SEANCE DU JEUDI 17 DECEMBRE 1970
COMPTE-RENDU
La séance est ouverte à 15 heures en présence de tous les membres du Conseil.
M. le Président PALEWSKI appelle la première affaire inscrite à l’ordre du jour qui porte sur l'examen en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique :
1) des dispositions ajoutées au b) de l'article 1073 du Code rural par l'article 58-VII de la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ;
2) de l'article 1106.7 du Code rural, ajouté audit code par la loi n° 61-89 du 25 janvier 1961 et modifié par la loi n° 64-1279 du 23 décembre 1964 (art. 51) et par la loi n° 66-509 du 12 juillet 1966 (article 33-III) ;
3) des dispositions de l'article 1124 (1er alinéa) du Code rural, modifiées par la loi n° 60-774 du 30 juillet 1960 et commençant par les mots : "Dès lors qu'ils ne justifient pas..."
M. CASSIN , rapporteur, rappelle que l'affaire soumise au Conseil touche à la sécurité sociale agricole dont les ressources proviennent pour les trois quarts de l'Etat et pour 18 % des agriculteurs. Le Gouvernement se préoccupe d'améliorer la répartition des cotisations entre ceux-ci.
En effet ces cotisations sont perçues de plusieurs manières ; ou bien elles sont forfaitaires et fixes, ou bien elles varient avec le revenu cadastral, ou bien encore elles sont déterminées pour chaque catégorie de personnes : chef d'entreprise, aide familial majeur,
Le Gouvernement a commencé à modifier la répartition des cotisations fondées sur les revenus et il veut également améliorer le régime de versement des cotisations fixes. C'est dans cette matière que les réformes envisagées ont motivé la saisine du Conseil.
Pour cela des dispositions du code rural résultant de textes législatifs postérieurs à la mise en vigueur de la Constitution doivent être amendées.
La question qui se pose est donc de savoir si ces dispositions touchent à des principes fondamentaux de la sécurité sociale.
Le Conseil constitutionnel a déjà eu à statuer souvent sur les principes à observer dans la répartition entre pouvoirs législatif et réglementaire dans le domaine de la sécurité sociale.
Il a notamment décidé que l'existence d'un régime particulier était du domaine législatif ainsi que l'obligation de cotiser, la détermination des catégories de personnes assujetties à l'obligation de cotiser et des catégories de bénéficiaires exemptés complètement de cette obligation.
Par contre une exonération partielle est du domaine réglementaire.
Le rapporteur fait ensuite application de ces principes aux textes soumis au Conseil.
L'article 1073 fixe des catégories de personnes auxquelles sont applicables les prestations familiales et qui peuvent être exonérées de toute cotisation. Dans ce cas, il convient d'appliquer purement et simplement les principes déjà formulés.
Pour l'article 1106-7 l'affaire est plus délicate puisque le Gouvernement veut supprimer des exonérations et en ajouter d'autres. Il s'agit de toutes façons de textes de nature législative et l'on ne peut admettre le raisonnement suivi dans la note du secrétariat général du Gouvernement selon lequel une exonération ne serait que la fixation d'un taux nul.
Les dispositions de l'article 1124, premier alinéa, deuxième phrase, ont pour objet de préciser que les membres majeurs non salariés vivant sur une exploitation sont présumés participer à la mise en valeur de l'exploitation.
M. le Président PALEWSKI consulte le Conseil qui se déclare d'accord avec les conclusions du rapporteur.
M. CASSIN procède alors à la lecture du projet de décision qui est adopté après quelques modifications de forme.
M. le Président PALEWSKI présente ensuite les félicitations du Conseil à M. WALINE pour son élection à l'académie des sciences morales et politiques puis appelle la deuxième affaire qui porte sur l'examen en application de l’article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique des dispositions :
- de l'article 2 de la loi n° 63-1178 du 28 novembre 1963 relative au domaine public maritime, en tant qu'il précise, d'une part, que les décisions d'incorporation au domaine public maritime des lais et relais de la mer faisant partie du domaine privé de l'Etat à la date de publication de ladite loi sont prises "par arrêtés conjoints du Ministre des travaux publics et des transports et du Ministre des finances et des affaires économiques", d'autre part que ces "arrêtés seront publiés au Journal officiel".
