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PV1981-03-19

Tom OSTROGORSKI

SEANCE DU JEUDI 19 MARS 1981

Le Conseil se réunit à 11 heures, tous les membres étant présents.

Le Président rappelle l'ordre du jour qui est le suivant :

- Examen, en application des dispositions de l'article 3—III de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 et de l'article 46 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, d'un projet de décret relatif à la composition et au siège de la Commission nationale de contrôle instituée par le décret n° 64-231 du

14 mars 1964.

- Examen d'une requête relative à l'organisation de l'élection

du Président de la République, présentée par M. Joseph RENNEMANN.

Rapporteur : Monsieur Georges VEDEL

- Désignation des délégués du Conseil constitutionnel chargés de suivre sur place les opérations de l'élection du Président de la République.

-oOo-

I. CONSULTATION DU CONSEIL SUR LE PROJET DE DECRET RELATIF A LA COMMISSION NATIONALE DE CONTROLE :

Le Président donne au Conseil les indications ci-après :

Le Conseil constitutionnel vient d'être saisi, pour avis, d'un projet de décret relatif à la composition et au siège de la Commis- sion nationale de contrôle instituée par le décret du 14 mars 1964.

Avant de passer à l'examen de ce projet de décret, il convient de rappeler brièvement quels sont les textes relatifs à la Commis- sion nationale de contrôle.

A - Rappel des_dispositions_de_l'article 10 du decret du 14 mars 1964 :

pour le titre précedent, j'ai souligné normalement, ne sachant pas comment souligner en pointillés Le décret du 14 mars 1964 modifié, portant réglement d'administration publique pour l'application de la loi du 6 novembre 1962, relative à l'élection du Président de la République, dispose dans son article 10 que "tous les candidats bénéficient de la part de l'Etat des mêmes facilités pour la campagne en vue de l'élection présidentielle".

Dans le même article elle prévoit qu'une commission nationale de contrôle veille au respect desdites dispositions et elle fixe sa composition.

Cette commission comprend cinq membres :

- le vice-président du Conseil d'Etat, président ;

- le premier président de la Cour de cassation ;

- le premier président de la Cour des comptes ;

- deux membres en activité ou honoraires du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes, désignés par les trois membres de droit.

Les membres de droit sont, en cas d'empêchement, remplacés par ceux qui les suppléent normalement dans leur corps ; les deux autres membres de la commission sont, le cas échéant, remplacés par des suppléants désignés dans les mêmes conditions qu'eux.

La commission peut s'adjoindre des rapporteurs pris parmi les membres du Conseil d'Etat, de la cour de cassation ou de la Cour des comptes.

Elle est assistée de quatre fonctionnaires :

- un représentant du ministre chargé des départements et des territoires d'outre-mer ;

- un représentant du ministre de l'intérieur ;

- un représentant du ministre des postes et télécommunica- tions ;

- un représentant du ministre chargé de l'information.

Enfin, le texte précise que la commission nationale de contrôle "est installée au plus tard 48 heures avant le jour de l'ouverture de la campagne électorale".

B - Le projet de décret qui est soumis à l'examen du Conseil cons- titutionnel est strictement conforme aux dispositions du décret du 14 mars 1964, ainsi d'ailleurs qu'au précédent décret de 1 974 .

Il comporte, outre la nomination des trois membres de droit prévus par le texte (le vice-président du Conseil d'Etat et les deux présidents de la Cour de cassation et de la Cour des comptes) celle des deux autres membres de droit qui sont :

- M. Michel MONEGIER du SORBIERil était écrit SORLIER mais une annotation manuscrite a rectifié la faute, j'ai fais le choix de remplacer la faute dans ma transcription aussi, conseiller à la Cour de cassation ;

- M. Paul THERRE, conseiller maître à la Cour des comptes.

Il désigne également comme suppléants à ces deux membres de droit :

- M. Pierre DENIZOT, conseiller d'Etat ;

- Mme Yvette CHASSAGNE, conseiller maître à la Cour des comptes.

Dans son article 2, le projet de décret prévoit que la Commission sera assistée de :

- M. PANDRAUD, Directeur général de l'administration, représentant du ministre de l'intérieur ;

- M. COUSIN, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, Chef du service juridique et technique de l'information, représentant du ministre de la culture et de la communication ;

- M. BABIN, Directeur général des postes, représentant du secrétaire d'Etat aux postes et télécommunications et à la télédiffusion ;

- M. MONTPEZAT, Directeur des affaires politiques, administratives et financières, représentant du secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'intérieur (départements et territoires d'outre-mer).

Enfin, il est précisé que la Commission siège au Palais-Royal dans les locaux du Conseil d'Etat et que son secrétariat est assuré par le Secrétaire général du Conseil d'Etat.

Telles sont les dispositions du texte qui est soumis au Conseil constitutionnel.

Rigoureusement conformes aux prescriptions de l'article 10 du décret du 14 mars 1964 modifié, elles ne paraissent devoir faire l'objet d'aucune observation de la part du Conseil.

En conséquence, il vous est proposé d'adopter l'avis qui vous a été distribué.

Le Conseil adopte à l'unanimité l'avis qui est joint au présent procès-verbal.

II. EXAMEN DE LA REQUETE RENNEMANN :

Le Président donne la parole à Monsieur VEDEL, lequel présente le rapport ci-après :

1. - M. Joseph RENNEMANN, avocat à Strasbourg, a adresséà M. le Président et à MM. les membres du Conseil constitutionnel" une "requête" (c'est le terme employé par l'intéressé) datée du 6 mars 1981 et enregistrée au Secrétariat du Conseil le 10 mars 1981.Note manuscrite au début de la page "Séance du jeudi 19 mars 1981"et "Rapport présenté par le doyen Vedel" je ne sais pas comment le mettre à part en commentaire"

Le requérant fait état de sa qualité de "candidat" à l'élection du Président de la République.(1) Le requérant a mis lui-même entre guillemets le terme "candidat". 

