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PV1977-07-05

Emmy FELTINSEANCE DU 5 JUILLET 1977

La séance est ouverte à 10 heures. Tous les membres du Conseil sont présents.

M. le Président rappelle l’ordre du jour ci-après.

- Examen, en application de l’article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la conformité à la Constitution de la loi portant diverses mesures en faveur de l’emploi et complétant la loi n° 75-574 du 4 juillet 1975 tendant à la généralisation de la Sécurité sociale.

Rapporteur : M. GOGUEL

- Examen, en application de l’article 61, premier alinéa, de la Constitution, de la conformité à la Constitution de deux lois organiques complétant l’une l’article L.O. 176 du code électoral relative au remplacement des députés, l’autre les articles L.O. 319 et L.O. 320 du même code relative au remplacement des sénateurs.

Rapporteur : M. SEGALAT 

Il donne ensuite la parole à M. GOGUEL qui présente son rapport sur la loi relative à l’emploi des jeunes.

M. GOGUEL rappelle qu’il s’agit là d’une saisine par plus de soixante députés appartenant au groupe du parti socialiste et des radicaux de gauche.

Le projet de loi avait été adopté le 25 mai à l’Assemblée nationale.

Dans ce vote, le parti socialiste et les radicaux de gauche s’étaient abstenus et seuls les communistes avaient voté contre la loi.

Le 2 juin, le premier examen avait lieu au Sénat. Des divergences subsistant entre le Sénat et l’Assemblée nationale, une commission mixte paritaire était réunie le 21 juin et ses conclusions étaient adoptées à l'unanimité, puis adoptés en deuxième lecture le même jour par l'Assemblée nationale et le lendemain par le Sénat.

La lettre de saisine des socialistes est signée du 23 juin et parvenue au Conseil constitutionnel le 24 juin. Le Gouvernement souhaite pouvoir promulguer très rapidement cette loi dont tous les décrets d'application sont prêts dès à présent. Néanmoins, l'urgence n'a pas été demandée et le Conseil constitutionnel dispose, pour statuer du délai d'un mois à partir du 24 juin.

Avant d'examiner la question contestée, il convient de rappeler le dispositif d'ensemble de la loi.

L'article 3 de cette loi permet aux personnes ayant cessé depuis 12 mois au plus leurs études universitaires ou scolaires et ne bénéficiant pas d'un autre régime de Sécurité sociale, de rester pendant cette période de 12 mois couvertes par la Sécurité sociale des étudiants.

L'article 5 a pour objet de développer les stages de formation professionnelle, l'article 6 accorde une prime de mobilité pour l'emploi à l'étranger des jeunes, embauchés par des entreprises françaises.

Les articles essentiels sont les articles 1, 2 et 4. L'article 1 dispose que l'Etat prendra en charge les cotisations d'accidents du travail, assurances sociales et prestations familiales jusqu'au 30 juin 1978 à la place des entreprises qui recruteront avant le 31 décembre 1977 des jeunes âgés de moins de 25 ans ayant terminé, depuis 12 mois au plus, leurs études scolaires ou universitaires, leur apprentissage, leur participation à un stage de formation professionnelle continue ou leur service national actif.

L'article 2 dispose que l'Etat prendra en charge les diverses cotisations sociales afférentes aux apprentis engagés avant le 31 décembre 1977 pendant une durée maximale de deux ans. L'article 4 enfin, celui qui est contesté devant le Conseil constitutionnel, prévoit que : "pour l'application aux entreprises des dispositions législatives ou réglementaires du code du travail qui se réfèrent à une condition d'effectif du personnel, il n'est pas tenu compte des salariés engagés avant le 1er janvier 1978 dans les conditions prévues aux articles 1er et 2 ci-dessus tant que les dispositions de ces articles portent effet.

On voit que cet article 4 s’applique aux jeunes de moins de 25 ans embauchés avant le 31 décembre 1977 et ayant cessé leur formation professionnelle ou scolaire, ou leurs obligations du service national depuis moins de 12 mois à la date de l’embauchage et ce jusqu’au 30 juin 1978 et, d'autre part, s'applique aux apprentis de l'article 2 pendant une durée maximale de deux ans.

