SEANCE DU 6 JUILLET 1976
COMPTE-RENDU
La séance est ouverte à 15 heures en présence de tous les membres du Conseil à l'exception de M. MONNERVILLE et de M. COSTE-FLORET qui se sont excusés.
M. le Président constatant que 7 membres sont présents, le quorum est atteint et le Conseil peut statuer.
Avant l'examen de l'ordre du jour, M. le Président informe le Conseil que le groupe socialiste l'a saisi de la loi réformant le statut des fonctionnaires, que, d'autre part, une loi organique sur le nombre des sénateurs,dont le Conseil n'est pas encore officiellement saisi,a été votée par les deux assemblées le 30 juin et que le Conseil a été saisi par le sénateur BOILEAU du problème de la compatibilité de son mandat avec ses fonctions d'administrateur délégué,vice-président d'une société coopérative d'H.L.M. Il indique; qu'en ce qui concerne la contestation de l'élection de M. ROYER, le rapport du Minis- tère de l'intérieur a été notifié à M. ROYER et à Mademoiselle AUBIN, l'accusé de réception de cette dernière faisant état de la remise du pli le 3 juillet. Le délai de réponse, en ce qui la concerne, expire donc le 11 juillet au soir, le 11 étant un dimanche, elle peut faire parvenir au Conseil des observations jusqu'au soir du lundi 12 juillet.
Il semble peu probable que M. ROYER fasse parvenir des observations, le rapport du ministre étant en sa faveur. L'affaire peut donc être considérée comme en état pour la prochaine séance du Conseil si celle-ci se tient après le 12 juillet.
Il n'apparaît pas vraisemblable que d'autres affaires soifent inscrites au rôle du Conseil au cours du mois de juillet. En effet, les deux lois organiques relatives à la représentation de Mayotte à l'Assemblée nationale et au Sénat ont été retirées de l'ordre du jour de la session extraordinaire.
Il n'y a donc plus actuellement qu'une loi organique qui sera votée d'ici la fin de cette session et aucune information ne laisse penser, dès à présent, que des parlementaires envisagent de saisir le Conseil sur les lois ei)éours de discussion qui seront votées d'ici la fin de la session ou sur celles déjà votées et non promulguées.
M. le Président expose une difficulté de date qui tient au problème suivant : la loi organique fixant le nombre des sénateurs a été votée en dernière lecture le 30 juin en même temps que deux lois ordinaires d'application de ladite loi organique l'ensemble de ces textes a été transmis au Gouvernement le 2 juillet, le délai de promulgation étant de quinze jours, les deux lois dont le Conseil n'a pas été saisi doivent être promulguées au plus tard le 17 juillet..Pour la loi organique, le délai de promulga- tion est suspendu par la saisine du Conseil. On risque donc, si le Conseil se réunit après le 16 juillet, d'aboutir à une difficul- té pour le Gouvernement qui serait obligé de promulguer les textes d'application avant celui de la loi organique qui serait alors en cours d'examen devant le Conseil.
Il propose, s'il n'y a pas d'impossibilité de la part des divers membres du Conseil, de les réunir le 15 ou le 16 juillet.
Les membres du Conseil ayant exposé leurs difficultés d'heure et de temps, la date du 15 juillet à 15 heures est retenue qui comportera, en principe comme ordre du jour, l'examen de la loi organique sur le Sénat, l'examen de la loi portant réforme du statut des fonctionnaires et,si elles sont en état l'affaire d'incompatibilité du sénateur BOILEAU ainsi que le recours électoral contre l'élection de M. ROYER.
M. le Président donne alors la parole à M.DUBOIS qui présente le rapport dont le texte suit :
RAPPORT
En matière de loi organique, le contrôle du Conseil constitutionnel porte sur le fond et sur la procédure.
La logique commanderait que la forme soit examinée avant le fond.
Mais les observations que je dois faire sur le fond sont d'un intérêt secondaire par rapport à celles que je vais faire sur la procédure. C‘est pourquoi je commencerai par le fond.
Les constituants ont voulu que le statut des magistrats relève de la loi organique. Article 64, alinéa 3 : "Une loi organique porte statut des magistrats".