Après avoir argumenté sur la recevabilité et le bienfondé de sa requête, comme je l'exposerai, tout à l’heure, M. RENNEMANN présente les conclusions suivantes :

"Par ces motifs,

"Plaise à M. le Président et à MM. les membres du Conseil constitutionnel :

"Dire que Joseph RENNEMANN a intérêt à agir,

"Recevoir sur requête (sic) ,

"Déclarer non conformes à la Constitution du 4 octobre (sic) les exigences administratives ou gouvernementales prévues :

"1) Par le décret du 14 mars 1964 modifié par celui du 4 août 1976.

"-Par le décret numéro 81-39 du 21 janvier 1981.

"-Faire publier sa décision concernant la description du modèle des formulaires de présentation.

"-Vu l'urgence se prononcer avant la clôture des inscriptions des candidatures".

2. - Si maintenant l'on se reporte au corps de la requête, on constate tout d'abord que M. RENNEMANN a mis en exergue des visas concernant les textes suivants: articles 6, 7 et 58 de la Constitution; loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel décret n° 64-231 du 14 mars 1964 portant règlement d'administra- tion publique pour l'application de ladite loi ; décret n° 76-738 du 4 août 1976 modifiant le précédent ; décret n° 81-39 du 21 janvier 1981 relatif à l'élection du Président de la République au suffrage universel.

3. - Puis, en quelques lignes, M. RENNEMANN s'attache à justifier la recevabilité de sa demande tant en ce qui concerne la compétence du Conseil constitutionnel que sa propre qualité à le saisir.

Le Conseil serait compétent sur la base de l'article 58 de la Constitution. En effet, l'alinéa 1er de ce texte le charge de veiller à la régularité de l'élection du Président de la République. D'autre part, sur la base de l'alinéa 2 du même article qui le charge d'examiner les réclamations, le Conseil a déjà admis que cette mission pouvait concerner les opérations préparatoires.

Quant à la qualité de "candidat" de M. RENNEMANN, il e est justifié par les photographies de deux articles de presse (sans références de date ni de provenance) dans lesquels il est expliqué que M. RENNEMANN entend être candidat à la présidence de la République pour critiquer publiquement la justice français atteinte de "pourriture".

4. - Les arguments de fond justifiant, selon le requérant, les conclusions que l'on a citées plus haut, sont les suivants :

- Le décret du 14 mars 1964 et celui du 4 août 1976 concernant les modalités de présentation des candidats auraient été pris sans consultation préalable du Conseil constitutionnel, alors que cette consultation aurait été obligatoire selon les termes de l'article 3, alinéa 3 de la loi du 6 novembre 1962 et selon l'article 46 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- il a été adressé aux préfets une circulaire du ministre de l'intérieur relative à la distribution des formulaires de présentation sans que le Conseil constitutionnel en ait été avisé officiellement ; ,

- Le modèle des formulaires de présentation établi par le Conseil constitutionnel n'a pas été publié au Journal officiel alors que ce modèle a fait l'objet d'une décision du Conseil, justiciable de ce mode de publicité ;

- Cette absence de publicité est d'autant plus regrettable que l'article 3 du décret du 14 mars 1964 modifié par le décret du 4 août 1976 exige que le bulletin de présentation soit conforme au modèle arrêté par le Conseil constitutionnel mais n'exige pas que les seuls formulaires utilisables soient ceux imprimés par le Gouvernement et remis par lui aux présentateurs ;

- L'intervention de l'Administration dans le "circuit" est une exigence ajoutée illégalement par un texte gouvernemental.

- La brièveté du laps de temps séparant la distribution des formulaires de l'ouverture de la campagne électorale et le fait que les formulaires ne soient pas à la disposition des "candidats" empêche certains de ceux-ci d'obtenir le nombre des "parrainages" nécessaires.

5.- Le Conseil constitutionnel doit en premier lieu se prononcer sur la recevabilité de la requête de M. RENNEMANN. On peut laisser de côté pour l'instant la condition de recevabilité pouvant tenir à la qualité du requérant. En effet, cette condition de recevabilité ne peut s’apprécier que par référence au titre de compétence justifiant éventuellement la saisine du Conseil. Par exemple, elle n'est pas la même selon que le Consei est saisi en vertu des articles 37, alinéa 2, 41, 58, 59, 60 ou 61.

Si donc il est établi que le Conseil constitutionnel ne peut être compétemment saisi des conclusions présentées par le requérant, il sera inutile d'examiner si celui-ci avait qualité pour agir.

Il est un premier chef de conclusion pour lequel l'incompétence du Conseil me semble certaine. C'est celui qui tend à priver d'effet les décrets susvisés de 1964, 1976, 1981.

Sans doute, les conclusions sur ce point, sont-elles équivoques puisqu'elles tendent à faire :

"déclarer non conformes à la Constitution les exigences gouvernementales ou administratives résultant des décrets du 14 mars 1964 modifié et du 21 janvier 1981".

Il ne s'agit pas expressément d'une demande d'annulation des décrets. Mais il est évident que le requérant ne demande pas une constatation dépourvue d'effet juridique. Il s'agit donc au moins d'une déclaration d'inconstitutionnalité au vu de laquelle tout intéressé serait en droit d’exiger qu'il ne soit tenu aucun compte des dispositions dont l'inconstitutionnalité aurait été prononcée.

