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PV1973-11-28

Flavy BAUMONT

SEANCE DU MERCREDI 28 NOVEMBRE 1973

COMPTE-RENDU

La séance est ouverte à 9 h 30 en présence de tous les membres du Conseil.

M. le Président PALEWSKI donne la parole à M. LUCHAIRE rapporteur de la première affaire inscrite à l’ordre du jour, qui porte sur l’appréciation, en application de l’article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique de certaines dispositions des articles 44, 45, 188.1, alinéa 7, 188.9, 1°, 799, alinéa 2, dernière phrase, 808, avant dernier alinéa, 842, alinéa 1, 845.2, alinéa 3, 848, alinéa 1, 1°, 849, alinéas 2 et 3, 850, alinéas 1, 2 et dernier, 862, alinéa 1, 870.4, alinéa 2, 870.19, alinéa 1, 870.25, alinéas 4 et dernier ainsi que de l’article 15, alinéa 2, de la loi n° 60-808 du 5 août 1960, de l'article 8, alinéa 1, de la loi n° 62-917, du 8 août 1962 et de l'article 4, alinéa 1, de la loi n°63-1236 du 17 décembre 1963.

M. LUCHAIRE expose que le Conseil a été saisi de cette affaire le 19 novembre. Il a donc fallu préparer dans un délai assez court l'examen des nombreuses dispositions qui font l'objet de la saisine préalablement à une révision de leur codification et à leur classement dans la partie réglementaire du code rural, au moins pour celles d'entre elles dont le Conseil aura reconnu le caractère réglementaire.

Le rapporteur constate que la saisine est, d'une part, incomplète, car d'autres dispositions auraient pu être soumises au Conseil et, d'autre part, mal faite, car ni le texte des dispositions déférées à l'examen du Conseil ni leur désignation précise ne figurent dans la lettre de saisine. Cette lettre porte seulement renvoi aux mots soulignés dans des documents joints.

De plus, les indications fournies par le secrétariat général du Gouvernement sont succinctes et le travail du rapporteur n'en a été que plus difficile.

M. LUCHAIRE propose qu'en conséquence, un membre du secrétariat général du Conseil constitutionnel puisse participer aux travaux de la commission de codification afin d'améliorer, à l'avenir, les conditions de saisine du Conseil.

Sur l'invitation de M. le Président, M. le Secrétaire général indique qu'il a protesté auprès du secrétaire général du Gouvernement sur les conditions de la saisine du Conseil. Pour ce qui concerne la représentation du secrétariat général du Conseil auprès des commissions de codification on peut se demander si cela ne pose pas un problème, dès lors, que le Conseil peut ensuite être appelé à statuer sur certaines des dispositions codifiées.

MM. GOGUEL et CHATENET estiment que le Conseil constitutionnel ne serait nullement engagé quant à sa décision ultérieure par la présence d'un représentant du secrétariat général à la commission de codification et approuvent la suggestion faite en ce sens par M. LUCHAIRE.

M. le Président PALEWSKI demande à M. le Secrétaire général de prendre les contacts nécessaires pour la réalisation du souhait ainsi exprimé.

M. LUCHAIRE reprend son rapport et indique qu'il va traiter de dispositions soumises au Conseil en fonction de leur nature et non dans l'ordre des articles.

1°) Une série de dispositions ont trait à la forme des communications entre preneur et bailleur pendant la durée ou à l'expiration du contrat de bail.

Il est le plus souvent précisé que les diverses notifications devront être faites par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire.

S'agissant de déterminer seulement la forme des communications en cause aucune intervention du Parlement n'est nécessaire puisque les règles de procédure autre que pénale ne relèvent pas du domaine législatif.

En conséquence, les dispositions des articles 799, 808, 842, 845.2, 849, 850, alinéas 1 et 2, quatrième phrase, 862, 870.4, 870.19, 870.25 du code rural et de l'article 4 de la loi du 8 août 1962, soumises au Conseil, ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire.

