Séances des 19 et 20 janvier 1981
Avant la séance plénière a lieu la séance de section pour les affaires électorales où siégeaient Monsieur MONNERVILLE, Président, Messieurs SEGALAT et PERETTI.
La section adopte sur les deux affaires électorales, requêtes n° 80-892/893/894 contre l'élection de Monsieur SOUCHON dans le Cantal et requête n° 80-895 contre l'élection de Monsieur GARMENDIA dans la Gironde, les conclusions du rapporteur ainsi que le texte du projet qui sera soumis à la séance plénière à 10 heures.
Séance du Conseil
La séance est ouverte à 10 heures, tous les membres étant présents à l'exception de Monsieur GROS dont le Président donne des nouvelles rassurantes à ses collèges. Le Président rappelle l'ordre du jour ci-après :
I. - Examen des recours concernant les élections législatives partielles des 23 et 30 novembre 1980 :
1°) requêtes n° 80-892/893/894 déposées par MM. Albert GENTE, Guy TESTE et Gustave CHANCEL contre l'élection à l'Assemblée nationale de M. René SOUCHON dans la première circonscription du département du Cantal ;
2°) requête n° 80-895 déposée par MM. Jean-Hervé LE BARS et Bruno LAMBERT contre l'élection â l'Assemblée nationale de M. Pierre GARMENDIA dans la quatrième circonscription du département de la Gironde.
Rapporteur : M. Michel MORISOT, Maître des requête
II. - Examen, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci, de la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes.
Rapporteur : M. Georges VEDEL
Le Président fait introduire Monsieur MORISOT dans la salle de séance qui présente, sur les deux affaires électorales, le rapport qui est joint au dossier classé aux archives. Le projet, dans ces deux affaires, est adopté à l'unanimité.
Monsieur MONNERVILLE rendant compte de l'avis de la section dans l'affaire SOUCHON, a tenu à souligner l'excellence du rapport de M. Morisot qui, par un mode d'approche imaginatif et très pertinent dans
Monsieur MORISOT quitte la séance et le Président donne la parole au Doyen Vedel qui présente les observations suivantes avant de faire entendre son rapport.
Monsieur VEDEL : Il est apparu utile, dans une affaire aussi complexe, de grouper les questions, non seulement pour la présentation du rapport mais, si le Conseil n’y voit pas d'inconvénient, après chaque grand bloc de discussion, d'examiner les considérants de façon à bien avoir à l'esprit l'ensemble des arguments qui s'y rapportent. Cette méthode qui est exceptionnelle dans la discussion du rapport est justifiée, dans le cas.présent ; par la compléxité technique de certaines dispositions et par le fait aussi que l'ensembl
Le Conseil, interrogé par le Président, donne son accord sur cette méthode de présentation. Monsieur VEDEL donne lecture de son rapport selon la méthode qu'il a indiquée :
I. INTRODUCTION GENERALE
1. - La tâche qui nous est dévolue est trop longue et trop complexe pour que je l'alourdisse par plaisir de considérations générales.
Quelques notations préliminaires sont cependant nécessaires.
La première, évidente, est que le texte dont nous avons à connaître a été l'occasion de véritables déchaînements passionnels et continue à l'être. Pour les apprécier, il faut tenir compte évidemment de ce qu'à tort ou à raison le projet gouvernemental "Sécurité et liberté" est l'un des fronts de la bataille politique que l'approche de l'élection présidentielle avive de semaine en semaine. Nous ne devons pas avoir d'illusion : quelle que soit notre décision, elle sera condamnée selon les critères et le langage de la politique. Naturellement, ceci ne saurait altérer notre objectivité ; ceci peut même le renforcer dan
Mais les passions que soulève la loi ont d'autres origines que la politique. Il faut tenir compte d'un jeu subtil de rivalités, d'alliances, de chassé-croisés corporatifs et personnels intéressant le monde des professionnels de la justice et du droit. Ce ne sont pas des éléments négligeables ; ils intéressent la petite histoire, mais n'offrent pas d'intérêt pour la décision que nous devons rendre.
Le plus intéressant pour nous est, au contraire, l'enracinement, d'une part, très important des entraînements passionnels dans les convictions profondes de nombre de protagonistes en ce qui concerne la nature, les objectifs et les méthodes de la répression pénale, la balance des droits respectifs de la société et des délinquants, de l'accusation et de la défense et, selon les termes mêmes de l'intitulé du projet, de la sécurité et de la liberté. Ici, ce ne sont plus des tactiques ou des stratégies politiques, des positions corporatives ou personnelles qui sont en jeu, mais de grandes options que, dans un sens non péjoratif, on pourrait appeler philosophiques. C'est à leur égard que notre tâche sera plus difficile, car s'il nous est naturel de ne pas entrer dans le combat politique, s'il nous est aisé de négliger
2. - C'est difficile parce que, tout d'abord, ces règles et ces principes sont parfois incertains. Les auteurs des saisines ont, à l'appui de leur demande de déclaration de non-conformité, invoqué tantôt des règles formellement inscrites dans la Déclaration de 1789 et dans le Préambule de 1946 et donc certaines, par exemple le principe de la légalité des délits et des peines ou le droit de grève, tantôt enfin des principes reconnus par les lois de la République ou prétendus tels, par exemple le principe du double degré de l'information pénale. On va ainsi de la certitude à l'interrogation.
A cette difficulté d'identifier les normes constitutionnelles don
Il est une troisième difficulté qui est, me semble-t-il, de plus en plus pressante pour la fidélité à notre mission et dont, bien avant nous et dans un autre contexte, le juge administratif de l'excès de pouvoir ou le juge communautaire ont fait l'expérience. On peut l'énoncer comme suit : en théorie, il est facile de distinguer, pour prendre le langage du Conseil d'Etat, la légalité et l'opportunité. C'est ce que fait l’un des considérants de votre décision relative à la loi sur l'interruption de grossesse, qui, d'ailleurs, est reproduit expressis verbis dans le projet d'avis. Mais en fait, il y a des cas où l'opportunité est une des conditions de la légalité. Lorsque le juge administratif censure un règlement de police parce qu'il impose à telle liberté une restriction excessive par rapport aux nécessités de l'ordre public, il fait de la nécessité c'est-à-dire de l'opportunité du règlement une condition de sa légalité et il a raison. Le Conseil constitutionnel fait-il autre chose lorsque, dans sa décision du 9 janvier 1980 relative à l'expulsion des étrangers, il est amené à apprécier la durée pendant laquelle une détention par voie administrative d'un étranger en voie d'expulsion peut être prolongée sans atteinte à la liberté individuelle ? Mais cette voie est glissante, voire dangereuse, c'est celle du gouvernement des juges. Et si le gouvernement de l'administration par le juge administratif n'est que modérément désirable, le gouvernement du législateur par le Conseil constitutionnel serait inadmissible.
Il nous faudra pourtant préciser et dans le concret jusqu'où peut aller notre contrôle quant à la sévérité de la répression pénale lorsqu'on invoque devant nous un texte incontestablement de valeur constitutionnelle, l’article 8 de la Déclaration de 1789, qui impose au législateur de n'établir que des peines "strictement et évidemment nécessaires". De même, nous devons dire dans quelle mesure et pour quelle durée la liberté individuelle est compatible avec la prolongation de la garde à vue dans certaines affaires pénales.
Ajoutons un dernier point : la difficulté de tenir compte dans un débat de données de fait qui, en droit pur, devraient demeurer étrangères au débat, mais qui, dans certains cas, le dominent et, à la fois le faussent et l'éclairent. Qui nierait que la résistance au système des contrôles d'identité prévu par la loi que nous devons examiner a ses racines les plus solides dans les "bavures" hélas ! trop nombreuses de la pratique policière dans les centres urbains et dans l'impuissance
Cette factualité, qui fait irruption dans la juridicité (si ces pédantismes d'expression sont permis) tourne quelquefois à l'ironie. Le juge d'instruction est une invention typiquement napoléonienne ; elle a été longtemps dénoncée par l'opinion libérale comme la survivance ou la réactivation dans notre droit des pratiques procédurales de l'Ancien régime ; on a souvent opposé à notre procédure d'instruction et de jugement en matière pénale, toute entière de type inquisitorial et autoritaire, le modèle accusatorial anglo-saxon dans lequel le juge n'est qu'un arbitre neutre entre une accusation qui n'a aucun privilège et une défense en faveur de laquelle la présomption d'innocence est si forte que l'accusé, s'il ne se reconnaît pas lui-même coupable, n'est qu'un témoin dans sa propre cause, même quand il est déjà détenu et renvoyé devant le juge. Et voilà que, au nom des droits de la défense, quelques-une des attaques les plus violentes et, à mon avis, les plus fondées, contre la loi votée prennent pour cible l'emprunt au système accusatorial retenu par le législateur pour les affaires dans lesquelles l'information par un juge d'instruction semble inutile. C'est que, comme toutes choses, les institutions se transforment. Tout conme le préfet napoléonien est, au fil des Républiques, devenu autant l'ambassadeur des populations auprès du pouvoir central que l'agen
Ces éléments de fait qui tiennent un si grand rôle dans les critiques apportées à la loi, quel compte pourrons-nous en tenir ? Les écarter serait apparemment facile au nom de la pureté du jugement en droit. Mais nous sommes plus et moins qu'une Cour constitutionnelle et il ne serait pas sain, du point de vue de l'instruction civique et du point de vue de notre rôle que, même quand nous les écartons, nous donnions le sentiment de les avoir ignorés.
3. - Dieu me garde, à force de dénombrer les difficultés de notre tâche, de paraître me décourager et - mais ce serait impossible ~ vous décourager. Aussi vais-je en terminer en notant des données plus favo- rables quoique peu apparentes.
La bataille autour du projet a été si âpre que, contrairement à ce qui advint en d'autres circonstances, les controverses au Parlement et dans la presse nous apportent finalement peu de lumière sur ce qui est notre sujet : la conformité ou la non-conformité à la Constitution de la loi qui nous est soumise. Sans doute a-t-on beaucoup parlé ou écrit sur l'inconstitutionnalité. Mais les analyses sont restées très partisanes et très superficielles. Même les professeurs de droit se sont plutôt exprimés en termes de manifestes collectifs que de dissertations juridiques.
Cet acharnement des combattants a entraîné une conséquence : bien que soumis au Parlement selon la procédure d'urgence et n'ayant donc bénéficié que d'une seule lecture devant chaque assemblée, le projet initial a subi de larges remaniements. Jamais autant que pour cette loi, le rôle législatif du Sénat ne s'est aussi utilement manifesté, au prix d'un travail en commission et en séance qui fait littéralement l'admiration des lecteurs des documents parlementaires. Malgré une erreur que nous aurons à censurer si vous me suivez, la commission mixte paritaire a remarquablement oeuvré. Or, rien n'a fait changer les positions initiales, celles qui inspiraient le projet ou la contestation au moment du dépôt du projet de loi. Mais nous aurons, nous, à tenir compte de ce que nombre des critiques faites au projet ont été finalement la source de changements importants dans sa rédaction et
4. - Le projet de décision qui est sous vos yeux vous paraîtra exceptionnellement volumineux. Il l'est d'abord nécessairement parce que la loi qui vous est soumise comporte cent articles et qu'elle vous est expressément déférée dans sa totalité. Même si l'on n'a pas consacré de considérants spéciaux à la majorité des articles, il en demeure environ un tiers - et non les plus courts - qu'il a fallu examiner en détail. La matière des observation auxquelles il donne lieu n'est pas simple, surtout pour les dispositions de procédure dont chaque détail compte. Enfin, il m'a semblé que nous ne pouvions pas sacrifier à une brièveté, qui eût été le plus souvent obscurité ou désinvolture, le souci de nous expliquer en termes non équivoques sur les raisons de notre décision qui sera l'objet à la fois des jugements les plus sommaires et des gloses les plus exégétiques.
5. - Le rapport qui vous est soumis comportera cinq parties.
La première retracera sommairement l'histoire externe de la loi, exposera non moins sommairement les motifs qui l'ont inspirée et ses dispositions essentielles ; on y analysera aussi les termes de la saisine.
La seconde sera consacrée à l'examen, au surplus très bref, de la procédure législative que je vous proposerai de déclarer conforme à la Constitution.
La troisième sera relative aux dispositions de droit pénal formant le titre Ier de la loi (article 2 à 37) que je vous proposerai également de déclarer conformes à la Constitution.
La quatrième partie, beaucoup plus longue, hélas ! sera relative au titre II de la loi "dispositions de procédure pénale" (articles 38 à 80) qui renferme les problèmes les plus difficiles et pour laquelle je vous proposerai de déclarer non conformes à la Constitution deux articles ou groupes d'articles.
La cinquième partie, mais là nous irons beaucoup plus vite, examinera le titre III "Protection de la victime" (article 81 à 100). Elle sera l'occasion de vous proposer, mais sur des points mineurs, de déclarer deux articles non conformes à la Constitution.
6. - L'article 1er de la loi dont une partie rappelle les objectifs de sécurité, de liberté et de lutte contre la criminalité qui sont ceux de la loi reste en dehors de notre examen.
S'il a été critiqué au cours des débats parlementaires (mais non dans les lettres de saisine), c'est parce que, soutenait une partie des opposants, la loi ne répondait à aucun des objectifs prétendument visés. Mais cette critique n'a évidemment pas de portée constitutionnelle.
Quant à la critique selon laquelle une loi ne doit comporter que des dispositions opératoires et non des déclarations d'intention, la plupart des juristes la ferait volontiers leur. Mais une pratique tehniquement contestable (et qui n'est pas sans précédent dans nos lois) ne donne certainement pas prise à notre contrôle. C'est pourquoi l'examen de l'article 1er n'entre pas dans le plan que je vous propose.
II. PREMIERE PARTIE : LA LOI ET LES SAISINES.
Le texte soumis à l'examen du Conseil constitutionnel trouve son origine dans un projet de loi enregistré à la présidence de l'Assemblé nationale le 2 mai 1980 et annexé au proces-verbal de la séance du 6 mai 1980. Ayant fait l'objet d'un rapport de M. Jacques PIOT au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, (n° 1785 - annexe au P.V. du 10 juin 1980) et l'urgence ayant été déclarée, il vint en discussion devant l'Assemblée nationale à la deuxième séance du mercredi 11 juin 1980 (J.O. déb. P. 1744).
Après le rejet d'une exception d'irrecevabilité présentée par le groupe socialiste (Déb. p. 1752-1760) et d'une question préalable de même origine (1ère séance du jeudi 12 juin 1980, déb. p. 1782-1788) il fut débattu au cours des séances du 12 juin 1980 (1ère et 2e), 13 juin (1ère), 16 juin. Après la clôture de la discussion générale, une motion de renvoi en commission, déposée par le groupe communiste, fut rejetée (séance du lundi 16 juin). La discussion des articles occupa les séances du 17 juin 1980 (1 ère), 18 juin (1ère), 19 juin (2e et 3e), 20 juin (1ère), 21 juin (1ère et 2e). Le vote sur l'ensemble fut acquis à la 2e séance du 21 juin par 265 voix contre 205.
Au Sénat, ce fut M. Pierre CAROUS qui présenta la
Le texte adopté par le Sénat n'étant pas conforme à celui de l'Assemblée nationale, et l'urgence ayant été déclarée, le Premier ministre usa de la faculté de demander la réunion d'une commission mixte paritaire dans les termes de l'article 45, alinéa 2 de la Constitution.
Le texte élaboré par la commission mixte paritaire fut soumis à l'Assemblée nationale à la première séance du 18 décembre 1980. Après rejet d'une nouvelle exception d'irrecevabilité et adoption de deux amendements présentés par le Gouvernement, l'ensemble fut adopté dans la 2° séance du 18 décembre par 258 voix contre 207. Le lendemain le Sénat adoptait un texte conforme par 183 voix contre 116.
2. - Le projet de loi d'où est issue la loi soumise à notre examen ne vise pas à une réforme d'ensemble ni du code pénal ni de la procédure pénale. Il est centré sur les "infractions de grande violence" et ne concerne pas les mineurs. Il poursuit un triple objectif : la certitude de la peine, la célérité de la procédure dans la protection des libertés, la protection des victimes.
La certitude de la peine, essentielle pour la dissuasion, est mal assurée en raison de la trop large ouverture de l'échelle des peines, du jeu excessif des circonstances atténuantes, des atténuations ou exceptions dans l'exécution des peines. D'où, en matière d'infractions de grande violence, un resserrement de l'échelle des peines (environ 1 à 5 du minimum au maximum), un réaménagement des règles du sursis, une révision des règles gouvernant l'exécution des peines. En même temps d'ailleurs, il faut sur certains points atténuer des peines, d'ailleurs toutes théoriques, en supprimant en certains cas la peine de mort, en correctionnalisant un certain nombre de crimes.
L'accélération de la procédure pénale dans la protection des libertés est nécessaire à tous points de vue et notamment celui de l'exemplarité. De là l'institution d'une procédure de saisine directe du tribunal correctionnel sans information préalable par le juge d'instruction avec, pour corollaire, la suppression de la procédure de flagrant délit, trop expéditive et trop dépendante du Parquet. De là encore l'intervention de la chambre d'accusation pour veiller à éviter les retards excessifs dans l'instruction des affaires. La protection des libertés sera assurée par la substitution au parquet, dans tous les cas, d'un magistrat du siège pour délivrer les mandats de dépôt (ce que l'exposé des motifs compare audacieusement avec l'habeas corpu
Ajoutons la suppression de la tutelle pénale, l'enregistrement de débats devant la cour d'assises, la protection des jurés.
Enfin, la protection de la victime sera assurée, par des mesures favorisant le délinquant qui répare le dommage causé à la victime, et en facilitant les constitutions de partie civile.
On notera en passant que l'une des dispositions les plus critiquées de la loi votée, à savoir le contrôle d'identité, ne figurait pas dans le projet gouvernemental et a été introduite par voie d'amendement parlementaire au cours de la discussion devant l'Assemblée nationale.
3. - La loi, telle qu'elle a été votée, a procédé d'une révision assez vigoureuse du projet gouvernemental, de la multiplication des garanties et d'additions diverses.
Elle se présente en 100 articles, le 1er étant un article d'introduction.
Le titre Ier qui couvre les articles 2 à 37 comporte des dispositions de droit pénal comportant essentiellement trois chapitres tous relatifs aux "infractions de grande violence". Le premier concerne une accentuation de la répression par des modifications apportées au régime des circonstances atténuantes, de la récidive et du sursis. Le second procède à une révision des peines et de leur échelle.
Le troisième concerne l'exécution des peines dont l'adoucissement est différé pour les auteurs des infractions de grande violence.
Le titre II qui couvre les articles 38 à 80 concerne la procédure pénale. Ses dispositions les plus importantes concernent la garde à vue (art. 47 à 52) suppriment la procédure de jugement des flagrant délits, les dispositions de procédure criminelle concernant le rôle de la chambre d'accusation et de son président (art. 55) à l'égard des juges d'instruction, la discipline des avocats et la suppression de la tutelle pénale. On y remarquera un article 71 qui règle le problème de la détention des étrangers expulsés dans le sens de la décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 1980 , ainsi que des dispositions intéressant les établissements accueillant des malades atteints de troubles mentaux. C'est là que prennent place les articles 76 à 79 relatifs aux vérifications d'identité.
Le titre III concerne la protection de la victime. Il comporte diverses dispositions favorables à l'action des parties civiles, fait en certains cas du comportement du délinquant après l'infraction une cause d'indulgence ou de sévérité à son égard et étend le champ d'application de la loi du 3 janvier 1977 sur l'indemnisation des victimes de certaines infractions. Enfin, l'article 100 et dernier règle les conditions d'application dans le temps des dispositions nouvelles.
4. - La loi "renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes" a été déférée au Conseil constitutionnel, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par trois saisines émanant respectivement :
- de plus de soixante députés socialistes (enregistrée le 20 novembre 1 980) ;
- de plus de soixante députés communistes (enregistrée le 22 décembre 1 980) ;
- de plus de soixante sénateurs socialistes (enregistrée le 24 décembre 1980).
5. - La première des lettres de saisine (députés socialistes) demande expressément au Conseil de se prononcer sur la conformité à la Constitution de chacune des dispositions de la loi et cela en raison de l'extrême gravité du contenu de la loi et du fait qu’elle est de nature à porter de nombreuses atteintes aux libertés individuelles et collectives des citoyens. Ainsi, toutes les dispositions sont virtuelement incriminées puisqu'aucune d'elles ne l'est spécialement.
