SEANCE DU 28 JUIN 1972
COMPTE-RENDU
La séance est ouverte à 11 h.30 en présence de tous les membres du Conseil constitutionnel.
M. le Président PALEWSKI déclare que l'ordre du jour appelle l'examen de la conformité à la Constitution de la loi organique, adoptée par le Parlement, modifiant les dispositions du code électoral relatives à la composition de l'Assemblée nationale.
M. SAINTENY présente le rapport suivant :
"Le Conseil constitutionnel est saisi, en application des articles 46 et 61 de la Constitution, d'une loi organique modifiant les dispositions de l'article L.O. 119 du code électora. en vue de porter de 470 à 473 le nombre des députés pour les départements de la France métropolitaine.
Avant d'examiner la conformité de cette loi à la Constitution, je voudrais en rappeler la genèse.
Une loi du 29 décembre 1967 a modifié les limites des départements de l'Ain, de l'Isère et du Rhône notamment afin de placer dans le meme département toutes les communes inscrites dans la communauté urbaine de Lyon.
Cette loi a eu pour conséquence d'augmenter la popula- tion du département du Rhône d'environ 110.000 habitants. Or, dans ce département les circonscriptions électorales étaient déjà très peuplées en particulier celles qui devaient absorber les communes rattachées au département.
Ainsi les sixième et septième circonscriptions du Rhône comptent respectivement 252.497 et 197.346 habitants ce qui excède largement la moyenne nationale de population des circonscriptions législatives qui est de 106.000 habitants.
Il est donc apparu nécessaire de créer de nouvelles circonscriptions dans ce département de manière à ramener entre 100.000 à 120.000 le nombre des habitants desdites circonscrip- tions.
Pour parvenir à ce but il fallait modifier d'une part, le tableau annexe prévu à l'article L. 125 du code électoral qui détermine les circonscriptions électorales, d'autre part, l'ar- ticle L.O. 119 du même code qui fixe le nombre des députés pour la France métropolitaine.
L'énoncé même des articles du code électoral montre que les deux textes à modifier ne sont pas de même nature puisque l'un ressortit à la loi ordinaire et l'autre à la loi organique.
Le Gouvernement a donc déposé un projet de loi ordi- naire portant modification des dispositions du code électoral relatives à l'élection des députés à l'Assemblée nationale et qui comportait, notamment, un tableau rectificatif des circons- criptions électorales portant création des llème, 12ème et 13ème circonscriptions dans le département du Rhône.
Simultanément, le Gouvernement a déposé un projet de loi organique modifiant les dispositions de l'article L.O. 119 du code électoral en vue d'augmenter de trois le nombre des députés à l'Assemblée nationale.
Le Parlement a examiné et adopté en même temps ces deux textes, qui sont effectivement liés, mais seule la loi organique est soumise au Conseil constitutionnel pour examen de sa conformité à la Constitution.
Néanmoins, en raison de la complémentarité des deux lois, il est souhaitable qu'elles soient promulguées en même temps et c'est ce qui explique le bref délai dans lequel nous examinons ±a loi organique, le délai de promulgation pour le texte qui ne nous est pas soumis expirant le 30 juin.
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L'examen des débats au Parlement montre que le projet de loi ordinaire a donné lieu à plus d'interventions que le texte dont nous avons à connaître et qui, en effet, n'appelle pas de grands développements.
L'article 25 de la Constitution précise qu'une loi organique fixe le nombre des membres de chaque assemblée. Le législateur a donc compétence pour modifier ce nombre dès lors qu'il respecte la procédure particulière prévue à l’article 46 pour l'adoption des lois organiques.
Dans l'espèce que nous examinons la seule obligation particulière tenait, notre saisine mise à part, au respect du délai de quinze jours qui doit s'écouler entre le dépôt du projet ou de la proposition et la délibération de la première assemblée saisie.
Ce délai a été observé puisque le projet de loi organique a été enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 13 mai 1972 et que ladite assemblée en a délibéré et a voté le texte le 8 juin.
