUBOIS pense qu'il ne s'agit que d'une délégation de pouvoirs consentie par l'Assemblée a son Président mais que cela risque de faire précédent.
M. CHATENET après avoir dit que cela pouvait être considéré coihme de la procédure se rallie au point de vue de M. LUCHAIRE.
Le Conseil décide en conséquence de déclarer non conformes les dispositions susvisées de l’article 33 ainsi que celles de l’article 34 qui y font référence.
Pour les derniers alinéas de l’article 34, M. DUBOIS fait remarquer que leurs dispositions permettent à un groupe d'exclure un de ses membres d'une commission spéciale au cours même des travaux de cette commission et que cela rejoint les observations d’ordre général sur la diminution de la liberté individuelle des députés.
Les articles 36, 37, 38, 39 et 40 sont déclarés conformes à la Constitution.
Sur la demande de M. LUCHAIRE, les dispositions de l'article 41, alinéa 1 sont déclarées non conformes dans la mesure où en donnant à la conférence des Présidents le pouvoir de poser la règle suivant laquelle une matinée de la semaine est réservée aux travaux des commissions permanentes alors qu'aux termes de l’article 50, alinéa 3, du règlement l'Assemblée ne peut siéger au cours de cette matinée, ces dispositions sont contraires à celles de l'article 48, premier alinéa, de la Constitution qui donne au Gouvernement le pouvoir de fixer l'ordre du jour prioritaire.
Les articles 43,46, 87, 88 et 91 sont déclarés conformes à la Constitution.
Le rapporteur aborde ensuite la troisième catégorie, des dispositions qui porte sur l'organisation des débats.
Les articles 48, 49, 50, 54, 56, 58, 61 et 66 sont déclarés conformes à la Constitution, l'article 50 n'étant toutefois accepté qu'après que l'article 41, alinéa 1 ait été déclaré non conforme pour les raisons exposées ci-dessus, M. DUBOIS ayant fait observer que les dispositions de l'article 50, alinéa 6, permettent à l'Assemblée de tenir séance, dans certains cas, pendant la matinée réservée aux travaux des commissions.
La séance est suspendue à 12 h. 45. Elle est reprise à 15 heures.
Les articles 95, 99, 100, 101, 103, 104, 105, 106, 107, 111 et 118 sont déclarés conformes à la Constitution sans débats.
Le Conseil aborde ensuite les dispositions relatives au contrôle parlementaire.
M. LUCHAIRE estime que les dispositions de l'article 132 aux termes desquelles "la conférence des Présidents peut décider que, .., le nombre des orateurs de chaque groupe intervenant dans le temps attribué à celui-ci ne sera pas limité, "introduisent une grave inégalité entre les députés membres d'un groupe et les députés non inscrits et que cela est contraire au principe de l'égalité des députés.
M. CHATENET répond que ces dispositions ne tendent pas à augmenter le temps de parole du groupe mais seulement à ne pas limiter le nombre de ses orateurs.
M. LUCHAIRE en convient.
L'article 133 prévoit que désormais le président d'une commission permanente peut poser,
M. LUCHAIRE considère que ces nouvelles dispositions pourraient obliger un Président de commission à poser une question contre son propre avis et que cela est contraire aux dispositions de l'article 48, alinéa 2, de la Constitution qui précisent que les questions sont posées par les membres du Parlement, ce qui implique que les commissions n'ont pas le droit de question.
La question est un mode d'exercice du contrôle parlementaire or celui-ci est réservé aux députés.
M. CHATENET souligne que les dispositions de l'article 133 ne sont pas conformes à la Constitution en tant qu'elles créent une catégorie de questions non posées par les membres du Parlement eux-mêmes.
M. le Président PALEWSKI rappelle que dans une affaire importante une commission peut demander à son président de poser une question. De plus les commissions ont le droit d'amendement elles doivent donc avoir aussi celui de poser des questions. Dans ces conditions, M. le Président se demande si le Conseil est fondé à empêcher la novation de l'article 133.
M. LUCHAIRE pense qu'admettre cette novation serait ouvrir une brèche dans un principe constitutionnel qui est d'enserrer le contrôle parlementaire dans certaines limites.
La question est une forme de critique et l'article 133 permettrait une sorte de motion de défiance votée par un microcosme de gouvernement. En effet à l'intérieur des commissions le vote pour ou contre la question deviendrait un vote pour ou contre le Gouvernement c'est à dire un vote de censure auquel le communiqué à la presse donnerait une certaine publicité.
Cela prendrait alors l'allure d'un blâme et serait contraire à ce qu'a voulu le Constituant de 1958.
