SEANCE DU MERCREDI 8 NOVEMBRE 1972
COMPTE-RENDU
La séance est ouverte à 9 h 45 en présence de tous les membres du Conseil.
M. le Président PALEWSKI rappelle que l'ordre du jour porte sur l'examen, en application de l'article 37, alinéa 2 de la Constitution, de la nature juridique des dispositions du paragraphe II de l'article L. 544 du code de la sécurité sociale telles qu'elles résultent de l'article 3 de l'ordonnance n° 67-70 du 21 août 1967, ratifiée par la loi n° 68-698 du 31 juillet 1968.
M. CHATENET, rapporteur, déclare que le Conseil constitutionnel a été saisi par la voie habituelle de la procédure prévue à l'article 37, du point de savoir si les dispositions de l'article L. 544, paragraphe 2, du code de la sécurité sociale qui résultent d'une ordonnance du 21 août 1967, ratifiée par une loi du 31 juillet 1968, ont un caractère législatif ou réglementaire, le secrétariat général du Gouvernement ayant produit à l'appui de la lettre de saisine une note qui développe la thèse réglementaire.
Avant d’aborder l'étude de cette question, M. CHATENET, tient à faire une remarque d'ordre général qui pourrait à l'occasion provoquer une démarche du Conseil auprès du Gouvernement, sous forme d'une lettre par exemple.
Le Conseil a, en effet, à apprécier la nature juridique d'une disposition d'une ordonnance de l'article 38 de la Constitution, ces ordonnances devant en vertu dudit article être prises pour "des mesures qui sont normalement du domaine de la loi."
Mais il faut constater que ces textes créent souvent une certaine confusion car les rédacteurs des dites ordonnances, que l'on a parfois appelé de "la législation de chef de bureau", n'ont pas à l'esprit la distinction prévue par les articles 34 et 37. Ainsi le Gouvernement est-il à l'origine d’une confusion entre les domaines législatif et réglementaire dont il demande ensuite au Conseil constitutionnel de le tirer.
M. LUCHAIRE précise que lorsque le rédacteur d'un texte a un doute sur la nature d'une disposition il préfère mettre celle-ci dans une ordonnance pour éviter une éventuelle annulation postérieure. De plus, c'est au Conseil d'Etat qu'il appartient, lors de l'examen du projet d'ordonnance, de faire la distinction entre les matières réglementaires et législatives. Il faudrait donc éviter qu'une mise au point du Conseil constitutionnel n'apparaisse comme un blâme à l'égard du Conseil d'Etat.
M. CHATENET fait observer que le Conseil d'Etat examine souvent les projets d'ordonnances par trains entiers et confirme que le Conseil constitutionnel devrait présenter ses observations éventuelles avec précaution pour ne pas heurter le Conseil d'Etat.
M. le Président PALEWSKI rappelle que depuis bien longtemps les décrets-loi et les ordonnances ont permis aux administrations de vider leurs fonds de tiroirs et admet qu'à l'occasion d'une sortie d'ordonnance, le Conseil constitutionnel pourrait en effet appeler l'attention du Gouvernement sur la nécessité de mettre les choses à leur juste place.
M. CHATENET aborde ensuite l'examen au fond de la nature juridique du texte soumis au Conseil. Cette saisine est limitée au seul paragraphe II de l'article L. 544 du code de la sécurité sociale ainsi conçu :
"Le montant des prestations familiales est affecté d'abattements selon des zones territoriales définies par décret."
Dans ces conditions il s'agit donc de savoir si les abattements de zone en matière de prestations familiales peuvent être supprimés par décfet.
Selon cette jurisprudence les principes fondamentaux se rattachent à deux catégories de domaines :
- La détermination des prestations (n° 60-4L du 7 avril 1960 ; 60-6 L du 8 juillet 1960 ; 61-11 L du 20 janvier 1961 ; 61-17 L du 22 décembre 1961 ; 65-34 L du 2 juillet 1965 ; 70-66 L du 17 décembre 1970 ;)
- La détermination des catégories de bénéficiaires (60-4 L du 7 avril 1960 ; 61-11 L du 20 janvier 1961 ; 63-26 L du 30 juillet 1963 ; 64-29 L du 12 mai 1964 ; 65-34 L du 2 juillet 1965 ;)
Il faut observer que le Conseil d'Etat a adopté sur les deux points la même jurisprudence.
