SEANCE DU LUNDI 9 MARS 1981
Le conseil constitutionnel se réunit en présence de tous ces membres.
Avant d'aborder l'ordre du jour de la séance, le Président indique aux membres du Conseil qu'un grand nombre de formulaires de présentation sont déjà parvenus au secrétariat général malgré les indications nombreuses et précises qui avaient pu être données sur les dates de leur dépôt.
Monsieur VEDEL répond que le texte du décret de 1964 modifié,est précis et qu'il ne permet le dépôt des formulaires qu'à compter de la publication du décret de convocation des électeurs.
Monsieur PERETTI estime que, compte tenu de la nouvelle législation, qui exige à présent 500 présentateurs, cette application rigoureuse pourrait peut-être sembler excessive dans sa sévérité et il se demande s'il n'y a pas moyen dans le cas présent d'assouplir la façon dont la règle est interprétée. Faute d'une telle pratique, il est à craindre, que des candidats qui n'appartiennent pas aux grands partis soient dans l'impossibilité de se présenter à l'élection alors que pourtant, plus de 500 élus remplissant les conditions exigées pour exercer le droit de présentation auraient signé et déposé au Conseil un formulaire en leur faveur. Il se demande s'il ne serait pas possible pour tenir compte de ce cas, de conserver les formulaires jusqu'à la date officielle du début des dépôts.
Monsieur GROS estime qu'il convient simplement d'appliquer la loi, mais il remarque que celle-ci ne pose pas d'autres conditions que celle relatives à la date ultime des dépôts. La date de départ étant dans un simple décret qui ajoute aux exigences de la loi elle-même.
Monsieur VEDEL dit qu'effectivement la loi organique prévoit simplement que les présentations doivent avoir lieu dix huit jours, au moins, avant la date du scrutin. Si le décret a précisé une date pour le départ de ces dépôts, il n'a nullement précisé que cette exigence était prescrite à peine de nullité.
Monsieur SEGALAT pense que le dépôt prématuré est irrégulier mais que le souci du Conseil doit être pourtant de protéger au maximum la liberté des candidatures et qu'il serait regrettable qu'il prenne une interprétation stricte qui pourrait nuire aux petits candidats. Il estime que, de toute façon, le Conseil n'a que deux choix. Soit de geler le courrier arrivé prématurément à ce sujet, soit d'annuler les actes de présentation prématurée. Si le Conseil décide de prendre une interprétation douce de la loi, il n'apparait, en tout cas, pas possible d'ouvrir ce courrier à l'avance.
Monsieur Ségalat, pour sa part, déclare qu'il serait en faveur du gel.
Monsieur MONNERVILLE demande comment on pourrait distinguer ce courrier du courrier ordinaire. Il lui est répondu qu'il parvient au Conseil sous des enveloppes spéciales.
Monsieur BROUILLET se rallie à ce qu'a dit Monsieur Ségalat, estimant que le vice de prématurité est très mineur par rapport aux objections de fond qui pourraient être faites.
Monsieur JOXE estime aussi qu'il ne s'agit là que d'une mesure conservatoire, mais qu'il ne faut pas, dès à présent, ouvrir ce courrier.
Monsieur GROS n'a pas d'objection à la solution du gel.
Monsieur MONNERVILLE estime qu'effectivement, il ne s'agit pas, pour le point de départ, d'une nullité qui serait substantielle et la solution proposée parait amplement justifiée par le souci de ne pas écarter les petits candidats mal équipés pour recueillir des formulaires. Cette solution permettra au Conseil, à la fin du délai de présentation, étant alors parfaitement éclairé sur les implications de la question, de prendre sa décision.