M. ANTONINI considère que dans la pratique cela est déjà possible.
M. CHATENET estime qu'il est gênant d'inventer un type de procédure qui n'est nécessité par rien.
Le Conseil devrait donc signaler que la procédure nouvelle de l'article 133 ne parait pas conforme aux dispositions de l'article 48 de la Constitution qui prévoient que le: questions sont posées par les membres du Parlement et non par des organes de celui-ci.
Il en est ainsi décidé.
Les articles 134, 135, 137-1 et 139 sont déclarés conformes à la Constitution.
Pour l'article 147, qui comporte notamment l'institution d'un délai de trois mois fixé au Ministre auquel a été transmis une pétition pour y répondre, M. CHATENET se demande s'il appartient au règlement de l'Assemblée de définir un délai de réponse impératif au Gouvernement alors qu'il ne s'agit pas vraiment de l'exercice du contrôle parlementaire.
M. DUBOIS estime que la transmission d'une pétitior au Gouvernement participe au contrôle parlementaire et que s'il n'y a aucun délai de réponse le ministre pourra ne jamais répondre.
M. LUCHAIRE fait observer qu'actuellement lorsqu'une commission renvoie une pétition au Gouvernement elle ne s'en occupe plus.
M. CHATENET estime que si le Parlement reprend à son compte le problème soulevé par la pétition il est normal qu'il puisse fixer un délai mais dans le cas contraire ce n'est pas l'exercice du contrôle parlementaire. Le Parlement dispose d'ailleurs d'une toute autre procédure pour exercer son contrôle.
M. le Président PALEWSKI pense que la pétition qui est l'appel à l'autorité est en dehors du droit parlementaire.
M. CASSIN rappelle que la transmission d'une pétition au pouvoir exécutif appelle un acte de la part de celui-ci et qu’il est normal que l'on lui demande d'y répondre.
La convention des droits de l'homme prévoit d'ailleurs que les pouvoirs publics doivent répondre aux pétitior
M. CASSIN hésiterait beaucoup à voter que cet alinéa est inconstitutionnel.
M. LUCHAIRE fait observer que l'obligation formulée à l'alinéa 5 de l'article 147 est de toutes façons dépourvue de sanction.
M. CHATENET pense que cet alinéa est fondé sur de bons sentiments mais que c'est justement lorsque l'Assemblée n'utilise pas ses pouvoirs de contrôle qu'elle impose un délai au Gouvernement. De plus la disposition litigieuse n’a aucun fondement constitutionnel.
Le Conseil décide de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'alinéa 5 de l'article 147 ainsi que celles des alinéas 3 et 4 en tant qu'ils font référence aux dispositions susvisées de l'article 133 déclarées inconstitutionnelles.
Les articles 148, 148-1, 148-2, 149 et 151 et 162 sont ensuite reconnus conformes à la Constitution.
M. CHATENET donne lecture du projet de décision ci-après :
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Saisi le 28 octobre 1969 par le Président de l'Assemblée nationale, conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution, d'unerésolution en date du 23 octobre 1969 modifiant et complétant le règlement de l'Assemblée nationale en ses articles 7, 10, 11, 20, 25, 26, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 43, 46, 48, 49, 50, 54, 56, 58, 61, 66, 87, 88, 91, 95, 99, 100, 101, 103, 104, 105, 106, 107, 111, 118, 132, 133, 134, 135, 136, 137-1, 139, 147, 148, 148-1, 148-2, 149, 151, 162 ;
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et notamment ses article 17 (alinéa 2), 19, 20 et 23 (alinéa 2) ;
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Considérant que les dispositions de ce texte, relatives à l'organisation du débat faisant suite à une opposition formulée contre la constitution d'une commission spéciale, dans la mesure où elles précisent que seuls certains parlementaires qu'elles énumèrent pourront prendre la parole dans ce débat, sort contraires aux dispositions de l'article 31 (alinéa 1), de la Constitution aux termes duquel les membres du Gouvernement sont entendus par les Assemblées quand ils le demandent ;
- En ce qui concerne les dispositions de l'article 33 (alinéa 2)
Considérant que la conformité à la Constituton des règlements des assemblées parlementaires doit s'apprécier tant au regard de la Constitution elle-même que des lois organiques prévues par elle ainsi que des mesures législatives nécessaires à la mise en place des institutions, prises en vertu de l'alinéa 1er de l'article 92 de la Constitution ;
Considérant que l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, prise en vertu de l'article 92 de la Constitution, prévoit dans son article 5, que c'est le règlement de chaque assemblée parlementaire qui fixe la composition et le mode de désignatioi des membres des commissions mentionnées à l'article 43 de la Constitution ainsi que les règles de leur fonctionnement ;
