SEANCE DU MARDI 29 février 1972
COMPTE-RENDU
La séance est ouverte à 15 heures en présence de tous les membres du Conseil.
M. le Président PALEWSKI informe le Conseil que la première affaire inscrite à l'ordre du jour porte sur l'examen, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, des dispositions de l'alinéa premier de l'article 176 du code rural, telles qu’elles résultent de la loi n° 63-233 du 7 mars 1963, en tant qu'elles désignent les autorités administratives habilitées à préparer et à prendre l'arrêté dont elles définissent l'objet ainsi que des dispositions de l'alinéa 2 du même article.
M. REY présente le rapport suivant :
La loi du 7 mars 1963 relative à la réalisation de certains travaux d'équipement rural, notamment en matière d'hydraulique a, en son article premier, réformé le chapitre III, du titre IV, du livre premier, du code rural dans lequel il est traité des travaux entrepris par les départements et les communes ainsi que par leurs groupements et les syndicats mixtes.
L'article 175 nouveau autorise les départements, les communes ainsi que les groupements de ces collectivités et les syndicats mixtes à exécuter et à prendre en charge certains travaux entrant dans des catégories définies audit article, à condition que ces travaux présentent pour ces collectivités et syndicats du point de vue agricole ou du point de vue de l'aménagement des eaux, un caractère d'urgence ou d'intérêt général.
L'article 176 précise dans un premier alinéa qu'un arrêté préfectoral, ou interministériel si les travaux s'étendent sur plusieurs départements, devra définir la nature et l'étendue des travaux à réaliser, fixer le montant des dépenses prévues ainsi que la proportion dans laquelle les collectivités, groupements ou syndicats sont autorisés à faire participer les intéressés aux charges de la mise en exploitatioin de l'aménagement réalisé ainsi que les modalités d'exploitation de cet aménagement.
Le Gouvernement voudrait modifier cet article 176, d'une part, pour tenir compte des compétences dévolues au Ministre de l'équipement et du logement en matière de police des eaux, d'autre part, dans un souci de déconcentration des pouvoirs de l'administration, pour confier aux seuls préfets le soin de prendre les arrêtés visés à l'alinéa premier de l'articl 176 que nous venons d'analyser.
Toutefois, ces dispositions étant incluses dans une loi, elles ne pourront être modifiées par décret que si le Conseil leur reconnaît un caractère réglementaire, en application de l'article 37 de la Constitution.
Telle est la raison de notre saisine qui ne pose aucun problème de recevabilité. Nous pouvons donc examiner immédiatement la question au fond.
La lettre de saisine signée du Premier Ministre, précise que les dispositions de l'alinéa premier del'article 176 ne sont soumises au Conseil qu’en tant qu'elles désignent les autorités administratives habilitées à préparer et à prendre l'arrêté dont elles définissent l'objet.
Les autorités ainsi désignées sont le préfet, le ministre de l'agriculture et le ministre de l'intérieur, pour ce qui est de la prise de l'arrêté, et l'ingénieur en chef chargé du contrôle pour ce qui est de sa préparation.
Il ne semble pas que la nature juridique de ces dispositions appelle beaucoup de commentaires. Il est clair que le principe même d'un arrêté imposant certaines obligations aux collectivités territoriales est de nature législative mais que la désignation de l’autorité de l'Etat chargée de prendre ce texte est de nature réglementaire.
Le Conseil a dans ce domaine une jurisprudence abondante et constante, il n'est besoin que de se reporter aux décisions des 12 mai 1964, 9 février 1965, 12 décembre 1965, 27 février et 9 juillet 1969, 23 février, 21 mai, 9 juillet, 13 novembre et 17 décembre 1970 et, plus récemment, 1er et 23 avril 1971.
Il y a cependant une difficulté de vocabulaire dans l'examen de ces premières dispositions.
La lettre de saisine précise que les dispositions de l'article 176, alinéa premier, du code rural sont soumises au Conseil qu’en tant qu'elles désignent, les "autorités administratives" habilitées à préparer et à prendre l'arrêté en cause. Jusqu'à présent le Conseil, dans les affaires semblables, avait reconnu le caractère réglementaire aux dispositions désignant les autorités habilitées à exercer certaines compétences, au nom de l’Etat, ou désignant des autorités relevant du pouvoir exécutif, ou encore l'autorité de l'Etat compétente pour prendre certaines mesures, mais n'avait jamais été saisi du problème de la désignation "des autorités administratives".
La question ne porte pas seulement sur le vocabulaire mais également sur la compétence puisque la catégorie des autorités administratives comprend notamment les autorités centrales et les autorités locales.Par conséquent la désignation d'une autorité administrative peut aboutir au transfert d'attributions relevant de la compétence d'une collectivité locale à une autorité de l'Etat, ou inversement, ce qui ressortit à la compétence du législateur.
Dans le texte qui nous est soumis c'est bien à l'autorité centrale, au pouvoir exécutif, que la loi donne compétence pour prendre les arrêtés et le préfet agit dans ce cas comme délégué du Gouvernement. Il convient donc de ne pas reprendre dans la décision du Conseil les mots "autorités administratives" qui figurent dans la lettre de saisine et qui sont trop imprécis mais d'utiliser plutôt les termes "d'autorités de degrés différents relevant du pouvoir exécutif", ainsi qu'il avait été fait dans une décision du 23 février 1970, au recueil page 35. Ces termes permettent également d'inclure le cas de l'ingénieur chargé du rapport préparant l'arrêté.