D'où le texte qui vous est obligatoirement soumis avant sa promulgation. Il ouvre aux femmes magistrats le droit au congé posnatal accordé aux femmes fonctionnaires (article 1) et il étend à l'accès à la magistrature par voie de concours les dispositions législatives portant recul de la limite d'âge poux l'accès aux emplois publics par voie de concours, (article 2).
Ces deux dispositions concernent bien le statut des magistrats et je n'ai rien à en dire.
Je voudrais cependant relever que les dispositions de l'article 2 sont dûes à l'initiative de l'Assembléa nationale qui les a en quelque sorte disjointes d'un projet de loi ordinaire dans lequel elles figuraient, par un singulier oubli de la nécessité constitutionnelle d'une loi organique, pour les inté- grer par voie d'amendement sous forme d'article additionnel dans le projet de loi organique dont elle débattait.
C'est pour le moins, de la part de l'exécutif, une certaine légèreté.
L’aspect formel de notre contrôla va ms retenir plus longtemps.
Solon l’article 46 de la Constitution "Les lois auxquel- les la constitution confère la caractère do lois organiques sont votées et modifiées dans les conditions suivantes :
..."Le projet ou la proposition n’est soumis à la délibé- ration et au vote do la première assemblés saisie qu’à l’expi- ration d’un délai de quinte jours après son dépôt...*
Dans quelles conditions se présente notre loi organique ?
Le projet a été enregistré à la Présidence du Sénat,1ère assemblée saisie, le 7 avril 1976. il figure en annexa au procès-verbal de la séance du 8 avril 1976.
Il a été inscrit à l’ordre du jour de la séance du 22 avril 1976.
La question est s Les sénateurs ont-ils disposé du délai de 15 jours imposé par la Constitution ?
Cette question va nous amener à préciser deux notions essentielles :
- la notion de dépôt
- la notion de délai
Cette étude est absolument nécessaire car nous allons constater qu'en ces matières aucune règle n'existant, nous nous trouvons en présence d'un vide juridique qui laisse place à la fantaisie la plus grande et la plus dangereuse.
Plusieurs conceptions du dépôt sont possibles :
- Conception de l'annonce du dépôt à l'Assemblée nationale,
- Conception de la remise du projet à la Présidence avec effet juridique à partir de l'annonce à l'Assemblée.
Il n'y a dépôt que lorsque le projet est rads sur le bureau de l'Assamblée.
Nous lisons à l'article 39 de la Constitution "Las projets de loi sont délibérés en conseil des Ministres et déposés sur le bureau de l'une dos deux assemblées”.
Le bureau de l'Assemblée nationale, ce n’est pas le bureau du Président.
La Conseil constitutionnel m parait avoir adopté cette conception lorsqu'il a déclaré conforma à la constitution l'arti-cle 31 du règlement du Sénat. Dans son alinéa 2, cet article dispose : "Toutefois lorsque le Sénat est saisi d'une loi de finances dans les conditions prévues par le 2ùme alinéa de l'article 47 de la Constitution, (c'est-à-dire lorsque l’Assam- blée ne s'est pas prononcée en 1ère lecture dans le délai de 40 jours après le dépôt du rjrojot) l'inscription de sa discus- sion à l'ordre du jour est do droit lorsqu'elle, est demandée par un Sénateur à compter du 10ème jour du dépôt du projet sur le bureau du Sénat".
Selon cette conception, la date à retenir est celle de la séance au cours de laquelle
Et c'est bien pourquoi tout projet déposé en cours de cession ne porte qu'une mention : annexe au procès-verbal de la séance du......
Et c'est bien pourquoi le Président annonce à son assem- blée en séance publique : j'ai reçu tel projet sans indiquer la date à laquelle il l'a reçu, donc sans indiquer un autre point de départ du délai.
En effet, la remise du projet au Président ou à là pré- sidence est une simple formalité qui met en présence un porteur du secrétariat général du Gouvernement et un fonctionnaire de l’assemblée. Elle n’est pas constitutive d’un dépôt juridique "sur le bureau de l'Assemblée"
.La pratique suivie sous les précédents régimes est en ce sens. Eugène Pierre écrivait : "Les projets peuvent être remis entre les mains du Président qui les communique à l'Assemblée et en déclare le dépôt (le dépôt qu’il fait lui-même). Il suffit que le dépôt ait été enregistré au p.v. pour qu’il soit valable et produise tous ses effets".
