SEANCE DU 5 OCTOBRE 1978
Le président rappelle l'ordre du jour ci-après :
I.- Appréciation, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique d'une disposition de l'article L. 131-3 du code de l'aviation civile.
Rapporteur : M. Achille PERETTI
II.- Examen des observations adressées par le Président du Conseil constitutionnel au Président de la République et au Premier Ministre, à la suite du contentieux des élections législatives de mars 1978.
III.- Nomination, en application de l'article 36, alinéa 2, de l'ordonnance du 7 novembre 1958, des rapporteurs adjoints pour la période octobre 1978 - octobre 1979.
Il donne alors la parole à Monsieur PERETTI qui présente le rapport suivant :
"Le Conseil constitutionnel est saisi de l'appréciation de la nature juridique d'une disposition de l'article L. 131-3 du code de l'aviation civile.
La libre circulation des aéronefs au-dessus du territoire français est le principe, mais des interdictions de survol peuvent être prononcées pour des raisons d'ordre militaire ou de securité publique. L'article 20 de la loi du 31 mai 1924, repris par l'article L. 131-3, premier alinéa, du code de l'aviation civile, indique que ces interdictions "seront prononcées par arrêté et que l'emplacement et l'étendue des zones interdites doivent être spécialement indiqués dans l'arrêté.
Ce sont les seuls dispositions contenues dans les mots "par arrêté" et "dans l'arrêté" qui sont soumises à votre examen.
Il s'agit ici d'un arrêté conjoint du ministre chargé de l'aviation civile et des autres ministres intéressés.
Le projet de décret confiant ces pouvoirs aux préfets a été soumis au Conseil d'Etat le 10 juillet 1973. Mais cette réforme supposait que le Conseil constitutionnel ait, au préalable, reconnu le caractère réglementaire de cette disposition contenue dans un texte de loi.
La solution ne présente aucun doute possible.
Votre jurisprudence constante est que, dès lors qu'une compétence appartient à l'Etat, il revient au pouvoir réglementaire de désigner l'autorité habilitée à l'exercer. Il existe plus de 30 décisions dans ce sens.
Je vous propose donc de déclarer, selon votre jurisprudence constante ; que les dispositions soumises à votre examen ont le caractère réglementaire".
Aucun membre ne désirant intervenir sur le rapport de Monsieur PERETTI, celui-ci est invité à lire le projet de décision. Ce projet est adopté sans modification. La minute de cette décision est annexée au présent procès-verbal.
Le Président indique alors au Conseil qu'il n'a été jusqu'ici adressé d'observations sur le contentieux électoral qu'une seule fois, en 1963, à la suite des élections de l'automne 1962.
Le recensement opéré sur les divers procès-verbaux des remarques que les membres du Conseil ont demandé de faire connaître au Président de la République, a permis de constater que celles-ci étaient d'importance inégale. Deux points paraissent tout spécialement mériter d'être soumis à l'attention du Président de la République.
Il s'agit, d'une part, des difficultés rencontrées au sujet de la loi permettant au français établis hors de France de s'inscrire sur les listes de leur choix et, d'autre part des abus de propagande qui semblent tenir pour partie à une réglementation quelque peu désuète et à la présentation particulièrement difficile de ces règles dans le code électoral. D'autres observations plus techniques seront présentées, soit en annexe à la lettre mettant l'accent sur les deux points, soit simplement au Premier Ministre dans une note technique.
En effet, deux procédures peuvent être envisagées, l'une consisterait à adresser,d'une part, une lettre au Président de la République portant sur les deux remarques essentielles et à
Le président donne lecture du projet de lettre destinée au Président de la République :
"A l'occasion du contentieux auquel ont donné lieu, les élections législatives de mars 1978, le Conseil constitutionnel a été conduit à formuler un certain nombre de remarques qu'il m'a demandé de porter à votre connaissance.
