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Julie Vaernewyck

PV1970-02-23

SEANCE DU 23 FEVRIER 1970

COMPTE-RENDU

 La séance est ouverte à 10 heures en présence de tous les membres du Conseil à l’exception de M. CHATENET excusé.

 M. le Président PALEWSKI donne la parole à M. LUCHAIRE rapporteur de la première affaire qui porte sur l’examen, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique des dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 58-1357 du 27 décembre 1958 sur le contrôle de la fabrication des conserves et semi-conserves de poissons, crustacés et autres animaux marins.

 Ces dispositions sont les suivantes :

 "Le financement du contrôle ci-dessus est assuré par une taxe forfaitaire perçue au profit de l'institut scientifique et technique des pêches maritimes, à l'occasion de chaque expédition, par caisse de cent boîtes ou fraction de cent boîtes de conserves ou semi-conserves.

 Le payement de cette taxe est matérialisé par un certificat, délivré par l'institut scientifique et technique des pêches maritimes, qui est obligatoirement joint à chaque caisse. Le taux de cette taxe est déterminé conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi du 25 juillet 1953 portant aménagements fiscaux.

 Toute expédition sans certificat entraîne le recours à la procédure de recouvrement obligatoire prévue par l'article 7 de la loi du 25 juillet 1953 précitée."


 M. LUCHAIRE présente le rapport suivant :

 "Le Conseil est invité par M. le Premier Ministre dans les formes prévues par l’article 37 de la Constitution à se prononcer sur le caractère législatif ou réglementaire des dispositions de l'article 2 de l'ordonnance du 27 décembre 1958 sur le contrôle de la fabrication des conserves et semi-conserves de poissons, crustacés et autres animaux marins.

 Ces dispositions ont créé une taxe dont le taux est renvoyé à des arrêtés ministériels et qui permettent à un établissement public administratif (Institut scientifique et technique des pêches maritimes) d'exercer un contrôle de salubrité sur certains produits de la pêche maritime de la conchyliculture et de la mytiliculture destinés à la consommation.

 Cette taxe qui frappe notamment les huitres, moules et autres coquillages nous oblige à aborder des problèmes forts importants puisqu'ils mettent en cause l'ensemble de ce que l'on appelle la parafiscalité.

 En effet nous avons à appliquer et à concilier deux textes qui sont respectivement l'article 34 de la Constitution d'après lequel "la loi fixe les règles concernant .... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature" et le dernier alinéa de l'article 4 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances d'après lequel "les taxes parafiscales perçues dans un intérêt économique ou social au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs, sont établies par décret en Conseil d'Etat, ..."

 C'est tout le problème de la parafiscalité qui se trouve posé.

 Il convient tout d'abord de rappeler brièvement ce qu'est la parafiscalité.


 La parafiscalité est apparue entre les deux guerres mondiales avec la création des offices lorsque des textes législatifs ou réglementaires ont permis à des organismes généralement publics mais parfois aussi privés de percevoir des recettes à des fins économiques, professionnelles ou sociales spécialement affectées à un objectif précis et échappant par conséquent au principe de la généralité budgétaire ; il s’agit donc "d’un financement direct qui a été recherché en dehors du budget" (TROTABAS Science et Technique fiscales n° 249).

 Pour reprendre une expression du Doyen TROTABAS la parafiscalité a permis à l'Etat ou à un établissement public d'intervenir avec ses ressources et ses privilèges dans des activités qui n'appartiennent plus à la vie publique et qui orientent les finances publiques vers la vie privée ; c'est pourquoi la parafiscalité a pu aussi être mise au service d'organismes privés.

 La multiplicité des offices a d'abord entraîné des réactions parlementaires : l'office est la pépinière de tous les abus disait-on déjà avant la deuxième guerre mondiale ; la multiplicité des taxes parafiscales établies par voie réglementaire a entraîné de nombreuses réactions législatives, c'est ainsi que la loi du 25 juillet 1953 a décidé dans son article 3 qu'"une taxe parafiscale ne peut être instituée qu'en vertu de la loi" ; dans le même esprit l'article 89 de la loi du 4 août 1956 interdit à partir du 1er janvier 1958 le recouvrement de toutes taxes parafiscales sauf autorisation législative.

 A la veille de l'intervention de la Constitution de 1958 il est intéressant de rechercher quelle était la définition de la taxe parafiscale. Nous retiendrons la définition donnée par le Doyen TROTABAS qui estime (Manuel d'institutions financières n° 116) que "la recette parafiscale n'est pas destinée à couvrir l'ensemble des charges publiques mais constitue une recette spécialement affectée, perçue en raison d'une situation particulière et non sur la base des facultés contributives" ; le même auteur ajoute (Manuel de science et technique fiscales n° 249) que la taxe parafiscale a une "affectation à un but économique ou social".


 Dans ces conditions on peut se demander si l’article 34 de la Constitution a voulu comprendre les taxes parafiscales dans l'expression "impositions de toute nature" ; nous disposons à cet égard de quelques indications résultant des travaux préparatoires et de certaines discussions au sein du Conseil d'Etat.

 L'avant-projet gouvernemental soumis au comité consultatif constitutionnel n'utilisait pas l'expression "impositions de toute nature" mais plaçait dans le domaine de la loi "les ressources et les charges de l'Etat ainsi que les taxes parafiscales" ; l'avis du comité consultatif constitutionnel nuançait un peu cette formule en disposant que "dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique une loi de finances détermine les ressources et les charges de l'Etat ainsi que les taxes parafiscales". Le texte définitif de la Constitution supprime toute allusion aux taxes parafiscales mais il utilise l'expression "impositions de toute nature" et rappelle que "les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique".