Traitant de ce problème, M. le Professeur GOGUEL, à qui je demanda la permission de le citer, déclare :
"Si donc le Gouvernement dépose un projet de loi organique devant 1'Assemblée nationale, il ne peut l’inscrira à l'ordre du jour prioritaire que 15 jours après le dépôt constaté au journal officiel donnant le compte rendu, de la séance".
2.- Autre conception
Il y a dépôt dès lors qu'il y a eu remise entre les mains du Président ou à la Présidence.
Si cette remise est faite au Président en séance, par un Ministre, comme sous la Illè République, pas de difficulté. Le Président l’annonce immédiatement.
Si la remise a été faite à la Présidence, le jour de la remise sera le jour du dépôt, selon cette conception, bien que l’Assemblée ne soit encore informée de rien.
C’est le sens donné au mot dépôt par le Gouvernement dans la présente espèce. Ainsi que je l’ai déjà signalé, nous relevons en effet sur le document parlementaires deux mentions : enregistré à la Présidence du Sénat le 7 avril 1976 annexe au p.v. de la séance du 8 avril 1976.
C'est une double formule que nous ne trouvons jamais sur les projets déposés en cours de session. Cette double formule figure, par contre, sur les projets déposés hors session au Sénat.
Enregistré à la Présidence du Sénat le ...
Rattaché pour ordre à la séance du (dernière séance de la session précédente).
Le projet, mentionnant ces deux indications, est alors imprimé et distribué.
Pourquoi aette entorse aux errements habituels ? puisque le projet a bien été déposé en cours de session.
Je me dois d'indiquer que le Gouvernement a insisté pour que le dépôt soit constitué par la remise à la prési- dence le 7 et pour que le texte fut soumis à la délibération du Sénat le 21.
Le Sénat n'a eu aucune peine à faire remarquer que, dans la plus simple des hypothèses et faisant fi de toutes les règles de computation des délais, 7 + 15 ne faisaient pas 21.
Il s'est incliné cependant en ce qui concerne la date du 7 - mais il a bien fallu alors le noter sur le document et au cours de l'annonce lors de la séance du 8. Je dois dire, sous le contrôle de l'ancien Secrétaire général du Sénat, qu'il y a eu là une rupture dans la pratique jusgu'alors suivie.
La situation particulière du projet déposé hors session et pour lequel, je le rappelle, la date de remise à la Prési dence est toujours marquée, cette situation ne doit pas faire perdre de vue l'autre mention : rattaché pour ordre à la séance du .. qui paraît bien reconnaître la nécessité d'une annonce en cours de séance.
Mais nous observons ici la fantaisie à laquelle je faisais allusion : le Sénat rattache pour ordre à la dernière séance de la session précédente, l'Assemblée nationale rattache pour ordre à la prochaine séance de la prochaine session.
Il en résulterait qu'hora session seule la date d’enre- gistrement à la Présidence a une valeur sûre. Et peu importe que l'Assemblée n’ait pas été misa au courant.
Une troisième conception est possible. Elle consiste à considérer qu’il y a bien dépôt le jour de la rmise à la présidence. Mais que ce dépôt m produira d’effets juridiques qu’à dater de l’annonce qui en sera faits à l’Assemblée.
Examinons la situation sous le bénéfice de ces conceptions.
- Dans la première hypothèse le jour à retenir est le 8 avril.
- Dans la seconde hypothèse le jour à retenir est le 7 avril.
-Dans la 3ème hypothèse, le jour à retenir est le 8 avril.
Venons-en maintenant au délai.
Ce que je vous ai dit tout à l’heure du comportement du Gouvernement désireux de faire venir en discussion le 21 un texte déposé le 7, montre qu’en cette matière de délai on m trouva aucune doctrine précise,
Le délai est le laps de temps fixé par la loi pendant lequel il est permis ou interdit de faire un acte.
Traditionnellement un délai fixé par jours -c’est notre cas- se compte do jour à jour, c’est-à-dire suivant l’espace de 24 heures qui s’écoule 4o minuit à minuit.