2°) Certaines dispositions reconnaissant divers pouvoirs de décision au préfet ou à un ou plusieurs ministres.

Il s'agit donc de déterminer l'autorité habilitée à exercer des attributions qui appartiennent au pouvoir réglementaire et le Conseil a toujours reconnu que de telles dispositions avait un caractère réglementaire.

Telle doit donc être la solution adoptée pour l'article 15, deuxième alinéa, de la loi n° 60-808 du 5 août 1960.

3°) Dans le même ordre d’idées les dispositions de l’article 44 du code rural prévoient que les particuliers ayant obtenu la concession de parcelles de terres incultes récupérables doivent fournir à l’administration les explications qui peuvent leur être demandées.

Aucune sanction n’est cependant prévue en cas de défaut de réponse. Tout au plus, si l’obligation de répondre était prévue par un règlement, les concessionnaires pourraient-ils encourir les peines qui frappent toute personne qui refuse d’appliquer un règlement. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

En conséquence, il faut admettre le caractère réglementaire de ces dispositions.

4°) Dans le même esprit le caractère réglementaire doit être reconnu aux dispositions de l’atticle 188.9 du code rural qui frappent d’une peine de 500 à 2000 f. les personnes qui n’auront pas souscrit de déclaration ou de demande d’autorisation préalable en cas de cumul d’exploitations.

Ces peines sont des peines de police réprimant une contravention et le Conseil constitutionnel a toujours admis, ainsi que toutes les juridictions, que la Constitution n’avait réservé au législateur que le soin de définir les crimes et les délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, à l’exclusion des contraventions.

M. COSTE-FLORET fait observer qu’il ne partage pas cette opinion et qu’il se réserve d’intervenir sur ce point.

5°) M. LUCHAIRE poursuit son rapport en examinant les dispositions de l’article 850, dernier alinéa, du code rural qui précisent que, lorsque des travaux sont entrepris sur le gros oeuvre d’un bâtiment inclus dans un bail rural, un homme de l’art peut être désigné pour suivre les travaux et qu’à défaut d’accord amiable, sur ce point, entre le preneur et le bailleur, cette désignation est faite par le président du tribunal paritaire des baux ruraux statuant en la forme des référés.

Il appartient au législateur d’attribuer compétence à l’autorité judiciaire pour prendre la décision dont il s'agit mais à partir de là la désignation de la juridiction compétente et la forme de la décision sont des règles de procédure et on se trouve donc dans le domaine réglementaire.

6°) Enfin,les dispositions soumises au Conseil posent un problème beaucoup plus vaste qui est celui de l’administration consultative.

Ce problème avait déjà été abordé lors de la précédente séance du 7 novembre et le rapporteur rappelle qu’il s'était alors trouvé en désaccord avec M. CHATENET.

M. LUCHAIRE estime en effet que cette administration consultative représente une institution importante de notre droit.

Les commissions consultatives, bien que leur avis n'engage pas le représentant de l'administration qui doit prendre la décision, constituent, par la présence de personnes intéressées à cette décision, une des formes de la participation. L'administration a certes beaucoup de pouvoirs mais elle décide avec la participation des intéressés représentés dans les commissions.

Sur le plan juridique cette participation présente également des garanties car elle permet à la juridiction administrative de contrôler les motifs d'une décision, motifs que le juge pourrait ignorer à défaut du débat préalable qu'implique la procédure de consultation.

On peut donc penser qu'il faut voir dans cette institution une caractéristique de notre droit moderne qui reconnaît à l'administration des pouvoirs importants sur les biens des individus tout en leur apportant certaines garanties par leur consultation préalable et le contrôle juridictionnel.

Lorsque l'administration détient un pouvoir de décision il lui est toujours loisible de créer un organisme consultatif mais cela n'exclut pas la possibilité, pour le législateur, de créer de pareilles commissions. Il en a le droit dans le domaine que la loi lui réserve. Si le législateur crée une telle commission, c'est qu'il a voulu entourer la décision de garanties et si on se trouve dans le domaine de l'article 34, lui seul a compétence pour connaître des règles concernant ladite commission.