En contre-partie de ces différentes décisions définissant ce qui appartient aux principes fondamentaux de la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel a été amené à préciser un certain nombre de points qui en sont écartés et notamment tout ce qui concerne le montant et le taux des prestations (n° 61-11 L du 20 janvier 1961 ; n° 61-17 L du 22 décembre 1961 ; n° 65-34 L du 2 juillet 1965). Dans cette dernière décision il a même été précisé "que la circonstance que le taux de la cotisation exigée ... est nul ne constitue pas une dénaturation des conditions exigées, dans la mesure où, corrélativement, les intéressés n'ont pas droit aux prestations ;"
La ligne de distinction entre les domaines législatif et réglementaire, en matière de sécurité sociale, apparait donc clairement : d'une part, le régime, d'autre part, les modalités de calcul des prestations.
Le texte soumis au Conseil montre dans ses termew mêmes qu'il ne traite que du montant des prestations.
Il appartient donc à un domaine que le Conseil constitutionnel a classé comme réglementaire.
- Les zones d'abattement ont été modifiées par un décret du 24 mai 1969 et c' est également un décret du 21 mai 1968 qui a supprimé les zones pour le S.M.I.G., ce qui montre que ce problème se situe au niveau réglementaire ;
- Il convient dans la décision de se limiter à dire ce qui est nécessaire et rien d'autre afin d'éviter les interprétations abusives et c'est pourquoi le projet de décision est extrêmement prudent.
M. LUCHAIRE a quand même un léger doute sur la nature des dispositions soumises au Conseil.
L'article L. 544 se compose de deux paragraphes.
Le premier qui définit des conditions : nombre d'enfants à charge, âge, revenus, est certainement du domaine législatif mais s'il se continuait par les mots : "lieu de leur résidence..." ces mots, qui remplaceraient le paragraphe II seraient considérés comme posant également une condition et, par conséquent, comme étant de nature législative.
De plus, il faut noter que la mesure de suppression des abattements de zone que le Gouvernement veut prendre serait également adoptée sans délai par le Parlement.
M. CHATENET convient qu'il a eu le même doute que M. LUCHAIRE mais que la présentation même du texte le lui a enlevé car précisément les variations du taux des prestations ont été séparées du reste du texte.
Le rédacteur a donc pris le soin de séparer des problèmes qui ne sont pas du même niveau.
Le Conseil se déclare d'accord avec les conclusions du rapporteur.
M. CHATENET donne alors lecture du projet de décision qui est adopté sans modification.
L'original de la décision sera annexé au présent compte-rendu.
A la demande de M. le Président, M. LUCHAIRE présente quelques observations sur la conférence des cours constitutionnelles européennes à laquelle il a assisté à Dubrovnik du 17 au 20 octobre en qualité de représentant du Conseil constitutionnel, à titre d'observateur, avec M. le Secrétaire général.
M. LUCHAIRE a eu l'impression à certaines moments que la conférence tendait à se constituer en groupe de pression des juridictions constitutionnelles pour accentuer le contrôle des parlements, ce qui n'était évidemment pas son rôle.
Cette attitude était due surtout à l'influence des yougoslaves qui ont des difficultés avec les assemblées locales et qui tenaient à démontrer la supériorité du communisme yougoslave.
En ce qui concerne l'avenir, la prochaine conférence aura lieu à Karlsruhe. La Cour constitutionnelle autrichienne étant plus ancienne, le choix de Vienne eut sans doute été préférable. De telles réunions sont utiles si elles portent sur des problèmes techniques précis, de procédure par exemple, en évitant les tendances qui se sont manifestées à Dubrovnik. C'est ce qu'il faudrait dire éventuellement au groupe des organisateurs si ceux-ci reprenaient contact avec le Conseil constitutionnel.
M. le Président PALEWSKI pense que pour le moment il faut se limiter au rôle d'observateur.
La séance est levée à 10 h 30.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.