Traditionnellement le jour, qui sert de point de départ du délai ne compte pas dans le délai (cette règle est consacrée par le code de procédure civile, article 1033). C’est que la solution contraire obligerait à tenir cempte de l’heure à laquelle
le dépôt a eu lieu de sorte que l’on serait obligé de compter par heures un délai que la loi a fixé par jours. Pour éviter ce résultat le premier jour inutil du délai commence le lendemain à 0 heure
L’article 46 de la Constitution qui disposa ”à l'expiration d’un délai de 15 jours après son-dépôt, rend cette conception du délai inévitable. C’est le jour du dépôt qui sert de départ au délai. Donc ce jour du dépôt ne compte pas dans le délai.
En raison de l’importance de la matière (loi organi- que) 15 jours pleins, doivent être réservés à l’étude et à la , réflexion. Tel est bien le sens convenable que cœmande l’ex- pression "à l'expiration d'un délai"
Je pense quen nous sommas d’accord sur cette notion de délai.
Combinons mintenant dépôt et délai.
Si le jour à retenir est le 8 avril# le délai commence à courir le 9 avril. 2 + 15 = 23. La discussion ne pouvait ccmencer que le 24, la nécessité d’avoir 15 jours pleins excluant le jour de l'échéance qui est le 23.
Dès lors nous ne pouvons dire que le texte a été pris dans le respect de la procédure prévue à l’article 46.
Si le jour à retenir est le 7 avril, le délai commence à courir le 8 avril.
7 + 15 = 22. La discussion ne pouvait commencer que le 23.
Si le jour à retenir est le 7, date du dépôt qui ne produit d’effet juridique que le 8 - jour de l’annonce à l'Assemblée, la conclusion est la même que dans le premier cas.
Voici donc ce que j’avais à dire sur ces notions de dépôt et de délai.
J'ai le sentiment que le conseil serait avisé de faire oeuvre normative en précisant ce qu’il convient de tenir désor- mais pour un dépôt et cessent il convient de calculer un délai.
Il peut le faire, je pense, avec d’autant plus d'aisance que la loi qui lui en offre l'occasion est une loi mineure, sans implication politique.
Je crois même qu'il doit le faire, compte tenu de ce que l'absence de doctrine ferme à propos de ces questions de dépôt et de délai est particulièrement préoccupante si l'on songe à la matière des lois de finances réglée par l'article 47 de la Constitution et la loi organique du 2 janvier 1959 : "Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de 40 jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat .... Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de 70 jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance .... Si la loi fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été adoptée en temps utile ...
On voit que suivant la conception adoptée de la notion de dépôt on peut arriver à déssaisir l'Assemblée élue au suffrage universel direct et même le Parlement.
Pour adopter une solution n'annulant pas la loi il nous faut décider que le dépôt coïncide avec la remise le 7.
Et il nous faut, en outre, considérer - et cela nous pouvons le faire sans difficulté - que, bien qu'inscrit à l'ordre du jour de la séance du 22 avril, le texte a été soumis à délibération et au vote le 23 avril.
Il résulte, en effet, du procès-verbal des débats du Sénat que la séance du 22 n'a été levée que le 23 à 3 h.15'.Cette précision serait sans effet si nous ne savions, par le compte-rendu officiel des débats, qu'une suspension de séance a eu lieu le vendredi 23 à 1h.40', que la séance a repris à 1 h 55' et que notre texte n'est venu en discussion qu'après.
N'avais-je pas raison, tout à l'heure,de parler de légèreté ?
Votre rapporteur, quant à lui, a choisi. Il estime que la rigueur qui doit être la nôtre en une telle matière commande la solution de non conformité à la Constitution.
Elle rend au dépôt son véritable sens d'acte juridique solennel. Elle établit une base claire et solide que certains articles de la Constitution rendent indispensable. Je pense à l'article 47 concernant les lois de finances, je l'ai évoqué tout à l'heure - article qui fixe divers délais à compter du dépôt du projet et qui peut soulever de très gravés difficultés.
Elle ne paraît enfin commandée par votre décision de conformité à la Constitution du règlement du Sénat (art.31).