Le deuxième alinéa de l'article 176, soumis au Conseil dans son intégralité, soulève plus de difficultés quant à la détermination de sa nature juridique.
En effet ses dispositions précisent que certaines mentions permettant de désigner exactement les terrains dont l'occupation temporaire est rendue nécessaire par la réalisation des travaux prévus à l'alinéa précédent, devront figurer dans l'arrêté du préfet.
Ainsi qu'il est écrit dans la note émanant du secrétariat général du Gouvernement ces dispositions de l'alinéa 2, ne font que reprendre celles de l'article 3, premier alinéa, de la loi du 29 décembre 1892 sur les dommages causés à la propriété privée par l'exécution des travaux publics, étant observé que les dispositions de cette loi ont une portée plus générale c'est-à-dire qu'elles sont applicables pour tous les travaux publics et pas seulement ceux qui sont énumérés à l'article 175 du code rural. Le législateur de 1963 a voulu que pour ces travaux le préfet ne prenne qu'un arrêté incluant les dispositions prescrites par l'article 176, alinéa 1, du code rural et celles qui résultent de l'application de la loi de 1892.
Malgré ce qui figure dans la note du Secrétariat général du Gouvernement cela ne signifie pas pour autant que les dispositions de l'article 176, alinéa 2, soient de nature réglementaire.
En fait les dispositions de la loi de 1892 ont été reprises dans un texte législatif postérieur à la Constitution et il nous appartient donc d'en apprécier la nature juridique au regard de l'article 34 de la Constitution, comme d'ailleurs le ferait le Conseil d'Etat pour la loi de 1892 si un projet de décret modifiant cette loi lui était soumis.
Cela montre d'ailleurs l'importance de notre décision car la position que nous prendrons sur la nature juridique des dispositions de l'article 176, alinéa 2, du code rural pourrait être invoquée pour les dispositions de l'article 3, premier alinéa, de la loi du 29 décembre 1892 qui sont les mêmes.
On peut également penser que dans l'hypothèse où les dispositions de la loi de 1892 seraient abrogées, les dispositions de l'article 176, alinéa 2, resteraient cependant applicables et que la nature juridique que le Conseil va leur attribuer serait alors seule prise en considération.
Or, la procédure prévue, pour l'occupation temporaire, par la loi de 1892, se décompose en deux temps à l'image de celle qui est applicable en matière d'expropriation.
Il y a, dans un premier temps, un arrêté indiquant les communes sur le territoire desquelles les études préalables doivent être faites et en vertu duquel les agents de l'administration pourront pénétrer dans les propriétés privées pour y exécuter les opérations nécessaires à l'étude des projets des
travaux publics. Dans un deuxième temps, intervient un autre arrêté, prévu à l'article 3 de la loi de 1892 dont les dispositior sont reprises à l'alinéa 2, de l'article 176 du code rural, qui désigne les parcelles de terrains devant faire l'objet d'une occupation temporaire ainsi que les propriétaires de ces terrains.
Ce second arrêté, semblable à l'arrêté de cessibilité pris dans la procédure d'expropriation, a donc une existence autonome et c'est ce texte qui va soumettre les propriétaires aux obligations résultant des travaux.
Il s'ensuit que ce texte porte atteinte au droit de propriété en ce qu'il impose une servitude pour les terrains qu'il désigne.
L'obligation faite à l'autorité administrative compétente, posée par la loi de 1892 et l'article 176, alinéa 2, du code rural, de prendre un texte désignant les terrains soumis à cette servitude ainsi que leurs propriétaires et qui permet de plus, à ceux-ci de faire valoir leurs droits, touche par conséquent au régime de la propriété et des droits réels et doit donc être considérée comme étant de nature législative.
Il demeure cependant entendu que la désignation de l'autorité de l'Etat habilitée à prendre le texte dont il s'agit ainsi que la nature exacte des mentions qui doivent y figurer dont de nature réglementaire dès lors qu'est respecté le principe d'une désignation permettant d'identifier les parcelles de terrains frappées d'ôccupation temporaire et leur propriétaire.
C'est dans ce sens qu'a été rédigé le projet de décision qui vous est soumis.
A l'issue de ce rapport, M. REY confirme en réponse à M. LUCHAIRE que c'est le préfet qui a compétence pour prendre l'arrêté désignant les terrains dont l'occupation temporaire est nécessaire ainsi que leurs propriétaires lorsque l'acte prévu à l'article 176, alinéa 1, du code rural est un arrêté interministériel. Dans le cas où cet acte est un arrêté préfectoral, il n'est pris qu'un seul arrêté par le préfet.
M. REY donne ensuite lecture du projet de décision.
M. GOGUEL propose de remplacer dans le projet les mots : "autorités administratives" qui sont trop imprécis, ainsi qu'il a été dit dans le rapport, par "autorités administratives relevant du Gouvernement" et les mots "pouvoir exécutif" par "Gouvernement".
Le projet ainsi modifié est adopté.
M. le Président PALEWSKI donne ensuite la parole à M. SAINTENY pour présenter le rapport sur la seconde affaire relative à l'examen, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, des dispositions de l'article L. 126 du code des postes et télécommunications, tel que modifié par l’article 35 de la loi n° 66-948 du 22 décembre 1966 portant loi de finances rectificative pour 1966, en tant que ces dispositions déterminent le grade et la compétence territoriale du fonctionnaire des postes et télécommunications habilité à exercer les attributions qu'elles définissent.