En revanche, la lettre de saisine énumère de façon détaillée les règles ou principes de valeur constitutionnelle au regard desquels doi
L'appréciation demandée au Conseil constitutionnel doit se faire "notamment" au regard :
" - des modalités selon lesquelles l'autorité judiciaire exercera désormais sa mission constitutionnelle de "gardienne des libertés individuelles" au sens de l'article 66 de la Constitution ;
" - du principe d'égalité des citoyens devant la loi et devant la justice ;
" - du principe de la séparation des pouvoirs ;
" - du principe selon lequel "nul ne peut être arbitrairement détenu" ;
" - du principe posé par l'article 8 de la Déclaration de 1789 selon lequel les peines doivent être "strictement et évidemment nécessaires" ;
" - du principe de l'indépendance des magistrats du siège ;
" - du principe du droit à la défense".
A cette requête générale, la lettre de saisine ajoute deux points particuliers :
Le premier concerne "les dispositions qui visent à restreindre la liberté d'aller et venir en contraignant les citoyens à se soumettr
" Ces dispositions sont incompatibles avec la liberté individuell
Le second point sur lequel la lettre de saisine appelle particulièrement l'attention du Conseil concerne la procédure législative.
Le Conseil devra en particulier :
- dire "si la commission mixte paritaire prévue par l'article 45 de la Constitution peut être réunie pour rapprocher les points de vue exprimés dans chacune des assemblées alors que, sur des articles additionnels introduits par la seconde assemblée saisie du texte, aucun point de vue n'a pu s'exprimer en première lecture devant la première assemblée ", ;
- "se prononcer sur la conformité de la procédure qui interdit aux députés d'intervenir en séance publique sur chacun des articles du texte de la commission paritaire".
Le moins que l'on puisse dire est que cette première lettre de saisine propose au Conseil constitutionnel un "vaste programme".
6. - La deuxième lettre de saisine, celle des députés communistes a sinon des finalités, du moins une structure différente.
Elle invoque d'une façon générale la Déclaration de 1789, le Préambule de 1946, la Constitution, notamment, ses articles 2, 34 et 66 .
Mais les griefs des auteurs de la saisine sont énoncés par l'énumération des dispositions critiquées et de la règle ou du principe qu'elles méconnaîtraient :
- dispositions concernant les "peines-plancher" et dispositions relatives au sursis, qui iraient à l'encontre du principe fondamental de l'individualisation de la peine ;
- par leur imprécision, les articles 16 (répression des menaces d'atteinte aux personnes et aux biens) et 24 (destruction ou détérioration d'objets mobiliers ou de biens immobiliers) violent le principe de légalité des délits et des peines ;
- l'article 30 (entraves à la circulation des véhicules) pourra s'appliquer à des travailleurs qui auront cessé le travail, au mépris d'un droit reconnu par la Constitution ;
- l'article 39 B relatif à la garde à vue est inutile puisque toutes mesures appropriées peuvent déjà être prises selon la législa- tion en vigueur (cette critique apparemment d'opportunité tend sans doute sur celui de la constitutionnalité à juger excessives les nouvel les dispositions instituant une garde à vue prolongée ;
- l'article 51 de la loi votée concernant la saisine directe du tribunal répressif par le Procureur de la République heurte à la fois la séparation des pouvoirs, l'article 34 de la Constitution qui réserve au législateur la détermination de la procédure pénale, les droits de la défense et l'égalité des citoyens, la loi ne définissant pas selon quels critères les charges retenues par le Procureur de la République pourront être regardées comme suffisantes ;
- l'article 56 du texte qui permet de dessaisir automatiquement la juridiction d'instruction du premier degré au profit de la Chambre d'accusation, au-delà de la durée d'un an de l' information, va à l'encontre des droits de la défense ;
- les dispositions relatives au contrôle d'identité "constituent une atteinte à la liberté d'aller et venir" et vont à l'encontre de l'article 66 de la Constitution, comme le Conseil constitutionne a eu l'occasion de le rappeler, notamment dans sa décision du 12 janvier 1977.
7. - La troisième lettre de saisine émane de plus de soixante sénateurs socialistes. Enregistrée le 24 décembre 1980, elle a pu être rédigée à loisir et est argumentée de façon détaillée.
Elle fait état de cinq chapitres concernant chacun, selon les signataires, un ou plusieurs chefs d'inconstitutionnalité.
Le premier s'intitule : "la loi remet en cause plusieurs libertés individuelles et collectives", c'est-à-dire :
- la liberté d'aller et venir, que méconnaît l'article de la lo
- diverses libertés sociales consacrées par le Préambule de la Constitution : droit de grève et droit syndical, menacés l'un et l'autre par l'article 17 réprimant les entraves à la circulation des chemins de fer.
Le second chapitre de la lettre de saisine s'intitule : "la loi remet en cause les principes fondamentaux de notre droit penal". Il s'agit, selon les signataires :
- du principe de l'individualisation des peines auquel le Conseil constitutionnel aurait reconnu implicitement valeur constitutionnel dans sa décision 78-98 DC du 22 novembre 1978 et que méconnaitraient les dispositions de la loi relatives à l'institution de "peines-planchers" au dessous desquelles le juge ne peut descendre, dispositions aggravées d'ailleurs par celles étendant les cas légaux de récidive ;
- des principes d'organisation judiciaire, car la loi méconnaît dans certaines de ses dispositions le principe du double degré de juridiction et du double degré d'instruction que les auteurs de la saisine déclarent l'un et l'autre fondamentaux, entendant sans doute par là les revêtir du caractère constitutionnel ;
- de la stricte et évidente nécessité des peines établies par la loi, que méconnaît l'institution de peines-planchers de caractère automatique interdisant de vérifier que, dans chaque cas, elles sont strictement et évidemment nécessaires ;
- des droits de la défense, menacés par diverses dispositions de la loi (procédure de constitution de la partie civile, sanctions contre les avocats, procédure de saisine directe) ;
- le troisième chapitre s'intitule : "La loi méconnaît le principe d'égalité devant la justice", principe consacré comme de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel.
- Ce principe serait tout d'abord violé par la différence du régime de détention provisoire selon que la poursuite a lieu avec instruction ou par saisine directe.
- Il le serait encore du fait que, sans que le législateur ait fixé des critères objectifs de choix, le parquet peut, aux termes de l'article 51, opter entre trois procédures après ouverture des poursuites : saisir un juge d'instruction, citation directe devant le tribunal correctionnel, saisine, le jour même, du tribunal correctionnel .
Le quatrième chapitre s'intitule : "La loi remet en cause l'indépendance des magistrats du siège".
En effet, selon les auteurs de la saisine, les articles 92 et 94 du texte soumettent les juges d'instruction à une tutelle du Président de la Chambre d'accusation ainsi chargé non d'un simple contrôle juridictionnel, mais d'un véritable pouvoir hiérarchique.
Enfin, cinquième chapitre, la loi méconnaît les pouvoirs du Parlement et la procédure législative.
- La méconnaissance des pouvoirs du Parlement ressortirait de ce que l'article 51 de la loi (relatif à l'option entre plusieurs procédures) comporte une délégation du législateur en matière de fixation de règles de procédure pénale.
- La méconnaissance des règles de la procédure législative ressortirait de ce que les députés ont été privés de leur droit d'amender les dispositions nouvelles introduites en première et dernière lectures par le Sénat et surtout de ce que l'on ne peut considérer comme "restant en discussion" et relevant donc de l'examen de la commission mixte paritaire des dispositions qui n'ont pas fait l'objet de discussions dans l'une et l'autre assemblée.
En conclusion, les auteurs de la saisine écrivent :
"Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions en cause".
La saisine se limiterait donc, d'après la lettre des sénateurs socialistes, aux dispositions, d'ailleurs nombreuses de la loi, expressément critiquées. Mais cette constatation, bien qu'intéressant comme centrant le débat, ne saurait, en présence des termes des deux autres lettres de saisine et de la pratique du Conseil constitutionne
III. DEUXIEME PARTIE : EXAMEN DE LA PROCEDURE LEGISLATIVE.
1. - La validité de la procédure suivie dans l'élaboration et le vote de la loi est mise en cause dans deux lettres de saisine, celle des députés socialistes et celle des sénateurs socialistes. Mais alors que la première, s'exprimant sur le mode dubitatif (probablement parce que ses auteurs n'entendent pas heurter de front des solutions déjà acquises dans notre jurisprudence) nous invite seulement à vérifier de très près la régularité de la procédure législative, la seconde lettre de saisine, sur la base d'une argumentation analogue, conclut sans hésiter à l'inconstitutionnalité.
Pour les députés socialistes, il s'agit tout d'abord de savoir "Si la commission mixte paritaire, prévue par l'article 45 de la Constitution, ne peut être réunie pour rapprocher les points de vue exprimés dans chacune des deux assemblées, alors que, sur des articles additionnels introduits par la seconde assemblée saisie du texte, aucun point de vue n'a pu s'exprimer en première lecture devant la première assemblée".
Cette interrogation tend à ressusciter une controverse dont le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître dans l'espèce de la loi de finances rectificative pour 1976 qui a donné lieu à sa décision du 28 décembre 1976 (76-74 DC, rec. p. 45).
Si l'on fait abstraction du problème du droit d'initiative financière qui compliquait la question dans l'espèce de 1976, le coeur de la controverse, comme l'exposent FAVOREU et PHILIP (G.D.C.C., 2e ed. numéro 28) se trouve dans le sens à donner aux six derniers mots de l'alinéa 2, de l'article 45 de la Constitution. Cet alinéa dispose en effet :
"Lorsque, par suite d'un désaccord entre les deux assemblées, un projet ou une proposition de loi n'a pu être adopté après deux lecture par chaque assemblée ou, si le Gouvernement a déclaré l'urgence, après une seule lecture par chacune d'entre elles, le Premier ministre a la faculté de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion".
Que faut-il entendre par les "dispositions restant en discussion" ? Dans sa décision du 28 décembre 1976, le Conseil a répondu brièvement mais clairement : ce sont les dispositions "qui n'ont pas été adoptées dans les mêmes termes par l'une et l'autre assemblée". Par conséquent, la commission paritaire doit proposer un texte non seulement sur les dispositions relatives à des matières dont les deux assemblées ont discuté tour à tour, mais également sur tel ou tel article additionnel de caractère plus ou moins nouveau inséré en dernière lecture par l'assemblée saisie en second. Il est exact que, sur ces dispositions nouvelles, le droit de discussion des membres de l'assemblée saisie en premier se trouve réduit. En effet, ils n'ont pu connaître de la disposition en question lors de la ou des lectures devant leur assemblée ; ils n'en connaissent que lorsqu'ils ont à se prononcer sur les propositions de la commission paritaire. Mais cet examen souffre d'un "capitis diminutio" puisque, à ce stade de la procédure législative, aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement. Les parlementaires en désaccord avec l'article additionnel présenté sur l'initiative de l'assemblée à laquelle ils n'appartiennent pas n'ont d'autres ressources que de rejeter l'ensemble du texte élaboré par la commission paritaire, ce qui les place dans une situation de "tout ou rien" peu favorable à l'expression de leur décision véritable et supprime, sauf accord du Gouvernemnt, leur droit d'amendement.
Cet inconvénient qu'avait fait valoir le Président de l'Assemblée nationale, auteur (à vrai dire exceptionnel) de la saisine dans l'affare
2. - Ce sont les mêmes arguments, mais énoncés avec plus d'assurance qu'énonce, en concluant à l'inconstitutionnalité de la procédure législative, la lettre de saisine des sénateurs socialistes.
Après avoir fait valoir que la procédure suivie a eu pour effet de priver les députés de leur droit d'amendement, cependant garanti par l'article 44 de la Constitution, sur les dispositions nouvelles introduites par le Sénat, la lettre de saisine des sénateurs socialistes ajoute :
"Mais surtout, outre l'atteinte ainsi portée au droit d'amendement, admettre la possibilité pour la commission mixte paritaire de délibérer d'articles additionnels dont n'a pas connu l'une des deux assemblées revient à violer des termes du deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution. Ne peuvent être considérées comme "restant en
3. - Faut-il être à notre tour pris de doute et nous demander dan quelle mesure telle ou telle disposition additionnelle introduite par le Sénat pouvait être matière à intervention de la commission paritaire ?
Très fermement, je proposerai de maintenir la doctrine de la décision du 28 décembre 1976.
Dans leur lettre, les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 45 ne peuvent recevoir d'autre interprétation que celle que leur a donnée votre décision du 28 décembre 1976. Les "dispositions restant en discussion" et sur lesquelles la commission mixte paritaire doit proposer un texte sont toutes celles qui n'ont pas été adoptées par l'une et l'autre assemblée dans un texte identique.
Dans leur esprit, les termes de l'alinéa 2 de l'article 45 ne son pas susceptibles d'une autre interprétation. Refuser en effet, à la commission paritaire, le droit de proposer un texte sur des disposition arrêtées en dernière lecture par l'assemblée qui est la seconde saisie c'est à l'évidence mettre à néant le droit d'initiative de cette assemblée, surtout en cas de déclaration d'urgence qui permet au Gouvernement de provoquer l'intervention de la commission mixte après une seule lecture. Il s'agit d'un inconvénient autrement grave que celui que l'on invoque à l'encontre de la solution retenue par le Conseil constitutionnel.
Si d'ailleurs, le droit d'amendement reconnu aux membre du Parlement par l'article 44 de la Constitution se trouve limité pour ceux de l'assemblée n'ayant pas délibéré en dernière lecture avant la réunion de la commission mixte paritaire, c'est en vertu des dispositions formelles de l'article 45, alinéa 3, de la Constitution, et cette situation ne peut donc être arguée d'inconstitutionnalité.
Enfin, l'on remarquera que les membres des deux assemblées sont placés sur un pied d'égalité en ce qui concerne le droit d'amendement. Chacun l'exerce lors de la ou des lectures (en nombre égal) qui a ou ont lieu devant la chambre à laquelle il appartient. Sans doute, le "droit de réplique" de l'assemblée qui a été la première saisie se trouve à un moment arrêté, mais il en est nécessairement ainsi dans toute procédure de navette non indéfinie. Illogique dans un système qui, comme celui des lois constitutionnelles de 1875, exigerait en toute hypothèse des votes identiques dans chacune des deux chambres et donc des navettes non limitées, la situation critiquée par les lettres de saisine des députés socialistes et des sénateurs socialiste : est la conséquence nécessaire et inévitable de la limitation des navettes qui implique la limitation des amendements de parcours.
Enfin, dans la pratique, à quelles discussions byzantines irait-on si l'on obligeait les commissions paritaires à distinguer, au sein des dispositions non adoptées par les deux assemblées, celles qui n'ont
Aussi vous proposerai-je de maintenir purement et simplement votr
4. - Le second point sur lequel la lettre de saisine des députés socialistes, sans écho sur ce point dans celle des sénateurs socialistes, nous demande de vérifier la régularité de la procédure législative concerne :
"la conformité de la procédure qui interdit aux députés d'intervenir en séance publique sur chacun des articles du texte de la commission mixte paritaire".
Cette demande prend sa source dans une controverse qui se déroula à l'Assemblée nationale à la 1ère séance du 18 décembre 1980 (pp. 5015 et 5016), présidée par un vice-président.
Au nom du groupe socialiste, après l'exposé du rapporteur, M. FORN
"Nous allons donc faire remettre dans quelques instants à CHABAN-DELMAS une lettre par laquelle nous lui demandons de bien vouloir donner, de manière claire et précise, son opinion sur ce sujet, les texte, règlementaires étant ambigus".
A la reprise de la séance, le Président de séance fait connaître qu'il a discuté du problème posé par M. FORNI avec le président de l'Assemblée qui, dit-il, "m'a confirmé expressément l'interprétation traditionnelle en la matière".
Il ajoute :
"l'article 113, alinéa 3, du règlement prévoit en effet sans ambiguité que "l'assemblée statue d'abord sur les amendements. Après leur adoption ou leur rejet, ou s'il n'en a pas été déposé, elle statue par un vote unique sur l'ensemble du texte".
"Cette procédure est évidemment dérogatoire aux dispositions applicables à la discussion législative en première ou en deuxième lecture telles qu'elles sont prévues par les chapitres 4 et 6 du titre II du règlement.
"La pratique suivie dans le domaine des commissions mixtes paritaires est constante. Seuls, s'il y a lieu, les amendements sont appelés en discussion ; les articles n'étant pas mis aux voix ni, par conséquent, en discussion ils ne peuvent donner lieu à des inscriptions de parole.
"Cela étant et dans un esprit libéral, les autres dispositions de la procédure législative jugées compatibles ont été largement admises,
5. - Telle est la difficulté que l'on vous demande d'examiner.
La réponse est assez simple. Selon une jurisprudence constante dont la dernière application a été faite dans notre décision du 20 juillet 1980 relative à la loi sur le contrôle et la sécurité nucléaire (qui était la 3ème sur ce sujet), la méconnaissance par une assemblée de son propre règlement ne saurait, en elle-même être censurée par le Conseil constitutionnel. Il n'y a donc pas lieu de nous arrêter à la contestation sur la valeur de l'interprétation, d'ailleurs traditionnelle, donnée aux dispositions de l'article 113, alinéa 3, du règlement de l'Assemblée nationale. Ce n'est que si cette interprétation conduisait à la violation d'un texte ou d'un principe de valeur constitutionnelle qu'il y aurait lieu de s'y arrêter.
Or, l’article 45, alinéa 3, de la Constitution, énonce simplement "Le texte élaboré par la commission mixte paritaire peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux assemblées. Aucu
En l'espèce, il a été pleinement fait droit aux exigences de ce texte.
Au total donc, la procédure législative suivie a été conforme dans son ensemble aux exigences constitutionnelles.
La discussion générale est ouverte sur ce point. L'ensemble du Conseil est d'accord sur les conclusions du rapporteur en ce qui concerne la procédure législative.
Le projet est lu et cette partie est adoptée à l'unanimité.
IV. TROISIEME PARTIE : TITRE 1er DE LA LOI (art. 2 à 37) : DISPOSITIONS DE DROIT PENAL.
1. - Je ne reviendrai pas sur l'analyse donnée plus haut des dispositions du titre 1er de la loi. Elles tendent, on le sait, à un accroissement de la certitude de la répression et à une aggravation de celle-ci dans les cas de certaines infractions de grande violence, avec, il est vrai, des adoucissements en forme de suppression de la peine de mort et de correctionnalisation pour certains crimes.
2. - Pour déterminer les règles ou principes de valeur constitutionnelle ou prétendue telle que lesdites dispositions méconnaîtraient il convient de se reporter non seulement aux lettres de saisine et aux débats parlementaires mais aussi à la masse d'écrits de toute sorte dont, dans la presse, la préparation de la loi fut accompagnée, encore que, comme on l'a dit, cette dernière source de critiques soit de moindre qualité à propos du projet Sécurité et Liberté qu'elle ne le fut dans d'autres occasions.
Ces règles ou principes, auxquels il nous faut confronter la partie de droit penal proprement dit de la loi déférée, sont de deux sortes : les uns gouvernent réellement ou prétendument mais de façon spécifique le droit pénal - par exemple le principe de la légalité des délits et des peines - d'autres ne concernent pas le droit pénal de façon spécifique, mais en déterminent de façon négative le contenu ; par exemple l'existence du droit de grève ou du droit syndical interdisent la répression pénale ouverte ou déguisée de l'exercice de ces droits.
3. - On commencera par l'inventaire des règles ou principes de valeur constitutionnelle ou prétendue telle applicable de façon spécifique au droit pénal. A propos de chacun des principes ou règles ainsi répertoriés, interrogeons-nous sur son existence. Son contenu, sa place dans la hiérarchie des règles de droit et, le cas échéant, sur l'étendue du contrôle que le Conseil constitutionnel peut, au nom de cette règle, exercer sur le législateur.
On peut tout d'abord, dans la Déclaration des droits de 1789, relever la règle de l'égalité devant la loi pénale, exprimée d'ailleurs comme un simple corollaire du principe général d'égalité devant la loi. L'article 6 énonce :
"Elle (la loi) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse...".
On laissera pour l'instant de côté les articles 7 et 9 de la Déclaration (liberté individuelle, présomption d’innocence) qui concernent plutôt la procédure pénale que le droit pénal.
Le véritable siège de la matière, pour ce qui nous occupe présentement, est l'article 8 :
"La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée”.
Le texte, on l'a souvent remarqué, est une répudiation des principes du droit pénal de l'Ancien Régime. Il s'agit tout d'abord, dans la ligne des idées novatrices en matière pénale, de supprimer les peine barbares et les peines excessives et de substituer à l'arbitraire du juge une échelle de peines fixée par la loi et sans rétroactivité possible. Ainsi, l'article 8, d'une remarquable densité d'expression, énonce-t-il trois principes :
- la légalité des délits et des peines ;
- la non-rétroactivité de la loi pénale ;
- la proportionnalité des délits et des peines.