Ces remarques portent essentiellement sur deux questions qui ont soulevé des difficultés particulières sur le plan juridique et aussi défrayé quelque peu la chronique électorale de ces derniers mois : il s'agit de la question du vote des français établis hors de France et de celle de la propagande électorale.
Le vote des français établis hors de France pose lui-même deux problèmes : celui des inscriptions sur les listes électorales et celui des votes par procuration.
En ce qui concerne les inscriptions sur les listes électorales, l'application de la loi du 17 juillet 1977, dont l'article premier donne aux français établis hors de France la faculté de demander leur inscription sur les listes électorales de toute commune de plus de 30 000 habitants de leur choix, a été à l'origine d'un contentieux délicat. Aucune disposition n'exigeant que la demande d'inscription soit intégralement écrite de la main de l'électeur, il en est parfois résulté un doute sur la réalité d'un choix personnel de la circonscription par l'intéressé lui-même .
Ce doute s'est trouvé renforcé par le fait que, dans un cas précis, celui du Gabon, il a été établi que des demandes d'inscriptions avaient été recueillies sans indication de la circonscription, laquelle a été ultérieurement choisie par des tiers, en violation de l'article L. 12 du code électorale.
Quant aux votes par procuration, l'examen des requêtes soumises au Conseil constitutionnel a permis de constater que les règles édictées par le code électoral ainsi que par la circulaire d'application en vue d'assurer le choix personnel du mandataire par son mandant ont été méconnues par plusieurs autorités consulaires également au Gabon.
Ces violations flagrantes de la loi ont entraîné l'annulation des opérations électorales dans la seizième circonscription de Paris.
Le second problème important dont le Conseil constitutionnel a eu à connaître est relatif à la propagande électorale.
La loi, en effet, trop précise sur certains points et pas assez sur d'autres, ne peut prévoir tous les cas et encore moins mesurer à l'avance la gravité de chacun d'entre eux et ses effets sur les résultats de l'élection.
C'est au juge de celle-ci qu’il appartient de peser, dans chaque cas, l’importance de la faute et des conséquences de celle-ci. Dans cette'appréciation, toujours délicate, le Conseil constitutionnel n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent et toutes ses décisions témoignent de la constante préoccupation qu'il a eue d'adapter les prescriptions de la loi aux circonstances de fait propres à chaque espèce.
Ce faisant, le Conseil ne s'est jamais départi d’une grande modération : s'il a relevé des irrégularités de propagande dans vingt deux des élections contestées devant lui, il n’a cependant estimé que celles-ci pouvaient justifier une annulation que dans quatre cas seulement, ceux où il était patent que des manoeuvres de propagande de dernière heure, auxquelles il était impossible de répondre, avaient pu modifier le résultat du scrutin.
Ainsi, sans tomber dans un formalisme étroit, le Conseil constitutionnel est demeuré fidèle à la mission de moralisation des élections qu’il tient de la Constitution.
Enfin, devant la constatation qu’il a faite de la persistance, en dépit de ses efforts répétés lors de chaque élection, d’un certain nombre d’irrégularités, notamment en matière de propagande, le Conseil a été conduit à s'interroger sur l'origine de ce fait et à en attribuer partiellement la cause aux insuffisances et aux lacunes que comporte, dans sa présentation actuelle, le document de base qui sert à informer les électeurs et surtout les candidats sur le contenu de leurs droits et de leurs obligations, le code électoral. D’une consultation malaisée, cet ouvrage, composé de textes souvent mal regroupés, est peu accessible au plus grand nombre et appelle de toute évidence une modernisation tant dans le fond que dans la forme.
Ces mesures ne sauraient cependant faire oublier que l’Administration dispose des moyens nécessaires pour faire respecter la loi, ainsi que le faisait déjà remarquer le Conseil constitutionnel en 1963.
Tels sont, Monsieur le Président de la République, les réflexions essentielles qui ont été inspirées au Conseil constitutionnel par l'examen du contentieux des récentes élections législatives et dont j’ai l’honneur, en son nom, de vous faire part.