M. SAINTENY déclare :
Aux termes du premier alinéa de l'article L.126 du code des postes et télécommunications, codification de l'ancien article 92 de la loi du 29 avril 1928 : "les dispositions législatives qui régissent le recouvrement et le contentieux du recouvrement des contributions indirectes sont applicables au recouvrement de toutes les recettes propres au budget annexe des postes et télécommunications qui sont perçues en application des tarifs légalement édictés".
Cela signifie, en bref, que les dispositions législatives applicables pour le recouvrement et le contentieux des contributions indirectes s'appliquent également aux recettes de l'administration des postes et télécommunications.
D'ailleurs il était précisé à l'alinéa 2 de l'article L. 126 susvisé que les titres de perception seraient délivrés par les receveurs des postes et visés par le juge d'instance à l'instar de la procédure applicable pour les contributions indirectes.
Or, une loi du 27 décembre 1963 a modifié profondément les règles de recouvrement des contributions indirectes notamment en substituant au titre de perception délivré par le receveur intéressé et visé par le juge du tribunal d'instance un avis de mise en recouvrement rendu exécutoire par le directeur départemental compétent.
Cette réforme devait entraîner, par voie de conséquence et en application de l'article L. 126, alinéa 1, cité ci-dessus, une modification des règles de perception des recettes des postes et télécommunications.
En fait on pouvait penser que le jeu combiné des dispositions de la loi du 27 décembre 1963 et de l'alinéa 1 de l'article L. 126 du code des postes et télécommunications aboutissait à l'abrogation implicite des dispositions de l'alinée 2 dudit article L.126 et que l'émission des titres de perception échappait à la compétence des receveurs des postes pour être attribuée aux directeurs départementaux.
Toutefois, la commission des finances de l'Assemblée nationale, lors de l'examen de la loi de finances rectificative pour 1966, bien qu'elle ait reconnu que la loi de 1963 avait pratiquement enlevé toute portée à l'alinéa 2 de l'article L. 126, a estimé que, contrairement à l'avis du Gouvernement, le directeur départemental visé à l'article premier de la loi était exclusivement celui des impôts et que, par conséquent, le problème de savoir quelle était l'autorité compétente pour viser et rendre exécutoire les avis de mise en recouvrement émis en matière des postes et télécommunications restait posé.
La commission a donc proposé un amendement, adopté avec l'accord du Gouvernement, modifiant l'alinéa 2 de l'article L. 126 pour préciser que :"le directeur départemental des postes et télécommunications exerce les attributions conférées au directeur départemental des impôts par les dispositions législatives visées ci-dessus" c'est-à-dire celles de ces dispositions qui régissent le recouvrement des contributions indirectes et le contentieux de ce recouvrement.
Cette fois les textes étaient clairs.
Mais depuis peu une réforme de l'organisation des services extérieurs des P.T.T. a été entreprise tendant à séparer plus nettement les services des télécommunications et les services postaux proprement dits et, en matière de télécommunications, à transférer les attributions du directeur départemental au directeur régional.
Il faut noter ici que les redevances téléphoniques des abonnés constituent une part importante des ressources pouvant nécessiter l'émission des titres de perception et donner lieu à des difficultés de recouvrement, puisque contrairement à beaucoup de recettes des P.T.T., celles là ne peuvent pas être perçues au comptant.
Dans ces conditions le transfert d'attributions du directeur départemental des P.T.T. au directeur régional des télécommunications pose le problème de l'adaptation des dispositions de l'article L.126, alinéa 2, qui font expressément référence au directeur départemental.
Ces dispositions, nous l'avons vu, résultent d'une loi du 22 décembre 1966. Elles ne peuvent donc être modifiées par le Gouvernement que si le Conseil en a reconnu le caractère réglementaire. Telle est la raison de notre saisine.
L'exposé qui précède sur la genèse de l'affaire qui nous est soumise explique aussi le contenu de cette saisine.
En effet les dispositions de l'article L.126, alinéa 2, ne sont déférées au Conseil qu'en tant qu'elles déterminent le grade et la compétence territoriale du fonctionnaire des postes et télécommunications habilité à exercer les attributions qu'elles définissent.
En d'autres termes le Conseil ne doit apprécier la nature juridique que des mots "directeur départemental".
Je crois que cette question n'appelle pas beaucoup de développements. En admettant même que les ressources de l'administration des postes et télécommunications puissent être rangées parmi "les impositions de toutes natures" visées à l'article 34 de la Constitution, la désignation du fonctionnaire de cette administration chargé de la mise en recouvrement de ces recettes ne constitue que la mise en application des règles relatives à ces impositions et ne relève donc que du pouvoir réglementaire.
De même le grade du fonctionnaire comme sa compétence territoriale, ne peuvent être considérés comme constituant des garanties particulières pour les redevables, ces fonctionnaires n'ayant au surplus qu'un pouvoir d'appréciation fort restreint.
Le Conseil constitutionnel avait pris le 4 avril 1968 une décision (au recueil p.25), dans laquelle il reconnaissait le caractère réglementaire aux dispositions déterminant le grade du fonctionnaire habilité à faire certaines opérations en matière fiscale. Je proposerai au Conseil de prendre une décision analogue en ce qui concerne les dispositions dont nous avons à connaître aujourd'hui.
M. LUCHAIRE se déclare d'accord avec les conclusions du rapporteur mais géné par le projet de décret communiqué au Conseil constitutionnel et aux termes duquel le deuxième alinéa de l'article L.126 du code des postes et télécommunications serait abrogé : ...."en tant qu'il détermine le grade et la compétence territoriale du fonctionnaire des postes et télécommunications habilité à exercer les attributions définies audit alinéa."