 La disparition des taxes parafiscales dans ce texte définitif signifie-t-elle que les constituants ont entendu les placer dans le domaine réglementaire ou au contraire ont voulu les maintenir dans le domaine législatif en les faisant entrer dans l'expression très général d'"impositions de toute nature" ?

 Nous disposons à cet égard des observations faites par notre regretté collègue M. DESCHAMPS qui fut, vous le savez, rapporteur général de la Constitution devant le Conseil d'Etat, observations qu'il fut amené à faire devant l'Assemblée générale du Conseil d'Etat le 23 octobre 1958 à propos d'une ordonnance sur le prix d'objectif de la betterave.

 M. DESCHAMPS déclara devant la Haute Assemblée que dans le texte qu'il avait présenté à la commission spéciale du Conseil d'Etat il avait proposé l'expression "impôts, droits et taxes de toute nature", ce qui dans son esprit ainsi que dans celui des rapporteurs adjoints comprenait bien les taxes parafiscales. La commission proposa de retenir l'expression

 

suivante : "affectation des impositions de toute nature demandées aux contribuables" ; mais d’après M. DESCHAMPS la commission entendait toujours comprendre dans cette phrase les taxes parafiscales ; finalement le texte retenu fut celui qui figure dans le texte définitif et M. DESCHAMPS estime que l'expression "impositions de toute nature" avait été choisie pour placer dans le domaine de la loi toutes les recettes imposées par la puissance publique à l'exception évidemment des redevances pour services rendus.

 Mais ces observations de M. DESCHAMPS se situaient avant que le Conseil d'Etat ait à discuter du deuxième texte cité au début du présent rapport, c'est-à-dire l'article 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relatif aux lois de finances.

 Je rappelle que le dernier alinéa de cet article qui place les taxes parafiscales dans le domaine réglementaire en disposant que "les taxes parafiscales perçues dans un intérêt économique ou social au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs sont établies par décret en Conseil d'Etat".

 Cette phrase a fait l'objet d'une abondante discussion au sein du Conseil d'Etat dont certains membres ont mis en doute la constitutionnalité.

 Le Président de la commission des finances eut l'occasion de dire qu'en matière fiscale, il préférait la plus mauvaise des chambres à la meilleure des antichambres ; on lui répondit que si l'on mettait toute la parafiscalité dans le domaine de la loi on empêcherait pratiquement le Gouvernement de définit librement sa politique économique ; le Conseil d'Etat adopta une solution transactionnelle proposée par M.LATOURNERI et CHASSERAT en proposant que les taxes parafiscales puissent être établies non pas par décret en Conseil d'Etat mais par règlement d'administration publique puisque ce règlement pris sur l'invitation du législateur lui paraissait plus respectueux de la volonté de celui-ci ; mais le Gouvernement n'a pas suivi le Conseil d'Etat et a maintenu le texte qu'il avait proposé et qui est devenu le texte définitif que nous connaissons.

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 L'ordonnance organique a été alors la proie de la doctrine, certains auteurs en ont pris acte avec une nuance de regret (Paul GAUDEMET), d'autres l'ont déclarée inconstitutionnelle (Maurice DUVERGER).

 Nous cherchons évidemment a éviter pareille controverse qui nous entraînerait fort loin ; nous remarquerons cependant au passage qu’une autre critique aurait pu être adressée à l'ordonnance organique à laquelle on aurait pu reprocher d'être sortie du domaine que lui fixait la Constitution ; en effet la Constitution prévoit l'intervention d'une loi organique à propos des lois de finances déterminant "les ressources et les charges de l'Etat" ; or cette ordonnance organique précisément dans l'alinéa en cause concerne les recettes de personnes morales autres que l'Etat ; mais là encore il convient d'éviter une discussion qui nous mènerait trop loin et qui nous obligerait à rechercher quelle est la valeur juridique de la disposition d'une loi organique portant sur une matière autre que celle que la Constitution lui avait impartie.

 De ce qui vient d'être dit il nous parait qu'un élément essentiel doit être retenu : les termes de la Constitution (impositions de toute nature) sont tellement généraux que les exceptions contenues dans l'ordonnance organique ne peuvent être interprétées que strictement.

 Or, précisément, c'est un problème d'interprétation qui se pose à nous : lorsque la loi organique permet l'établissement par voie réglementaire de taxes parafiscales "au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs" l'expression "établissements publics administratifs" se rapporte-t-elle seulement aux collectivités territoriales ou se rapporte-t-elle aussi à l'Etat ; autrement dit est-il possible d’établir une taxe parafiscale au profit d’un établissement public administratif de l'Etat ?

 La question a-t-elle été déjà jugée ? Il ne le semble pas. Nous disposons de plusieurs arrêts du Conseil d'Etat statuant au contentieux et qui ont admis l'établissement par voie réglementaire de taxes parafiscales au profit d'organismes privés. Nous disposons également d'une décision du Conseil constitutionnel qui a admis l'établissement d'une taxe parafiscale au profit d'un établissement public à caractère industriel

et commercial, en l'espèce la R.T.F. (décision du 11 août 1960) ; mais aucune décision n'a eu jusqu'à présent à se prononcer sur des taxes de cette nature perçues au profit d'établissements publics administratifs ; les deux auteurs qui se sont penchés sur cette question ont donné des solutions différentes.