Le Président fait remarquer que la solution de gel préconisée n'apparait pas parfaitement conforme au texte et qu'au surplus elle se heurtera à une difficulté pratique dans le cas où le formulaire sera déposé par porteur demandant un reçu ou plus encore dans le cas où certains présentateurs expédieront leurs formulaires par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception, lequel accusé de réception portera nécessairement la date d'arrivée au Conseil. D'autre part, il est possible que les présentations prématurées correspondent, ou bien à une erreur de l'élu qui l'a envoyé, ou bien à une volonté précise de celui-ci de faire parvenir ce formulaire dans des conditions irrégulières, pensant qu'il ne sera pas déclaré valable par le Conseil constitutionnel, et, dans ce but, de ne pas prendre parti et d'éconduire aisément un candidat qui viendrait lui demander de faire acte de présentation pour lui en lui répondant qu'il ne lui est plus possible de le faire puisqu'il a déjà exercé son droit de présentation et qu'il ne peut le faire qu'une seule fois. Il convient d'avoir toutes ces difficultés présentes à l'esprit avant de se déterminer sur la solution à prendre.
Monsieur VEDEL pense qu'une solution est possible qui parait devoir donner satisfaction au désir du Conseil et qui ne parait encourir aucune critique. Elle consisterait simplement à ouvrir ce courrier dès à présent et à retourner les formulaires parvenus prématurément avec l'indication des dates auxquelles ils doivent être déposés au Conseil pour répondre aux exigences des textes en vigueur.
Monsieur PERETTI pense que cette solution est bien meilleure que celle qu'il avait d'abord proposée. Elle répond au même souci, mais elle y répond dans des conditions qui paraissent, cette fois-ci, ne pas pouvoir être discutées.
Monsieur VEDEL ajoute qu'il y a un danger à faire une brèche dans le tissu de la régularité juridique car les conditions d'exécution de la loi organique posées par le décret sont nombreuses et on ne voit pas comment on pourrait, de façon non discutable, déclarer que certaines sont substantielles et d'autres ne le sont pas, spécialement dans un sujet qui ne peut que soulever les passions. Si le Conseil doit être souple, il ne saurait s'affranchir des textes. C'est une voie qui ne devrait pas être la sienne.
Le President se déclare convaincu par ce que disent MM. PERETTI et VEDEL. Il estime que de toute façon, il serait préférable que le Conseil réfléchisse encore à cette question et ne prenne sa décision que dans sa séance de l'après-midi. A ce moment d'ailleurs un texte de circulaire qui pourrait être joint au retour des formulaires prématurés pourra lui être soumis et ainsi le Conseil disposera d'un ensemble d'éléments plus précis pour se décider. De toute façon, si la solution proposée dans le souci de protéger les petits candidats semble pour l'instant recueillir un agrément au sein du Conseil, le Président tient à rappeler que la législation, qui est exigeant, a eu pour but d'éviter des candidatures qui ne correspondent pas à un courant d'opinion suffisant pour que l'on puisse considérer qu'elle éclaire valablement les citoyens lors de la campagne électorale. Il souligne que la solution de rigueur qui consisterait à déclarer nuis ces formulaires était celle qui avait été retenue sous l'empire d'une législation moins exigeante lors des précédentes consultations et que pour sa part, elle lui apparait très conforme à l'application des textes.
Le Président indique alors l'ordre du jour qui avait été prévu pour la séance et qui est le suivant :
I. Appréciation, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique des dispositions du 2ème alinéa de l'article 1er du décret n° 55-876 du 30 juin 1955 relatif aux sociétés de développement régional tel qu'il résulte de l'article 7 de la loi de finances rectificative pour 1960 du 13 avril 1960.
Rapporteur : M. Louis JOXE
II. Examen de la requête de Monsieur Raoul, Georges NICOLO demandant au Conseil constitutionnel de prendre diverses mesures pour établir l'égalité des chances entre tous les candidats avant le dépôt des candidatures et éventuellement de reporter l'élection jusqu'à l'obtention de ce résultat.
Rapporteur : M. Louis GROS
Le Président donne la parole à Monsieur Louis JOXE qui sur la première affaire présente le rapport ci-après :
I. LA SAISINE et la COMPETENCE
Le conseil a été saisi le 9 février 1981 de la nature juridique des dispositions du 2ème alinéa de l'article 1er du décret du 30 juin 1955 relatif aux sociétés de développement régional.
