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PV1977-07-20

Emmy FELTIN

SEANCE DU 20 JUILLET 1977

La séance débute à 10 h 00, tous les membres du Conseil étant présents.

Le Président rappelle l'ordre du jour qui est le suivant :

- Examen, en application de l'article 61, premier alinéa, de la Constitution, de la conformité à la Constitution :

- de la loi organique tendant à compléter l'article 5 de la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France, pour l'élection du Président de la République.

- d'une résolution tendant à modifier l'article 7 du Règlement du Sénat.

Rapporteur : M. GROS

- Examen, en application de l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la conformité à la Constitution de la loi tendant à compléter les dispositions du code des communes relatives à la coopération intercommunale.

Rapporteur : M. GOGUEL

- Examen, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à la Constitution de la loi modifiant l'article 4 de la loi de finances rectificative du 29 juillet 1961.

Rapporteur : M. SEGALAT

- Appréciation, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique de diverses dispositions relatives à l'organisation judiciaire et à la Cour de Cassation.

Rapporteur : M. COSTE-FLORET

Le Président donne la parole à M. GROS pour qu'il présente son rapport sur la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France, pour l'élection du Président de la République.

La loi dont il s'agit fait suite à différents textes concernant le vote des Français établis hors de France.

Jusqu'en janvier 1976, les Français établis hors de France ne pouvaient voter que par procuration. Il s'agissait là d'un système lourd et complexe qui nécessitait l'inscription des électeurs sur une liste en France et la désignation d'un mandataire inscrit sur la même liste. Les procurations étaient établies par l'autorité consulaire ou diplomatique qui, bien souvent, se trouve située à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de résidence de l'intéressé. Pour résoudre cette situation, on a pensé à établir la possibilité de vote direct des Français hors de France dans les locaux consulaires et dans les ambassades. Ceci nécessitait l'accord du pays d'accueil et n'a pu être réalisé qu'après de nombreuses négociations avec les pays intéressés. Finalement une loi du 30 juin 1977 prévoit ce mode de vote pour les scrutins aux élections législatives.

Par ailleurs, dès le 31 janvier 1976, une loi organique était prise qui ne concernait que le vote pour l'élection du Président de la République.

C'est l'article 5 de la loi susnommée qui est modifiée.

Antérieurement, l'article 5 était ainsi conçu : "Chaque liste de centre est préparée par une commission administrative siégeant au centre de vote et composée d'un agent diplomatique ou consulaire désigné par le chef de la mission diplomatique dans les centres concernés et de deux personnes désignées par le conseil supérieur des Français de l'étranger.... "

Le reste de l'article est sans intérêt pour notre affaire.

Donc, on remarque que les listes de centre sont préparées par les commissions administratives composées d'un agent diplomatique ou consulaire désigné par l'autorité diplomatique et de deux personnes qui, elles, sont désignées par le conseil supérieur des Français de l'étranger.

Il se trouve que ce mode de désignation est peu pratique. Le conseil supérieur des Français de l'étranger est une assemblée nombreuse d'environ une centaine de personnes dont les membres, répartis dans le monde entier, se réunissent environ une fois par an pendant une semaine. Entre deux sessions de ce conseil il est quasiment impossible de le convoquer pour la désignation des membres des commissions administratives chargé, de préparer les listes de vote ou, en tout cas, de le faire dans un délai assez bref. La plupart des personnes qui appartiennent à ce conseil, et qui résident au Japon, en Finlande, en Afrique du Sud, en Amérique, ou en Polynésie, sont des hommes qui ont des responsabilités personnelles importantes et qui ne peuvent pas se libérer sans l'avoir prévu assez longtemps à l'avance.

Par ailleurs, il convient de noter que dans l'intervalle de ses sessions, le conseil supérieur des Français de l'étranger dispose d'un bureau permanent de dix-sept membres, élus, chaque année, au cours de l'assemblée plénière, qui sont tout à fait aptes à résoudre les affaires courantes.

En 1973, à propos de la loi sur le service national, dont certains décrets d'application devaient être soumis au conseil supérieur des Français de l'étranger, il est apparu pratique, dans l'intervalle d'une session, de faire procéder à l'examen de ces textes par le bureau permanent ; mais le Conseil d'Etat a estimé cette procédure irrégulière et il a donc fallu, pour donner l'avis qui était requis, attendre la session plénière suivante qui a eu lieu plusieurs mois plus tard. Il était donc certain, après ce précédent, qu'on ne pouvait pas, sans modifier la loi, confier la désignation des deux membres de la commission administrative chargée de préparer la liste de vote au bureau permanent. C'est pourquoi a eu lieu la proposition qui a abouti à la loi qui est examinée ce jour. Sur un point secondaire, on notera une autre modification : pour des raisons pratiques, il est apparu utile de prévoir la désignation de suppléants pour remplacer en cas d'empêchement les membres titulaires de la commission administrative.

Vous connaissez à présent l'objet de cette loi. Vous voyez qu'elle ne pose quant au fond aucun problème de constitutionnalité. En ce qui concerne la procédure, les délais nécessaires entre le dépôt du projet et son examen ont été largement respectés. C'est pourquoi je propose la décision de conformité qui vous est soumise.

Aucun membre du Conseil n'ayant désiré faire d'observations, il est procédé immédiatement à la lecture du projet, lequel est adopté à l'unanimité.

M. GROS présente alors son rapport sur la modification de l'article 7 du Règlement du Sénat. La résolution dont l'examen est soumis au Conseil est une simple mise en application de la loi récente qui modifie le nombre des sénateurs. Il s'agit tout simplement de fixer, en les augmentant pour tenir compte du nombre nouveau des sénateurs, les effectifs des six commissions permanentes du Sénat. Comme vous le savez la loi organique qui augmente le nombre des sénateurs, pour le faire passer à 312, sera réalisée en trois étapes puisque cette augmentation sera prise en compte en ce qui concerne chaque département au cours des renouvellements partiels de 1977, de 1980 et 1983. Aucune élection particulière ne sera organisée spécialement pour tenir compte de cette augmentation. On voit donc que ce n'est qu'en octobre 1983 que le Sénat se réunira en comprenant 312 membres. C'est pour cette raison que la réalisation du nouvel effectif des six commissions est prévue en trois étapes, de façon à être harmonisée aussi dans le temps sur l'effectif total du Sénat. Comme vous le remarquez, il s'agit là de simples modalités pratiques de mise en application des règles concernant les commissions et la modification de l'article 7 ne changera rien au fond du Règlement.

Ce rapport ne faisant l'objet d'aucune observation, il est procédé à la lecture du projet. Ce projet est adopté à l'unanimité.

M. le Président donne la parole à M. GOGUEL qui présente son rapport sur la loi tendant à compléter les dispositions du Code des communes relatives à la coopération intercommunale.

RAPPORT de Monsieur GOGUEL.

Comme vous l'a montré le projet de décision que j'aurai l'honneur de vous proposer en conclusion de ce rapport, et que vous avez trouvé dans votre dossier, la demande signée de soixante-trois députés, appartenant au groupe du parti socialiste et des radicaux de gauche, qui ont déféré au Conseil constitutionnel la loi tendant à compléter les dispositions du Code des communes relatives à la coopération intercommunale, ne me paraît pas être recevable.

La loi dont il s'agit résulte d'une proposition déposée par M. Jean FOYER. La commission des lois de l'Assemblée nationale a soumis à cette Assemblée à propos de cette proposition de loi, un rapport de M. Jacques LIMOUZY qui en modifiait et complétait sur certains points les dispositions initiales. L'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté les conclusions de ce rapport en les amendant sur certains points. Trois ou quatre de ces amendements étaient d'origine gouvernementale. Il n'en est pas moins vrai que, pour l'essentiel, nous nous trouvons en présence d'un texte d'initiative parlementaire.

C'est pour cette raison que les auteurs de la requête dont nous sommes saisis considèrent que cette loi doit être déclarée non conforme à la Constitution, parce qu'adoptée en méconnaissance des dispositions de l'article 40 de la Constitution, aux termes duquel : "les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique". Selon les auteurs de la requête, en effet, plusieurs articles de la loi dont il s'agit auront pour effet de réduire les ressources publiques, d'aggraver certaines charges publiques, et de créer une charge publique.

C'est la troisième fois que le Conseil constitutionnel est appelé à statuer sur la conformité à la Constitution au regard de l'article 40, d'une loi adoptée par le Parlement.

Le premier cas a donné lieu à la Décision du 20 janvier 1961, aux termes de laquelle certaines dispositions d'uni loi relative à l’assurance maladie des exploitants agricoles ont été déclarées non conformes à la Constitution comme ayant été



adoptées en méconnaissance de l'article 40 : c'était en effet un amendement sénatorial qui avait introduit dans cette loi des dispositions étendant à de nouvelles catégories le bénéfice de l'assurance maladie des exploitants agricoles, ce qui aggravait les charges de ce régime particulier de Sécurité Sociale. Au cours des débats du Sénat, le Gouvernement avait opposé à ces amendements l'irrecevabilité de l'article 40 de la Constitution, mais la commission des Finances du Sénat avait estimé que les charges d'un régime de sécurité sociale n'étaient pas couvertes par l'expression "charge publique" figurant à l'article 40, et les amendements avaient donc été mis en discussion, puis adoptés successivement par le Sénat, et, sur proposition d'une Commission mixte paritaire par l'Assemblée nationale. Il est à noter que, lorsque la Commission des Finances du Sénat avait fait connaître sa décision favorable à la recevabilité de l'amendement litigieux, le Ministre de l'Agriculture avait déclaré : "le gouvernement se réserve, bien entendu, de saisir le Conseil constitutionnel du différend qui l'oppose au Sénat". En effet, après le vote définitif de la loi, le Premier Ministre déféra celle-ci au Conseil constitutionnel et celui-ci statua dans le sens de la non-conformité à la Constitution des dispositions litigieuses, pour ce motif que "l'expression charge publique doit être entendue comme englobant outre les charges de l'Etat, toutes celles antérieurement visées par l'article 10 du décret du 19 juin 1956 sur le mode de présentation du budget de l'Etat, et, en particulier, celles des divers régimes d'assistance et de sécurité sociale" .