Or, il est évident qu'aucune des dispositions relatives aux déclarations de non-conformité à la Constitution pouvant émaner du Conseil ne concerne les décrets. La voie normale pour l'annulation ou la déclaration d'illégalité et éventuellement d'inconstitutionnalité des décrets est ouverte devant le juge administratif.

On peut se demander d'ailleurs pourquoi M. RENNEMANN n'aurait pas usé du recours pour excès de pouvoir à l'encontre du décret du 21 janvier 1981 à l'égard duquel le délai de recour n'était pas expiré. Peut-être l'a-t-il fait en même temps qu’il nous a saisi. S'il ne l'a pas fait peut-être est-ce par erreur. Peut-être aussi a-t-il craint que son recours ne soit voué à l'échec devant le juge administratif en raison du lien étroit existant entre le recours envisagé et le contentieux de l'élection présidentielle qui échappe au juge administratif, encore que, sur ce point, la jurisprudence Le Regroupement national (27 octobre 1961 - Rec. 594) et BROCAS (19 octobre 1962 - Rec. 553) ait restreint le champ des actes non détachables de l'élection et ouvert plus largement les recours devant le juge administratif à l'encontre des actes administratifs préparant le scrutin.

En tout cas le problème de la possibilité pour M. RENNEMANN de se pourvoir devant le juge administratif échappe à l'appréciation du Conseil constitutionnel et ne commande en rien notre propre compétence ou notre propre incompétence. Tout au plus pourra-t-on noter que le requête de M. RENNEMANN, si elle donne lieu à une déclaration d'incompétence de notre part, aura préservé, en ce qui concerne le décret du 21 janvier 1981, le délai du recours devant le juge administratif, le Conseil d'Etat admettant que le recours présenté devant une juridiction incompétente conserve le délai du recours contentieux s'il a été lui même formé dans le délai.

7.- Ces considérations ne terminent cependant pas la discussion du premier chef de conclusions. En effet, la requête s'appuie expressément, pour justifier la compétence du Conseil constitutionnel, sur l'article 58 de la Constitution relatif au rôle du Conseil constitutionnel en matière d'élection présidentielle, aussi bien en ce qui concerne la clause générale chargeant le Conseil de veiller à la régularité de cette élection qu'en ce qui concerne la clause plus précise concernant le jugement des réclamations.

A cet égard, le requérant fait valoir que dans le passé, le Conseil n'a pas entendu ces dispositions comme lui permettant seulement de statuer sur les contestations relatives au scrutin, mais aussi qu'il les a comprises comme lui permettant de connaître des réclamations contre certaines opérations préparatoires et ceci avant même que l'élection n'ait eu lieu.

Ainsi en a-t-il été, lors de l'élection présidentielle de 1969, des réclamations contre l'établissement de la liste des candidats, qu'elles aient émané de postulants éliminés ou d'un candidat porté sur la liste et contestant l'éligibilité de l'un de ces concurrents. Mais la possibilité de telles réclamations était prévue par l'article 7 du décret du 14 mars 1964 et, quelque doute que l'on puisse avoir sur la possibilité pour un décret d'établir un nouveau chef de compétence du Conseil constitutionnel, l'argument de texte existe. D'autre part, les réclamations contre la liste des candidats sont dirigées contre une décision du Conseil lui-même et ne le conduisent pas à exercer sa juridiction sur des actes de l'exécutif.

Or, ce que demande M. RENNEMANN c'est une censure du Conseil constitutionnel à l'encontre d'actes gouvernementaux et en dehors des prévisions de tout texte précis. C'est tout autre chose. Sans doute, de façon générale, sommes-nous chargés de veiller à la régularité de l'élection présidentielle. Mais, alors que le Conseil a marqué avec force dans maintes occasions qu'il n'exerçait qu'une juridiction d'attributions ne disposant pas du pouvoir de se déclarer compétent en dehors d'un texte précis lui attribuant compétence, il serait abusif et téméraire de déduire des termes de l'alinéa 1er de l'article 58 de la Constitution le pouvoir du Conseil d'annuler ou de paralyser tous actes de toute nature se rattachant à l'élection présidentielle et ce avant même l'élection.

Sans doute, le Conseil, saisi éventuellement après l'élection, de réclamations contre les résultats de celle-ci serait-il fondé, le cas échéant, à retenir des griefs concernant les entraves que telle ou telle action du gouvernement, y compris la règlementation prise par lui, auraient apporté à la sincérité ou à la liberté de l'élection et à en tirer les conséquences nécessaires.

Mais précisément cette plénitude de juridiction qu'il tient des textes constitutionnels en faisant le juge souverain de l'élection constitue un argument a contrario pour lui refuser le pouvoir de statuer avant l'élection sur des requêtes visant les actes préparatoires de celle-ci et fait-elle ressor- tir le danger pour lui de toute intervention prématurée de sa part dans le processus préparatoire.

8.- Ainsi ne peut-on trouver aucun fondement à la prétendue compétence du Conseil constitutionnel pour statuer sur la partie des conclusions de la requête portée devant lui par M. RENNEMANN relative aux décrets de 1964, 1976, 1981.