Il parait difficile de codifier un tel texte et M. LUCHAIRE suggère d'appeler l'attention du Gouvernement sur ce point.
M. PAOLI fait remarquer que le cas n'est pas nouveau et que c'est là une difficulté que rencontre fréquemment les codificateurs mais qui se résoud lors de la révision périodique des codes. Il n'y a donc pas de difficulté de principe.
M. GOGUEL reconnaît que l'abrogation d'un texte "en tant ... que" laisse l'usager dans une grande incertidue mais il constate que le projet de décret ne fait que reprendre le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel et qu'il n'est peut être pas opportun d'inviter le Gouvernement à aller au-delà.
M. le Président PALEWSKI estime qu'il est préférable de rester dans les normes et de ne pas faire d'observations sur un projet de décret dont le Conseil constitutionnel n'a pas à connaître.
M. SAINTENY donne ensuite lecture du projet de décision qui est adopté après suppression dans le dernier considérant d'une référence aux dispositions de l'article 34 de la Constitution concernant des garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires de l'Etat.
M. le Président PALEWSKI appelle la troisième affaire inscrite à l'ordre du jour qui porte sur l'examen, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, des dispositions de l'article 5, premier alinéa, deuxième phrase en tant qu'elles comportent le membre de phrase "selon la procédure définie à l'article 16 ci-dessous" et des dispositions de l'article 16, première phrase, de l'ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises, modifiée par l'article 62
M. COSTE-FLORET présente le rapport suivant :
L'ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967, consacrant une réforme sociale importante, a établi les règles relatives à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises. Elle rend un tel régime obligatoire dans les entreprises de plus de 100 salariés.
L'article 38 de la Constitution, 2ème alinéa, prévoit que les ordonnances "entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation".
Le projet de loi en cause, concernant l'ordonnance dont il s'agit, a été déposé dans les délais voulus. Mais il n'a pas été inscrit à l'ordre du jour des Chambres.
Dans ces conditions, le Gouvernement a considéré que le texte avait conservé sa forme réglementaire et que dès lors les modifications à apporter aux dispositions qu'il estimait également de nature réglementaire de l'article 16 de l'ordonnance, pouvaient être adoptées sans qu'il soit nécessaire de déférer au préalable ces dispositions au Conseil constitutionnel.
Il a donc saisi le Conseil d'Etat de deux projets de décret, l'un modifiant l'article 16 de l'ordonnance ; l'autre modifiant les articles 20 et suivants du décret d'application.
La compétence du Conseil d'Etat saisi de ces textes a fait pourtant difficulté. En effet, l'article 62 de la loi n° 68-1172 du 12 décembre 1968, loi de finances pour 1969, a entre temps modifié sept articles importants de l'ordonnance dont l'article 16.
Conformément à sa jurisprudence constante le Conseil d'Etat a examiné si le législateur n'avait pas entendu par là ratifier implicitement l'ordonnance, ce qui entraînait l'incompétence du Conseil d'Etat et l'obligation pour le Gouvernement de déférer les textes au Conseil constitutionnel.
Saisie de ce problème la section sociale du Conseil d’Etat s’est divisée en deux et la voie prépondérante de son Président a tranché le débat dans le sens de la non ratification implicite de l’ordonnance. La section s'est donc déclarée compétente et, contre les conclusions du Commissaire du Gouvernement, a repoussé les projets de décrets en affirmant la nature législative des textes qui lui étaient présentés.
Ces conclusions ont été soumises à l’Assemblée générale du Conseil d’Etat. Celle-ci, après une longue discussion, dans laquelle le Président de la section sociale et les membres de celle-ci, se sont tous ralliés à Ia thèse de la ratification implicite, a, à l’unanimité de ses membres, en sens contraire de la décision de sa section, décidé que l’article 62 de la loi de finances de 1969 avait bien procédé à la ratification implicite de l'ordonnance, que celle-ci avait donc nature législative, et que par conséquent le Conseil d'Etat était incompétent. En conséquence, l'Assemblée générale à la différence de la Section sociale n'a pas examiné le fond. La décision de l'Assemblée générale est la suivante :
"Le Conseil d'Etat saisi d'un projet de décret modifiant l'article 16 de l'ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises, n'a pas cru devoir l'examiner en l'état.
En effet, en adoptant l'article 62 de la loi de finances pour 1969 (N° 68-1172 du 27 décembre 1968) qui a apporté à l'ordonnance prise dans son ensemble les modifications jugées par lui nécessaires, le Parlement a entendu ratifier toutes les dispositions de l'ordonnance sous réserve desdites modifications. L'ordonnance ayant ainsi acquis une forme législative, le Conseil d'Etat ne peut examiner le projet de décret qui lui est soumis, qu'au vu d'une décision du Conseil constitutionnel déclarant le caractère réglementaire de la disposition de l'ordonnance que le projet se propose de modifier."
C'est dans ces conditions que le Gouvernement a régulièrement saisi le Conseil constitutionnel par une lettre du Premier Ministre en date du 3 février dernier qui soumet à notre examen en application de l'article 37, alinéa second, de la Constitution :
1°) L'article 5 (1er alinéa, 2ème phrase), en tant que ces dispositions comportent le membre de phrase : "selon la procédure définie à l'article 16 ci-dessous" ;
2°) l'article 16 (1ère phrase).
