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PV1973-02-20

Flavy BAUMONT

SEANCE DU MARDI 20 FEVRIER 1973

COMPTE-RENDU

La séance est ouverte à 10 heures en présence de tous les membres du Conseil à l'exception de MM. REY et SAINTENY excusés.

M. le Président PALEWSKI rappelle que l'ordre du jour porte sur l'examen en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution de la nature juridique de diverses dispositions de forme législative relatives à l'urbanisme.

M. COSTE-FLORET, rapporteur, mentionne qu'en exergue à une édition de luxe du code de l'urbanisme et de l'habitation figurait la phrase de Paul VALERY "les civilisations sont mortelles". L'affaire dont est saisi aujourd'hui le Conseil constitutionnel montre que les codifications le sont aussi.

En effet, si le Conseil est saisi aujourd'hui d'un certain nombre de dispositions c'est parce que le Gouvernement a décidé de substituer à l'actuel code de l'urbanisme et de l'habitation, d'une part, un code de l'urbanisme et, d'autre part, un code de la construction et de l'habitation. Ces codes comprendront évidemment une partie législative et une partie réglementaire et c'est pourquoi avant de fixer cette codification, le Gouvernement a saisi le Conseil de trente textes qu'il souhaiterait voir classés dans la partie réglementaire des codes dont il s'agit.

Ces textes se répartissent ainsi :

- neuf articles du code de l'urbanisme et de l'habitation ;

- deux articles du décret n° 58.1465 du 31 décembre 1958 relatif à la rénovation urbaine, modifié;

- deux articles de la loi n° 60.790 du 2 août,1960, modifiée tendant à limiter l’extension des locaux à usage de bureaux et à usage industriel dans la région parisienne ;

- un article de la loi de finances pour 1961 n° 60.1384 du 23 décembre 1960 ; 

- trois articles de la loi n° 62.848 du 26 juillet 1962 relative au droit de préemption dans les zones à urbaniser en priorité et dans les zones d’aménagement différé, à la juridiction d’expropriation et au mode de calcul des indemnités d’expropriation ;

- trois articles de la loi n° 62.903 du 4 août 1962, complétant la législation sur la protection du patrimoine historique et esthétique de la France et tendant à faciliter la restauration immobilière ;

- quatre articles de la loi n° 64.1247 du 16 décembre 1964, instituant le bail à construction et relative aux opérations d'urbanisation ;

- un article de la loi n° 65.503 du 29 juin 1965 relative à certains déclassements, classements et transferts de propriété de dépendances domaniales et de voies privées ;

- quatre articles de la loi d'orientation foncière n° 67.1253 du 30 décembre 1967 ;

- un article de la loi n° 69.1263 du 31 décembre 1969 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.

Le rapporteur précise qu'il a été joint à la lettre de saisine, une note émanant du secrétariat général du Gouvernement qui tend à démontrer que toutes les dispositions soumises au Conseil sont de nature réglementaire. S'il n'est pas possible de suivre cette note dans toutes ses conclusions il est au moins utile de conserver la classification des textes en cinq catégories qu'elle a adoptée.

Textes de la première catégorie.

Ce sont ceux dont l'objet est de déterminer à l'intérieur de l'administration de l'Etat l’autorité ou le fonctionnaire habilité à exercer les attributions définies par ces textes. Il existe, à cet égard, une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel qui apparait notamment dans la décision n° 70.65L du 17 décembre 1970 (recueil page 45 dont un considérant est ainsi rédigé :

"Considérant qu'envisagées dans le cadre ainsi limité de la saisine du Conseil, ces dispositions tendent uniquement à désigner l'autorité qui doit exercer au nom de l'Etat les attributions relevant de la compétence qui, en vertu de cette loi, appartient au pouvoir exécutif pour fixer les limites respectives du domaine privé de l'Etat et du domaine public maritime ainsi qu'à déterminer les modalités propres à assurer à ces mesures la publicité voulue par le législateur ; qu'ainsi elles ne mettent pas en cause les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales, non plus qu'aucun des autres principes fondamentaux ni aucune des règles que l'article 34 de la Constitution a placés dans le domaine de la loi ; que, par suite, ces dispositions ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire ;"

Il n'y a donc pas de difficulté pour ces textes de la première catégorie qui sont de nature réglementaire à l'exception de quatre d'entre eux : trois qui ressortissent au droit pénal et un qui concerne la modification d'un lotissement. Les dispositions qui se rapportent au droit pénal sont celles des articles 102, 104 et 104.1 du code de l'urbanisme et de l'habitation.