J'ajoute que le Conseil constitutionnel avait déjà eu, le 8 juillet 1966, à se prononcer sur la conformité à la Constitution d'une loi organique tendant à modifier l'article
L. O. 119 du code électoral.
Il s'agissait alors d’augmenter le nombre des députés pour assurer la représentation des nouveaux départements de la région parisienne qui venaient d'ëtre créés.
Le projet de loi alors soumis au Conseil et déclaré conforme à la Constitution, était semblable à celui dont nous avons à connaître aujourd'hui.
C'est donc un projet de déclaration de conformité très voisin du précédent que je viens de citer, que Je propose au Conseil constitutionnel d'adopter."
A l'issue de ce rapport M. COSTE-FLORET regrette que le règlement de l'Assemblée nationale, contrairement à celui du Sénat, autorise le vote d'une loi organique à main levée.
M. LUCHAIRE marque également son regret qu'une distinction soit toujours faite dans la loi entre les députés de la France métro- politaine et ceux des départements et territoires d'Outre-mer.
M, SAINTENY donne ensuite lecture du projet de décision ci-après
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Saisi le 21 juin 1972 par le Premier Ministre, confor- mément aux dispositions des articles 46 et 61 de la Constitution, du texte de la loi organique modifiant les dispositions du code électoral relatives à la composition de l'Assemblée nationale ;
Vu la Constitution et notamment ses articles 25, 46,
61 et 62 ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organiqus sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du Titre II de ladite ordonnance ;
Vu le code électoral et notamment son article L.O. 119
Considérant que la loi organique dont le Conseil constitutionnel est saisi, avant promulgation, aux fins d'appré- ciation de sa conformité à la Constitution, a pour objet, en modifiant l'article L.O. 119 du code électoral, de porter de 470 à 473 le nombre des députés à l’Assemblée nationale pour les départements de la France métropolitaine, de préciser que cette disposition entrera en vigueur lors des prochaines élec- tions législatives et de permettre ainsi la création de trois nouvelles circonscriptions électorales dans le département du Rhône en conséquence des modifications apportées aux limites de ce département ainsi qu'à celles de l'Ain et de l'Isère ;
Considérant que ce texte, pris dans la forme exigée par l'article 25, premier alinéa, de la Constitution et dans le respect de la procédure prévue à l'article 46, n’est contraire à aucune disposition de la Constitution ;
♦
DECIDE :
Article premier : L'article unique de la loi organique modifiant les dispositions du code électoral relatives à la composition de l'Assemblée nationale, est déclaré conforme à la Constitution.
Article 2 - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 juin 1972.
M. LUCHAIRE demande la suppression de la fin du premier consi- dérant à partir des mots : "et de permettre ainsi la création etc "
En effet, la loi organique a pour seul objet d'augmen- ter le nombre de députés et il appartient ensuite au Parlement d'attribuer les nouveaux sièges à telles circonscriptions qu'il veut. Or, la rédaction adoptée dans le projet paraît comporter l'obligation pour le Parlement d'avoir à affecter les trois nouveaux sièges aux députés du département du Rhône.
M. GOGUEL pense qu'il est anormal que le texte de loi ordinaire créant les circonscriptions soit toujours adopté, depuis 1958, avant le texte de loi organique fixant le nombre des députés alors que c'est la démarche inverse qui devrait être adoptée.
Le Conseil approuve la proposition de M. LUCHAIRE.
Le projet de décision ainsi amendé est adopté.
M. le Président PALEWSKI appelle la seconde affaire inscrite à l'ordre du jour qui porte sur l'examen de la conformité à la Constitution d'une résolution tendant à modifier certains articles du règlement du Sénat.