Au total, abstraction faite de la procédure pénale, la Déclaration de 1789 comporte, en ce qui concerne le droit pénal, les quatre principes que l'on vient d'indiquer : égalité, légalité, non-rétroactivité proportionnalité.
4. - On nous permettra de suivre dans notre examen un ordre de commodité plutôt qu'un ordre logique en allant du plus facile au plus difficile.
Le principe de l'égalité devant la loi pénale n'est pas invoqué par les auteurs des saisines ni d'ailleurs par quiconque contre les dispositions de droit pénal de la loi, alors qu'il est invoqué à l'encontre des dispositions de procédure pénale, comme on le verra plus loin. On le retrouvera donc plus utilement à une autre place.
5. - Le principe de la légalité des délits et des peines serait au contraire, selon les auteurs des saisines, méconnu par diverses dispositions de la loi. Il faut donc s'y arrêter un instant.
Dans son sens le plus éclatant, ce principe interdit au juge de prononcer une condamnation pénale à l'encontre d’une action qui, même si elle est moralement condamnable voire révoltante, n'est pas interdit par une loi antérieure à sa commission.
Mais il faut aller plus loin et admettre, comme le font la plupart des commentateurs, que le principe doit aussi se comprendre comme écartant la possibilité de définitions de crimes ou de délits tellement imprécises qu'elles ne permettraient pas aux citoyens de savoir ce qui leur est interdit et qui, finalement, reviendraient à l'arbitraire du juge. Pour prendre un exemple caricatural, une loi qui punirait en termes généraux tout "manquement au civisme" ou "tout comportement volontaire de nature à nuire à l’environnement" ne répondrait pas, au fond, aux exigences du principe de légalité. Indiquons d'ailleur discrètement que certaines incriminations actuellement en vigueur dans notre droit pénal, mais sur lesquelles le Conseil n'a pas eu à se prononcer, ne sont pas loin de tomber sous cette critique.
Il me semble, dès lors que le Conseil ne peut écarter de plano comme inopérant le grief, formulé dans une des lettres de saisine et au cours des débats parlementaires, selon lequel l'imprécision de certaines incriminations porterait atteinte au principe de la légalité des délits et des peines.
Le grief n'est d'ailleurs pas formulé de façon générale et vise essentiellement les incriminations en matières de menaces ou de destrution.
6. - Il s'agit d'abord, des articles 16 et 17 de la loi.
Ces articles se substituent au régime de répression des menaces, organisé par les articles 305 et 306 du code pénal, notamment en faisant place à la notion de menaces d'atteinte aux biens alors que jusque là la législation ne retenait que les menaces contre les personnes Il est vrai que la menace d'atteinte aux biens n'est punissable que s l'acte dont est brandie la menace est lui-même punissable d'une peine supérieure à 5 ans d'emprisonnement, mais ce n'est évidemment... pas le bien-fondé des nouveaux textes que nous avons apprécier. C'est leur degré de précision envisagé dans la perspective du principe de légalité .
Le mieux est simplement de lire les deux textes :
"Le premier alinéa de l'article 305 du code pénal est remplacé par les dispositions suivantes :
"quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, menacé d'une atteinte aux personnes constituant une infraction que la loi réprime d'une peine supérieure à cinq ans d'emprisonnement sera, dans le cas où la menace aura été faite avec ordre de remplir une condition, puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 15000 à 20000 francs.
"Les menaces d’atteinte aux biens que la loi réprime d'une peine supérieure à cinq ans d'emprisonnement faites dans les conditions prévues ci-dessus seront punies de trois mois à deux ans d'emprisonnement et de 15000 à 20000 francs d'amende.
"Sera puni des peines prévues à l'alinéa 1, quiconque, sans ordre de remplir une condition, aura menacé de mort par écrit anonyme ou signé, image, symbole ou emblème".
De même, l'article 17 de la loi remplace comme suit les dispositions de l'article 306 du code pénal :
"Quiconque, aura, par quelque moyen que ce soit, menacé d'une atteinte aux personnes non prévue par l'article 305, mais qualifiée de délit, sera, dans le cas où la menace aura été faite avec ordre de remplir une condition, puni de six jours à trois mois d'emprisonnement et d'une amende de 500 à 8000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement”.
"Toutefois ces peines seront celles de l'article 305 lorsque la menace aura été faite à un magistrat, un juré ou un avocat dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.
"Il en sera de même lorsque la menace aura été faite à un témoin, à une victime ou à toute autre personne, soit en vue de les déterminer à ne pas dénoncer les faits, à ne pas porter plainte, à ne pas faire de déposition ou à faire une déposition mensongère, soit en raison de la dénonciation, de la plainte ou de la déposition".
Pour faire bonne mesure, citons également, bien qu'il ne paraisse pas visé par la lettre de saisine, l'article 22 de la loi qui remplace comme suit le deuxième alinéa de l'article 400 du code pénal .
"Quiconque, à l'aide de la menace, écrite ou verbale, de révélations ou d'imputations diffamatoires, aura extorqué ou tenté d'extorquer soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la remise de fonds ou valeurs... (1e reste sans changement)".
Cette lecture faite, ce qui frappe ce n'est pas l'imprécision des incriminations en question, mais l'imprécision de la critique qui leur est faite.
En effet, où pourrait se trouver dans les textes cités une expression assez vague, assez inconsistante pour appeler une censure au nom du principe de la légalité des délits et des peines ?
Ce terme "menace", d'ailleurs employé par les articles 305 et 306 anciens du code pénal, à une signification précise et si certains problèmes de frontières peuvent se poser dans tel cas concret entre la menace, la plaisanterie ou l'injure, ils ne sont pas de nature différente de ceux que comporte toute définition d'un délit.
L'emploi du terme "par quelque moyen que ce soit", dans le nouveau texte des articles 305 et 306, remplace les termes "par écrit anonyme ou signé, symbole ou emblème". C'est parce que le législateur a entendu mettre sur le même pied que les menaces écrites, les menaces verbales et, plus généralement, toute expression de menace. Mais si l'incrimination est plus large, elle reste suffisamment précise. Un geste menaçant ne sera pas nécessairement une menace car, pour qu'il tombe sous le coup des articles 305 ou 306 nouveaux, encore faudrait-i que l'auteur du geste ait réussi à y inclure la précision d'une atteinte aux personnes ou aux biens, ce que permet sans doute l'art du mime, mais qui ne se réalisera pas souvent. Ici encore, les problèmes de frontière ne dépasseront pas la moyenne ordinaire.
D'ailleurs, si l'on devait considérer le terme "par quelque moyen que ce soit" ou "par tout autre moyen" comme contraire au principe de la légalité des délits et des peines, il faudrait réécrire nombre d'articles du code pénal.
Enfin, les autres éléments constitutifs des délits, définis par les articles 305 et 306 nouveaux du code pénal et a fortiori par le nouvel article 400 du code pénal, sont parfaitement précis dans leur généralité.
7. - Quant à l'article 24 qui remplace les anciens articles 434 à 437 du code pénal par de nouvelles dispositions on peut s'étonner des critiques qui lui sont faites, car sa rédaction est bien claire et bien précise.
L'article 434 nouveau punit :
"Quiconque aura, volontairement, détruit ou détérioré un objet mobilier ou un bien immobilier appartenant à autrui sera, sauf s'il s'agit de détériorations légères..."
On ne saisit pas en quoi ces dispositions donneraient prise à un grief tiré du principe de la légalité des delits et des peine
Les autres dispositions précisent les circonstances aggravantes de l'infraction : effraction, destruction ou détérioration au préjudice des magistrats, jurés, avocats, témoins, etc..., le tout fort bien précisé.
L'article 435 vise les destructions et détériorations par l'effet d'une substance explosive ou incendiaire, avec, le cas échéant, certaines circonstances aggravantes. La lecture du texte n'entraîne aucune perplexité.
Enfin, l'article 46 punit de peines criminelles celui qui :
"aura volontairement détruit ou détérioré un objet mobilier ou un bien immobilier appartenant à autrui, par l'effet d'une substance explosive ou incendiaire... lorsque la destruction ou la détérioration aura entraîné la mort d'une personne ou une infirmité permanente..."
Ici encore tout est clair et précis.
Je propose donc de ne retenir sur aucun point le grief de méconnaissance du principe de la légalité des délits et des peines.
8. - Le principe de la proportionnalité des délits et des peines, auquel j'arrive maintenant, veut, on le sait, que la loi n'établisse "que des peines strictement et évidemment nécessaires". Il s'agit, on l'a également dit, d'un refus catégorique de la barbarie de la répression pénale et des excès de celle-ci qui pouvait aboutir à ce que des délits dé chasse par exemple puissent être punis du bagne, sinon de la mort.
La formulation du principe est d'une impréssionnante rigueur. A prendre le texte au pied de la lettre, une peine ne serait conforme aux droits de l'homme que si elle était strictement adaptée à l'infraction (ce qui suppose l’existence d'un instrument de mesure) et ceci de façon évidente, condition qui donne le vertige, car l'évidence correspond en général à un accord unanime - et encore voit-on parfois nier l'évidence.
On conçoit le parti que peuvent tirer de cette lecture ceux qui dénoncent la rigueur excessive des incriminations et surtout des pénalités résultant des nouveaux textes. Ils soutiennent que, comme le montrent les protestations vigoureuses, nombreuses et argumentées contre cette vague de sévérité qui, dit-on, tournerait le dos à toute l'évolution du droit pénal dans les nations civilisées, la question se pose de savoir si le nouveau régime des peines est "strictement et évidemment nécessaire". Le Conseil constitutionnel aurait donc le redoutable honneur de contrôler l'appréciation du législateur sur ce point. Cette obligation s'imposerait d'autant plus à lui que la formulation du principe est tournée en termes d'interdiction au législateur de s'écarter des peines strictement et évidemment nécessaires.
Sitôt cette exigence formulée, ses risques et ses périls sautent aux yeux. Le Conseil constitutionnel aurait ainsi mission, non d'assurer le respect d'une règle ou d'un principe juridique dont le contenu serait plus ou bien déterminé, mais de se faire législateur pénal, de dire par exemple que le vol simple appelle telles peines, que les menaces en appellent telle autre. Mais d'où tirerait-il de telles lumières ? Son mode d'investiture, ses fonctions n'en font point un représentant de la volonté nationale. Un député, un sénateur, lorsqu'ils votent pour établir telle ou telle peine, peuvent bien traduire le sentiment de la société, car le degré et les modalités de la répression sont fonction de ce sentiment et, pour parler le jargon à la mode, corres- pondent à une culture (à tel point que le système répressif varie dans nombre d'états fédéraux, d'Etat fédéré à Etat fédéré). Mais lequel d'entre nous, même persuadé de la justesse de ses vues personnelles, se sent-il en droit de se substituer au législateur sur une telle matière qui, dans le langage du droit administratif, relèverait d'une pure appréciation d'opportunité.
Sans doute faut-il réserver les cas - très hypothétiques de caractère monstrueux. Il est certain que le Conseil constitutionnel devrait réfléchir avant de renoncer à censurer une loi qui punirait une vétille de peines démesurées, comme la loi de Vichy qui, pour réprimer les abattages clandestins, allait jusqu'à la peine de mort en expiation du sacrifice d'une vache amouillante. En droit administratif, cette réserve, nécessaire au contrôle des appréciations inadmissibles, se fait par la technique de "l'erreur manifeste".
Mais ce n'est pas de cela qu’il s'agit. La loi qui nous est soumise - encore que sur certains points elle adoucisse le régime répressif antérieur (par exemple pour le vol à main armée, pour l'incendie) - rend la répression plus sévère pour les crimes et délits de violence et d'ailleurs pour quelques autres. Mais à aucun moment, elle n'est monstrueuse et l'on a le sentiment que, si cet accroissement de sévérité heurte nombre de professionnels du droit pénal et les partis d'opposition, elle correspond à des idées assez répandues dans le public. Plus on perçoit les données du problème et plus, en bon sens, on recule devant l'idée que le Conseil constitutionnel puisse arbitrer souverainement entre une majorité de représentants de la nation, soutenus par des sentiments populaires assez puissants, et les opposants, soutenus par un courant de pensée contraire. Et cependant, le texte de la Déclaration des droits de l'homme, dans sa rigueur et dans sa vigueur semble l'y contraidre. Comment sortir de cette difficulté ?
9. - Il faut, à cet égard, faire une première remarque qui est d'ailleurs valable pour d'autres principes posés par la Déclaration de 1789 comme d'ailleurs par le Préambule de 1946.
La Déclaration des droits de 1789 n'a jamais été écrite ni même pensée comme devant être la base d'un contrôle de constitutionnalité. Bien au contraire, fidèles disciples de Rousseau sur ce point, les constituants ne concevaient pas que le législateur pût se tromper ou être injuste. La loi, expression de la volonté générale,était pour eux infaillible, Rousseau l'avait démontré dans des pages fameuses du Contrat social dont les constituants étaient imprégnés. Qu'était donc pour eux la Déclaration des Droits ? Un énoncé de vérités éternelles et universelles que le législateur devait sans cesse avoir devant les yeux, mais non un texte de droit positif destiné à être mis en oeuvre par une autorité devant contrôler le législateur.
Disons clairement que le contrôle de constitutionnalité mis en place en 1958 et particulièrement développé depuis la révision constitutionnelle de 1974 est, par rapport à la Déclaration, une pièce rapportée et que ceci la place dans des situations embarrassantes toutes les fois que sa mission l'amène à contrôler l'application d'un principe qui a été formulé dans une perspective d'énoncé philosophique ou moral et non dans une perspective de règle de droit positif. La Déclaration n'a pas été dans l'esprit des auteurs un texte devant servir à un contrôle juridique de la loi.
Sans doute, dans certains cas, tel principe formulé par la Déclaration a-t-il de lui-même, parce que la matière s'y prête, le caractère opératoire qui s'attache à la règle de droit. Par exemple, s'agissant de la règle selon laquelle tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable (article 9 de la Déclaration) il n'y a pas de distance ni de différence de formulation entre l'énoncé de la régie philosophique ou morale et celle de la règle de droit de même, autre exemple, le principe de non-rétroactivité. Dans ces cas le contrôle du Conseil constitutionnel ne souffre pas
Mais dans d'autres cas, la formulation en termes de principe philosophique ou moral aboutit à un énoncé non opératoire, c'est-à-dire qui ne comporte pas de contenu suffisamment précis. Malgré son apparente rigueur la formule de l'article 4 "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui" n'est pas opératoire car le terme de "nuire" suppose que l'on sait dans quels cas l'atteinte aux intérêts d'autrui est légitime et dans quels cas elle est illégitime. Aussi bien le texte ajoute-t-il que c'est la loi qui fixe les limites de la liberté ; loin d'en permettre le contrôle le texte de 1789 y renvoie. Et c'est pourquoi le travail des enfants, allègrement admis jadis comme ne nuisant pas à autrui, a pu, par l'effet de la loi être plus tard interdit ; voilà aussi pourquoi syndicats et associations prohibés par les constituants au temps même de la Déclaration comme contraires à la liberté furent plus tard reconnus non seulement licites mais désirables.
10. - Il est clair que le principe de proportionnalité des délits et des peines est très peu juridique , une autorité statuant en droit ne peut rien en tirer, sinon dans les cas très marginaux. Formulé comme une directive de caractère moral ou philosophique, il n'a pas de consistance pour qu'on en tire une règle de droit au sens propre du mot, c'est-à-dire comme une prescription de faire ou de ne pas faire un acte déterminé. Le Conseil ne peut pas le mettre en oeuvre et ceci non par refus de l'appliquer mais parce que son contenu est trop vague. Pas plus que nous ne saurions dans le Préambule tirer des moyens de contrôle de formules telles que "la nation assure à l'individu et à la famille les conditions de leur développement". Pas plus que du "droit à la paix" inscrits dans certains projets ambitieux de nouvelles Déclarations des droits ne donnerait de prise à notre contrôle à l'égard d'une loi sur le service national.
Il faut donc prendre la solution que vous avez déjà utilisée à propos de la loi sur l'interruption de grossesse en rappelant que les pouvoirs du Conseil constitutionnel sont différents de ceux du Parlement et que certaines appréciations sont réservées à celui-ci et notamment celle des degrés de proportionnalité. Nous ne retiendrons, si vous suivez mon opinion, aucun grief tiré de la violation prétendue de ce principe.
Il est vrai que vous verrez revenir la question sous une forme plus subtile accessoirement aux critiques faites à la loi du point de vue de l'individualisation dés peines. En effet, certains ont soutenu que les restrictions apportées par la loi à l'individualisation des peines peuvent conduire le juge à prononcer des peines automatiques et qui, de ce fait risquent dans tel ou tel cas particulier, de n'être ni strictement ni évidemment nécessaires.
11. - En ce qui concerne le principe de non-rétroactivité on ne relève rien dans les lettres de saisine qui le concerne.
Mais il s'agit d'un principe trop important pour que nous négligions de vérifier qu'il n'a pas subi d'atteinte.
C'est le dernier article de la loi (faussement numéroté 99, car il existe déjà un n° 99) qui détermine à deux points de vue les effets dans le temps de la nouvelle loi.
L'alinéa 1er ne paraît pas devoir mériter d'observations particulières. En effet, il règle de façon constitutionnellement irréprochable le problème suivant : la loi nouvelle prend en considération le "passé judiciaire" du délinquant ou du criminel soit pour limiter les effets des circonstances atténuantes, soit pour limiter les possibilités’de sursis, soit pour rendre plus sévère le jeu de la récidive. La question qui pouvait se poser était de savoir dans quelle mesure le principe de non-rétroactivité de la loi pénale permettait de retenir pour le compte de ce "passé judiciaire" les condamnations subies avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. La réponse à cette question était difficile car l'on pouvait soutenir qu'il n'y avait pas atteinte au principe de non-rétroactivité dans une telle prise en compte, comme l'avait fait le législateur de 1885 qui, créant la sanction nouvelle de la relégation, avait admis, au nombre des condamnations à retenir pour la prononcer, des condamnations antérieures à la publication de la loi du 27 mai 1885. Le législateur de 1980 a été moins sévère et nous a épargné un difficile problème ; en effet, il a prévu dans l'alinéa 1er de l'article 100 (mal dit 99) que, pour l'application des dispositions nouvelles faisant entrer en compte les condamnations subies dans le passé par le délinquant ou le criminel ne seraient retenues que les "condamnations prononcées postérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi". Ces dispositions, bien que le respect de la règle de non-rétroactivité de la loi pénale ne les impose pas nécessairement, du moins à mon avis, n'appellent, du point de vue constitutionnel, aucune critique.
12. - L'alinéa 2 de l'article 100 mérite plus d'attention. Il est ainsi conçu :
"Les dispositions des articles 265 à 268, 305, 306, 309 à 312, 381 à 385, 400 (alinéas 1er et 2), 434 à 437 nouveaux du Code pénal et l'article 16 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer ne sont pas applicables aux infractions ayant donné lieu à un jugement en dernier ressort avant l'entrée en vigueur de la présente loi".
Ce texte suscite une première réaction du moins pour un lecteur superficiel. Il suggère que le législateur en a pris à son aise avec la non-rétroactivité de la loi pénale et ceci à deux points de vue : tout d'abord, a contrario, il semble indiquer que les dispositions de la loi nouvelle autres que celles visées au texte s'appliquent sans limitation aux infractions anciennes ; d'autre part, même pour les infractions qu'il vise, il soumet à l'application rétroactive les infractions qui, bien que commises antérieurement à la loi, n'ont pas donné lieu à un jugement sur le fond antérieurement à l'entrée en vigueur de celle-ci.
Pourtant, il ne s'agit pas de cela. Le deuxième alinéa de l'article 100 concerne non le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, mais l'exception qui l'infléchit : la règle de l'application immédiate et rétroactive de la loi la plus douce. On sait en effet que, selon une règle pratiquée à peu près dans tous les pays, la loi pénale s'applique, malgré le principe de non-rétroactivité, à des faits commis antérieu- rement à son entrée en vigueur lorsque la loi nouvelle est plus favorable à l'auteur de ces faits que la loi ancienne. Or, les textes visés par l'alinéa 2 de l'article 100 comportent des adoucissements par rapport à l'ancienne répression, si donc on avait laissé jouer l'exception de la "lex mitior" tous les condamnés jugés sur le fond, mais ayant encore la possibilité de se pourvoir en cassation auraient systématiquement formé un tel pourvoi pour bénéficier de la loi plus douce et ceci aurait encombré la Cour de cassation et les juridictions de renvoi.
