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PV1976-07-15 Melvyn GEORG


SEANCE DU 15 JUILLET 1976

La séance est ouverte à 15 heures. Tous les membres du Conseil étant présents à l’exception de M. SAINTENY, excusé.

M. le Président annonce l’ordre du jour qui comprendra l'examen des affaires suivantes :

1°) En application de l'article 61 de la Constitution, examen de la conformité à la Constitution de la loi modifiant l'ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut des fonctionnaires.

2°) En application du même article, examen de la conformité à la Constitution de la loi organique modifiant l'article L.O. 274 du code électoral relatif à l'élection des sénateurs dans les départements.

3°) Examen de la compatibilité avec son mandat de sénateur des fonctions d'administrateur délégué, Vice-Président d'une société d'H.L.M. du sénateur Roger BOILEAU (application de l'article 20 de l'ordonnance n° 58-998 du 21 octobre 1958).

4°) Examen du recours formé par Mademoiselle AUBIN contre l'élection d'un député dans la première circonscription d'Indre et Loire le 9 mai 1976.

M. le Président indique que pour pouvoir traiter l'ensemble de ces affaires aujourd’hui, il propose qu'avant la dernière affaire, le Conseil suspende sa séance plénière de façon à permettre la réunion de la section présidée par M. MONNERVILLE sur l’avis de laquelle le Conseil pourra ensuite examiner au fond le recours de Mademoiselle AUBIN, puis il donne la parole à M.GOGUEL qui présente le rapport ci-après sur le statut général des fonctionnaires :


La loi portant modification de l’ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, qui a été déférée le 2 juillet au Conseil constitutionnel, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution par soixante trois députés (socialistes et radicaux de gauche) dans des conditions qui rendent recevable cette saisine, a été adoptée définitivement par l'Assemblée nationale et le Sénat le 30 juin dernier.

Cette loi trouve son origine dans un projet de loi déposé devant le Sénat le 18 septembre 1975 (n° 509). Le Sénat l’a adoptée en première lecture le 19 novembre 1975, sur rapport (n° 59) de M. Pierre SCHIELE. Saisie de ce texte, le 20 novembre, l’Assemblée nationale, sur rapport (n° 2216) de M. BURCKEL, l’a adopté avec modifications dans sa deuxième séance du 30 avril 1976. Statuant en deuxième lecture, le Sénat toujours sur rapport (n° 316) de M. SCHIELE, l’a adopté avec de nouvelles modifications le 3 juin 1976. L’Assemblée nationale, sur rapport (n° 2346) de M. BOUVARD, l'a adopté en deuxième lecture au cours de sa deuxième séance du 30 juin, de nouveau avec modifications. Enfin le Sénat, statuant en troisième lecture, sur rapport verbal de M. JOZEAU-MARIGNE, l’a adopté conforme le même jour.

C'est dire que, si l'accord des deux Chambres du Parlement a été finalement réalisé, il a fallu pour cela plusieurs navettes, qui ont comporté un examen attentif du texte dont il s'agit.

Ce texte modifie l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, ordonnance qui, depuis 17 ans, a été modifiée à plusieurs reprises par la voie des lois votées par le Parlement.

La matière régie par cette ordonnance relève du domaine de la loi, en application de l'article 34 de la Constitution, aux termes duquel "la loi fixe... les règles concernant... les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat".

Mais le statut des fonctionnaires, en dehors de ces garanties fondamentales, résulte également de textes réglementaires : l'article 2 de l'ordonnance du 4 février 1959 dispose en effet "Des décrets en Conseil d'Etat portant statuts particuliers précisent, pour le personnel de chaque administration ou service... les modalités d’application de la présente ordonnance".


Ces statuts particuliers, ainsi que les arrêtés éventuellement pris pour leur application, doivent naturellement respecter les garanties fondamentales définies dans l'ordonnance. Dans le cas contraire, ils peuvent être éventuellement annulés par les juridictions administratives.

Le projet de loi qui a abouti à la loi votée définitivement par les deux Chambres du Parlement le 30 juin dernier, et aujourd’hui soumise à l'examen du Conseil constitutionnel trouve précisément son origine dans de telles annulations.

Annulation non pas de statuts particuliers pris par décrets en Conseil d'Etat, mais bien d'arrêtés intervenus pour l'application de ces statuts.

Il s'agit :

- d'un arrêté du 27 avril 1971, du Ministre des Transports et du Secrétaire d'Etat à la Fonction publique, pris pour l'application des articles 16 et 17 du décret du 15 janvier 1962 portant statut des techniciens de la météorologie. Cet arrêté a été annulé par le Conseil d'Etat le 19 juin 1974.

- d'un arrêté du 5 novembre 1969, du Ministre des Transports pris en exécution d'un arrêté du 5 avril 1969 pris lui-même pour l'application du décret du 25 février 1969, du Premier Ministre, fixant, à titre exceptionnel, des modalités particulières d'accès au corps des adjoints administratifs, des commis, et des sténodactylographes des administrations centrales et des services extérieurs.

Le Tribunal administratif de Paris, par un jugement en date du 11 décembre 1973 n'a pas annulé l'arrêté de principe du 5 avril 1969, mais bien l'arrêté du 5 novembre 1969, par lequel, à la suite d'une procédure établie par l’arrêté du 5 avril, avaient été nominativement déclaré aptes aux emplois d'adjoint administratif à l'administration centrale et de commis administratifs des services extérieurs et techniques du Secrétariat général à l'Aviation civile un certains nombre de sténodactylographes et agents de bureau de l'administration centrale et des services extérieurs de ce secrétariat général.


Les cas sont donc, vous le voyez, légèrement différents : dans le premier, l'arrêté annulé par le Conseil d’Etat fixe une procédure. Dans le second, l'arrêté annulé par le Tribunal administratif de Paris prononce des nominations. Mais il est annulé parce que la procédure antérieurement définie par un autre arrêté - lequel n’a pas été attaqué - est jugée irrégulière.

Les conséquences, cependant, sont les mêmes : toute décision individuelle prise sur la base d'arrêtés analogues pris pour l'application des statuts particuliers fixés par décret encourt désormais le risque d'être annulée.

Et, comme un certain nombre d'autres statuts particuliers fixés par décret (dix-sept, selon une note annexée au rapport n° 59 de M. SCHIELE) comportent des dispositions analogues à celles des arrêtés annulés, la portée de l'arrêt du Conseil d'Etat du 19 juin 1974 et du jugement du Tribunal administratif de Paris du 11 décembre 1973 déborde singulièrement les cas particuliers à propos desquels ces décisions ont été rendues.

Quels sont les motifs du Conseil d'Etat et du Tribunal administratif de Paris ?

Pour le comprendre, il faut analyser certaines dispositions des articles 19 et 28 de l’ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, laquelle, je le rappelle, définit, aux termes de l'article 34 de la Constitution, "les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils... de l'Etat".

L'article 19 traite, entre autres, dans son texte actuel, des procédures selon lesquelles les fonctionnaires ayant les aptitudes nécessaires peuvent accéder à des catégories hiérarchiquement supérieures à celle à laquelle ils appartiennent.

Cet accès peut se faire, selon l'article 19 "suivant l'une des modalités ci-après ou suivant l'une et l'autre de ces modalités :

1° - Des concours distincts sont ouverts, d'une part, aux candidats justifiant de certains diplômes ou de l'accomplissement de certaines études, d'autre part aux candidats fonctionnaires ou aux agents en fonctions ayant accompli une certaine durée de services publics.


2° - Des concours sont réservés aux fonctionnaires, ayant accompli un temps de service déterminé et, le cas échéant, reçu une certaine formation".

Mais le dernier alinéa de l’article 19 prévoit une autre modalité que le concours. Il dispose, en effet, que les règlements propres à chaque administration ou service "peuvent, à titre exceptionnel et en vue d’assurer aux fonctionnaires de certains corps le développement normal de leur carrière, autoriser cet accès (il s’agit de l'accès aux catégories hiérarchiquement supérieures mentionnées à l'avant-dernier alinéa) soit par voie d'examen professionnel, soit par voie d'inscription à un tableau d'avancement."

Or l'article 5 de l'arrêté du 30 avril 1969 du Ministre des Transports, disposait : "les examens professionnels prévus au présent arrêté consistent en l’examen des dossiers des candidats par le jury. Celui-ci peut entendre les candidats lorsqu'il l'estime nécessaire".

Le Tribunal administratif de Paris, à juste titre, selon mon opinion, a considéré que "l'examen des dossiers sans que le jury soit obligé d'entendre les candidats avant d'arrêter la liste d'admission ne saurait être regardé comme constituant l'examen professionnel prévu par l'ordonnance du 4 février 1959" et c'est la raison pour laquelle il a annulé les nominations arrêtées à la suite de cette procédure illégale.

Comme vous le voyez, c'est la notion d'examen professionnel qui est ici en cause.

Examinons maintenant l'article 28 de l'ordonnance du 4 février 1959 et l'arrêt du Conseil d'Etat du 19 juin 1974.

L'article 28 ne traite pas des procédures d'accès des fonctionnaires à une catégorie hiérarchiquement supérieure, mais de leur avancement de grade au sein de la catégorie à laquelle ils appartiennent.

Cet avancement, dispose-t-il, a lieu :

"1° soit au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement établi après avis de la commission administrative paritaire, par appréciation de la valeur professionnelle des agents ou après une sélection professionnelle réalisée sur épreuve par voie d'examen ou de concours ;


Soit par sélection opérée exclusivement par voie d'épreuves professionnelles sous forme d'examen ou de concours"

Et l'article 28 ajoute :

"Les décrets portant statut particulier... fixent les principes et les modalités de la sélection et notamment les grades et échelons dont les titulaires sont admis à participer aux épreuves".

Dans le cas des techniciens de la météorologie le décret du 15 janvier 1962, dans son article 16, subordonne l'inscription aux tableaux d'avancement, d'une part, à une certaine durée de services effectifs, d'autre part, à l'obtention de certains brevets.

Le Conseil d’Etat a estimé que les dispositions subordonnant l’inscription au tableau d'avancement à l'obtention des brevets tendaient à organiser une sélection professionnelle, selon les termes de l'article 28 de l'ordonnance et il a considéré que cette sélection professionnelle - qu'elle précédât l'inscription éventuelle au tableau d'avancement ou que ses résultats eussent directement pour effet de permettre l’avancement de grade - "ne pouvait être opérée que par voie d’épreuves."