- de l'article 3 (1er alinéa) de la même loi, en tant qu'il précise que les mesures de déclassement des parcelles de lais et relais de la mer incorporés au domaine public qui ne seront plus utiles à la satisfaction des besoins d'intérêt public seront prises "selon la procédure prévue à l'article 2".
M. WALINE, rapporteur, rappelle que l'article 538 du code civil énumérait comme faisant partie du domaine public, les rivages de la mer ainsi que les lais et relais. Les rivages sont les parties de la mer découvertes à marée basse, les lais et relais sont des parties apportées et abandonnées par la mer. Jusqu'en 1963, les rivages faisaient partie du domaine public maritime qui est inaliénable, imprescriptible et ne peut être concédé. Au contraire, les
Il est apparu en 1963 que cette distinction n'était pas sans inconvénient. On a étendu le domaine public au sous-sol de la mer et on s'est aperçu que sur les lais et relais s'étaient établies des plages ou avaient été construits des murs qui gênaient l'accès aux plages.
On a donc classé dans le domaine public les lais et relais qui se formeraient à partir de cette date, sur lesquels les propriétaires privés ne pourront donc plus se réserver des droits, et prévu d'incorporer dans le domaine public "au coup par coup" les lais et relais existants.
Aux termes des articles 2 et 3 de la loi du 28 décembre 1963 :
"Peuvent être incorporés au domaine public maritime, sous réserve des droits des tiers, par arrêtés conjoints du Ministre des travaux publics et des transports et du Ministre des Finances et des affaires économiques, les lais et relais de la mer faisant partie du domaine privé de l'Etat à la date de la promulgation de la présente loi. Les arrêtés seront publiés au Journal officiel.
Article 3 - (1er alinéa) Les parcelles de lais et relais incorporés au domaine public pourront être déclassées selon la procédure prévue à l'article 2 lorsqu'elles ne seront plus utiles à la satisfaction des besoins d'intérêt public."
Le Gouvernement veut maintenant déléguer aux préfets le pouvoir de prendre les décisions de déclassement mais comme les dispositions ci-dessus sont de forme législative et postérieures à 1958, le Conseil constitutionnel doit au préalable statuer sur la nature juridique de ces textes.
Selon le rapporteur il n'y a aucun doute sur la valeur réglementaire des dispositions soumises au Conseil. Celui-ci a déjà statué sur un certain nombre de textes portant des mesures de déconcentration et a toujours décidé qu'à l'intérieur du domaine de sa compétence le pouvoir exécutif pouvait librement déléguer ses pouvoirs. Dans le cas présent c'est encore plus facile car les collectivités et autorités locales ne sont absolument par concernées et ne l'ont jamais été.
Le seul problème pourrait être la préservation du droit des tiers, bénéficiant d'une concession d'endigage par exemple mais la loi dans une disposition qui n'est pas soumise au Conseil et qui, par conséquent, ne pourrait être abrogée que par une loi, prévoit expressément le respect des droits des tiers.
Restent les dispositions relatives à la publication au journal officiel. Certes des arrêtés préfectoraux, non publiés à ce journal, bénéficieront d'une publicité moindre que les arrêtés ministériels. Mais il faut observer d'une part, que tous les français ne lisent pas le journal officiel, la publicité est donc théorique, et, d'autre part que le Conseil pourrait dans une note appeler l'attention du Gouvernement sur la nécessité de donner aux décisions de déclassement une publicité maximum.
M. DUBOIS fait observer que dans certains cas la publicité est importante car une loi, par exemple, n'est pas applicable si elle n'a pas été publiée au journal officiel.
M. WALINE estime que dans la décision il pourrait être spécifié que les arrêtés préfectoraux devront bénéficier d'une publicité effective.
M. LUCHAIRE pense qu'il faut distinguer entre le principe de la publicité qui a été voulue par le législateur et les modalités de cette publicité qui sont du domaine réglementaire.
M. LUCHAIRE demande également que l'attention du Gouvernement soit appelée sur le fait que désormais les projets de texte ne sont plus communiqués au Conseil.