 M. Jean GROUX qui, dans les services du Premier Ministre, est notre correspondant habituel pour ce genre de questions estime que ces taxes peuvent être établies par voie réglementaire au profit d'un établissement public administratif, dès lors qu'elles ont un intérêt économique ou social ; par contre, M. BRACHET dans sa thèse de doctorat estime que l'expression "établissements publics administratifs" désigne aussi bien ceux de l'Etat que ceux des collectivités territoriales et qu'en conséquence une taxe parafiscale ne peut être établie par voie réglementaire au profit d'un établissement public administratif qu'elle que soit la collectivité dont il relève.

 C'est cette deuxième intérprétation qui nous parait devoir être retenue et cela pour deux raisons :

- en premier lieu s'il est normal que les établissements publics industriels et commerciaux échappent à certains grands principes de la comptabilité publique c'est d'ailleurs pour leur donner cette souplesse qu'ils ont été créés, il n'en va pas de même pour les établissements publics administratifs qui doivent respecter les grands principes de la législation financière et plus particulièrement celui de la légalité des impôts et des taxes ; d'ailleurs on ne voit absolument pas pour quelle raison un sort différent pourrait être fait aux établissements publics de l'Etat par rapport aux établissements publics des collectivités territoriales.

- en second lieu et surtout cette deuxième solution est la plus respectueuse des termes très généraux de la Constitution et est conforme par conséquent à l'interprétation restrictive d'une ordonnance dont la constitutionnalité (qu'encore une fois je ne vous demande pas de juger) a pu être discutée.


 C’est dans cet esprit que le présent projet de décision vous est proposé. J'ajoute que si le Conseil adoptait une solution différente il rencontrerait une difficulté supplémentaire car l'article 2 de l'ordonnance du 27 décembre 1958 sur laquelle nous sommes consultés dispose que le taux de la taxe est déterminé conformément à l'article 4 de la loi du 25 juillet 1953, c'est-à-dire par arrêtés ministériels ; or le Conseil d'Etat a eu l'occasion de constater que lorsqu'une taxe parafiscale relevait de la compétence réglementaire elle devait être établie dans les conditions fixées par l'ordonnance du 2 janvier 1959, c'est-à-dire par décret en Conseil d'Etat et non par conséquent par arrêtés interministériels (avis du Conseil d'Etat en sections réunies finances et travaux publics du 15 décembre 1959). Cet avis condamnait donc la délégation faite au ministre par l'article 4 de la loi du 25 juillet 1953 qui, selon lui, se trouvait donc abrogée par l'ordonnance du 2 janvier 1959 ; celle-ci étant postérieure au texte dont nous sommes saisis l'aurait donc lui aussi abrogé ; il nous faudrait donc déclarer que cette phrase depuis l'ordonnance du 2 janvier 1959 étant abrogée, il n'y a pas lieu de statuer à son sujet ; mais une telle déclaration signifierai que les arrêts ministériels qui ont fixé le taux de cette taxe n'avaient pas de base légale dans la mesure où ils sont postérieurs à l'ordonnance du 2 janvier 1959 ; les assujettis pourraient alors réclamer le remboursement des taxes versées.

 Par contre, si le Conseil accepte les conclusions de ce rapport, il devrait être amené à considérer qu'une phrase de l'article 2 entre dans le domaine réglementaire. Il s'agit de la première phrase de l'alinéa 2, c'est-à-dire de la matérialisation par un certificat du paiement de la taxe ; cette matérialisation ne met en cause aucune des règles visées par l'article 34 de la Constitution ; par contre les autres dispositions de l'article 2 nous paraissent relever de la compétence législative dans la mesure où elles instituent une taxe, précisent les conditions d'établissement de son tarif et la procédure de recouvrement pour un établissement qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959.


 A l'issue de ce rapport, M. le Président PALEWSKI demande pour quelle raison le législateur a voulu faire une distinction entre les établissements publics à caractère industriel et commercial au profit desquels peuvent être perçues des taxes parafiscales, et les établissements publics à caractère administratif qui ne peuvent percevoir ces taxes.

 M.CASSIN estime que cette distinction est justifiée par le fait qu'en autorisant cette perception au profit des établissements publics administratifs, on aboutirait à un démantèlement du budget et à la perte du principe de la légalité des charges et des ressources de l'Etat.

 En ce qui concerne l'institut scientifique et technique des pêches maritimes "qui n'était à l'origine qu'un établissement de salubrité", le Gouvernement a toujours la possibilité d'en faire, s'il le désire, un établissement public à caractère industriel et commercial.

 M. WALINE déclare que pour lui aussi le problème est de savoir si dans l'article 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 l'expression "leurs établissements publics administratifs" concerne les seuls établissements des collectivités territoriales ou tous les établissements de cette catégorie.

Selon M. WALINE tous les établissements publics administratifs qu'ils soient nationaux ou rattachés à des activités territoriales sont exclus du droit de percevoir des taxes parafiscales.

 Toutefois, il faut rappeler que dans une décision du 18 octobre 1961 (Rec.p. 41), d'ailleurs citée dans la note du secrétariat général du Gouvernement (p.8), le Conseil constitutionnel a décidé qu'une taxe parafiscale pouvait être perçue au profit du Conseil supérieur de la chasse. Si cet établissement est à caractère administratif il ne faut pas ignorer qu'une décision conforme aux conclusions de M. LUCHAIRE constituerait un revirement de jurisprudence.