13. - Mais cette disposition soulève un problème curieux. Dans l'énoncé que lui donne l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale ne paraît pas comporter d'exception et ne paraît pas devoir s'appliquer différemment selon que la loi pénale nouvelle est plus sévère ou est plus douce. On a la même impression à la lecture de l'article 4 du code pénal.
Cependant, comme on l'a dit, l'application de la "lex mitior" est un principe fondamental du droit pénal français et étranger et la Cour de cassation annule des condamnations qui l'écartent.
A la réflexion d'ailleurs, le principe de la "lex mitior" n'est pas contraire au principe de non-rétroactivité. Si on en relit la formulation dans l'article 8 de la Déclaration ou l'article 4 du code pénal, ce qui est interdit c'est que soit prononcée une peine qui n'aurait pu être portée en vertu de la loi applicable à l'époque où ont été commis les faits incriminés Mais il ne s'oppose pas à ce que la loi nouvelle, plus douce, soit applicable car, en vertu de cette loi nouvelle, le juge ne pourra prononcer au maximum que des peines qui eussent été possibles sous l'empire de la loi ancienne. Prenons un exemple : la loi ancienne prévoyait que tel délit pouvait être puni d'un emprisonnement de deux mois à cinq ans : la loi nouvelle, plus douce, prévoit un emprisonnement de un mois à trois ans. Si l'on applique la loi nouvelle à un prévenu qui a commis les fait sous l'empire de la loi ancienne, le principe de non-rétroactivité n'est pas méconnu, puisque la condamnation maximale qu'il peut encourir aux termes de la loi nouvelle, à savoir trois ans d'emprisonnement, était parfaitement possible aux termes de la loi en vigueur au moment de l'infraction.
14. - La règle de la lex mitior n'est donc pas une véritabl
Il n'existe aucun fondement en droit écrit à la règle de la loi la plus douce. On invoque simplement la raison ou tout simplement le bon sens. Tant qu'un individu n'a pas fait l'objet d'une condamnation passée en chose jugée, il serait choquant et inhumain de lui appliquer, au moment de le juger, des peines prévues dans le temps où l'infraction a été commise, mais qui, depuis lors, ont été jugées excessive; Sur ce fondement rationnel et sur la tradition, la Cour de cassation, on l'a dit, considère l’application de la lex mitior comme non seulement possible pour le juge, mais obligatoire.
Mais quelle est la force de cette règle de la "lex mitior" ? A-t-elle valeur constitutionnelle ?
Elle ne saurait participer de la valeur constitutionnelle du principe de non-rétroactivité en matière pénale dont elle constitue une annexe, un complément, mais non un corollaire nécessaire. Le législateur qui exigerait que toute la loi pénale s'applique aux faits commis au moment où elle était en vigueur ne violerait en rien le principe de non-rétroactivité.
La valeur constitutionnelle de la lex mitior ne saurait résulter de ce qu'elle serait un "principe fondamental reconnu par les lois de la République". Aucun texte législatif ne le consacre dans sa généralité et si certaines lois ont pu en faire application, il faut bien reconnaître que la source de la règle est avant tout jurisprudentielle. La jurisprudence, si vénérable et si bien fondée soit-elle, n'est pas "l'équivalent des lois de la République".
Faut-il donc laisser passer sans sourciller la limitation des effets du principe de la "lex mitior" dans l'alinéa 2 de l'article 100 de la loi ? Ce serait fâcheux à mon avis et ceci pour trois raisons.
La première est qu'il n'y a eu d'autres motifs pour le législateur de refuser l'application de cette règle qui a pour elle au moins le bon sens que le désir d'éviter un afflux (d'ailleurs très limité et passager) de pourvois en cassation au lendemain de l'entrée en vigueur de la loi. C'est là une inspiration un peu légère.
En second lieu, on peut se demander si le deuxième alinéa de l'article 100 respecte bien le principe d'égalité. En effet, le bénéfice de la loi la plus douce sera reconnu au prévenu qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi n'aura pas été jugé sur le fond en dernier ressort, par exemple parce que l'appel lui est encore ouvert ; il sera au contraire refusé à celui qui a été jugé sur le fond en appel, mais qui aurait pu, sans l'article 100, le demander à la Cour de cassation. Sans doute s'agit-il de deux personnes ne se trouvant pas dans des situations identiques ; sans doute cette différence de traitement ne fait-elle que reproduire celle, inévitable, qui existe toujours lors de l'entrée en vigueur d'une loi pénale plus douce entre ceux dont la condamnation est passée en force de chose jugée et ceux
Le malaise n'est pas dissipé par une troisième considération. Au fond, si l'on y regarde de près, la lex mitior a un fondement constitutionnel. L'article 8 de la Déclaration de 1789 veut que la loi n'établisse que des "peines strictement et évidemment nécessaire". Or, quand une loi nouvelle atténue les rigueurs de la loi ancienne, c'est que le législateur reconnaît que les peines prévues par celles-ci sont devenues excessives et donc ne sont plus "strictement et évidemment nécessaires". La "lex mitior" trouve là, me semble-t-il, son véritable fondement i elle écarte les rigueurs de la loi ancienne dès lors que le législateur ne les juge plus lui-même "évidemment et strictement nécessaires".
15. - Dès lors, deux partis s'ouvrent à nous théoriquemen
- ou bien nous admettrons que les limitations que l'alinéa 2 de l'article 100 apporte à l'application de la loi nouvelle plus douce ne sont pas conformes à la Constitution ; cette déclaration de non-conformité ne concerne d'ailleurs que ledit alinéa 2 et ne contamine aucune autre partie du texte. L'effet dans le temps de la loi nouvelle sera tout simplement régi par le droit commun.
- ou bien nous admettrons que la limitation des effets de la loi nouvelle plus douce est constitutionnelle. Mais, par prudence et pour éviter une mauvaise compréhension
de l'alinéa 2 de l'article 100 et surtout pour éviter que, dans la rédaction donnée à cet alinéa 2, aient échappé des hypothèses où les articles nouveaux seraient aggravants par rapport au droit ancien et où le texte prendrait le sens d'une autorisation d'enfreindre le principe de non-rétroactivité, il serait sage à mon avis que le "Considérant" relatif à la conformité du texte à la Constitution expliquât que l'alinéa 2 ne saurait s'appliquer en tout état de cause que dans le respect du principe de non-rétroactivité et déclarât que le principe d'application de la loi nouvelle plus douce n'a pas valeur constitutionnelle.
Mais, pour les raisons déjà dites, je vous propose sans hésiter la première solution (déclaration de non-conformité) à la fois plus exact et plus simple.
16. - Aux règles ou principes de droit constitutionnel inscrits expressis verbis dans la Déclaration des Droits de 1789, les auteurs des saisines en ajoutent un autre qui, bien que non expressément formulé dans ce texte - puisqu'aussi bien il est une acquisition du XXème siècle, mais qui n'aurait pas moins valeur constitutionnelle : le principe de l'individualisation des peines. La méconnaissance de ce principe par la loi qui vous est déférée devrait, au moins selon les auteurs des saisines, entraîner une déclaration de non-conformité pour les nouvelles dispositions de droit pénal qui lui sont contraires.
Résumons la substance d'une argumentation que l’on trouve dans les saisines mais qui avait été auparavant développée avec force à la tribune parlementaire et dans la presse. Le droit pénal moderne, même s'il a d'autres buts que la réadaptation des délinquants, repose sur l'idée que l'on juge non des faits ou des actes, mais des personnes. On doit adapter exactement la peine à la personnalité du délinquant, en tenant compte tant de ce qu'il était au moment de l'infraction que de ce qu'il pourra être dans l'avenir. Ceci rejoint d'ailleurs la notion de peine "strictement et évidemment nécessaire" car une peine qui ne tient pas compte de la personnalité du condamné n'est pas une peine nécessaire ou en tout cas peut ne pas l'être. C'est au juge qu'il appartient donc de déterminer la peine selon une appréciation souveraine qui n'est limitée que par les peines maximales arrêtées par le législateur. Ainsi, le principe de laJlégalité des peines aboutit à une division du travail entre législateur et juge : le premier fixe le maximum de la répression admissible, mais à l'intérieur de cette limite, c'est le juge qui est le maître de la peine. Et si l'on objectait que le principe de la légalité des délits et des peines à été formulé en 1789 pour combattre l'arbitraire du juge, la réponse serait que ce principe ancien doit se combiner avec le principe nouveau de l'individualisation des peines, comme il arrive souvent lorsqu'on doit faire jouer deux principes d'ancienneté différente, par exemple le droit de propriété et les droits des travailleurs de l'entreprise, la continuité des services publics et le droit de grève, etc...
17. - Il est exact que notre droit pénal, notamment depui; la loi du 22 juillet 1912 relative aux mineurs délinquants a fait une très large place à l'appréciation du juge dans la détermination de la peine. En particulier, le jeu des circonstances atténuantes et celui du sursis ont ouvert de plus en plus largement la possibilité pour le juge, sinon d'absoudre le délinquant qui ne peut exciper ni sa démence, ni de l'état de nécessité ni d'une excuse absolutoire, du moins de descendre jusqu'à une peine très légère et en certains cas symbolique. Une loi du 11 février 1951 avait d'ailleurs supprimé de façon générale toutes les dispositions qui, pour certaines infractions, limitaient les possibilités de circonstances atténuantes ou de sursis.
Or, certaines dispositions de la loi déférée à notre examen aboutissent, selon les auteurs des saisines, à restreindre les possibilités d'individualisation et à faire prononcer des "peines automatiques". En effet, sans qu'il soit besoin d'entrer dans le détail, les dispositions du nouveau titre III intitulé "dispositions relatives aux circonstances atténuantes et à certaines causes d'aggravation des peines" ne permet qu'un jeu limité des circonstances atténuantes en raison de condamnations dans les cinq années précédants les faits, lorsqu'il s'agit d'infractions "de violence". De même pour certaines infractions et en ce qui concerne les majeurs, la possibilité de sursis est écartée à raison de certaines infractions antérieures.
18. - Il va de soi que le rôle du Conseil constitutionnel n'est pas de prendre parti sur des questions d'ailleurs controversées de politique pénale et de se demander si les innovations réalisées par la loi soumise à son examen sont opportunes. Il lui appartient seulement de dire si elles sont ou non conformes à la Constitution, c'est-à-dire en premier lieu si et dans quelle mesure le principe d'individualisation des peines a valeur constitutionnelle.
Pour défendre cette valeur constitutionnelle, les auteurs des saisines et les orateurs des débats parlementaires font valoir trois arguments ;
- le principe de l'individualisation des peines serait un corollaire nécessaire de celui posé par la Déclaration de 1789, selon lequel les peines doivent être "strictement et évidemment nécessaires" ;
- en second lieu, le Conseil constitutionnel aurait déjà en 1978 reconnu valeur constitutionnelle au principe de l'individualisation des peines ;
- enfin et en tout état de cause, ce principe serait l'un des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République".
19. - Il n'est pas un point de cette argumentation qui mérite d'être retenu.
Le premier résulte d'un contre-sens doublé d'une contre-verité historique. Le texte de la Déclaration sur lequel il prétend s'appuyer dit, "La loi ne peut établir que des peines strictement et évidemment nécessaires". Il s'agit des peines prévues par le législateur. Le texte ne dit pas que "le juge ne peut prononcer que des peines strictement et évidemment nécessaires". Le juge doit appliquer la loi ; il dispose du pouvoir d'appréciation que le législateur juge sage de lui laisser ; c'est tout du point de vue des principes constitutionnels. Il serait d'ailleurs étrange pour ne pas dire davantage de tirer de la Déclaration de 1789 un principe qui interdirait au législateur de limiter la toute puissance du juge, alors que l'un des ressorts les plus puissants des Constituants dans la rédaction de l'article 8 était de mettre fin à l'intolérable arbitraire du juge en matière répressive.
20. - Le second argument ne vaut pas mieux que le premier Jamais le Conseil constitutionnel n'a, de près ni de loin, reconnu valeur constitutionnelle au principe de l'individuali- sation des peines. La seule décision que les auteurs de la saisine et les orateurs citent en ce sens est celle du 27 juillet 1 978. Il suffit de la lire pour constater qu'elle se borne à juger non contraire à l'égalité d'un texte qui permet d'instituer des modalités et des durées d'exécution des peines qui varient de condamné à condamné ; l'égalité n'est pas blessée puisque tout condamné se trouvant dans les conditions légales peut bénéficier des mesures prévues- La décision implique bien que l'individualisation dans l'exécution
21. - Reste le troisième argument, tiré, lui de ce que l'individualisation des peines serait "un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" visés par le Préambule de 1946 et ayant, à ce titre, comme la liberté d'association, la liberté de l'enseignement ou l'indépendance de la juridiction administrative, valeur constitutionnelle.
Bien que cette allégation allonge notre tâche, il faut la recevoir comme bienvenue. Non certes parce qu'elle serait pertinente, mais parce qu'elle pourra être l'occasion de rappeler ce que sont, au sens des textes constitutionnels et de votre jurisprudence "les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" qui, évidemment, constituent pour les auteurs de saisines, une inépuisable fontaine d'inconstitutionnalité.
Le terme "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" fut introduit par le Préambule de la Constitution de 1946 pour combler un hiatus. Les Constituants étaient d'accord pour se référer sans retouches à la Déclaration de 1789 en lui adjoignant les principes nouveaux particulièrement nécessaires à notre temps et que le mouvement de pensée de la Résistance avait puissamment contribué à dégager ; droits de la femme, de l'enfant, des travailleurs, etc... Mais la Troisième République avait consacré dans sa législation ordinaire des principes qui n'appartenaient ni à l'une ni à l'autre de ces catégories historiques : liberté de l'enseignement, liberté d'association par exemple. Fallait-il pour autant que ces principes véritablement incorporés au tissu républicain subissent par rapport aux droits de 1789 et aux "principes nouveaux" de la libération une capitis diminiutio et n'eussent, comme le voulait leur forme, que valeur législative ? La formule du Préambule tend justement à leur conférer valeur constitutionnelle et l'on sait l'usage heureux que votre jurisprudence en a fait.
Mais n'importe quelle législation ne peut être déclarée source de principes fondamentaux de valeur constitutionnelle. Il fait qu'il s'agisse de principes, fondamentaux dans l'ordre politique et social. A cet égard, on observera que le principe de l'individualisation des peines, quelle que soit la place de plus en plus importante qui lui ait été faite, n'a jamais régné sans partage sur notre droit pénal. Contrairement à ce qui a été affirmé dans la presse ou à la tribune de l'Assemblée il ne résume pas tout le droit pénal. Pour importante que soit
22. - Faut-il aller plus loin ? Notre décision doit-elle, dans des termes clairs, éviter que ne se galvaude la notion de "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" ? Cette qualité doit être réservée à des principes clairs, sans équivoque et ayant été la base de lois républicaines antérieures à 1946, en fait contemporaines de la Troisième République. Il faut dire clairement qu'on ne saurait invoquer la qualité de "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" sur la base d'une législation postérieure à 1946. Ce n'est pas par une transposition irrévérencieuse du principe catholique selon lequel la mort du dernier apôtre a clos la Révélation. Ni évidemment pour dire qu'après 1946 il n'est pas apparu de règles ou principes constitutionnels nouveaux, ce qui serait absurde. Mais le processus spécifique et exceptionnel qui, grâce à la phrase du Préambule, permet de reconnaître valeur constitutionnelle à des principes révélés par ces simples textes législatifs, ne peut être étendu au-delà de la période historique pour laquelle il est valable. Si nous entrions dans la voie consistant à prendre en considération la légis- lation postérieure à la Troisième République nous consacre- rions un monstrueux système de révision constitutionnelle tacite et inconsciente puisque toute législation nouvelle pourrait devenir révélatrice d'un principe fondamental. Nous aurions ainsi, pour prendre des exemples, la constitutionnalisation des "SAFER, dans l'agriculture, celle du contrôle continu dans les universités, celle du contrôle des grandes surfaces dans le commerce et, pourquoi pas ? Celle de la bienveillance envers les vins doux dans la fiscalité.
Il faut, dans l'intérêt même de l'information du public et des pouvoirs publics préciser que si, bien entendu, l'on peut, à l'appui d'une demande de déclaration de non-conformité invoquer une règle ou un principe proclamé par un texte constitutionnel ou tiré d'un tel texte et ceci sans distinctio de date (1789, 1946, 1958), en revanche l'appel à des principes résultant de simples dispositions législatives n'est possible qu'autant qu'il s'agit bien entendu de principe fondamentaux et surtout de dispositions législatives antérieures à 1946.
Mais, à la réflexion, compte tenu des autres raisons de rejeter le grief invoqué , une dissertation sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République serait une excroissance inutile. Nous vous proposons une rédaction plus simple.
23. - Ainsi, c'est sans hésitation que je vous propose de dire que les articles 2 à 37 de la loi figurant sous le titre 1er de la loi "Dispositions de droit pénal relatives aux atteintes à la sécurité des personnes et des biens" ne sont contraires ni au principe de l'égalité devant la loi pénale, ni au principe de non-rétroactivité des lois pénales, ni au principe de la légalité des délits et des peines, ni au principe de la proportionnalité des infractions et des peines, inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et que l'atteinte, d'ailleurs prétendue, au principe de l'individualisation des peines n'est pas, en tout état de cause, de nature à fonder une déclaration de non-conformité
En réalité, l'ensemble des griefs allégués contre cette partie de la loi et tiré de la violation des principes généraux réels ou prétendus tend à demander au Conseil constitutionnel un arbitrage de politique pénale qui n'est pas de sa compétence. Dans un débat qui s'élève en réalité entre les sociologues et les criminologues de tendance diverse, sans parler des forces politiques qui, pour telle ou telle raison prennent parti dans le débat, le Conseil constitutionnel n'a rien à faire. Ce n'est pas à lui de dire les options que doit opérer une politique pénale qui se veut juste et efficace, entre les préoccupations de dissuasion de répression et de réadaptation, entre les techniques de l'individualisation absolue et celle de l'individualisation limitée, la sévérité et l'indulgence, entre l'autorité de la loi et l'appréciation du juge. Il faut, à notre avis, dire de façon claire que.nous entendons exercer notre fonction de la manière la plus rigoureuse et la plus complète, mais que nous nous refusons à nous substituer au législateur dans tous les domaines où, sous couleur de principes constitutionnels, les opposants à une telle loi entendent en réalité hausser au rang de règle de droit positif et, qui plus est, du plus haut niveau, leurs théories et leurs sentiments en usant au besoin d'affirmations tranchantes frisant le terrorisme intellectuel pour soutenir que la dissidence par rapport à leur point de vue est une trahison envers la liberté et envers la démocratie.
24. - Reste à examiner, ce qui est plus concret, si telle ou telle disposition de droit pénal incluse dans la loi ne porte pas atteinte de façon plus ou moins directe à un droit ou à une liberté constitutionnellement grantie, c'est-à-dire, dans le cas concret qui nous occupe, au droit syndical ou au droit de grève.
A cet égard, les lettres de saisine incriminent plus ou moins directement les articles 16 et 17 de la loi relatifs aux délits de menaces, l'article 24 relatif aux destructions ou détériorations de biens, l'article 28 relatif aux infractions à la sécurité et à la circulation des chemins de fer.
Ces articles seraient, selon les auteurs de la saisine, rédigés d'une manière imprécises ce qui constituerait une atteinte grave au principe de la légalité et permettrait des abus (saisine des communistes). Cette saisine qui n'est pas très articulée correspond surtout â la reprise des critiques qui avaient été faites sur ces articles à l'occasion des états antérieurs de la loi. Notons que les articles 16 et 17 de la loi répriment "quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, menacé d'une atteinte aux personnes...".
"... constituant une infraction qualifiée délits dans les cas où la menace aura été faite par ordre de remplir une condition (article 17)..." ;
"... constituant une infraction que la loi réprime d'une peine supérieure à cinq ans d'emprisonnemen, dans le cas où la menace aura été faite avec ordre de remplir une condition, ... (article 16).
Pour les destructions, les dispositions sont celles de l'article
Article 24 (article 434 et suivants du Code pénal) : "... quiconque aura volontairement détruit ou détérioré un objet mobilier ou un bien immobilier appartenant à autrui sera, sauf s'il s'agit de détériorations légères, puni d'un emprisonnement...".
Les articles suivants modifiés par le même article 24 sont relatifs à des destructions ou détériorations volontaires par substances explosives ou incendiaires, par incendie ou par tout autre moyen de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes ou encore, au cas où la destruction aura entraîner la mort d'une personne ou une infirmité permanente.
