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Gwendolyne VERARD


SEANCE DU JEUDI 12 JUILLET 1979

Le Conseil se réuni à 15 heures en présence de tous ses membres.

Le Président indique l'ordre du jour : Examen en application de l'article 61, alinéa second de la Constitution, de la conformité à celle-ci du texte de la loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales.

Le Président donne la parole à Monsieur Louis JOXE qui présente le rapport ci-après :

"La loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales se présente tout d'abord sous la forme d'un projet déposé sur le bureau de Sénat par le Gouvernement.

Il s'agissait de valider un acte annulé par le Conseil d'Etat pour illégalité - en l'espèce, un arrêté préfectoral fixant le tarif de péage du pont d'Oléron (arrêté du 17 février 1979). Le Conseil d'Etat avait jugé l'arrêté contraire à l'article premier de la loi du 30 juillet 1880 déterminant le mode de rachat des ponts à péage qui dispose : "il ne sera plus construit, à l'avenir, des ponts à péage sur les routes nationales ou départementales".

Il s'agissait également de règler le sort de cinq autres ponts dont la situation n’est pas moins illégale au regard de la loi du 30 juillet 1880 : les ponts de Brotonne, de la Seudre, de Noirmoutier, de Cornouaille et de Saint-nazaire.

Le texte primitif du projet de loi paraissait d'une grande simplicité "article 1 : lorsque l'utilité, les dimensions et le coût d'un ouvrage, à comprendre dans la voie nationale ou départementale, ainsi que le service rendu aux usagers le justifient". Il peut être instituer, à titre exceptionnel, une redevance pour son usage. Cette redevance est créée :

- par décret en Conseil d'Etat pour des ouvrages à comprendre dans la voirie nationale,

- par des délibérations du ou des Conseils généraux concernés pour les ouvrages à comprendre dans la voirie départementale.

Article 2 : le projet abrogeait purement et simplement, par ailleurs, les autres dispositions de la loi du 30 juillet 1880.

Ce projet de loi avait donc toutes les caractéristiques d'une loi de circonstance.



La discussion qui s'est engagée dans la suite devant le Parlement a fait apparaître clairement :

a) le caractère plus complexe de la question.

b) la nécessité d'adapter les textes à l'évolution des conditions économiques et financières qui changent dans des proportions considérables.

c) la volonté d'affirmer le principe général de la gratuité de l'utilisation des ouvrages et, par conséquent, de ne pas souscrire à l'abrogation de la loi du 30 juillet 1880 telle qu'elle était prévue.

Au demeurant, le Commissaire du Gouvernement devant le Conseil d'Etat, Monsieur ROUGEVIN-BAVILLE, avait fait allusions lui-même à la nécessité d'un réexamen appronfondi dans l'ensemble de la matière pour permettre de clarifier une situation juridique qui actuellement rend très difficile le recours à l'inovation. Après avoir, en effet, souligné le caractère inéluctable de la décision qu'allait prendre le Conseil, il s'exprimait ainsi : "l'annulation que nous vous proposons risque de créer quelques embarras aux autorités de la Charente-Maritime qui se sont engagées dans cette réalisation, fortes de la caution du ministère de l'intérieur, mais le Parlement y pourvoira, s'il le juge utile. L'intervention du législateur est, de toute manière, souhaitable, compte tenu des ambiguités  d'une matière réglée par des textes vieillis et disparates".

"vieillis et disparates", en effet :

1) Ce n'est certes pas le moment de faire l'histoire complète des péages en France. Il convient cependant de rappeler que ceux-ci ont été abolis par l'Assemblée constituante en tant que vestiges de la féodalité, puis rétablis dès la loi du 14 floréal an 10 et par la reconduction à l'intérieur de chaque loi de finances, maintenue pendant près de 80 ans, jusqu'à ce que la loi du 30 juillet 1880 ait organisé le rachat progressif et interdit pour l'avenir l'établissement de péages.

Je n'insisterai pas non plus sur le sens du mot péage mais il est certain que, pendant cette période, il y eut à plusieurs reprises confusion entre la notion d'impôt et la notion de versement pour service rendu.

2) Parvenons maintenant à l'autre extrémité de la chaine. Les conditions de la vie économique et financière ont évolué de telle sorte depuis 1880 que, avec la création des autoroutes, le péage est devenu un moyen de financement pratiqué, sur une très grande échelle, et autorisé par la loi et par la loi seule.