Ce décret est, en fait, un décret-loi puisqu'il a été pris en application d'une loi de pleins pouvoirs. Ce texte législatif est antérieur à la Constitution, mais la compétence du Conseil ne fait aucun doute puisque après que l'alinéa dont nous sommes saisis ait été ajouté au texte de 1955 par la loi de finances du 19 décembre 1956 (loi de finances pour 1957), il a été modifié, postérieurement à la Constitution, par une loi du 13 avril 1960, article 7 (loi de finances rectificative pour 1960).
Le Conseil est, en fait, saisi d'un texte qui résulte d'une loi de 1960.
I. PRINCIPES ET EVOLUTION des S.D.R.
Depuis leur création en 1955, les sociétés de développement régional ont considérablement évolué. Au départ, compétentes en matière de politique de régionalisation en liaison avec les divers organismes régionaux, elle ne peuvent que promouvoir le développement de régions défavorisées au regard de l'emploi ou de l'industrialisation par la prise de participation de capital dans des sociétés industrielles. En dehors de la région parisienne, on compte alors une quinzaine de ces sociétés de développement régional.
Les conditions dans lesquelles ces sociétés exercent leur activité sont très précises :
- elles doivent avoir un capital minimum de 250 millions de francs entièrement versé ;
- elles ne peuvent l'engager que pour un maximum de 25 % dans une même entreprise, leur participation ne devant pas dépasser 35 % du capital de ladite entreprise ;
- elles doivent surtout avoir passé une convention avec le Ministre des finances aux termes de laquelle un commissaire du Gouvernement est nommé auprès d'elles. Ce commissaire du Gouvernement assiste à toutes les réunions des comités ou des organes dirigeants. Il reçoit communication de tous les documents et il a un droit de veto sur tous les actes de la société .
En contre partie de ces obligations, elles reçoivent divers avantages :
- elles sont exonérées de l'impôt sur les sociétés pour les bénéfices provenant des participations en capital ;
- les produits des emprunts contractés par elles ne sont pas soumis à la taxe proportionnelle ;
- le Ministre des finances, par convention, garantit un minimum de rémunération aux actionnaires puisqu'il assure un dividende minimum au actions.
En outre, un avantage très important est également conféré à ces sociétés par le fait que c'est par elles, ainsi que par le crédit agricole ou par le crédit aux petites et moyennes entreprises que l'Etat va faire transiter les prêts auxquels il accorde des bonifications d'intérêts.
En 1956, la loi de finances permet aux S.D.R., en même temps qu'elles prendront une participation dans une entreprise industrielle de consentir des prêts à 5 ans ou plus et de se porter garant d'emprunts contractés par ladite société industrielle pour une période de 5 ans ou plus.
Ces compétences sont légèrement assouplies par la loi de finances rectificative de 1960 qui autorisera ces activités de prêts ou de garanties aux emprunts au profit des sociétés dans lesquelles les S.D.R. ont vocation à prendre une participation en capital mais en n'exigeant plus que ces prêts ou garanties d'emprunt soient liés à une prise de participation.
Actuellement, à nouveau, le Gouvernement désire étendre les activités des S.D.R. et cette fois-ci, il désire leur permettre d'accorder des prêts ou des garanties d'emprunts au profit de bénéficiaires plus largement entendus, soit non seulement de sociétés industrielles mais aussi d'entreprises, quelle que soit leur forme juridique, et de collectivités locales. Il désirerait que les capitaux investis par les S.D.R. doublent dans un délai très bref comme cela avait déjà été le cas dans les annnées 1970/1972. C'est à cette fin, qu'en novembre 1980, à l'occasion d'un projet relatif à diverses dispositions d'ordre économique et financier, le Ministre des finances a voulu inclure cette réforme dans le texte qui allait être soumis au Parlement. Or, le Conseil d'Etat, quand ce projet a été soumis à sa commission permanente, a estimé que la matière était de nature réglementaire. Le texte qu'il s'agissait de modifier étant postérieur à la Constitution puisqu'il résulte de la loi de finances pour 1960, il est nécessaire pour qu'il puisse être modifié par décret que le Conseil déclare qu'il est effectivement de nature réglementaire.
Telle est l'origine de notre saisine.