Le Conseil constitutionnel s'était donc reconnu compétent pour apprécier la question de savoir si une disposition législative avait ou non été adoptée dans le respect de l'article 40 de la Constitution. Mais, dans le cas de l'espèce, la question de la recevabilité des initiatives parlementaires dont le Premier Ministre contestait la conformité à la Constitution avait été soulevée par le gouvernement au cours des débats parlementaires et avait fait l'objet d'une décision de l'instance parlementaire réglementairement compétente : la Commission des Finances du Sénat.

Le second cas où le Conseil constitutionnel a eu à connaître de la question de savoir si des dispositions législatives avaient été adoptées dans le respect des règles fixées à l'article 40 de la Constitution s'est produit en juillet 1975, à propos de la loi relative à la substitution d'une taxe professionnelle à l'ancienne contribution des patentes. En ce cas, le Conseil constitutionnel avait été saisi par plus de 60 députés, qui estimaient que c'était à tort qu'un certain nombre d'amendements à cette loi avaient été déclarés irrecevables en vertu de l'article 40 de la Constitution. Le Conseil a considéré qu'au contraire, c'était à juste titre que les amendements litigieux avaient été déclarés irrecevables. C'est dire que, comme dans l'espèce précédente, la question de la recevabilité des dispositions litigieuses avait été soulevée au cours des débats parlementaires,

il avait fait l'objet d'une decision de l'instance parlementaire réglementaire compétente, en l'espèce le President de l'Assemblée nationale.

Il n'en est pas de même aujourd'hui.

La question de la recevabilité de la proposition de loi de M. Jean FOYER, du rapport de M. LIMOUZY et des divers amendements présentés au cours de la discussion tacite à l'Assemblée nationale qu'au Sénat n'a pas été soulevée au cours des débats parlementaires, ce qui fait que les instances parlementaires auxquelles les règlements des Assemblées donnent compétence pour apprécier la recevabilité d'une proposition de loi, d'un rapport sur une proposition de loi ou d'un amendement n'ont pas pu se prononcer.

En effet, à l'Assemblée nationale, ni le gouvernement, ni le Bureau de la Commission des Finances, ni aucun député n'a fait usage de la faculté d'invoquer l'article 40 qui leur était ouverte par l'article 92 du Règlement.

Ni le gouvernement, ni la Commission des Finances, ni la Commission des lois, saisie au fond, n'ont usé non plus devant le Sénat de la faculté qui leur était ouverte par l'article 45 du Règlement.

Dans ces conditions, la question préjudicielle qui se pose à nouveau devant le Conseil constitutionnel est la suivante le Conseil peut-il être valablement saisi de la question de savoir si l'article 40 de la Constitution a été respecté dans le vote d'une loi, dans une espèce où le problème de recevabilité au regard de cet article n'a pas été soulevé au cours de la procédure parlementaire ?

Pour répondre à cette question, il y a d'abord lieu de nous reporter aux travaux préparatoires de la Constitution.

L'avant-projet soumis au Comité Consultatif constitutionnel le 29 juillet 1958 comportait un article 35 ainsi conçu :

"Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption serait contraire aux dispositions de l'article 33 (c'est-à-dire lorsqu'ils porteraient sur une matière règlementaire) ou à la délégation prévue à l’article 34 (prévoyant la possibilité pour le gouvernement d'agir par ordonnance, pendant une durée limitée, sur autorisation du Parlement) ou lorsqu'elle aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources, soit une aggravation des charges publiques.

En cas de désaccord sur la recevabilité entre le gouvernement et le président de l'Assemblée intéressée, le Conseil constitutionnel est appelé à statuer à la demande de l'un ou de l'autre".

Autrement dit, selon l'avant-projet de Constitution du mois de juillet 1958, le dispositif qui figure actuellement à l'article 41 : "En cas de désaccord entre le gouvernement et le Président de l'assemblée intéressée, le Conseil constitutionnel, à la demande de l'un ou de l'autre, statue dans une délai de huit jours" dispositif qui ne vaut que dans le cas où l'irrecevabilité tient à ce que l'initiative parlementaire se produit en dehors du domaine de la loi, ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38 - ce dispositif entraînant l'intervention du Conseil constitutionnel au cours des débats parlementaires aurait été également applicable dans l'hypothèse qui fait l'objet de l'article 40, celle d'une irrecevabilité tendant au risque de diminution des ressources publiques ou à celui de création ou d'aggravation d'une charge publique.

Mais cet avant-projet a été modifié, et les travaux préparatoires ont abouti à scinder en deux l'ancien article 35 de l'avant-projet, qui a donné naissance d'une part à l'article 40 et d'autre part, à l'article 41 du texte définitif de la Constitution.

L'article 40 ne prévoit pas l'intervention du Conseil constitutionnel en cours de débats parlementaires en cas de désaccord sur la recevabilité entre le gouvernement et le président de l'assemblée intéressée.

L'article 41, au contraire, prévoit cette intervention.

Devant le Comité consultatif constitutionnel, la discussion avait porté surtout sur la rédaction de la formule "soit une diminution des ressources, soit une aggravation des charges publiques" - le pluriel employé à propos des charges ayant paru dangereux à Paul REYNAUD dans la mesure où il aurait permis "les propositions où des augmentations et des réductions de dépenses se compensent".

M. André MIGNOT avait cependant posé la question de savoir s'il était vraiment utile de soumettre au Conseil constitutionnel les cas d'irrecevabilité d'ordre financier, et s'il n'aurait pas mieux valu limiter l'intervention du Conseil à l'irrecevabilité au titre des article 33 (devenu 37) et 34 (devenu 38). Mais finalement le Comité consultatif constitutionnel n'avait proposé aucun amendement à l'article 35.

Comme celle de Paul REYNAUD, la remarque de M. MIGNOT avait cependant dû être entendue, en partie, je crois le savoir, parce que Paul REYNAUD avait fait valoir auprès des personnalités chargées de préparer le texte de projet de Constitution à soumettre au Conseil d'Etat que les Commissions des Finances des Assemblées et spécialement sans doute celle de l'Assemblée nationale qu'il avait présidée avaient toujours fait respecter scrupuleusement, sous la IVè République, les irrecevabilités fondées sur la loi des maxima.

Toujours est-il que, devant le Conseil d'Etat, le gouvernement a présenté un projet de Constitution où l'ancien article 35 était scindé en deux articles 35 et 35 bis qui sont devenus les articles 40 et 41 du texte définitif de la Constitution.

Il résulte donc clairement des documents publiés sur la préparation de la Constitution qu'après avoir envisagé de faire intervenir le Conseil constitutionnel, au cours des débats pour statuer sur les irrecevabilités d'ordre financier, les auteurs de la Constitution y ont renoncé et ont limité ce mécanisme aux irrecevabilités tenant à la définition du domaine de la loi ou à l'existence de délégations du pouvoir législatif : ce qui impliquerait que la procédure d'appréciation des irrecevabilités au regard de l'article 40 devrait être fixée par les Règlements des assemblées .

J'ai pu avoir connaissance du procès-verbal de la séance du Conseil d'Etat au cours de laquelle les articles 35 et 35 bis ont été examinés. M. JANOT, commissaire du gouvernement, s'était exprimé en ces termes :

"Il est apparu qu'il n'y avait pas d'intérêt à maintenir la consultation du Conseil constitutionnel, dont il faut bien dire, à la vérité, que les compétences seront plus juridiques ou politiques que financières. D'autre part, comme le système de la loi des maxima fonctionnait jusqu'à ce jour sans intervention d'un Conseil constitutionnel, il a paru qu'il n'y avait pas d'inconvénient à ce qu'il continue de fonctionner ainsi".

Autrement dit, ce procès-verbal - non public - des débats du Conseil d'Etat confirme ce qui ressort de la comparaison de l'article 35 de l'avant-projet avec les articles 40 et 41 du texte définitif de la Constitution : c'est volontairement que l’intervention éventuelle du Conseil constitutionnel, au cours de procédure parlementaire dans l'hypothèse d'un désaccord entre le gouvernement et le président de l'Assemblée sur une question de recevabilité, a été écartée en ce qui concerne les initiatives susceptibles de diminuer les ressources publiques, ou de créer ou d'aggraver une charge publique : ce qu'a voulu le Constituant c'est qu'en ce cas on continue à procéder en cours de débat comme sous la IVè République, en confiant le contrôle de la recevabilité à des instances parlementaires - commission des finances ou éventuellement Bureau ou Président de l'Assemblée.

Il appartenait donc aux Assemblées parlementaires d'établir dans leurs règlements, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, les procédures selon lesquelles serait appréciée par des instances internes à ces Assemblées, la recevabilité, au regard de l'article 40, des propositions et amendements formulés par leurs membres.