 M. ANTONINI constate que la note du secrétariat général du Gouvernement est très nuancée quant à la nature juridique du Conseil supérieur de la chasse puisqu’il y est simplement dit que c'est un établissement public "dénué du caractère industriel et commercial".

 M. ANTONINI, qui approuve les conclusions de M. LUCHAIRE, ajoute qu'à son avis l'argument d'ordre grammatical invoqué dans la note du secrétariat général du Gouvernement (p.7) pour prouver que seuls sont exclus du droit de percevoir des taxes parafiscales les établissements publics administratifs de collectivités territoriales ne tient pas.

 M. le Secrétaire général, consulté, fait observer que dans sa décision du 18 octobre 1961 le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur le caractère du Conseil supérieur de la chasse qui d'ailleurs élève du gibier et le revend et semble donc bien être un établissement public à caractère industriel et commercial. D'ailleurs dans la décision susvisée il est précisé que la taxe en cause est perçue par cet établissement dans un intérêt économique".

 M. WALINE remarque qu'un établissement public administratif peut faire certaines opérations commerciales mais confirme qu'il approuve les conclusions du rappotteur.

 M. CASSIN estime que sur le plan de l'interprétation littérale de l'article 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 il n’y a aucun doute le mot "leurs" visant bien tous les établissements publics administratifs. De plus, affirmer le contraire et reconnaître un caractère réglementaire aux dispositions soumises au Conseil aboutirait à ouvrir la porte à tous les abus et à porter une grave atteinte au principe de la légalité des ressources de l'Etat.

 Le Conseil étant d'accord, M. LUCHAIRE donne lecture du projet de décision ci-après :


 "LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

 Saisi le 2 février 1970 par le Premier Ministre, dans les conditions prévues à l’article 37, alinéa 2, de la Constitution, d’une demande tendant à l'appréciation de la nature juridique des dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 58-1357 du 27 décembre 1958 sur le contrôle de la fabrication des conserves et semi-conserves de poissons, crustacés et autres animaux marins ;

 Vu la Constitution, notamment ses articles 34, 37 et 62 ;

 Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 24, 25 et 26 ;

 Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, portant loi organique relative aux lois de finances ;

 Vu l'ordonnance n° 58-1357 du 27 décembre 1958, sur le contrôle de la fabrication des conserves et semi-conserves de poissons, crustacés et autres animaux marins, notamment l'article 2 de ladite loi ;

 Vu le décret n° 62-476 du 13 avril 1962, relatif à l’institut scientifique et technique des pêches maritimes ;

 Considérant qu'aux termes de l'article 4, alinéa 3, de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, portant loi organique relative aux lois de finances "les taxes parafiscales, perçues dans un intérêt économique ou social au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs, sont établies par décret en Conseil d'Etat, pris sur le rapport du ministre des finances" et du ministre intéressé.


La perception de ces taxes au-delà du 31 décembre de l’année de leur établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances" ;

 Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, si les taxes parafiscales sont établies par voie réglementaire dans les limites et les conditions prévues par ce texte, il ne saurait en être ainsi des taxes perçues au profit de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics de caractère administratif dépendant soit de l'Etat soit d'une collectivité territoriale ;

 Considérant qu'il résulte notamment des disposition du décret n° 62-476 du 13 avril 1962 que l'institut scientifique et technique des pêches maritimes constitue un établissement public de l'Etat à caractère administratif ; que, dès lors, la taxe prévue à l'article 2 de l'ordonnance susvisée n° 58-1357 du 27 décembre 1958 n'est pas au nombre des taxes qui, en vertu de l'ordonnance du 2 janvier 1959, peuvent être établies par la voie réglementaire ; que, par suite, les dispositions de l'article 2 de ladite ordonnance du 27 décembre 1958 soumises à l'examen du Conseil constitutionnel relèvent du domaine de la loi, à l'exception, toutefois, de celles de ces dispositions contenues au second alinéa, première phrase, dudit article qui, prévoyant que la matérialisation du paiement de la taxe est opérée par la délivrance d'un certificat, ne mettent en cause aucune des règles que l'article 34 de la Constitution a placé dans le domaine de la loi et qui, dès lors, ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire ;

 DECIDE :

Article premier - Les dispositions de l'article 2 de l'ordonnance susvisée n° 58-1357 du 27 décembre 1958 ont le caractère législatif à l'exception de celles d'entre elles, contenues à la première phrase du second alinéa, qui ont le caractère réglementaire.

Article 2 - La présente décision sera notifiée au Premier Ministre et publiée au Journal officiel de la République française.

 Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 février 1970".


 L'ordre du jour appelle ensuite l'examen, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique des dispositions de l'article 4 (alinéa 3) de la loi du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites, modifié par la loi n° 67-1174 du 26 décembre 1967, en tant que ces dispositions désignent, en la personne du Ministre des Affaires culturelles, l'autorité compétente pour prononcer, au nom de l'Etat, l'inscription des sites et monuments naturels sur la liste départementale prévue audit article.

 Les dispositions de l'article 4 de la loi du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites, tel qu'il a été modifié par la loi n° 67-1174 du 28 décembre 1967 sont les suivantes :

 "Il est établi dans chaque département une liste des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général".