Je vous prie, Monsieur le Président de la République, de bien vouloir agréer les assurances de ma très haute considération"
Le Président demande l'avis des membres du Conseil sur ce document.
Monsieur MONNERVILLE est d’accord pour que l’on distingue entre ce que l’on doit signaler au Premier Ministre et ce que l’on doit signaler au Président de la République. Il exprime également son accord sur le contenu du document qui vient d’être lu.
Monsieur JOXE pense que le code électoral a besoin d’être transformé. Peut-être conviendrait-il que le Conseil précise que des modifications devraient intervenir en ce qui concerne l’utilisation de tracts, l’utilisation de haut-parleurs, actuellement non réglementés, etc.
Le Président indique que le mot de "modernisation” qui se trouve employé dans la lettre concerne aussi bien le fond que la forme des dispositions dont il s'agit. Monsieur JOXE se range à cet avis.
Monsieur GROS demande si l’on comprendra ainsi qu'il faut réglementer l’usage des moyens audio-visuels. Par exemple il faut savoir si l'on doit considérer un disque distribué pour la propagande électorale de la même façon qu’un tract.
Monsieur COSTE-FLORET lui répond qu’il est impossible de rentrer dans de tels détails. La seule suggestion qu’il paraîtrait possible de faire au Premier Ministre en matière de propagande consisterait à indiquer qu’il est nécessaire que la campagne électorale soit close à un moment unique, quelques soient les moyens de propagande employés.
Monsieur BROUILLET pense que c’est le problème du vote des français à l’étranger qui a causé le plus d’émotions lors des dernières élections. Le vice profond de cette loi semblait tenir à la réforme des possibilités d’inscription données aux français de l'étranger, en transformant les possibilités qui n’existaient auparavant que d’une façon subsidiaire en cas général. On sait qu’auparavant les français de l’étranger ne pouvaient s'inscrire sur la liste électorale de leur choix qu'à défaut d’entrer dans les conditions prevues par l’un des alinéas précédents. Ce choix leur étant à présent donné dans tous les cas, la situation est radicalement transformée. Cette loi n’a pas été soumise au Consiel constitutionnel, mais peut-être celui-ci pourrait-il néanmoins exprimer un sentiment critique sur cette réforme,sans pour autant se faire législateur.
Pour Monsieur JOXE il convient de mettre en cause non la loi elle-même, mais simplement ses textes d'application.
Monsieur PERETTI estime quant à lui que si une loi même non soumise au Conseil constitutionnel violait la Constitution de façon flagrante, celui-ci ne pourrait se dispenser de faire des remarques à ce sujet.
Monsieur GOGUEL est bien d'accord que le Conseil constitutionnel n'est pas législateur, mais que ceci ne devrait pas l'empêcher de souligner que la loi sur le vote des français établis hors de France pose un problème au regard de l'égalité du vote.
Pour Monsieur GROS : la loi ne pose pas de problème puisqu'elle résulte bien d'un compromis voulu par le Parlement.
Pour Monsieur GOGUEL : une formule atténuée pourrait consister à dire que ce qui à choqué l'opinion c'est l'application de la loi et le cas où des demandes ont été exprimées en "blanc".
Monsieur BROUILLET insiste qu'il lui parait peu convenable d'esquiver la difficulté née de la loi elle-même qui offre à certains français le choix pur et simple de leur commune d'inscription.
Pour Monsieur COSTE-FLORET ce n'est pas tant la loi qui a provoqué des difficultés, que les manoeuvres politiques auxquelles son application a donné lieu.
Monsieur PERETTI répond que la liberté du choix est reconnue par la loi. Si le Conseil constitutionnel demande la modification de ces principes, il se présente non plus comme l'interprète de la loi, mais comme faisant oeuvre de législateur.