Il paraîtrait peu sage dans la rédaction de la décision d'entrer dans une discussion détaillée des motifs de l'incompétence du Conseil. Compte tenu du principe selon lequel le Conseil exerce une juridiction d'attributions, c'est au requérant à démontrer que telle disposition écrite donne compétence au Conseil. Dès lors qu'il n'indique pas une telle disposition ou qu'il invoque une disposition non pertinente, il suffit, pour justifier la déclaration d'irrecevabilité et le rejet de la requête, de dire qu'aucune disposition ne donne pouvoir au Conseil de statuer sur les conclusions de la requête préalablement analysées et rappelées. Toute autre motivation amènerait nécessairement à compromettre l'avenir en statuant involontairement, de façon plus ou moins implicite, sur des questions auxquelles aujourd'hui l'on ne pense pas, mais que la pratique - plus riche d'imprévus que l'on ne peut imaginer - risque de poser un jour.

9.- Mais la requête sur laquelle nous devons statuer comport un second chef de conclusions, apparemment anodin mais en réalité plus riche en problèmes que celui que nous venons d'examiner.

Le requérant critique en effet la non-publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel ayant arrêté le modèle du formulaire de présentation. Cette critique s'appuie sur deux considérations.

Tout d'abord, il s'agit d'une décision et non d'un simple avis sans force obligatoire ; comme telle elle s'impose à toutes autorités et a fortiori à tout citoyen en vertu de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution. Sa publication est donc nécessaire.

En second lieu, aucune disposition, même réglementaire, antérieure au décret du 21 janvier 1981, ne prévoit que la reproduction du modèle arrêté par le Conseil constitutionnel soit réservée à l'Administration. Tout citoyen et particulièrement tout postulant à la candidature doit pouvoir s'en servir pour faire imprimer, s'il le désire, des formulaires qu'il présentera à la signature des présentateurs qu'il entend solliciter. Il faut donc que la décision du Conseil constitutionnel relative au modèle en question soit publiée.

De là, selon le requérant, le bien-fondé de sa demande tendant à la publication au Journal officiel du formulaire de présentation.

10.- Ce n'est pas sur le fond que la requête de M. RENNEMANN présente de vraies difficultés.

En effet, sur le terrain des textes, il n'existe pas d'obligation de publier la décision du Conseil arrêtant un modèle de formulaire. On sait qu'en certains cas, la loi organique relative au Conseil constitutionnel prévoit la publication des décision au Journal officiel: ainsi en est-il pour les déclarations de conformité ou de non-conformité à la Constitution des lois organiques, des règlements des Assemblées et des lois ordinaires (art. 20 de la L.O). De même, l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 prévoit que les résultats de l'élection du Président de la République arrêtés par le Conseil constitutionnel sont publiés au J.O.

Dans d'autres cas, la publication est prévue, mais sans mention particulière du Journal officiel : par exemple pour la list des candidats (art. 3 précité de la loi du 6 novembre 1962).

Il en va de même, en vertu de l'article 53 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel, pour les avis donnés par le Conseil en vertu de l'article 16 de la Constitution avant la mise en oeuvre de ce texte par le Président de la République.

Dans l'autre cas, la publication de l'acte du Conseil n'est pas prévue et remplacée par une notification: déclaration constatant le caractère législatif ou réglementaire d'un texte de forme législative, examen des fins de non-recevoir de l'article 41 de la Constitution, etc.

Or, aucune disposition ne prévoit la publication de la décision du Conseil constitutionnel arrêtant le modèle des formulaires de présentation. Cette décision doit évidemment être portée à la connaissance du gouvernement encore qu'aucun texte ne le prévoie. Mais, il n'existe pas d'autre exigence.

Sans doute, M. RENNEMANN fait-il valoir qu'il est impossible, selon les principes de notre droit public, que la décision du Conseil soit applicable sans une publication préalable. Le principe existe, à ceci près qu'il exige non une publicatic dans tous les cas, mais une ''publicité adéquate", c'est-à-dire adaptée à son objet. Or, précisément le décret du 21 janvier 1981 qui a mis en application la décision du Conseil constitutionnel relative au modèle du formulaire prévoit que la distribution de celui-ci est réservée aux élus ayant la qualité de présentateurs potentiels, de telle sorte que la distribution en question vaut notification à tous les intéressés de la décision du Conseil constitutionnel arrêtant le modèle du formulaire, ce qui constitue justement la "publicité adéquate". Sans doute encore, M. RENNEMANN fait-il valoir que la limitation aux seuls présentateurs potentiels de la distribution des formulaires et l'interdiction de faire des copies du modèle sont inconstitutionnelles ou en tout cas ne pouvaient être valablement prononcées par un simple décret. Mais on a vu que cette partie des prétentions de M. RENNEMANN devait être écartée le Conseil constitutionnel n'étant pas compétent pour en connaître.Un trait a été tracé à côté de ce paragraphe, je ne sais pas à quoi cela peut correspondre

Au total aucun texte n'exigeait la publication au Journal Officiel de la décision du Conseil constitutionnel arrêtant le modèle du formulaire de présentation ; la publicité adéquate de cette décision a été suffisamment assurée par la distribution même des formulaires aux intéressés.

La seule conséquence qui pourrait être tirée de la non- publication au Journal officiel du document en question serait que le délai du recours pour excès de pouvoir qui pourrait éventuellement être formé contre le décret du 21 janvier 1981 ne courrait pas à l'égard des simples citoyens dans la mesure où ceux-ci entendraient invoquer un moyen tiré de la consistance ou du contenu du formulaire.

11. - On voit donc qu'en ce qui concerne le fond, le chef des conclusions du requérant concernant la publication de la décision du Conseil constitutionnel arrêtant le modèle du formulaire de présentation ne saurait en tout état de cause être accueilli.

Mais rejeter ce chef de conclusions pour les motifs de fond qui viennent d'être donnés, ce serait admettre que la requête est recevable à la fois en ce qui concerne la compétence du Conseil constitutionnel et en ce qui concerne la qualité du requérant.