 "La commission départementale des sites, perspectives et paysages prend l'initiative des inscriptions qu'elle juge utiles et donne son avis sur les propositions d'inscription qui lui sont soumises, après en avoir informé le Conseil municipal de la commune intéressée et avoir obtenu son avis.

 "L'inscription sur la liste est prononcée par arrêté du Ministre des Affaires culturelles ; un décret en Conseil d'Etat fixe la procédure selon laquelle cette inscription est notifiée aux propriétaires ou fait l'objet d'une publicité

 M. WALINE présente le rapport suivant :

 "Les dangers contre lesquels il est d'intérêt public de protéger les sites naturels peuvent être d'une part une atteinte à l'intégrité matérielle d'un ou plusieurs éléments du site, par exemple comme dans l'affaire Richepin jugée le 27 décembre 1938 par le Conseil d'Etat, l'altération


grave de la côte rocheuse d'une île bretonne par l'exploitation d'une carrière ; ou, comme dans l'affaire Fenaille jugée le 27 juin 1930, la suppression de jardins ou l'abattage d'arbres séculaires, "modifications dit la haute juridiction, de nature à nuire gravement à l'état de conservation du site". Ce peut être aussi l'introduction dans un semble d'une certaine beauté ou d'un certain intérêt historique, d'un nouvel élément disparate, par exemple, une cimenterie dans un joli paysage, des buildings à l'extrémité et dans l'axe du grand canal de Versailles, etc

 Pour cette protection, le droit commun n'aurait pas suffi ; que ce soit la loi du 20 avril 1932 contre les fumées industrielles ou la législation sur les établissements dangereux, insalubres,ou incommodes, car les pouvoirs d'interdiction ou d'intervention conférés par ces textes aux autorités publiques ne concernent que des cas spéciaux et non toutes les modifications susceptibles d'altérer un site.

 La protection de ceux-ci nécessitait donc une législation spéciale vernant compléter les faibles secours que l'on pouvait trouver jusque là dans le droit commun. Elle a été organisée par la loi du 2 mai 1930.

 La première difficulté consiste dans la définition du site qu'il convient de protéger. Sans doute, tout le monde conviendra sans peine que le Cirque de Gavarnie, par exemple, ou la baie de Saint-Jean-de-Luz, constituent de tels sites. Mais il y aura des cas plus douteux. Or la loi est peu explicite. Elle dit seulement, art.4) que les sites protégés sont ceux "dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général".

 En fait, les sites et monuments naturels classés sont fort divers : cela va de la grotte des Eysies à des arbres plantés sur une place de village à l'occasion de la naissance du Roi de Rome, ou à un pare-jardin totémique.


 Cette imprécision de la loi confère une grande importance à la détermination de l'autorité compétente pour discriminer les sites dignes ou non de la protection qu'elle prévoit.

 Le procédé employé pour cette détermination est le classement, mais il faut distinguer deux catégories de sites, selon le régime de protection dont ils bénéficient ; ceux qui sont portés sur l'inventaire départemental, et ceux qui sont classés.

 Les dispositions sur lesquelles nous sommes appelés à statuer concernent uniquement le premier stade (inscription à l'inventaire départemental).

 Cette inscription est actuellement décidée par le Ministre des Affaires Culturelles. Le Gouvernement désire transférer, dans un but de déconcentration, ce pouvoir au préfet. Comme le texte à modifier est l'article 4, alinéa 3, de la loi du 2 mai 1930, dont la rédaction actuelle résulte d'une modification réalisée par l'article 3 de la loi n°67-1174 du 28 décembre 1967, postérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1958, le Gouvernement ne peut réaliser cette réforme par décret, en vertu de l'article 37, alinéa 2, que si nous déclarons que ce texte, de forme législative, est de nature réglementaire.

 Il n'est sans doute pas inutile de préciser que l’inscription est décidée, dans chaque cas, soit sur l'initiative, soit en tout cas après avis d'une Commission des monuments naturels et des sites qui, aux termes de la loi de 1967, a un caractère départemental. (D'après l'article 11, 1° du décret n° 69-825 du 28 août 1969, pris après votre décision du 27 février 1969, il lui est substitué une Commission régionale des opérations immobilières, de l'architecture et des espaces protégés, si le site concerne plus d'un département de la région).


 Il importe surtout de savoir quels sont les effets de cette inscription à l'inventaire départemental : c'est d'obliger tout propriétaire d'un immeuble, bâti ou non, compris dans le périmètre du site, à prévenir, deux mois d'avance, la préfecture de tous les travaux dépassant en importance ceux d'exploitation courante ou d'entretien normal.

 A ce moment, l'administration jugera s'il y a lieu pour protéger le site, de passer au classement proprement dit qui est prononcé, selon les cas, par arrêté du ministre des Affaires culturelles ou par décret en Conseil d'Etat et entraînerait l’interdiction de toute modification dans l'état des lieux sans autorisation administrative sous peine de sanctions correctionnelles.

 Mais cette seconde phase de la procédure ne concerne nullement la question qui nous est posée.

 Celle-ci se résume à ceci : Est-il possible de modifier par décret la détermination de l'autorité compétente pour décider l'inscription sur l'inventaire départemental ?

 La réponse affirmative ne parait pas douteuse.