Monsieur MONNERVILLE relève dans une décision publiée au Journaux officiels la formule "en l'état de la loi", qui lui parait traduire de la part du Conseil un regret de la solution qu'elle impose. Pour Monsieur MONNERVILLE cette expression peut tout aussi bien signifier, sans aucun jugement de valeur, la simple constatation que la loi impose une solution donnée.
Le Président indique qu'il recherchera une formule qui répondes aux voeux de Monsieur BROUILLET.
Monsieur BROUILLET précise, qu'il ne voit aucun inconvénient à ce qu'on l'écrive d'une plume aussi légère que possible.
Monsieur GOGUEL souligne enfin sur cette question qu'il n'y a pas plus de raison de principe de ne pas parler des défauts de cette loi que de ceux des textes législatifs du code électoral visés par les formules de la lettre. L'on parle de lacune de la loi, mais l'on pourrait aussi bien parler de ses excès, car interdire totalement l'usage des tracts en période électorale est véritablement absurde.
Le Président est d'accord pour retenir cette formule. De même Monsieur GOGUEL propose que l'on remplace la formule "adapter les prescriptions de la loi aux circonstances de fait propres à chaque espèce" par "appliquer les dispositions de la loi en tenant compte des circonstances des faits propres à chaque espèce". Cette modification reçoit l'accord du Président.
Monsieur SEGALAT s'interroge sur le coefficient subjectif d'appréciation qui entre nécessairement dans la solution qui retient comme élément décisif : l'influence d'une irrégularité sur le résultat des élections. C'est dans cette prise en considération de l'influence sur le résultat que se trouve l'origine de toutes les critiques qui taxent d'arbitraire l'appréciation des juges de l'élection,qu'il s'agisse du Conseil d'Etat ou du Conseil constitutionnel.
Monsieur SEGALAT se demande s'il convient de maintenir une jurisprudence fondée sur un tel critère.
Monsieur GOGUEL fait remarquer que quand le candidat battu ne pense pas que l'irrégularité a pu avoir une influence sur le résultat, il ne saisit pas le Conseil constitutionnel.
Monsieur COSTE-FLORET indique qu'il a, à cette constatation au moins une exception, ce sont les requêtes émanant d'une façon claire des personnes à l'esprit dérangé.
Le Président répond à Monsieur SEGALAT que si le Conseil constitutionnel a constaté des irrégularités de propagande dans 22 circonscriptions, il serait apparu peu raisonnable de prononcer pour autant 22 annulations.
Pour Monsieur GOGUEL le Conseil n’est pas une machine qui fonctionne automatiquement. Il est essentiel qu'il apprécie les données de faits de chaque affaires.
Pour Monsieur COSTE-FLORET cette jurisprudence est bonne mais Monsieur SEGALAT pense, pour sa part, qu'elle n'est pas comprise.
Monsieur MONNERVILLE estime que s'il en est bien ainsi c'est simplement parce que le public ne connait ni le dossier ni même la loi. Le rôle du Conseil ne consiste pas à valider ou à invalider un élu , mais à se prononcer sur les opérations électorales et sur leur validité dans la mesure où celles-ci sont contestées.
Monsieur BROUILLET pense qu'il conviendrait peut-être de ne pas trop insister sur l'influence des irrégularités sur le résultat les élections.
Le membre de phrase "qui aurait pu modifier le résultat du scrutin est maintenu". Monsieur MONNERVILLE, COSTE-FLORET, GOGUEL estiment qu'on ne peut mieux résumer les fondements delà jurisprudence.
Le Président donne alors lecture des observations qui ont été rédigées à l’attention du Premier Ministre. Il n'est envisagé aucune modification à ce texte qui apparait, notamment Messieurs COSTE-FLORET, GOGUEL, PERETTI... refléter parfaitement les remarques émises lors de l'examen dû contentieux électoral. Il conviendrait simplement d'ajouter une formule du genre "une certaine confusion semble s'être instaurée dans les esprits du fait que la clôture de la campagne électorale a lieu à des moments différents pour l'affichage et pour les réunions...