M. GOGUEL présente le rapport suivant :
"Les modifications que le Sénat a décidé le 21 juin d'apporter à son règlement, et qui, conformément à l'article 61 de la Constitution ne pourront être mises en application que si notre Conseil les déclare conformes à la Constitution, ne répondent pas à une conception d'ensemble. Il s'agit seulement, comme l'a dit le rapporteur, M. Marcilhacy, d'une mise en ordre, tendant à adapter le règlement aux conditions de travail réelles du Sénat, et cela à propos de questions qui n'ont guère de rapport les unes avec les autres puisqu'elles concernent :
- 1°) les modes de votation,
- 2°) la publicité donnée aux auditions de personnalités par les commissions,
- 3°) la procédure de discussion immédiate,
- 4°) les questions orales avec débat.
I ~ Les modes de votation
A - En 1959, le Sénat, outre les procédures traditionnelles du vote à main levée, du vote par assis et levé et du vote par scrutin public à l'aide de bulletins nominatifs, avait introduit dans son Règlement un mode de votation nouveau dit " par divisior des votants, sans pointage". Selon ce système, les sénateurs votant "pour" devaient sortir de la salle des séances par le couloir de droite, ceux votant "contre" par le couloir de gauche, et deux secrétaires du Sénat les comptaient, sans que leurs noms fussent ni relevés, ni publiés. Ce mode de scrutin devait en principe être utilisé, soit de plein droit dans une hypothèse, sur laquelle nous aurons à revenir, soit, à défaut de demande de scrutin public, après deux épreuves (à main levée et par assis et levé) déclarées douteuses. Comme le scrutin par division des votants ne pouvait être ouvert que cinq minutes après avoir été annoncé, des sénateurs présents dans le Palais du Luxembourg, mais non dans l'hémicycle, n'ayant donc pas pris part aux épreu- ves précédentes - à main levée et par assis et levé - pouvaient regagner l'hémicycle et prendre part au vote par division : telle était, en principe, la justification de cette procédure.
Mais l'expérience a montré que ce mode de votation ne répondait pas à un véritable besoin : après deux épreuves décla- rées douteuses, il se trouve en effet toujours quelqu'un pour demander un scrutin public. Aussi le vote par division des votants, sans pointage, n'a-t-il été utilisé en tout et pour toui qu'une seule fois en 13 ans (une fois selon les services de la Présidence du Sénat, deux fois selon M. Marcilhacy).
Dans ces conditions, la suppression de ce mode de vota- tion, qui résultera de la nouvelle rédaction que le Sénat se propose de donner aux articles 53 et 55 de son Règlement, équi- vaut en somme à mettre le droit en accord avec le fait. Elle ne pose à mon sens aucun problème d'ordre constitutionnel, car elle ne porte pas par elle-même atteinte au principe du caractère personnel du vote énoncé par l'article 27 de la Constitution, principe dont nous savons sans doute qu'il n'est guère respecté dans la pratique, mais de la violation duquel les règlements des Assemblées, par leurs textes, ne sauraient être rendus responsables.
B - La suppression du vote par division des votants sans pointage résultant du nouveau texte des articles 53 et 55 du Règlement entraîne nécessairement une modification de l'article 9, 2° alinéa : selon la rédaction actuelle de la dernière phrase de cet alinéa, le Sénat doit en effet, de plein droit, trancher au scrutin par division des votants sans pointage les conflits éventuels de compétence entre commissions permanentes quant à la désignation de candidats à des organismes extraparlementaires. En fait, jamais un tel conflit ne s'est produit ou, plus exacte- ment, lorsque des difficultés sont apparues en ce domaine, elles ont toujours été réglées à l'amiable entre présidents des commissions, sous l'autorité du Président du Sénat, sans qu'on ait dû avoir recours à une décision du Sénat iui-meme en séance plénière. Il n'est pas moins nécessaire que le règlement envisage cette hypothèse, et le Sénat a décidé qu'en ce cas il se pronon- cerait désormais au scrutin public. Je ne vois pas qu'on puisse élever contre cette solution la moindre objection d'ordre constitutionnel.
C - La troisième modification que le Sénat se propose d'apporter à son règlement en matière de votation présente deux aspects, dont le second pose un problème plus délicat.