Mais ceci étant dit, et comme ce qui est le plus important à mes yeux, c'est qu'un choix intervienne, je me rallierai de grand coeur à la majorité si elle est d'un avis contraire.
Ce choix, je souhaite qu'il marque nettement votre décision, soit que vous annuliez, soit que vous déclariez le texte conforme à la Constitution.
C'est pourquoi trois propositions de décision vous sont soumises.
Si le Conseil devait rendre une décision de conformité, il me paraîtrait très important qu’il adresse une lettre au Premier Ministre ainsi qu'au Président des assemblées pour leur rappeler les règles strictes d'applications des délais de l'article 46.
M. le Président remercie M. DUBOIS d’avoir exposé le problème d'une façon très claire. Il est certain que la décision qui sera rendue par le Conseil fera jurisprudence car le cas qui est soumis aujourd'hui ne s'est encore jamais présenté.
Quelle que soit la solution prise, le Président partage l'avis de M. DUBOIS selon lequel, il conviendra de faire connaître les raisons de la décision au Président de la République et aux Présidents des Assemblées.
M. GOGUEL est d'accord avec M. DUBOIS sauf sur une nuance. Quand un projet est déposé hors session, il est annoncé au Journal officiel des lois et décrets à la rubrique informations parlementaires donc les membres de l'Assemblée devant laquelle le projet a été déposé sont avertis. S'il y a rattachement pour ordre de ce projet à une séance, en ce qui concerne le Sénat la dernière séance de la session précédente, c'est simplement pour donner une date certaine à ces documents.Si la dernière séance précédant la fin de la session a été choisie, c'est pour éviter des incertitu- des sur la séance de rattabhement, en effet, on ignore toujours si une session extraordinaire ne sera pas organisée ce qui interdit de prévoir en toute certitude la date de la prochaine séance.
M. Le Président fait remarquer que la règle de rattachement à une séance n'est pas la même en ce qui concerne l'Assemblée nationale puisque celle-ci rattache pour ordre le pro- jet à une prochaine séance de la session suivante.
M. GOGUEL dit, qu'en effet, l'Assemblée nationale n'a pas eu le même scrupule que le Sénat de pouvoir dès le dépôt indiquer, en toute cefctitude, la date précise de la séance de rattachement. Il continue son intervention en indiquant que, dans le cas qui nous intéresse, l'annonce faite par le Président du Sénat a précisé que le projet avait été déposé aux services du Président le 7 avril et que cette précision est tout à fait contraire aux usages habituels.
Si elle a été donnée, c'est bien que l'on entendait lui faire porter un effet. On peut répondre que les sénateurs n'ont connu effectivement le projet que le 8 ; ceci n'est d'ailleurs pas rigoureusement certain car l'usage consiste, le plus souvent, à remettre un double du projet à la commission compétente avant même que sa réception ne soit annoncée à la séance publique. La date d'enregistrement peut porter un effet juridique et c'est indéniablement ce qui a été voulu dans ce cas puisque l'annonce en séance a indiqué que l'enregistrement avait eu lieu le 7. Cette précision donnée et quand bien même on admet,ce qui parait certain,que le point du départ du délai est le 7, il n'apparaît pas pour autant à M. GOGUEL que le texte a été régulièrement voté. En effet la pièce officielle du projet qui a été transmise du Sénat à l'Assemblée nationale indique qu'il a été adopté par le Sénat le 22 avril "délibéré et adopté à la séance du 22 avril".
Par ailleurs, il convient de noter que le vote intervenu à deux heures du matin lors d'une séance qui s'est ouverte dans Ihprès-midi du dernier jour de la session est très certainement valable, c'est d'ailleurs ce qui a déjà été décidé par le Conseil dans d'autres cas.
M. GOGUEL conclut donc à la nullité de la procédure non pas garce que le point de départ aurait été le 8. Pour lui il a bien eu lieu le 7 maiqxarœque le vote est intervenu le 22 et non le 23.
