SEANCE DU MERCREDI 11 JUILLET 1973
COMPTE-RENDU
La séance est ouverte à 10 h 15 en présence de tous les membres du Conseil.
M. le Président PALEWSKI rappelle que la première affaire inscrite à l'ordre du jour porte sur l'examen, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique des dispositions de l'article 3, alinéa 2, de la loi du 7 juillet 1971 relative à l'enseignement de la biologie et au statut des laboratoires hospitaliers de biologie, en tant que cet alinéa précise la composition de la commission nationale qu'il institue et dont il définit la mission.
M. DUBOIS présente le rapport suivant :
"L'ordonnance du 30 décembre 1958 relative à la création de centres hospitaliers et universitaires, à la réforme de l'enseignement médical et au développement de la recherche médicale a eu pour but d'associer l'enseignement médical à la pratique médicale hospitalière et à la recherche médicale.
Par un système de conventions entre établissements universitaires et centres hospitaliers on aboutit aux centres hospitaliers et universitaires où le personnel médical et scientifique exerce à plein temps des fonctions universitaires et hospitalières et où les étudiants participent à l'activité hospitalière.
Mais ce texte, comme son titre l'a indiqué, ne concernait que l'enseignement médical.
La participation des professeurs de pharmacie et des étudiants en pharmacie à l'activité des C.H.U. et de leurs laboratoires de biologie était laissée de côté. Il s'en suivit que les étudiants en pharmacie ne pouvaient effectuer de stage dans les laboratoires de biologie des C.H.U. et que la direction des laboratoires de biologie était réservée au personnel médical des C.H.U., alors que la plupart de ces laboratoires étaient dirigés par des biologistes-pharmaciens et que la relève par des médecins biologistes ne pouvait être assurée.
Mais le premier décret a été annulé pour excès de pouvoir par arrêt du Conseil d'Etat du 14 mai 1971 au motif que seule une loi aurait pu instituer la nouvelle organisation prévue par ledit décret qui portait atteinte à l'autonomie des établissements publics locaux que sont les centres hospitaliers régionaux et le second décret a été annulé par voie de conséquence de l'annulation du premier, de telle sorte que le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé sur la nature juridique de la matière qui le concernait.
Ces annulations appelaient une intervention du législateur et c'est ainsi qu'intervint la loi du 7 juillet 1971 relative à l'enseignement de la biologie et au statut des laboratoires hospitaliers de biologie, avec effet à compter du 31 janvier 1969, date de l'arrêt du Conseil d'Etat. Cette loi reprend la substance des décrets annulés.
Son article 3 est ainsi conçu :
Lorsque la commission prévue en application de l'article 4 de l'ordonnance du 30 décembre 1958 se réunit pour régler des difficultés nées à l'occasion de la mise en oeuvre des dispositions relatives à l’enseignement de la biologie dispensé aux étudiants en pharmacie dans les laboratoires du centre hospitalier régional faisant partie du centre hospitalier et universitaire, ou à l'occasion de l'élaboration de la liste des laboratoires de biologie du centre hospitalier régional susceptibles d'être placés totalement ou partiellement en dehors du centre hospitalier et universitaire en application de l'article 2 de la présente loi, le directeur de l'unité d'enseignement et de recherche de sciences pharmaceutiques ou, dans le cas d'unités d'enseignement et de recherches mixtes, médicales et pharmaceutiques, soit le directeur, soit, lorsque celui-ci n'est pas pharmacien, l'enseignant responsable de la section de pharmacie, est entendu par ladite commission.
Un texte d’application était donc nécessaire pour régler la composition et l'organisation de cette commission nationale préparée par le Gouvernement. Il fut soumis à la section sociale du Conseil d'Etat qui considéra notamment que ses dispositions restreignaient la portée de l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi de 1971.
S'en tenant à la lettre de la loi qui se borne à prévoir que la commission nationale comprendra en nombre égal des biologistes médecins et des biologistes pharmaciens, le Conseil d'Etat a estimé qu'il n'était pas possible, par décret, de limiter l'accès à la commission des seuls biologistes hospitaliers exerçant des fonctions d'enseignement ni d'en exclure les biologistes pharmaciens qui, étant à la fois pharmaciens et médecins, dispensent des enseignements aux étudiants en médecine dans les unités d'enseignement et de recherche médicales.
D'autres objections, semble-t-il, ont dû être faites au projet de décret sans que nous puissions les connaître, aucune prise de position officielle de la section sociale n'étant intervenue pour la raison que les commissaires du Gouvernement ont alors retiré leur projet de décret.
Pour sortir de l'impasse où il paraissait se trouver, le Gouvernement a pensé alors modifier l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi de 1971, modification qu'il envisage de faire par décret si le Conseil constitutionnel estime que la matière relève du règlement."