Selon la rédaction actuelle des alinéas 3 et 4 de l'article 54 du Règlement 3. "Si les secrétaires sont en désac- cord (sur le sens d'un vote à main levée) l'épreuve est renou- velée par assis et levé. Si le désaccord persiste, il est procédé à un vote par division des votants sans pointage, sauf si le scrutin public est demandé par un sénateur ou décidé par le Président de séance - 4. Nul ne peut obtenir la parole entre les différentes épreuves de vote, sauf pour formuler la demande de scrutin public visée à l’alinéa précédent".
1°- Cette rédaction comporte d'abord un inconvénient : c'est d'envisager la seule hypothèse d'un désaccord entre secrétaires. Dans la réalité des choses, un tel désaccord ne se produit jamais, mais il arrive par contre fréquemment que les secrétaires soient d'accord entre eux pour estimer qu'il y a doute, parce que l'écart entre le nombre des mains levées "pour" et celui des mains levées "contre" est si faible que la moindre erreur de dénombrement pourrait avoir comme effet de faire pro- clamer un résultat contraire à la réalité.
Le Sénat se propose donc d’ajouter l'hypothèse du "doute" à celle du désaccord, et cela ne peut soulever aucune difficulté, l'hypothèse du "doute" étant d'ailleurs la seule qui soit formulée à l'article 65 du règlement de l'Assemblée nationale.
2°- La seconde modification que le Sénat se propose d'ap- porter aux articles 54 et 55 de son Règlement tend à empêcher que le scrutin public soit demandé après une première épreuve à main levée déclarée douteuse. A cet effet, la nouvelle rédac- tion de l'article 55 du Règlement (qui reprend en les modifiant les termes de l'ancien alinéa 4 de l'article 54, lequel dispa- rait) deviendrait la suivante : "nul ne peut obtenir la parole entre les différentes épreuves de vote".
Cette modification trouve son origine dans un incident qui s'est produit au cours de la séance du 31 mai dernier. Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, M. Roger FREY, Ministre d'Etat, a demandé un scrutin public sur un amendement qu'il combattait, et ce scrutin s'est traduit par le rejet de l'amendement. Par voie de rappel au règlement, un sénateur socialiste, M. DARRAS, a soutenu que le Ministre d'Etat n'aurait pas dû avoir la parole pour demander un scrutin après une premièr épreuve de vote, l'alinéa 4 de l'article 54 du Règlement dans la rédaction qu’il avait alors ne faisant d'exception à la règle selon laquelle nul ne peut obtenir la parole entre les différente épreuves de vote que dans l'hypothèse où, après une seconde épreuve de vote déclarée douteuse - l'épreuve par assis et levé - on demanderait le scrutin public au lieu du scrutin par division des votants sans pointage.
Le Président de séance, M. SOUFFLET, a donné de ce 4è alinéa une interprétation différente qui, je dois le dire, me paraît à la lettre peu conciliable avec la rédaction qu’avaient alors les alinéas 3 et 4 de l'article 54 du Règlement du Sénat ; mais il aurait pu indiquer qu'il existait nombre de précédents selon lesquels un membre du Gouvernement avait demandé le scrutin public après une épreuve à main levée déclarée douteuse, sans que cela eût provoqué de difficultés : car les membres du Gouvernement, conformément à l'article 31 de la Constitution, ont toujours eu la parole au Sénat aussitôt qu'ils la demandaient
C'est à la suite de cet incident que la Commission des Lois a décidé de proposer au Sénat de supprimer purement et simplement la formule qui avait donné lieu à ces interprétations divergentes, ce que le Sénat a fait, sans en discuter au fond, le 21 juin dernier.
Mais, ce faisant, et probablement sans s'en rendre compte, la commission des Lois et le Sénat ont posé un problème d'ordre constitutionnel. En effet, aux termes de l'article 31 de la Constitution, 1er alinéa, je viens de le rappeler, "les membres du Gouvernement ont accès aux deux Assemblées. Ils sont entendus quand ils le demandent".