A dire vrai, le Conseil constitutionnel aurait sans doute été fort embarrassé, en 1959, si les règlements adoptés par l'Assemblée nationale et par le Sénat n'avaient comporté aucune disposition en ce sens : car il lui aurait été difficile de sanctionner cette lacune autrement qu'en déclarant non conformes à la Constitution l'ensemble des Règlements qui lui étaient soumis....

Mais la question ne s’est pas posée : l’expérience a prouvé que le Constituant avait eu raison de faire confiance aux Assemblées, car l'une et l'autre ont introduit dans leur règlement un dispositif de contrôle de la recevabilité des propositions de loi et des amendements au regard de l'article 40 de la Constitution.

Dispositif plus complexe à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.

Le règlement de celui-ci ne mentionne les termes de l'article 40 de la Constitution que dans deux articles :

l'article 24, selon lequel les propositions de loi présentées par les sénateurs ne sont pas recevables lorsque leur

adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique, le Bureau du Sénat étant juge de la recevabilité (en fait, il consulte la Commission des Finances, mais c'est lui qui décide).

L'article 45, aux termes duquel est irrecevable tout amendement ayant les mêmes conséquences.

L'irrecevabilité - qui peut être soulevée par le gouvernement, par la Commission des Finances ou par la Commission saisie au fond - est reconnue de droit si le gouvernement et la Commission des Finances l'affirment l'un et l'autre, mais lorsque la Commission des Finances ne reconnaît par l'irrecevabilité invoquée par le gouvernement, l'amendement est mis en discussion et peut donc être adopté, (c'est ce qui s’est produit le 20 octobre 1960 pour l'amendement à la loi sur l'assurance maladie des exploitants agricoles qui a donné lieu à la Décision du Conseil constitutionnel que j'ai évoquée tout à l'heure).

L'article 45 dispose d'autre part que si le Président le Rapporteur général ou le Rapporteur spécial de la Commission des Finances ne s'estime pas en mesure de prendre position immédiatement, l'auteur de l'amendement peut prendre la parole pour cinq minutes. Si le doute persiste, l'amendement est renvoyé à la Commission des Finances, et si celle-ci ne fait pas connaître avant la fin du débat ses conclusions sur l'irrecevabilité, celle-ci est admise tacitement.

Le système en vigueur à l'Assemblée nationale est plus compliqué. Il fait l'objet des articles 81, 86, 92 et 98 du Règlement.

L'article 81 concerne le dépôt des propositions de loi : ce dépôt doit être refusé lorsque leur irrecevabilité au sens de l'article 40 est considérée comme évidente par le Bureau de l'Assemblée, ou par une délégation constituée en conséquence par le Bureau pour examiner ces questions.

L'article 86 concerne les travaux des commissions : les amendements déposés en commission et les modifications proposées par la Commission au texte dont elle a été initialement saisie, ne sont pas recevables lorsqu'ils comportent une des conséquences définies à l'article 40 de la Constitution. L'appréciation de la recevabilité des amendements incombe au Président de la Commission ou, en cas de doute, au Bureau de celle-ci. L'appréciation de la recevabilité des modifications apportées au texte dont la Commission avait été initialement saisie se fait dans les conditions fixées à l'article 92.

L'article 92 concerne les travaux en séance plénière. Son premier alinéa dispose que l'article 40 de la Constitution peut être opposé à tout moment aux propositions, rapports et amendements par le gouvernement ou par tout député.

Pour les propositions et rapports l'irrecevabilité est appréciée par le Bureau de la Commission des Finances, qui peut de sa propre initiative opposer lui-même l'irrecevabilité.

Pour les amendements l'irrecevabilité est appréciée dans les conditions prévues à l'article 98.

Cet article 98, en son dernier alinéa, donne le pouvoir d'appréciation au Président de l'Assemblée nationale :

Celui-ci refuse le dépôt de tout amendement dont il lui paraît évident qu'il contrevient à l'article 40 de la Constitution, en cas de doute, il statue après avoir consulté le président ou le rapporteur général de la Commission des Finances, ou un membre du Bureau de la Commission des Finances désigné et à cet effet : mais le Président de l'Assemble n'est pas lié par cette consultation (en 1975, lors de la discussion de la loi instituant la taxe professionnelle, M. Edgar FAURE avait déclaré recevable un amendement qui, selon l'avis du Président de la Commission des Finances, ne l'aurait pas été). A défaut d'avis du représentant de la Commission des Finances, le Président peut consulter le Bureau de l'Assemblée.

On constate qu'il y a un élément commun dans tous ces textes : l'appréciation de la recevabilité appartient à des instances propres de chaque Assemblée. Il y a là une prérogative des assemblées parlementaires, qui leur appartenait au regard des "lois des maxima" avant 1958, et dont les travaux préparatoires de la Constitution, je vous l'ai montré, montrent que les auteurs de la Constitution de 1958 ont tenu délibérément à la leur conserver.

Il est important pour les parlementaires que la recevabilité de leurs initiatives soit appréciée dans ces conditions, et en cours de débat, parce que cela leur donne la possibilité de modifier leurs propositions ou leurs amendements de façon à les rendre recevables.

Mais, de toute façon, il est parfaitement évident, à mes yeux, que les Règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat, tels qu'ils ont été établis en 1959, et déclarés conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, ont établi en vue de l'appréciation, au regard de l'article 40 de la Constitution, de la recevabilité des initiatives des membres du Parlement, une procédure qui ne peut pas être esquivée.

Mais le Conseil constitutionnel peut ultérieurement être saisi de la question de savoir si l'application de cette procédure a été correcte.

C'est ce qui s'est produit en 1960, pour la loi sur l'assurance maladie des exploitants agricoles, sur l'initiative du Premier Ministre, et conformément à ce que le Gouvernement avait dit au Sénat lorsque la Commission des Finances avait déclaré recevable un amendement litigieux.

C'est ce qui s'est produit en 1975, pour la loi sur la taxe professionnelle, lorsque plus de 60 députés ont déféré ce texte au Conseil constitutionnel, en soutenant que l'article 40 de la Constitution avait été appliqué à tort à un certain nombre d'amendements.

Il est donc de l'intérêt de tous, Gouvernement et Membres du Parlement, que le Conseil constitutionnel puisse être appelé à contrôler la manière dont les instances parlementaires compétentes ont appliqué l'article 40.

Mais encore faut-il, pour qu'il puisse le faire, que la procédure parlementaire d'appréciation de la recevabilité ait été approuvée : or, dans le cas qui nous occupe, elle ne l'a pas été. C'est la raison pour laquelle je considère comme irrecevable la demande dont nous avons été saisis, une fois la loi votée définitivement, par soixante-trois députés qui - soit dit en passant, - auraient eu, en application du premier alinéa de l'article 92 du Règlement de l'Assemblée nationale la faculté de soulever eux-mêmes la question de la recevabilité de la proposition Foyer, du rapport Limouzy et des amendements déposés à l'Assemblée nationale.

Pour résumer mon argumentation, je dirai que le Conseil constitutionnel n'a pas à appliquer l’article 40, mais à vérifier son application par les autorités parlementaires qui ont compétence pour le mettre en oeuvre. Une décision d'irrecevabilité, fondée, en somme, sur l'inexistence de la phase parlementaire, prévue par les Règlements des Assemblées, de la procédure du contrôle de la recevabilité, au regard de l'article 40, des initiatives émanant de membres du Parlement, ne comportait aucune contradiction avec les décisions antérieures du Conseil constitutionnel relatives à l'application de cet article, puisque, comme je l'ai dit, dans le cas des lois sur lesquelles ont porté ces décisions l'article 40 avait bien été invoqué au cours des débats parlementaires. Sans doute, les considérants des décisions de 1960 et de 1975 ne mentionnent-ils pas ce fait : c'est qu'il était difficile d'imaginer une saisine invoquant l'article 40 à propos d'une loi qui aurait été discutée sans que cet article ait été évoqué par qui que ce fût au cours des débats parlementaires !

Je me suis cependant posé la question de savoir si cette décision d'irrecevabilité ne comporterait pas une certaine contradiction avec un autre Décision du Conseil constitutionnel.

Il s'agit de celle du 11 août 1960 concernant la taxe radiophonique. Le Sénat avait introduit dans une loi de finances rectificative, en article additionnel, aux termes duquel, lorsque les taux de redevance pour droit d’usage de postes de radiodiffusion et de télévision seraient modifiés, postérieurement à l'autorisation de perception donnée par le Parlement pour l'année en cours, la mise en recouvrement serait différée jusqu'à ce que fût donnée une nouvelle autorisation parlementaire.

Cet article additionnel avait été combattu par le Gouvernement mais celui-ci, devant le Sénat, ne lui avait pas opposé d'exception d'irrecevabilité.

Cependant le Premier Ministre, après le vote définitif de la loi, avait saisi le Conseil constitutionnel, en invoquant l'article 4 de l'ordonnance portant loi organique sur les lois de finances aux termes duquel les taxes parafiscales sont établies par décret, leur perception au-delà du 31 décembre de l'année de leur établissement devant faire l'objet d’une autorisation dans la loi de finances - et le Conseil constitutionnel, par une décision du 11 août 1960, lui a donné raison, motif pris de ce que les redevances pour droit d'usage d'un poste de radiodiffusion et de télévision constituaient bien des taxes parafiscales.