 Tout d'abord, la disposition donnant compétence au Ministre (à l'exclusion - jusqu'à présent du Préfet) ne peut sérieusement être taxée d'atteinte aux principes fondamentaux du régime général de la propriété, et cela pour deux raisons :

 D'une part, l'inscription à l'inventaire départemental ne crée au propriétaire d'autre obligation que de prévenir l'administration, deux mois d'avance, par une déclaration qui n'est nullement une demande d'autorisation. La seule contrainte pour le propriétaire consiste dans un ajournement de deux mois des travaux qu'il projette, ajournement dont il est difficile de soutenir qu'il altère les principes fondamentaux du régime de la propriété.

 D'autre part, vous avez toujours jugé, notamment le 12 décembre 1967, et le 27 février 1969 (cette dernière décision étant celle à laquelle je faisais allusion tout à l'heure) que la détermination, parmi les autorités dépendantes

du pouvoir exécutif central, de celle qui est compétente pour prendre une certaine décision, relève normalement de l'exercice du pouvoir réglementaire. Et vous l'avez décidé dans des cas où se posait la question de savoir si l'on pouvait y voir une atteinte aux principes fondamentaux relatifs aux attributions des collectivités locales. Or, ces dernières n'ont jamais eu, en matière d'inscription sur l'inventaire départemental, d'autres compétences que celles des conseils municipaux de donner un avis à la Commission départementale des sites, attribution que les termes de la question qui nous est posée ne permettent pas de déclarer menacée par le projet gouvernemental - puisque seule est en cause la compétence de décision du Ministre des affaires culturelles.

 La décentralisation n'étant ainsi nullement en cause, non plus que les principes fondamentaux du régime de la propriété, on ne voit pas quelle disposition de l'article 34 pourrait être invoquée pour contester le pouvoir du Gouvernement de prendre un décret transférant au préfet une attribution du ministre.

 Bien que ceci n'ait aucune importance pour la solution du problème juridique qui nous est posé, le Conseil pourrait s'inquiéter de savoir si ce transfert de compétence ne diminue pas la protection des sites - que, naturellement, les articles 34 et 37 ne nous chargent pas de sauvegarder.

 En fait, il est bien difficile de dire si le préfet se montrera meilleur ou moins bon défenseur des beautés naturelles de nos paysages que ne l'est le ministre. Le préfet peut mieux connaître les sites que le ministre parisien et son action peut donc en principe s'exercer à meilleur escient. En sens inverse, on peut craindre que les propriétaires génés dans l'exercice de leur droit de construire ou de défricher n'exercent certaines pressions sur lui. Il ne semble pas que cet inconvénient soit bien grave. Il l'est d'autant moins que toute personne intéressée à la conservation du site, par exemple un autre propriétaire, ou un syndicat d'initiative, pourra saisir le ministre par un recours hiérarchique en lui


déférant le refus exprès ou implicite du préfet, d’inscrire le site à l'inventaire ; de même, les membres de la Commission départementale des sites. Le préfet est sous l'autorité hiérarchique de chacun des ministres, y compris celui des Affaires culturelles. Il serait donc toujours possible de rendre le ministre juge de l'opportunité de l'inscription. Ainsi, tout scrupule peut être levé, et il n'y a pas d'inconvénient à reconnaître au gouvernement du pouvoir de modifier sur ce point l'article 4, pouvoir que les termes de l'article 34 ne nous permettent pas, en tout cas, de contester."

 A l'issue de ce rapport, M. le Président PALEWSKI précise que tout en se ralliant aux conclusions du rapporteur il ne peut partager son optimisme car si le Préfet est le représentant du ministre des affaires culturelles et à ce titre est, au niveau du département, le défenseur des sites, il est aussi le représentant du ministre de l'équipement et de la construction.

 M. SAINTENY se demande si le préfet est également l'émanation du conseil supérieur de la protection de la nature.

 M. MONNET tient à faire observer que cela n'est pas une garantie car il existe un directeur général de la protection de la nature qui est, comme par hasard, un préfet, ancien directeur du cabinet du ministre de l'équipement.

 M. le Président,approuvé par le rapporteur, ne pense pas que le Conseil constitutionnel puisse,dans sa décision, intervenir pour marquer ses préoccupations quant à la sauvegarde des sites. Aucune disposition de l'article 34 ne réserve en effet cette question au législateur.

 M. LUCHAIRE suggère à ce propos que le Conseil constitutionnel fasse un jour une étude sur l'article 34 afin de déterminer ce qui pourrait y être ajouté ou retranché.

 M. CASSIN ne pense pas non plus que les textes puissent s'opposer au transfert des décisions d'inscription à l'inventaire départemental du ministre aux préfets mais il suggère que dans la décision il soit mentionné que cela ne constitue qu'une expérience afin que le Gouvernement puisse revenir sur sa décision si elle aboutissait à un massacre des


sites. Toutefois M. CASSIN fait observer qu'en général les préfets connaissent bien les caractères propres aux régions qu'ils administrent.