M. CHATENET estime qu'il convient tout d'abord de s'interroger ,sur la raison pour laquelle a été instauré le délai de 15 jours. Il s'agit d'éviter la précipitation, il s'agit d'évi- ter q'une loi organique soit votée sans réflexion suffisante. Eh ce qui concerne le point de départ de ce délai, il lui apparaît impossible que la date du dépôt qui est un acte de la compétence du Gouvernement, lequel d'après la Constitution est à égalité avec les parlementaires en ce qui concerne l'initiative des lois puisse dépendre d'une autorité autre que le Gouvernement, puisque le Gouvernement a compétence pour déposer des projets de loi. C'est à lui seul qu'il appartient de faire courir le délai qui découle de cet acte.
Donc, il n’ a pas de doute, en ce qui le concerne, sur le point de savoir que le dépôt a bien eu lieu le 7. En ce qui concerne la date même de la disuussion et du vote, c'est-à- dire le 22 ou le 23 avril, M. CHATENET se demande pour quelle raison, on a pu choisir le 22 avril.
M. GOGUEL répond que c'est par simple inadver- tance .
M. CHATENET poursuit donc son raisonnement en indiquant qu'il est conscient que ses remarques ne seront pas juridiquement irréfutables. Il lui semble, en effet, que si le Conseil devait déclarer la loi organique irrégulièrement votée pour le manque d'un jour de délai dans ce cas ou particuliè- rement, comme il ressort des débats jusqu'à présent, ce délai est fort difficile à compter. L'opinion publique, pour ne pas dire les juristes, aurait sans doute beaucoup de mal à comprendre la décision.
Nous savons, dans ce cas particulier, qu'il n'y a eu à l'origine de cette difficulté sur le délai aucune manoeuvre dont on pourrait penser qu'elle avait pour but de porter atteinte au droit des parlementaires. Est-il vraiment nécessaire, dans ces conditions, de faire preuve d'une grande rigueur sur cette question de procédure? M. CHATENET souligne, en fait, que même si la séance du 22 n'a pas été levée à minuit, il est néanmoins certain, par la simple lecture du journal des débats, que la discussion et le vote n'ont commencé que le 23 au matin. Il s'agit vraiement d'un cas limite et d'une erreur de pure inadvertance. Néanmoins, M.CHATENET précise que ces arguments sont plus de moralité, d'opportunité, que d'un juridisme inattaquable.
M. BROUILLET rejoint M. CHATENET sur la notion de dépôt à la date de l'enregistrement. C'est la seule date qui, justement pour le bon ordre des délais, soit certaine. L'indétermina- tion des autres dates apparaît d'ailleurs par la différence de la pratique des rattachements pour ordre à l'Assemblée nationale et au Sénat.
M, GOGUEL remarque, à ce sujet, qu'entre les sessions, la date d'arrivée aux services du Président est indiquée dans la publication et ceci afin de faire jouer les délais.
M. BROUILLET rejoint également M. CHATENET dans sa seconde considération d'opportunité. Il remarque, d'ailleurs, que pour les fins de session, les heures de séance font apparaître des infractions importantes qu'il n'est jamais venu à l'esprit de personne de considérer comme viciant le vote des lois adoptées* passé minuit.
M. GOGUEL estime, après avoir entendu ces divers arguments, qu'il convient de considérer cette loi organique comme valide mais qu'il ne faudrait alors, dans la décision, donner aucun détail de façon à ne pas fixer trop nettement la théorie concernant notamment les fins de session. Il convient également, à son avis, d'informer des difficultés rencontrées au sujet de cette loi, les présidents des assemblées, tout particu- lièrement celui du Sénat, et le Premier Ministre afin qu'ils aient bien conscience du problème des délais et qu'ils agissent à l'avenir avec plus de rigueur.
M. GOGUEL admet effectivement, quant au fond, qu'il serait ridicule de s'opposer à la promulgation de ce texte pour une raison de pure forme, conséquence d'une simple inadvertance où il est impossible de voir une manoeuvre quelconque.
MM. SAINTENY et REY opinent dans le même sens.