La discussion étant terminée sur ces points, le Président aborde le problème de la nomination des rapporteurs adjoints. Il s'exprime comme suit :
"L'ordre du jour prévoit la désignation des rapporteurs adjoints auprès du Conseil constitutionnel pour la période octobre 1978 - octobre 1979.
En effet, l'article 36 de l'ordonnance n° 58-1958 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que "chaque année, dans la première quinzaine d'octobre, le Conseil constitutionnel arrête une liste de dix rapporteurs adjoints choisis parmi les maîtres des requêtes au Conseil d'Etat et les conseillers référendaires à la Cour des Comptes."
Conformément à l'usage, j'ai demandé au vice-Président du Conseil d'Etat et au Premier Président de la Cour des Comptes de bien vouloir nous proposer respectivement les noms des cinq maîtres des requêtes et des cinq conseillers référendaires.
Sur l'avis favorable de M. Bernard CHENOT, je propose de reconduire pour un an dans leurs fonctions les maîtres des requêtes qui sont actuellement rapporteurs adjoints auprès du Conseil constitutionnel à l'exception toutefois de M. MARCEL qui, ayant été nommé récemment conseiller d'Etat, ne petit plus être rapporteur adjoint.
Pour le remplacer, je vous propose, avec l'accord du vice-Président du Conseil d'Etat, de nommer Madame Françoise DULERY, maître des requêtes, bien connue de la plupart d'entre vous et qui joint à une très solide formation juridique acquise au sein des formations contentieuses du Conseil d'Etat une bonne expérience administrative.
Sur la proposition du Premier Président de la Cour des Comptes, je soumets à votre agrément la nomination de M.M. Bernard FAU et André LE GALL, conseillers référendaires qui sont issus, le premier, de l'Ecole nationale de la France d'Outre Mer et, le second, de l'Ecole nationale d'administration et qui bénéficient l'un et l'autre d'une importante expérience administrative.
Avant de vous demander d'approuver la décision qui vous est présentée concernant l'ensemble de ces nominations, je tiens à exprimer mes regrets du départ de M.M. MARCEL, DUCHER et BRELAZ, qui étaient auprès de nous comme rapporteurs adjoints depuis de nombreuses années et à les remercier de la collaboration qu'ils nous ont apportée.
M. Bernard FAU, né le 3 mars 1924, breveté de l'Ecole nationale dé la France d'Outre-Mer et licencié en droit, après avoir occupé différente fonctions outre-mer, notamment au Vietnam, en Côte d'Ivoire,au Sénégal et en Mauritanie, est entré à la Cour des Comptes comme conseiller référendaire en 1965. A ces fonctions il joint, depuis 1968, celles de Commissaire du Gouvernement auprès de la Commission de cassation des pensions, ce qui lui donne une bonne expérience des affaires contentieuses.
M. André LE GALL, né le 25 décembre 1936, licencié en droit et ancien inspecteur des P.T.T. et attaché d'administration au Ministère des Finances, sort de l'Ecole d'administration. Auditeur, puis conseiller référendaire à la Cour des Comptes, il est également secrétaire général du Comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics."
Aucune observation n'étant faite à ce sujet, la nomination des rapporteurs dont il s'agit interviendra par décision du Président ce jour même. Le texte de cette décision est annexé au présent procès-verbal.
L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à 13 h 15.
PARIS, le 12 OCT. 1978
C.C./J. n°1564
Monsieur le Premier Ministre,
A l’occasion du contentieux auquel ont donne lieu les élections législatives de mars 1978, le Conseil constitutionnel a été conduit à formuler un certain nombre de remarques qu’il m’a demandé de vous communiquer en émettant le souhait qu'elles soient portées à la connaissance de Monsieur le Président de la République.
Ces remarques concernent essentiellement deux questions : il s'agit, d'une part, des problèmes soulevés par l'application de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1977 ouvrant désormais à tous les Français établis hors de France la faculté de demander leur inscription dans toute commune de plus de 30 000 habi- tants de leur choix, d'autre part, de la propagande électorale.