Or l'arrêté interministériel du 27 avril 1971 disposait dans son article 4 : "un jury désigné par le directeur de la météorologie arrête le liste des techniciens aptes à percevoir le brevet" et dans son article 7 "Pour l'établissement des propositions susmentionnées le jury est obligatoirement saisi d'un rapport spécial émanant des chefs hiérarchiques de l'intéressé... Le jury examine les dossiers individuels des techniciens et tient compte de leur capacité professionnelle et de la compétence dont ils ont fait preuve dans leur emploi et dans les emplois qu'ils ont occupés".

Le Conseil d'Etat a considéré que la sélection professionnelle ainsi organisée était autre que celle "consistant en des épreuves, prévue à l'exclusion de toute autre par le 1° du second alinéa de l'ordonnance du 4 février 1959" et que l'arrêté était donc entaché d'illégalité.

La sélection professionnelle prévue à l'article 28 de l'ordonnance s'analyse donc finalement selon le Conseil d'Etat, comme consistant exclusivement en épreuves : c'est-à-dire qu'elle équivaut à l'examen professionnel prévu à l'article 19.


C'est dans ces conditions que le Gouvernement a déposé au Sénat le projet de loi n° 507.

Ce projet, - indépendamment d'un article premier permettant de constituer au sein des jurys de concours pour le recrutement de fonctionnaires des groupes d'examinateurs, article dont la conformité à la Constitution n'est pas contestée par les auteurs de la saisine, et qui, en effet, ne paraît poser aucun problème - tendait essentiellement à modifier les articles 19 et 28 de l'ordonnance du 4 février 1959 en y introduisant explicitement une disposition aux termes de laquelle tant l'examen professionnel prévu à l'article 19 que la sélection professionnelle prévue à l'article 28 pourrait comporter "en sus des épreuves, l'appréciation par le jury de l'aptitude générale des candidats au vu de leurs dossiers individuels".

Le Sénat, dès sa première lecture, a accepté cette disposition - dont vous remarquez qu'elle ne rendrait pas régulière une procédure comme celle instituée en 1969 au Secrétariat général à l'Aviation Civile, et selon laquelle l'examen professionnel consistait seulement en l'examen des dossiers individuels par le jury, lequel pouvait entendre les candidats lorsqu'il le jugeait nécessaire. Mais le Sénat a modifié la rédaction initiale du projet de loi en écrivant, en ce qui concerne l'accès aux catégories hiérarchiquement supérieures, "L’examen professionnel peut comporter l'appréciation par le jury de l'aptitude générale des candidats sur consultation de leur dossier individuel" et, en ce qui concerne l'avancement de grade "les décrets portant statut particulier... peuvent prévoir, outre des examens ou concours professionnels sur épreuves, la possibilité pour le jury d’apprécier l'aptitude générale des candidats sur consultation de leur dossier individuel".

L’Assemblée nationale, au cours de ses deux premières lectures, n'a pas accepté d'envisager que les jurys puissent consulter les dossiers individuels des candidats.

Le Sénat a persisté dans son point de vue, qu'il a traduit, en 2ème lecture, par l'insertion dans l'article 19 d'un alinéa ainsi rédigé : "Dans tous les cas d'examen professionnel, le jury pourra compléter son appréciation par la consultation des dossiers individuels des candidats", - quant à l'article 28, en 2ème lecture, le Sénat a écrit "Les décrets portant statut particulier peuvent prévoir, outre des examens ou concours professionnels sur épreuves, la possibilité pour le jury de compléter son appréciation par la consultation des dossiers individuels des candidats".

En 3ème lecture, l'Assemblée nationale a accepté


ces rédactions ; ce sont celles qui figurent dans la loi définitivement adoptée le 30 juin et qui font l'objet de la saisine du Conseil constitutionnel.

Le texte invoqué par les signataires de la saisine est - je cite - "l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, reprise et confirmée par le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, et dont le Conseil constitutionnel a affirmé à plusieurs reprises la valeur constitutionnelle".

Aux termes de cet article 6 la loi "doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents".

Pourquoi l'avant-dernier alinéa de l'article 2 de la loi - celui qui modifie l'article 19 de l'ordonnance du 4 février 1959 - serait-il contraire à l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ?

Parce que, dit la saisine "outre que l'anonymat des épreuves ne sera plus respecté, l’égalité entre les candidats se trouvera rompue par le fait que le jury aura la possibilité mais non l'obligation de consulter les dossiers individuels. Et comme il est de fait que le jury ne disposera pas du temps matériel (sic) nécessaire pour examiner tous les dossiers individuels, seuls certains candidats bénéficieront - ou pâtiront - de l'examen de leur dossier. En outre, la structure des épreuves sera remise en cause par l'absence de toute pondération de l'examen du dossier individuel par rapport à l’ensemble des autres épreuves".

Cet alinéa de la saisine comporte trois arguments :

1° - L'anonymat des épreuves ne sera plus respecté.

Mais il ne l'est plus dès qu'il y a des épreuves orales, et beaucoup d'examens professionnels ne comportent que des épreuves orales (à la différence des concours). L'anonymat des épreuves d'un examen n'est certainement pas une règle de valeur constitutionnelle.


2° - Le jury n'aura pas l'obligation de consulter les dossiers individuels, et, s'il en consulte, il n'aura pas le temps de les examiner tous.

L'analyse du texte montre en effet que le jury n'aura pas l'obligation de consulter les dossiers individuels. Mais, à mon sens, (et c'est l'interprétation donnée par le Secrétaire d'Etat à la Fonction Publique le 30 juin devant l'Assemblée nationale), s'il décide de les consulter, il aura l'obligation de les consulter tous : le texte ne dit pas "la consultation de dossiers individuels..." il dit "la consultation des dossiers individuels des candidats". L'option initialement consentie au jury par le verbe "pourra" n'existe plus à partir du moment où il a décidé la consultation des dossiers : il doit tous les consulter.

J'ajoute que, selon les indications que j'ai recueillies, le nombre des candidats à un même examen professionnel tourne en général autour d'une centaine, et atteint au maximum deux cents : l'impossibilité initiale de consulter tous les dossiers n'existe donc pas.

L'égalité entre les candidats à un même examen professionnel n'est donc pas rompue : ils seront tous placés exactement dans les mêmes conditions.

Il est vrai cependant que, d'un examen professionnel au suivant, il pourra exister une différence, si le jury décide une fois de consulter les dossiers et une autre fois de ne pas les consulter. Mais il me paraît évident que l'égalité entre candidats requise par la Déclaration des Droits est une égalité entre concurrents, entre candidats à la même session du même examen.

Je ne pense donc pas que l'argumentation des auteurs de la saisine soit fondée ; elle me paraît reposer sur une lecture hâtive du texte de la loi, et non pas sur l'analyse de son sens véritable.

3° - La structure des épreuves sera remise en cause par l'absence de toute pondération de l'examen du dossier individuel par rapport à l'ensemble des épreuves.

Mais il serait véritablement abusif de considérer que l’existence d'un tableau des coefficients, à appliquer aux notes de chaque épreuve d'un examen serait une obligation de nature constitutionnelle. Au surplus, la consultation du dossier


ne doit certainement pas conduire le jury à donner une note chiffrée son rôle est de permettre, par la connaissance du "profil" du candidat, une meilleure appréciation chiffrée de la valeur des épreuves qu’il a subies.

Tout bien pesé l'argumentation qui figure au 2ème alinéa de la page 2 de la lettre de saisine ne me paraît donc pas convaincante.

Le 3ème alinéa de la même page concerne l'article 3 de la loi (article 28 de l'ordonnance). Les arguments sont les mêmes : mes conclusions à leur égard sont donc aussi les mêmes. Mais les auteurs de la saisine ajoutent que la simple possibilité donnée aux statuts particuliers de prévoir que les jurys pourront consulter les dossiers individuels provoque "une inégalité de traitement entre les diverses catégories d'emplois publics". Rien de plus vrai. Mais c'est précisément en raison de la grande diversité des emplois qu'il existe des statuts particuliers. Le statut général définit les garanties fondamentales et ouvre à cet égard diverses options, comme le montre la rédaction des articles 19 et 28 de l'ordonnance : "Suivant l'une des modalités ci-après ou suivant l'une et l'autre de ces modalités". Article 28 : 1° soit... 2° soit... Rien n'est plus évidemment nécessaire : entre les fonctions d'un commis des postes, d'un ouvrier tapissier de la Manufacture des Gobelins et d'un technicien de la météorologie, il y a trop de différences pour qu'il soit concevable que les modalités applicables, soit à leur passage dans une catégorie supérieure, soit à leur avancement de grade, soient identiques. Et le principe de l'égalité devant la loi ne s'applique évidemment qu'à l'intérieur de chacune de ces fonctions.

Autre argument : Les trois derniers alinéas de la page 2 de la lettre de saisine expriment l'idée que contrairement à la loi, les dossiers individuels peuvent comporter des appréciations sur les opinions politiques, philosophiques ou religieuses des candidats, et formulent l'hypothèse que le jury pourrait être amené à en tenir compte en statuant sur les cas qui lui seront soumis.

Cette argumentation qui ne s'appuie que sur une pétition de principe, ne me paraît pas recevable.

Il va de soi que les dossiers individuels consultés par un jury doivent avoir été établis conformément à la loi.

Je suis d’ailleurs bien certain qu'ils le sont, ne serait-ce que parce que ce sont les mêmes que ceux que connaissent les commissions administratives paritaires qui donnent un avis sur les tableaux d'avancement, et qui comportent une moitié d'élus du personnel.

Il est au surplus étonnant que, dans les passages antérieurs de leur texte, les auteurs de la lettre de saisine aient paru regretter que la consultation des dossiers ne soit pas obligatoire, et que dans celui-ci ils y dénoncent le risque de je ne sais quelle chasse aux sorcières...

L'argumentation qui figure en page 3 de la lettre de saisine n'apporte rien de nouveau par rapport à celle de la page 2, sauf qu'elle comporte une confusion entre la notion de concours et celle d'examen, et qu'elle en comporte une autre entre la notion des garanties fondamentales, de nature législative, et qui sont celles définies par une loi qui ouvre à cet égard certaines alternatives, et la notion des modalités d'application qui, dans le cadre de ces garanties fondamentales, sont déterminées par voie réglementaire pour chaque administration ou service. Le juge administratif est là, les circonstances mêmes qui ont provoqué le vote de la loi que nous examinons en témoignent, pour veiller à ce que ces mesures réglementaires respectent les garanties fondamentales. Mais la loi n'a à définir que ces dernières, et c'est ce qu'elle fait.