Cette prescription de la Constitution n'est assortie d'aucune réserve et d'aucune exception, elle est donc d'ordre tout à fait général. Je ne pense pas, quant à moi, qu'elle soit conciliable avec une disposition du Règlement d'ure assemblée parlementaire qui interdirait, non seulement aux membres de cette assemblée, mais aussi aux membres du Gouvernement, d'avoir la parole à une phase donnée, quelle qu'elle soit, de la procédure parlementaire.
Je dois cependant vous indiquer que l'article 64, alinéa 4 du Règlement de l'Assemblée nationale, dont notre Conseil a reconnu la conformité à la Constitution, présente, à un mot près, la même rédaction que le nouvel article 55 du Règlement du Sénat : "Nul ne peut obtenir la parole entre les différentes épreuves du vote", et que notre Conseil n'a assorti d'aucune réserve la déclaration de conformité de cet article à la Constitution (décision du 20 novembre 1969).
Mais je ne pense pas pour ma part que nous devions nous considérer comme définitivement liés par cette décision, car les conditions dans lesquelles est intervenue la modifica- tion du Règlement du Sénat sur laquelle nous avons à nous pro- noncer aujourd'hui indiquent très nettement que, cette fois-ci, la nouvelle rédaction de l'article du Règlement dont il s'agit a pour but et pour seul but d'interdire aux membres du Gouver- nement, à un stade défini de la procédure parlementaire, d'être entendus quand ils le demandent - c’est-à-dire, bien que le Sénat ne s'en soit sans doute pas rendu compte, que cette modi- fication du règlement tend à faire obstacle à l'application de l'article 31, alinéa 1, de la Constitution.
Il m'apparaît en somme que si, en 1969, notre Conseil a déclaré conforme à la Constitution le 4è alinéa de l'article 64 du Règlement de l'Assemblée nationale, c'est parce que son attention ne s'est pas trouvée attirée, par les circonstances dans lesquelles cet alinéa avait été adopté, sur le problème qu'il posait au regard de l'article 31 de la Constitution.
Il faut ajouter d'ailleurs que, dans la même décision du 20 novembre 1969, notre Conseil, à propos d'un autre article du Règlement de l'Assemblée nationale, concernant l'organisation du débat sur une opposition formulée à la constitution d’une commission spéciale, a déclaré contraire aux dispositions de l'article 31, 1er alinéa, de la Constitution un texte précisant que seuls certains parlementaires dont il précisait la qualité pourraient prendre la parole dans le débat.
Je ne vous propose cependant pas d'aller si loin. A mon sens, il est possible de déclarer le nouvel article 55 du Règlement du Sénat conforme à la Constitution, mais à condi- tion d'assortir cette déclaration de conformité d'une réserve qui pourrait être la suivante : "sous réserve que cet article ne peut pas faire obstacle au droit d'être entendus quand ils le demandent que les membres du Gouvernement tiennent de l'article 31, alinéa 1er, de la Constitution".
A ce point du rapport un débat est ouvert sur les premières dispositions examinées.
M. COSTE-FLORET se déclare d'accord avec les conclusions de M. GOGUEL, ainsi que M. CHATENET qui rappelle qu'en 1969, dans sa décision sur le règlement de l'Assemblée nationale, le Conseil avait bien marqué que les dispositions de l'article 31 de la Constitution avaient une portée générale.
M. LUCHAIRE demande quelle peut être l'utilité de réserves émises par le Conseil dans une décision de conformité dès lors que le Président de séance qui peut avoir à faire application du règlement n'a pas les décisions du Conseil sous les yeux.
M. GOGUEL précise que dans le cas où le Conseil a assorti d'une réserve une déclaration de conformité de certaines dispositions du règlement, ladite réserve est portée en note dans le règle- ment.
M. GOGUEL reprend ensuite son rapport.
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il - Publicité donnée aux auditions de personnalités par les Commissions.