Considérant que les dispositions de l'article 33 (alinéa 2) du règlement de l'Assemblée nationale, dans la rédaction qui leur a été donnée par la résolution du 23 octobre 1969, prévoient que par dérogation aux dispositions de l'alinéa précédent, le Président de l'Assemblée peut décider que l'effectif des commissions spéciales soit porté à 41 membres ; qu'ainsi elles confèrent au Président de l'Assemblée une compétence qui, en vertu du texte précité, n'appartient qu'à l'Assemblée nationale elle-même par la voie de son règlement ; que, par suite, lesdites dispositions de l'article 33 (alinéa 2) dudit règlement ne sont pas conformes aux dispositions relatives aux mesures nécessaires à la mise en place des institutions et doivent, dès lors, être regardées comme non conformes à la Constitution ;
- En ce qui concerne les dispositions de l'article 41 (premier alinéa) :
Considérant qu'en donnant à la conférence des Présidents le pouvoir de déroger, par une décision prise au début d’une session et pour toute sa durée, à la règle suivant laquelle la matinée du jeudi est réservée aux travaux des commissions permanentes, les dispositions dont il s'agit rapprochées des dispositions de l'article 50, (alinéa 3) qui interdit à l'Assemblée de siéger pendant les matinées réservées aux réunions des commissions font obstacle à l'application du principe édicté par l'article 48 (premier alinéa) de la Constitution, d’après lequel "l’ordre du jour des assemblées comporte, par priorité et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, la discussion des projets de lois déposés par le Gouvernement et des propositions de lois acceptées par lui" ; que, par suite et dans cette mesure, les dispositions précitées, soumises à l'examen du Conseil constitutionnel, ne peuvent être regardées comme conformes à la Constitution ;
- En ce qui concerne l'article 133 (premier alinéa ) :
Considérant que ces dispositions, en ce qu'elles permettent au président d'une commission permanente de poser, au nom de celle-ci, des questions orales à un ministre, sont contraires à celles de l'article 48 (alinéa 2) de la Constitution, lequel réserve aux seuls membres du Parlement la faculté de poser des questions au Gouvernement ;
- En ce Qui concerne les dispositions de l'article 147 (cinquième alinéa) dudit règlement :
Considérant que les dispositions dudit alinéa en tant qu'elles imposent un délai de réponse au ministre auquel a été renvoyée une pétition, ne peuvent être regardées comme conformes à la Constitution, dès lors que le droit de pétition dans son fondement et dans sa nature ne saurait être considéré comme mettant en cause les principes constitutionnel qui régissent les rapports du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ;
- En ce qui concerne les autres dispositions du même règlement soumises à l'examen du Conseil constitutionnel :
Considérant que les articles 7, 10, 11, 20, 25, 26, 28, 29, 30, 31 (alinéas 1, 2 et 3), 32, 33, 34, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 43, 46, 48, 49, 50, 54, 56, 58, 61, 66, 87, 88, 91, 95, 99, 100, 101, 103, 104, 105, 106, 107, 111, 118, 132, 133, 134, 135, 136, 137-1, 139, 147 (alinéas 1, 2, 3, 4 et 6), 148, 148-1, 148-2, 149, 151, 162 ne sont, dans la rédaction qui leur a été donnée par la résolution susvisée, contraires à aucune disposition de la Constitution ;
DE C I D E :
Article premier - Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 31 (alinéa 4), dans la mesure précisée ci-dessus, et les dispositions de l'article 147 (alinéa 5) du règlement de l'Assemblée nationale, dans la rédaction qui a été donnée auxdits articles par la résolution susvisée en date du 23 octobre 1969.
Article 2 - Sont déclarées conformes à la Constitution les autres dispositions dudit règlement soumises à l'examen du Conseil constitutionnel, telles qu'elles résultent de la résolution du 23 octobre 1969.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 novembre 1969.
Il est décidé de modifier ce projet notamment :
- dans le premier considérant afin de faire apparaitre que la possibilité d'intervention du Gouvernement figure dans de nombreuses dispositions du règlement ;
- dans le deuxième considérant afin de mentionner les disposi- tions de l'article 34 sont non conformes en ce qu'elles font référence à celles de l'article 33 ;
- dans le troisième considérant afin, d'une part, de préciser que la Constitution réserve aux seuls députés agissant à titre individuel le droit de poser des questions et, d'autre part, de faire mention des dispositions de l'article 147 déclarées non conformes par suite de la même décision visant l'article 133.
Enfin, il est décidé d'ajouter au dernier considérant une phrase spécifiant que certains articles ne sont conformes à la Constitution qu’en tant qu’il ne soit pas porté atteinte au caractère personnel et inaliénable du mandat parlementaire, cette réserve étant destinée à constituer un coup de semonce contre la tendance à renforcer les pouvoirs des groupes et présidents des groupes au détriment de la liberté individuelle des députés.
Le projet ainsi modifié est adopté.
L’original de la décision sera annexé au présent compte rendu.
La séance est levée à 17 heures.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.