Les auteurs de la lettre de saisine indiquent enfin (4ème alinéa de la page 3) que la non conformité à la Constitution des articles 2 et 3 de la loi doit entraîner la non conformité à l'article 4, lequel valide rétroactivement, mais à condition qu'elles soient conformes aux nouveaux articles 19 et 28 de l'ordonnance, les mesures réglementaires en vigueur à la date de promulgation de la nouvelle loi ainsi que les mesures individuelles prises pour leur application.

Il est exact que la non conformité à la Constitution des articles 2 et 3 de la loi devrait entraîner celle de l'article 4. Mais, inversement, leur conformité entraîne aussi celle de l'article 4.

Notons au surplus que l'arrêté du 5 avril 1969 du Ministre des Transports selon lequel l'examen professionnel se réduisait à l'examen du dossier des candidats sans obligation pour le jury d'entendre les candidats, n'étant pas conforme au nouveau texte de l'article 19, n'est pas validé par ce texte (bien que les nominations intervenues à la suite de cet arrêté soient validées par l'article 5).

Il n'y a pas lieu de s'étendre sur cet article 5, qui n'est pas contesté, et qui valide rétroactivement les mesures individuelles annulées, ni sur l'article 6, qui prescrit que les statuts particuliers devront être révisés dans un délai d'un an pour être rendus conformes aux nouvelles dispositions du statut général.

Telles sont les raisons pour lesquelles je vous propose de décider que la loi soumise au Conseil constitutionnel n'est pas contraire à la Constitution.

Après quelques demandes de précisions, il est demandé à M. GOGUEL de donner lecture de son projet, lequel est adopté sans modification.

M. le Président donne la parole à M. BROUILLET qui présente le rapport ci-après sur la loi relative à l’élection des sénateurs :

Le Conseil constitutionnel, par lettre de M. le Premier Ministre en date du 6 de ce mois, est appelé, en application de l'article 46, 5ème alinéa et de l'article 61 de la Constitution, à se prononcer sur la conformité à la Constitution de la loi organique modifiant l'article L.O. 274 du code électoral relatif à l'élection des sénateurs dans les départements, adoptée en 3ème lecture par le Sénat dans sa séance du jeudi 15 avril 1976 et en 3ème lecture par l'Assemblée nationale dans sa 3ème séance du mercredi 30 juin 1976.

Le texte dont il s'agit est d'une concision lapidaire puisqu'il s'énonce dans les termes suivants :

Article premier - "L'article L.O. 274 du code électoral est modifié comme suit :

Article L.O. 274 : "Le nombre des sénateurs est de 304 pour les départements."

Article 2 - "Les sièges supplémentaires créés en application des dispositions ci-dessus ne seront pourvus dans chaque département que lors du plus prochain renouvellement de la série dont il fait partie".

Il y a lieu, pour être exact, de préciser que ladite loi organique constitue seulement la pièce principale d'un dispositif plus complexe et qu'elle s'accompagne de deux lois ordinaires, l’une portant modification du tableau n° 6 annexé à l'article L. 279 du code électoral fixant le nombre des sénateurs représentant les départements, l'autre portant modification du tableau n° 5 annexé à l'article L.O. 276 du code électoral relatif à la répartition des sièges de sénateurs entre les séries.

Dans une conception rationnelle de l’organisation des tâches, il eût pu sembler nécessaire, pour ne pas dire indispensable que le Conseil constitutionnel fût appelé à connaître, non pas seulement de la loi organique effectivement soumise à son examen, mais des deux autres lois qui en sont, à tous égards, le corollaire. Tel n’est pas malencontreusement le cas et nous verrons, dans la suite de cet exposé, que cette dissociation des trois éléments du dispositif est précisément la circonstance qui contribue à placer le Conseil constitutionnel devant la plus délicate, pour ne pas dire la seule difficulté qui doive retenir son attention.

Sollicitant par avance l'indulgence des membres du Conseil qui, de par les hautes fonctions qu'ils ont occupées tant au sein du Gouvernement qu'à la tête ou au service de la Haute Assemblée, ont de l'ensemble des données du problème une connaissance beaucoup plus approfondie que la mienne, je m'efforcerai d'aller le plus directement possible à l'essentiel et, dans le cas d'espèce, car ce cheminement sera, à mon sens, le plus éclairant, je vous propose d'examiner succinctement ce qui a trait à la forme et à la procédure, avant de nous arrêter plus à loisir sur ce qui concerne le fond.

I.

Quelques mots, très rapides seulement, sur la forme.

Les règles énoncées par la Constitution, dans le cas qui nous occupe sont celles qui sont formulées, je le rappelle

- d'une part, à l'article 25, 1er alinéa, "une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d'éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités" ,

- d'autre part, à l'article 34 "la loi fixe les règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées locales".

Dès lors que le législateur se proposait de modifier le nombre des membres du Sénat, c'est bien à une loi organique qu'il convenait d'avoir recours et telle est bien la forme du texte législatif soumis à votre examen. La nouvelle répartition du nouvel effectif du Sénat d'une part entre les départements, d'autre part, entre les trois séries de renouvellement de la Haute Assemblée est, au contraire, du domaine de la loi ordinaire.

II.

N'ont pas été moins ponctuellement observées, pour ce qui a trait à la procédure, les conditions fixées par l'article 46 de la Constitution en ce qui concerne le vote et la modification des lois auxquelles la Constitution confère le caractère de lois organiques.

1) Première condition - la loi organique aujourd'hui soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a pour texte originel une proposition de loi organique présentée par MM. CAILLAVET, CHAMPEIX, Jacques DUCLOS, LAUCOURNET, PINTON et VERON, ainsi que par l'ensemble des membres des groupes communiste et socialiste du Sénat, laquelle a été publiée en annexe au P.V. de la séance du Sénat du 29 novembre 1973.

Ladite proposition de loi organique qui a eu pour rapporteur, au nom de la Commission des Lois Constitutionnelles de la Haute Assemblée, M. Etienne DAILLY a été soumise à la délibération et au vote du Sénat, en 1ère lecture, dans sa séance du mercredi 26 juin 1974, soit à une date de beaucoup postérieure (plus de 7 mois et demi) à l'expiration du délai de 15 jours prévu à l'article 46, alinéa 2, de la Constitution.

2) Deuxième condition - celle qui est énoncée au même article 46, alinéa 4, de la Constitution "Les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées".

Modifiée en première lecture par l'Assemblée nationale, dans sa séance du mardi 8 octobre 1974, ainsi que corrélativement les deux propositions de lois ordinaires destinées à faire application de ses nouvelles énonciations, la proposition de loi organique qui nous occupe assortie de ses deux compléments, a fait, en seconde lecture, l'objet d'une navette entre le Palais Bourbon et le Palais du Luxembourg, chacune des deux Assemblées jugeant devoir reprendre pour l'essentiel à quelques détails près : le Sénat, dans sa séance du mercredi 16 octobre 1974, l'Assemblée nationale, dès le lendemain, dans la 2ème séance du jeudi 17 octobre 1974 le texte ou plus exactement les textes adoptés par elle en première lecture.

La proposition de loi organique et les deux propositions de lois ordinaires corrélatives ont trouvé enfin leur formulation définitive lors de leur examen, dix huit mois plus tard, le 15 avril 1976, en 3ème lecture par le Sénat qui s’est rallié, pour l'essentiel, et sous réserve, pour ce qui concerne la première des lois ordinaires, des aménagements rendus nécessaires par les nouvelles circonstances intervenues, qui s'est rallié, dis-je au texte, ou plus exactement aux trois textes de l'Assemblée nationale et les a adoptés, le premier d'entre eux par 262 voix sur 262 votants.

L'Assemblée nationale a sanctionné elle-même de son approbation les trois textes dont il s'agit, lors de l'examen qu'elle en a fait, à son tour, en 3ème lecture, dans sa 3ème séance du mercredi 30 juin 1976, quelques heures avant la clôture de sa session ordinaire dans le respect, par conséquent, en ce qui concerne la proposition de loi organique, des dispositions de l'article 46, 4ème alinéa, précité de la Constitution.

III.

Venons maintenant, toujours aux fins de satisfaire à la mission confiée au Conseil constitutionnel en application de l'article 46, 5ème alinéa et de l'article 61 de la Constitution, à la tâche qui va nous mettre en présence de la seule difficulté que nous ayons à rencontrer dans cette affaire, à savoir l'examen de la conformité à la Constitution du texte qui nous est soumis en ce qui concerne le fond.

I. - Ce que je viens de dire succinctement de la procédure vous a donné une première notion de ce fait que s'est institué sur le sujet qui nous occupe, durant près de deux ans, une sorte de chant amoebée, pour ne pas dire de dialogue de sourds, procédant de deux manières différentes d'apprécier la signification et la portée de deux principes posés par la Constitution.

- le premier formulé à l'article 3, 3ème alinéa "Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. "

- le second formulé à l'article 24, 3ème alinéa "Le Sénat est élu au suffrage indirect, il assure la représentation des collectivités territoriales de la République", à savoir, aux termes de l'article 72, 1er alinéa "les Communes, les départements, les territoires d'outre-mer."

Dans l'esprit des membres de la Haute Assemblée, auteurs de la proposition de loi organique qui est devenue le texte soumis à notre examen, comme dans celui de sa Commission des Lois Constitutionnelles et notamment de son rapporteur M. Dailly, le principe de l'égalité du suffrage posé à l'article 3 de la Constitution et qui est, soulignent les auteurs de la Constitution, un corollaire de cet autre principe, posé tant dans le Préambule, qu'à l'article 2 de la Constitution, à savoir celui de l'égalité du citoyen, ce principe, dis-je, de l'égalité du suffrage postule, de la part du législateur, une redistribution des sièges sénatoriaux entre les départements, en fonction des variations qu'enregistrent objectivement les recensements.