On pourrait penser, à première vue, qu'en fonction des principes que je vous propose d'appliquer dans l’espèce qui nous est aujourd'hui soumise, la saisine du Conseil constitutionnel par le Premier Ministre qui a eu lieu en 1960 aurait dû être déclarée irrecevable.

Tout bien considéré, je ne le pense pas : en effet, en 1960, le Règlement du Sénat ne comportait aucune disposition concernant l'appréciation des exceptions d'irrecevabilité fondée sur l'ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances. Le Gouvernement n'avait donc pas, devant le Sénat, la faculté de mettre en jeu une procédure d'appréciation de cette irrecevabilité par une instance propre au Sénat il n'avait donc pas d'autre ressource que de saisir le Conseil constitutionnel après le vote définitif de la loi.

Il n'en irait d'ailleurs plus de même aujourd’hui, le Sénat ayant introduit dans l’article 45 de son Règlement un alinéa 4 aux termes duquel il est procédé selon les mêmes règles que pour les exceptions d'irrecevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution, lorsque le Gouvernement soulève à l'encontre d'un amendement ou d'un article additionnel, une exception d'irrecevabilité fondée sur l'ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances, ce qui correspond à ce qui figurait antérieurement à l'article 121 du Règlement de l'Assemblée national.

Dans la discussion, M. MONNERVILLE est intervenu pour exprimer son plein accord avec le rapporteur. D'abord les règlements des Assemblées ont été déclarés conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Or, il est à noter que ces règlements réservent au Parlement la prérogative d'apprécier l'opposabilité de l'article 40 de la Constitution, qu'ainsi le Conseil constitutionnel ne peut statuer en cette matière que lorsqu'une Assemblée s'est prononcée pour contrôler la décision qu'elle a prise. Enfin, si le Conseil devait apprécier la recevabilité de l'article 40 sans exiger un tel préalable, il tomberait dans le défaut du gouvernement des juges. Personne ne désirant ajouter d'observations, il est procédé à la lecture du projet.

Ce projet a été adopté à l'unanimité.

M. le Président donne alors la parole à M. SEGALAT pour présenter son rapport sur l'examen de la loi modifiant l'article 4 de la loi de finances rectificative du 29 juillet 1961.

M. SEGALAT expose que le Conseil a été saisi, d'une part, par plus de soixante députés du groupe des socialistes et des radicaux de gauche et, d'autre part, par plus de soixante députés communistes, de la conformité à la Constitution de la loi modifiant l'article 4 de la loi de finances rectificative du 29 juillet 1961. Il rappelle que l'article 4 de ladite loi dispose : "Le traitement exigible après service fait, conformément à l'article 22, premier alinéa, de l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, est liquidé selon les modalités établies et selon la réglementation de la comptabilité publique.

L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent".

Les dispositions qui précèdent sont applicables au personnel de chaque administration ou service dotés d'un statut particulier, ainsi qu'à tous les bénéficiaires d'un traitement qui se liquide par mois. Le nouveau texte introduit entre les deuxième et troisième alinéas de cet article 4 les dispositions suivantes : "Il n'y a pas service fait 1) lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de service ; 2) lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction, telles qu'elles sont définies dans

leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements".

Il est utile de rappeler le contexte dans lequel s'incluent ces dispositions pour pouvoir apprécier la portée de cette loi. Nous sommes ici à un carrefour où se combinent notions, règles, principes et textes de domaines différents : statut de la fonction publique, principe de la continuité du service public, droit syndical, pouvoir syndical, liberté de la grève, comptabilité publique. Le mécanisme mis en jeu par les deux textes sus-rappelés est en réalité simple si on le reprend à partir de son point de départ : l'article 22 du statut de la fonction publique.

L'article 22 dispose que : "tout fonctionnaire a droit, après service fait, à une rémunération comportant le traitement, les suppléments pour charge de famille, indemnité de résidence... ", que le fonctionnaire ait droit à un traitement quand il a accompli son service, c'est là un principe général qui est plus que centenaire puisque déjà le décret de 1862 sur la comptabilité publique dispose dans son article 10 : "Aucun paiement public ne peut être fait que pour l'accomplissement d'un service fait". Cette règle se retrouve dans un décret de 1962.

En contrepartie, l'absence d'exécution du service entraîne évidemment la privation du traitement. Donc dès qu'il n'y a plus de service fait, il y aura retenue sur le traitement. C'est alors qu'apparaît une difficulté : Comment va être calculée la retenue quand l'absence de service fait est inférieure à une journée ? Cette difficulté est résolue par la règle de comptabilité rappelée au second alinéa de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961, loi dont il importe de noter que la constitutionnalité n'a, à l'époque, pas été mise en doute.

Comme, par ailleurs, le traitement des fonctionnaires se liquide par douzième, chaque mois, et que la liquidation mensuelle elle-même se fait par trentièmes, qui représentent forfaitairement chacun un jour, on comprend que la retenue pour l'absence de service fait au cours d'une journée soit d'un trentième du traitement mensuel. C'est ce qu’on appelle la règle du trentième indivisible.

Notons qu’il s'agit là d'une règle qui a son siège dans la réglementation de la comptabilité publique et que, d'autre part, il ne s'agit pas d'une sanction mais d'une obligation faite à l'administration d'opérer la retenue en cas de non-exécution du service, sans qu'il y ait lieu de considérer si les faits qui sont à l'origine de cette non-exécution sont ou non fautifs. Il va de soi que si ces faits sont fautifs ils peuvent également donner lieu à des sanctions.

La situation est relativement claire dès lors que l'on avait dominé la terminologie de la comptabilité publique. Elle a été obscurcie par la situation de fait résultant de l'inexécution de service autre que la grève : exécution du service volontairement incomplète ou délibérément pernicieuse aboutissant à une paralysie du service. Dans ces cas il y avait faute, c'est certain. Des poursuites disciplinaires étaient possibles et certaines. Mais pouvait-on, en outre, appliquer l'article 4 de la loi de finances rectificative pour 1961 ? L'administration s'est estimée fondée à opérer une retenue du trentième ; ainsi en a-t-il été pour des "grèves du 26è élève" "de la rentrée scolaire 1974.

On sait que, sur les consignes d'un syndicat, de nombreux professeurs ont limité leurs classes à 25 (renvoyant le 26è en salle de permanence et s'il n'y en avait pas, dans sa famille).

Le but recherché par ce mouvement était de faire modifier les instructions ministérielles prévoyant 35 élèves par classe et ainsi d'obtenir une augmentation du nombre des postes d'enseignants.

Voyons deux exemples pris, cette fois-ci, chez les comptables du Trésor. Il y a quelques années, on a constaté que ceux-ci faisaient l'intégralité de leur travail à l'exception de la totalisation des écritures de la journée. Il s'ensuivait, bien évidemment, l'impossibilité de connaître les résultats des opérations du Trésor, de les centraliser et de procéder à tout mouvement de Trésorerie de l'Etat.

Plus récemment, en février 1976, les comptables du Trésor ont monté une opération "silence". D'une part, il n'y avait pas d'ouverture des postes au public (guichet fermé) ; d'autre part, on répondait au téléphone : "nous nous excusons de ne pas pouvoir vous répondre en raison d'une manifestation organisée dans le service" ; enfin, il n'y avait pas d'expédition du courrier.

Vous voyez quelles sont les situations auxquelles le législateur a dû répondre.

En effet, à la suite de la "grève du 26è élève" l'administration a opéré la retenue du trentième. Les tribunaux administratifs ont été saisis de cette décision par un certain nombre d'intéressés et, le 20 mai 1977, le Conseil d'Etat a annulé la décision de retenue prenant pour motif que l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961, qui ne visait que l"hypothèse d'une abstention d'effectuer tout ou partie des heures de service n'était pas applicable.

C'est pourquoi le Gouvernement a estimé indispensable de combler les lacunes de la loi et a demandé au Parlement de voter les textes explicitant la notion de service fait. Le texte que je vous ai rappelé au début de ce rapport se borne à définir la notion de service non fait.

Qu'en est-il de la constitutionnalité de la loi ?

Les deux saisines comportent quatre griefs. L'un est commun aux deux saisines. Il s'agit de la violation du principe des droits de la défense. Deux sont avancés par la saisine des socialistes : violation du principe d'égalité et violation du principe de participation des travailleurs à la définition collective des conditions de travail. Un grief n’apparaît que dans la saisine des communistes : la loi serait contraire aux dispositions de la convention n° 95 de l'Organisation internationale du Travail et donc serait contraire à la Constitution comme étant prise en violation d'un Traité.

Indiscutablement, c'est le premier grief le plus important, celui de la violation des droits de la défense.

Ni la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ni le Préambule de 1946 n'énoncent un tel principe. Néanmoins, le Conseil d'Etat a toujours reconnu que les décisions qui ont le caractère de sanction ne peuvent être prises qu'après que la personne contre laquelle elles sont prononcées a été mise à même d'en discuter le bien fondé. Il s'agit là d'un principe général dont il est peu contestable qu'il doit être considéré comme un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Ceci ne résout pas la question de savoir si les dispositions de la loi soumise au Conseil constitutionnel ont méconnu un tel droit de la défense. En effet, pour admettre cette thèse, il faudrait estimer que la retenue a un caractère disciplinaire. Notons qu'en principe il n'en est rien. Cette retenue n'est pas en soi une sanction. Ceci ne suffit pas pour résoudre cette question. N'est-ce pas la loi elle-même qui aurait fait perdre à la retenue son caractère disciplinaire ? Le texte distingue deux cas : la non-exécution intégrale des horaires et la non-exécution des obligations de service d'un agent présent. Pour accomplir son service il est bien évident qu'il ne suffit pas d'être là, il faut encore faire son travail et l'accomplir dans les conditions définies par les lois et règlements. Ce n'est ni au syndicat ni à l'agent lui-même qu'il appartient de définir les obligations qu'il doit remplir. Ce n'est d'ailleurs pas non plus le supérieur hiérarchique qui fixe ces conditions de travail mais la loi elle-même.