Le Sénat se propose de compléter l'article 16 de son Règlement par un alinéa ainsi conçu :
“Par décision de son Président, les travaux d'une commission peuvent faire l'objet d'une communication à la presse. Si l'ordre du jour comporte une audition, cette communication ne peut s'effectuer par voie de publication de tout ou partie du compte rendu de l'audition que sous réserve de l'accord des personnalités entendues".
Cet alinéa nouveau de l'article 16 du Règlement du Sénat a son homologue aux alinéas 2 et 3 de l'article 46 du Règlement de l'Assemblée nationale, adoptés par celle-ci le 23 octobre 1969 et dont le Conseil constitutionnel a déclaré la conformité à la Constitution par sa décision du 20 novembre 1969. En voici le texte :
*' 2.- A l'issue de chaque réunion de commission, un communiqué à la presse est publié rendant compte des travaux et des votes de la Commission.
3.- Sous réserve de l'accord des personnalités enten- dues, le bureau d'une commission peut décider la publication, soit au Journal officiel, soit par tout autre moyen approprié, de compte rendu de tout ou partie des auditions auxquelles elle a procédé."
Les différences entre ces deux textes portent d'abord sur le caractère obligatoire à l'Assemblée, facultatif, sur décision du Président de la Commission, au Sénat, de la publica- tion d'un communiqué à la presse. Ensuite sur l'intervention du bureau de la Commission, à l'Assemblée, quant à la décision de rendre publiques tout ou partie des auditions, alors qu'au Sénat la question relève du seul Président de la Commission. Enfin, sur le fait que le Règlement de l'Assemblée évoque la possibilité d'une insertion au Journal officiel, alors que celui du Sénat ne parle que de "publication" sans en préciser les modalités.
Il ne m'apparaît pas que les dispositions réglementaire adoptées par le Sénat posent de problème constitutionnel. Encore sera-t-il sans doute indispensable de rappeler dans notre décision que ces dispositions ne peuvent pas s'appliquer aux auditions auxquelles peuvent procéder les commissions de contrôle
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ou d'enquête prévues par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, commissions dont les travaux sont soumis par cet article 6 à une règle absolue de secret. Ce rappel me paraît nécessaire, parce que l’article 16 du Règlement du Sénat fait partie du Chapitre III de ce Règlement, consacré à la "Nomina- tion des Commissions" et aux "Travaux des Commissions", chapitre dans lequel l’article 11 est consacré aux Commissions d’enquête et de contrôle, et parce que la nouvelle rédaction de l’article 16 parle de "Commissions" sans préciser qu’il ne s'agit que des Commissions permanentes, des Commissions spéciales et des Commissions mixtes paritaires.
J’ajouterai une remarque : au terme de l'article 9 de l'ordonnance précitée du 17 novembre 1958, "Ne donneront lieu à aucune action... les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre" de l'une des deux Assemblées du Parlement. A suppose: qu'au cours d'une audition devant une Commission parlementaire, une personne entendue mette en cause un tiers de façon diffama- toire, et que cette audition soit rendue publique, le tiers diffamé n'aura donc aucun moyen d'attaquer en justice son diffamateur, qui, bien que non membre du Parlement, se trouvera protégé par le fait que ce sera le Président de la Commission qui aura décidé la publication du compte rendu de l'audition.
On peut se demander s’il n'y a pas dans une telle éventualité quelque chose de fâcheux. Mais sans doute peut-on faire confiance à la sagesse des Présidents des Commissions du Sénat, comme à celle des Bureaux des Commissions de l'Assemblée nationale, pour ne pas décider la publication des parties de compte rendus d'audition qui auraient un caractère diffamatoire..
Et de toute façon le problème que j'évoque là ne soulève pas de difficulté d'ordre constitutionnel.
¹¹¹ “ ^(La) procédure de discussion immédiate.
Le Règlement du Sénat, dans son article 30, disposait jusqu'à maintenant que la discussion immédiate d'une affaire non inscrite à l'ordre du jour ne pouvait être demandée par la Commission compétente ou par l'auteur d'un texte d'initiative sénatoriale qu’après la fin de l'examen en séance publique des projets ou propositions inscrits par priorité à l'ordre du jour.