M. WALINE donne lecture du projet de décision qui est adopté après quelques modifications.
Le visa de l'article 538 est maintenu malgré une demande de suppression de M. LUCHAIRE qui, d'autre part, fait ajouter dans la décision que la publicité a été voulue par le législateur.
Après avoir rappelé les résultats, M. BERNARD, rapporteur, expose les divers griefs invoqués par le requérant qui concernent les îles d'Anjouan et de la Grande Comore et portent notamment sur :
1° - La tenue des listes électorales : Dans nombre de bureaux ces listes n'auraient pas été arrêtées ni signées et leur tenue irrégulière aurait permis des inscriptions et des radiations frauduleuses, pour certaines communes le nombre des inscrits dépassant même le nombre total des habitants ;
2° - La distribution des cartes électorales : celles-ci auraient été conservées par les chefs de villages ou certains présidents de bureaux de vote afin de n'être remises qu'aux seuls partisans du candidat élu ; ces irrégularités auraient permis des votes multiples ou des votes irréguliers émis par des mineurs ou par des chefs de village votant pour les habitants du village ;
3° - Divers actes frauduleux commis dans des bureaux de vote tels que : le remplacement du président par une personne non qualifiée, l'exercice de pressions sur les électeurs afin de les inciter à voter pour le candidat élu, la propagande irrégulière faite en faveur de ce dernier, la remise aux électeurs d'enveloppes contenant le bulletin d'un candidat, le vol des bulletins au nom du requérant peu après l'ouverture du bureau, les violences commises à l'encontre des assesseurs désignés par le requérant où l'interdiction de mentionner leurs observations sur les procès-verbaux enfin, l'entrée dans un bureau d'un sous-préfet accompagné de deux gardes armés, ce fonctionnaire ayant en outre fait expulser un huissier commis par le requérant afin de constater les irrégularités.
Après l'analyse de ces griefs, M. BERNARD propose le rejet de la requête eu égard aux circonstances particulières de cette élection.
Le rapporteur indique également qu'en ce qui concerne la présence d'un sous préfet dans un bureau de vote, à la suite d'une demande de la section d'instruction, le haut commissaire vient de faire savoir par télégramme que cette présence avait été requise par le président du bureau de vote et que les gardes accompagnant le fonctionnaire en cause n'étaient pas armés.
M. CASSIN estime que les derniers renseignements reçus ne font que confirmer les conclusions du rapport.
Il faut tenir compte du fait qu'aux Comores les chefs de groupe jouent un rôle important, ainsi les chefs de famille votent pour leurs enfants majeurs. De plus, le nom d'un seul électeur privé irrégulièrement du droit de vote n'a pas été cité par le requérant. Dans ces conditions M. CASSIN estime qu'il n'y a pas lieu à annulation.
M. LUCHAIRE constate qu'il n'est pas mentionné dans le procès verbal du bureau de vote, où le sous-préfet a pénétré, que ce fonctionnaire ait été appelé par le président du bureau de vote.
Mais il ne s'agit là que d'un incident qui concerne quelques centaines d'électeurs.
L'ensemble des irrégularités est plus grave tant pour les listes électorales, il est rare que deux mille électeurs doivent demander leur réinscription par voie judiciaire, que pour la distribution des cartes remises à des personnes autres que des maires. Certes, il n'y a aucune preuve de fraude mais il faut se demander si l'ensemble des irrégularités ne pouvait changer les résultats de l'élection. C'est à peser et c'est ce qu'à dû faire la section.
M. ANTONINI déclare que la section a affectivement tenté de faire ce calcul et qu'elle n'est pas arrivée à 2.600 voix.
M. BERNARD donne lecture des observations faites par le haut-commissaire au sujet de la distribution des cartes électorales d'où il résulte qu'eu égard à l'impossibilité d’assurer une distribution régulière de ces cartes, il a été décidé, en accord avec les candidats, de les conserver dans les bureaux de vote et de les faire distribuer par les chefs de village. C'est ce qui a été fait.
M. BERNARD, donne ensuite lecture du projet de décision qui est approuvé après quelques modifications.
La séance est levée à 17 heures.
Les originaux des décisions seront annexés au présent compte rendu.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.