Mais, au lieu que dans l'esprit des auteurs de la proposition, ce principe, entendu dans cette acception, de l'égalité du suffrage, doit être combiné avec l'autre principe constitutionnel, celui de la représentation des collectivités territoriales de la République et même, dans cette combinaison, doit passer, en quelque sorte, au second rang après cet autre principe, venant seulement, est-il précisé dans l'exposé des motifs de la proposition de loi "tempérer ce que le principe précédent aurait d'antidémocratique dans ses conséquences", dans l'esprit de la Commission des Lois Constitutionnelles du Sénat et notamment de son rapporteur M. DAILLY, le principe de l'égalité du suffrage a tendu, plus ou moins consciemment, à prendre le pas sur celui de la représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République. D'où l'idée qui a trouvé son expression dans la nouvelle rédaction de la proposition de loi organique substituée par la Commission des Lois Constitutionnelles du Sénat à celle des auteurs de la proposition et qui a pour effet de substituer à la fixation par le législateur d'un nombre déterminé de membres du Sénat, un système de révision automatique faisant varier l'effectif du Sénat en fonction de l'évolution démographique.

Dans l'esprit de la Commission des Lois Constitutionnelles de l'Assemblée Nationale, au contraire, outre qu'il n'est pas évident que le principe de l'égalité du suffrage doive être interprété comme postulant l'existence d'une stricte égalité de représentation entre les circonscriptions et qu'il y a lieu, à tout le moins, de s'interroger sur le point de savoir si ne doit pas lui être attribué le sens d'une interdiction du vote plural, il convient certes de donner ses soins à une amélioration de la représentativité du Sénat. Mais c'est à condition, comme le voulaient les auteurs mêmes de la proposition sénatoriale de loi organique, de sauvegarder, par priorité, la lettre et l'esprit de l'article 24 de la Constitution, aux termes duquel le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Et en préférant, corrélativement, à un système de révision automatique de l'effectif de la Haute Assemblée, qui eut impliqué, en la matière, un véritable dessaisissement pour l'avenir du Parlement, en préférant, dis-je, à ce


système de révision automatique, le maintien d’une intervention expresse, à chaque fois, du Parlement pour la fixation du nombre des membres de l'une et l'autre des Assemblées parlementaires.

C'est en définitive, comme vous le savez, la manière de voir de la Commission des Lois Constitutionnelles de l'Assemblée Nationale qui a prévalu, nonobstant le regret exprimé à la tribune du Sénat que "l'Assemblée Nationale ait fort malencontreusement remis en cause la vieille règle de courtoisie voulant que les membres d'une Assemblée du Parlement ne se préoccupent pas du système électoral de l'Autre Assemblée".

II. - Voyons maintenant, si vous le voulez bien, de plus près, la substance et comment les choses se sont passées.

1) un bref rappel, pour commencer, de la teneur des textes actuellement en vigueur pour ce qui concerne la composition du Sénat. Ces textes, sous réserves des modifications et compléments qui leur ont été apportés par les ordonnances n° 59-239 du 4 février 1959 et n° 62-737 du 3 juillet 1962, ainsi que par la loi organique n° 66-503 du 12 juillet 1966, continuent d'être les ordonnances n° 58-1097 et 58-1098 du 15 novembre 1958 lesquelles, sous réserve d’un certain nombre de retouches inspirées notamment du souci de tenir compte des données démographiques fournies par le recensement de 1954, sont, elles-mêmes, pour l'essentiel une reconduction du dispositif institué par la loi du 23 septembre 1948 relative à la composition et à l'élection du Conseil de la République.

Au sein d'une assemblée de 308 membres, dont 34 sièges sont attribués aux départements algériens et sahariens, les 274 autres sièges, (283 après la réforme de la Région Parisienne de 1966) vont à raison de :

255 (264 après la réforme de 1966) aux départements métropolitains. 271 après la loi organique n°76-98 du 31 janvier 1976 unifiant départements et D.O.M.

7 aux D.O.M.

6 aux T.O.M.

et 6 aux Français de l'Etranger


Au lieu toutefois que la loi du 23 septembre 1948 après avoir fixé en son article 1er, des chiffres peu différents pour ce qui concernait l'effectif total du Conseil de la République énonçait explicitement, en son article 5, la clé de répartition en fonction de laquelle était calculé le nombre de Conseillers de la République de chaque département : à savoir 1 siège jusqu'à 154.000 habitants - 1 siège supplémentaire ensuite par tranche de 250.000 habitants ou fraction de cette tranche, l'ordonnance n° 58-1098 pour sa part, ne fait rien autre que se référer au tableau qui lui est annexé, donnant la répartition de l'effectif du Sénat entre les départements, mais sans fournir la moindre indication sur le mode de calcul qui a été retenu pour l'établissement de cette répartition. C'est seulement par une brève énonciation figurant à la page 12 de la Note n° 2750 de la série "Notes et Etudes documentaires" de la Direction de la Documentation française, qu'il nous est permis de savoir que "la répartition des sièges métropolitains a été faite en attribuant un représentant à tous les départements dont la population municipale totale est inférieure à 150.000 habitants, un siège de plus a été donné par tranche de 250.000 habitants ou fraction de cette tranche".

2) Telles quelles cependant, les règles fixées en 1958 n'ont pas manqué d'apparaître assez vite comme appelant à leur tour de nouveaux aménagements pour tenir compte notamment des mutations de plus en plus importantes survenant dans l'ordre démographique, eu égard non seulement à l'accroissement de population enregistré momentanément dans notre pays au cours des 15 ou 20 dernières années, mais au mouvement toujours plus accusé de migration des habitants des campagnes vers les villes.

J'évoque, pour mémoire, faisant écho au discours du Président MONNERVILLE du 6 octobre 1965, l'une des propositions de lois organiques déposées par le sénateur Edouard BONNEFOUS sur le bureau du Sénat le 12 novembre 1965. J'évoque également, dans le même sens, la proposition PRELOT du 4 octobre 1968, votée sans modification par le Sénat le 19 décembre 1968.

Après que MM. Jacques DUCLOS et Robert LIOT aient, à nouveau, au Sénat, soulevé le problème dans deux questions écrites de 1971, MM. CAILLAVET, CHAMPEIX, DUCLOS, LAUCOURNET, PINTON, VIRON et les membres des groupes communiste et socialiste du Sénat ont pris l'initiative de déposer le 30 juin 1971, sur le bureau de la Haute Assemblée une proposition de loi organique tendant à porter de 264 à 286 le nombre des sénateurs pour les départements de la Métropole. Restée alors sans suite, cette proposition de loi organique assortie de deux propositions de lois ordinaires portant modification des tableaux de répartition du nombre des sièges de sénateurs d’une part entre les

départements, d'autre part, entre les séries, a été reprise par les mêmes auteurs 2 ans et demi plus tard et déposée, sur le bureau du Sénat, le 29 novembre 1973. C'est elle qui constitue, si je puis dire, le substrat du texte que nous examinons aujourd'hui.

3) Invoquant le principe de l'égalité du suffrage tout en reconnaissant qu'il y a lieu de le combiner avec celui de la représentation des collectivités territoriales, les auteurs de la proposition "sans remettre en cause les équilibres sur lesquels reposent les structures actuelles du Sénat, mais se bornant à faire application des critères retenus, disent-ils, en 1948, 1958 et 1966 en donnant, pour leur part, la préférence au chiffre de base de 150.000 habitants au lieu de 154.000 pour l'attribution du premier siège, constatent que le nombre des sénateurs de quelque 20 départements ne correspond pas à la nouvelle réalité démographique du pays et, retenant qu'il y a lieu de créer 22 nouveaux sièges de sénateurs métropolitains, proposent de porter de 264 à 286 le nombre des sénateurs des départements de la Métropole.

Cette proposition, selon toute vraisemblance, aurait eu toute chance de connaître un cheminement plus rapide si, au lieu de l'avaliser telle quelle, la Commission des Lois Constitutionnelles du Sénat qui avait désigné comme rapporteur M. Etienne DAILLY, n'avait préféré la transformer profondément, dans son économie, en substituant à la fixation d'un nouveau nombre de sénateurs "mesure ponctuelle basée sur les chiffres déjà dépassés du recensement de 1968", la législation à titre définitif de la clé de répartition fixée par la loi de 1948, à savoir l'attribution d'un siège de sénateur par département jusqu'à 154.000 habitants et ensuite un siège supplémentaire par 250.000 ou fraction de 250.000, étant spécifié par conséquent que le Gouvernement n'aurait plus à l'avenir qu'à "constater" par décret dans le mois suivant la publication des résultats de chaque recensement général, la nouvelle répartition des sièges de sénateurs qui en résulte.

Le fait de retenir le chiffre de base de 154.000 au lieu de 150.000 conduit la Commission des Lois Constitutionnelles et son rapporteur à ne pas accorder de siège supplémentaire à l'Ille et Vilaine et au Lot. En revanche, la Commission et son rapporteur, faisant application du même critère aux départements d'outre-mer concluent à la création d'un nouveau siège de sénateur à La Réunion.

Tel quel, le nouveau texte proposé au nom de la Commission par le rapporteur, non plus que les deux propositions de lois corrélatives n'ont pas donné lieu, devant le Haute Assemblée, lors de sa séance du 26 juin 1974 à un véritable débat. Le Ministre de l'intérieur a déclaré donner son accord au dispositif proposé et sans prendre l'engagement, comme l'eut souhaité le rapporteur, que le texte serait inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire de l'Assemblée Nationale, en telle sorte que les nouvelles dispositions puissent trouver application lors du renouvellement triennal du Sénat de septembre 1974, il a déclaré qu'il se ferait le défenseur actif de cette inscription.

Du bref échange de propos qui s'est institué notamment entre le rapporteur et M. CHAMPEIX, sénateur de la Corrèze, ainsi que M. MOREIGNE, sénateur de la Creuse, je retiens simplement - car ce point aura son importance dans la suite de notre examen - que l'adoption de cette clé de répartition, si elle a pour effet de postuler, sur la base des résultats du recensement de 1968, la création, comme il a été dit, de 21 nouveaux sièges, ne comporte dans l'immédiat, aucune officialisation législative ou réglementaire de cette mesure. Elle n'officialise, non plus, dans l'immédiat aucune suppression de sièges, dès lors que comme il est indiqué au troisième alinéa tant du nouvel article 1er que du nouvel article 2 de la proposition de loi "Le nombre des sièges résultant des dispositions du présent article est constaté par décret dans le mois qui suit la publication de chaque recensement général effectué dans ces départements. Il fait l'objet du tableau n° 6 annexé à la partie réglementaire du présent code. Dans chaque département, ce nombre n'est applicable que lors du plus prochain renouvellement de la série dont il fait partie".