On voit donc que dans les deux cas considérés par la loi, il s'agit, pour justifier la retenue, d'une non-exécution du travail et non pas seulement d'une mauvaise exécution. Il n'y a pas lieu d'apprécier le comportement de l'agent. Ce qui est en cause n'est ni son absence d'ardeur ni son défaut de qualification. On doit pouvoir, sans aucune appréciation portée sur sa conduite, constater matériellement une inexécution. Elle doit être évidente, manifeste, on entre alors dans le domaine de l'action disciplinaire. Déduire d'une telle appréciation la nécessité de procéder à une retenue au niveau individuel, serait un détournement de procédure. Le Conseil d'Etat annulerait la décision prise dans de telles conditions.

Nous voyons donc qu'il n'y a rien d'anormal dans cette distinction entre la non-exécution et la mauvaise exécution Ce qui par contre le serait, ce serait de conclure à la non constitutionnalité de la loi en raison de la déviation ou du détournement que l'on peut lui faire subir.

Notons enfin sur ce point qu'en donnant les raisons de la constitutionnalité de ce texte, le Conseil définira les conditions qui doivent être respectées pour sa mise en oeuvre. Et ceci s'imposera tant à l'administration qu'aux juges de l'excès de pouvoir et au fonctionnaire lui-même, malvenu à invoquer un mécanisme de garanties d'une fonction dont il a lui-même faussé les conditions. L'agent ne peut pas faire grève, en la voilant, sans courir le risque de non-paiement de son traitement pendant la grève.

Violation du principe d'égalité -

Il est inutile de discuter de cet argument car il est évident que la loi ne fait aucune discrimination entre les fonctionnaires. Ce grief n'a pas de fondement.

Principe de participation du personnel à la détermination collective dans les conditions de travail -

Ce grief est fondé sur le fait que le Conseil Supérieur de la Fonction Publique n'a pas été consulté. On notera que sa consultation n'est pas exigée sur des textes dont l'objet n'est pas de modifier le statut de la Fonction Publique de 1959. Comme le texte ici ne modifie pas le statut mais une loi de finances de 1961, cette consultation n'était pas obligatoire.

Violation d'un engagement international -

En ce qui concerne les griefs sur la violation des dispositions de la convention n° 95 de l'Organisation internationale du Travail mon premier mouvement avait été de répondre que cette convention ne concerne pas les fonctionnaires. Mais une telle réponse comporte un danger. C'est, pour les commentateurs, de remettre en cause la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle il n'a pas à contrôler les lois par rapport aux traités. C'est pourquoi vous trouvez un refus de principe d'un tel contrôle dans le projet qui vous a été distribué. J'avoue que la portée de cette jurisprudence ne m'apparaît pas dans une clarté totale mais il est certain que le principe n'en fait pas de doute.

Il ne semble pas quand bien même il y aurait lieu de le modifier que cela puisse se faire dans une telle affaire. L'argument n'est qu'un argument annexe.

Voici les diverses raisons qui m'ont amené à vous proposer la décision de conformité à laquelle conclut le projet que vous avez entre les mains.

Le Président demande s'il n'y a pas lieu, pour éclairer davantage le Conseil, de lire les considérants du projet avant la discussion générale.

Considérant qu'aux termes de l'article 22 de l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires "le fonctionnaire a droit, après service fait, à une rémunération comportant le traitement ..." et qu'en vertu de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961, portant loi de finances rectificative pour 1961, l'absence de service fait donne lieu, dans les conditions précisées par cette loi, à une retenue sur traitement ; qu'il résulte de la combinaison de ces deux textes que la retenue sur traitement a le caractère d'une mesure qui est liée à la notion de service fait et relève de la réglementation de la comptabilité publique ; qu'elle est indépendante de l'action disciplinaire qui peut toujours être engagée à l'occasion des mêmes faits si ceux-ci sont constitutifs d'une faute professionnelle ;

Considérant que l'article unique de la loi soumise au Conseil constitutionnel pour examen de sa conformité à la Constitution complète l'article 4 de la loi de finances rectificative pour 1961 et a pour seul objet d'expliciter ce qu'il faut entendre par absence de service fait ; que ce texte précise qu'il n'y a pas service fait lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de service ou lorsque, bien qu'effectuant ses heures de service, il n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction dans le cadre des lois et règlements ;

Considérant qu'aucun de ces deux motifs - heures de service ou obligations de service -, qui se traduisent, l'un et l'autre, par une inexécution du service, ne saurait avoir pour effet de conférer à la retenue sur traitement le caractère d'une sanction disciplinaire, dès lors que la constatation de cette inexécution ne doit impliquer aucune appréciation du comportement personnel de l'agent, telle qu'elle serait opérée dans le cadre d’une procédure disciplinaire ; qu'il faut, par suite, en particulier dans le cas des obligations de service, que l'inexécution soit suffisamment manifeste pour pouvoir être matériellement constatée sans qu'il soit besoin de porter une appréciation sur le comportement de l'agent ; que, sous cette condition qui devra être observée dans les mesures individuelles d'application et pour le respect de laquelle le fonctionnaire dispose des voies de droit normales, la retenue sur traitement demeure une mesure de portée comptable et se trouve, dès lors, hors du champ d'application du principe des droits de la défense ;

La discussion étant ouverte, M. PERETTI présente une observation d'aspect pratique : Il ne voit ni sanction ni récompense dans le fait qu'une heure de service non accomplie ne soit pas payée ou dans celui où l'on rémunère une heure supplémentaire. Sur le plan moral, il ne voit pas de quel droit un professeur pourrait faire son cours en refusant des enfants,

ou le métro pourrait rouler sans qu'on y admette les voyageurs ; ceci n'est pas du service fait. Il constate que le Conseil d'Etat regrette qu'il n'y ait pas de précisions suffisantes dans la loi et, qu'à présent, cette lacune sera comblée.

M. GOGUEL est tout à fait d'accord avec les conclusions de M. SEGALAT tant pour les raisons juridiques données par celui-ci que pour une raison historique et morale. Le droit de grève existe certainement. C'est une conquête des travailleurs que ceux-ci ont acquise de façon parfois coûteuse, mais il implique l'acceptation du non-paiement des travaux qui n'ont pas été faits. Or, le caractère ambigu des grèves nouvelles a entraîné la méconnaissance des sacrifices pour le gréviste. Il est bien certain qu'il ne faut pas confondre non-paiement et sanction puisque la grève est légale mais il est certain que la rédaction de la décision ne permet aucune conclusion de ce genre.

Intervention de M. BROUILLET.

M. SEGALAT m'a donné un grand témoignage d'amitié en acceptant de se substituer à moi pour l'étude de ce projet et pour la préparation du rapport. Je l'en remercie et je m'en félicite pour vous tous, car il vous a fait ici bénéficier d'une étude juridique de bien plus grande qualité que celle que j'aurais pu vous présenter. Ceci dit, je ne puis m'empêcher de ne pas être pleinement convaincu par son argumentation.

Je ne suis pas certain que l'on puisse s'autoriser d'une interprétation extensive, voire abusive, du droit de grève par certains travailleurs pour, de notre part, interpréter d'une façon également extensive la réglementation de la comptabilité publique sur le service fait. Que les règles de retenue du trentième ou que celles de la retenue sur service fait soient des règles comptables cela n'est guère douteux, mais on voit mal comment on pourrait en déduire qu'elles n'interfèrent pas sur les questions, bien proches, de la discipline. On ne saurait dire qu'il y a entre ces règles et entre ces domaines des cloisons étanches.

En nous autorisant d'un abus du droit de grève pour tirer de telles conséquences nous risquerions de n'être plus dans le domaine du droit.

Une sanction est une mesure que l'on prend pour rétribuer le non-respect d'une obligation.

En 1961, c'était l'administration qui avait posé la règle du trentième indivisible par un décret. Ce décret n'était pas légal et n'avait pas trouvé grâce devant le Conseil d'Etat ; telle est l'origine de la loi de 1961. Nous étions toujours dans un domaine quantitatif.

En 1974, une circulaire gouvernementale passe de la quantité à la qualité. La circulaire, d'ailleurs, mise en application, a abouti à des décisions qui ont été annulées par le Conseil d'Etat.

J'éprouve, pour ma part, une certaine insatisfaction devant la loi qui rend légitime un comportement de l'administration, estimé illégal par le juge administratif. Dans l'espèce, la disposition nouvelle greffe sur un règlement de comptabilité publique une référence à l'accomplissement du service, mais dans ce cas, il n'y a plus simplement à déterminer un fait qui permettrait l'application d'une règle comptable automatique ; l'application de la retenue suppose nécessairement un pouvoir d'appréciation donné au chef hiérarchique : Ce qui semble entraîner, par conséquence, la mise en oeuvre des droits de la défense. En effet, il ne s'agit plus du simple jeu automatique d'une règle de comptabilité publique, il s'agit bien d'une sanction qui, pas plus que la grève, ne veut dire son nom.