III. NATURE JURIDIQUE DES DISPOSITIONS SOUMISES AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Rappelons que ces dispositions sont celles de l'alinéa 2 de l'article 1er du décret-loi de 1955 qui donne aux sociétés de développement régional la possibilité de faire des prêts ou de donner leur garantie à des emprunts. La nature juridique de ces dispositions sera appréciée au regard de trois alinéas de l'article 34 de la Constitution. Tout d'abord, de celui selon lequel la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques - la liberté ici en cause est celle du commerce -, celui selon lequel elle détermine les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures, enfin celui qui indique que la loi détermine les principes fondamentaux ... des obligations civiles et commerciales.
Nous commencerons par examiner, les dispositions dont il s'agit au regard, à la fois, de la liberté du commerce et de l'industrie et des principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales.
Le texte sur les sociétés de développement régional n'interdit à aucune sociétés ou à aucune personne privée de participer au financement d'entreprises en vue du développement régional. Il n'interdit à aucune personne physique ou morale de consentir des prêts ou de donner sa garantie aux emprunts des sociétés industrielles de régions dont le développement économique est insuffisant.
Simplement, il prévoit, dans le but de susciter de telles opérations, un certain nombre d'avantages pour les sociétés anonymes françaises qui limiteront leur activité à ces opérations. Si elles limitent leur activité et remplissent diverses conditions (capital minimum entièrement versé, convention avec l'Etat aux termes de laquelle un commissaire du Gouvernement est placé auprès de ces sociétés), elles obtiennent des exonérations fiscales portant sur le résultat de leurs participations en capital et elles peuvent bénéficier d'une garantie par l'Etat d'un dividende minimum. (En fait cette dernière disposition ne donne plus lieu à aucune application depuis 1972).
Par ce système d'incitation, le législateur entend, d'une part, susciter les actions de financement dans certaines régions et dans certains secteurs frappés de sous emploi ou de développement économique insuffisant. En même temps, par la spécialisation des sociétés sur lesquelles la présence du commissaire du Gouvernement lui donne un moyen de contrôle, il entend confier à des organismes offrant toute sécurité ce rôle incitatif. Il a d'ailleurs un moyen d'action très efficace supplémentaire, c'est de faire transiter par lesdites sociétés les prêts qui bénéficient de bonifications de l'Etat.
A première vue, la limitation d'activité imposée aux sociétés de développement régional peut apparaître comme portant atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et comme dérogeant à un principe fondamental des obligations civiles et commerciales - celui de la liberté de contracter. Une telle analyse oublie que la liberté de contracter est entière en ce qui concerne l'ensemble des personnes physiques et morales, dès lors que la liberté de pratiquer ces aides au financement existe pour tous. Si les sociétés par actions qui se constituent en sociétés de développement régional limitent volontairement leur sphère d'activités et trouvent en contrepartie de cette obligation qu'elles s'imposent les avantages que l'on vient de rappeler ci-dessus, elle le font volontairement. C'est donc par un acte librement consenti et non pas une obligation que leur serait imposée qu'elles se limitent aux contrats énumérés par le texte. Dans ces conditions, il semble que l'on puisse dire que la définition des actes qu'elles peuvent ou qu'elles ne peuvent pas accomplir n'est pas du domaine de la loi mais de celui du réglement, une telle limitation ne touchant ni à la liberté du commerce, ni aux principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales.
Au regard des compétences de la loi en matière d'impositions, il convient de noter que les sociétés de développement régional bénéficient d'exonérations fiscales. Celles-ci sont énoncées aux articles 2 et 3 du décret-loi.
Eliminons tout de suite l'article 3 puisqu'il prévoit une exonération de la taxe proportionnelle sur les produits des emprunts contractés par les sociétés de développement régional.