L'objet de ces articles est d'habiliter les autorités ou fonctionnaires qu'ils désignent à intervenir dans les procédures destinées à réprimer les infractions à la législation sur le permis de construire et, plus précisémment, à demander au ministère public de saisir l'autorité judiciaire et à présenter sur les affaires soumise à cette autorité des observations écrites ou orales.

En vertu de l'article 34 de la Constitution, la procédure pénale relève du domaine législatif mais tous les textes de procédure pénale ne sont pas pris pour autant sous forme de loi. Cela tient à ce que l'expression procédure pénale a un sens un peu vague. Pour les trois articles susvisés on peut adopter le raisonnement suivie dans la note du Secrétariat général du Gouvernement et soutenir que ces articles ne prévoient pas l'intervention d'autorités administratives dans un procès pénal. En effet, les seuls pouvoirs qui sont donnés par les textes en examen aux autorités qu'ils désignent, préfet ou représentant départemental du Ministre de la construction, consistent à alerter le ministère public et à éclairer le juge par des observations de la même manière que peuvent le faire, à titre de témoins, de simples citoyens, mais le ministère public reste toujours le seul maître de la mise en oeuvre de l'action publique.

En fait, l'intervention des autorités administratives ne se situe donc pas dans le cours d'une procédure pénale proprement dite et, par conséquent, les textes qui prévoient cette intervention sont de nature réglementaire.

 L’autre texte de la première catégorie qui fait difficulté est l’article 39 de la loi du 30 décembre 1967. L'alinéa 2 de cet article indique, en effet, que lorsqu'un préfet veut modifier les documents relatifs à un lotissement, pour les mettre en concordance avec un plan d'urbanisme ou d'occupation des sols intervenu postérieurement à l'autorisation de lotissement, cette modification doit résulter d'un arrêté du préfet "pris après enquête publique, avis de la commission départementale d’urbanisme et délibération du conseil municipal". Si la désignation des autorités administratives ainsi que le principe de l'avis de la commission départementale d'urbanisme relèvent du pouvoir réglementaire, l'obligation de demander une délibération au conseil municipal et de procéder à une enquête ressortit au domaine législatif. C'est ce qui a été précisé dans les deux considérants du projet de décision ainsi rédigés :

"Considérant que ces dispositions sont de nature réglementaire dans la mesure où elles désignent l'autorité administrative habilitée à exercer les attributions qu'elles définissent et où elles précisent que cette autorité devra avoir recueilli l'avis de la commission départementale d'urbanisme avant de prendre l'acte modificatif dont il s'agit ;

Considérant, toutefois, qu'en prévoyant une enquête publique et une délibération du conseil municipal préalables audit acte, les dispositions susvisées touchent aux principes fondamentaux du régime de la propriété et de la libre administration des collectivités locales ; que, dès lors, et dans cette mesure, lesdites dispositions ressortissent à la compétence du législateur ;"

Textes de la deuxième catégorie.

Dans cette deuxième catégorie, assez proche de la précédente, sont regroupées les dispositions qui répartissent entre des actes administratifs de degrés différents, des décisions qu'il appartient à l'Etat de prendre en tout état de cause.