M. GROS - Il convient d'éviter de se faire prendre à des mots pièges, généraux et peu précis. On a beaucoup parlé de grève. La grève consiste en une cessation concertée du travail. Ensuite, on est parti de cette notion simple pour donner naissance à des notions antinomiques telles que "grève du zèle", "grève perlée", grève tournante", or, il est impensable d'être gréviste et de faire du zèle. Le zèle n'est certainement pas la cessation du travail. Le maniement de la grève est difficile. Il est onéreux. Aussi, pour lutter contre sa réglementation, on a développé diverses formes d'absence de service.

L'article 4 de la loi de 1961 emploie le mot "absence" pour non-réalisation du service. L'absence de service est une mauvaise formulation qui, par opposition, fait penser à la présence physique. La loi d'aujourd'hui n'est pas plus heureuse dans sa rédaction quand elle précise ce qu'il faut entendre par absence de service.

Le rapport de M. SEGALAT m'a convaincu de deux façons. On ne peut pas revenir sur la loi de 1961 ; or, celle d'aujourd'hui est interprétative plus que modificative. Elle complète ce qu'il faut entendre par absence de service fait et elle n'y ajoute rien. C'est d'ailleurs ce que dit Denoix de Saint-Marc dans ses conclusions. Bien des fois le Conseil d'Etat a déclaré qu'une décision interprétative ne peut pas faire grief. Par ailleurs, dans le dernier paragraphe de la décision du Conseil d'Etat, on lit : "Même si les agissements des professeurs présentaient le caractère de faute professionnelle susceptible de sanction disciplinaire" et l'on voit bien qu'il y a là distinction entre deux aspects de la même situation.

Faut-il déclarer inconstitutionnelle une loi au simple motif que son application pourrait donner lieu à un détournement ? Certainement pas. C'est aux tribunaux de sanctionner de tels agissements. Pour ma part, je demande simplement que l'on précise que la loi complète et non modifie le texte de l'article 4.

M. COSTE-FLORET précise qu'il ne pense pas que la loi ne soit pas conforme à la Constitution mais il trouve désagréable la méthode d'une loi prise pour faire échec à une décision de justice. Tout le raisonnement dans cette affaire porte sur la question de savoir s'il y a faute et sanction, ou simple règle comptable. Il est bon de noter que l'intéressé ressentira très certainement cette retenue comme une sanction. L'inconvénient de la loi est dans le fait que le fonctionnaire, dans un tel cas est privé de la garantie de communication du dossier, laquelle posée par un texte de 1880 pour l'enseignement public, a été étendue en 1905 à tous les agents de l’administration et n'a pas été écartée par les loi sur les grèves interdites en 1963. La tradition n'est vraiment pas douteuse : donc il faut déduire qu'il existe bien un tel principe. C'est pourquoi il conviendrait d'introduire la réserve de ce droit à la défense en précisant les réserves qui sont dans le projet à la fin de la page 2.

Enfin, M. COSTE-FLORET précise qu'il n'est pas d'accord avec M. GROS sur la valeur interprétative d'une loi qui a pour but de changer toute la jurisprudence en une matière. Il félicite M. SEGALAT de sa sagacité qui l'a conduit à une bonne conclusion pratique mais il réserve les droits de la défense.

M. GOGUEL répond à M. BROUILLET qu'il peut lui paraître choquant que son texte fasse échec à une décision de justice mais que tel n'est pas le cas de la loi, puisque dans les termes mêmes des conclusions de Denoîx de Saint-Marc il y a une demande implicite de modifier la loi pour permettre de résoudre utilement les situations semblables à celle qui était soumise au Conseil d'Etat.

M. PERETTI pense lui aussi qu'aux pages 6 et 7 des conclusions du Commissaire du gouvernement apparaît une telle demande d'intervention du législateur. Il est hors de doute que le Conseil d'Etat a entendu demander au Gouvernement de préciser la loi.

M. COSTE-FLORET demande puisque l'on se reporte aux conclusions du Commissaire du gouvernement, qu'on les lise jusqu'au bout pour y trouver la dernière phrase : "Nous ne pouvons, pour notre part, admettre que ne voulant pas ou n'osant pas engager des poursuites disciplinaires à l'encontre de ces fonctionnaires coupables de fautes analogues à celles de l'espèce : - attitude qu'elle est parfaitement libre d'adopter car elle est seule juge de l'opportunité des poursuites - l'administration puisse se trouver engagée par votre décision à s'orienter dans la voie infiniment plus commode pour elle, mais à la limite du détournement de procédure, de la généralisation des retenues sur traitement."

M. BROUILLET se demande si la façon dont a été conduit certain raisonnement n'est pas celle qui eut été bonne s'il n’y avait pas de Conseil constitutionnel : le Parlement est souverain sauf lorsqu'est contrôlée l'exacte application de la loi par le Conseil d'Etat. Mais le Conseil constitutionnel, régulateur de l'activité des pouvoirs publics ne saurait être passif dans ces cas-là. On l'accusera de gouvernement des juges s'il intervient ? Cela est un peu rapide.

Il apparaît utile de noter ici que la solution française est la seule qui retienne un contrôle de constitutionnalité avant l'application de la loi. Ceci donne au Conseil la possibilité de cheminements différents de ceux du contrôle a posteriori. Il y a là une possibilité d'action qui devrait être mise à profit pour endiguer des comportements tels que ceux du législateur dans le cas présent.

M. COSTE-FLORET demande si on ne pourrait pas réserver les droits à communication de la même façon qu'on avait réservé les droits de la défense dans la décision sur les accidents du travail du 2 décembre 1976.

M. BROUILLET avait songé à une solution de ce genre mais elle conduit à abandonner l'argumentation de M. SEGALAT, car elle n'a pas de sens si on n'admet pas que la retenue est une sanction.

Le Président comprend bien le raisonnement de M. BROUILLET et pense qu'il aboutit à dire que la loi est inconstitutionnelle.

M. BROUILLET répond qu'il est possible de donner une solution médiane. Il s'agirait là d'une nouvelle forme de sanction entraînant la mise en application des droits de la défense.

M. MONNERVILLE trouve très claire la distinction établie par le rapport entre mesure comptable et sanction.

M. SEGALAT rappelle que s'il y a eu une difficulté sur la règle du trentième en 1961 elle est venue du fait que la Constitution avait changé. Cette règle appartenait dorénavant au domaine réservé au législateur ; telle est l'origine de la difficulté survenue à l'époque entre le Gouvernement et le Conseil d'Etat. Quelle est l'origine de la loi de 1977 ? Le Conseil d'Etat a déclaré que la réglementation ne vise qu'un cas hors duquel elle ne peut jouer ; donc le Gouvernement prend acte de cette jurisprudence, en tire la leçon et prévoit les autres cas. En ce qui concerne le rapport entre la loi et la façon dont elle est ressentie, il est bien certain que l'intéressé comprendra comme une sanction la retenue sur traitement ; mais il arrive aussi qu'il estime être une sanction le fait de n'avoir pas eu un avancement sur lequel il comptait pour des raisons personnelles. Tout ceci est parfaitement subjectif.

En ce qui concerne le débat entre les deux procédures, il faut bien comprendre que la procédure de retenue pour service non fait n'exclut pas la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire. L'administration peut choisir ou additionner les deux voies. Il est certain, enfin, que si cette loi ajoute à celle de 1961, on ne peut pas dire qu'elle la modifie profondément, en tout cas, elle n'intéresse pas le droit disciplinaire. On ne peut, par ailleurs, penser qu'il est possible de faire une réserve de communication du dossier puisque cela n'était pas dans le sens de la loi actuelle. Il ne faut pas nier qu'il est possible de glisser du domaine comptable au domaine disciplinaire mais un tel glissement possible n'est pas propre à cette loi. La procédure de mutation d'un fonctionnaire dans l'intérêt du service peut aussi donner lieu à détournement. Une décision qui constitue un tel détournement sera annulée par le Conseil d'Etat.

Toute procédure peut être détournée. On a ainsi vu un Maire supprimer un emploi pour se débarrasser d'un garde champêtre.

Il faut faire confiance au contrôle du juge pour éviter de tels écarts.

Le rôle du Conseil constitutionnel du fait de son contrôle préalable est bien d'utiliser cette finesse que lui donne l'intervention à un tel moment pour préciser des notions dont les circulaires d'application devront tenir compte afin de rendre difficile une déviation de la loi.

Après cette discussion générale, la séance est suspendue à 13 h 30, elle sera reprise à 15 heures.

Lors de la reprise de la séance, il est donné lecture du projet de décision de M. SEGALAT qui est adopté, M. BROUILLET s'abstenant, avec quelques modifications de forme.

M. le Président donne alors la parole à M. COSTE-FLORET qui présente son rapport sur la nature juridique de diverses dispositions relatives à l'organisation judiciaire et à la Cour de Cassation.

Les dispositions de deux ordonnances n° 58-1273 et n° 58-1274 du 22 décembre 1958 soumises au Conseil constitutionnel ainsi que celles des articles 1, 2, 13, 17, 18 et 19 de la loi relative à la Cour de Cassation sont du domaine réglementaire En effet, il s'agit ou de simples questions d'organisation interne des tribunaux ou de dispositions relative à la seule compétence territoriale de juridictions pénales (tribunaux pour enfants, juges des enfants) ou enfin de règles qui ne touchent qu'à la procédure civile. Les diverses questions qui pourraient se poser à ce sujet sont déjà résolues par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Signalons que les attributions du Bureau de la Cour de Cassation (dont la composition est fixée par l'article 2 de la loi du 3 juillet 1967) ne comportent aucun rôle juridictionnel. Ce bureau a deux missions, soit de déterminer l'organisation pratique du fonctionnement de la Cour de Cassation (date des audiences, nombre des audiences etc...), soit de procéder à la désignation de personnes, dont la qualité est indiquée par la loi, qui doivent constituer certaines juridictions spéciales (ainsi il est chargé de désigner les magistrats qui rempliront les fonctions de l'instruction à la Haute Cour de Justice).