Deux problèmes se posent au Conseil constitutionnel, celui de sa compétence, et, s'il répond affirmativement, celui de la nature législative ou réglementaire des textes qui lui sont soumis.
I. LA COMPETENCE.
Elle est commandée par le problème de la ratification implicite ou de la non ratification de l'ordonnance sur la participation.
C'est une question difficile puisque la section sociale du Conseil d'Etat, à une courte majorité il est vrai, et l'Assemblée générale à l'unanimité, l'ont tranchée en sens contraire.
Le problème pose à la fois une question de principe et une question d'espèce.
D'abord une question de principe : la thèse de la "ratification implicite", couramment admise par le Consei d'Etat sous les Constitutions de 1875 et de 1946, en particulier dans un arrêt de principe de la section du contentieux du 25 janvier 1957 (Lebon page 54) sur le rapport de M. Jean Lecanuet, peut-elle encore être acceptée sous la Constitution de 1958 ?
La raison de douter vient de l'article 38 de la Constitution, 2ème alinéa, précité.
Il fait, on le sait, une référence très nette à une loi de ratification, ce qui n'était pas le cas sous les Constitutions antérieures.
A quoi l'on peut répondre d'une part, ce qui est fondamental, que rien dans le texte de l'article 38 n'exclut la possibilité d'une ratification implicite, d'autre part, que, sous les Constitutions antérieures où cette thèse était couramment admise, la procédure législative de ratification était habituellement prévue par les lois d'habilitation ce qui nous ramène à l'hypothèse de l'article 38 qui n'a fait que constitutionnaliser la pratique constante en la matière.
Rien ne permet donc d'exclure la théorie de la ratification implicite. Dès lors son application éventuelle est une question d'espèce.
Or dans le cas actuel l'article 62 de la loi de Finances de 1969 a, sur la proposition du Gouvernement, avec l'appoint de nombreux amendements d'origine parlementaire et après d'assez longs débats, modifié sept articles de l'ordonnance dont les deux articles en cause, l'article 5 et l'article 16.
M. RIVAIN, rapporteur à l'Assemblée nationale s'exprime ainsi sur le texte à la page 51 de son rapport écrit :
"le présent article apporte au texte de l'ordonnance du 17 août 1967 relatif à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises une série de modifications destinées soit à préciser, soit à améliorer la portée de ses dispositions."
Le texte de l’article 62 indique :"les dispositions des articles 2, 3, 4, 5, 7, 8 et 16 de l'ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967 relatives à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises sont modifiées ou complétées comme suit..."
Il semble bien résulter tant des débats que des explications du rapporteur et qu'enfin du texte lui-même que la ratification implicite doit être admise en l'espèce.
C'est dans ce sens, qui est celui de l'unanimité de l'Assemblée générale du Conseil d'Etat que votre rapporteur vous propose de vous prononcer, ce qui nous permet d'examiner le fond du problème posé.
II. LE FOND.
Les dispositions que l'on envisage de faire disparaître de l'article 16 de l'ordonnance ont-elles un caractère législatif ou réglementaire ?
Nous rappelons que ce texte est ainsi conçu : "Les accords mentionnés à l'article 5 ci-dessus sont homologués par arrêté conjoint du Ministre de l’économie et des finances et du Ministre des affaires sociales, sur avis conforme du Centre d'études des revenus et des coûts, dont la composition sera, pour l'examen desdits accords, déterminée par décret."
Le Gouvernement est d'accord pour reconnaître le principe que l'homologation des accords dérogatoires est du domaine législatif, mais il soutient que la procédure d'homologation est du domaine réglementaire.
Nous ne pensons pas pouvoir vous proposer l'adoption intégrale de cette thèse.
En effet, l'article 16 précité ne se borne pas à établir une procédure, et ce terme est improprement employé dans l'article 5. Il attribue compétence à un organisme et à une autorité déterminée pour refuser ou accorder l'homologation.
Votre jurisprudence constante indique certes que la répartition des attributions entre les diverses autorités gouvernementales et administratives relève du pouvoir réglementaire (cf.décisions des 23 février, 21 mai,13 novembre, 17 décembre 1970).
Mais nous croyons que le caractère législatif des dispositions en cause ne peut être contesté en se plaçant sur un autre terrain :
D'une part, l'article 5, dernier alinéa, étend aux accords dérogatoires homologués le bénéfice des exonérations fiscales très importantes prévues par les articles 7 et 8 de l'ordonnance lorsqu'il y a accord de droit commun.
Ce texte est ainsi conçu :
"L'application des accords mentionnés aux alinéas précédents donne lieu, s'ils ont été homologués, au bénéfice des dispositions des articles 7 et 8 ci-dessus".
L'autorité homologante a ainsi le pouvoir de définir le champ d'application d'une exonération fiscale, ce qui ressort directement au domaine de la loi.
D'autre part, la désignation même de cette autorité touche à l'assiette de l'impôt, c'est-à-dire au domaine de la loi. Il est d'ailleurs très remarquable que lorsqu'une exonération fiscale dépend directement ou non d'un agrément, l'autorité qui agrée est très généralement désignée dans la partie législative du code général des impôts.
Un autre argument, retenu par la section sociale du Conseil d'Etat, plaide en faveur du caractère législatif des dispositions de l'article 16 de l'ordonnance. Il est tiré des principes fondamentaux du droit du travail et de leur garantie.C'est cet argument qui permet d'écarter, pour le problème qui nous est soumis, votre jurisprudence précitée relative à la répartition des attributions entre les diverses autorités gouvernementales et administratives.