La taxe proportionnelle dont il s'agit était un élément additionnel à l'impôt sur les personnes physiques. Il a, depuis lors, été supprimé. Aucune exonération n'a été posée par un texte subséquent pour la remplacer. Donc actuellement, il ne s'applique à rien, l'article 3 est caduc. Reste donc seule l'exonération de l'article 2, 1er alinéa. Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 2 qui seul demeure, les sociétés de développement régional sont exonérées de l'impôt sur les sociétés pour la partie de leurs bénéfices "provenant des produits nets de leur portefeuille ou des plus-values qu'elles réalisent sur la vente des titres ou parts sociales faisant partie de ce portefeuille", c'est-à-dire en ce qui concerne les bénéfices qui proviennent de leurs prises de participation en capital dans des entreprises.
Nous voyons donc qu'en ce qui concerne les opérations de prêts ou de garanties à des emprunts, les sociétés de développement régional ne bénéficient d'aucune exonération fiscale.
Le seul avantage qu'elles peuvent avoir dans ces opérations, au regard du droit commun, est que l'Etat qui les contrôle par le Commissaire du Gouvernement, fera transiter par elles les prêts assortis d'une bonification. Cet avantage n'est pas de nature fiscale et n'est pas concerné par les dispositions de l'article 34 réservant à la loi de définir les règles en matière d'imposition. Les crédits nécessaires à la bonification des intérêts sont chaque année votés dans la loi de finances et utilisés par le Ministre des finances dans le cadre du texte de 1955.
Au terme de cette analyse nous voyons donc que l'exonération fiscale dont bénéficient les sociétés de développement régional n'est pas en rapport direct avec les opérations de prêt et de cautionnement visées par l'alinéa 2, de l'article 1er, dont la nature juridique est soumise à votre appréciation.
Les exonérations portent exclusivement sur les opérations de participation en capital. Le rapport entre ces exonérations et les autres opérations dont il s'agit est extrêmement lointain. Certes, il est exigé de ces sociétés, pour qu'elles bénéficient des exonérations en matière de participation en capital, qu'elles aient une activité limitée. Ce qui est essentiel, c'est que les sociétés de développement régional puissent bénéficier de l'exonération si elles limitent leur activité à un certain domaine d'action ; mais le fait que ce domaine soit défini précisément, d'une façon plus ou moins large, n'apparaît que comme une modalité de la mise en oeuvre de ce principe de limitation. En effet, hors du cas de la prise de participation en capital, les activités annexes qui leur sont permises ne donnent en elles-mêmes droit à aucune exonération.
Telles sont les raisons pour lesquelles il semble que les dispositions dont vous avez à apprécier la nature juridique ne touchent à aucun des principes fondamentaux ou règles que l'article 34 de la Constitution a réservé à la compétence du législateur.
C'est pourquoi, le projet qui vous est proposé conclut que ces dispositions sont de nature règlementaire.
Personne n'a demandé à intervenir dans la discussion générale, Monsieur JOXE est alors invité à donner lecture de son projet lequel est adopté à l'unanimité tel qu'il est joint au présent procès-verbal.
La séance est levée à 13 heures. Elle est reprise à 15 heures.
Le Président donne alors la parole à Monsieur GROS qui, sur le recours de Monsieur NICOLO, présente le rapport ci-après :
Monsieur Raoul, Georges NICOLO se présentant comme candidat à la candidature de l'élection présidentielle sous l'étiquette "patriote du progrès" a adressé une requête à Monsieur le Président et à Messieurs les membres du Conseil constitutionnel. Il cite tout d'abord un certain nombre de textes sous le titre "législation" qui sont : le Préambule de la Constitution, celui de celle de 1946, la déclaration des droits de l'Homme de 1789, l'article 3 de la Constitution relatif à l'égalité du suffrage, la loi du 6 novembre 1962, le décret de 1964, le décret de 1965 pour les Départements d'outre- mer (dont il semble ignorer qu'il est abrogé et remplacé par un texte récent, et l'article 58 de la Constitution.