Tous ces textes, malgré la critique qui en est faite, caractérisent clairement les éléments de l'infraction dont il s'agit. Le fait qu'une menace ait lieu par quelque moyen que ce soit n'empêche pas qu'il doit s'agir d'un acte positif et clair. L'élément de la menace conditionnelle est déjà précisé par une jurisprudence nombreuse actuellement.
On remarque en outre qu'une précision,très régulièrement définie, existe en ce qui concerne le fait qui constitue l'objet même de la menace et qui doit être un délit d'une gravité ou d'une nature variable selon les différents articles dont il s'agit. Il n'y a donc, sur ces articles 16 et 18 aucune atteinte au principe de légalité des délits et des peines. En ce qui concerne l'article 24, il en va de même. Tout d'abord, la loi pose clairement l'élément intentionnel. Les destructions doivent être volontaires. Les notions de biens mobiliers ou immobiliers appartenant à autrui sont des notions parfaitement claires pour un juriste et la seule notion qu'il appartiendra à la jurisprudence de déterminer est celle des "détériorations légères"qui ne tombent pas sous le coup de la loi. Il s'agit là, on le voit, d'un cas d'exonération. Notons que le code pénal est rempli actuellemeni de définitions qui sont souvent plus vagues et que la jurisprudence définit, comme le soulignent les professeurs Merle et Vitu, dans leur traité de droit criminel, le législateur
Nous voyons donc que les textes critiqués ne portent pas atteinte au principe de la légalité des délits.
Ces textes sont également critiqués en tant que les infractions dont il s'agit permettraient une entrave à l'exercice des droits syndicaux du droit de grève. C'est vraisemblablement la raison pour laquelle il leur est fait reproche d'une façon qui n'est guère motivée de porter atteinte au principe de légalité.
Notons que le fait d'être syndicaliste ou d'être gréviste ne saurait en soi autoriser à commettre un délit. Notons, en ce qui concerne les destructions et détériorations "légères" qu'il y a là un assouplissement qui doit permettre au juge de tenir compte, en le combinant avec le caractère volontaire de l'infraction, de toutes les situations.
Enfin, devant ce texte qui modère simplement la rigueur des dispositions anciennes, il n'est pas loisible au Conseil constitutionnel de dire que l'acte syndical ou l'exercice du droit de grève mettent la légalité entre parenthèses et autorisent les atteintes caractérisées aux biens d'autrui. Le point de savoir si les circonstances et la personnalité des coupables ne justifient pas une large indulgence appartien
25. - En fait, le point le plus sensible de la discussion demeure l'article 28 de la loi qui modifie et complète la loi du 15 juillet 1945 sur les chemins de fer.
La critique des adversaires de la loi ne porte pas sur les dispositions réprimant les actions en vue de faire dérailler les véhicules ou de provoquer leur collision. Elle se concentre sur l'insertion dans la loi de 1845 d'un article 18-7, ainsi rédigé :
"Quiconque, en vue d'entraver ou de gêner la circulation des véhicules, aura placé sur la voie des objets faisant obstacle à leur passage ou aura employé des moyens quelconques pour gêner ou entraver leur circulation, sera puni d'un emprisonnement de 3 mois à 2 ans et d'une amende de 1000 Frs à 30000 Frs ou de l'une de ces deux peines seulement".
En ce qui concerne les délits de menaces, on en a déjà donné l'analyse. Les délits ne sont constitués que par la menace de perpétrer un crime ou un délit, et dans ce cas, que celui-ci soit d'une certaine gravité. On ne voit pas en quoi l'existence de ces délits restreint la jouissance de l'exercice du droit de grève ou du droit syndical qui n'ont jamais impliqué
Quant aux infractions constituées par la destruction ou la détérioration volontaire d'objets mobiliers ou de biens immobiliers (article 24, de la loi, articles 434, 435, 436 nouveaux du Code pénal) dont d'ailleurs sont exclues les "détériorations légères", on ne voit pas davantage en quoi elles entravent la jouissance ou l'exercice du droit de grève ou du droit syndical.
Sans doute, à l'encontre des nouveaux textes sur les menaces ou les destructions ou détériorations de biens, fait-on valoir que ce qui est à craindre est moins la teneur des dispositions que les moyens de chantage judiciaire qu'elles peuvent donner lorsque, dans l'exaltation d'un mouvement social, un autobus aura été détérioré, des clôtures arrachées, des journaux brûlés et jetés à l'égoût. Mais, outre la non incrimination des "détériorations légères", le texte comporte en réalité deux sortes de dispositions dont la portée, en ce qui nous concerne, n'est pas la même :
Il punit tout d'abord ceux qui, en vue d'entraver ou de gêner la circulation des véhicules, auront placé sur la voie un objet faisant obstacle à leur passage. Il est clair que cette incrimination n'a rien à voir avec l'exercice du droit de grève.
Mais il punit aussi "quiconque, en vue d'entraver ou de gêner la circulation des véhicules... aura employé un moyen quelconque pour gêner ou entraver leur circulation". Avec moins d'invraisemblance les auteurs des saisines craignent que ces dispositions puissent tenir en échec le droit de grève. Après tout, l'agent de la S.N.C.F. qui fait grève, voire l'agent d'E.D.F. qui, par sa grève, gêne ou arrête la production de courant nécessaire aux chemins de fer ne réalise-t-il pas, "par un moyen quelconque", une gêne ou une entrave à la circulation des véhicules et n'est-ce pas d'ailleurs son intention ?
En réalité, le texte n'emporte pas de telles conséquences.
Tout d'abord, il vise sans doute l'emploi d'un "moyen quelconque”, mais il suppose tout de même une action positive.
En outre et surtout, il va de soi que le droit de grève, de valeur constitutionnelle, lorsqu'il est légalement exercé tient en échec les dispositions disciplinaires ou pénales qui sanctionneraient la cessation du travail qui est la substance même du droit de grève. Sinon, dans tous les textes législatifs ou règlementaires, dans toutes les conventions définissant les obligations de travail des salariés, il faudrait une clause expresse relative à la grève.
Ce sont donc choses qui vont sans dire. Elles iront mieux si les considérants par lesquels nous déclarerons conformes à la Constitution les dispositions ainsi critiquées disent clairement qu'elles ne sauraient viser l'exercice légal du droit de grève.
26. - Une dernière observation doit être faite, pour une complète information du Conseil, encore qu'à mon avis, elle ne modifie ni celles qui précèdent ni la partie du projet de décision qui s'y rapporte.
Selon moi, nous serons amené à dire dans notre décision que l'article 18-1 nouveau de la loi de 1845 sur la police des chemins de fer ne saurait mettre obstacle à l'exercice légal du droit de grève. Mais il restera qu'en cas d'exercice illégal du droit de grève, on pourra assister à des poursuites contre les grévistes au motif que "par un moyen quelconque", en l'espèce la cessation illégale du travail, ils ont gêné ou entravé la circulation des véhicules. Or, dans notre droit du travail, il n'existe pas, jusqu'ici, de dispositions punissant pénalement les grèves illégales. Il existe à l'encontre des agents publics ou des salaries participant à une grève illégale des sanctions civiles ou disciplinaires, mais non des sanctions pénales.
Cependant, notre décision ne peut prévenir l'hypothèse de poursuites, en vertu de l'article 18-1 nouveau, dans le cas de grèves illégales qui peuvent procéder par exemple du non-respect de la règle du préavis ou du caractère "politique" de la grève. En effet, tout d'abord, même si c'est une innovation, la répression pénale des grèves illégales n'est pas inconstitutionnelle, la Constitution ne garantissant que l'exercice légal du droit de grève. D'autre part, à se lancer dans des développements excluant les grèves, même illégales, d'une telle répression, nous paraîtrions couvrir des délits tels que ceux mettant en péril la sécurité des personnes ou des biens ou le refus de déférer à des réquisitions légales.
C'est pourquoi je vous proposerai un texte ne visant que l'exercice légalodu droit de grève avec, il est vrai, la mention que l'infraction définie et réprimée par l'article 28-1 précité suppose une action positive.
27. - J'en ai ainsi terminé avec l'examen concernant les articles 2 à 37 formant le titre 1er de la loi et concernant les dispositions de droit pénal. Conformément à mes développements, je vous propose de déclarer conformes à la Constitution les dispositions en question.
La discussion générale est ouverte sur le titre I de la loi. Le projet sur ce point est adopté à l'unanimité, après quelques modifications, tel qu'il est joint au présent procès-verbal.
V. TROISIEME PARTIE. SUR LE TITRE II DE LA LOI. PROCEDURE PENALE (articles 38 à 80) :
L'article 38 n'appelle pas de commentaire. Il permet au procureur de la République, comme pouvait le faire le juge d'instuction lui-même, de confier les enquêtes sociales à des personnes habilitées. Il s'agit en fait d'un texte qui n'a pour but que de permettre le paiement de ces enquêteurs.
L'article 39 appelle des commentaires. Il s'agit de l'institution d'un système aggravé de garde à vue.
L'article 63 actuel du Code de procédure pénale définit le régime de droit commun de la garde à vue qui a lieu dans le cas des crimes et délits flagrants.
Un autre article, le 77, permet également la garde à vue dans l'enquête préliminaire qui a lieu hors du cas de flagrance. Dans l'un comme dans l'autre cas, l'officier de police judiciaire peut garder à sa disposition, pour les nécessités de l'enquête, une ou plusieurs personnes qu'il peut retenir vingt quatre heures. Au terme de ce délai, l'intéressé doit être conduit devant le procureur de la République qui peut autoriser la prolongation pendant une nouvelle durée de vingt quatre heures. Dans le cas de l'enquête préliminaire, d'ailleurs à titre exceptionnel, l'autorisation de prolongation de vingt quatre heures peut, par décision motivée, être accordée sans que l'intéressé ait été conduit devant le procureur. Selon le nouvel article 63-1 du Code de procédure pénale, en ce qui concerne certains crimes, certains délits particuliers qui sont des délits généralement accomplis par des groupes organisés (séquestration de personnes, prise d'otages, vol avec port d'armes ou violences accomplies par plusieurs personnes), la garde à vue peut être prolongée, après cette première prolongation de vingt quatre heures, d'une nouvelle durée de vingt quatre heures. Cette prolongation sera autorisée, selon les cas, par le juge d'instruction ou, à la requête du procureur de la République, par le Président du tribunal ou le juge délégué par lui après que la personne retenue lui aura été présentée sur les lieux de la garde à vue. Cette formalité est prescrite à peine de nullité de la procédure. De plus, après vingt quatre heures de garde à vue, l'examen médical sera de droit si la personne gardée à vue le demande. Elle sera avisée de ce droit et mention de cet avis sera portée au procès-verbal émargé par elle. En outre, après la prolongation nouvelle, c'est-à-dire au-delà de quarante huit heures, un examen médical a lieu obligatoirement, même s'il n'est pas demandé.
Les mêmes dispositions de prolongations et de garanties particulières s'appliquent aussi bien pour la garde à vue en cas de flagrant délit article 63 du Code de procédure pénale, que pour la garde à vue dans le cadre de l'enquête préliminaire, article 77 et suivants. Ces dispositions sont prévues à l'article 39 de la loi.
Ce régime de la garde à vue résulte d'une discussion complexe et a été aménagé de façons diverses jusqu'à celle que je viens de vous décrire qui a été adoptée au dernier stade de la procédure. Le grief qui est fait contre ce système n'est pas très convaincant. On dit ceci : ce n'est pas le juge d'instruction qui autorise la prolongation de vingt quatre heures mais un juge, ou qui ne connaît pas l'affaire, ou qui, s'il prend connaissance du dossier, aura
En fait, aucun de ces arguments n'est convaincant. Il convient de remarquer que la critique valable qui aurait pu être faite, et qui eut consisté à dire que la garde à vue viole les droits de la défense parce qu'elle permet qu'un suspect soit interrogé sans l'assistance d'un avocat, n'a été soulevée par personne. Nous pouvons donc noter que le principe même de la garde à vue est admis et que, seule, sa durée est contestée.
Il va de soi qu'aucun principe n'impose qu'un juge d'instruction prolonge cette mesure de détention. La garantie de l'intervention d'un juge du siège est équivalente, qu'il s'agisse du juge d'instruction ou de n'importe quel autre juge du siège. Il va de soi que le magistrat se prononcera, compte tenu de la nécessité qui apparaît au stade de la procédure dont il s'agit, pour maintenir cette mesure, aura du examiner le dossier. Il va de soi aussi qu'une telle décision ne saurait entraîner un préjugé pour la suite qui rendrait suspect de partialité le magistrat qui l'a prononcée. C'est pourquoi, je conclus à la validité de ces dispositions.
Monsieur VEDEL donne alors lecture du projet sur ce point et la discussion générale est ouverte.
Monsieur MONNERVILLE estime qu'il y a vraiment atteinte au droit de la défense puisqu'une personne peut être interrogée pendant soixante douze heures sans pouvoir prendre aucun contact avec l'extérieur ni avec une personne quelconque de son choix et, notamment pas, avec son avocat. De plus, on n'empêchera pas, après une arrestation de trois jours, que dans le public il y ait une suspicion sur l'honnêteté, en tous cas sur l'innocence, de celui qui en aura fait l'objet, quand bien même il sera acquitté par la suite.
Monsieur BROUILLET indique que, quand on retient des étrangers pour les nécessités de l'expulsion, ils peuvent, dès l'origine, prendre contact avec l'avocat.
Monsieur VEDEL répond qu'il est beaucoup plus circonspect. D'ailleurs il rappelle que, dans aucune des trois saisines, il n'y a la moindre critique sur le principe même de la garde à vue. La remettre en cause serait porter atteinte à l'ensemble du système français de police judiciaire et de l'instruction qui repose sur la garde à vue. On ne saurait admettre la critique de Monsieur Monnerville sans contester tout ce système.
Monsieur PERETTI, quant à lui, estime qu'il faut ou un système avec garde à vue, ou un système à l'anglaise avec avocat, dès l'origine, mais qu’il est impossible d'admettre la garde à vue quarante huit heures et de la refuser soixante douze après la garantie donnée par l'intervention d'un juge du siège. Personne n'ayant, à l'Assemblée ou au Sénat, mis en cause autre chose que la durée même de la garde à vue, il se range à l'avis du rapporteur.
Monsieur MONNERVILLE indique qu'à ce moment il n'y a pas de contre-enquête par la police judiciaire. Il constate que l'on aggrave constamment la situation de celui qui est gardé à vue, que la législation va toujours dans l'augmentation de sa durée et qu'il serait souhaitable, dans ces conditions, qu'on donne au gardé à vue les garanties de l'assistance d'un avocat.
Monsieur SEGALAT demande à Monsieur Vedel quel était le projet du Gouvernement.
Monsieur VEDEL répond que le projet instituait une garde à vue de quatre jours puis qu'au cours des débats on a transigé en la ramenant à trois jours et en instituant, au troisième jour, la prolongation par un magistrat.
Monsieur LECOURT demande pourquoi il n'y aurait pas nécessité d'un avocat dès le premier ou le deuxième jour, mais il remarque que le texte que l'on nous propose est tout à fait exceptionnel. Il s'applique à des cas où les recherches sont particulièrement difficiles et ou, peut-être, elles peuvent permettre de mettre fin immédiatement à des faits très graves tels qu'une prise d'otages. On comprend que l'on choisisse le troisième jour et, qu'entre les droits d'une défense immédiate ou la possibilité de découvrir des éléments qui permettront de mettre fin à la situation pénible des victimes, on ait fait un choix tel que celui qui est dans la loi. De plus, la question d'un choix absolu entre la possibilité ou l'interdiction d'une garde à vue ne nous est pas posée et elle paraît trop lourde de conséquence pour que nous puissions l'évoquer d'office de façon à interdire la possibilité d'une garde à vue. Monsieur Lecourt abonde dans le sens du rapporteur et indique encore que la remarque de Monsieur Brouillet sur la situation des étrangers ne peut pas s'appliquer dans notre cas. Les étrangers qui sont détenus en vue d'expulsion ne le sont pas pour des raisons de recherches de police judiciaire. Il ne s'agit pas de rechercher les éléments d'infraction grave qui risquent fort de se continuer dans le même temps. De plus, il est nécessaire qu'ils puissent s'expliquer puisque, par définition, il y a un grand risque qu'ils possèdent mal notre langue et qu'ils aient donc besoin d'un interprète. D'autre part, il se peut que des démarches immédiates d'un avocat soient nécessaires pour leur permettre de faire valoir que l'expulsion n'est plus justifiée ou même pour régulariser leur situation et éviter l'expulsion. Ici, à l'inverse, nous sommes dans des cas de grande délinquance et le système prévu doit permettre d'y porter une limite.
Monsieur VEDEL souligne à nouveau que les cas prévus sont effective- ment la séquestration de personnes, les enlèvements de mineurs ou les hold up.
Le Président est convaincu par ce que dit Monsieur Lecourt. De plus, l'obligation des examens médicaux toutes les vingt quatre heures permettent de penser qu'il n'y aura pas d'abus.
A la suite de cette discussion, la rédaction est modifiée de façon à bien mettre en évidence que des recherches particulières sont nécessaires dans ces cas, compte tenu de la nature des infractions poursuivies.
Ces considérants sont alors adoptés.
Monsieur VEDEL poursuit son rapport, comme suit :
Les articles suivants n'appellent pas de commentaire particulier.
L'article 40 ajoute aux cas dans lesquels la détention provisoire est justifiée celui où elle permet d'éviter des pressions sur les victimes et non seulement sur les témoins comme le disait le texte antérieur.
L'article 41 ne porte que sur un point de procédure permettant d'accèïérer le réglement des dépens.
L'article 42 donne compétence aux présidents, au lieu des assemblées générales,"pour dresser le tableau des audiences, ce qui allège la pratique. Notons d'ailleurs que les présidents avaient toujours le pouvoir de fixer des audiences supplémentaires en cas de besoin.
L'article 44 oblige la Cour de cassation à statuer dans les trois mois sur ïes pourvois relatifs aux mises en liberté, sous la sanction d'une mise en liberté immédiate.
Les articles 45 et 46 sont relatifs à l'enregistrement et à la retransmission des-~dëbats qui demeurent interdits.
Tous ces points n'ont d'ailleurs fait l'objet d'aucune critique particulière.
Nous en arrivons maintenant au chapitre II de ce titre qui institue, dans ses articles 47 à 52, une nouvelle procédure correctionnelle. C'est certainement la matière la plus difficile pour notre examen.
La réforme dont il s'agit est une réforme assez profonde.
Voyons d'abord l'état actuel de la législation : le prévenu peut être renvoyé devant le tribunal correctionnel selon trois procédures différentes. Tout d'abord, il peut être cité directement devant le tribunal correctionnel par le parquet ou par la partie civile. Il s'agit d'un prévenu libre qui aura connaissance des faits qui font l'objet de la poursuite dans la citation qu'il reçoit. Ensuite, il peut être poursuivi selon la procédure du flagrant délit. Le procureur de la République le met sous mandat de dépôt ét le tribunal le voit le jour même. Il peut lui accorder un délai pour préparer sa défense. Enfin, le prévenu peut subir une instruction menée par le juge d'instruction, lequel, après avoir été saisi par le procureur de la République ou par la partie civile, mène son information, le prévenu étant assisté d'un avocat. Les ordonnances du juge d'instruction qui entraînent des conséquences importantes sont soumises à l'appel de la chambre d'accusation et, quand le juge estime avoir réuni des éléments suffisants, il décide, soit qu'il n'y a pas lieu à suivre, soit qu'il convient de renvoyer le prévenu devant le tribunal pour jugement.
Les défauts du système actuel sont assez bien connus et, bien sûr, ils sont à l'origine de la réforme. Tout d'abord, le flagrant délit est critiqué généralement comme étant une mauvaise procédure. La notion même de flagrance est assez diversement interprétée. Il suffit pour s'en convaincre de comparer les pratiques parisiennes et celles des tribunaux peu chargés de province. Les faits poursuivis en flagrant délit peuvent être très complexes compte tenu de la personnalité du prévenu et des circonstances particulières de l'affaire. Le flagrant délit pourtant est incontestable, dès lors que l'on a pu, assez directement, au moment même où l'infraction
En dehors du cas de flagrant délit, aucune détention n'est possible sans que soit saisi le juge d'instruction car la citation directe n'existe qu'à l'égard de prévenus libres. Or, dès qu'il y a lieu à détention, saisir un juge d'instruction dont le cabinet est toujours très chargé allonge la procédure qui durera quelques mois quand bien même il n'y a pas de recherches à faire. Voilà les défauts bien connus de notre système.
La solution proposée par la loi nouvelle consiste essentiellement à offrir au procureur de la République quatre possibilités à partir du moment où il se fait présenter l'intéressé.