Ce serait tout d'abord nécessairement accepter que le Conseil soit compétent pour statuer sur des réclamations concernant son propre fonctionnement. En effet, la demande de M. RENNEMANN tend à réformer partiellement la décision du Consei arrêtant le modèle du formulaire en tant que cette décision n'a pas prescrit sa publication.

D'autre part, discuter au fond l'argumentation invoquée par le requérant serait admettre que l'intérêt qu’a un simple citoyen à mettre en cause une décision du Conseil constitutionnel suffit à lui permettre de saisir valablement celui-ci.

12. - Il va de soi que ni l'une ni l'autre de ces conséquences ne serait admissible. La nature même du Conseil constitutionnel serait trahie par un système qui en ferait le juge de droit commun des litiges politiques.

Mais si la solution de rejet de la requête s'impose - et ceci sur le terrain de la recevabilité - la motivation et la rédaction de notre décision ne posent pas de problèmes simples.

Sur le terrain de la compétence, on ne peut pas en effet affirmer en termes généraux que le Conseil ne peut pas compléter l'une de ses décisions, voire la modifier. On ne peut pas davantage écrire que le Conseil ne peut requérir la publication de ses décisions au Journal officiel. Ce seraient autant d'affirmations qui, par leur caractère absolu, risqueraient un jour, dans tel cas aujourd'hui imprévisible, de nous lier les mains.

On ne peut pas non plus écrire en termes généraux que les simples citoyens, même s'ils y ont un intérêt non contesta- ble ne peuvent saisir le Conseil constitutionnel. Il se peut que, demain, tel citoyen appelle l'attention du Conseil chargé de veiller à la régularité de l'élection présidentielle sur tel fait de nature à altérer la sincérité ou la liberté du scrutin. Faudra-t-il de plano, écarter cette plainte ? En fera-t-on autant si le grief est formulé par un candidat ? Ce serait logique car les textes ne confèrent pas davantage un droit de plainte aux candidats qu'à Pierre ou Paul. Il ne faut pas entrer dans cette logique.

13.- Toutes ces raisons rendent désirables une motivation et une rédaction de notre décision qui soit la moins spécifique possible,qui soit valable pour l'un ou l'autre des deux chefs des conclusions présentées par M. RENNEMANN et surtout qui se situe sur le terrain de la compétence.

La chose n'est pas impossible et M. RENNEMANN facilite lui même la tâche du rédacteur de la décision en imputant à la mauvaise volonté du gouvernement "maître du Journal officiel" la non-publication de la décision du Conseil constitutionnel arrêtant le modèle du formulaire. Cette critique est en réalité dirigée contre l'interprétation que le décret du 21 janvier 1981 donne des dispositions de l'article 3 du décret du 14 mars 1964 modifié par le décret du 4 août 1976 en tant qu'il prévoit que les formulaires doivent être non seulemen imprimés et conformes au modèle arrêté par le Conseil constitutionnel, mais en outre imprimés par la seule Administration, ce qui a pour conséquence, comme on l'a vu, de limiter la diffusion du modèle aux seuls présentateurs potentiels.

Dès lors la solution des difficultés réelles que soulève la requête de M. RENNEMANN pourrait être trouvée dans la motivation suivante : .

Un premier considérant analyserait la requête de M. RENNEMANN en faisant ressortir que celle-ci tend, dans tous ses chefs, à demander au Conseil constitutionnel de censurer, en dehors de toute procédure de réclamation dirigée contre l'opération électorale elle-même les dispositions réglementaires organisant celle-ci.

Le second considérant, uniquement formulé en termes de compétence, ulitiliserait la formule générale déjà employée par le Conseil pour rejeter les demandes de M. KRIVINE et de M. NICOLO dans des affaires récentes.

C’est en ce sens qu’est rédigé le projet de décision que je vous propose.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la requête présentée par M. Joseph RENNEMANN, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 10 mars 1981, demandant au Conseil constitutionnel de "déclarer non conformes à la Constitution les exigences administratives ou gouvernementales prévues par le décret du 14 mars 1964 modifié par celui du 4 août 1976 e| par le décret n° 81-39 du 21 janvier 1981"et de "faire publier sa décision concernant la description du modèle des formulaires de présentation" ;

Vu la Constitution et, notamment, ses articles 6, 7 et 58 ;

Vu la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, modifiée par la loi organique du 18 juin 1976 ;

Vu le décret du 14 mars 1964 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 6 novembre 1962, modifié par le décret du 14 août 1976, par le décret du 11 mars 1980 et par le décret du 21 janvier 1981 ;

Vu l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Ouï le rapporteur en son rapport ;

Considérant que le requérant demande au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution diverses dispositions réglementaires relatives à la présentation des candidatures à l’élection du Président de la République, à l’établissement de formulaires de présentation conformes à un modèle arrêté par le Conseil constitutionnel, â l’impression de ces formulaires et â leur distribution et de faire réaliser, par voie de publication, la diffusion du modèle de formulaire ;

Considérant qu'aucune des dispositions susvisées ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour statuer sur de telles conclusions ;

DECIDE:

Article premier.- La requête susvisée de M. Joseph RENNEMANN est rejetée.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 mars 1981 où siégeaient MM. Roger FREY, président, MONNERVILLE, JOXE, GROS, LECOURT, BROUILLET, VEDEL, SEGALAT, PERETTI.