En conséquence, si l'avis de la commission précède une décision prise en vertu d'un pouvoir que seul le législateur pouvait conférer, même si la commission a été créée par le pouvoir réglementaire, seul le législateur peut intervenir pour modifier cette procédure.

Au contraire, lorsque l'administration tient son droit de décision du pouvoir réglementaire, l'avis demandé à une commission appartient au pouvoir réglementaire.

Il peut être fait application de ces principes pour l'examen des dispositions suivantes ;

- L'article 188.1 du code rural prévoit que dans certaines conditions le préfet pourra interdire les cumuls d'exploitation dans certains départements déterminés après avis de la commission départementale des structures.

Il est grave de permettre à un préfet de s'opposer à un cumul d'exploitations. Seul le législateur peut conférer le pouvoir de prendre une telle décision et, par conséquent, il doit en être de même pour l'avis préalable de la commission départementale des structures.

- L'article 45 du code rural indique que la définition des terres incultes qui peuvent être vendues ou concédées malgré l'opposition de leur propriétaire, doit résulter d'un décret en Conseil d'Etat pris après avis du conseil supérieur de l’aménagement rural.

Là encore, il s'agit d'attribuer à l'autorité administrative des pouvoirs importants et seul le législateur avait compétence pour conférer ces pouvoirs. Il en est de même de l'avis préalable.

- En vertu de l'article 848 du code rural, le preneur qui a apporté des améliorations au fonds loué, a droit, en fin de bail, à une indemnité calculée en fonction du coût de l'amélioration diminué de 6 % par an. Il existe un barême national mais le préfet peut fixer des tables d'amortissement après avis de la commission conultative des baux ruraux.

Ces tables ne faisant qu'appliquer un barème national, la décision du préfet et l'avis de la commission relèvent du domaine réglementaire.

- Les dispositions de l'article 4, premier alinéa, de la loi n° 63-1236 du 17 décembre 1963, précisent que l'arrêté préfectoral prévoyant la nature et la quantité de denrées servant à fixer le prix des fermages devra être pris après avis de la commission consultative des baux ruraux.

Il s'agit de fixer d'autorité le montant d'un loyer et donc de porter atteinte à la liberté de contracter. Un tel pouvoir ne pouvait être donné que par le législateur et il en est de même pour l'avis de la commission des baux ruraux.

La solution de principe ainsi retenue correspond aux travaux doctrinaux publiés sur l'administration consultative et à la solution adoptée par le Conseil constitutionnel pour le conseil de surveillance de l'O.R.T.F. (décision n° 64-27 L des 17 et 19 mars 1964 au recueil p.33).

En fait deux questions de principe sont soulevées par cette affaire :

- celle du caractère législatif ou réglementaire des dispositions prévoyant des contraventions ;

-celle des commissions consultatives.

M. GOGUEL, s'agissant de ce dernier point, se déclare très impressionné par la solution proposée par M. LUCHAIRE.

Toutefois, il s’interroge sur la compatibilité de cette solution avec les dispositions de l'article 34 de la Constitution qui précisent que pour certaines matières la loi fixe les règles et pour d'autres matières la loi détermine les principes fondamentaux.

En ce qui concerne la première catégorie, il est certain que la consultation d’une commission est une règle qui doit être fixée par le législateur.

Par contre, il est très douteux que le principe de la consultation d'une commission, qui n'est qu'un des éléments de la procédure de décision, soit un principe fondamental.

M. LUCHAIRE estime que c'est là que se situe le vrai problème qui est de savoir si une consultation, impliquant la participation des parties intéressées par une décision, est ou non un principe fondamental. Pour lui, la réponse est affirmative.

M. COSTE-FLORET partage cette opinion.

M. CHATENET se déclare satisfait que M. LUCHAIRE ait entrepris la recherche d’une clé permettant de trouver une solution au problème de la nature des dispositions prévoyant des consultations préalables à une décision et ait fait l'analyse de la notion de participation car de telles dispositions risquent de se multiplier.