L'article 393 du Code de procédure pénale, tel qu'il résulte de la nouvelle loi, dit : "en matière correctionnelle, après avoir constaté l'identité de la personne qui lui est déférée, lui avoir fait connaître les faits qui lui sont reprochés et avoir recueilli ses déclarations si elle en fait la demande, le procureur de la République peut, s'il estime qu'une information n'est pas nécessaire, procéder soit par voie de convocation par procès-verbal, soit par voie de saisine immédiate du tribunal, soit par voie de saisine préalable du président du tribunal ou du juge délégué par lui".
Nous voyons donc que quatre possibilités s'offrent alors au procureur :
- faire procéder à une information par le juge d'instruction comme il le pouvait déjà auparavant ;
- convoquer l'intéressé par procès-verbal (il s'agit d'une simple simplification de procédure de l'ancienne citation directe). La convocation faite verbalement par le procureur de la République à l'intéressé pour des faits qui sont notés sur le procès-verbal vaut citation. L'intéressé reçoit une copie du procès-verbal ;
Enfin, c'est là la nouveauté, les deux procédures de saisines nouvelles :
- saisine immédiate du tribunal : le prévenu est retenu et conduit le jour même devant la juridiction appelée à statuer ;
- saisine préalable du président du tribunal ou du juge délégué par lui : dans le cas où la réunion du tribunal n'est pas possible le jour même et où il est nécessaire de détenir le prévenu, le procureur le traduit immédiatement devant un magistrat du siège, le président ou son délégué et requiert une mesure de contrôle judiciaire ou de détention provisoire. Il avertit le prévenu de son droit de se faire assister d'un avocat lors de sa comparution devant le juge. Le juge, après avoir entendu le prévenu et son conseil, s'il en a un, statue sur les mesures requises par le procureur. Lorsque le juge a ordonné la détention, le prévenu doit être déféré devant le tribunal à sa plus prochaine audience, au plus tard dans les quatre jours. Si le tribunal ne se réunit pas dans ce délai,
Ces textes ne s'appliquent ni aux infractions commises par les mineurs ni aux infractions de presse ou délits politiques ou à celles, de façon plus générale, dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale. On voit que cette nouvelle procédure comporte une série de garanties qui résultent; des articles 397-1 à 397-6 nouveaux du Code de procédure pénale et dont la principale est une limitation de la détention à deux mois. Il s'agit d'une procédure accusatoriale où la poursuite prend ses responsabilités puisque, si la procureur a mal évalué la difficulté de réunir des preuves, il ne pourra pas demander le maintien en détention du prévenu jusqu'au moment du jugement. On espère qu'elle permettra un allègement des charges des cabinets des juges d'instruction qui ne seront plus encombrés par des dossiers ouverts pour la forme, afin de permettre la détention.
L'attaque contre cette nouvelle procédure à été très vive de la part des praticiens. Les motifs juridiques de la saisine sont, il faut bien le dire, un peu faibles.
- C'est la loi qui fixe les règles de la procédure pénale (article 34 de la Constitution). Or, ici, le procureur se substitue au législateur.
La réponse à cet argument est simple. La loi peut donner des options aux diverses parties, et notamment au procureur, entre différentes procédures, dès lors que toutes offrent des garanties équivalentes.
- On dit que la décision du procureur serait arbitraire puisqu'il la prendrait sans qu'un avocat ait pu être entendu et en dehors de toutes conditions objectivement constatables, comme celles du flagrant délit.
Le procureur est la partie poursuivante. La charge de la preuve lui incombe. Il lui appartient d'apprécier s'il s'estime en état de rapporter les preuves sans la procédure lourde de l'instruction. C'est à lui que, depuis l'origine du Code de procédure pénale, a toujours été laissé le choix de la voie de procédure à employer. Cette responsabilité comporte d'ailleur une sanction. S'il a mal apprécié la procédure à entreprendre, la poursuite se terminera par une relaxe ou, en tous cas, sera ralentie par un supplément d'informations mais sans détention.
- Absence de garanties fournies par la présence d'un avocat, lequel existait dans la procédure de flagrant délit.
Ici, le grief manque en fait. Il y a dans cette procédure, au stade de la détention, de multiples avantages pour le prévenu par rapport à la procédure de flagrant délit. La détention est ordonnéepar un magistrat du siège. Des voies de recours sont ouvertes contre cette décision. Cette détention doit être
La chancellerie estime que le nouveau système sera bénéfique pour tous pour la justice, puisqu'elle désencombre les cabinets des juges d'instruction, et pour le prévenu puisqu'elle diminue la durée de la détention préventive qui était bien souvent couverte au stade du jugement. Elle permet l'abandon de la procédure critiquée et, il faut bien le reconnaître souvent à juste titre, des flagrants délits dont les conditions de mise en oeuvre n'étaient pas en rapport avec la gravité ni même, bien souvent, avec la complexité de l'affaire. Elle donne des garanties nombreuses au prévenu et, enfin, elle met les procureurs dans une situation de responsabilité.
Malgrè tout cela, votre rapporteur vous propose, après avoir beaucoup hésité, une déclaration de non conformité. Si j'ai beaucoup hésité, à présent j'ai fermement la conviction que cette solution est nécessaire.
Le juge d'instruction est devenu à présent, du fait de l'histoire, des habitudes qui se sont prises et de son rôle central dans la procédure, la pièce maîtresse de notre système de procédure pénale. Toutes les règles de celle-ci ont été peu à peu adaptées à sa présence. On peut dire qu'il a progressivement engendré son propre environnement et que c'est autour de lui que se sont constituées les garanties de la procédure judiciaire. Il est devenu un médiateur entre la défense et l'accusation. La défense consiste, en pratique, devant le juge d'instruction, à suggérer des actes de recherche et il enquêtera aussi bien à la demande de l'inculpé qu'à celle du parquet.
Dans le cadre de la saisine directe le prévenu ne voit que son avocat. Il n'a pas accès à un juge d'instruction. Ce n'est pas l'avocat qui va enquêter et qui aura les pouvoirs de vérifier un alibi. Il pourra tout juste convoquer un témoin à la barre et le témoin y viendra ou n'y viendra pas. On pourrait dire, s'il ne vient pas, le prévenu bénéficie de la présomption d'innocence et, si les preuves ne sont pas certaines il y aura acquittement ou supplément d'informations.
L'accusation sera faite de quoi ? De rapports de police. Le tribunal peut acquitter certes mais, bien souvent, il ordonnera un supplément d'informations qu'il ne peut confier qu'à un de ses membres car il n'a pas le droit de renvoyer l'information à un juge d'instruction. C'est une surcharge pour ce tribunal qui est confiée à un magistrat qui ne dispose pas de l'infrastructure d'un cabinet, greffier, etc.
Cette procédure ne semble pas attenter aux droits de la défense mais elle ne semble pas non plus conforme au principe de l'égalité devant la justice. Quand le procureur aura fait un choix erroné, le prévenu sera privé, à ce moment crucial de la poursuite, des moyens pratiques de rassembler ses preuves. Dans un système inquisitorial, cet élément de procédure accusatoire ne trouve l'appui d'aucune structure pratique. L'avocat français n'est pas organisé pour faire des recherches policiaires. Nous sommes donc dans un système en porte à faux, devant une chimère qui ne fonctionne pas. Il faut choisir, ou le système accusatoire, ou le système inquisitoire. Rien n'empêche que l'on supprime le juge d'instruction et que l'on crée un système tout à fait différent mais un mélange comme celui qui est réalisé là n'ouvre pas en pratique de garanties raisonnables.
La discussion générale est ouverte sur cette partie de la loi.
Le Président indique qu'actuellement, chaque année, il y a 550 mille citations directes, 60 mille informations et 20 mille flagrants délits Dans le projet proposé, la procédure sera accélérée et les justiciables y trouveront leur compte. Les dispositions sur la nouvelle procédure correctionnelle sont parmi les plus importantes du projet de loi.
Monsieur LECOURT demande qu'avant que l'on poursuive la discussion générale, on lise le texte du projet du rapporteur sur ces questions.
Monsieur VEDEL procède à cette lecture et la discussion générale est reprise.
Monsieur PERETTI se fait confirmer par le rapporteur que le juge chargé d'un supplément d'informations peut ordonner des commissions rogatoires. Il indique que c'est au procureur de faire la preuve et non au prévenu de démontrer son innocence. En fait, chacun le sait, le juge d'instruction agit essentiellement par des commissions rogatoires. Ici, les mêmes commissions rogatoires pourront avoir lieu. Monsieur PERETTI regrette d'ailleurs que l'on ne puisse pas renvoyer l’information à un juge d'instruction mais il ne voit pas pourquoi, en fait, le procureur qui sera obligé, dans ce cas, de laisser le prévenu en liberté au bout de deux mois, aurait tendance à abuser des saisines directes.
Le Président n'a jamais été convaincu pour sa part de la nécessité d'un juge d'instruction et pense qu'une procédure nettement accusatoire du type anglais est beaucoup plus honnête.
Monsieur SEGALAT, après la lecture du dossier, n'avait aucune hésitation sur ces articles. Il lui apparaissait que l'on avait là construit un système cohérent pour remédier aux inconvénients actuels de la procédure correctionnelle. Monsieur Vedel nous a démontré qu'en réalité les règles nouvelles laissent intactes les droits de la défense, la liberté individuelle et aussi l'égalité devant la justice. Ce qui a fait basculer son opinion, semble-t-il, c'est là’ crainte que le système nouveau ne fonctionne pas bien, compte tenu des habitudes prises. Le juge d'instruction est devenu un médiateur, actuellement, entre l'accusation et la défense. N'oublions pas que ce qui nourrit le dossier du juge d'instruction c'est la police qui agit par commission rogatoire. Pourra-t'on retrouver un équilibre dans le système nouveau ? De toute façon, cette question importante n'est pas une question de constitutionnalité. Dans l'état actuel, les règles posées ne paraissent pas, du fait de telles craintes, devoir porter atteinte à un principe de valeur constitutionnelle. C'est pourquoi, Monsieur Ségalat n'optera pas dans le sens proposé par le rapporteur.
Monsieur LECOURT craint que la position qu'il prendra ne repose davantage sur la prévision de ce que donnera l'application de ces textes que sur les textes eux-mêmes. Le problème est celui des prévenus détenus. Les tribunaux correctionnels ont les audiences chargées, des conditions de travail peu favorables. Si le procureur apporte des éléments sérieux mais non suffisants, dans le cas où l'on peut renvoyer devant un juge d'instruction, un tel renvoi est quasi automatique. Si un tribunal insuffisamment éclairé doit charger un de ses membres du supplément d'information, il faut bien convenir que celui-ci sera très mal outillé pour y procéder. Maintenant, devant une telle situation, ne doit-on pas penser que la chancellerie augmentera les effectifs des juridictions correctionnelles et ceux des greffes. L'argument selon lequel les cabinets d'avocats ne sont pas outillés pour procéder eux-mêmes à des recherches paraît plus inquiétant mais, là encore, il est très vraisemblable que peu à peu ils s'organiseront pour cela. Au surplus, comment remplacer notre système qui arrive à l'embouteillage que nous connaissons tous ? Tels sont les éléments sur lesquels Monsieur Lecourt a besoin de réfléchir encore avant de se prononcer.
Monsieur MONNERVILLE : l'institution du juge d'instruction n'est ni immuable, ni parfaite mais un souci primordial que l'on doit avoir est que celui qui est poursuivi soit en mesure de se défendre dans des conditions égales à celles faites à celui qui le poursuit. Monsieur Monnerville ne croit pas à la partialité du procureur de la République mais on n'empêchera pas que celui qui est renvoyé devant le tribunal sur une information réunie par la police ne soit pas dans l'obligation de démontrer son innocence. Dans l'esprit du procureur de la République et dans l'esprit du juge qui a devant lui un dossier unilatéral, le prévenu est coupable
Monsieur PERETTI : nous accusons déjà le procureur de la République de faire mauvais usage du texte et d'utiliser cette nouvelle saisine dans les cas où il manque de preuves. Il semble que l'on veuille, par cette réforme, mettre les magistrats devant leurs responsabilités. J'ai tendance à leur faire confiance et ce n'est pas sur un procès d'intentions que je voterai une non conformité.
Monsieur BROUILLET est perplexe et il ne l'a jamais été autant depuis sept ans qu'il siège au Conseil constitutionnel. Pour approuver ou désapprouver ce texte, tout le monde s'en reporte à une prévision alors qu'au Conseil, devant la difficulté éventuelle d'application, nous avons à la surmonter en excluant l'interprétation qui permet la mauvaise application. La mauvaise éventualité est interdite par les réserves que nous exprimons dans nos considérants. Dans le cas où un texte est déclaré par nous inconstitutionnel, nous motivons clairement les raisons de sa non conformité à la Constitution. Le doute de Monsieur Brouillet dans cette affaire tient à l'insuffisance des motivations exposées dans un sens comme dans l'autre. Pour l'instant, il ne saurait conclure bien que son sentiment soit plutôt de ne pas toucher à ce qu'on ne saurait changer par quelque chose de plus satisfaisant. Son sentiment va donc actuellement plutôt dans le sens des conclusions du rapporteur.
Monsieur JOXE est dans une perplexité un peu semblable à celle de Monsieur BROUILLET. Monsieur Vedel proposait, il y a quelques instants, de donner des précisions. Monsieur Joxe pense qu'il serait bon qu'il le fasse maintenant.
Le Président se déclare convaincu par les considérants qui vont jusqu'au "cependant" qui introduit les derniers.
Monsieur VEDEL estime que la faiblesse des motivations qu'on lui reproche viennent de ce que souvent on confond courtoisie et faiblesse. Il est très sensible à ce qu'a dit Monsieur Ségalat : "Sont-ce des craintes ou des faits acquis qui l'on conduit à conclure ? Si c'était de simples craintes, il n'aurait pas conclu comme il le fait. Il a éprouvé des craintes pour les contrôles d'identité et alors, dans son projet, il a précisé les garanties. Ici, il lui apparaît qu'il y a une absence totale d'égalité entre deux prévenus détenus, mis dans l'obligation, en face d'une police très puissante, de rassembler les preuves. L'un des deux, dans des cas souvent très semblables, ne dispose pas de l'organisation du juge d'instruction qui devient le bras séculier de la
Devant les positions très différentes qui ont été prises par les uns et les autres, le souci exprimé par certains de réfléchir davantage, le Président, sur la proposition de Monsieur Peretti, déclare que sur ce chapitre de la loi la discussion est pour l'instant réservée et invite Monsieur Vedel à poursuivre son rapport.
Monsieur VEDEL poursuit donc son rapport et aborde à présent les dispositions relatives à la procédure criminelle.
Article 53 : intervention de non-lieu ou de renvoi partiel. Dispositions techniques non contestées.
Article 54 : dispositions techniques sur l'organisation des cours d'appeî, non contestées.
Articles 55 et 56 : Ils sont critiqués en ce qu'ils aboutiraient à la mise en tutelle du juge d'instruction par le Président de la chambre d'accusation et par la chambre d'accusation elle-même. Celle-ci est une juridiction du deuxième degré et on lui fait remplir à présent un rôle de chef hiérarchique. De telles dispositions sont contraires à l'indépendance des juges garantie par l'article 66 de la Constitution.
Voyons tout d’abord l'article 55. L'article 55 complète l'article 220 du Code de procédure pénale, lequel est ainsi conçu : "Le Président de la chambre d'accusation s'assure du bon fonctionnement des cabinets d'instruction du ressort de la Cour d'appel. Il vérifie notamment les conditions d'applications des alinéas 4 et 5 de l'article 81 [quand le juge d'instruction ne peut agir lui-même, il procède par voie de commission rogatoire. Il doit vérifier les éléments d'information ainsi recueilliss] et s'emploie à ce que les procédures ne subissent aucun retard injustifié. L'article 55 de la loi, pour préciser les pouvoirs dont dispose alors le Président de la chambre d'accusation, ajoute à l'article 220 un nouvel alinéa ainsi rédigé : "Il peut, à cet effet, contrôler le cours des informations, demander des rapports sur l'état des affaires, convoquer les juges d'instruction, visiter leurs cabinets et prendre connaissance des dossiers". Cet article a été rédigé à la suite d'une réticence des juges d'instruction au contrôle du Président de la chambre d'accusation dont ils estimaient notamment qu’ils n'avaient pas à recevoir d'instructions.
Le grief, nous l'avons vu, est de mettre un juge sous un contrôle hiérarchique. C'est un grief sérieux.
Le seul contrôle sur des actes juridictionnels est celui de forme juridictionnelle (appel ou cassation).
La solution dépend de l'interprétation qu'il convient de donner à ce texte dont le sens est effectivement un peu flou. Un contrôle est nécessaire en vue de la bonne marche des affaires mais il ne s'agit bien
L'article 56 est plus complexe à exposer mais moins difficile quant à la solution. II faut bien distinguer les pouvoirs de la chambre d'accusation et ceux de son président. Il y a deux hypothèses. Six mois après le début de l'information, le Président peut se faire communiquer les dossiers du juge d'instruction et, un an après le début de cette information, le dossier doit lui être communiqué. Dans les deux cas, le Président peut prescrire que le juge continue son instruction ou déférer la procédure à la chambre d'accusation. Il n'a aucun autre pouvoir. Il s'agit donc de mesures d'administration judiciaire et il agit par ordonnance non motivée et sans recours. La chambre d'accusation, lorsque la procédure lui est déféré, peut, ou bien prendre une décision concernant le fond de l'instruction (se déclarer compétent par exemple parce que l'affaire n'est pas criminelle ou dire qu'il n'y a pas lieu à poursuivre). Dans ces deux cas, un recours en cassation est possible contre cet arrêt, il peut également décider que la procédure doit être continuée et, alors, son arrêt motivé n'est pas susceptible de voie de recours. Il confie la poursuite de l'instruction, soit au même juge d'instruction, soit à un autre juge d'instruction, soit à la chambre d'accusation elle-même. Quand la chambre d'accusation se saisit de la procédure, elle désigne un de ses membres qui agira avec tous les pouvoirs du juge d'instruction et sous les mêmes contrôles que celui-ci l'aurait fait. Les griefs sont : atteinte à l'indépendance du juge d'instruction, méconnaissance du double degré de l'information, atteinte aux droits de la défense.
Indépendance du juge d'instruction : le Président ne peut faire d'autres choses que de déférer la procédure à la Cour et c'est la Cour qui, par décision motivée, décide, le cas échéant, de confier le dossier à un autre. Le pourvoi en cassation est, comme on le dit, limité aux arrêts qui font grief .
Double degré d'information : quelle est la valeur de ce principe ?Cela, ici, n'a pas d'intérêt car le grief manque en fait. Quel que soit le juge désigné, le double degré s'appliquera dans les mêmes conditions ainsi que le précise le nouveau texte. Toutes les décisions qui auraient été susceptibles d'appel le resteront dans les mêmes conditions.
Méconnaissance des droits de la défense : ce grief également manque en fait car les droits de la défense sont identiques dans tous les cas.
Enfin, je souligne que dans cette affaire il n'y a aucune inégalité en raison des procédures qui seront choisies. Si un carrefour est ouvert entre diverses procédures, c'est une juridiction du siège qui les oriente. Il est possible de retrouver un juge d'instruction que ce soit le nouveau ou l'ancien. Enfin, si c'est la chambre d'accusation qui se
Les considérants sur les articles 55 et 56 sont lus et adoptés sans aucune modification.
La séance est suspendue le 19 à 20 heures..
La séance est reprise le 20 janvier à 10 heures.
Article 58 : simple question de procédure, sans portée de fond qui n'a fait l'objet d'aucune critique.
Article 59 : délai dans lequel la chambre d'accusation doit statuer. S'il n'est pas respecté, l'inculpé est mis en liberté d'office. Pas de difficulté.
Article 60 : délai identique pour la chambre de cassation sai- sied'un pourvoi (3 mois). Sanction du délai, mise en liberté d'office.
Article 61 : dispense des fonctions de juré pour les personnes âgées de plus de 70 ans et qui en font la demande.
Article 62 : l'abrogation du texte ancien aboutit à permettre d'etre juré dans un lieu où on a sa résidence secondaire si l'on est électeur à cet endroit. Vérification des listes de jurés par le greffier du tribunal et non plus par la préfecture (simplification pratique).
Article 63 : majorité de 23 ans pour être juré.
Article 64 : dispositions également purement techniques.
Article 65 : dispositions relatives à la publicité des débats en matière criminelle identiques à celles déjà vues en matière correctionnelle.