Les dispositions de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1977 ont donné lieu dans leur application à deux séries de difficultés : les unes relatives aux inscriptions sur les listes électorales, les autres à l'exèrcice du vote par procuration.
Pour ce qui est de l'inscription sur les listes électorales, l'exercice de la faculté accordée désormais à l'ensemble des Français établis hors de France de demander leur inscription dans toute commune de plus de 30 000 habitants de leur choix n'est subor- donné par la loi précitée à aucune disposition exigeant que la demande dont il s'agit soit écrite intégralement de la main de l'électeur.
Un doute, de ce fait, a pu naître parfois sur la réalité d'un choix opéré personnellement par l'électeur intéressé.
Ce doute s’est transforme en certitude- , dans un cas précis, où il a été établi que les demandes d'inscrip- tion avaient été recueillies sans indication de la cir- conscription , laquelle a été ultérieurement choisie par des tiers, en violation de l'article L. 12 du code électoral.
Quant aux votes par procuration, l'examen des requêtes soumises au Conseil constitutionnel a permis de constater que les règles édictées par le code électoral ainsi que par la circulaire d'application en vue d'assurer le choix personnel du mandataire par son mandant ont été méconnues par plusieurs autorités consulaires.
Ces irrégularités portant à la fois sur les demandes d'inscription et sur les procurations ont en- traîné l'annulation des votes émis dans ces conditions et, par suite, celle d'une élection.
Le second problème important dont le Conseil constitutionnel a eu à connaître est relatif à la propa- gande électorale.
De l'examen des quelque soixante requêtes qui lui ont été présentées, le Conseil constitutionel, tout en appliquant la loi, s'est efforcé de dégager les prin- cipes essentiels d'une déontologie en matière électorale. La loi, en effet, ne peut prévoir tous les cas et encore bien moins mesurer à l'avance la gravité de chacun d'entre eux et ses effets sur les résultats de l'élection. C'est au juge de cette élection qu'il appartient de peser, dans chaque cas, l'importance de la faute et de ses con- séquences. C'est ainsi que le Conseil,s'il a relevé des irrégularités de propagande dans vingt deux des élections contestées devant lui, a cependant estimé que celles-ci justifiaient une annulation dans quatre cas seulement, ceux où il était patent que des manoeuvres de propagande de dernière heure, auxquelles il était impossible de répondre, avaient pu modifier le résultat du scrutin.
Enfin, devant la constatation qu'il a faite de la persistance,lors de chaque élection, d'un certain nombre d'irrégularités, notamment en cette matière de la propa- gande, le Conseil a été conduit à s'interroger sur l'ori- gine de ce fait et, en dehors des excès suscités par les luttes électorales, à en attribuer partiellement la cause aux insuffisances et aux lacunes que comporte, dans sa présentation actuelle, le code électoral, document de base qui sert à informer les électeurs et surtout les candidats de leurs droits et de leurs obligations. Cet ouvrage, composé de textes souvent mal regroupés, d'une consulta- tion difficile, est peu accessible au plus grand nombre et appelle de toute évidence une adaptation aux réalités de la vie moderne et à l'évolution des techniques.
Telles sont, Monsieur le Premier Ministre, les réflexions essentielles qui ont été inspirées au Conseil constitutionnel par l’examen du contentieux des récentes élections législatives et dont j'ai l'honneur en son nom, de vous faire part.
D'autres remarques, de caractère plus techni- que, ont également été faites par le Conseil. Je vous les adresse en annexe à la présente lettre.
Je vous prie, Monsieur le Premier Ministre, de bien vouloir agréer les assurances de ma haute considération.