Il faut déterminer si cette participation se situe au niveau de la décision ou de l’instruction du dossier car si elle se place à ce niveau il n'y a pas de transfert de responsabilité du pouvoir de décision. C'est la solution qu'avait retenue M. CHATENET lors de la séance du 7 novembre mais il admet que l'intervention de l'administration consultative se fait à un tel niveau qu'il est artificiel de distinguer ce qui est décision de ce qui est procédure.

De plus, le droit de l'expropriation par exemple, est tellement complexe qu'il parait préférable de retenir l'interprétation donnée par le professeur Luchaire afin d'apporter aux propriétaires les garanties dont ils ont besoin.

M. CHATENET se rallie donc à la solution proposée par M. LUCHAIRE en concluant : "J'avais pris sommairement une position à notre séance précédente mais l'interprétation de M. LUCHAIRE est une clé de meilleure qualité pour la défense des droits des citoyens et dans les années à venir le Conseil constitutionnel devra aller plus loin que le coup par coup dans ce domaine."

M. le Président PALEWSKI retire de son expérience personnelle une conclusion différente en ce qui concerne la défense des citoyens. Il arrive que le préfet, qui vient d'un autre poste, soit un meilleur défenseur des particuliers que la commission où certains intérêts locaux sont représentés et dont l'avis n'est pas forcément indépendant. Ceci peut amener le Conseil a nuancer son jugement étant entendu que ce qu'a dit le rapporteur constitue une clé de qualité.

M. LUCHAIRE fait observer que, politiquement, ce sont en général les mouvements de gauche qui sont favorables à l'interventionnisme de l'administration et rappelle que les dispositions de l'article 34 concernant le régime de la propriété ont été l'oeuvre de M. Guy MOLLET.

M. GOGUEL souligne que le Conseil constitutionnel, dans la décision n° 59-1 FNR du 27 novembre 1959 (au recueil p.71) a affirmé qu'il résultait des termes mêmes de l'article 34, que la Constitution n'a pas inclus dans le domaine de la loi la fixation des règles nécessaires à la mise en oeuvre des principes fondamentaux visés au dit article. Il faut maintenir cette distinction et on ne peut dire que l'avis d'une commission soit un principe fondamental.

M. DUBOIS en conclut que celui qui peut le plus ne peut pas le moins puisque celui qui peut poser des principes fondamentaux ne peut en tirer des règles.

M. DUBOIS ajoute que dans le domaine des matières visées à l'article 34 il préfère l'individu à l'État.

M. COSTE-FLORET considère que la solution retenue par M. LUCHAIRE est la plus protectrice de l'individu.

M. GOGUEL insiste pour que soit maintenue la distinction faite à l'article 34 de la Constitution entre les règles et les pricipes fondamentaux.

M. LUCHAIRE rappelle que le considérant proposé laisse cette distinction entière. Ce considérant est ainsi rédigé : "Considérant que, si l’autorité réglementaire a toujours la faculté d'instituer une fonction consultative dans tout domaine où elle a un pouvoir de décision, le législateur, dispose, également de pareille faculté dans les domaines qui lui sont réservés par la Constitution et notamment ses articles 34 et 72 ; qu'il a, dès lors, la possibilité dans ces mêmes domaines de faire précéder la décision d'une autorité administrative de l'avis d'une commission même créée par voie réglementaire ;"

Le rapporteur propose une solution moyenne qui consisterait à retenir la distinction faite par M. GOGUEL tout en maintenant que la consultation préalable à toute décision portant atteinte au droit de propriété est un principe fondamental.

M. CHATENET confirme qu'il se rallie à la proposition de M. LUCHAIRE mais estime qu'il ne faut pas porter atteinte à la distinction faite par le constituant entre les règles et les principes fondamentaux.

Il faut donc trouver une solution qui réserve la solution pour l'avenir en ce qui concerne l'encadrement que constituent les principes fondamentaux, car il y a, en fait, deux niveaux d'intervention du législateur selon les matières de l'article 34.