Cette jurisprudence, qui reconnaît à cette répartition un caractère réglementaire, ne semble plus pouvoir s'appliquer lorsque l'attribution, dans un domaine qui relève de la loi, d'une certaine compétence à une autorité déterminée, constitue pour les intéressés une garantie qui tient à la qualité de cette autorité.
Le Conseil d'Etat en a ainsi décidé en assemblée générale à propos de l'autorité compétente pour autoriser dans certains cas l'acceptation de dons et legs aux communes ; à propos de l'autorité compétente pour décider de l’extension des conventions collectives de travail ; enfin lorsqu'il s'est agi de supprimer le Conseil supérieur de la Sécurité sociale.
Votre décision du 24 octobre 1969 semble bien consacrer une jurisprudence identique. Cette décision relative à l'examen de certaines dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 5 octobre 1958 portant réforme des règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique considère que celles-ci ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire "sauf toutefois pour celui-ci à ne pas diminuer les garanties de leurs droits que les propriétaires intéressés ont trouvées dans la composition de l'organisme dont, dans les opérations de cette nature, l'avis conforme était requis avant l'intervention de la déclaration d'utilité publique".
Or l'ordonnance du 17 août 1967 crée un droit nouveau pour les travailleurs. Les règles qu'elle pose, aussi bien pour les obligations qu'elle impose aux entreprises que dans les modalités de mise en oeuvre des obligations, sont au nombre des principes fondamentaux du droit du travail et ressortissent au domaine de la loi (article 34 de la Constitution).
L'article 5 de l'ordonnance participe au même caractère, à la fois en tant qu'il autorise des dérogations aux règles posées par les articles 2, 3 et 4, et par les conditions de forme et de fond auxquelles il subordonne ces dérogations.
Il précise notamment, et c’est la disposition qui vous est soumise, que les accords doivent être homologués "selon la procédure définie à l’article 16 ci-dessous".
Or ce n'est pas seulement l'homologation qui a un caractère législatif, mais aussi les conditions prévues à l'article 16 auquel il est fait renvoi et qui constituent, comme les autres conditions de forme, les garanties indissociables des principes fondamentaux contenus dans l'ordonnance.
Quelles sont en effet les conditions prévues à l'article 16 ?
Elles consistent essentiellement en un partage de compétence entre le Ministre de l'économie et des finances, le Ministre des affaires sociales et le Centre d'études des revenus et des coûts.
Dans un domaine aussi fondamental et aussi nouveau que la participation, il ne fait pas de doute que les auteurs de l'ordonnance ont voulu, en exigeant un avis conforme du C.E.R.C., attribuer compétence à une autorité technique indépendante de toute autorité politique.
Les faits ont répondu à leur attente, et, dans la pratique, l'intervention du C.E.R.C. a constitué pour les intéressés une garantie des plus efficaces. Notons qu'il est notamment intervenu souvent pour protéger les intérêts de certaines catégories de travailleurs défavorisés par les accords, et pour faire en sorte que plus d'objectivité préside aux accords conclus au sein de nombreux comités d'entreprises. Nous sommes, en droit et en pratique, pleinement dans le domaine des droits fondamentaux du travail et de leur garantie.
Il n'est donc pas douteux qu'en tant qu'il exige pour l'homologation des accords l'avis conforme d'un organisme non gouvernemental, l'article 16 de l'ordonnance ressort au domaine législatif.
Restent le problème de la désignation des autorités administratives chargées d'homologuer les accords de dérogation, celui de la détermination de l'organisme dont l'avis conforme est requis, celui enfin de la désignation de ses membres.
Le texte charge le Ministre de l'économie et des finances et le Ministre des affaires sociales d'homologuer les accords dérogatoires par arrêté conjoint. Il n'est pas douteux que cette désignation des autorités administratives chargées d'homologuer les accords ressort au pouvoir réglementaire conformément à votre jurisprudence constante.
Il en est de même de la désignation du C.E.R.C. en tant qu'organisme chargé de rendre l'avis conforme requis. Il est d'ailleurs remarquable que le C.E.R.C. ait été créé par décret.
Enfin, en ce qui concerne la composition de celui-ci, le texte de l'article 16 qui vous est soumis précise que cette composition "sera pour l'examen desdits accords déterminée par décret".
Pourquoi ne pas le dire ? L'ordonnance sur ce point est mal faite et il n'est pas douteux qu'en instituant pour l'homologation une composition ad hoc confiée au pouvoir réglementaire, elle diminue sensiblement les garanties que l'avis conforme qu'elle exige donne aux travailleurs. Mais ceci n'est pas de notre domaine.
Il demeure que ces dispositions finales de la première phrase de l'article 16 qui vous est soumise "dont la composition sera pour l'examen desdits accords déterminée par décret" ont une nature réglementaire qui ne semble pas pouvoir être contestée.
Encore faut-il souligner que réserve doit être faite en la matière, de l'application de la théorie de la "dénaturation" ainsi que le Conseil constitutionnel l'a décidé dans deux décisions des 27 février et 24 octobre 1969, dont application peut être faite ici. Si la composition, en la cause, du C.E.R.C. relève du pouvoir réglementaire, celui-ci ne peut modifier l'organisme en question ou même y substituer un autre organisme, qu’à la condition de ne pas diminuer la garantie résultant de la composition qui avait été donnée au C.E.R.C.