 M. WALINE donne ensuite lecture du projet de décision ci-après :

 "LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

 Saisi le 2 février 1970 par le Premier Ministre, dans les conditions prévues à l'article 37, alinéa 2 de la Constitution, d'une demande tendant à l'appréciation de la nature juridique des dispositions de l'article 4, alinéa 3, de la loi du 2 mai 1930, relative à la protection des monuments naturels et des sites, modifié par la loi n° 67-1174 du 28 décembre 1967 en tant que ces dispositions désignent, en la personne du Ministre des Affaires Culturelles, l'autorité compétente pour prononcer, au nom de l'Etat, l'inscription des sites et monuments naturels sur la liste départementale prévue audit article ;

 Vu la Constitution, notamment ses articles 34, 37 et 62 ;

 Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses article 24, 25 et 26 ;

 Vu la loi du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites, notamment l'article 4, alinéa 3, de ladite loi, tel qu'il résulte de la modification qui lui a été apportée par l'article 3 de la loi n° 67-1174 du 28 décembre 1967 ;

 Considérant que les dispositions susvisées de l'article 4, alinéa 3, de la loi du 2 mai 1930, telles qu'elles résultent de la modification qui leur a été apportée par l'article 3 de la loi n° 67-1174 du 28 décembre 1967 ne sont soumises à l'examen du Conseil constitutionnel qu'en tant qu'elles prévoient que l'inscription sur la liste des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire


ou pittoresque, un intérêt général, est prononcée par arrêté du Ministre des Affaires culturelles ; que dans la mesure ainsi envisagée, ces dispositions, qui ne tendent qu’à désigner l'autorité qui doit exercer au nom de l'Etat les attributions relevant de la compétence qui, en vertu de la loi, appartient à celui-ci dans le domaine de la protection des monuments naturels et des sites, ne mettent en cause ni les principes fondamentaux du régime de la propriété ni ceux de la libre admnistration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ni aucun des autres principes fondamentaux non plus qu'aucune des règles que l'article 34 de la Constitution a placé dans le domaine de la loi ; que, par suite, ces dispositions ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire ;

 DECIDE :

Article premier - Les dispositions susvisées de l'article 4, alinéa 3, de la loi du 2 mai 1930, relatives à la protection des monuments naturels et des sites, telles qu'elles résultent des modifications qui leur ont été apportées par l'article 3 de la loi n° 67-1174 du 28 décembre 1967, ont le caractère réglementaire, en tant que ces dispositions, en prévoyant que l'inscription sur la liste des monuments naturels et des sites est prononcée par arrêté du Ministre des Affaires culturelles, désignent l'autorité compétente pour exercer, au nom de l'Etat, les attributions qui appartiennent à celui-ci en vertu de la loi

Article 2 - La présente décision sera notifiée au Premier Ministre et publiée au Journal officiel de la République française.

 Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 février 1970".

 Sur la proposition de M. ANTONINI, il est décidé de supprimer les mots "ne ... qui" dans la partie des motifs qui précise l'objet des dispositions soumises au Conseil afin de marquer que celui-ci n'en néglige pas l'importance quoique leur reconnaissant une valeur réglementaire.

 La décision, ainsi modifiée, est adoptée.


 Le Conseil examine ensuite, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, la nature juridique des dispositions contenues dans le 1° et le 2° de l'alinéa 2 de l'article 2 de l'ordonnance n° 58-997 du 23 octobre 1958 portant réforme des règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique.

 Ces dispositions sont les suivantes :

 L'utilité publique est déclarée par décret en Conseil d'Etat.

 Si, au vu des avis émis, les conclusions du commissaire ou de la commission chargée de l'enquête sont favorables, l'utilité publique pourra cependant être déclarée :

 1°) Par arrêté ministériel, pour les opérations poursuivies au profit de l'Etat, des établissements publics nationaux, des chambres de commerce, des concessionnaires de l'Etat, des sociétés créés dans les départements d'outre-mer en application de la loi du 30 avril 1946 ou, pour les opérations poursuivies au profit des collectivités locales lorsque les immeubles ou les droits réels immobiliers à exproprier sont situés dans plusieurs départements ou dans un département autre que celui de l'expropriant :

 2°) Par arrêté préfectoral dans les autres cas (1)

 Toutefois, un règlement d'administration publique déterminera les catégories de travaux ou d'opérations qui, en raison de leur nature ou de leur importance, ne pourront être déclarées d'utilité publique que par décret en Conseil d'Etat.

 M. WALINE présente le rapport suivant :

 "L'expropriation pour cause d'utilité publique est une procédure qui porte au premier chef atteinte à la propriété privée et l'autorité publique ne peut en conséquence y recourir que, "lorsque la nécessité publique, légalement constatée,

(1) Seules les dispositions soulignées sont soumises au Conseil.


l’exige évidemment", selon les termes mêmes de l’article 17 de la Déclaration des Droits de l'homme de 1789. Certes, les mots nécessité publique ne correspondant plus aujourd’hui aux exigences de la conscience moderne et pour tenir compte de l'évolution des idées, il faut dire aujourd'hui : l'utilité (et non plus la nécessité) publique. Mais l'exigence d’une constatation légale de cette utilité publique demeure la première condition pour que l'expropriation soit possible et le premier acte de cette procédure.

 Naturellement cette constatation doit être entouré de formes assurant que la déclaration ne sera pas prononcée à la légère : enquête préalable, largement ouverte, examen des protestations émises par les soins d'un commissaire enquêteur, consultation nécessaire du Conseil d'Etat pour les opérations les plus importantes.

 Mais ceci ne préjuge pas le caractère législatif, ou au contraire réglementaire : des dispositions qui déterminent l'autorité compétente pour prendre l'acte déclaratif d'utilité publique sous une réserve importante toutefois, mais qui n'a pas lieu de jouer pour la solution de la question qui nous est posée. Si le gouvernement nous demandait de lui reconnaître le pouvoir de réduire le nombre des cas où la déclaration d'utilité publique requiert l'avis du Conseil d'Etat, je vous proposerais sans hésitation de dire que seul le législateur peut priver les propriétaires éventuellement expropriés, de la garantie que leur apporte l'avis de cette haute assemblée ; mais fort heureusement, la disposition de l'article 2 de l'ordonnance de 1958 qui indique les cas où cet avis est nécessaire n'est pas de celles dont le gouvernement envisage la modification ni par suite de celles sur le caractère desquelles nous avons à délibérer.