Différents articles du code du travail sont touchés par la disposition de l'article 4, les principaux sont l'article L. 950-1 qui oblige tout employeur occupant au minimum 10 salariés à concourir au financement de la formation professionnelle continue, l'article L 420-1 qui prévoit l'obligation de délégués du personnel dans les entreprises qui occupent habituellement plus de dix salariés, l'article L 431-1 qui oblige les employeurs à créer des comités d'entreprise dans les entreprises qui/occupent au moins 50 salariés, l'article L 930-1 qui permet les congés de formation continue aux salariés d'établissement de cent salariés, l'article L 412-8 qui oblige l'employeur à mettre un local à la disposition des syndicats quand son effectif est de plus de 200 salariés, de même le code du travail oblige la création de chambre d'allaitement dans les entreprises où sont employés plus de 150 femmes de plus de 15 ans.

On voit qu'il y a un très grand nombre de dispositions, fort variées du code du travail qui sont liées à l'effectif des employés et dont il convient de noter qu'elles n'ont pas toutes trait à la participation ou à la détermination collective des conditions du travail.

On notera encore que la règle qui impose aux employeurs dépassant un certain effectif de salariés de consacrer à la Constitution 1% des sommes versées en rémunération n'est pas posée par un code du travail. Il en va de même pour celle qui lui donne certaines obligations relatives aux transports en commun.

Dans ces cas, les obligations des employeurs ne seront pas modifiées par l'article 4 de la loi.

On note encore que la formulation donnée pour les conditions d'effectifs par le code du travail est très variable d'un texte à l'autre. Parfois on trouve les mots "occupant habituellement n salariés", parfois "occupant régulièrement n salariés", parfois "occupant habituellement et régulièrement n salariés”, parfois enfin "dans les entreprises de n salariés ou au-dessus de n salariés.".

L'article L 431-1 du code du travail dans son dernier alinéa indique "dans les entreprises ayant subi une réduction importante et durable de personnel qui ramène l'effectif au-dessous de 50 salariés, le directeur départemental du travail et de la main d'oeuvre peut autoriser la suppression du comité d'entreprise après avis des organisations syndicales les plus représentatives du personnel intéressé".

Il convient de noter que la diminution à moins de 50 des entreprises ne prive pas automatiquement celles-ci de leur comité d'entreprise. En fait, plus de 400 entreprises actuellement ont un comité alors que leur effectif est tombé à moins de 50.

Il s'ensuit que la loi n'entraînera pas de suppression automatique si le renouvellement de l’effectif par des jeunes de moins de 25 ans fait tomber à moins de 50 les effectifs pris en compte par le code du travail.

Quand on connait les réticences des inspecteurs du travail à autoriser ces suppressions, on peut dire que la situation restera la même qu’antérieurement. Il n’y aura ni constitution, ni suppression de comité d'entreprise du fait de cette loi.

Avant de faire l’étude juridique de l’article 4, il convient d'en connaître la raison. Les incitations financières apparaissent insuffisantes pour déterminer à l’embauchage de nombreuses entreprises s'il ne s'y ajoute aucune incitation psychologique. On sait qu'actuellement beaucoup d'entreprises petites et moyennes, bloquent leur personnel au seuil de 9 afin d'éviter l’obligation de tenir un registre, d’avoir un secrétariat et d'être en rapports fréquents avec l'inspection du travail. Les patrons estiment que ces charges administratives sont beaucoup trop lourdes pour des entreprises de cette taille.

Le problème de droit la saisine évoque, d'une part, le 8e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 (il a été invoqué à l'Assemblée nationale par les socialistes qui se sont fondés sur lui pour poser une question préalable laquelle a été rejetée par 292 voix contre 181). Ils invoquent, d’autre part, l'article 2 delà Constitution et le principe d'égalité. "Les dispositions de ce texte nous paraissent également contraire à l'article 2 de la Constitution selon lequel tous les citoyens sont égaux devant la loi.

En effet, deux travailleurs employés dans des conditions identiques dans les entreprises de dimension équivalente n'auront pas les mêmes droits.

C'est ainsi, par exemple, que dans des entreprises ayant 55 salariés et embauchant 3 salariés au sens de la loi qui vous est déférée, il existera obligatoirement un comité d'entreprise. En revanche, dans une entreprise ayant 48 salariés et embauchant 10 salariés au sens de la même loi aucun comité d'entreprise ne sera institué de plein droit".

L'article 2 de la Constitution dispose : "elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion".

En fait, les conséquences de l'embauche prévues par la loi nouvelle seront identiques pour toutes les entreprises qui sont dans une même situation de fait.