ARTICLE 66 : DISCIPLINE DES AVOCAT
L'article 66 n'est pas issu du projet du Gouvernement. Il a soi origine dans un amendement du Sénateur CAILLAVET qui a été complété par la commission mixte paritaire.
Actuellement, l’article 25 de la loi du 31 décembre 1971 portar réforme de certaines professions judiciaires et juridiques prévoit diverses dispositions dont il résulte que lorsqu'un avocat manque à une obligation de son serment, la juridiction devant laquelle il agit, est compétente pour prononcer à son encontre une peine disciplinaire qui peut aller jusqu'à la radiation. C'est la façon dont sont traditionnellement réprimés les délits d'audience. Ces décisions sont susceptibles d'appel. Ces dispositions sont très sévères d'autant que la formule du serment des avocats est une formulé très large. Traditionnellement. néanmoins, les magistrats ont fait un usage modéré de ces pouvoirs et cette question n'a pas entraîné de grandes difficultés. Il en a été différemment pour un avocat ayant été suspendu dans des conditions rigoureuses lors du procès dans lequel étaient poursuivis des manifestants de Plogoff. Le barreau s'est gravement ému de cette affaire et c'est ainsi
Après l'adoption de ce texte au Sénat, la Chancellerie s'est émue du fait que dans le cas où un excès très grave est commis qui ne rend pas possible la poursuite des débats dans des conditions convenables de sérénité, le tribunal n'a aucun moyen d'agir immédiatement, si ce n'est de suspendre les débats pendant une période qui pourrait aller jusqu'à 8 jours, délai imparti au Conseil de l'ordre pour rendre sa décision. C'est ainsi qu'a été adopté par la commission mixte le texte de l'article 25-1 de la loi de 1971 inséré dans celle-ci par le II de l'article 66 de la loi soumise à votre examen.
Il permet, lorsque l'attitude d'un avocat compromet la sérénit des débats, au Président, après avoir entendu le bâtonnier, d'écarter l'avocat de la salle d'audience pendant une durée qu ne peut excéder 2 jours. Le bâtonnier peut décider s'il y a lieux de proroger cette mesure jusqu'à la décision du Conseil de l'ordre et il peut désigner d'office un autre avocat pendant la durée qu'il détermine.
Devant le texte actuel qui se réfère dans son II au pouvoir de police de l'audience du Président, deux lectures semblent tout d'abord possibles. La première consiste à dire que le Conseil de l'ordre est saisi et que dans les cas les plus graves, alors que l'on n'est pas à la fin des débats et qu'il convient de les poursuivre, le Président peut écarter de l'audience l'avocat quand la faute disciplinaire qu'il a commise est d'une gravité telle qu'elle compromet la sérénité de l'audience. On peut d'ailleurs, trouver un certain appui à cette interprétation dans le 2ème alinéa de l'article 25-1 que l'on interpréterait alors simplement en appliquant à la seule possibilité de prorogation les termes : "s'il y a lieu". C'est, semble-t-il, la lecture que chacun a admise dans un premier temps et d'ailleurs les griefs de la saisine portent essentiellement sur l'atteinte au droit de la défense qu'il y aurait pour le client de l'avocat par un remplacement de son défenseur dans des conditions qui peuvent ne pas être très favorables pour celui-ci.
En réalité, ce n'est pas cela que veut dire le texte. En le lisant attentivement, on s'aperçoit que l'article 25-1 ne fait aucune allusion à ce qui se passe dans le cas prévu à l'article 25. L'article 25 est relatif aux manquements aux obligations du serment, l'article 25-1 aux troubles apportés à la sérénité des débats alors même qu'il n'y a pas eu manquement aux obligations du serment. Cette rédaction s'impose en vertu du texte même qui se réfère au pouvoir de police de l'audience du Président et qui donc repose sur l'idée qu'il ne s'agit pas d'une sanction. Le : "s'il y a lieu" n'est donc pas lié au cas de la violation du serment, il prévoit une simple hypothèse.
Le rapport de la commission mixte paritaire confirme d'ailleurs s'il en était besoin cette interprétation puisqu'il fait ressoi tir la différence entre la sanction et la mesure de police.
Il en ressort donc, que tout avocat qui gêne peut être écarté. C'est encore dans ce sens qu'est faite, la note du Gouvernement-,
Elle précise que la mesure n'a aucun caractère disciplinaire et fonde toute son argumentation sur cette idée en indiquant par ailleurs, que "la portée de la mesure est limitée à l'excl sion de l'avocat de la salle d'audience pour une durée maximum de 2 jours, ce qui n'interdit nullement à l'avocat d'exercer, son activité professionnelle, notamment devant une formation juridictionnelle et ne porte aucune atteinte à ses droits".
Cette interprétation étant certaine, aucune hésitation n'existe sur la non conformité à la Constitution d'une telle règle. Indiquons néanmoins, que cette règle anormale résulte certainement d'une bévue dans la rédaction hâtive du texte lors de la commission mixte paritaire et non pas d'une intention malveillante .
La police de l'audience est faite pour permettre le bon déroulement des débats et en ce qui concerne le défenseur elle doit justement lui permettre d'exercer complètement son métier et ne l'en empêcher. Enfin l'annulation étant évidente en ce qui concerne l'article 25-1, l'article 25 doit lui aussi tomber puisque ses dispositions sont inséparables comme nous l'avons dit plus haut dans le cas où des délits graves sont commis par l'avocat qui empêcherait la poursuite normale des débats, le seul article 25 ne permettrait pas de prendre une mesure conservatoire qui s'impose.
Il appartiendra à la Chancellerie et aux avocats de trouver une solution acceptable pour la rédaction d'un texte qui n'en- courepas de critique.
Monsieur VEDEL donne lecture des considérants relatifs à l'article 26 qui sont adoptés sans discussion.
Article 67 : dispositions techniques relatives à la poursuite des crimes et délits commis par des magistrats ou par certains fonctionnaires. La même information est commune aux complices ou co-auteurs alors même qu'ils n'exerçaient pas de fonction judiciaire ou administrative.
Même chose pour l'article 68.
Afticles 69 et 70 : suppression de la tutelle pénale. Ces mesures sont certainement en faveur de la liberté mais il n'est pas certain qu'elles garantissent bien la sécurité. C'est là, un cas d'opportunité que nous n'avons pas à examiner.
Articles 71 et 72 : texte pris pour mettre la législation en conformité avec votre décision de janvier 1980 en ce qui concerne l'intervention du juge au terme du deuxième jour du maintien sous garde à vue de l'étranger expulsé. Le texte est parfaitement conforme aux exigences de votre décision.
Article
Articles 76 à 79 : dispositions relatives au contrôle d’identité. C’est là, une des parties les plus contestées de la nouvel le loi. L’origine de ces dispositions se trouve dans un amende ment qui a été déposé devant l'Assemblée nationale qui ensuite a été soutenu par le Gouvernement, qui a été modifié par le Sénat et par la Commission mixte paritairé. L'origine plus lointaine de ces dispositions est dans les demandes de la police qui trouve des pouvoirs suffisants dans les textes relatifs aux recherches judiciaires, mais non en ce qui concerne la prévention des délits et des crimes. Il s'agit notamment d'écarter les éléments les plus dangereux d'une manifestation qui se prépare.
Qu'en est-il de la légalité dans l'état actuel du droit de ces contrôles ?
Peut-on demander à quelqu'un de justifier de son identité, l'obliger à la décliner et, s'il ne le fait pas, le conduire dans un local de police pour procéder à des vérifications ?
Pour un automobiliste, la réglementation le permet puisqu'il doit pouvoir justifier qu'il dispose des autorisations nécessaires pour la conduite d'un véhicule.
En ce qui concerne les piétons, l'état actuel du droit est celui qui résulte de l'arrêt FRIEDEL, our
Une réunion d'Ordre Nouveau se tenait et des manifestants de groupes politiques opposés étaient prêts a intervenir, un service d'ordre avait été disposé pour éviter des affrontements qui risquaient d'être très violents. A 15 heures, FRIEDEL est interpelié ; présentant une carte d'identité nationale sur laquelle est portée une photo peu ressemblante, il est conduit au centre Beaujon et après vérification, relâché à 0h55.
La Cour de cassation déclare que l'arrêt confirmant l'ordonnance de non-lieu résulte d'une erreur de droit, car le Préfet de police ne tenait des textes sur la police administrative aucun pouvoir pour retenir une personne qui n'avait commis aucune infraction. Elle confirme, néamoins, le non-lieu par substitution des motifs. La photo qui était sur la carte d'identité n'étant pas ressemblante, il pesait sur FRIEDEL un soupçon de falsification de carte d'identité ce qui„dans le cadre de la recherche d'une telle infraction,transformait l'opération en opération de police judiciaire et permettait une telle vérification .
L'article 76 nouveau de la loi permet, c'est-à-dire légalise mais en même temps balise et réglemente, une pratique qui existe et qui, d'ailleurs, est nécessaire. Le texte vise le cas de recherches judiciaires et le cas où une telle vérification d'identité est nécessaire pour la prévention d'atteintes à l'ordre public en ce qui concerne la sécurité des personnes et des biens.
Pour la recherche judiciaire, ce texte est sans intérêt puisque déjà existe la garde à vue.
Pour la prévention, sans ce texte, les vérifications et contrôles n'étaient pas autorisés.
Quelles sont les libertés en cause ?
- la liberté d'aller et venir (invoquée dans la saisine), la plus élémentaire, celle du piéton ordinaire ;
- la liberté individuelle qui se trouve atteinte par une garde au poste de police qui peut durer 6 heures (invoquée dans la saisine) ;
- le droit au respect de la vie privée et son inviolabilité, qui est certainement la première liberté qu’un anglais aurait invoquée. Il s'agit là, du droit à l'anonymat.
En Angleterre d'ailleurs, comme vous le voyez d'après le texte ci-après,l'idée même d'instituer une carte d'identité obligatoire a provoqué des réactions indignées : "Le droit applicable au ROYAUME-UNI en matière de contrôle et de vérification d'identité peut être ainsi résumé ;
1 - Il n'existe aucun texte législatif ou réglementaire qui définisse de manière générale les règles de contrôle d'identité en Grande-Bretagne. En ce domaine, le principe, établi et confirmé à maintes reprises par la jurisprudence, est celui du droit reconnu à tout individu de refuser de décliner son nom et son adresse. Il ne peut en être autrement que si un texte précis lui fait obligation de fournir son identité . Au demeurant, le principe trouve une application directe dans l'absence en Grande-Bretagne, d'une carte nationale d'identité.
2 - Les pouvoirs de la police britannique sont donc, en théorie, très limités dans ce domaine. Les textes spécifiques leur conférant le droit de procéder à une vérification d'identité sont en effet en nombre réduit. Le plus important est le road traffic act de 1972 qui autorise la police, en cas d'infraction au code de la route, à réclamer la présentation du permis de conduire. On peut citer également le métropolitan police act de 1839 qui ne s'applique que dans la seule région de Londres et qui prévoit la possibilité de contrôles d'identité dans le cadre d'une enquête à propos de vols.
Dans les autres cas, les policiers britanniques sont dépourvus de pouvoir légal pour contraindre un individu à décline son identité au cours d'une opération de routine. Pour espérer obtenir ce renseignement, il leur faut procéder à une arrestation en bonne et due forme, motivée par l'existence d'une infraction. Cette arrestation les met alors en position légale pour conduire l'intéressé au poste de police en vue d'un interrogatoire. Elle ne garantit pas cependant le succès du contrô- le d'identité dans la mesure où les tribunaux britanniques reconnaissent à tout individu le droit de refuser, même en cas d'arrestation légale, de répondre aux questions de la police.
3 - Dans la pratique, il n'est pas nécessaire à la police britannique de recourir à ces mesures extrêmes. En dépit de l'absence de base légale, les contrôles d'identité, lorsqu'ils sont exercés par la police - et celle-ci utilise en général cette procédure avec parcimonie - sont acceptés par le public qui a intérêt en réalité à se soumettre afin de ne pas éveille les soupçons.
Il convient de souligner cependant que ces contrôles sont privés en Grande-Bretagne d'une grande partie de leur efficacité par suite de l'absence de carte d'identité. La police britannique est contrainte en effet de s'en remettre à la bonne foi de ses interlocuteurs et ne peut procéder qu'à posteriori à la vérification de leurs affirmations. Pour leur part, les autres documents officiels (tels que permis de conduire ou carte de sécurité sociale), auxquels peuvent recourir les policiers britanniques, sont susceptibles de nombreuses fraudes, faute d'être munis d'une photo d'identité.
La question de la mise en place d'une carte nationale d'identité commence à être abordée en Grande-Bretagne. L'actuel ministre de l'intérieur, M. WHITELAW, avait notamment avancé l'idée avec beaucoup de prudence, lorsque les conservateurs étaient encore dans l'opposition. Cette proposition avait provoqué une levée de boucliers dans les milieux politiques qui s'étaient indignés d'une mesure propre à bouleverser, selon eux les traditions britanniques de liberté individuelle. Ces réactions ont, semble-t-il, conduit depuis lors M. WHITELAW à renoncer pour le moment à son projet"
Mais nous ne sommes pas en Angleterre, nous sommes en France, et ce principe n'a pas été invoqué. Nous ne parlerons plus, d'ailleurs, de la liberté de la vie privée dans cette discussion car le texte ne lui porte pas en réalité d'atteinte.
Il convient donc, de mettre en balance, ici, divers droits de nature constitutionnelle. Les contrôles sont nécessaires. Par exemple, ils permettront d'éviter des rassemblements de jeunes gens agressifs suivis de violence. Devant un tel rassemblement, actuellement, les agents ne peuvent pas rester présents dans l'attente de ce qui se passera et, une fois qu'ils sont partis, il peut se passer n'importe quoi. S'ils font un relevé d'identité, il devient très risqué pour ceux qui en ont fait l'objet de commettre peu de temps après un délit dans le même endroit ou à proximité. La sécurité du métro, par exemple, pourrait ainsi être grandement améliorée. Le cas qui se pose à nous est de savoir si les contrôles font payer à la liberté une rançon excessive par rapport aux garanties qu'ils offrent pour la sécurité. Le défaut qu'ils auront, sans doute, est que certaine personnes en feront l'objet beaucoup plus que d'autres car on n'empêchera pas que la police trouve une "présomption de dangerosité" dans la jeunesse, le fait d'avoir des cheveux longs, d'être accoutré d'une certaine manière ou de porter telle couleur de peau. Il y aura certainement une espèce de sélectivité, de discrimination que l'on qualifie souvent de racisme. Il y aura aussi, des bavures dues à la grossièreté des agents, à leur manque d'égard, si ce n'est à leur brutalité, en tous cas au fait qu'ils auront tendance à maintenir au poste pour vérification le jeune qui se rebiffe à bon droit contre leurs mauvaises manières.
Tout ceci existait déjà et nous le verrons, le système proposé ne peut qu'y apporter des limites sérieuses.
Système de contrôle et de vérification par les articles 76 et suivants.
Qui fait les contrôles ? Les officiers de police judiciaire et, sur leurs ordres et responsabilité, les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints.
A quelles fins ont lieu ces contrôle ? pour la police judiciaire et pour la prévention d'atteintes à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens. Cette définition est un peu vague, elle est recopiée sur un passage de la décision du conseil relative à la fouille des véhicules.
On aurait aimé, puisqu'il s'agit ici de permettre et non d'interdire, que la formule soit plus précise et que l'on demande que la menace soit caractérisée. Nous verrons, néanmoins que, quand la personne est conduite au commissariat, il n'est pas possible de faire reposer la prévention sur un simple prétexte vague.
Celui à qui on demande de décliner son identité a l'obligation de le faire. Il peut en justifier par tous moyens. Il peut notamment faire attester qui il est par un témoin qui lui, est porteur d'une pièce d'identité. Cependant, en cas de nécessité pour la vérification de l'identité, l'intéressé peut être conduit dans un local de police, il bénéficie de garanties spéciales qui ressortent des deux derniers alinéas de l'article 76 et des cinq alinéas de l'article 77.
Des pénalités sont édictées par l'article 78 qui sont, d'ailleurs lourdes, contre :
- celui qui refuse de se prêter au contrôle ;
- celui qui empêche un agent d'accomplir sa mission.
Remarquons bien qu'il n'y a aucune infraction dans le fait de ne pouvoir justifier de son identité.
Quelles sont exactement les critiques contenues dans les saisines ? Il y en a trois :
- atteinte aux libertés, nous en avons parlé plus haut ;
- atteinte à la séparation des pouvoirs ;
- insuffisance des garanties et abus inévitables du système.
En ce qui concerne l'atteinte aux libertés, la gêne apportée à la liberté d'aller et venir et la restriction de la liberté individuelle sont à comparer avec les intérêts sauvegardés, de valeur constitutionnelle, la sécurité des personnes et des biens. Dans la décision sur les fouilles, nous étions en face d'un système de contrôle moins étendu puisqu'il ne concernait qu'une catégorie particulière de citoyens, les automobilistes, qui se livrent à une activité d'ailleurs réglementée, compte tenu notamment des dangers que peut comporter la circulation.
Mais l'intrusion permise par la loi était beaucoup plus grave. Il y avait intrusion dans un domaine de la vie privée car on doit bien considérer que le véhicule est un lieu où l'on a droit d’avoir une certaine tranquilité, c'est d'une certaine façon un prolongement du domicile. De plus, la fouille avait un caractère inconstitutionnel puisqu'elle était possible en dehors de toute circonstance particulière.
Ici, les données sont différentes et il convient de les analyser pour voir si les obligations faites aux citoyens sont ou non excessives par rapport aux intérêts sauvegardés.
L'atteinte à la séparation des pouvoirs : Il semble là, que l'argumentation relève de la prestidigitation. Il existe deux polices. La police judiciaire, chargée de la recherche et de la répression des infractions et la police administrative chargée de leur prévention ou si l'on préfère du maintien de l'ordre public. Cette séparation reflète la séparation des pouvoirs. Il est constitutionnellement exact que la répression des infractions n'est pas dans les mains du Gouvernement qui a pour mission leur prévention, le maintien de l'ordre public, puisque c'est ce que l'on entend traditionnellement par la mission "d'exécution des lois".
L'argument est celui-ci : on confie à la police judiciaire une mission de police administrative qui en vertu de la constitution, revient au Gouvernement et à ses agents. Vous me répondez que c'est pour donner une garantie aux citoyens, mais la police administrative ne permet jamais de détenir quelqu'un. En confiant ces tâches à la police judiciaire vous abandonnez la liberté de celui qui n'est pas soupçonné contre les garanties auxquelle il aurait eu droit si l'on avait eu une raison de le suspecter d'avoir commis l'infraction.
Le vrai problème est en réalité de savoir si le législateur peut donner un pouvoir de détention dans le cadre de la police administrative. Il est certain, par contre, que dès lors qu'il est porté atteinte à la liberté individuelle, il faut accorder les garanties de la police judiciaire et il n'apparait pas qu'il soit contraire au principe de la liberté individuelle que l'on y apporte des limitations, dès lors, qu'elles sont légères, contrôlées et en rapport nécessaire avec les intérêts légitimes pour lesquels cela est fait.
Dans de telles conditions, le législateur peut évidemment toucher au statut respectif de la police judiciaire et de la police administrative.
Comme vous le voyez, une fois de plus, nous en revenons à la balance des intérêts en présence.
Pour éclairer encore cette question, voyons quelles sont les garanties :
- les raisons du contrôle doivent être indiquées sur le registre qui sera tenu au local de police ;
- l'identité pourra être justifiée par tous moyens.
C'est la conduite au local de police qui entraîne l'atteinte la plus grave à la liberté individuelle, c'est donc à ce stade qu'il convient d'assurer le maximum de garanties.
Cette conduite au local de police ne peut avoir lieu :
- qu'en cas de nécessité.
Une fois l'intéressé au local de police, une série de précautions très minutieuses sont prises pour éviter des abus :
- il est présenté à l'officier de police judiciaire sans délai ;
- il peut prévenir sa famille, ou une personne en mesure de fournir des éléments sur son identité ;
- la durée de son maintien est celle "strictement nécessaire à la vérification". Au maximum, elle est de 6 heures à compter de la première interpellation ;
- il peut saisir le Procureur de la République ;
- dès son arrivée, il est averti de son droit.
Article 77 :
- l'officier de police judiciaire mentionne sur un procès-verbal "les raisons du contrôle", "le jour et l'heure de la conduite", "les conditions dans lesquelles il a pu prévenir sa famille", "le jour et l'heure de la fin de la mesure" ;
- l'intéressé signe le procès-verbal ;
- ces mentions sont reportées sur un registre spécial contrôlé périodiquement par le Procureur de la République ;
- aucune prise d'empreinte digitale, aucune photographie ne peut être prise ;
- le contrôle d'identité ne peut être reporté sur aucune mémoire de fichier manuel ou automatisé.