Les deux seules dispositions délicates sont celles des articles 6 et 7 de la loi du 3 juillet 1967 relative à la Cour de Cassation. Le problème posé est difficile. La note

rédigée par M. AUBERT, Conseiller d'Etat, président d'un groupe de travail sur la codification de l'organisation judiciaire, à l'appui de la demande déclassement des articles 6 et 7,ne propose pas moins de quatre solutions différentes. J'ai d'ailleurs reçu ce M. AUBERT, à la demande de M. de DREUZY, et je m'en félicite car il m'a conforté dans mes conclusions qu'il rejoint, mais par des motivations différentes.

Les articles 6 et 7 de la loi sur la Cour de Cassation.

L'article 6 est relatif à la composition de la Chambre mixte, l'article 7 est relatif à la composition de l'Assemblée plénière.

Article 6- "Dans les cas d'application de l'article 14, une chambre mixte, composée de magistrats appartenant à deux ou plusieurs chambres de la Cour, est constituée par ordonnance du premier président.

La chambre mixte est présidée par le premier président ou, en cas d'empêchement de celui-ci, par le plus ancien des présidents de chambre de la Cour.

Elle comprend, en outre, les présidents et doyens des chambres qui la composent ainsi que deux conseillers de chacune de ces chambres, désignés, sur proposition du président de chambre, par le premier président. L'un de ces conseillers est désigné pour l'année judiciaire.

Lorsque la présidence de la chambre mixte est assurée par le président de l'une des chambres qui la composent, un autre conseiller de cette chambre est en outre appelé à siéger par le premier président"

Article 7- "L'assemblée plénière est présidée par le premier président ou en cas d'empêchement de celui-ci, par le plus ancien des présidents de chambre ; elle comprend en outre les présidents et les doyens de six chambres ainsi que deux conseillers de chaque chambre, désignés annuellement par le premier président".

Avant d'examiner le détail de ces textes, il convient d'examiner deux questions.

1- Tout d'abord, il s’agit ici de la Cour de Cassation et de son organisation dont nous concilierons tout à l'heure que les règles dont il s'agit déterminent sa structure et sont des règles constitutives.

Une première objection de principe peut être présentée qui partirait d'une comparaison entre la Cour de Cassation et le Conseil d'Etat.

On sait que l'organisation du Conseil d'Etat est presque intégralement réalisée par décret. Mais à ceci on pourrait répondre que le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation ne sont pas comparables exactement sur regard du droit constitutionnel. Le Conseil d'Etat a une très large compétence d'avis mentionné aux articles 38 et 39 de la Constitution et évidemment n'a aucune compétence en matière pénale sauf celle très limitée qui lui est donnée en matière de contravention de grande voirie. D'autre part, les seuls magistrats qui sont mentionnés dans la Constitution, en son article 64 qui précise que leur statut dépend d'une loi organique, sont les magistrats de l'ordre judiciaire.

Il est certain que ce texte concerne les membres de la Cour de Cassation, mais qu'il ne vise ni les membres des tribunaux administratifs ni ceux du Conseil d'Etat.

2. Les règles constitutives d'un ordre de juridiction sont-elles du domaine de la loi, par application de l'article 34 ?

A ce point de vue, il convient de se reporter à la jurisprudence du Conseil constitutionnel aussi bien en la matière des établissements publics que dans celle de la création des ordres de juridiction.

Il y a les mêmes raisons de retenir l'extension de la compétence législative aux règles constitutives pour les juridictions que pour les établissements publics.

Si l'on ne définissait pas la structure d'un organisme par ses règles essentielles le terme de création d'une telle catégorie d'organisme n'aurait aucun sens puisque la loi se bornerait pour créer une "catégorie ou un "ordre" à poser un simple mot auquel le règlement pourrait donner des contenus distincts. Il convient de noter que le Conseil constitutionnel, qui a décidé, à diverses reprises, que les règles de création comprennent les règles constitutives pour les établissements publics, a appliqué le même raisonnement pour résoudre des cas proposés en matière d'ordres de juridiction.

Pour plus de détails, il faut se reporter aux indications données sur l'ensemble de cette question par MM. FAVOREU et PHILIP.

"III - Si le Conseil constitutionnel avait interprété normalement la Constitution, la - création de nouveaux ordres de juridiction - n'aurait requis que fort rarement l'intervention du législateur. En fait, dès la première des six décisions

que la Haute Instance a rendues jusqu’ici sur cette question, une interprétation large de cette disposition a été adoptée, qui allait ensuite orienter la jurisprudence du Conseil constitutionnel comme celle du Conseil d’Etat.

Pourtant, comme le souligne M. Moreau (p. 650), "l’analyse des travaux préparatoires de la Constitution de 1958 ne commandait en aucune manière une interprétation souple". En effet, dans l’avant-projet du gouvernement, le législateur était compétent pour régler les questions relatives au "statut de la magistrature et à l’établissement des juridictions" ; sur amendement de M. Waline, le domaine de la loi, qui comprenait déjà donc la création de toute juridiction (mais non leur suppression d’après le commissaire du gouvernement !), fut étendu à la "compétence des juridictions". Mais, lors de l’adoption définitive du projet de constitution, la formule fut remplacée par celle de "création d’ordres de juridiction" (à l’initiative de "quelque ignorant", suppose M. Waline, R.D.P., 1959, pp. 713-714). Il s’agit là, comme le note M. Hamon (D., 1961, p. 541), "d’une restriction considérable au domaine législatif par rapport aux textes antérieurs (celui du projet gouvernemental et celui de l’avis donné par le comité consultatif)", et M. Waline ajoute que l’expression "ordre de juridiction", si on la prend à la lettre, "enlève à peu près toute portée pratique à la formule dans laquelle elle est inscrite".

Le Conseil constitutionnel, non seulement allait adopter une conception large de l’ordre de juridiction, mais encore allait inclure dans les « règles de création », comme pour les catégories d’établissements publics, le maximum de dispositions.

1° La notion d'ordre de juridiction.

Comme le souligne M. Moreau, "ordre de juridiction pris dans son acception technique implique traditionnellement une hiérarchie complète de tribunaux soumis au contrôle d’une Cour suprême". Cela conduit à ne distinguer pratiquement que deux ordres : l’ordre judiciaire et l’ordre administratif. Et M. Moreau peut alors en déduire "Le texte constitutionnel eût-il été interprété strictement, on voit mal à quelles applications il aurait pu conduire si ce n’est à réserver au Parlement la création fort problématique d’un ordre de juridictions sociales."

La présente décision du 18 juillet 1961 tranche immédiatement le problème, et ce de la manière suivante. L’ordonnance du 22 décembre 1958 concernant l’organisation judiciaire a créé les tribunaux d’instance, qui, succédant aux justices de paix, ont comme elles la double qualité de juge civil et de juge pénal. Toutefois, à Paris, Lyon et Marseille — selon l’article 5 de l'ordonnance —, il est créé des tribunaux d’instance à compétence exclusivement pénale, les autres tribunaux d’instance de ces villes ayant compétence en matière civile. Le Premier ministre demandait au Conseil constitutionnel de déclarer le caractère réglementaire de cet article 5, sans doute, dit M. Hamon, "afin de créer d’autres juridictions semblables". Le Conseil constitutionnel reconnaît

sans hésiter que ces trois tribunaux constituent un nouvel ordre de juridiction : "Considérant que les tribunaux d’instance à compétence exclusive en matière pénale constituent un ordre de juridiction distinct des tribunaux d'instance crées par l’article 1er de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958 ; que la disposition de ladite ordonnance, qui institue de tels tribunaux, a donc un caractère législatif..."

Dans la ligne de cette première décision, le Conseil constitutionnel a ainsi reconnu que constituaient un ordre de juridiction les conseils de prud'hommes (22 mai 1964 indirectement), les tribunaux pour enfants chargés de juger uniquement les mineurs de dix-huit ans auxquels sont imputées des infractions qualifiées crimes ou délits (21 décembre 1964) , les Chambres d’expropriation de première instance et d’appel, dont la compétence est limitée à la fixation des indemnités (9 février 1965). Dans le même sens, le Conseil d’Etat a décidé, conformément à la jurisprudence du 18 juillet 1961, que relevait du domaine de la loi la création de tribunaux militaires à compétence spéciale (Cons. d’Etat 2 mars. 1962, Rubin de Servent), d’une section disciplinaire spéciale au sein du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cons. d'Etat, 13 juill. 1962, Cons. nat. de l’Ordre des Médecins), ou d’une juridiction compétente pour prononcer la déchéance temporaire ou définitive de la qualité d’artisan ou de maître artisan (Cons. d’Etat 30 juin 1967, Caisse de compensation). Ainsi, comme le constate le président Odent (Contentieux administratif, p. 201), "le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont donné de l’expression "création de nouveaux ordres de juridiction" une interprétation très extensive : ils ont estimé que toute création d’une juridiction d’un type nouveau relevait du domaine de la loi". Avec "juridiction d’un type nouveau" on est très près de l’établissement public d’un type nouveau, et le commissaire du gouvernement Braibant affirme encore davantage cette similitude en parlant de "catégorie" de juridictions, comme l’avait fait M. Waline dès 1958 : "Il résulte de ces jurisprudences (des deux Conseils) que l’ordre de juridiction se définit comme une catégorie de juridictions composées selon un même type et chargées d’une même compétence matérielle ; en d’autres termes, les ordres de juridiction se distinguent les uns des autres par leur mode de composition et l’étendue de leur compétence" (R.D.P., 1962, p. 739).