Cette catégorie comprend sept textes. Deux groupes de textes soulèvent des difficultés. Le premier groupe est constitué par les textes qui prévoient que diverses mesures devront être prises par décret en Conseil d'Etat en cas d'absence d'accord des collectivités locales intéressées ou d'opposition de propriétaires concernés par  ces mesures. Le problème de savoir si le principe de l’intervention d'un décret en Conseil d'Etat est de nature réglementaire ou législative est déjà venu deux fois en discussion devant le Conseil constitutionnel au cours des séances des 13 novembre 1970 et 27 février 1969. On peut relever dans le compte-rendu de cette dernière séance portant sur l'examen de certaines dispositions de l'article 19 du code de l'administration communale que M. WALINE, rapporteur, avait indiqué : "il est à remarquer, par exemple, que si le texte soumis au Conseil avait précisé que la nomination des dits membres (il s'agit des membres d'une délégation spéciale) devait intervenir par décret en Conseil d'Etat, il n'aurait pu être modifié que par une loi mais ici il ne s'agit que d'un décret simple". On relève, dans le même compte-rendu, les observations suivantes relatives à la question dont il s'agit :

"M. le Président PALEWSKI pense qu’il serait dangereux, pour répondre au souci exprimé par M. WALINE, de poser, en règle générale, qu'un texte prévoyant que des attributions doivent être exercées par voie de décret en Conseil d'Etat, ne peut être modifié que par la loi.

M. LUCHAIRE répond à cette observation que le projet de M. WALINE, en ce qu’il indique simplement qu'un texte donnant compétence au Gouvernement pour exercer certaines attributions par décret simple est de nature réglementaire, ne préjuge pas de la question des attributions exercées par décret en Conseil d'Etat et que cette question reste donc entière".

Une attitude analogue avait été adoptée par le Conseil lors de sa séance du 13 novembre 1970 où il devait examiner des textes relatifs à la taxe locale d'équipement. Le rapporteur, qui partage l'opinion exprimée en 1969 par M. le Président, pense, qu'aujourd'hui, sans poser de règle générale quant à la nature des textes prévoyant que des attributions doivent être exercées par voie de décret en Conseil d'Etat, le Conseil doit dire que, dans le cas de l'espèce qui lui est soumise, cette forme de décret est une garantie dans la mesure où elle est imposée en cas d'absence d'accord des collectivités locales.

Un autre groupe de dispositions appartenant à la 2ème catégorie, précise que divers textes relevant de l'autorité administrative ne pourront être pris qu'après accord des collectivités locales. Il s’agit encore du respect des principes fondamentaux de la libre administration de ces collectivités et, par conséquent, ces dispositions doivent être également rangées dans le domaine législatif.

  Textes de la troisième catégorie.

Il s'agit de deux textes qui se bornent à déterminer les ministres qui seront co-signataires d'un décret. Ces dispositions sont évidemment de nature réglementaire.

Textes de la quatrième catégorie.

Dans cette catégorie, on a regroupé des dispositions législatives se référant à des textes réglementaires. Du strict point de vue des articles 34 et 37 de la Constitution, il ne peut être possible de considérer que la disposition d'une loi qui fait référence à un déoet est toujours, par nature, elle-même réglementaire. Si l'on prend, par exemple le cas d'une loi qui, pour définir une infraction passible de sanctions correctionnelles se réfère aux dispositions d'un décret antérieur ayant interdit ou réglementé une activité déterminée, on ne peut considérer que l'emprunt ainsi fait à une disposition réglementaire n'est pas de caractère législatif dès lors que la détermination de l'ensemble des éléments constitutifs d'un délit relève de la loi aux termes de l'article 34 de la Constitution.

La note du secrétariat général du Gouvernement reconnaît ce point de vue, mais considère néanmoins que tous les textes qu'elle classe dans la quatrième catégorie sont de nature réglementaire. Or, il ne semble pas que le Conseil constitutionnel puisse suivre cet avis au moins pour deux textes qui font référence aux dispositions du décet n° 59.768 du 26 juin 1959 concernant les périmètres dits "périmètres sensibles". En effet, cette référence, constitue un des éléments essentiels et indissociables de la définition de ces périmètres à l'intérieur desquels sont portées des restrictions certaines au libre exercice du droit de propriété. C'est pourquoi il est proposé dans le projet de décision les deux considérants suivants :

"Considérant que la définition de la catégorie juridique des dits "périmètres sensibles" a pour effet d'apporter certaines restrictions au libre exercice du droit de propriété à l'intérieur de ces périmètres ; qu'ainsi cette définition touche aux principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels ;

Considérant que les dispositions susvisées soumise au Conseil constitutionnel constituent des éléments indissociables de la définition des périmètres sensibles ; que, par suite, ces dispositions ont le caractère législatif ;"

 Textes de la cinquième catégorie.