Roger FREY
Monsieur le Premier Ministre
Hôtel Matignon
57, rue de Varenne 75007 PARIS
OBSERVATIONS RELATIVES A L'ORGANISATION DES ELECTIONS A L'ASSEMBLEE NATIONALE
VOTES PAR PROCURATION :
Des améliorations semblent pouvoir être apportées en ce qui concerne tout d'abord les votes par procuration, tant au stade de l'établissement des procurations qu'à celui de l'acheminement des documents relatifs à ces votes.
ocurations •
Les attestations que doit fournir l'électeur pour être admis à voter par procuration sont définies de façon complexe, tout spé- cialement en ce qui concerne la désignation des personnes par qui elles doivent être délivrées. Ces dispositions ont souvent été mé- connues ou mal interprétées. Leur simplification contribuerait à une pratique plus satisfaisante.
On note en second lieu que la conservation des pièces justifica- tives, pourtant indispensable pour le contrôle de la validité des procurations, n'est pas assurée par la réglementation actuelle.
Enfin, il est imposé à l'électeur par procuration, lors de l'établissement de celle-ci, d'indiquer le lieu et la date de naissance du mandataire qu'il choisit. Une telle obligation qui ne résulte que de la circulaire, et du libellé des modèles qui y sont annexés, est d'une régularité douteuse puisque l'identité du mandataire est . indiquée d'une façon suffisante par ses nom, prénoms, profession et adresse ainsi que par la désignation de la commune sur la liste électorale de laquelle il est inscrit. Elle a, en pratique, l'incon- vénient d'empêcher de nombreux électeurs d'établir une procuration dans les jours qui précèdent le scrutin, les renseignements exigés ne pouvant être obtenus que par un échange de correspondance.
Achemî22™22J_É2§_2rocurations :
Le Conseil constitutionnel a admis la validité du transport vers la France des documents relatifs au vote par procuration établis à l'étranger par la valise diplomatique, modalité souvent plus rapide et plus sûre que le transport postal. Dès lors, une lacune apparaît dans l'article R. 75 du code électoral qui ne prévoit que l'expédition par voie postale.
En France même, l'organisation du service postal a empêché des électeurs de voter par procuration du fait de l'absence de distribu- tion du courrier le samedi après-midi et le dimanche matin. Dans le passé des distributions de courrier étaient assurées la veille et le matin même du scrutin. Il serait souhaitable de revenir à une organi- sation semblable.
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DEROULEMENT DU SCRUTIN :
Des améliorations techniques semblent également pouvoir être apportées au déroulement du scrutin sur trois points particuliers.
Machines à voter :
Des machines à voter obligent, par leurs caractéristiques tech- niques, à placer l’isoloir à proximité immédiate du président du bureau de vote. Une telle disposition est de nature à gêner certains électeurs.
Contrôle d’identité des électeurs :
Des nombreuses requêtes ont critiqué l'admission au vote, dans des villes de plus de 5 000 habitants, d'électeurs n'ayant justifié de leur identité que par la présentation d'un livret de famille ou du titre de transport appelé "carte orange". Ces documents, d'une utili- sation très pratique pour l'électeur, font partie de la liste des titres valables pour justifier de son identité lors du vote, établie par arrêté en application de l'article R. 60 du code électoral.
Néanmoins, il apparaît contestable de considérer comme des pièces d'identité le livret de famille qui ne comporte ni signature, ni photo- graphie de ses titulaires ou la "carte orange" qui est, tout au moins en fait, délivrée sans contrôle d'identité à toute personne qui la demande en fournissant sa photographie.
PÊP95_Ê?_d21iyranc^(e)_de_cartes_djélecteur_dans_les_bureaux de vote :
Les cartes d'électeur qui n’ont pu être remises à leur destinataire avant le jour du scrutin peuvent lui être délivrées, lors du scrutin, à la mairie ou dans les bureaux de vote s'il en existe plusieurs dans la commune.