-oOo-

La discussion générale étant ouverte, Monsieur SEGALAT indique qu'il est d'accord avec le rapporteur, tant en ce qui concerne ses conclusions que le texte de la décision proposée. Il tient, néanmoins, à poser une question. Il est bien certain que le Conseil n'est pas compétent aujourd'hui, compte tenu des moyens produits par Monsieur RENNEMANN, mais il se demande si, à compter d'un certain moment de la procédure de l'élection, le Conseil ne sera pas compétent pour répondre sur de telles conclusions. Il pose donc au Conseil la question de savoir s'il ne serait pas utile, pour préserver la décision qu'il y aura lieu de prendre à un tel moment, d'adopter une rédaction moins abrupte qui pourrait contenir une formule telle que : "en l'état des opérations de l'élection présidentielle".

Monsieur SEGALAT tient, d'ailleurs, à indiquer que ce n'est là qu'une suggestion qu'il fait et qu'une question qu'il pose et que, pour l'instant, il ne conclut pas sur la rédaction qui serait la meilleure.Une parenthèse manuscrite figure à côté de ce paragraphe je ne sais pas à quoi cela peu correspondre

Monsieur GROS rappelle qu'il a déjà eu l'occasion d'exprimer son point de” vue sur des questions semblables à celles examinées aujourd'hui. Il ne partage pas l'avis du rapporteur et les requêtes KRIVINE, NICOLO et RENNEMANN, sans doute, devaient être rejetées. Mais la succession de ces décisions risque fort d'enfermer le Conseil dans une jurisprudence qu'il ne saurait approuver L'intervention précédente de Monsieur SEGALAT exprime d'ailleurs une partie du souci de Monsieur GROS. Contrairement à ce qu'a dit le rapporteur, il semble bien que certains actes gouvernementaux peuvent être censurés par le Conseil constitutionnel et, notamment, ceux relatifs à l'élection présidentielle, en vertu justement des dispositions de l'article 58 de la Constitution. Si les mêmes faits étaient exposés au Conseil, les mêmes critiques lui étaient présentées après l'élection comme le pense Monsieur SEGALAT, il apparaît que le Conseil aurait à les juger. Mais alors, la gravité de la décision à prendre permettrait-elle une censure de ces textes et de ces décisions du Gouvernement ? Dire que la distribution des formulaires, par la seule administration, constitue une irrégularité qui met dans une situation inégale certains prétendants à la candidature et qui peut vicier les résultats du vote, apparaît difficilement pouvoir entraîner, après l'élection au suffrage universel, l'annulation de son résultat. C'est pour cette raison qu'il peut paraître préférable de répondre, dès à présent, sur de telles contestations. Il est certainement moins dangereux et plus aisé de vérifier la régularité de l'organisation de l'élection, avant plutôt qu'après le déroulement des votes. Si le Conseil n'adopte pas un tel point de vue, on se demande quelles compétences lui donne l'article 58 de la Constitution aux termes duquel "Le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l'élection du Président de la République. Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin". Cette élection est une élection faite sur une liste nationale. Dans un tel cas, chaque électeur peut contester toute élection.

Monsieur GROS reconnaît que l'affaire présente, compte tenu de la faiblesse de son argumentation, n'est sans doute pas la mieux choisie pour affirmer la compétence du Conseil, au stade même de la préparation de 1'élection,mais il insiste sur le fait que la répétition des décisions motivées d'une façon identique (KRIVINE, NICOLO, RENNEMANN) pose, d'une façon constante, un refus de compétence qui risque fort de lier le Conseil par la suite. Il remarque, en outre, que dans l'affaire RENNEMANN est posé le problème de la valeur même du formulaire adopté par le Conseil. Monsieur GROS a dit, dans des séances antérieures, ce que reprend RENNEMANN aujourd'hui, que le Conseil n'établit qu'un simple modèle qui peut être reproduit par les présentateurs. Il se demande ce que fera demain le Conseil si des élus lui présentent des formulaires qui sont, non ceux imprimés par l'administration, mais la reprise du modèle constitué par ceux-ci. En vertu de quelle règle de droit apparaît-il possible de les déclarer nuis ? Monsieur GROS pense que ce problème peut être soulevé auj ourd ' hui, par application de l'article 58. Compte tenu des débats et des décisions prises antérieurement, il craint fort que le Conseil ne le suive pas mais il indique que, même dans ce cas, on ne saurait admettre que le décret s'impose à nous alors qu'il apparaît contraire à l'égalité. Telles sont, en tous cas, les raisons pour lesquelles Monsieur GROS n'adoptera pas la décision qui est proposée.

Monsieur VEDEL : les interventions de Monsieur SEGALAT et de Monsieur GROS reflètent des préoccupations qui ont été les siennes lors de l'étude de ce dossier et c'est notamment pour en tenir compte qu'il a établi la rédaction proposée.

L'article 58 de la Constitution n'a pas été écrit dans le contexte de l'élection du Président de la République au suffrage universel. Dans son contexte d'origine, l'élection présidentielle était une grande élection sénatoriale, le Président de la République, comme vous le savez, était élu au second degré par les membres du Parlement, les conseillers généraux, les délégués des communes, etc. Dans un tel système, les difficultés qui pouvaient se présenter et les recours qui pouvaient alors avoir lieu étaiènt très différents de ceux qui se présentent dans une élection au suffrage universel. C'est en raison de cette origine que nous avons aujourd'hui, un problème d'interprétation de nos pouvoirs, tels qu'ils résultent du texte de cet article 58 écrit pour s'appliquer à une situation très différente.