Dans cette dernière catégorie ont été incluses des dispositions de procédure civile ou administrative. Elles sont de nature réglementaire sauf pour l'une de ces dispositions contenue à l'article 27, alinéa 2, de la loi du 30 décembre 1967 et qui précise que le délaissement des biens des absents est valablement opéré par les envoyés en possession provisoire, après autorisation du tribunal de grande instance "donnée sur simple requête en la chambre du conseil, le ministère public entendu".

L'audition du ministère public qui représente les absents est une garantie essentielle pour eux et relève, par conséquent, du domaine législatif ;

Il est donc proposé au Conseil d'adopter le considérant suivant : .

"Considérant, toutefois, que le principe de l'audition du ministère public, spécialement chargé de veiller aux intérêts des personnes présumées absentes, constitue pour celles-ci une garantie essentielle et doit être, dès lors, considéré comme touchant aux principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels ; que, parsuite, les dispositions de l'article 27, alinéa 2, relatives à l'audition du ministère public sont de nature législative ;"

Le rapporteur, avant de passer à l'examen texte par texte, propose que s'ouvre une discussion générale sur les principes qu'il a dégagés.

M. le Président PALEWSKI donne son accord à cette procédure et rappelle que l'affaire extrêmement complexe, dont M. COSTE-FLORET a accepté le rapport, pose des questions délicates car la liberté est parfois plus du côté du pouvoir réglementaire que de celui des collectivités locales, mais la question n'est pas là.

M. CHATENET se déclare d'accord avec les principes dégagés par le rapporteur et il pense qu'il est bon de trouver ainsi de grands principes qui servent de guide pour l'examen des textes dans le détail. Il exprime donc son accord avec le rapporteur sous réserve de l'examen texte par texte.

 M. DUBOIS se déclare également d'accord avec le rapporteur notamment pour les dispositions qui concernent la procédure pénale car elles laissent au ministère public son plein pouvoir d'appréciation quant à l'opportunité des poursuites.

M. LUCHAIRE manifeste également son accord sur l'ensemble et estime que le Conseil peut passer immédiatement à l'examen du projet de décision.

Il en est ainsi décidé.

M. COSTE-FLORET donne lecture du projet de décision.

A la fin du troisième considérant, sur proposition de M. GOGUEL, sont ajoutés les mots "établissements publics".

Au 5ème considérant, à la demande de M. LUCHAIRE, il est décidé d'ajouter les mots "sauf à ne pas dénaturée celles-ci".

En ce qui concerne le quatorzième considérant, M. LUCHAIRE, sans souhaiter que le projet de décision soit modifié sur ce point, se déclare cependant gêné par l'affirmation de portée générale du principe selon lequel la répartition des attributions entre les membres du Gouvernement relève du pouvoir réglementaire car certaines attributions du Premier Ministre sont fixées par la Constitution. Il est vrai que ces dispositions constitutionnelles ne sont pas toujours strictement respectées. C'est là tout le problème de la Défense nationale, par exemple.

M. LUCHAIRE se demande si, dans les titres des motifs de la décision où sont cités des articles du code de l'urbanisme et de l'habitation, il ne conviendrait pas de préciser également de quelles dispositions législatives résultent ces articles.

M. GOGUEL estime que cette mention serait inutile dès lors que les lois dont il s'agit sont mentionnées dans les visas et qu'elles pourraient l'être également dans le premier article du dispositif.

M. LUCHAIRE accepte cette solution.

Le projet de décision ainsi amendé est adopté.

La séance est levée à 11 h.

L'original de la décision sera annexé au présent compte-rendu.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.