Le rapporteur rappelle alors quelles sont exactement les dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel en précisant que le principe de l’avis donné par la commission n'est pas en cause bien que le mot "avis" soit souligné dans les
M. DUBOIS estime que la composition de la commission dont il s'agit est du domaine réglementaire dans la mesure où elle ne touche ni aux règles de création d'une catégorie d'établissements publics, ni aux principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, ni à ceux de l'enseignement.
Néanmoins le rapporteur a eu un scrupule et a préféré présenter au Conseil deux projets de décision, l'un tendant à déclarer que l'ensemble des dispositions soumises au Conseil sont de caractère purement règlementaire, l'autre tendant à réserver le principe de la composition paritaire de la commission ainsi qu'il avait été fait dans une décision n° 69-58 L du 24 octobre 1969 (Rec. p. 34) .
M. COSTE-FLORET se déclare favorable à ce second projet.
M. le Président PALEWSKI fait observer que la décision de 1969 concernait les droits de la propriété et qu'il fallait dans ce domaine défendre les citoyens contre l'intrusion de l'Etat.
M. LUCHAIRE estime que dans la présente affaire ce sont les principes généraux de l'enseignement qui sont en cause et que le législateur a voulu que la commission soit paritaire et élective.
M. GOGUEL déclare : "La notion de principes fondamentaux de l’enseignement ne me paraît pas aller jusqu'à la composition de la commission."
M. LUCHAIRE répond que c'est plutôt le caractère électif qui lui paraît être un principe fondamental de l'enseignement.
M. DUBOIS souligne que pour les intéressés le caractère paritaire est également important.
Le rapporteur lit le projet de décision réservant le principe de la parité. Le projet est modifié dans son dernier considérant, à la demande de M. GOGUEL, afin de souligner que le caractère électif de la commission n'est pas de nature réglementaire en ce qu'il relève des principes fondamentaux de l'enseignement.
La décision ainsi amendée est adoptée.
M. CHATENET constate que le Conseil s'engage par cette décision dans une voie un peu normative mais estime que ce n'est pas un tort compte tenu du "spectacle de la législation des bureaux" auquel on peut assister.
M. MARCEL donne lecture du projet de décision concernant les requêtes n° 73-638/668 présentées par M. FOUET et Madame ROUSSEAU contre l'élection à l'Assemblée nationale de M. DRONNE dans la troisième circonscription de la Sarthe.
Le projet est adopté après quelques modifications.
M. LUCHAIRE déclare : "Je dois dire le profond malaise que me laisse cette décision".
M. LABRUSSE présente le rapport concernant la requête n° 73-623 présentée par M. BAYLE contre l'élection à l'Assemblée nationale de M. GIOVANNINI dans la quatrième circonscription du Var.
Le principal moyen invoqué dans cette requête porte sur le nombre anormalement élevé de cartes électorales n'ayant pu être distribuées par les services postaux dans la ville de la Seyne-sur-Mer, les adresses indiquées sur les cartes étant erronées.
Le requérant tire de ces faits des présomptions de fraude, le maire de la commune en cause étant précisément le candidat élu député.
M. LABRUSSE conclut au rejet de la requête faute de preuve de la fraude alléguée.
A l'issue du rapport M. LUCHAIRE rappelle que le Conseil, lors du dernier référendum, a annulé les résultats de deux communes de la Réunion en raison de la mauvaise distribution des cartes électorales.
M. LUCHAIRE souhaiterait savoir quels sont les électeurs qui n'ont reçu leur carte qu'après les élections.
M. LABRUSSE précise que beaucoup d'électeurs ayant déménagé n'ont pu recevoir leurs cartes électorales à domicile mais sont venus les retirer à la mairie, avant le scrutin, ou dans les bureaux de vote, le jour du scrutin.
M. COSTE-FLORET constate que le pourcentage de cartes non distribuées est excessif mais que la preuve de la fraude n'est pas rapportée.
M. MONNET pense que cette affaire est au centre de la généralisation de la fraude commise par des maires lorsqu'ils sont candidats aux élections législatives.
M. DUBOIS déclare : "Dans l'hypothèse où le contrôle du Conseil constitutionnel est rendu impossible, il y a lieu à annulation". Dans le cas présent il est signalé une anomalie dans le nombre de cartes non distribuées qui constitue une affirmation valable.
M. le Président PALEWSKI pense que les fraudes ne sont pas prouvées et qu'il serait dangereux pour le Conseil de s'engager sur la voie d'une annulation fondée sur de simples présomptions.
M. GOGUEL rappelle qu'il n'y a aucune observation sur les procès-verbaux.
M. LUCHAIRE estime qu'une présomption grave de fraude peut justifier une annulation.
M. LABRUSSE fait observer que l'anomalie ne concerne que le nombre de cartes non distribuées par les services postaux mais que le pourcentage redevient normal si l'on prend en considération le nombre de cartes remises avant le scrutin et le jour du scrutin.