Il expose ensuite des faits qui, à son sens, constituent des irrégularités, une lettre du secrétaire d'Etat aux postes et télécommunications, une lettre qu'il a adressé au Conseil au sujet de la disparition de son courrier, plus généralement, les "conditions de préparation de la pré-campagne par la presse, et le penchant de celle-ci à vouloir privilégier certains candidats et leurs partisans aux dépens des autres", des lettres qui lui ont été adressées par Radio-France à la suite des réclamations qu'il avait faites pour apparaitre sur l'écran, les consignes données par les grandes formations politiques à leurs élus les invitant à ne parrainer aucun candidat qui ne soit pas le leur, les consignes des directeurs de certains organes de presse écrite tendant à censurer tout article concernant M. NICOLO, enfin, la campagne tapageuse de la presse à l'encontre des guadeloupéens à propos d'attentats hypothétiques ainsi que des pressions exercées sur M. NICOLO par l'exécutif pour "obtenir sa collaboration au sujet de ces attentats".
Monsieur NICOLO prétend, en fait, que le Ministre de l'intérieur l'aurait fait interroger au sujet de ces attentats par deux fonctionnaires de ses services pour lui faire prendre parti sur ces attentats, dans le but, évident, de le déconsidérer en utilisant contre lui, soit auprès des métropolitains, soit auprès des guadeloupéens, les réponses qu'il aurait pu donner. Monsieur NICOLO avait d'ailleurs écrit au Ministre de l'intérieur à ce sujet et ce dernier lui avait répondu que les deux personnes citées par M. NICOLO comme étant venues l'interroger étaient inconnues au Ministère de l'intérieur.
Après avoir cité ces textes et ces faits, M. NICOLO explique en quoi ils sont contraires à des principes constitutionnels (égalité, interdiction des discriminations racistes, liberté individuelle et liberté collective, liberté d'opinion etc...) et il conclut : "par ces motifs et tous autres supplémentaires, le soussigné demande au Conseil constitutionnel de :
1°) prononcer ,l'annulation de toutes dispositions susmentionnées comme étant contraires à l'esprit et à la lettre de la Constitution, et de rétablir la légalité ;
2°) prendre toutes les dispositions pour inviter la presse à respecter les règles démocratiques et républicaines de l'égalité pour tous les candidats ;
3°) décider que le début du temps de parole est la date de déclaration d'intention à la candidature et que sa durée pour tous les candidats censurés par la presse publique, est égale à celle du candidat (sic) ayant bénéficié du temps maximal de parole pendant la période considérée ;
4°) décider que le presse parlée et écrite privée doit avoir, pour les candidats censurés par elle, les mêmes égards que ceux accordés à leurs protégés, sauf forfait du candidat concerné ;
5°) décider enfin, que dans le cas où, avant la date et les conditions prévues pour la date des candidatures, le Conseil constitutionnel se trouverait dans l'impossibilité de rétablir l'équilibre entre tous les candidats, le report pur et simple de l'élection présidentielle en vue de cette égalité doit intervenir de plein droit conformément à la loi ".
Voici donc la requête dont vous êtes saisis à laquelle est joint un certain nombre de lettres (lettre du 12 janvier 1981 au secrétaire d'Etat au P.T.T., lettre transmettant au Président du Conseil constitutionnel copie de la lettre précédente, lettre du 15 janvier 1981 de Radio-France et lettre du 4 février 1981 également de Radio-France texte où il est assez maladroitement répondu à M. NICOLO qui demandait à être invité aux émissions en tant que candidat : "Nous avons invité à nos émissions des candidats à l'élection présidentielle. Ils étaient hommes politiques, notoires, voire chefs de parti. Force nous est de constater que vous n'êtes ni l'un ni l'autre et que, par conséquent, votre représentativité est aléatoire (sic).
Toutefois, soyez persuadé que dès que votre candidature aura été enregistrée dans les conditions prévues par la loi, nous nous ferons un devoir et un plaisir de vous prier de vous exprimer...".
Enfin, parmi les pièces jointes nous avons la correspondance échangée avec le Ministre de l'intérieur et la copie, de la main de Monsieur NICOLO, d'un article d'un journaliste dont il ne cite pas le nom, article élogieux pour M. NICOLO,refusé par un quotidien national ; lequel ? M. NICOLO ne ledit pas.