Dès lors également qu'il est ajouté à l'article 3, Art. 3 dans la rédaction DAILLY :

"En vue de l'application des deux articles qui précèdent au renouvellement triennal de 1974, le nombre des sièges résultant du dernier recensement général dont les chiffres ont été rendus publics, intervenu en mars 1968, sera constaté par décret dans les 15 jours qui suivront la publication de la présente loi".

La Creuse, par conséquent, à laquelle le recensement de 1968 attribue une population de 156.876 habitants et n’est comprise, au surplus, que dans la série renouvelable en 1980 conserve, quant à présent, ses 2 sièges. La Ville de Paris, à laquelle le même recensement de 1968 attribue une population


de 2.590.771 habitants et se trouve comprise dans la série renouvelable en 1977, devrait sauf officialisation d'ici cette date de chiffres nouveaux, voir sa représentation réduite de 12 à 11 sièges. Le rapporteur admet expressément cette éventualité.

Répondant à M. CHAMPEIX qui avait soulevé la question "Mais il y a des départements où vous en supprimez", M. DAILLY avait répondu :

"Nous n'en sommes pas du tout là. Pour l'instant nous ne supprimons rien nulle part... Après le recensement de 1975, 2 sièges seront sans doute effectivement supprimés. Mais, pour l'instant, aucune suppression n'est envisagée. Et encore faut-il noter que si ces suppressions viennent à se produire, elles ne porteraient pour un siège, Paris que sur le renouvellement de 1977, et pour l'autre, la Creuse que celui de 1980. Dans l'immédiat, par conséquent, les choses restent ce qu'elles sont.

De la suite du propos de M. DAILLY, il résulte que si aucune diminution de la représentation de tel ou tel département n'est quant à présent édictée, il n'en reste pas moins que pareille diminution sera une conséquence logique et naturelle du système adopté. "Il est peut-être désolant qu'il y ait en 1977 un sénateur de moins à Paris et en 1980 un de moins dans la Creuse. Mais ce que nous cherchons à faire, ce n'est pas de créer des sièges de sénateur, c'est de faire en sorte que la représentation sénatoriale suive d'aussi près que possible l'évolution démographique du pays... Il faut savoir ce qu'on veut".

4) Le texte adopté par le Sénat n'a pu venir en discussion devant l'Assemblée Nationale lors de la réunion extraordinaire de juillet 1974 de telle sorte que les nouvelles dispositions édictées puissent trouver application lors du renouvellement triennal de septembre 1974. Le dispositif retenu par la Haute Assemblée, a suscité, en fait, devant la Commission des Lois Constitutionnelles du Palais Bourbon de très vives critiques, critiques qui ont trouvé leur expression de manière très complète dans le rapport de M. RAYNAL en date du 20 octobre 1974 et qui ont été renouvelées par ce dernier à la tribune de l'Assemblée lorsque celle-ci a procédé à l'examen de la proposition de loi au cours de sa séance du 8 octobre 1974.

Les critiques portant dénonciation tant des inconvénients de principes que des inconvénients pratiques du système retenu sont formulées essentiellement à l'encontre du parti adopté de poser solennellement dans la loi organique la règle que la représentation des collectivités territoriales au sein


du Sénat est directement fonction de leur population, cela en vertu d'une interprétation contestable du principe de l'égalité du suffrage universel - lequel dans l'esprit du rapporteur s'analyse essentiellement comme une interdiction de vote plural - et en méconnaissance également de la lettre et de l'esprit de l'article 24 de la Constitution aux termes duquel le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République, en méconnaissance enfin de la règle posée à l'article 25 de la Constitution selon lequel une loi organique fixe le nombre des membres de chaque Assemblée.

Considérant que la modification périodique par voie législative du nombre des sièges sénatoriaux, outre qu’elle ne dépossède pas le Parlement de l'une de ses prérogatives fondamentales lui permet aussi de veiller à ce que la clé de répartition adoptée n'ait pas pour effet de priver certains départements d'une représentation à laquelle ils ont de bonnes raisons d'être attachés, la Commission compétente de l'Assemblée Nationale a préféré revenir à la formule retenue par les auteurs mêmes de la proposition MM. CAILLAVET, CHAMPEIX et DUCLOS, à savoir la fixation d'un nouveau nombre de sénateurs. Prenant, comme eux, comme chiffres de base, celui de 150.000 habitants, elle a été conduite, de ce fait à rendre ainsi que le prévoyaient initialement les auteurs de la proposition de loi, un siège supplémentaire aux départements du Lot et de l'Ille et Vilaine et à se prononcer, par conséquent, en faveur de la création de 23 nouveaux sièges sénatoriaux.

Je note qu'en évoquant à la 1ère et à la 2ème page de son rapport le système d'indexation retenu par la Commission Sénatoriale et le Sénat, le rapporteur M. RAYNAL, après avoir indiqué que le système aurait pour effet de porter de 283 à 304 le nombre des sénateurs, ajoute : "Une diminution de leur représentation n'interviendrait, dans un avenir relativement proche, que pour Paris et le département de la Creuse, et elle ne prendrait effet, en tout état de cause qu'après le prochain recensement ".

La discussion a été plus brève encore qu'au Sénat. Le Ministre de l'Intérieur qui, au Palais du Luxembourg, le jour précédent, avait donné son accord au texte sénatorial, a déclaré cette fois "pencher en faveur de la solution retenue par l'Assemblée Nationale". L'Assemblée a donc ratifié corrélativement les conclusions de son rapporteur comme elle a ratifié les deux propositions de lois ordinaires subséquentes avec les deux tableaux qu'elle comporte, et notamment le premier d'entre eux fixant la répartition des 23 nouveaux sièges créés sans qu'il soit, de quelque manière que ce soit, fait mention d'une éventualité de suppression de siège dans l'avenir pour la Ville de Paris non plus que pour la Creuse.

5) C'est, dès la semaine suivante, le mercredi 16 octobre, que le texte adopté en première lecture par l'Assemblée Nationale est revenu , en seconde lecture, devant le Sénat. Le rapporteur de la Commission des Lois Constitutionnelles s'est prononcé en faveur de la reprise du texte adopté par la Haute Assemblée en première lecture, se bornant à suivre l'Assemblée Nationale dans sa décision de retenir comme chiffre de base celui de 150.000 habitants au lieu de 154.000.

Répondant à une intervention de M. ROMAINE, sénateur de la Creuse qui s'alarmait de la prime à la centralisation résultant du dispositif adopté, M. DAILLY est revenu sur le thème d'une éventuelle diminution de la représentation de certains départements postulée par ce dispositif.

"J'ai rappelé, en première lecture, par souci d'honnêteté, que si l'on tient compte des résultats du dernier recensement général connu, celui de 1968, les dispositions que nous vous proposons aboutissent à retirer lors des élections de 1980 un seul siège de sénateur à un seul département celui de la Creuse. Mais elles auront aussi pour effet de retirer un siège à un autre département celui de Paris, dont les sénateurs sont renouvelables en 1977".

Pour éviter toutefois les conséquences pouvant résulter de la clé de répartition adoptée en ce qui concerne éventuellement la Creuse, le Sénat s’est vu proposer, avec l'accord de la commission, un amendement de M. CHAMPEIX tendant à bloquer les deux tranches de 150.000 et 250.000 habitants et ayant par conséquent pour effet d'attribuer une représentation minimum de deux sièges à tous les départements.

L'un des arguments articulés en sens contraire par M. Dominique PADO, qui a été sans doute le plus déterminant, est celui qui a consisté à faire valoir que la division prévue de la Corse en deux départements (division consacrée officiellement six mois plus tard par la loi du 30 avril 1975) aurait, dans l'hypothèse où l'amendement CHAMPEIX serait retenu, pour effet de porter à quatre sénateurs la représentation de l'Ile de Beauté au Palais du Luxembourg. Après que le Secrétaire d'Etat à l'Intérieur, M. POUDONSON ait marqué qu’il était sans doute dangereux de "trop truffer la volaille" , l'amendement CHAMPEIX a été repoussé. Le Sénat s'est borné à reprendre le texte adopté par lui en première lecture. Il a fait de même pour les deux propositions de lois ordinaires corrélatives.

6) Le texte ainsi repris par le Sénat est revenu, dès le lendemain 17 octobre, en deuxième lecture , devant l'Assemblée nationale. Le rapporteur soulignant qu'aucune urgence ne commandait l'adoption définitive du texte et faisant valoir qu'un recensement général devait être organisé en 1975 dont les résultats permettraient de délibérer en meilleure connaissance de cause, s'est borné, appuyé par le Secrétaire d'Etat, à proposer à l’Assemblée d'en revenir au texte adopté par elle en première lecture et de faire de même pour les deux propositions de lois ordinaires corrélatives. Ainsi a-t-il été décidé.

7) Un intervalle de dix-huit mois s'est écoulé avant que ce texte, ou plus exactement ces textes ne reviennent en troisième lecture devant le Sénat. Dans cet intervalle, avait eu lieu le recensement de 1975 et avaient été publiés ses résultats. C'est la considération sur laquelle se sont fondés la Commission des Lois Constitutionnelles du Sénat et son rapporteur pour proposer à la Haute Assemblée de se rallier au texte de l'Assemblée nationale, en faisant application de la clé de répartition, sur laquelle les deux assemblées étaient d'accord, aux résultats du récent recensement. Sur cette base, le nombre des sièges à créer passe de 23 à 33 et le nombre des départements concernés de 21 à 29.

Tirant les conséquences de la loi n° 75-1330 du 31 décembre 1975 qui a supprimé dans le Code électoral toute distinction entre les départements métropolitains et les départements d'outre-mer et de la loi organique n° 76-98 du 31 janvier 1976 qui a fondu corrélativement en un seul total le nombre des sénateurs des départements, comme elle l'a fait aussi pour les députés des départements, M. DAILLY a donc proposé au nom de la commission de fixer à 304 le nouveau nombre des sénateurs pour les départements.

Corrélativement M.DAILLY a proposé, dans la proposition de loi tendant à modifier le tableau de répartition des sénateurs entre les départements, de substituer au tableau qui figurait dans le texte de l'Assemblée Nationale et répartissait les 23 sièges à créer sur la base des résultats du recensement de 1968 entre 21 départements un nouveau tableau répartissant les 33 sièges à créer entre 29 départements.

Aucune mention, à nul moment, ni dans le rapport, ni au cours de la discussion n'a été faite des conséquences que devrait entraîner l'application de la clé de répartition adoptée aux résultats du recensement de 1975, en ce qui concerne la Creuse et la Ville de Paris qui devraient perdre la première un sénateur et la seconde deux sénateurs. Les propositions de la commission ont été, sans le moindre débat, ratifiées par le Sénat pour ce qui concerne le premier texte à l'unanimité de 262 voix sur 262 votants : les deux propositions corrélatives de lois ordinaires étant, de leur côté, adoptées à mains levées, sans la moindre discussion.