Le souci de votre rapporteur, en rédigeant le projet de décision, a été qu'il n'apparaisse, en aucune façon, que le Conseil aurait examiné le fond et, ainsi, estimé, valable le décret de 1964 modifié. Monsieur VEDEL a voulu laisser toute latitude au Conseil pour apprécier, en tant que de besoin, la validité de ce décret, le jour où il serait nécessaire de le faire. Le texte de la décision proposée aujourd'hui tend seulement à indiquer qu'il n'y a pas de voie de droit ouverte à ce stade du processus de l'élection pour soumettre au Conseil l'appréciation du décret. Par ailleurs, il note qu'il serait un peu tard, le 19 mars, pour déclarer ce décret nul, ce qui aboutirait nécessairement à reporter l'élection au mois de juillet. Une première rédaction portait une mention à la date actuelle,ou bien une formule identique,mais elle est apparue encore plus dangereuse car elle répondait,par a contrario, sur la solution qui devait être donnée ensuite.

Monsieur PERETTI est d'accord sur les conclusions du Doyen VEDEL. Dans un premier temps, il avait partagé l'avis de Monsieur GROS, en ce qui concerne le formulaire qu'il convenait de considérer comme un modèle ouvert à la reproduction. Puis, il est revenu sur cette opinion, estimant qu'il convient de traiter ce formu- laire un peu comme une carte d'électeur. De toute façon, il convient de ne pas perdre de vue que la jurisprudence du Conseil, dans les cas limites, est une jurisprudence libérale. Ainsi, jusqu'à présent, le Conseil a parfaitement sauvegardé les intérêts des présentateurs puisqu'il a décidé, notamment, de retourner à leurs auteurs les formulaires qui lui avaient été envoyés prématurément.Une parenthèse manuscrite à côté de ce dernier paragraphe, je ne sais pas à quoi cela peut correspondre

Monsieur SEGALAT se rallie à la rédaction de Monsieur VEDEL. Ilestime pourtant que si Monsieur RENNEMANN se plaignait en qualité de maire, il semble bien que le Conseil serait compétent pour lui répondre au fond.

Monsieur MONNERVILLE approuve la rédaction proposée par Monsieur VEDEL et remarque que le souci de prudence apparaît, ici, dans les mots "de telles conclusions".

Monsieur LECOURT est également d'accord sur la rédaction proposée et pense que, si le Conseil est saisi dans des conditions différentes qui l'amèneraient à décider autrement, il serait toujours possible de préciser à quoi tiennent les différences de ce cas qui le conduiraient à une autre décision, qu'il s'agisse, ou de la date, ou de la qualité du requérant.

Le projet est adopté par tous les membres du Conseil, à l'exception de Monsieur GROS qui s'abstient.

III. NOMINATION DES DELEGUES DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :

L'article 48 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que "Le Conseil constitutionnel peut désigner un ou plusieurs délégués choisis, avec l'accord des ministres compétents, parmi les magistrats de l'ordre judiciaire ou administratif et chargés de suivre sur place les opérations.”

Depuis 1965 le Conseil a toujours usé de la faculté que lui ouvrait ce texte d'envoyer des délégués dans les départements et les territoires d'outre-mer.

A l'occasion de l'élection de 1974, ces missions ont pris une grande importance, puisque le Conseil a désigné près de 50 délégués comprenant tous les rapporteurs adjoints et tous les premier présidents de Cours d'appel. Ceux-ci avaient , en outre, reçu le pouvoir de désigner des magistrats de leur ressort en qualité de délégués locaux, soit un total de quelque 1300 magistrats.

Compte tenu des conditions dans lesquelles se présente la prochaine élection et qui paraissent très semblables en certains points à celles de la précédente, il y a lieu, semble-t-il de reprendre des mesures analogues.

C’est la raison pour laquelle il vous est proposé d'adopter la décision qui est soumise à votre examen.

Le Président donne lecture de la décision proposée et déclare ouverte la discussion générale.

Monsieur SEGALAT pense qu'il serait souhaitable que le texte de la décision prévoie la subdélégation de magistrats par les chefs de Cour. En effet, la décision ne désignant pas ces magistrats en qualité de délégués, un président de bureau de vote pourrait parfaitement refuser leur contrôle.

Une discussion fait ressortir qu'il faut éviter d'employer le terme de la "subdélégation". Sous cette réserve, 1'adjonction proposée par Monsieur SEGALAT est adoptée.

Monsieur GROS remarque que le texte de la décision ne donne aucune indication sur les possibilités de contrôle par les délégués du Conseil dans les centres de vote à l'étranger.

Monsieur VEDEL répond qu'il est peut-être difficile de faire intervenir, pour une élection française dans un pays étranger, des autorités qui n'auraient pas reçu l'agrément diplomatique de la part du pays d'accueil.

Monsieur BROUILLET indique qu'il est d'ailleurs regrettable que le Conseil ne soit pas, dès à présent, en possession de la liste des centres de vote à l'étranger. Il indique dans quelles conditions ceux-ci ont été instaurés et de quelles susceptibilités nationales il a été nécessaire de tenir compte pour, finalement, pouvoir créer ces centres de vote. Il estime souhaitable que le Conseil puisse se réserver la possibilité d'établir le contrôle de ces opérations,par ses délégués.

Le Président répond que c'est une question délicate et qu'il convient qu'il l'étudie avec le Ministre des Affaires étrangères puis que le Conseil, mieux informé, puisse alors prendre une décision, le cas échéant, lors d'une réunion qui serait spécialement consacrée à cette question.

Monsieur LECOURT remarque qu'une décision particulière à ce sujet -serait particulièrement voyante et risquerait de heurter davantage la susceptibilité des Etats intéressés. Il pense que l'on pourrait, dès à présent, simplement modifier les visas de la décision d'aujourd'hui en ÿ introduisant les textes relatifs aux centres de vote, ce qui permettrait ensuite de donner une mission à l'un des délégués du Conseil pour surveiller ces opérations.