Le Conseil apparemment est en présence d'un de ces personnages pittoresques à qui la période électorale donne l'occasion de faire parler de lui. Il n'apparaît pourtant pas possible de lui répondre par une simple lettre, il ne manquerait pas de rendre publique une telle réponse et de se plaindre que le Conseil qu'il avait saisi n'a pas répondu sur sa compétence. Il convient donc d'être attentif à la forme que revêtira notre réponse et votre rapporteur vous propose de répondre à la requête par une décision motivée.
Tout d'abord, se pose un problème de recevabilité en ce qui concerne, d'une part, la qualité du demandeur et, d'autre part, l'objet même de la requête.
Notons que M. NICOLO demande le report de l'élection, point sur lequel le Conseil tient une compétence de l'article 7 et, d'autre part, il invoque l'article 50 de la Constitution qui donne au Conseil une compétence générale pour veiller à la régularité de l'élection et statuer sur les réclamations. L'article 7 de la Constitution prévoit que le Conseil peut reporter l'élection mais dans un cas précis. - C'est d'ailleurs, le seul cas où un candidat à la candidature peut être la source d'un droit, en tant que tel. - C'est dans le cas où ce candidat est mort ou empêché dans les 7 jours précédant la date limite du dépôt des présentations. Le souci du législateur avait été qu'un évènement fortuit de dernière heure n'empêche pas un grand parti de présenter un candidat à l'élection présidentielle. C'est pourquoi, d'ailleurs, le report,dans ce cas, n'est pas automatique mais est laissé à l'appréciation du Conseil. C'est une compétence très difficile à exercer et je souhaite que le Conseil ne soit jamais saisi de ce cas.
En ce qui concerne M. NICOLO, il est apparemment bien vivant, il ne prétend pas être gravement malade et il nous saisit bien avant les conditions de date prévue par l'article 7. Il n'entre donc certainement pas dans le cas dont il s'agit. Il n'est, sans doute, pas nécessaire ici pour lui répondre de faire la théorie des compétences du Conseil, question qu'il serait fort imprudent de traiter à partir d'une requête aussi mince.
En ce qui concerne les compétences que le Conseil tient de l'article 58, il suffit de répondre que le Conseil n'est pas compétent sur les quatre premiers chefs de conclusions. En ce qui concerne le cinquième, le projet indique simplement que nous ne sommes pas dans le cas de report prévu par l'article 7.
La discussion générale étant ouverte, Monsieur VEDEL rappelle que lors de la réponse à la requête de M. KRIVINE, la décision avait été plus courte, plus concise et qu'il semble qu'une telle rédaction avait un effet plus dissuasif que celle qui discute davantage les arguments du requérant.
Le risque, en effet, de la rédaction proposée est de pousser un certain nombre de citoyens à faire un contentieux, bien davantage que s'il est répondu par des formules brèves quand bien même, le Conseil ne désire pas employer le mot d'irrecevabilité.
Monsieur GROS répond que la question posée ici n'est pas la même et qu'il a d'ailleurs séparé les considérants relatifs aux quatre premiers chefs de conclusions de celui demandant le report de l'élection car, dans certains cas, le Conseil tient une compétence pour reporter l'élection afin d'assurer l'égalité entre les candidats.
Monsieur MONNERVILLE estime que les mots : "candidat à la candidature" n'ont aucun sens juridique. Il ne s'agit pas là, d'une qualité qui permettrait de saisir le Conseil ou d'avoir tel ou tel privilège aux fins de rétablir l'égalité entre eux.
Après quelques discussions, le Conseil unanime estime qu'il faut revenir à une formulation aussi brève que possible semblable à celle de la réponse faite à M. KRIVINE et Monsieur GROS accepte de modifier la décision dans ce sens. La décision est adoptée à l'unanimité, telle qu'elle est jointe au présent procès-verbal.
Le Président donne alors lecture du texte de la circulaire qui serait jointe aux présentations prématurées dans le cas où elles seraient retournées à leurs auteurs et le Conseil estime que c'est la solution qu'il convient d'adopter.
Votent en ce sens : le Président, Messieurs Monnerville, Joxe, Lecourt, Brouillet, Vedel et Peretti.
S'abstiennent : Messieurs Gros et Ségalat.
L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à 17 heures.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.