Sous ces dernières réserves, il vous est proposé de déclarer le caractère législatif de toutes les autres dispositions dont vous êtes saisis pour deux raisons fondamentales : parce que les dispositions soumises ont trait à l'assiette de l'impôt, parce qu'elles concernent les principes fondamentaux du droit du travail.
M. le Président PALEWSKI remercie M. COSTE-FLORET de son rapport et plus particulièrement d'avoir rappelé la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la "dénaturation des textes", qui tend à protéger les citoyens.
Le débat s'engage ensuite sur la compétence du Conseil constitutionnel.
M. CHATENET rappelle qu'il y a deux sortes de motivations pour justifier le caractère législatif d'une ordonnance et, par conséquent, la compétence du Conseil, d'une part, la théorie selon laquelle le dépôt du projet de loi de ratification confère valeur législative à l'ordonnance, d'autre part, la thèse suivant laquelle c'est la modification de l'ordonnance par le Parlement qui vaut ratification implicite.
M. COSTE-FLORET confirme que c'est la seconde de ces thèses qu'il a choisie et que le seul dépôt du projet de loi de ratification ne peut valoir ratification implicite, celle-ci devant résulter d'un réexamen de l'ordonnance par le Parlement à l'occasion de sa modification. C'est donc à chaque fois un cas d'espèce.
Les seuls arguments contre le principe de la ratification implicite tiennent à l'existence de l'article 38 de la Constitution mais cet article n'a fait qu'institutionnaliser la pratique antérieure des décrets lois et, par conséquent, si la ratification implicite était admise avant 1958 elle est toujours valable.
M. DUBOIS tient à préciser que c'est à chaque fois un cas d'espèce et que le Gouvernement ne peut en tirer argument pour intervenir par voie réglementaire dans le domaine législatif.
M. LUCHAIRE rappelle que la doctrine (cours de M. ODENT et de M. de LAUBADERE) considère que les ordonnances ne sont pas caduques dès lors que le projet de loi de ratification a été déposé dans les délais mais que tant que la loi de ratification n'a pas été adoptée par le Parlement les ordonnances restent des actes de forme réglementaire.
M. LUCHAIRE souhaiterait que cette doctrine soit réaffirmée dans la décision du Conseil.
M. GOGUEL pense également que le dépôt du projet de loi de ratification n'entraine pas ratification mais que néanmoins le Parlement peut ratifier implicitement une ordonnance, étant observé que la thèse de la ratification par le simple dépôt enlèverait sans doute des garanties aux citoyens, qui ne pourraient plus faire de recours pour excès de pouvoir, mais donnerait au Parlement la garantie que le Gouvernement ne pourrait plus modifier les ordonnances sans venir devant lui.
M. COSTE-FLORET remarque que le Parlement perdrait quand même le droit de ne pas ratifier les ordonnances.
Sur le fond
M. GOGUEL se demande si, l’article 16 de l'ordonnance renvoyant à un décret le soin de fixer la composition de l'organisme dont l'avis conforme est requis pour les accords dérogatoires, il est possible d'affirmer que la nature de cet organisme ressortit au domaine législatif.
M. COSTE-FLORET pense que l'avis conforme d'un organisme non politique constitue une garantie pour les parties aux accords et que cette disposition est donc de nature législative. Néanmoins le rapporteur se déclare prêt à modifier le projet de décision dans un sens plus abstrait de manière à ne pas faire entrer dans le domaine législatif la composition de l'organisme, par exemple.
M. CHATENET approuve les conclusions de M. COSTE- FLORET et considère que la garantie donnée au personnel, de l'examen des accords dérogatoires par un organisme de la qualité du C.E.R.C. ne peut trouver d'équivalent dans une commission, même paritaire, au niveau réginal.
Les salariés s'intéressent à ces accords et ce serait une erreur de donner l'impression que leur examen va passer d'un organisme prestigieux à une commission régionale "dans la main du préfet".
D'ailleurs l'interprétation de l'esprit de la décision rendue par le Conseil le 24 octobre 1969 conduit à la même conclusion.