M. LABRUSSE répond que c'est effectivement là que se situe peut-être la fraude mais que les procès-verbaux de remise des cartes sont normalement remplis. Sur une question de M.CHATENET le rapporteur ajoute qu'il n'y a au dossier aucune attestation d'électeur n'ayant pu voter faute de carte électorale.
Pour M. CHATENET il est difficile de se déterminer en l'absence de preuve.
M. le Président PALEWSKI pense que la fraude est certaine mais que la preuve n'en est pas rapportée et qu'une enquête supplémentaire, le requérant lui-même l'admet, n'apporterait pas plus de certitude à cet égard.
M. LUCHAIRE remarque que lorsque le Conseil a la preuve d'irrégularités il estime qu’il n'y a pas de fraude et, qu’au contraire, lorsqu'il a la conviction qu'il y a fraude, il n'a pas de preuve.
M. COSTE-FLORET considère que comme en droit pénal l'intime conviction suffit pour justifier une décision.
M. DUBOIS rappelle qu'en 1967 le Conseil constitutionnel a annulé une élection au motif qu'il ne pouvait exercer son contrôle. (A.N. Corse, 3ème circ.- au recueil p. 171).
Il est procédé à un vote qui donne les résultats suivants :
pour l'annulation : 5 (MM. LUCHAIRE, COSTE-FLORET, DUBOIS, MONNET, SAINTENY).
pour le rejet de la requête : 4 (M. le Président PALEWSKI, MM. REY, GOGUEL et CHATENET).
M. le Président PALEWSKI met le Conseil en garde contre l'innovation dangereuse que constituerait une annulation fondée sur de simples présomptions.
Celui-ci sera réexaminé en fin de séance.
M. ROUGEVIN-BAVILLE présente le rapport concernant les requêtes n° 73-596/598 présentées par M. GERMAIN et M. VALCIN contre l'élection à l'Assemblée nationale de M. CESAIRE dans la deuxième circonscription de la Martinique.
L'un des principaux moyens de cette requête porte sur le fait que l'établissement du procès-verbal récapitulatif de Fort-de-France a eu lieu à huis clos et a duré près de quatre heures.
Le rapporteur conclut, au principal, au rejet de la requête mais indique que la section d'instruction a demandé qu'un projet d'annulation soit présenté en même temps que le projet dé rejet.
M. LUCHAIRE s'étant fait préciser que les résultats des autres communes de la circonscription étaient connus lorsque fut établi le procès-verbal de Fort-de-France, rappelle que les opérations de dépouillement doivent être conduites sans désemparer et que le Conseil constitutionnel a déjà eu à annuler une élection en Corse, troisième circonscription, pour une raison analogue.
Il n'y a certes pas d'observation au procès-verbal mais la commission de contrôle confirme qu'un assesseur a été empêché de vérifier l'identité des électeurs.
Il faut donc se référer à ces irrégularités.
M. CHATENET fait observer que le faible écart de voix ne peut pas être jugé de la même manière selon qu'il s'apprécie par rapport à la majorité absolue pour une élection au premier tour ou par rapport aux suffrages recueillis par un autre candidat dans le cas d'une élection acquise au second tour.
Dans ce dernier cas, en effet, si le faible écart est annulé parce qu'un certain nombre de votes sont irréguliers, c'est le résultat de l'élection qui est changé. Dans l'autre cas, il y aura simplement un deuxième tour qui, dans le cas d'espèce, donnera le même résultat.
Il résulte du dossier examiné une impression de désordre, de nonchalance mais aucune fraude n'est prouvée.
Aucune des irrégularités alléguées n'est à elle seule suffisamment déterminante et le résultat est conforme à celui de la volonté du corps électoral.
M. SAINTENY constate qu'une annulation amènerait une réélection triomphale de M. CESAIRE et provoquerait des risques de troubles.
Le projet de rejet des requêtes est adopté par huit voix contre une (M. LUCHAIRE).
Il est ensuite procédé à la lecture du projet d'annulation pour les élections de la quatrième circonscription du Var.
M. le Président PALEWSKI déclare que la lecture du projet ne fait que le confirmer dans la conviction que le Conseil commettrait une grave erreur en s'engageant dans la voie de l'annulation fondée sur des présomptions.
M. LABRUSSE fait observer que le pourcentage des cartes électorales retournées par les services postaux est comparé à celui de Toulon et Hyères et non à d'autres communes de la circonscription.
Après que M. CHATENET et M. GOGUEL aient fait des remarques concernant la rédaction du projet après avoir rappelé leur opposition à ses conclusions, il est procédé à un nouveau vote qui donne les résultats suivants :
pour le rejet de la requête : 5 (M. le Président PALEWSKI, MM. MONNET, REY, CHATENET, GOGUEL)
pour l'annulation : 4 (MM. SAINTENY, DUBOIS, COSTE-FLORET, LUCHAIRE)
La séance est levée à 12 h 45.
Les originaux des décisions seront annexés au présent compte-rendu.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.