Exemple : la construction du pont de Tancarville prévue de façon spécifique par la loi du 17 mai 1951. Le rapporteur du projet à l'Assemblée nationale justifie le péage en termes réalistes : "la question n’est pas tellement de savoir si la construction du pont sera financée par une procédé ou par un autre mais de décider si l’on construit ou non le pont de Tancarville qui répond à un besoin économique certain". Une chose est certaine, sur les autoroutes, les péages, exceptionnels au début, sont devenus maintenant la règle.


Il ne serait être question naturellement de comparer à première vue l’autoroute qui double toujours une route plus ancienne à l'ouvrage d'art qui constitue très souvent un "passage obligé".

Passons maintenant à l'analyse de la loi telle qu'elle est sortie des débats parlementaires et telle qu'elle est soumise à votre examen.

Article premier. L'article premier de la loi pose le principe de la perception de certains péages, redevances pour service rendu sur des ouvrages exceptionnels : "par dérogation à la loi du 30 juillet 1880 ayant pour objet de déterminer le mode de rachat des ponts à péage, il peut être institué, à titre exceptionnel et temporaire, lorsque l'utilité, les dimensions et le coût d'un ouvrage d'art à comprendre dans la voirie nationale et départementale ainsi que le service rendu aux usagers le justifie, une redevance pour son usager, dans les conditions prévues aux articles 2 et 3 ci-dessous".

L'article 2 indique la procédure d'institution des péages sur les voies nationales.

L'article 3 indique la procédure d'institution des péages sur les voies départementales.

On remarque dans ces deux articles que le péage est strictement entendu comme une redevance pour service rendu. Les sommes ainsi perçues ne peuvent en effet couvrir que les frais d'investissement et le cas échéant les frais d'exploitation et d'entretien de l'ouvrage. C'est d'ailleurs cette nature particulière qui explique que les péages sont en principe temporaire ou à tout le moins doivent après le paiement des frais d'investissement.

L'article 4 donne la faculté aux départements de faire bénéficier d'un tarif réduit, voire même la gratuité, diverses catégories d'usagers pour tenir compte "soit d'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation de l'ouvrage d'art” soit de la situation particulière des usagers "captifs" ou "obligés". .

L'article 5 est simplement relatif à l'harmonisation des textes sur les pouvoirs des Conseils généraux.

L'article 6 est l'article de validation des péages des ponts en "sursis" et également du pont d'Oléron.



L'article 7 exclut du régime particulier prévu par la loi les autoroutes à péages.

L’article 8 est une simple disposition d'harmonisation avec la loi du 30 juillet 1880.

Apres ce rappel des conditions d'élaboration de la loi et de son contenu, nous abordons l'argumentation développée par les auteurs de la saisine pour contester ce texte. Les députés socialistes critiquent ce texte au regard de deux principes qu'ils estiment de valeur constitutionnelle. La loi méconnaîtrait tout d'abord la liberté d'aller et venir qui selon eux implique celle de circuler gratuitement sur les voies publiques ("gratuité de la circulation routière, corollaire indispensable à la liberté d'aller et venir").

Ils reconnaissent qu'une exception peut être apportée à la liberté de circuler gratuitement quand les voies à péage ne constituent pas un "passage obligé". C'est le cas des autoroutes qui doublent toujours une autre voie.

Dans le cas des ouvrages d'art dont traite la présente loi, qu'ils relient des routes nationales ou départementales, il se peut - et il arrive même fréquemment -qu'ils soient le seul passage possible pour le franchissement d'un estuaire, d'un bras de mer ou, particulièrement en hiver, pour la traversée d'une montagne. Il arrive également qu'un autre passage soit possible mais qui entraînerait un détour si considérable qu'en fait il devient impraticable (ainsi la traversée de la Loire à Saint-Nazaire se fait par un parcours de trois kilomètres si l'on emprunte le pont et de plus de cent vingt kilomètres si on ne l'emprunte pas). Dans une telle situation l'utilisation de l'ouvrage constitue une nécessité certaine pour certains usagers, notamment pour ceux qui doivent l'emprunter pour le trajet de leur domicile à leur lieu de travail. Ils se voient ainsi contraints de payer une redevance. C'est ce cas particulier qui est en premier lieu critiqué par la saisine. La liberté de circuler serait méconnue si ces usagers "obligés" étaient contraints de payer une redevance alors que, pour eux, utiliser l'ouvrage n'est pas choisir une commodité particulière mais correspond à une nécessité pratique .