Que dit le 8e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ? "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".

Les socialistes commentent : "il résulte de ce texte qu'aucun travailleur ne peut être exclu de cette participation"

Or, l'article 3 de la loi qui vous est déférée précise que les salariés engagés avant le 1er janvier 1978 dans les conditions prévues par d'autres dispositions de la même loi ne seront pas pris en compte dans l'effectif des salariés de l'entreprise lorsque celui-ci est retenu pour l'application de certaines des dispositions du code du travail.

Il s'ensuit que la présence de ces travailleurs dans l'entreprise n'entrera pas en ligne de compte pour la mise en oeuvre de mesures importantes intervenues, justement, pour l'application de la disposition précitée du Préambule de la Constitution.

C'est notamment le cas pour ce qui concerne les conditions d'effectif liées à la création d'un ou de plusieurs postes de délégué du personnel, à l'institution d'un comité d'entreprise, d'un comité d'hygiène et de sécurité, d'une section syndicale d'entreprise ou d'un délégué syndical.

Ainsi, non seulement les travailleurs placés dans la situation prévue par l'article 3 de la loi qui vous est déférée seront privés, dans certains cas, du bénéfice des dispositions susvisées, mais encore certains travailleurs déjà dans l'entreprise et employés dans les conditions du droit commun risquent d'être privés à leur tour de l'exercice des droits qui leur sont garantis par le Préambule de la Constitution, notamment le droit syndical.

C'est pourquoi, nous estimons que l'article 3 de la loi qui vous est déférée n'est pas conforme au Préambule de la Constitution.

Il n'est pas exact qu'il y aura suppression de comité d'entreprise si on remplace des salariés de plus de 25 ans par des salariés de moins de 25 ans. Ce qui est exact, c'est que les créations seront suspendues jusqu'au 30 juin 1978 du fait de l'embauchage des jeunes de moins de 25 ans. Il n'apparaît pas non plus exact d'affirmer que tout travailleur participe par ses délégués syndicaux à la détermination collective des conditions de travail puisque ceci n'est vrai qu'à partir du seuil de 10.

Sur 13 millions de salariés employés dans les entreprises, 2 millions quatre cent mille le sont dans des entreprises de moins de 10 personnes, c'est-à-dire que 18 % des salariés ne participent, éventuellement, à cette détermination que par l'intermédiaire d'un syndicat qui n'est pas représenté dans l'entreprise.

On voit donc que la formule très générale du préambule n’est pas appliquée en France à 18 % de salariés.

La question essentielle dans cette affaire est de savoir si le 8e alinéa du préambule de 1946 a valeur constitutionnelle, c’est-à-dire s’il permet un contrôle de la constitutionnalité des lois. La décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975 précise que si dans le préambule, certaines dispositions permettent d'exercer un contrôle rigoureux, d'autres dispositions de ce même préambule n'ont pas la même portée.

L'article 34 de la Constitution place dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit de la Sécurité sociale.

Le législateur a donc compétence par des dispositions très claires de l'article 34, pour déterminer ces principes.

Dans une matière de droit du travail, le préambule reconnaît le droit de grève, mais précise que celui-ci s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Certaines de ces lois le suppriment dans des cas limités. Ainsi la loi qui interdit la grève aux fonctionnaires de police a été votée par plusieurs des signataires de la saisine.

Ici, nous sommes dans un cas un peu différent puisque ce n'est pas le préambule de 1946 mais l'article 34 de la Constitution de 1958 qui donne compétence au législateur pour appliquer le principe général du 8e alinéa du préambule. Une loi qui irait totalement contre cet alinéa serait contraire à la Constitution, mais une loi qui détermine les conditions d'application de ce principe entre dans la compétence donnée au législateur par l'article 34.

Supposons que ce préambule empêche une telle solution, alors des dispositions législatives ou réglementaires deviendraient de force constitutionnelle, seraient totalement figées, puisqu'elles ne pourraient être modifiées que dans les formes de la règle constitutionnelle.

On exigerait ainsi une procédure de révision constitutionnelle pour modifier le nombre des effectifs retenus aux différents seuils du code du travail. Il faudrait donc une réforme de la Constitution pour donner au Gouvernement une possibilité de favoriser l'embauche des jeunes en modifiant certains seuils.

Ce sont ces diverses raisons qui ont conduit M. GOGUEL à décider dans le sens de la constitutionnalité et à adopter le projet de décision qui est soumis au Conseil.