Il est certain que la minutie de cette réglementation entraînera de nombreuses difficultés d'interprétation, il est certain aussi que l'interdiction de prendre des photos ou des empreinte digitales pourra compliquer considérablement la vérification d'identité. De plus, en cas de contestation, il ne sera pas simple du fait qu'il y a ici une interpénétration de la police administrative et de la police judiciaire de déterminer le critère de compétence de l'un et de l'autre des ordres de juridiction.
Les garanties que je viens de vous énoncer permettent de dire que ces prescriptions, si elles sont respectées, sont suffisantes pour que l'on puisse estimer qu'a été faite correctement la conciliation nécessaire entre l'exercice des libertés et la défense de l'ordre public.
Le projet de considérants insiste beaucoup sur ce point et si votre rapporteur ne défend pas avec acharnement ses propositions de texte, il vous indique que cette notion d'équilibre nécessaire a été pesée dans tous les éléments de cette rédaction. Si l'on modifie un passage, il conviendra d'être très attentif à respecter cet équilibre.
Avant d'en terminer sur cette affaire, je vous donne quelques indications de droit comparé intéressants sur la façon dont cet équilibre est apprécié dans les pays du Conseil européen.
Les Français se croient toujours posés à un extrême, soit du bien soit du mal, et, en fait, quand, on examine les choses avec objectivité, on s'aperçoit presque toujours que parmi les Etats du Conseil européen qui sont indiscutablement des Etats civilisés, la France se situe à peu près au milieu. Il en est ainsi en matière de charges et d'égalité des impôts sur le revenu. Il en est ainsi pour le coût des frais d'hospitalisation et pour l'efficacité des soins médicaux. Ici, cette règle se vérifie encore, bien que, peut être, la situation de la France soit plus proche des Etats qui restreignent la liberté que des Etats les plus libéraux. Il conviendra de nuancer. En lisant chacun des télégrammes qui nous sont parvenus de nos ambassade on s'aperçoit que les Etats où la législation est la plus brutale ne l'appliquent pas intégralement alors que ceux où elle est la plus libérale ont une pratique qui n'est pas non plus celle de la loi mais qui n'entraîne pas de difficulté compte tenu du haut degré d'esprit civique de leurs habitants.
Sont plus libéraux dans leur législation que le texte voté en France : la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Canada, la Suisse, la Suède, la Norvège. Le principe législatif dans ces Etats là, est qu'il n'y a pas d'obligation de se soumettre à un contrôle hors des cas de recherches judiciaires.
Sont moins libéraux que la loi nouvelle :
- la République Fédérale Allemande où le titre d'identité est obligatoire ainsi que sa présentation à toute réquisition ;
- l'Italie, où il est obligatoire de décliner son identité à toute requête d'une force de police. La vérification dans un local de police de cette identité peut durer 24 heures. Il y a également obligation de déclarer tout changement de résidence ;
- le Luxembourg où la carte d'identité est obligatoire. Il y a obligation de déférer à la demande. Il y a également obligation de déclarer ses changements d'habitation.
- le Danemark où le système législatif est draconien. Le contrôle d'identité permet une garde à vue de 48 heures, mais en pratique, on ne fait de contrôle d'identité que dans des cas de police judiciaire.
Les Etats-Unis sont dans une situation intermédiaire. Le port d'un document d'identité n'est pas obligatoire et, en vertu du 4ème amendement de la Constitution qui protège les citoyens contre toute atteinte "déraisonnable" à leur liberté, "les autorités de police ne peuvent procéder à une interpellation, un contrôle, une fouille ou une arrestation sans "probable cause" c'est-à-dire sans avoir de bonnes raisons de soupçonner qu'une infraction a été commise ou est sur le point de se commettre.
Il est inquiétant, dans cette affaire que le Pays des droits de l'Homme ne soit pas un pays suffisamment adulte au plan civique
Le Président remercie Monsieur VEDEL de son rapport sur ce point et souligne à quel point les publications que l'on a lues dans la presse ont exagéré les choses en la matière. On a parlé de passeport intérieur qui serait nécessaire pour se déplacer alors qu'il s'agit de dispositions dont les abus sont définis et les garanties bien précisées et qui n'apparaissent pas exagérées compte tenu des difficultés auxquelles il convient de faire face.
Il invite le rapporteur à lire son projet.
Celui-ci est adopté par tous les membres du Conseil. La discussion générale sur les considérants soulignant l'importance de la notion des proportionnalités entre les limitations aux libertés et les intérêts sauvegardés est ouverte, les termes "gêne pas excessives" sont adoptés par tous les membres du Conseil, sauf Monsieur Brouillet qui aurait préféré une autre formule.
Article 79 : modification des pénalités pour ceux qui s'opposent à des mesures d'ordre prises par l'officier de police dan le cas du flagrant délit. Pas de difficulté.
Article 80 : pas de difficulté, alignement du droit local alsacien sur le droit français sur un point particulier.
VI. TITRE III DE LA LOI : PROTECTION DE LA VICTIME.
Article 81 : dispositions relatives à la faillite. Purement techniques. Pas de difficulté.
Article 82 : dispositions de procédure relatives aux intérêts civils. Sans difficulté.
Article 83 : possibilité pour la partie civile de faire comprendre dans les dépens ses frais d'avocat.
Articles 84 et 85 : paiement à la partie civile des indemnités de témoin.
Article 86 : dispositions de procédure civile. Sans difficulté.
Articles 87 et 89 : constitution des parties civiles par lettre recommandée (modification des articles 420 et 460, du Code de procédure pénale).
Les saisines font là, une querelle de basoche. Leurs auteurs prétendent qu'il sera ainsi nui aux droits de la défense. Ceci est parfaitement inexact. La partie civile peut se constituer à l'audience et alors aucune communication n'a eu lieu si elle n'a pas d'avocat, ce qui est fréquemment le cas. De toute façon, quand il y a lettre recommandée, un autre texte du Code prévoit qu'elle est communiquée à l'adversaire. Dans le pire des cas, il connaîtrait les pièces de la partie civile dans les mêmes conditions que
Monsieur VEDEL lit le texte de sa décision sur ce point qui es adopté sans discussion.
Article 88 : nouvelle autorisation à des associations de se porter partie civile. Ce n'est pas inconstitutionnel mais, on peut finir par se demander pourquoi y a t-il des procureurs de la République ?
Article 90 : dispositions parfaitement inutiles, relatives aux circonstances atténuantes. Restent d'une proposition qui traitait de façon différente (plus favorable) le prévenu qui a indemnisé la victime. Cette disposition a été critiquée comme établissant une inégalité selon la fortune de celui qui est poursuivi.
Article 91 : possibilité de comprendre les frais d'avocat dans les dépens de la partie civile.
Articles
Article 92 et 94
Article 92 : Le quatrième alinéa de l'article 515 du code de procédure pénale est remplacé par les dispositions suivantes : "La partie civile ne peut, en cause d'appel, former une demande nouvelle que si elle invoque un motif sérieux justifiant que cette demande n'a pas été présentée en première instance. Elle peut toujours demander une augmentation des dommages-intérets pour le préjudice souffert depuis la décision de première instance".
Article 94 : Il est ajouté, après l'article 520 du code de pro cédure pénale, un article 520-1 ainsi rédigé :
"Art. 520-1 - La personne qui se prétend lésée peut être autorisée par les juges du second degré à se constituer partie civile pour la première fois, en cause d'appel, lorsque son absence en première instance a été justifiée par un motif sérieux".
"En ce cas, la Cour d'appel, avant que ne commencent les débat sur l'action publique, examine la recevabilité de la constitution de la partie civile ; le ministère public et les autres parties sont entendus sur ce point , la cour statue aussitôt sur la recevabilité de l'action civile. Son bien-fondé est apprécié, le cas échéant, dans la même décision que celle statuant sur l'action publique".
La question qui est en cause, ici, n'est pas celle du double degré de juridiction ; mais de l'inégalité du prévenu devant la partie civile. Selon le choix de celle-ci, il bénéficiera, au grè de la partie civile sur les intérêts civils, d'un ou de deux degrés de juridiction. C'est pourquoi, il est proposé de déclarer ces deux articles non conformes. Vous remarquerez que l'article 515 qui permet une augmentation de la demande en appel pour des préjudices réalisés depuis la première instance disait la même chose que l'un des alinéas des articles annulés
Du fait de notre annulation, cet article 515 ne serait pas abrogé et donc resterait. Si nous ne l'expliquons pas, certains pourrons penser qu'il y a une bizarrerie à ce qu'un texte identique à celui annulé subsiste.
Monsieur VEDEL lit les considérants qui sont adoptés par le Conseil.
Articles 95, 96 et 97 : Purs aménagements procéduraux.
Article 98 : une loi de 1977 institue un système collectif d'indemnisations des victimes physiques et nécéssiteuses d'infraitions de violences. Elle prévoit un plafond de ces indemnisations que la Cour de cassation applique par personne concernée. L'article 98 étend cette indemnisation à des dommages non corporels ainsi qu'à de nouvelles infractions (vol, escroquerie abus de confiance) ce qui entraîne de lourdes charges pour l'Etat.
L'article 99 provoqué par le Ministre des finances, refuse cette indemnisation nouvelle aux étrangers sauf accord de réciprocité, à moins qu'ils ne soient titulaires de la carte de résident privilégié. On pourrait s'interroger sur la valité constitutionnelle d'une telle limitation. Si elle a un fondement d'aide sociale, l'indemnisation peut n'être versée qu'aux français, si elle a un fondement indemnisatoire elle doit l'être à tous.
Cette question n'a pas été soulevée dans la saisine l'est certain que les deux fondements coexistent. Il y a bien une idée de faute de la société à ne pas avoir su assurer la sécurité aux plus faibles et, d'autre part, une idée d'indemnisation de ce qui est un risque social, mais c'est une loi d'assistance qui prend en considération les ressources de la victime et, dès lors, la discrimination qui est faite n'est pas choquante.
Article 100 : il en a déjà été parlé au début du rapport. Il s'agit de dispositions relatives à l'application de la loi dans le temps.
L'alinéa premier exclut, pour l'application de la loi nouvelle les faits qui seraient les causes d'aggravation de la répression ayant leur origine dans des infractions commises avant la mise en application de cette loi.
L'alinéa 2 concerne des dispositions plus douces. Elles ne seront pas applicables pour des affaires jugées en dernier ressort et pour lesquelles un pourvoi en cassation est formé ou est encore possible. Le projet propose l'annulation de cet alinéa puisque, si le législateur a estimé une peine anciennement prévut trop lourde, c'est qu'il estime qu'elle n'est pas "évidemment nécessaire". A partir de ce moment, permettre qu'un juge l'applique est contraire à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme.
Monsieur VEDEL souligne que ce moyen n'a pas été soulevé. Il donne lecture de ces considérants qui sont adoptés à l'unanimité .
Le Président demande à présent que l'on revienne sur la partie relative à la procédure correctionnelle qui avait été réservée.
Monsieur VEDEL donne lecture de son projet qui est modifié de façon à rendre plus nets les motifs d'annulation.
Nouveau projet : Considérant cependant que les règles qui viennent d'être rappelées sont insuffisantes, notamment au regard des personnes détenues, pour assurer, en ce qui concerne l'exercice des droits de la défense, l'égalité devant la justice ;
Considérant en effet que les preuves à l'encontre des personnes faisant l’objet d'une information confiée à un juge d'instruction sont rassemblées par ce magistrat ou sur sa commission rogatoire ; qu'il appartient également au juge d'instruction de procéder ou de faire procéder à toutes vérifications ou recherches utiles concernant les contestations et allégations émanant de la défense ;
Considérant qu'au contraire, s'agissant de personne qui feraient l'objet de l'une des procédures de saisine directe envisagée par les dispositions critiquées, les preuves à leur encontre seraient rassemblées par la police agissant en dehors de toute commission rogatoire ; qu'en outre, c'est à cette personne, abandonnée à ses propres moyens, qu'il appartiendrait en dépit de sa détention, de réunir et d'établir, sans aucun concours d'un magistrat du siège, les éléments de fait utiles à sa défense ;
Considérant que cette inégalité de traitement entre deux catégories de justiciables ne trouverait pas son fondement dans une différence objective entre les situations respectives de l'une et de l'autre ; qu'elle procéderait seulement de l'appréciation discrétionnaire, soustraire à toute contestation et à tout recours, que le procureur de la République porterait sur l'utilité d'employer, dans l'intérêt de la poursuite telle ou telle des procédures de saisine mises à sa disposition ;
Considérant, dès lors, que les articles 47 à 52 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel et dont les dispositions ne sont pas séparables les unes des autres, doivent être déclarés non conformes à la Constitution.
Le Président indique qu'actuellement 40,000 personnes sont dtenues dont 45% à titre provisoire, la plupart peut-on dire en raison des lenteurs de l'instruction.
De plus, depuis l'Empire, le Procureur de la République a le choix du mode de poursuite. Des garanties sont offertes au nouveau texte par la désignation d'un avocat, la définition des conditions de détention et les voies de recours. La durée de la détention est actuellement, en détention provisoire,de 4 à 6 moi
Monsieur VEDEL répond que ces commissions rogatoires ne sont possibles dans la saisine directe que s'il y a supplément d'informations. Il subsiste un problème essentiel, c'est qu'au même moment de la procédure, deux régimes différents pour la défense des prévenus sont applicables. Qu'il y ait ou non un juge d'instruction à ce moment ne dépendra pas de situations
Monsieur MONNERVILLE dit que tout cela est bien théorique.
Monsieur SEGALAT continue, il voit à cette solution un autre obstacle, c'est d'empêcher toute réforme et de faire dans la matière de l'immobilisme un principe constitutionnel. Il ajoute d'ailleurs, que s'il y avait un renvoi possible au juge d'instruction cela ne modifierait en rien son raisonnement.
Monsieur VEDEL dit qu'il est exact qu'hier il supputait les effets de la réforme et les critiques de Monsieur SEGALAT avaient alors toute leur pertinence. Aujourd'hui, c'est Monsieur SEGALAT qui tombe dans ce travers. Le tribunal fera ou ne fera pas ce que dit Monsieur SEGALAT, il n'en reste pas moins qu'en raison des textes eux-mêmes, deux prévenus viendront à l'audience l'un après contrôle de la commission rogatoire par le juge d'instruction, après confrontation, et l'autre simplement avec des éléments de police. A cette phase décisive, l'un aura pu apporter la preuve des faits invoqués par la défense l'autre pas. Tous les palliatifs à posteriori que l'on voudra ne changeront pas qu'il y aura eu à ce moment décisif inégalité entre eux. La réforme a greffé sur l'ancien système un rameau d'une nature toute différente .
Monsieur SEGALAT : ce qui est fondamental c'est la phase du j ugement.
Monsieur VEDEL : c'est ce qui l'a préparé.
Monsieur MONNERVILLE : l'avocat qui sera désigné dans la saisine directe, c'est l'avocat d'office c'est-à-dire le jeune avocat souvent inexpérimenté. Il sera compétent pour plaider, cela c'est son métier qu'il a déjà appris, mais pas pour "instruire" en faveur de son prévenu en détention. Ce défaut avait déjà été constaté en matière de flagrants délits, ici, il sera encore aggravé.
Monsieur LECOURT est passé depuis hier par des opinions bien différentes. Il était à l'origine orienté vers la censure, compte tenu de l'inégalité réalisée par une appréciation discrétionnaire du Procureur de la République. Depuis lors, il est resté hésitant. En comparant ce que nous avons maintenant et ce que nous aurions par le nouveau texte, il constate qu'à un texte critiquable ce qu'il faut opposé c'est la procédure de flagrands délits. Très critiquée pour ces fournées de prévenus arrêtés la veille, entassés dans des box et dont il apparait qu'ils ne bénéficient pas de toutes les garanties.
Monsieur LECOURT doute beaucoup que le Conseil aurait approuvé l'institution de la procédure de flagrant délit. Que disons nous de la loi nouvelle ? Il y a inégalité. Celle-ci existe déjà et le détenu en flagrant délit se présente moins bien devant le tribunal que celui qui est détenu par un juge d'instruction.
On pourrait dire aussi que pour les prévenus libres, la procédure consiste en un dossier établi par la police et le juge d'instruction. Pour les détenus, la nouvelle procédure marque un progrès pour la plupart d'entre eux c'est-à-dire tous ceux qui actuellement passent en flagrant délit, ne serait ce que par la fin quasi-automatique de la détention provisoire (4 jour 2 mois). L'argument du rapporteur ne porte que sur les détenus de la saisine directe qui ne sont pas ceux qui passent actuellement en flagrant délit. Ce n'est pas la majorité et il semble bien que nous sommes en train de poser comme une certitude que le tribunal ne remplira pas son rôle. Si les justifications du procureur ne sont pas suffisantes, il doit ordonner le supplé- ment d'information. C'est là, le moyen pour le tribunal qui en a le devoir,de rétablir cet équilibre. Annuler ce texte serait mettre en doute l'impartialité du tribunal. Mais on peut dire que le tribunal désigne l'un de ses membres pour le supplément d'informâtions et que la surcharge qui était au niveau des juges d'instruction existera au niveau du tribunal correctionnel. Tout le monde est bien d'accord pour dire qu'il faudra créer des postes. Le problème reste le même, simplement c'est auprès du tribunal qu'il faudra les créer.
Notons aussi qu'après l'instruction, il y a une sorte de présomption de fait de culpabilité contre celui qui a été renvoyé avec des charges suffisantes et en position de détention. A cet égard, les conditions de présomtion de cet autre ancien détenu qui aura bénéficié du supplément d'information seront moins lourdes. Le magistrat qui y aura procédé ne se sera pas prononcé sur l'existence de charges suffisantes.
Ce sont ces éléments de comparaison qui finalement conduisent Monsieur Lecourt à considérer ce texte comme valable. Un progrès est possible par cette institution de procédure accusatoire même si elle est greffée sur un système inquisitorial. Refuser ce texte est consolider la procédure en vigueur car, après de tels échecs, on voit mal comment le législateur pourrait le modifier.
Monsieur JOXE ne voit pas très bien en quoi sera indifférent le choix du Procureur de la République qui n'apparait ici guidé par aucune règle objective.
Monsieur VEDEL se demande s'il est nécessaire, au prétexte que la procédure de flagrant délit est défectueuse, d'appliquer ce système à tout le monde. Les juges qui auront à statuer seront-ils aussi disposés qu'on le pense à préserver la présomption d'innocence, dans des audiences chargées ou des dossiers qui seront constitués de rapports de police et où les témoins n'auront pas prêté serment. La police à présent peut contrôler l'identité des gens, garder des suspects à vue, cela oui mais affirmer que tout cela équivaut à la procédure faite par un bon juge d'instruction, cela non. La vérification des mécanismes, c'est en vérité le fond de notre rôle. Le Parquet, comme on le sait, reçoit des ordres du Gouvernement pour choisir sa procédure. On aurait tort de penser que c'est toujours innocent. Le rôle du Conseil constitutionnel ne paraît pas être de donner sa bénédiction à tout cela. La procédure est inégalitaire, discrétionnaire et inefficace ou dangereuse puisqu'elle aboutirait à la généralisation des flagrants délits. Montrer de la compréhension devant un tel texte serait faire preuve de faiblesse coupable.
Le Président estime que dans la saisine directe, la limitation à deux mois de la détention provisoire est un incontestable progrès.
Monsieur BROUILLET constate qu'aujourd'hui comme hier, des considérations de fait, d'opportunité et aussi de droit ont été données dans la discussion. Il ne méconnaît pas que la nouvelle procédure comporte un progrès relatif mais ce n'est pas la question, nous devons nous déterminer seulement sur des considérations de droit. Si le texte qui nous est soumis, même en étant meilleur que l'ancien, apparaît enfreindre la règle constitutionnelle, Il nous faut l'annuler, dès lors, qu'il n'est pa
Chacun ayant pu exprimer et développer son opinion, le Présiden
Opinent pour la non conformité à la Constitution des articles 47 à 52, Messieurs VEDEL, BROUILLET, MONNERVILLE, pour la conformité Monsieur le Président, Messieurs SEGALAT, PERETTI et LECOURT. Monsieur JOXE d'abstient.
Une suspension a lieu pour la rédaction d'un nouveau texte. Le texte de conformité des articles 47 à 52 est lu par Monsieur VEDEL et adopté par le Conseil.
L'ensemble du texte de la décision est relu et approuvé par le Conseil et la séance est levée à 21 h 30.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.