La seconde critique est que la loi méconnait l'égalité devant les charges publiques. Elle la méconnaîtrait tout d'abord en obligeant les usagers "obligés" à payer une redevance, puisqu'ils seraient pénalisés par rapport à l'ensemble de leurs concitoyens qui utilisent la voirie, pour les besoins de leur vie pratique, de façon gratuite.

Elle la méconnaîtrait également au cas ou ceux-ci bénéficieraient d'un tarif préférentiel, voire de la gratuité. Dans ce cas, ce sont les usagers "occasionnels" qui paieraient pour un même service, un prix supérieur à celui consenti aux usagers "captifs", pour lesquels il se peut même que l’usage du pont soit gratuit.



La saisine nous dit : "cette modalite substituerait une nouvelle inégalité à l’ancienne au lieu de la faire disparaitre".

Les auteurs de la saisine nous mettent ainsi en face d’un cruel dilemne. En cas de tarifs différentiels ou de gratuité ce sont les "occasionnels" qui sont, pénalisés, dans le cas ou le tarif est uniforme, ce sont les "captifs" qui sont pénalisés."

Pour les députés socialistes, une seule solution correcte est possible c’est la gratuité totale du passage. Leur optimisme donne à rêver. Ils considèrent, en effet, que les ouvrages seront financés sans que l’on puisse espérer faire rembourser leurs coûts par les usagers. Naturellement c’est l’Etat-Providence qui se chargera de la dépense.

Pour être complet sur l’inégalité, celle-ci existerait encore, puisque la loi ne ; permettrait d’établir des tarifs différentiels que sur les voies départementales. Nous lisons en effet dans la saisine que la faculté d’établir des tarifs préférentiels est réservée aux seuls ouvrages reliant des voies départementales.

Donc, il s’en déduit que dans des situations analogues un tarif différentiel pouvait être institué ou non, selon que l’ouvrage soif situé sur des voies départementales ou sur des voies nationales. Tels sont les arguments de la saisine. Répondons tout d’abord à l’argument sur l’atteinte à la liberté de circuler et au principe de gratuité.

a) La liberté de circulation apparaît, comme le dit la saisine être un principe de valeur constitutionnelle.

Pour certains auteurs, elle découlerait de l’interdiction des détentions arbitraires posée par l’article 7 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. S’il est discutable de voir dans ce texte l’origine de cette liberté, on peut en tout cas affirmer que c’est une liberté traditionnelle à laquelle des exceptions n’ont été apportées que dans des cas limités (livrets ouvriers sous le deuxième empire et autorisations de déplacement instituées durant les guerres). Le principe de cette liberté est souvent rappelé par les tribunaux et il consiste en ceci que : les déplacements sur le territoire national ne sont soumis à aucune formalité ni à aucun contrôlé par l’administration ou la police.

Tel étant le principe, on ne voit pas en quoi l’institution d’un péage pourrait lui porter atteinte.

b) Pour la mise en pratique de la liberté d’aller et venir les voies publiques sont affectées à la circulation. C’est là leur mode normal d’utilisation. Comme toute utilisation normale et commune, c’est-à-dire non privative, du domaine public, la circulation est en principe gratuite, c’est ce que rappellent notamment les professeurs RIVERO et ROBERT quand ils étudient la liberté de circulation. Il ne semble pas pour autant, que l'on doive reconnaître valeur de principe constitutionnel à la gratuité. Elle comporte, en effet, de nombreuses exceptions. On ne saurait estimer que la gratuité est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, donc de valeur constitutionnelle du fait de l'abrogation de tous les péages, tant au début de la révolution (lois du 5 mai 1790 et du 30 avril 1792) que par la loi du 30 juillet 1880. En effet, cette abrogation n'a jamais été générale, sauf en ce qui concerne les voies terrestres. Pour l'entretien des bacs et pour le paiement de leurs frais de fonctionnement, il a toujours été perçues des redevances pour service rendu. Les seuls péages qui ont été absolument abolis sont ceux de caractère fiscal.