- M. le Président demande alors si certains membres du Conseil désirent faire des observations avant la lecture du projet. Il donne la parole à M. PERETTI.

M. PERETTI souscrit aux conclusions du rapporteur mais il indique que les intentions que peut avoir eues le législateur en faisant ce texte, si pures soient-elles, ne modifient pas la valeur constitutionnelle des dispositions précises de ce texte. La constitutionnalité d’un texte ne peut s’apprécier que par l’analyse de ce texte lui-même. M. PERETTI est d’accord pour admettre qu'ici, il y a une simple application de l'article 34 de la Constitution puisque dans le texte proposé, la non-prise en compte de certains travailleurs pour l'application des seuils ne va durer que deux ans au maximum. Il ne faut pas se cacher, néanmoins, que ce texte peut être prorogé et que, même durant sa période d'application, si elle n'est pas modifiée, on arrivera à ce résultat, qui est néanmoins choquant, qu'une entreprise qui emploie actuellement 40 employés et qi recrute 20 jeunes ne sera pas obligée d'avoir un comité d'entreprise avec un effectif total de 60 salariés alors qu'à l'inverse celle qui a actuellement 55 employés et qui n'en gardera que 45 devra conserver son comité d'entreprise

Donc on doit bien constater que l'on arrivera à ce résultat qu'une entreprise de 45 salariés aura un comité d'entreprise alors que dans le même temps, par l'application de la même loi, une entreprise de 60 salariés pourra s'en dispenser.

On ne pourrait, sans enlever toute valeur au préambule de 1946, permettre que celui-ci soit sans application en raison d'une règle attributive de compétences de l'article 34.

Seul l'aspect temporaire de la loi détermine M. PERETTI à adopter les conclusions du rapporteur.

M. GOGUEL précise lui aussi que c'est bien la raison pour laquelle il a proposé cette solution. Il est bien certain que le préambule de 1946 ne peut être oublié quand on regarde l'article 34 de la Constitution de 1958.

Si M. GOGUEL a rappelé les circonstances de fait qui ont été prises en compte par le législateur lorsqu’il a fait cette loi, c'était simplement en tant qu'arrière-plan pour une meilleure compréhension de celle-ci mais il n'y avait pas là une raison déterminante de la solution proposée.

M. COSTE-FLORET a des doutes quant à la constitutionnalité de cette loi. Si l'on adopte le projet de M. GOGUEL, il conviendra pour le moins de modifier son troisième considérant qui dit : l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946 ne constitue pas une disposition directement applicable. En effet, depuis la Constitution de 1958, ce préambule a une valeur constitutionnelle. On ne voit pas de quel droit on pourrait affirmer que certaines dispositions du préambule s'appliquent et que d'autres ne s'appliquent pas.

La référence à l'article 34 lui paraît elle aussi non-convaincante. L'article 34 définit les compétences du législateur mais celui-ci ne peut les exercer que dans le respect des dispositions de fond de valeur constitutionnelle. Une distinction entre les dispositions du préambule applicables et celles qui ne le sont pas paraît arbitraire à M. COSTE-FLORET

M. BROUILLET se dit très troublé par le rapport de M. GOGUEL : l'argumentation de ce rapport lui paraît d'une extrême faiblesse. Au cas de l'espèce, la façon astucieuse dont il lit l'alinéa 8 du préambule de 1946 et l'article 34 de la Constitution lui paraît peu déterminante et cet argument peut se retourner facilement.

En effet, l'alinéa 8 éclaire ce que peut faire le législateur quand il a compétence pour agir en vertu de l'article 34.

Par ailleurs, M. BROUILLET remarque que les dispositions du code du travail qui ont été citées remontent pour la plupart à la législation des années 1945-1946, c'est-à-dire à une époque où il y a eu un consensus très large pour le développement des droits sociaux. Cet ensemble de législation constitue aux yeux de M. BROUILLET un massif législatif tout aussi homogène et respectable que les principes des lois qui ont été invoquées par le Conseil dans d'autres décisions en qualité de "principes fondamentaux des lois de la République". Cet ensemble législatif est parfaitement cohérent. Si de ce caractère purement législatif et non-constitutionnel des dispositions en cause nous tirons la conséquence, alors qu’elles s'appliquent depuis plus d'1/4 de siècle sans être contestées, qu'elles n'ont pas aujourd'hui la valeur de "principes fondamentaux des lois de la République", nous risquons d'accréditer l'idée que le Conseil a deux poids deux mesures selon les affaires qui lui sont soumises dans le domaine de législation dont il s'agit c'est à la loi de poser les règles de la participation, mais elle doit le faire dans une certaine ligne.