 L'article 2 de l'ordonnance de 1958, après avoir pose le principe que l'utilité publique est déclarée par décret en Conseil d'Etat, ajoute dans son alinéa 2 :


 " Si au vu des avis émis, les conclusions du commissaire ou de la commission chargée de l'enquête sont favorables, l'utilité publique pourra cependant être déclarée :

- Par arrêté ministériel, pour les opérations poursuivies au profit de l'Etat, des établissements publics nationaux, des chambres de Commerce, des concessionnaires de l'Etat, des sociétés créées dans les départements d'outre-mer en application de la loi du 30 avril 1946 ou pour les opérations poursuivies au profit des collectivités locales lorsque les immeubles ou droits réels à exproprier sont situés dans plusieurs départements ou dans un département autre que celui de l'expropriant ;

- Par arrêté préfectoral dans les autres cas ;"

 Les projets du gouvernement qui ne sont d'ailleurs pas encore arrêtés avec précision seraient de transférer au préfet tout ou partie des compétences conférées actuellement aux ministres par les dispositions précitées. Le texte qui les contient étant de forme législative et postérieur à l'entrée en vigueur de la Constitution, l'article 37, alinéa 2 de celle-ci lui fait une obligation de nous demander s'il peut le faire lui-même par décret ou s'il doit présenter un projet de loi au Parlement.

 Il ne parait pas douteux qu'effectivement les dispoisitions concernées sont par leur objet, de nature réglementaire.

 Il faut d'abord remarquer que la libre administration des collectivités locales, et leurs compétences, ne sont absolument pas en cause, la seule disposition de l'article 34 qui pourrait être invoquée en faveur de la nature législative des dispositions de l'article 2, alinéa 2 de l'ordonnance de 1958 ne pourrait être que celle qui réserve à la loi la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété des droits réels et des obligations.

 Alors il suffit de poser la question : l'intervention du ministre donne-t-elle plus de garanties pour les éventuels expropriés que celle du préfet ? Evidemment non, puisque tous deux représentent la même collectivité publique, Il<je ne sais pas quel est le mot écrit>


représentent l'un et l’autre à titre d'organes du pouvoir exécutif et qu'au surplus, comme le souligne la note de Matignon, il appartient toujours au ministre de donner telles instructions qu'il juge bon aux préfets.

 Il ne parait donc pas que l'on puisse soutenir que les principes fondamentaux de la propriété soient en cause lorsqu'il s'agit de transférer aux préfets une compétence ministérielle, fut-ce pour prononcer une déclaration d'utilité publique".

 M. WALINE donne lecture du projet de décision ci-après :

 "LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

 Saisi le 2 février 1970 par le Premier Ministre, dans les conditions prévues à l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, d'une demande tendant à l'appréciation de la nature juridique des dispositions contenues au 1° et au 2° du deuxième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance n° 0.8-997 du 23 octobre 1958 portant réforme des règles relatives à l'expropriation pour cause d’utilité publique ;

 Vu la Constitution, notamment ses articles 34,  37 et 62 ;

 Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 24, 25 et 26 ;

 Vu l'ordonnance n° 58-997 du 23 octobre 1958, portant réforme des règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique, notamment son article 2 ;

 Considérant que les dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel ont uniquement pour objet de déterminer les cas où, les conclusions du commissaire enquêteur ou de la commission chargée de l'enquête étant favo- rables et par dérogation à la règle générale selon laquelle


la déclaration d’utilité publique est prononcée par décret en Conseil d'Etat, l'utilité publique pourra être déclarée par arrêté ministérie ou par arrêté préfectoral ; que ces dispositions, qui ne visent qu'à la répartition entre des autorités de degrés différents, mais relevant toutes du pouvoir exécutif, d'attributions qui appartiennent à celui-ci en matière de déclaration d'utilité publique, ne mettent en cause ni le principe fondamental du régime de la propriété, des droits civils et des obligations civiles et commerciales ni aucun des autres principes fondamentaux non plus qu'aucune des règles que l'article 34 de la Constitution a placés dans le domaine de la loi ; que, par suite, lesdites dispositions ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire ;

 DECIDE :

Article premier - Les dispositions susvisées contenues aux 1° et 2° du deuxième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance n° 58-997 du 23 octobre 1958, portant réforme des règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique, soumises à l'examen du Conseil constitutionnel ont le caractère réglementaire.

Article 2 - La présente décision sera notifiée au Premier Ministre et publiée au Journal officiel de la République française.

 Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 février 1970".

 M. LUCHAIRE propose de préciser en tête des motifs que les dispositions soumises au Conseil n’apportent aucune limitation nouvelle au principe suivant lesquel la déclaration d'utilité publique doit être prononcée par décret en Conseil d'Etat.

 Le Conseil approuve cette proposition.

 Après une modification de forme le projet de décision est adopté.

 En fin de séance; M. WALINE demande qu'une lettre soit adressée au Ministre de l'intérieur pour lui demander de répondre aux suggestions émises par le Conseil pour l'organisation des élections présidentielles.

 La séance est levée à 11 h. 30.


<Cette décision contient des annexes>

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.