8) Ainsi en arrivons-nous au dernier acte, celui qui s’est déroulé à l’Assemblée Nationale, au cours de sa troisième séance du mercredi 30 juin 1976, avant que ne se close sa session ordinaire, sur la base des conclusions du rapport déposé par M. RAYNAL, au nom de la Commission des Lois Constitutionnelles le 3 juin précédent. Se louant du résultat obtenu, M. RAYNAL a proposé à l'Assemblée d'entériner définitivement le texte qu'elle avait été la première à faire sien, ainsi que les deux propositions de lois ordinaires corrélatives avec les tableaux y annexés.

C'est à l'intérieur de ce rapport de M. RAYNAL en date du 3 juin 1976 que peut être trouvée la première mention il vaut mieux dire implicite qu'explicite se rapportant au cas des deux départements de la Creuse et de la Ville de Paris dont la représentation sénatoriale n'est pas modifiée, nonobstant les résultats du recensement de 1975 et M. RAYNAL n'évoque - je dis bien implicitement - le fait qu'aucune modification n'est apportée à la représentation de ces deux départements que pour s'en féliciter, dans les termes suivants "outre que les nouvelles dispositions adoptées par le Sénat ne mettent pas en oeuvre un système de variation de son effectif de caractère permanent et automatique, elles ne se traduisent pas, non plus, par une diminution inéluctable et systématique du nombre des sénateurs représentant la population des départements dont la population est inférieure à un certain seuil".

Le rapporteur revient sur la même notion, dans le même esprit, quelques lignes plus loin, lorsqu'il écrit à nouveau que l'application de la clé de répartition utilisée en fait depuis 1958 "est assortie de certaines exceptions au bénéfice des situations acquises".

Les conclusions de M. RAYNAL lors de la troisième séance du 30 juin dernier n'ont donné lieu devant l'Assemblée Nationale à aucun débat. Dans les quelques paroles prononcées par lui à propos des trois propositions de loi en cause, le rapporteur a fait allusion à nouveau implicitement au cas de la Creuse et de la Ville de Paris en déclarant , après avoir évoqué l'augmentation du nombre des sièges de sénateurs qui va résulter de la prise en compte des résultats du recensement de 1975 avec utilisation de la clé de répartition déjà appliquée en 1958 qu'"en revanche, aucun département, contrairement à la solution initiale retenue par le Sénat, ne verrait diminuer le nombre de ses Sénateurs".

Le Secrétaire d’Etat M. Pierre Christian TAITTINGER n'est intervenu à son tour que pour déclarer "qu'il n’avait aucun commentaire à ajouter, si ce n'est pour dire que les trois textes soumis à l'Assemblée recevaient dans la forme où ils étaient aujourd'hui présentés, l'approbation du Gouvernement".

III. - Le moment est venu de tirer la conclusion de l'ensemble des indications qui viennent d'être fournies.

1) premier point, il ne me semble pas qu'il y ait lieu pour le Conseil de se prononcer aujourd'hui, d'un point de vue général, sur le sens à donner au principe d'égalité du suffrage.

A supposer que l'interprétation retenue soit celle du Sénat et de son rapporteur, il resterait à déterminer comment le concilier avec l'autre principe qui est celui de la représentation des collectivités locales au sein du Sénat, étant observé que si une proportionnalité doit être édictée entre le nombre des sénateurs de chaque département et sa population, il y aurait lieu d'être attentif, également, dès lors qu'il s'agit d'une élection au suffrage indirect, à une autre proportionnalité, à savoir celle qui doit être édictée entre le nombre de délégués sénatoriaux de chaque commune et la population de cette commune.

Il y aurait lieu également de se demander si cette notion de suffrage égal n'est pas heurtée, en un autre sens, par le fait que certaines communes élisent leurs délégués et certains départements élisent leurs sénateurs certaines et certains au scrutin proportionnel, les autres au scrutin majoritaire.

2) Aussi bien, le seul point, à mon sens à faire véritablement problème, est l'anomalie qui consiste à se référer à une clé de répartition en fonction du résultat du dernier recensement et à en faire application uniquement dans le sens de l'augmentation et non dans le sens de la diminution, avec la conséquence la plus criante qui en procède, à savoir que le Nord avec une population de 2.510.738 habitants sera représenté désormais au Sénat par 11 sénateurs alors que le département de Paris, avec une population de 2.299.830 habitants le sera par 12 sénateurs.

3) Mais à supposer que le Conseil estime ne pouvoir ratifier une anomalie à première vue aussi choquante, encore faudrait-il qu'il fut en mesure de le faire.

Or, cette répartition difficilement acceptable que je viens d'évoquer ne résulte pas de la loi organique, laquelle fixe seulement un nombre global, mais de la première des deux lois ordinaires qui sont le corollaire de la loi organique. La première condition serait, par conséquent, d'obtenir du Gouvernement qu'il défère au Conseil les deux lois dont il s'agit.

Le Conseil se verrait ainsi accorder un sursis à statuer et aurait plus ample loisir pour méditer sa décision.

Dans la négative, je ne vois pas d'autre issue possible que de vous proposer de déclarer conforme à la Constitution la loi organique qui nous est soumise.

M. le Président remercie le rapporteur et exprime qu'en ce qui le concerne, il est très préoccupé par cette affaire.

M. GOGUEL est d'accord avec l'analyse des faits telle qu'elle a été présentée par le rapporteur mais pas avec les conclusions qu'il en a tirées.

M. GOGUEL est très attaché à l'autorité du Sénat. Il estime nécessaire que la deuxième assemblée ait un recrutement tel que son autorité politique ne puisse pas être contestée. Or l'article 3 de la Constitution qui pose le principe de l'égalité du suffrage ne prévoit pas d’exception.

Par ailleurs, la Constitution pose le principe de la représentation des collectivités territoriales et entre ces deux principes, une conciliation a été établie selon la forme suivante. Chaque collectivité reçoit un siège jusqu'à 150.000 habitants ce qui garantit à tous les départements le droit d'être représenté ; au-delà du chiffre de 150.000 habitants, chaque collectivité reçoit un siège par groupe supplémentaire de 250.000 habitants ou d'une fraction de ce chiffre. L'ordonnance qui a posé ce principe aurait pu être contestée si elle avait été soumise au Conseil constitutionnel. Elle a été modifiée, ensuite, par une loi organique qui a été soumise au Conseil constitutionnel et elle n'a pas été critiquée, donc ces principes actuellement s'imposent. Pour concilier les exigences de représentation des collectivités territoriales et la règle d'égalité du suffrage, un autre système eut été concevable qui eut été tout d'abord d'établir un quotient nationale, ensuite d'attribuer un siège à chaque département dont la population est inférieure à ce quotient national, puis de répartir les sièges supplémentaires en appliquant la règle proportionnelle aux département dont la population dépasse le quotient national.

De toute façon, quelle que soit la règle retenue, il convient, pour le moins, qu'elle soit appliquée partout. Or on voit, selon les rapports déposés au Sénat lors de la discussion du présent texte, que tel n'a pas été le cas. Le rapport n° 225 du Sénateur DAILLY énonce la règle. Mais si on l'applique au chiffre de recensement de 1975, on aboutit au nombre de 301 sièges et non à celui de 304, le département de la Creuse ne recevant qu'un siège au lieu de deux et Paris 10 sièges au lieu de 12.

La tradition française est bien d'appliquer les mêmes règles aux départements se trouvant dans des conditions identiques. Ainsi, sous la troisième République, les départements recevaient un siège quand ils comptaient moins de 100.000 habitants, mais au-delà de ce chiffre, deux sièges. Ce principe a été respecté absolument jusqu'en 1914. En 1958, une nouvelle clé de répartition est adoptée mais a été respectée notamment quand le Lot a eu moins de 54.000 habitants il a perdu un siège et personne parmi les élus de son département n'a tenté de s'opposer à cette réduction de deux sièges à 1.

Dans une démocratie, si la règle numérique en fonction de laquelle sont calculés les sièges des représentants d'une assemblée n'est pas respectée cette assemblée perd sa légitimité et il n'y a plus lieu d'attendre, de la part des citoyens le moindre respect pour cette assemblée et les décisions qu'elle peut prendre.

Dans l'affaire qui nous préoccupe aujourd'hui, la question qui se pose est de savoir s'il est conforme à la Constitution qu'on ait pu énoncer le nombre des sénateurs en n'appliquant pas correctement la règle numérique qui devait conduire à ce nombre aux termes d’un calcul simple. La loi elle-même soumise au Conseil n'énonce qu'un nombre et non la règle selon laquelle ce nombre est fixé. Elle ne permet, en tant que telle, aucun contrôle de la validité de ce nombre. Mais que serait le contrôle de la loi organique par le Conseil constitutionnel si on ne lui permet pas de savoir comment cette loi arrive au nombre qu'elle énonce ?

M. GOGUEL pense que si c'est par violation de la règle d'égalité posée à l'article 3 que l'on parvient à un tel nombre, il convient de déclarer le texte non conforme à la Constitution.

M. COSTE-FLORET indique que lors de la discussion, qui a abouti à l'article 3 de la Constitution, il n'a pas été question en énonçant le principe d'égalité des suffrages de viser une règle numérique de répartition des sièges au Parlement. Cette règle avait seulement pour objet de condamner les votes pluraux. Il pense donc que M. GOGUEL a raison sur un plan d'opportunité mais non sur un plan de constitutionnalité.

M. CHATENET fait remarquer que, d'après les débats, les migrations de la population électorale ont ceci de particulier qu'elles arrivent sans être jamais parties de nulle part.

M. MONNERVILLE note, toutefois, qu'au moins à une occasion, elles sont bien partie du Lot, où elles ont abouti à faire passer de deux à une sa représentation au Sénat.

M. CHATENET continue son intervention en exprimant qu’il est d’accord avec M. COSTE-FLORET sur le sens à attribuer à l'article 3 de la Constitution.

Le problème qui se pose dans la présente affaire est, à son avis, celui de l’étendue des pouvoirs du Conseil constitutionnel à l’égard d'une loi organique. Doit-il se contenter de vérifier sa régularité externe ou doit-il également en contrôler le fond.