La régularité de ces dépôts et de cette remise est assurée par les formalités prévues par l'article R. 25 du code électoral. Or, ces formalités sont très souvent négligées. On peut alors craindre une utilisation frauduleuse de cartes déposées et non retirées par leurs titulaires. Un rappel des prescriptions dont il s'agit apparaît néces- saire dans la circulaire donnant les instructions relatives au déroule- ment des opérations électorales qui semble être le document le mieux connu des responsables locaux de l'élection. Il conviendrait également d'ajouter aux documents à joindre obligatoirement au procès-verbal la liste nominative des cartes non retirées et celle des cartes dont le retrait a été effectué pendant la durée du scrutin, accompagnée des procès-verbaux de retrait. Ainsi, le contrôle serait facilité et la sanction des irrégularités pourrait être mieux assurée..
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ADMISSION DES CANDIDATURES POUR LE SECOND TOUR :
L’organisation des conditions d'admission des candidatures au second tour de scrutin conduit, dans un cas particulier, à une solution qui semble quelque peu insolite.
Si l'article L. 162 du code électoral ne permet, en principe, qu'aux seuls candidats du premier tour ayant obtenu un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % du nombre des électeurs inscrits de se présenter au second tour, il prévoit deux exceptions à cette règle, la première "dans le cas où aucun candidat ne remplit ces conditions", la seconde "dans le cas où un seul des candidats remplit ces condi- tions" .
Il subsiste néanmoins un cas où la règle conduit à retenir la candidature d'une seule personne pour le second tour. Cette situation s'est présentée lors des dernières élections dans plusieurs circons- criptions. Seuls deux candidats de la même coalition avaient recueilli le nombre de voix nécessaire pour faire acte de candidature au second tour. Le moins bien placé d'entre eux s'est retiré et aucun autre candidat n'a pu s'opposer à celui placé en tête. Le second tour de scrutin, ayant, en présence d'un seul candidat, perdu beaucoup de son intérêt, de nombreux électeurs se sont abstenus.
Pour les élections présidentielles, quand la majorité absolue des suffrages exprimés n'est pas obtenue au premier tour, l'article 7 de la Constitution autorise à se présenter au second tour "les deux candidats qui, le cas échéant, après retrait de candidats plus favori- sés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages".
Il pourrait être envisagé, pour l’élection des députés, de tenir compte des retraits pour que, dans tous les cas, deux candidats au moins puissent se présenter au second tour de scrutin.
DUREE_ DE LA CAMPAGNE ELECTORALE
Le début de la campagne électorale est clairement indiqué par l’article L. 164 du code électoral : "la campagne électorale est ouverte à partir du vingtième jour qui précède la date du scrutin".
Son terme est défini de façon plus complexe.
Dès le huitième jour précédant le scrutin, il est interdit de publier, diffuser ou commenter tout sondage d'opinion (loi du 19 juillet 1977, article 11).
Les deux jours précédant le premier tour, et la veille du deuxième tour, il est interdit d'apposer toute affiche n'ayant pas pour objet exclusif d'annoncer des réunions (article R. 26 du code électoral).
La limite de la campagne sur les ondes résulte, pour la radiodiffusion télévision nationale, de la programmation des émis- sions ouvertes aux partis et groupements par la commission instituée par l'article L. 167-1 du code électoral.
Toute distribution de documents écrits est prohibée le jour du scrutin par l'article L. 49 du code électoral.
Les réunions sont libres, mais il ressort de la juris- prudence qu'elles seraient irrégulières le jour même du scrutin, encore que l'on puisse s'interroger, devant la rédaction de l'article 6 de la loi du 30 juin 1881, sur l'irrégularité d'une réunion qui se terminerait le dimanche à une heure du matin dans une ville où cette heure correspond à celle de la fermeture des établissements publics.
Ainsi la date de clôture de la campagne varie avec le moyen de propagande considéré. Elle résulte, selon les cas, de textes, de jurisprudences ou même d'une simple pratique. C'est pourquoi à chaque élection, on constate que la plus grande confusion règne dans l'esprit du public sur la période couverte par la campagne.
Il serait souhaitable de simplifier et de compléter la législation à ce sujet et de regrouper l'ensemble de ces règles au sein d'un même chapitre du code électoral.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.