M. GOGUEL propose d'amender le considérant de principe précité en précisant que le législateur a la faculté d'instituer une fonction consultative dans les domaines qui lui sont réservés "compte tenu notamment des distinctions fixées par l'article 34" ;

Cette suggestion est adoptée.

M. GOGUEL fait observer que le projet de décision tend à classer dans le domaine législatif les dispositions de l'article 4, premier alinéa, de la loi du 17 décembre 1963, concernant l'avis de la commission consultative des baux ruraux préalable à l'arrêté préfectoral déterminant les denrées ainsi que leur quantité devant servir de base au calcul des baux, alors que, dans la décision n° 59-1 FNR du 27 novembre 1959, il avait été décidé que cette matière était du domaine réglementaire.

M. LUCHAIRE considère que si c'est au législateur de dire qu'un prix n'est pas libre, c'est au pouvoir réglementaire qu'il appartient de fixer ce prix.

Il propose en conséquence de classer les dispositions de l'article 4, premier alinéa, de la loi du 17 décembre 1963 dans le domaine réglementaire et de reprendre dans la décision les quatrième et cinquième considérants de la décision de 1959.

Le Conseil adopte cette solution.

M. COSTE-FLORET intervenant sur les dispositions de l'article 188.9 du code rural qui instituent une peine de 500 à 2000 f. à l'encontre de certains contrevenants à la réglementation sur les cumuls d'exploitation, rappelle que depuis 1958 il a été de jurisprudence et de pratique constantes de reconnaître le caractère réglementaire aux dispositions instituant des contraventions .

Cette jurisprudence reposait notamment sur l'interprétation a contrario des dispositions de l'article 34 de la Constitution aux termes desquelles la loi fixe les règles concernant "la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables."

Or une telle interprétation, qui a été critiquée notamment par M. LEVASSEUR dans une chronique parue au Dalloz en 1959, se heurte à plusieurs objections.

D'une part, elle est contraire aux articles 7 et 8 de la déclaration des droits de l'homme, à laquelle fait référence le préambule de la Constitution et dont le Conseil a reconnu, à deux reprises, le caractère d'applicabilité. Aux termes de ces articles 7 et 8, en effet, : "nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, il est indiqué "....." dans le PV à la suite de "la loi,"nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit."

D'autre part, l'interprétation littérale donnée par a contrario à l'article 34, est douteuse car les mots "crimes et délits" y désignent toutes les infractions, les dispositions dont il s'agit n'étant que la transcription de la règle : "nulla poena, nullum crimen sine lege".

Enfin, aux termes de l'article 66 de la Constitution : "nul ne peut être arbitrairement détenu.

L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi." Certaines contraventions étant punies de peines pouvant aller jusqu'à deux mois d'emprisonnement, ne peuvent résulter que d'une loi, en vertu de cet article 66.

Il est donc nécessaire que le Conseil constitutionnel affirme le caractère législatif des textes relatifs aux contraventions.

M. GOGUEL estime que l'argument tenant à l'article 66 de la Constitution n'est pas convaincant car les mots : "... dans les conditions prévues par la loi." peuvent signifier dans le respect de la procédure prévue par la loi.

M. COSTE-FLORET convient que l'argument le plus fort tient à la règle "nulla poena, nullum crimen..."

M. DUBOIS souscrit entièrement aux arguments de M. COSTE-FLORET et ajoute que le même alinéa de l'article 34 qui fait mention des crimes et délits, réserve aussi au législateur le soin de fixer les règles de la procédure pénale, sans faire de distinction entre les diverses catégories d'infractions.

M. CHATENET déclare réagir comme M. COSTE-FLORET et pense que, d'une manière générale, il est important que l'administration ne puisse secréter son propre droit pénal. Il importe là aussi de protéger l'individu.

M. le Président PALEWSKI rappelle que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a toujours été en sens contraire de la solution proposée par M. COSTE-FLORET.