Aujourd'hui que veut faire la loi, adoptée par le Parlement malgré bien des réserves de rapporteur sur la gravité des règles nouvelles qu'elle pose ?

Il apparaît, à la lecture des débats, que son adoption a été décidée pour des considérations de fait et non pour des raisons juridiques. L'incitation à l'embauchage par la suppression d'un droit des travailleurs est certainement contraire au principe du 8e alinéa. Voyons, en fait, ce qu'il en sera : en usant du stratagème que la loi autorise, un employeur pourra choisir à présent d'éluder ses obligations au regard du droit social. Il pourra ainsi réduire l'effectif des salarié pris en compte pour l'application du droit du travail. Le législateur donnerait ainsi la possibilité à l'employeur de décider souverainement de sa position à l'égard du droit du travail !

M. BROUILLET conclut en disant que, pour lui, l'article 34 de la Constitution n'empêche en rien le législateur d'être soumis au principe du préambule.

M. GOGUEL répond que la position de M. BROUILLET aboutit à donner valeur constitutionnelle à de simples dispositions législatives ou même réglementaires. Le Parlement perd ainsi brusquement le droit de modifier ce qu'il a fait en déterminant le seuil.

M. GOGUEL estime que ce n'est pas possible. En effet l'application du principe du 8e alinéa ne peut se faire que dans des conditions déterminées par un texte législatif. Le Parlement est donc compétent tout le temps qu'il ne dénature pas ce principe.

M. GOGUEL est d'ailleurs d'accord pour écrire dans le projet qu'il n'y a pas dans la loi considérée dénaturation du principe. Il n'y a pas dénaturation du principe puisque celle-ci n'apparaîtrait que par la suppression totale de la possibilité ouverte par ce principe. Modifier les conditions d'application d'un principe n'est pas de dénaturer.

Il faut bien remarquer que l'article 34 s'impose au Conseil constitutionnel et qu'il dit clairement que c'est le législateur qui détermine les principes fondamentaux du droit du travail. S'il en était autrement le Parlement ne pourrait plus modifier les seuils retenus par le droit du travail.

M. GROS est d'accord avec les conclusions du rapporteur mais non avec la rédaction proposée. La loi n'apparaît pas en contradiction avec le principe du 8e alinéa. Indiscutablement, le préambule renvoie à l'article 34 et si "tout travailleur participe..." le législateur est le maître des règles selon lesquelles s'effectue cette participation dès lors qu'il ne contredit pas son principe. Ce qui choque M. GROS est de figer le code du travail en lui donnant valeur constitutionnelle.

La loi soumise au Conseil met en veilleuse la participation mais ne la contredit pas, celle-ci est déjà limitée par le seuil de dix, au-dessous d'un tel seuil, elle n'existe pas.

M. MONNERVILLE estime qu'il appartient au législateur de modifier les conditions d'application du principe mais lui aussi est en désaccord sur la rédaction du 3e considérant. Il ne convient pas qu'une décision du Conseil dispose que le 8e alinéa est mis, de façon générale, hors de toute application.

M. GOGUEL : pour que le principe soit appliqué, il faut une loi. On peut donc dire que le préambule donne une orientation générale et partir de cette idée pour la rédaction du troisième considérant.

M. SEGALAT partage les conclusions du rapporteur mais les observations de ses collègues le conduisent à penser que le problème posé par la rédaction est celui de la valeur constitutionnelle des principes énoncés dans les préambules. Il lui paraît difficile de distinguer entre ces principes pour leur donner des valeurs différentes. Il apparaît, par ailleurs, que le Conseil constitutionnel est allé très loin dans la valeur qu'il leur a donnée. Il n'empêche qu'il ne saurait revenir en arrière sur ce point. Ces considérations ne lui semblent pas de nature à écarter les conclusions du rapporteur. Les principes quasi philosophiques de ce préambule ne sauraient s'appliquer sans une mise en oeuvre laquelle est, bien entendu, de la compétence du législateur. Ce qui est dit à ce sujet pour le droit de grève vaut certainement pour l'ensemble des règles édictées par les préambules.