Dans la première hypothèse son rôle se réduit à un simple contrôle des délais. C'est un rôle purement mécanique. Dans la seconde hypothèse, le Conseil constitutionnel est associé au pouvoir législatif puisque la loi ne devient exécutoire que grâce à son intervention et, pour tirer complètement les conséquences de ce principe, il lui appartient de se saisir des questions de fond.

M. CHATENET ne voit pas pourquoi le Conseil constitutionnel pourrait avoir une autre appréciation que celle indiquée dans la seconde hypothèse.

Dans l'argument de M. GOGUEL, il est frappé par le fait que le texte est intervenu pour le moins sur une équivoque. On peut dire, en fait, que la règle numérique est appliquée quand cela fait plaisir et oubliée quand elle serait désagréable. Il s'interroge davantage sur la sanction possible de cette anomalie. Convient-il de sanctionner le fait selon lequel le résultat brut d'un calcul dont les règles sont données mais non appliquées est faux ou même convient-il de surseoir à statuer pour demander comment a été établi le chiffre de 304 puisque le mode de calcul n'est pas indiqué dans le texte même de la loi.

Il apparaît, en effet, certain que, ou bien le chiffre énoncé dans la loi organique doit être justifié, ou bien il n’y a pas de contrôle à proprement parler. Le Conseil peut soit se contenter d'un simple contrôle, soit exercer ce contrôle au fond.

Dans ce dernier cas ou bien il constate que le calcul est faux et on aboutit à une déclaration de non conformité ou bien, constatant que la loi ne donne pas la justification du chiffre qu’elle énonce, et le Conseil sursoit à statuer en demandant cette justification.

M. COSTE-FLORET indique que le raisonnement de M. CHATENET ne saurait le satisfaire. En effet, ou bien on donne une portée absolue au principe de l'égalité des suffrages et on peut aboutir à une annulation ou, à l'inverse, comme l'a admis M. CHATENET, on estime que ce principe se borne à interdire le vote plural et alors on ne peut s'appuyer sur lui pour contester la loi organique soumise au Conseil.

M. CHATENET répond qu'il convient de toute façon de tirer une conséquence du fait que le vote de cette loi est intervenu à tout le moins sur un malentendu.

M. MONNERVILLE souligne que le principe du respect des règles de répartition rappelé par M. GOGUEL a été effectivement appliqué jusqu'à présent d'une façon assez rigoureuse et que, en 1959, il se souvient fort bien, étant alors sénateur du Lot, que la décision de diminution prise à l'égard de ce département a été acceptée unanimement, sans aucune contestation de la part des députés ou des sénateurs de ce département, ni davantage des élus locaux ou des conseillers généraux.

La situation actuelle apparaît très gênante. Rien ne permet, en effet, d'apprécier la valeur du chiffre de 301, de 304, pas plus d'ailleurs qu'il ne serait possible de le faire à l'égard de tout autre chiffre donné dans ladite loi qui pourrait être de 150 ou de 3.000.

Il serait donc, pour sa part, porté à demander des justifications.

M. GOGUEL répond qu'en ce qui le concerne, il voit très bien pourquoi on a abouti au chiffre de 304. La clé de répartition a été appliquée quand elle arrivait à augmenter le nombre des représentants d'un département et, dans tous les autres cas, on l'a seulement oublié. Ceci n'a rien de mystérieux. Cela apparaît dans le rapport DAILLY.

M. le Président est d'accord avec M. GOGUEL quant à l'explication du chiffre de 304, mais il ne l'est plus en ce qui concerne l'interprétation de l'article 3 de la Constitution.

Que le calcul qui a abouti à 304 soit un calcul faux, rien ne le dit dans le texte même de la loi, cela ressort simplement des travaux préparatoires, lesquels ne manquent pas à différents moments d'apparaître assez contradictoires.

M. DUBOIS ne trouve, dans la Constitution, aucune règle pour fonder une annulation. Il se demande comment pourrait être rédigée une décision de cette sorte.

M. COSTE-FLORET indique, à nouveau, que l'article 3 interdisant simplement le vote plural ne peut, à son sens, constituer une base d'annulation et il ne voit pas d'autre article de la Constitution qui puisse constituer une telle base.

M. GOGUEL répond sur l'article 3 que celui-ci sans doute ne pose pas une exigence d'égalité absolue entre tous les votes mais à tout le moins impose que les règles qui déterminent le poids des suffrages soient les mêmes qu'en ce qui concerne tous les départements. Ce qui le choque ici, c'est que l'on n'ait pas appliqué la même règle d'un département à l'autre.

M. le Président estime qu'il apparaît très clairement que toute cette affaire s'est déroulée dans un climat de complicité générale entre le Parlement, Sénat et Assemblée, et le Gouvernement afin de camoufler plus ou moins bien le fond des choses.

Aucune des lois votées le 30 juin 1976, qu'il s'agisse de la loi organique ou des lois modifiant les tableaux du Sénat, ne fait apparaître la clé de répartition. Il est patent qu'après avoir évoqué des règles mathématiques de répartition, on a donné un chiffre, ne correspondant pas à ces règles, comme étant le résultat du calcul selon celles-ci.

M. COSTE-FLORET a indiqué que les assemblées ont le strict droit de fixer le nombre de leurs membres, si cela est exact, c'est fort inquiétant. Si, en effet, l'Assemblée nationale désirait porter le nombre de ses membres à 700 ou à 1.000 et ensuite refusait une augmentation du nombre des sénateurs, on aboutirait à un Congrès très déséquilibré où l'Assemblée nationale, seule, ferait la loi et pourrait décider de n'importe quelle réforme constitutionnelle sans illégalité.

Ceci dit, on ne voit pas comment annuler la loi organique examinée ce jour si on accepte l'interprétation de l'article 3 donnée par M. COSTE-FLORET et qui paraît l'interprétation exacte.

M. GOGUEL indique que la loi organique dont il s'agit trouve également son fondement dans l'article 24 lequel assure au moins un représentant au Sénat par collectivité territoriale. Il est exact, néanmoins, que si le Conseil se refuse à invoquer l'article 3 ou les travaux préparatoires, il n'a pas de base pour une annulation.

M. CHATENET pense qu'il est très difficile de faire quelque chose, c'est-à-dire de prononcer la non conformité de la loi organique. On peut ici invoquer les travaux préparatoires mais pas l'article 3. Ceci nous permet d'aboutir à une annulation. Néanmoins, il ne convient pas que le Conseil constitutionnel apparaisse avoir été dupe dans cette affaire.

Les assemblées fixent le nombre de leurs membres. C'est à elles qu'il appartient de le faire et c'est une de leurs attributions dont elles sont les plus jalouses. Néanmoins, il apparaît possible dans la motivation d'indiquer, sous forme de regret, si ce n'est de critique que l'article 25 de la Constitution se borne à laisser aux assemblées la faculté de fixer le nombre de leurs membres.

M. MONNERVILLE indique que M. CHATENET rejoint ainsi sa préoccupation dont, pour sa part, il voyait la réalisation sous une forme différente. Selon l'article 25, la forme exigée, celle d'une loi organique, est bien respectée. Mais le scrupule du Conseil n'est pas tant d'accepter un chiffre que le fait que ce chiffre a été obtenu par un mode de computation incorrect. Il se demande s'il ne serait pas utile d'écrire au Premier Ministre qui a saisi le Conseil pour lui expliquer la difficulté devant laquelle celui-ci s'est trouvé. Il ne faudrait pas, de toute façon, que le Conseil accepte la loi organique qui lui est soumise, purement et simplement.

M. le Président exprime lui aussi qu'il est navré de constater l'impuissance du Conseil devant un tel texte.

M. BROUILLET se réfère à la première intervention de M. CHATENET qui analysait les prérogatives du Conseil constitutionnel en matière de lois organiques. Il lui semble, puisque dans les débats il trouve deux indications contradictoires, qu'il conviendrait de demander que le Conseil soit saisi des deux textes modifiant les tableaux relatifs au Sénat. Il souligne la contradiction qui apparaît dans les travaux préparatoires. En effet, si la clé de répartition apparaît en annexe du dernier rapport de M. DAILLY, M. REYNAL, au même moment, indiquait à l'Assemblée nationale que le Sénat renonçait à faire application de cette clé dans le sens de la diminution des sièges d'un département.

M. GOGUEL pense que le Conseil n’a pas le droit de demander au Premier Ministre de le saisir d'une loi quelconque. L'auto-saisine a été rejetée lors de la réforme de 1974 et le Conseil ne saurait y revenir par ce biais.

M. BROUILLET indique, qu'en fait, il exprimait un regret plutôt qu'une demande car il eut été plus facile pour le Conseil de statuer en toute connaissance de cause s'il avait été saisi des trois textes.

M. DUBOIS dit qu'en ce qui concerne les lois organiques le Conseil examine le fond, en ce qui concerne la loi ordinaire, son contrôle est identique. Il se serait trouvé, saisi des trois lois, exactement dans la même situation qu'aujourd'hui ne pouvant contrôler un mode de calcul qui n'est pas exprimé dans le texte d'aucune loi.