M. le Secrétaire général intervient pour rappeler que depuis 1958 la jurisprudence et la pratique ont toujours été dans le sens de l'exclusion du domaine législatif des textes concernant les contraventions et qu'un revirement de jurisprudence constituerait une grave décision.

De plus, le Conseil qui, dans la distinction entre les règles et les principes fondamentaux, vient de faire une stricte application de l’article 34, prendrait une position inverse en assimilant les contraventions aux crimes et délits seuls mentionnés à l'article 34.

M. GOGUEL se déclare impressionné par l'argument faisant référence à la déclaration des droits de l'homme mais pense qu'il est difficile de passer outre à l'interprétation a contrario de l'article 34 et à quatorze ans de jurisprudence.

M. LUCHAIRE estime que la remarque faite par M. DUBOIS en ce qui concerne la procédure pénale est importante. Cela l'amène à aller dans le sens de M. COSTE-FLORET tout en constatant qu'il est très grave de changer la jurisprudence dans ce domaine.

Toutefois, il faut remarquer qu’en 1958, les peines de police n'excèdaient pas dix jours d'emprisonnement alors que désormais elles peuvent atteindre deux mois.

M. GOGUEL propose de faire référence au troisième alinéa de l'article 34 dans lequel il est précisé que la loi fixe "les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques" et de limiter ainsi aux seules contraventions punies de peines privatives de liberté la compétence du législateur.

M. COSTE-FLORET accepte cette solution mais demande qu'il soit également fait référence au préambule de la Constitution.

Le Conseil adopte cette proposition ainsi que le projet de décision amendé comme il est dit ci-dessus.

M. JACCOUD présente ensuite son rapport relatif à la requête n° 73-582 déposée par MM. IBRAHIM HARBI FARAH, AHMED DINI, HASSAN GOULED et MOHAMMED AHMED ISSA contre l'élection à l'Assemblée nationale de M. OMAR FARAL ILTIREH dans le territoire français des Afars et des Issas.

Le rapporteur après avoir examiné les divers griefs et reconnu la valeur de certains d'entre eux conclut au rejet de la requête, compte tenu des circonstances locales qui rendent impossibles le respect des prescriptions du code électoral et de l'important écart de voix entre le candidat élu au premier tour et la majorité absolue

M. GOGUEL rappelle que la troisième section a décidé de ne pas annuler l’élection en cause en raison des circonstances particulières dans lesquelles elle s’est déroulée.

M. LUCHAIRE approuve les conclusions du rapporteur mais suggère que le Conseil constitutionnel reprenne, pour ce qui concerne le considérant relatif à la distribution des cartes électorales, les termes employés par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 15 janvier 1971, annulant les élections à l'assemblée territoriale qui s’étaient déroulées le 17 novembre 1968 dans le cercle d’Ali Sabieh afin que les deux institutions n’adoptent pas sur ce point des solutions différentes.

M. JACCOUD fait observer que le projet de décision soumis au Conseil reconnaît les irrégularités commises dans la distribution des cartes électorales.

M. le Président PALEWSKI rappelle que les conditions locales sont telles que c’est déjà une gageure que d’organiser un scrutin dans ces régions.

Le projet de décision est adopté après quelques modifications de forme.

En fin de séance, M.COSTE-FLORET s'étonne que dans l'édition du recueil de 1972, qui vient d'être distribué, la deuxième partie porte pour titre :

"Décisions portant déclarations de conformité à la Constitution" alors que l'on trouve dans cette partie des décisions déclarant certains textes non conformes à la Constitution.

M. le Secrétaire général fait observer que le titre en cause a été utilisé depuis 1959 car il reprend les termes du titre du chapitre Il du titre II de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

M. COSTE-FLORET demande néanmoins qu'à l'avenir soit retenu le titre suivant :

"Décisions concernant la conformité à la Constitution".

Cette suggestion est approuvée.

La séance est levée à 12 h 30.

Les originaux des décisions seront annexés au présent compte-rendu.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.