Or, la demande de discussion immédiate ouvre un délai d’une heure avant l’expiration duquel le Sénat ne peut pas être appelé à se prononcer sur la demande dont il est saisi.
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D'où l'obligation d'une suspension de séance inter- venant après la fin de l'examen de l'ordre du jour prioritaire, et avant l'ouverture du débat sur la demande de discussion im- médiate .
La modification que le Sénat se propose d'apporter à son Règlement consiste à autoriser à tout moment la formula- tion de la demande de discussion immédiate, étant explicitement précisé au nouvel alinéa 5 de l'article 30 qu'"il ne peut être statué sur la demande de discussion immédiate qu'après la fin de l'examen en séance publique des projets ou propositions inscrits par priorité à l'ordre du jour".
Autrement dit, le délai d'une heure pourra courir pendant la discussion de l'ordre du jour prioritaire. Cet ordre du jour, une fois épuisé, et si le délai est expiré, le Sénat pourra se prononcer sans désemparer sur la demande dont il aura été saisi.
Le respect de l'ordre du jour prioritaire étant parfaitement assuré, cette modification du Règlement ne soulève à mon sens aucune difficulté d'ordre constitutionnel.
IV - Les questions orales avec débat.
La dernière des modifications que le Sénat se propose d'apporter à son Règlement consiste :
1°- à permettre à l'auteur d'une question orale avec débat, s'il est empêché de développer lui-même sa question, de désigner n'importe lequel de ses collègues pour le suppléer, alors que le texte actuel de l'alinéa 2 de l’article 82 du Règlement le contraint à se faire suppléer par un membre de son groupe.
2°- à enlever au Président du groupe auquel appartient l'auteur de la question la faculté de désigner lui-même un membre de ce groupe pour le suppléer.
Cette modification du Règlement du Sénat va en sens directement contraire de celles dont nous avions eu à connaître précédemment à propos des sénateurs non inscrits et qui, en raison du caractère d'assemblée politique qui est celui du Sénat, tendaient à valoriser le rôle des groupes. Le rapporteur, M. Marcilhacy, la justifie par le caractère local que présentent souvent les problèmes qui font l'objet de questions orales avec débat, et par l'utilité qu'il peut y avoir à ce que le suppléant de l'auteur de la question soit, en raison de sa spécialisation ou compte tenu du département qu'il représente, particulièrement compétent pour intervenir au nom d'un collègue empêché.
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Je ne suis pas certain qu'il y ait lieu de se félicitei de voir ainsi consacré par le Règlement du Sénat l'aspect pure- ment local de certains des débats de la Haute Assemblée, mais il s'agit là d'un problème de pure opportunité, dont je ne pense pas que nous ayons à connaître et non pas d'un problème d'ordre constitutionnel. Je crois donc que le nouveau texte de l'article 82 du Règlement du Sénat est conforme à la Constitution.
Conclusion
Je vous propose donc de déclarer conformes à la Constitution les articles 9, 2è alinéa, 16, 7è alinéa, 30, alinéas 1 à 5, 53, 54, alinéa 3, 55 et 82, alinéa 2 du Règlement du Sénat dans la rédaction résultant de la résolution adoptée par le Sénat le 21 juin 1972, sous réserve, en ce qui concerne l'article 16, 7è alinéa, que celui-ci ne peut pas s’appliquer aux commissions d'enquête ou de contrôle prévues par l'article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 sur le fonc- tionnement des assemblées parlementaires et, en ce qui concerne l'article 55, que celui-ci ne peut pas faire obstacle au droit d'être entendus quand ils le demandent que les membres du Gouvernement tiennent de l'article 31, alinéa 1er de la Constitution".