En outre, à partir des années 1950, pour permettre l'édification de voies nouvelles d'un coût sans commune mesure avec celui des voies antérieures, on a institué un nouveau système de redevances. J'ai déjà évoqué le pont de TANCARVILLE (loi de 1951). Beaucoup plus importante par sa portée est la loi de 1955 qui autorise la perception de péages sur des autoroutes. Des péages ont été ensuite institués par des lois pour, financer le tunnel sous le Mont-Blanc, le tunnel de Sainte-Marie-Aux-Mines et celui de Fréjus. La tradition républicaine est donc qu'il soit fait exception au principe de la gratuité du passage en ce qui concerne les ouvrages de coût exceptionnel. C'est d'ailleurs exactement ce que prévoit la loi qui vous est soumise. N’oublions pas d'ailleurs que le but de ces péages est d'améliorer le réseau routier et donc le service rendu aux usagers. Une fois ces améliorations financées, c'est-à-dire au terme d'un délai nettement défini dans cette loi, la circulation redevient gratuite pour tous sur un réseau qui apporte de plus grandes commodités. Soulignons d'ailleurs, enfin, que l'examen de notre texte par le Parlement a considérablement accentué le fait que les dispositions dont il s'agit ont un caractère exceptionnel et qu'il ne s'agit pas de droits fiscaux mais de redevances pour service rendu dont la durée de perception est nettement précisée. Nous pouvons conclure, sur la liberté de circulation et son aspect de gratuité, que la loi ne méconnaît aucun principe de valeur constitutionnelle. Il convient à présent d'examiner les arguments relatifs à l'égalité devant les charges publiques.

Le principe d'égalité devant les charges publiques, affirmé à de nombreuses reprises par la jurisprudence du Conseil d'Etat comme ayant valeur de principe général du droit, apparaît bien avoir également valeur constitutionnelle.
En effet, ce n'est que l'application de la notion d'égalité devant la loi posée par la déclaration des droits de 1789 dans ses articles 6 et 13. L'interprétation de ce principe est donnée par la jurisprudence du Conseil d'Etat dont il n'y a pas lieu de s'écarter ici. L'égalité commande que la loi impose les mêmes règles aux personnes qui sont dans des situations identiques.



1° Les usagers "obligés seraient placés dans une situation d'inégalité par rapport à leurs concitoyens qui ont accès gratuit à l'ensemble du réseau routier. Mais la loi permet un tarif préférentiel à leur égard qui peut aller jusqu'à la gratuité. C'est au Conseil d'Etat qu'il appartiendra de vérifier si les tarifs établis correspondent effectivement, quand ils sont différentiels, des situations particulières de fait et non à un avantage indu pour les habitants du département.

La loi en prévoyant la faculté d'instituer un tarif préférentiel ou gratuit permet donc que le principe d'égalité soit respecté. Ce sont les mesures d'application qui pourraient le cas échéant être contraire à celui-ci. Il appartiendra au juge administratif d'assurer' le respect de ce principe en contrôlant les actes administratifs d'application de la loi.

2° En ce qui concerne l'inégalité qui serait créée au détriement des usagers "occasionnels" payant le prix fort, il s'agit encore d'une critique qui ne porte pas sur la loi mais sur une mauvaise application qui en serait faite. Là encore, il appartiendra au juge administratif d'assurer le respect du principe.

Pour qu'il y ait rupture d'égalité, il faudrait que le tarif appliqué aux usagers "occasionnels" soit abusif c'est-à-dire que l’on ait dégrévé à tort ou à l'excès des usagers obligés. Non seulement le contrôle du juge administratif permet d'éviter de tels abus mais, là encore, l'autorité de tutelle interviendra lors de l'établissement des tarifs.

3° Il est inexact de dire que des tarifs différentiels prévus expréssement par la loi pour les voies départementales seraient par là même interdits pour les voies nationales.

S'il est apparu utile de préciser que les Conseils généraux pouvaient instituer des tarifs préférentiels, afin d'éviter toutes difficultés avec leurs autorités de tutelles, rien n'empêche que l'on donne une précision identique en ce qui concerne les voies nationales.

Au regard de l'égalité, les mêmes règles s'appliquent pour les actes administratifs de l'Etat et pour ceux des départements. 

Notons d'ailleurs que, d'une façon indirecte mais certaine, la loi prévoit une modulation des tarifs sur les voies nationales puisque pour les tarifs nationaux il est obliga- toire de recueillir l'avis ..des Conseils généraux dans le cas ou "l'absence d'autres moyens de communication assurant à l'usager un service de même nature rend ledit ouvrage indispensable à la circulation locale". Comme cet avis des Conseils généraux est obligatoire, dans cette hypothèse, même si les départements n'ont en rien participé au financement de l'ouvrage, cette consultation ne peut avoir d'autre l'intérêt que de permettre la sauvegarde des intérêts légitimes des usagers obligés.