M. le Président indique, en ce qui le concerne, qu'il aurait tendance à être plus sévère sur la forme. Dans cette affaire, il y a beaucoup de légèreté tant de part du Gouvernement que de celle du Sénat. Si la question se pose sur une loi comportant des difficultés de fond, il conviendrait certainement de sanctionner l'irrégularité, mais ici le terrain pour une saction apparaît vraiment très mauvais car il est impessible de voir quelle difficulté de fonS peut poser la loi soumise à l'examen du Conseil. Une décision de non conformité donnerait certainement l'impression que le Conseil constitutionnel veut jouer au maître d'école tatillon. C’est pourquoi, en fin de compte, le Président, lui aussi,se rallie à l'opinion de la majorité.
S'il est bien d'accord avec M. DUBOIS pour estimer que l'on doit signaler la difficulté au Premier Ministre et aux Présidents des assemblées, il lui apparaît, peut être, que le faire par lettre risque de présenter en pleine lumière des questions délicates de délai et de donner,finalement, une trop grande portée à l'appréciation qui serait rendue en matière notamment de choix pour la dte d'un vote entre le rattachement à la séance ouÙ.'heure auxquelles le vote à été rendu.
M. SAINTENY suggère que la lettre dont il s’agit ne soit pas une lettre aux services, mais une lettre personnelle au Premier Ministre.
M. DUBOIS n’est pas d’accord avec cette solution car une lettre personnelle ne restera pas dans les archi- ves du Gouvernement et on courra, à nouveau, le risque de voir une loi organique traitant des questins de fond fort importantes, présenter les mêmes difficultés de délai que celle qui est soumise aujourd'hui au Conseil.
M. BROUILLET propose plutôt que de faire une lettre à l'occasion de la présente affaire, de présenter, à la fin de la session au cours de laquelle le Conseil a été amené à examiner plusieurs lois organiques, un petit rapport sur les difficultés qui peuvent apparaître en cette matière et,notamment, d'indiquer les interprétations qui paraissent les meilleures dans cette matière de procédure et de délai.
Cette proposition reçoit l'accord des membres du Conseil.
Le Conseil estime qu'il convient de valider le projet de loi organique qui lui est soumis.
M. le Président invite le rapporteur à lire celui de ses projets qui adopte cette solution.
Le projet est adopté sans modification.
Avant de lever la séance, le Président indique au Conseil que dans ha saisine sur la loi relative à lia modifica- tion du statut des fonctionnaires, les députés du parti socialiste ont écrit :
"Nous chargeons Maître Arnaud LYON-CAEN, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, de nous représenter auprès de vous dans la procédure de cette affaire".
Ensuite Maître Arnaud LYON-CAEN a téléphoné aux services du Conseil pour indiquer qu'il se considérait comme constitué et demander en quoi exactement devait consister son rôle.
Il apparaît très certain que l’article 61 de la Constitution qui donne le pouvoir de saisine à soixante parle- mentaires donne ce pouvoir intuitu personnes aux représentants élus de la Nation qui, en vertu des principes les plus sûrs du droit public, ne peuvent pas déléguer les pouvoirs quitetrsont ainsi attribués, d'autre part,quand le Conseil statue en examan de conformité à la Constitution, il ne s'agit pas d'une activité juridictionnelle et il n’y a donc pas de représentation possible dans ce domaine.
Enfin, le Conseil constitutionnel auquel aucune procédure particulière n'est imposée par les textes, est donc maître de sa procédure. C'est pourquoi le Président, quant à lui, estime qu'il n'y a pas lieu de donner suite à cette demande de représentation.
M. DUBOIS se dit tout-à-fait d'accord avec ce que vient d'exposer M.le Président.
M. CHATENET souligne que dans cette affaire, parler de recours est un simple abus de langage, il n'y a évidemment pas de "parties". On se demande bien, en effet, qui serait défendeur puisque la loi dont il s'agit d'apprécier la constitutionnalité est l'oeuvre commune des assemblées et du Gouvernement.
On conçoit très mal qui serait en procès avec soixante des membres de l‘Assemblée nationale. Il convient certaine- ment de répondre de suite et d'une façon définitive car si quelqu'un d'autre que les autorités désignées limitativement par l'article 61 de la Constitution pouvait se faire entendre dans le cas de cette saisine il s'agirait, à l'évidence, d'un abus de procédure.
Ces opinions recueillent l'accord de l'ensemble du Conseil.
La séance est levée à 17 h.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.