L'article 34 institue une répartition entre la loi et le règlement mais il ne donne pas de directives au législateur. Ces directives se trouvent dans les principes du préambule. Ceux-ci ne peuvent pour autant pas vivre, de façon pragmatique, sans le rôle du législateur. C'est à lui

de se soucier des circonstances de fait lesquelles sont fort importantes. Ainsi des circonstances de fait l’ont conduit à fixer des seuils de départ ainsi elles peuvent le conduire à présent à modifier ces seuils.

M. PERETTI explique que s’il a dit être d'accord pour appliquer l'article 34 de la Constitution dans le respect du principe du 8e alinéa, cela ne signifiait nullement que pour autant les textes seraient figés.

Le législateur peut agir pour les modifier. Il suffit pour cela que la loi respecte les principes qui s'imposent à elle. Il rappelle d'ailleurs qu'il est en accord avec les conclusions du rapporteur.

M. COSTE-FLORET exprime lui aussi son accord avec les conclusions du rapporteur sous réserve d'une modification du troisième considérant. M. GROS a dit que la loi n'était pas contraire à l'alinéa 8, il semble bien que M. GOGUEL pense l'inverse et que c'est pour cette raison qu'il écrivait dans sa décision concluant à sa conformité que l'article 8 ne s'applique pas.

M. GOGUEL répond que l'article 8 s'applique bien mais simplement dans le cadre de loi qui le réglemente.

M. BROUILLET, pour sa part, considère comme inacceptable la mise en frigidaire de l’alinéa 8 du préambule. On ne peut dire que ce principe s'applique dans le cadre de l'article 34. Il est au-dessus de l'article 34, il est au frontispice de la Constitution, l’article 34 a pour objet de marquer la frontière de la loi et du règlement non de modifier le préambule. C'est bien parce que depuis 1958 la loi n'est plus souveraine, qu'il y a un Conseil constitutionnel. D'autre part, M. BROUILLET indique qu'il n'y a pas à son sens application par cette loi de nouvelles modalités de la législation du travail puisque du fait de cette loi, il n'y aurait plus de régime objectif de détermination des seuils.

M. GOGUEL répond que ce régime n'est déjà plus d'une précision rigoureuse puisque la loi ne fixe pas des chiffres précis sans le plus souvent les sortir d'une formule telle : "régulièrement ou habituellement employée dans l'entreprise".

Pour M. BROUILLET, cela n'empêche nullement les définitions de rester objectives. Il n'en irait plus de même dans la nouvelle loi puisqu'il serait loisible à un employeur, personnellement, de composer un effectif pour éluder l'obligation des seuils.

M. GOGUEL pense que c'est la situation actuelle puisqu'il a toujours la possibilité de rester en-dessous du chiffre de 10 salariés. Il peut déjà moduler son effectif pour rester en-dessous du seuil.

M. BROUILLET : A présent il pourra faire une discrimination entre les personnes employées pour rester sous le seuil.

M. GOGUEL répond que si cet argument était exact, il vaudrait aussi contre les articles 1 et 2 de la loi qui donnent un avantage financier à celui qui emploie des jeunes pour l'inciter à l'embauchage. Il estime d'ailleurs que dans ces conditions, on serait conduit à déclarer contraire à la Constitution toutes les mesures sociales prescrites en faveur de certaines catégories.

M. le Président demande si à présent le Conseil est d'accord sur les conclusions du rapporteur sous réserve de la modification du troisième considérant.

Le troisième considérant est modifié et adopté tel qu'il apparaît dans la décision jointe au présent rapport.

Le projet de décision est adopté dans son ensemble, contre l'avis de M. BROUILLET.

M. le Président donne la parole a M. SEGALAT pour l'affaire du remplacement des suppléants.

M. SEGALAT expose que dans ces deux textes pour des raisons de courtoisie parlementaire, chaque assemblée à laisser à l'autre le soin de déterminer les règles relatives à sa composition. D'après les lois organiques compétentes, en application du deuxième alinéa de l’article 25 de la Constitution : "Elle fixe également les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer, en cas de vacance du siège, le remplacement des députés ou des sénateurs jusqu'au renouvellement général ou partiel de l'assemblée à laquelle ils appartenaient.