Nous voyons donc qu'aucun des arguments invoqués par la saisine n'apparait fondé, la loi ne méconnait ni le principe de la liberté de circuler ou celui qui en découle de la gratuité, ni le principe de l'égalité devant les dépenses publiques.

Avant d’en terminer il convient de noter que la saisine conteste également l’article 6 dont l'objet est de valider rétroactivement, des actes qui ont institué des péages en violation de la loi du 30 juillet 1880, sans fournir aucun argument particulier pour appuyer cette dernière constation.

Rappelons que cet article 6 valide tant les péages annulés par le Conseil d'Etat pour le pont d'Oléron que les actes instituant des péages pour cinq autres ouvrages qui, pour n'être pas annulés actuellement, encourent exactement les même critiques aux regard de la loi de 1880.

C'est d'ailleurs cette sauvegarde des intérêts des départements qui a été à l'origine du projet de loi. La loi permettra de sauvegarder ces situations et aussi d'organiser de façon claire pour l'avenir la possibilité de financement de tels ouvrages.

Remarquons que le principe même d'une validation législative n'est pas contesté. La constitutionnalité d'une telle pratique, pour regrettable qu'elle soit, ne parait pas douteuse. La validation a été pratiquée sous toutes les Républiques. C'est le seul moyen de sauvegarder des situations légitimes bien que leur origine se trouve dans un acte administratif irrégulier. On peut penser que l'absence d'argumentation particulière sur ce point correspond à un concensus sur la constitutionnalité du procédé.

La validation est par définition même rétroactive. Aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdit à la loi d’être rétroactive, à la seule condition qu'elle ne porte pas sur une matière pénale. Nous constatons dans notre cas que l'alinéa 2 de l'article limite la validation, donc la rétroactivité aux conséquences civiles des actes administratifs irréguliers à leur origine. Il n'y a donc aucun motif d'inconstitutionnalité qui puisse être retenu à l'encontre de ces dispositions. 

Je conclus donc, pour ma part, à la validation au regard de la Constitution de toutes les dispositions de la loi soumise à votre examen. S'il apparait bien qu'il existe entre 1880 et 1950 une gratuité de l’usage des voies routières ordinaires, de nombreuses exceptions à la gratuité ont été portées dès 1951. Notons enfin, que les ouvrages modernes soumis à péage ou bien doublent des voies existantes ou bien remplacent des bacs d'eau qui entraînaient des frais particuliers mis à la charge des usagers. La loi n'apporte donc aucune mutation sur le plan juridique, les principes restant : les mêmes puisque le Parlement à tenu à maintenir la loi de 1880, mais simplement la loi adapte les règles de droit à des situations techniques qui ont évolué."


Je note enfin, qu'après le financement par des redevances, les ouvrages et les voies qui auraient été ainsi créés seront incorporés dans le réseau routier d'utilisation gratuite. Il s'agit donc d'une dérogation temporaire justifiée par l'intérêt des usagers actuels qui trouveront une nouvelle commodité assortie d'un paiement et des usagers'futurs qui pourront en profiter de façon gratuite.

Le dogme invoqué par la saisine d'une gratuité absolue à là charge de l'Etat aboutirait à des concéquences fâcheuses pour les usagers eux mêmes puisque comme le disait le rappporteur de la loi relative au pont de TANCARVILLE, il ne s'agit pas de savoir si l'on utilisera tel ou tel procédé pour financer l'ouvrage mais simplement de choisir si l'ouvrage pourra ou non être construit.


Monsieur le Président remercie Monsieur JOXE de son rapport et déclare ouverte la discussion générale.

Monsieur GOGUEL remarque qu’il y a une contradiction entre le texte même de la saisine et la position de certains parlementaires au cours des débats. Monsieur EVIN, premier signataire de la saisine, disait à l'Assemblée que le groupe socialiste n'est pas opposé au principe du péage et Monsieur BEIX, second signataire, est l'auteur de l'amendement dont est issu l'article 4, spécialement contesté. Par ailleurs, trois élus des Charentes-Maritimes demandent l'annulation d'un texte, décision qui aurait pour effet d'augmenter considérablement les charges financières de leur département.