Le Conseil ayant décidé une suspension de séance pour permettre la rédaction d'un considérant exprimant ses réserves, M. GOGUEL communique pour le procès-verbal, le considérant d'annulation qu'il avait rédigé mais qui n'a pas été approuvé et dont le texte suit :

"Considérant que la loi organique soumise à son examen, qui a été adoptée conformément à la procédure déterminée par l'article 46 de la Constitution, fixe à 304 le nombre des sénateurs des départements ;

Considérant qu'il résulte des rapports présentés tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, ainsi que des débats qui ont eu lieu dans les deux chambres du Parlement, que le nombre de 304 correspond à une règle de calcul selon laquelle, compte tenu des résultats du recensement de 1975, un siège de sénateur serait attribué à chaque département jusqu'à 150.000 habitants, des sièges supplémentaires s'y ajoutant à raison de un par tranche de 250.000 habitants ou fraction de ce nombre ;

Considérant qu'une telle base de calcul correspond à l'une des modalités possibles d'appréciation de la disposition de l'article 24 de la Constitution, aux termes duquel "le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République", puisqu'elle permet à tout département d'être représenté au Sénat, indépendamment du nombre de ses habitants ;

Considérant cependant que le nombre de 304, auquel la loi organique soumise au Conseil constitutionnel fixe le nombre des sénateurs des départements, a été obtenu en n'appliquant la base de calcul précitée que dans les cas où elle aboutirait à augmenter le nombre actuel des sénateurs de certains départements mais que, dans les cas où elle aurait abouti à diminuer ce nombre, elle n'a pas été respectée ;


Considérant qu'il y a dans cette application inégale de la base de calcul retenue une méconnaissance évidente de la disposition de l'article 3 de la Constitution, aux termes duquel “le suffrage... est toujours... égal" ;

La séance est reprise après une suspension d'une demi-heure et deux considérants sont proposés, l'un par M.BROUILLET :

"Considérant que la loi organique dont le Conseil constitutionnel est saisi avant sa promulgation aux fins d'appréciation de sa conformité à la Constitution a pour objet exclusif de fixer le nombre des membres du Sénat sur la base des résultats du recensement de 1975 et de préciser que la nouvelle répartition entre les départements des sièges sénatoriaux ne prendra effet dans chaque département que lors du plus prochain renouvellement de la série dont il fait partie, la loi qui fixe cette répartition n'étant pas elle-même soumise à l'examen du Conseil ;

Considérant que, telle qu'elle, cette loi organique prise dans la forme exigée à l'article 25, premier alinéa, de la Constitution et dans le respect de la procédure prévue à l'article 46, n'est contraire à aucune disposition de la Constitution" ;

L'autre par M. le Président :

"Considérant que le Conseil constitutionnel, n'étant saisi ni de la répartition des sièges de sénateurs entre les départements ni des règles selon lesquelles cette répartition est opérée, ne peut porter d'appréciation que sur la conformité à la Constitution de la fixation du nombre des sénateurs des départements ; que, dans cette mesure, la loi organique soumise à son examen, prise dans la forme exigée à l'article 25, premier alinéa, de la Constitution et dans le respect de la procédure prévue à l'article 46, n'est pas contraire à la Constitution".

M. COSTE-FLORET remarque que les deux projets se rejoignent quant au fond mais que celui du Président étant moins touffu, il retire celui qu'il se proposait de présenter pour sa part.

Les textes étant mis aux voix, celui présenté par M. GOGUEL recueille les suffrages de MM. REY et GOGUEL et celui de M. le Président est adopté par tous les autres membres du Conseil.

Durant la suspension la section présidée par M. MONNERVILLE assisté de MM. REY et GOGUEL a entendu le rapport de M. PAOLI sur le recours de Mlle AUBIN contre l’élection de M. ROYER le 9 mai 1976 dans la première circonscription d'Indre et Loire. La section a adoptée sans modification son projet de décision.

La séance plénière étant reprise, M. PAOLI est invité par M. le Président à lire son rapport.

M. PAOLI expose que lors de l'élection dont il s'agit, neuf candidats étaient en présence. M. ROYER élu au premier tour a obtenu 26.702 voix, le candidat le suivant immédiatement, M. LUSSAULT obtenait 10.252 voix et Mlle AUBIN, pour sa part, recueillait 46 voix.

Mlle AUBIN est secrétaire d'une association dénommée "Association mondiale pour le meilleur en tout et pour tous" dont le programme comporte notamment les points suivants : "l'argent sera non rentabilisé et 100 % comptabilisé... les prix et salaires seront soumis au suffrage universel... toute idée sera publiée... toute communauté urbaine comprendra 625 km2".

M. VANBERGUE, président de cette association, étant incapable civil, Mlle AUBIN devait représenter ladite association et être candidate à l'élection de Tours. Elle avait choisi comme suppléant M. SENECHAL. Celui-ci ayant indiqué, lors du dépôt de candidature, qu'il était inscrit sur les listes de la commune de Houdain (Pas de Calais), cette mention s'avèrera inexacte. Ayant donc des doutes sur sa qualité d'électeur, le Préfet, saisit de la validité de la candidature le Tribunal administratif d'Orléans, en application de l'article 160 du code électoral.

Cette saisine qui doit avoir lieu dans les vingt quatre heures du dépôt, lequel avait eu lieu le 18 avril, ne fut faite que cinq jours après, soit le 23 avril. C'est pourquoi le 26 avril, le Tribunal administratif rejetait comme tardif le recours du Préfet. Dès le 22 avril, le Préfet avait délivré à Mlle AUBIN le récépissé définitif de sa déclaration de candidature, au vu du récépissé de versement de son cautionnement électoral. Le Préfet respectait ainsi l'article L 161 du code électoral qui dispose que le récépissé définitif de la déclaration de candidature doit être délivré dans les quatre jours du dépôt de déclaration de candidature sur présentation du récépissé de versement du cautionnement. Après la décision du Tribunal administratif, le Préfet fit savoir le 6 mai à Mlle AUBIN qu'il confirmait son récépissé définitif.

La requérante soutient que du fait de l'attitude de l'administration, sa candidature a été moralement et matériellement gênée.

La requête est recevable, Mlle AUBIN étant candidate et ayant attaqué l'élection dans le délai de dix jours. Elle n'est pas fondée.

Tout d'abord, nous avons vu que le Préfet a agi d’une façon parfaitement légitime, d’autre part, la saisine tardive du tribunal administratif n'a pas gêné Mlle AUBIN, le Préfet n'a donné aucune publicité à cette saisine et celle-ci a pu bénéficier du concours de la commission de propagande, notamment par l’expédition des bulletins et des circulaires aux électeurs. Mlle AUBIN s'est plainte encore que les journaux n'ont publié ni sa photographie, ni sa biographie et n'ont pas annoncé certaines de ses réunions électorales, mais aucun texte de loi ou de règlement ne fait d'obligation aux organes de presse de publier de telles informations. Il apparaît donc qu'il y a lieu de rejeter la requête de Mlle AUBIN dont on notera au surplus qu'elle n'a recueilli qu'un nombre dérisoire de voix en faveur de sa candidature.

Aucun membre du Conseil ne faisant d'observation sur ce rapport, M. MONNERVILLE indiquant que la section qu'il préside en a approuvé les conclusions, il est donné lecture du projet de décision lequel est adopté à l'unanimité.

L'ordre du jour appelle ensuite l'examen de la requête de M. le Sénateur BOILEAU.

M. le Président donne la parole au rapporteur M. CHATENET.

M. CHATENET souligne tout d'abord qu'il s'agit ici du seul cas où le Conseil puisse être saisi par l'individu intéressé à la décision qui sera rendue. Il s'agit du cas où un doute existe sur la compatibilité de certaines fonctions avec un mandat parlementaire. La saisine est faite, soit par le bureau de l'Assemblée intéressée, soit par le Garde des Sceaux, soit par l'intéressé lui-même.

Dans l'affaire présente, le bureau du Sénat a employé une curieuse formule selon laquelle "il n'a pu constater la compatibilité" des fonctions exercées par M. BOILEAU et de son mandat de sénateur. M. BOILEAU est vice-président et administrateur délégué d'une société coopérative de production d'H.L.M. dénommée "Groupe maison familiale de l'Est".

Un premier incident a eu lieu en mars ; dans une lettre publicitaire, la société faisait état du nom de M.BOILEAU et de sa qualité de sénateur. L'intéressé avait alors refusé de signer la lettre et saisi le bureau du Sénat en application de l’article 20, deuxième alinéa, de l'ordonnance sur les incompatibilités.

D'après cet article, le parlementaire doit saisir le bureau de ses "activités professionnelles posant un problème de compatibilité". Notons ici que les activités dont il s'agit, loin d'être des activités professionnelles sont d'un caractère purement bénévole.

C'est à la suite de cette saisine que le Bureau du Sénat a donné la réponse de normand que je citais tout à l'heure. Notons que le cas du sénateur BOILEAU intéresse en fait environ une centaine de parlementaires. La décision du Conseil constitutionnel aura une portée très importante, d'autant qu'elle sera la première décision rendue sur le nouveau texte régissant la matière des incompatibilités. Au fond, il s'agit de savoir si la société dont Roger BOILEAU est administrateur délégué tombe sous le coup de l'article 15 de l'ordonnance n° 59-998 du 24 octobre 1958, modifiée (incluse au code électoral, article L.O. 146) qui déclare que "sont incompatibles avec le mandat parlementaire les fonctions... d'administrateur délégué... exercées dans : 

4° les sociétés ou entreprises à but lucratif dont l'objet est l'achat ou la vente de terrains destinés à des constructions quelle que soit leur nature, ou qui exercent une activité de promotion immobilière ou, à titre habituel de construction d'immeubles en vue de leur vente".

Ce texte a été fait indiscutablement pour viser les promoteurs. Doit-on également l'appliquer aux sociétés de construction de H.L.M. ? Les sociétés, dont il s'agit, sont soumises à une législation spéciale et contrôlées de façon très précise par l'administration. Par ailleurs, elles sont constituées sous forme de sociétés de commerce et régies, comme telles, par la loi de 1966 et dès lors font des actes de commerce.

Ces deux aspects sont, à l'évidence, contradictoires et il s'agit de savoir pour l'application du texte sur les compatibilités lequel de ces caractères doit l'emporter. Les sociétés de

production de H.L.M. ont des statuts types fixés par le décret n° 74-240 du 15 mars 1974. La société "Groupe maison familiale de l'Est' s'est conformée à ces statuts types.

En tant que sociétés anonymes, donc de caractère commercial, ces sociétés font des actes qui peuvent avoir un caractère lucratif. Cela doit-il entraîner l'appréciation selon laquelle ces sociétés auraient un but lucratif. Contre cette thèse il convient d'invoquer le fait qu'en vertu de l'article 153 du code de l'urbanisme, ces sociétés de H.L.M. ont un but social, d'autre part, les rémunérations versées par ces sociétés sont strictement réglementées. L'intérêt versé aux sociétaires est limité à 6 %. L'actif, lors de la dissolution après remboursement du capital, est transmis à d'autres sociétés de H.L.M. L'augmentation d'actif par incorporation de réserve est interdit.

C'est pour ces raisons diverses que sur le plan fiscal, bien que de forme commerciale, ces sociétés ne sont pas soumises à l'imposition des bénéfices industriels et commerciaux. Il paraît raisonnable, par une appréciation identique, d'estimer qu'au sens du paragraphe 4 de l'article L.O. 146 du code électoral, de déclarer qu'elles n'ont pas un but lucratif.

Les membres du Conseil ayant tous exprimé leur accord sur les conclusions de M. CHATENET, le rapporteur donne lecture du projet de décision qui est adopté dans ce sens. Le projet de décision est annexé au présent compte-rendu.

La séance est levée à 20 h 15.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.