M. COSTE-FLORET donne lecture du projet de décision ci-après :
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Saisi le 4 février 1972 par le Premier Ministre, dans les conditions prévues à l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, d'une demande tendant à l'appréciation de la nature juridique des dispositions ci-après de l'ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967, relative à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises, modifiée par l'article 62 de la loi n° 68-1172 du 27 décembre 1968 portant loi de finances pour 1969 :
- article 5, premier alinéa, deuxième phrase, en tant que ces dispositions comportent le membre de phrase : "selon la procédure définie à l'article 16 ci-dessous" ;
- article 16, première phrase ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 34, 37, 38 et 62 ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 24, 25 et 26 ;
Vu la loi n° 67-482 du 22 juin 1967, autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à prendre des mesures d'ordre économique et social ;
Vu l'ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises et les textes pris pour son application ;
Vu la loi de finances pour 1969 n° 68-1172 en date du 27 décembre 1968 et notamment son article 62 ;
Vu le code du travail ;
Vu le code général des impôts ;
- Sur la compétence du Conseil constitutionnel :
Considérant que, d'après les termes de l'article 37, premier alinéa, de la Constitution, "les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère
réglementaire" et qu'aux termes du deuxième alinéa du même article "les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d'Etat. Ceux de ces textes qui interviendraient après l'entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si le Conseil constitutionnel a déclaré qu'ils ont un caractère réglementaire en vertu de l'alinéa précédent" ;
Considérant que les dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel sont contenues dans l'ordonnance du 17 août 1967, relative à la participation des salariés aux fruits de l'expansion de l'entreprise, laquelle a été prise en application de l'article 38 de la Constitution ;
Considérant que, si l'article 38 de la Constitution prévoit que les ordonnances prises pour son application doivent faire l'objet d'un projet de loi de ratification déposé devant le Parlement, cet article, non plus qu'aucune autre disposition de la Constitution ne fait obstacle à ce qu'une ratification intervienne selon d'autres modalités que celle de l'adoption du projet de loi susmentionné ; que, par suite, cette ratification peut résulter même d'une manifestation de volonté implicitement mais clairement exprimée par le Parlement ;
Considérant qu'il résulte clairement des dispositions de l'article 62 de la loi de finances pour 1969 en date du 27 décembre 1968 que le législateur a entendu ratifier toutes les dispositions de l'ordonnance susvisée du 17 août 1967 sous réserve des modifications qu'il y a apportées ; qu'ainsi lesdites dispositions constituent des textes de forme législative intervenues après l'entrée en vigueur de la Constitution ; que, dès lors et en vertu de l'article 37, alinéa 2, précité de celle-ci, il appartient au Conseil constitutionnel d'en apprécier la nature juridique ;
- Sur la nature juridique des dispositions des articles 5 et 16 de l'ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967, soumises à l'examen du Conseil constitutionnel ;
Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution "la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités du recouvrement des impositions de toutes natures" et qu'elle "détermine les principes fondamentaux du droit du travail" ;
Considérant que sont soumises à l'examen du Conseil constitutionnel, d'une part, les dispositions de l'article 5 de l'ordonnance susvisée du 17 août 1967 en tant qu'elles prévoient que les accords conclus par dérogation aux règles générales de ce texte doivent être homologués selon la procédure définie à l'article 16 de ladite ordonnance et, d 'autre part, les dispositions dudit article 16, en ce qu'elles précisent que les acoords dont il s'agit sont homologués par arrêté conjoint du Ministre de l'économie et des finances et du Ministre des affaires sociales sur avis conforme du centre d'études des revenus et des coûts, dont la composition sera, pour l'examen desdits accords, déterminée par décret ;
Considérant que les dispositions susrappelées, dans la mesure où elles prévoient l'institution d'une procédure spéciale pour l'homologation des accords de dérogation et en tant qu'elles posent le principe d'une homologation desdits accords sur avis conforme d'un organisme composé exclusivement, d'une part, de personnalités indépendantes choisies en raison de leur compétence et de leur expérience dans le domaine de la vie économique et sociale et, d'autre part, de représentants, en nombre égal, des employeurs et des salariés, constituent des garanties essentielles aussi bien pour les employeurs que pour les salariés, tant en raison de ce qu'elles touchent aux règles relatives à l'assiette de l'impôt, que parce qu'elles ont trait aux principes fondamentaux du droit du travail ; que dès lors elles relèvent du domaine de la loi ;
Considérant que les autres dispositions de l'ordonnance susvisée du 17 août 1967 soumises à l'examen du Conseil constitutionnel et relatives à la désignation des autorités administratives chargées d'homologuer les accords de dérogation, à la détermination de l'organisme dont l'avis conforme est requis pour cette homologation et à la désignation de ses membres, ne mettent en cause aucun des principes fondamentaux ni aucune des règles ci-dessus rappelés de l'article 34 de la Constitution ; que, par suite, elles ressortissent au domaine du pouvoir réglementaire ;
DECIDE :
Article premier - Ont le caractère législatif les dispositions des articles 5 et 16 de l'ordonnance susvisée n° 67-693 du 17 août 1967, soumises à l'examen du Conseil constitutionnel, dans la mesure ci-dessus précisée où ces dispositions prévoient l'institution d'une procédure spéciale pour l'homologation des accords de dérogation et posent le principe d'une
homologation desdits accords sur l'avis conforme d'un organisme exclusivement composé, d'une part, de personnalités choisies en raison de leur compétence et de leur expérience touchant la vie économique et sociale et, d'autre part, de représentants en nombre égal, des employeurs et des salariés ;
Article 2 - Les autres dispositions de l'ordonnance n°67-693 soumises à l'examen du Conseil constitutionnel ont le caractère réglementaire.
Article 3 - La présente décision sera notifiée au Premier Ministre et publiée au Journal officiel de la République française.
Ce projet est modifié :
- au troisième considérant, sur proposition de M. LUCHAIRE, afin d'affirmer que les ordonnances, pour lesquelles un projet de loi de ratification a été déposé demeurent des actes de forme réglementaire tant que la loi de ratification n'a pas été votée ou qu'une ratification implicite n'est pas intervenue ;
- à l'avant-dernier considérant et à l'article premier du dispositif en vue de marquer que le caractère natinal de l'organisme dont l'avis conforme est requis ainsi que son indépendance à l'égard de l'autorité politique, sont des principes de nature législative.
M. le Président PALEWSKI craint que cette réserve tenant au caractère national ne nuise à la déconcentration des pouvoirs du C.E.R.C. et ne fasse passer dans le domaine du législateur des attributions qui jusqu'alors avaient été reconnues comme appartenant au Gouvernement.
Il est donc décidé de préciser que ce n'est "qu'en l'espèce" que le caractère national constitue une garantie essentielle de nature législative.
Le projet est ensuite adopté après quelques modifications de forme.
La séance est levée à 16 h. 45.
Les originaux des décisions seront annexés au présent compte-rendu.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.