Cette concordance entre les deux jurisprudences se retrouve au niveau de la détermination des règles de création.

2° La notion de règles de création.

La décision du 18 juillet 1961 marque que non seulement le législateur est compétent pour décider de la création même d’un nouvel ordre de juridiction, mais aussi pour définir le "cadre" et "les principes" compte tenu desquels le pouvoir réglementaire pourra mettre en place les juridictions appartenant à la même catégorie : "Considérant que, si l’article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer « les règles concernant... la création de nouveaux "ordres de juridiction", la détermination du nombre, du siège et du

ressort de chacune des juridictions créées dans le cadre des principes définis par la loi est de la compétence règlementaire."

Quelles sont ces "règles constitutives" ou ces principes selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel ? On peut distinguer d’abord les règles qui ont trait à la structure et à la composition des juridictions. La détermination des membres appelés a siéger dans ces juridictions fait évidemment partie de ces règles constitutives. C’est ce qui est décidé dans la décision du 9 février 1965 à propos de la "composition particulière" des Chambres d’expropriation "que [la disposition] de l'alinéa 2 du même article qui détermine leur composition, ressortit à la compétence du législateur" ; et le Conseil constitutionnel va même jusqu’à décider, dans sa décision du 21 décembre 1964, à propos des tribunaux pour enfants, que "au nombre des règles ci-dessus visées, doivent figurer celles relatives au mode de désignation des personnes appelées "à siéger" en qualité d’assesseurs au sein desdits tribunaux, ainsi que celles qui fixent la durée de leurs fonctions", et cela parce que ces règles "sont des garanties de l’indépendance de ces assesseurs". Les règles relatives à la compétence ratione materiae sont aussi des règles constitutives : dans la décision ci-dessus rapportée, le Conseil constitutionnel exclut expressément les règles concernant la compétence ratione loci "qu’il entre dans la compétence du pouvoir réglementaire de fixer leur nombre, leur siège, leur ressort... que [au surplus] la détermination du ressort desdits tribunaux ne peut être comprise au nombre des "règles concernant la procédure pénale...", mais la compétence ratione materiae relève du domaine législatif, car c’est un des éléments de définition de l’ordre de juridiction (cela ressort indirectement de la décision du 22 mai 1964 et explicitement de celle du 9 février 1965 : "que... la disposition... qui confie à ces Chambres de l’expropriation la fixation des indemnités... ressort à la compétence du législateur").

La solution ne semblant pas faire de doute, puisqu'il paraît même résulter de ces explications dont je vous prie d'excuser la longueur qu'il y a bien lieu de continuer à appliquer aux "ordres de juridiction" la jurisprudence sur les règles constitutives, en lui donnant une formulation claire, j'en viens à présent à l'étude détaillée des deux articles 6 et 7.

I - Article 6 : composition de la chambre mixte.

La chambre mixte est composée de magistrats appartenant à au moins deux chambres de la Cour de Cassation. Elle est présidée par le plus haut magistrat du siège, le Premier Président, ou s'il est empêché, par le plus ancien Président de chambre. Elle comprend, pour chaque chambre qui entre dans sa composition, le Président, le doyen, deux conseillers.

Elle statue tous ses membres présents (c'est-à-dire avec au moins neuf personnes dont trois présidents, alors que les chambres statuent à sept membres (un président et six conseillers).

La chambre mixte dont la compétence est définie par l'article 14 de loi peut être saisie, facultativement (par une ordonnance du Premier Président, avant l'ouverture des "débats, ou par arrêt non motivé de la chambre saisie)

quand la question à trancher :

- est une question de principe,

- ressortit de la compétence de plusieurs chambres,

- risque d'entraîner une contrariété de décision.

La chambre mixte est saisie obligatoirement dans deux cas :

1°- s'il en est ainsi requis par le Procureur général avant l'ouverture des débats.

2°- en cas de partage égal des voix de la chambre saisie de l'affaire. Elle est alors compétente pour prendre la décision.

On voit qu'elle est saisie quand il y a lieu d'assurer l'unité dé jurisprudence de la Cour de Cassation, donc, par suite, l'unité de la jurisprudence cîe l'ensemble des juridictions soumises à son contrôle.

(Notons que l'article 14, qui définit ces compétences n'est pas visé dans la saisine. Le Gouvernement semble donc accepter son caractère législatif).

La chambre mixte assure sa fonction unificatrice, grâce au grade et au recrutement dans diverses chambres de la Cour de Cassation de ses membres.

Les règles de compétence que lui attribuent ce rôle et celles de composition qui lui permettent de l'assurer sont des règles essentielles, donc des règles constitutives au sens de l'article 34 de la Constitution, de la Cour de Cassation.

Il ne s'ensuit pas que la totalité de l’article 6 soit du domaine de la loi.

L'article 6 comporte des dispositions réglementaires relatives à la désignation des magistrats composant la chambre mixte, mode de désignation, autorité compétente pour l'exercer, durée de cette désignation (fin des alinéas 1, 3 et 4).

II - Article 7 : composition de l'assemblée plénière

L'Assemblée plénière succède à la formation des "Chambres réunies".

Elle est présidée par le premier président, ou, s'il est empêché, par le plus ancien président de chambre. Elle comprend, en outre, le président de chacune des chambres, ainsi que le doyen et deux conseillers de chaque chambre. C'est-à-dire, qu'elle comporte 25 membres (puisque la Cour de Cassation compte actuellement 6 chambres). Elle ne peut statuer que si tous les membres qui doivent la composer sont présents - en

cas de l'absence de l'un d'eux, il lui est désigné un remplaçant.

On voit que cette formation est réglée par des conditions extrêmement strictes, précises, et offrant un maximum de garanties. Elle doit être saisie quand, une Cour d'appel ne s'étant pas inclinée sur renvoi après Cassation un nouveau recours a lieu sur un point déjà tranché par la première chambre saisie.

Ce n'est qu'après intervention de l'Assemblée plénière que l'affaire sera définitivement tranchée, soit que la Cour d'appel soit obligée d'adopter la doctrine de l'assemblée plénière, soit que celle-ci ait évoqué l'affaire au fond si les constatations et les appréciations du premier arrêt permettent de statuer sans renvoi.

On voit par cette simple définition de la compétence de l'Assemblée plénière que c'est elle et elle seule qui assure en définitive l'unité de la jurisprudence.

Ses décisions s'imposent sans contestation possible. Elle seule est investie du pouvoir de dire de façon absolue quel est le droit dans les matières judiciaires.

Notons qu'il n'est pas demandé de déclasser les articles 15 et 16 qui définissent la compétence de l'Assemblé plénière. Est-il raisonnable qu'elle puisse l'exercer sans une définition précise de ses règles de compositions ? Certainement pas, elles définissent la Cour de Cassation elle-même. Seule la loi peut dire ce qui la caractérise, par sa composition, comme par sa compétence.

On voit donc qu'assurer l'unité de la jurisprudence dans les questions les plus difficiles, par une formation élargie aussi bien que donner le pouvoir souverain à une formation issue de toutes les chambres sont des nécessités pour une juridiction de la nature de la Cour de Cassation. Les règles dont il s'agit caractérisent la Cour de Cassation, et seule la loi peut les poser ou les modifier.

Deux dispositions de l'article 7 sont réglementaires. L'indication qu'il y a "six" chambres à la Cour de Cassation, celle de l'autorité chargée de désigner, parmi les magistrats définis par la loi, ceux qui appartiennent à l'assemblée plénière, enfin le fait que ces désignations ont lieu annuellement.

La Président demande si aucun membre du Conseil désire prendre la parole. Personne n'en ayant exprimé le désir, il est donné lecture du projet, lequel est adopté à l'unanimité.

La décision étant admise, M. SEGALAT fait observer qu'il a éprouvé une certaine surprise en prenant connaissance de la jurisprudence du Conseil constitutionnel devant la notion de règles constitutives et il constate qu'elle fait des ravages encore au-delà de la jurisprudence sur les établissements publics. Elle lui paraît procéder d'une interprétation extensive des compétences du législateur et il se propose ultérieurement de revenir sur ces décisions en ce qui concerne les établissements publics.

M. GOGUEL note que M. CHIROUX dans un article qu'il lui a communiqué ce jour se trompe dans l'interprétation de la jurisprudence du Conseil puisqu'il lui reproche d'avoir constamment limité à l'extrême les pouvoirs du Parlement alors que dès l'origine le Conseil a eu une interprétation large du domaine de la loi. Pour sa part, M. GOGUEL pense qu’il ne faudrait pas augmenter encore cette compétence du législateur. Mais il admet, bien volontiers que tel n'était pas le cas pour la décision qui vient d'être rendue. En effet, il est fort convaincu de son bien-fondé, en raison de l'importance du rôle de la chambre mixte et de l'assemblée plénière.

La séance est levée à 17 heures.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.