Le remplacement joue dans tous les cas de vacance. L'article 25 est d'ailleurs la conséquence logique de l'article 23 de la Constitution qui rend incompatibles les fonctions de membres du Gouvernement et le mandat parlementaire. Les deux lois organiques soumises au Conseil permettent au parlementaire en cas de décès ou de démission de son remplaçant de retrouver son siège sans être réélu dès lors qu'il n'est plus dans une situation incompatible. La seule différence entre les deux

textes concernent les sénateurs élus à la représentation proportionnelle qui n’ont pas de suppléants et sont donc remplacés par le suivant de liste. La loi du Sénat prévoit donc les conditions un peu différentes pour la reprise du siège ancien d'un sénateur membre du Gouvernement libéré au moment où celui-ci n'est plus ministre. Les deux lois sont identiques quant à leur objet et à leur mécanisme juridique.

Elles modifient une loi organique au lieu de prévoir un nouveau mécanisme par une révision constitutionnelle S'il y a eu préférence pour la procédure législative, cela résulte de l'histoire en cette matière. Le projet de loi constitutionnelle de septembre 1974 avait le même objet, mais il révisait l'article 25 de la Constitution. Adopté par les deux chambres, il n'a pas été soumis par le Gouvernement au Congrès d'octobre 1974 puisqu'il apparaissait certain qu'il ne serait pas voté par les 3/5e de ses membres. M. FOYER a, alors, estimé, qu'une révision constitutionnelle n'était pas nécessaire et qu'il suffisait, pour modifier le système, de modifier la loi organique sur la composition des assemblées.

Une telle solution pose une difficulté insurmontable. L'article 25 prévoit que le remplaçant exerce ses fonctions jusqu'au renouvellement de l'Assemblée à laquelle appartenait le titulaire du mandat. L'ancien titulaire perd son mandat et est remplacé jusqu'à la fin de la législature ou jusqu'à l'expiration des pouvoirs de la série de sénateurs dans laquelle son siège est classé.

Les lois organiques, elles, donnent au remplacement un caractère temporaire. D'autre part, en 1958, on a expliqué que l'incompatibilité avait un double but :

- garantir le respect de la séparation des pouvoirs, exigence moderne du Gouvernement. Il fallait que le ministre ne soit pas distrait de sa charge par les soucis de sa circonscription.

- assurer la stabilité gouvernementale. François GOGUEL écrivait "dans l'espoir de raréfier les crises ministérielles en diminuant l'aspiration des parlementaires à obtenir le titre de ministre ou d'ancien ministre". Ceci exige une rupture définitive entre le mandat et la fonction de ministre.

La Constitution n’emploie jamais le mot suppléant qui a un aspect temporaire, mais celui de remplaçant.

Notons d'ailleurs que dans le projet de révision constitutionnelle de 1974, il était écrit que la loi organique fixe les conditions dans lesquelles est organisé le remplacement temporaire.

En conclusion, l'article 25 consacre un aménagement rigoureux, définitif de l'incompatibilité.

Si on veut modifier cette règle, il faut modifier la Constitution. C'est pourquoi, M. SEGALAT conclut à un projet de non-conformité.

Dans la discussion, M. le Président donne la parole à M. COSTE- FLORET qui indique qu'au Comité consultatif constitutionnel, il avait proposé un système de simple mise en congé parlementaire devenu ministre. Celui-ci ayant été repoussé, il s'en déduit certainement que la Constitution a adopté le remplacement définitif.

M. GOGUEL est en plein accord avec M. SEGALAT, il indique simplement que le projet de loi organique qu'il estime d'ailleurs incompatible avec l'article 25 est différent du projet constitutionnel de 1974, lequel prévoyait la perte automatique du mandat par le suppléant, six mois après la fin des fonctions ministérielles du titulaire du poste.

M. MONNERVILLE félicite M. SEGALAT pour son excellent rapport et pour la rédaction dense, concise et ferme de sa décision.

Il pense qu'il faut garder le texte tel que et hon pas, comme il était proposé par M. COSTE-FLORET, faire une référence au projet de révision de 1974.

M. GROS remarque que l'article 25 prévoit le remplacement mais non le remplacement du remplaçant. Si les loi organiques étaient adoptées, on ne modifierait pas le statut du suppléant, mais on créerait une nouvelle catégorie de parlementaires non-prévue par la Constitution, le remplaçant du suppléant.

Après ces remarques, le projet est lu et adopté à l'unanimité après quelques modifications de détail tel qu'il est joint au présent compte-rendu.

La séance est levée à 12 h 30

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.