Le Conseil ayant approuvé les conclusions du rapport,
M. GOGUEL donne lecture du projet de décision ci-après :
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Saisi le 22 juin 1972 par le Président du Sénat, conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution, d'une résolution tendant à modifier certains articles du Règlement du Sénat ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 31, premier alinéa et 61 ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et notamment ses articles 17, alinéa 2, 19 et 20 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et notamment son article 6 ;
Oui le rapporteur en son rapport ;
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Considérant que les dispositions des articles 9,
30, 53, 54 et 82 du Règlement du Sénat, dans la rédaction qui leur a été donnée par la résolution susmentionnée en date du 21 juin 1972, ne sont contraires à aucune disposition de la Constitution ;
Considérant que les dispositions des articles 16 et
55 du Règlement du Sénat, telles que modifiées par ladite résolution du 21 juin 1972, doivent également être regardées comme conformes à la Constitution, pour autant toutefois que les dispositions susvisées de l'article 16 ne puissent etre interprétées comme s'appliquant aux commissions d’enquête et aux commissions de contrôle prévues à l'article 6 de l’ordonnance susvisée du 17 novembre 1958 et sous réserve que les dispositions de l’article 55 ne fassent pas obstacle à l'application des dispositions de l'article 31, premier alinéa, de la Constitution aux termes desquelles les membres du gouvernement sont entendus par les assemblées quand ils le demandent ;
DECIDE :
Article premier - Sont déclarées conformes à la Constitution, sous la réserve indiquée dans les motifs de la présente décision, les dispositions du Règlement du Sénat soumises à l'examen du Conseil constitutionnel telles qu'elles résultent de la résolu- tion en date du 21 juin 1972.
Article 2 - La présente décision sera notifiée au Président du Sénat et publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 juin 1972.
M. LUCHAIRE demande que Le deuxième considérant rëlatif aux articles 16 et 55 du règlement du Sénat soit scindé en deux considérants, chacun d'eux étant consacré à l'un des articles en cause afin de faciliter l'insertion dans le règlement des réserves émises par le Conseil.
Il en est ainsi décidé et le projet modifié est adopté.
M. LUCHAIRE fait connaître au Conseil qu'au cours d'un voyage en Roumanie il eut la surprise d'apprendre qu’une conférence des cours constitutionnelles européennes devait avoir lieu et que le Conseil constitutionnel français n'y serait pas représenté.
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M. le Président PALEWSKI rappelle au préalable que jusqu'à présent les rapports avec les cours étrangères étaient de la seule compétence du Président du Conseil constitutionnel.
A ce titre, M. le Président a donc eu à connaître de l'initiative prise par le Président de la cour constitutionnelle yougoslave en accord avec les Présidents des cours italienne et allemande de convoquer pour une conférence les autres prési- dents des institutions analogues.
M. PALEWSKI a estimé que dans la procédure adoptée il n'avait pas été montré suffisamment de déférence à l'égard du Conseil constitutionnel français et, en accord avec le ministère des affaires étrangères, il a donc marqué une certaine distance dans la réponse.
Par la suite, un nouvel échange de correspondance a eu lieu et M. le Président PALEWSKI a accepté d'envoyer des obser- vateurs à la première réunion qui doit se tenir.
M. LUCHAIRE fait observer que certains membres du Conseil risquent d'être invités à titre personnel.
M. le Président PALEWSKI pense que dans ce cas il les désignera comme observateurs du Conseil mais qu'il lui appartient de veiller au prestige du Conseil constitutionnel.
M. LUCHAIRE regrette de n’avoir pas été informé plus tôt de 1'échange de correspondance et tout en comprenant que les pro- blèmes d'ordre diplomatique soient de la compétence du Président du Conseil constitutionnel, il pense que d'une façon générale il n'est pas mauvais que le Conseil soit représenté dans les conférences dont il s'agit en raison de l'autorité qui s'attache au droit français.
M. le Président PALEWSKI rappelle qu'il a marqué une nuance d'étonnement à l'égard de la procédure adoptée pour l'organisa- tion mais que de toutes façons des observateurs seront envoyés à la première conférence et que ce n’est là qu'un premier pas.
La séance est levée à 12 h.15.
Les originaux des décisions seront annexés au présent compte rendu.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.