Monsieur PERETTI indique que cette situation se retrouve fréquemment puisque l'on voit les élus communistes amender le texte d'une loi qu'ils ne voteront pas. Cela lui paraît normal. C'est le jeu de la démocratie et cela fait partie des droits de l'opposition. Les débats sont une chose, la saisine en est une autre. Rien ne les oblige à prendre des positions identiques lors des débats et lors de la saisine. 

Monsieur GROS trouve que cette saisine se présente comme un piège. Il attend la rédaction qui sera lue tout à l'heure pour faire des remarques à ce sujet. Il craint que l'on abuse du terme de "principes constitutionnels". Ces principes, il faut les déduire de la Constitution. Il est bien rare, en effet, qu'elle les énonce directement. Or, on confond trop volontiers les principes généraux du droit et les principes de valeur constitutionnelle. Il nous faut clairement les distinguer. De principes de valeur, constitutionnelle, il n'en voit pas dans cette affaire qui soient mis en jeu. C'est pourquoi, il insistera pour que la rédaction de la décision soit très précise sur ce point.

Monsieur JOXE pense, lui aussi, que, pour les auteurs de la saisine, on met un peu tout ce que l'on veut dans la déclaration des droits de l'homme.

Monsieur BROUILLET est étonné par le tour que prend la discussion. Le rapporteur a insisté sur la valeur du travail de réflexion du Parlement. En comparant le texte du projet et le texte qui a été adopté, il remarquait tout à l'heure que le Parlement a fait respecter des principes méconnus, par le projet initial. Qu'au terme de cet examen, certains parlementaires soient encore réservés sur la conformité de la loi aux principes lui paraît très légitime. Qu'ils aient raison ou qu'ils aient tort, il convient que l'on l'examine, mais que l'on le fasse avec sérénité et avec un soin aussi attentif que celui que le Parlement a apporté à son travail. La Constitution donne le droit de saisine aux parlementaires. Il convient qu'on le respecte.



Monsieur PERETTI se déclare en plein accord avec Monsieur BROUILLET. La Constitution n'indique pas qu'une saisine doive être bien rédigée et qu'elle doive être pertinente. Quand une saisine nous est présentée, nous devons y répondre, et c'est tout. Que les auteurs de la saisine aient changé d'avis, cela ne nous concerne pas. .

Monsieur COSTE-FLORET estime qu'il est raisonnable de soutenir que la loi est contraire à la liberté d'aller et venir et au principe d'égalité. Que ces arguments ne soient pas absolument convaincants, ne conduit pas à penser qu'il n'était pas tout à fait superflu, à priori, de les présenter. Ceci dit, le premier argument comporte un étrange galimatias : Il mélange principes constitutionnels et principes fondamentaux de la République, dont il nous appartient de les faire respecter, avec de simples principes généraux du droit.

Il fait découler la liberté d'aller et venir de la déclaration de 1789. Cette liberté existait bien antérieurement. Sa valeur constitutionnelle n'est pas discutable et on peut noter que son respect est imposé par l'édiction de trois infractions pénales : arrestation arbitraire, détention arbitraire, séquéstration arbitraire. Pourtant, une telle liberté constitutionnelle n'est pas méconnue par la loi..

Personne ne demandant plus à intervenir dans la discussion générale, le Président invite le rapporteur à lire le . texte du projet. ' .

Monsieur SEGALAT pense, à la lecture de la saisine, qu'elle comporte,non pas trois moyens, mais seulement deux. Il n'y a pas un moyen relatif à la liberté de circuler et un autre à la gratuité de la circulation mais simplement, lui semble-t'il, la saisine estime la loi contraire au principe de la liberté de la circulation dans la mesure où la circulation ne serait pas gratuite.

Monsieur GOGUEL partage le sentiment de Monsieur SEGALAT.

Monsieur COSTE-FLORET, lui aussi, et il pense que le meilleur moyen d'exposer la saisine est de citer le passage de celle-ci où il est indiqué que le texte "porte atteinte à deux principes fondamentaux de notre droit constitutionnel qui sont la liberté d'aller et venir et l'égalité des citoyens devant la loi et devant les charges publiques". Des divergeances ayant lieu également sur la rédaction du passage relatif à l'égalité, la discussion se poursuit pour que le Conseil puisse donner des indications précises avant que ne soit préparée une nouvelle rédaction du projet, au cours d'une suspension.

La séance est suspendue à 17 h 45 puis reprend à 18 h 30.

Le projet modifié est alors adopté à l'unanimité, tel qu'il est annexé au présent procès-verbal.

La séance est levée à 19 heures.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.