Cette solution est finalement retenue et le texte est adopté à l'unanimité tel qu'il est joint au présent procès-verbal.

IV. DOUBLE PRESENTATION :

Le Président tient à appeler, dès à présent, l'attention du Conseil sur la difficulté qui se présente pour apprécier les présentations multiples émanant du même présentateur. Il s'exprime dans les termes suivants :

Il arrive qu’un même présentateur fasse parvenir au Conseil constitutionnel plusieurs présentations.

Cette pratique est contraire à l’article 4 du décret du 14 mars 1964 modifié qui dispose que "Les citoyens mentionnés au deuxième alinéa de l’article 3-1 de la loi susvisée du 6 novembre 1962 . (c’est-à-dire ceux habilités à présenter un candidat) ne peuvent faire de présentation que pour un seul candidat."

Dès lors, il appartient au Conseil constitutionnel de décider du sort qu'il convient de réserver à ces présentations .

Deux solutions s'offrent à lui, qui présentent l'une et l’autre, des avantages et des inconvénients.

1°) La première consiste à considérer que, les doubles présentations étant interdites par la disposition précitée, les deux présentations successivement adressées au Conseil doivent être tenues l’une et l'autre pour irrégulières et, par conséquent, pour nulles.

C’est la solution qui, jusqu'à ce jour, a été adoptée par le Conseil, malgré les préférences que certains de ses membres avaient manifestées notamment en 1969 pour l'autre solution.

Elle a pour elle l'avantage de la simplicité. En revanche, elle peut paraître d'une valeur discutable tant sur le plan juridique que sur le plan pratique, où elle ne paraît pas toujours susceptible de parer à certaines manoeuvres.

2°) La deuxième solution consiste à tenir pour valable la première des deux présentations qui aura été enregistrée au Conseil constitutionnel et l'autre, pour nulle, en assimilant cette dernière à une décision implicite de retrait de la précédente, retrait qui aura, alors, été opéré en violation du même article 4 précité du décret du 14 mars 1964 modifié, lequel précise en son alinéa 2 que "en aucun cas, les présentations ne peuvent faire l'objet d'un retrait après leur renvoi ou leur dépôt."

Cette deuxième solution n'a pas l'avantage de la simplicité qui est celui de la première : elle implique, pour son application, la constatation des différences de date d’enregistrement des présentations successives et, par voie de conséquence, l'obligation pour le Conseil constitutionnel de vérifier l’ordre chronologique dans lequel il est procédé à cet enregistrement.

En revanche, elle semble présenter d’incontestables avantages tant sur le plan juridique que sur le plan pratique de la lutte contre la fraude.

Juridiquement, elle correspond à une exacte interprétation du fait que constitue la double présentation : en assimilant la deuxième présentation à un retrait implicite de la première présentation, on se livre, semble-t-il, à une analyse tout à fait exacte de cette opération.

Dès lors, il ne reste plus qu’à lui appliquer les effets qui sont prévus par le texte en ce qui concerne les retraits : ceux-ci étant interdits, la deuxième présentation devient nulle et, seule, la première doit être tenue pour régulière et portée à l’actif de celui qui en est l’objet.

Sur le plan pratique, cette solution présente aussi sur la première un sérieux avantage. Elle permet, en effet, de déjouer la manoeuvre qui consisterait pour un présentateur qui, ayant déjà adressé une présentation au Conseil constitutionnel, serait pris de repentir et qui, pour faire annuler sa première présentation, en enverrait une seconde, en tournant ainsi l’interdiction du retrait contenu dans le texte règlementaire précité.

Le Président demande au Conseil s'il désire prendre parti dès aujourd'hui, ou réfléchir davantage à cette question.

Messieurs SEGALAT et GROS estiment que s'en tenir à la date pour en tirer des effets juridiques est une solution qui n'est pas entièrement satisfaisante. La date qui sera retenue pour dire quelle est la première présentation dépend de facteurs extérieurs aux candidats, ainsi, l'acheminement plus ou moins rapide d'un courrier et le fait aussi que divers modes d'acheminement sont prévus (dépôt par l'intéressé lui-même, dépôt par une personne qui récolte les présentations pour un candidat ou expédition par la poste). On pourra toujours se demander quelle était véritablement la première des présentations émise par le signataire.

Monsieur VEDEL répond à cette objection que le Conseil sera bien obligé de tenir compte de la date puisque le texte l'impose dans le cas même où la loi organique précise le moment ultime du dépôt des présentations (18 jours au moins avant le premier tour de scrutin).

Le Président ajoute que la date du dépôt au Conseil est un élément essentiel puisque, tant qu'elle n'a pas été déposée, en vertu même des textes, une présentation n'existe pas.

Monsieur VEDEL répond qu'il lui paraît tout à fait clair que la seule solution juridiquement valable est la seconde solution présentée par le Président.

L'article 4 du décret de 1964 indique, d'une part, que les citoyens habilités à faire une présentation ne peuvent la faire "que pour un seul candidat" et il dit, à l'alinéa suivant : "En aucun cas, les présentations ne peuvent faire l'objet d'un retrait après leur envoi ou leur dépôt". Il est bien évident qu'annuler les deux présentations donne un moyen très simple aux élus qui regrettent la première qu'ils ont faite de la retirer en en faisant une seconde dans le seul but de rendre la première nulle.

Admettre une telle nullité est manifestement contraire à la volonté du texte et permet toutes les pressions. Ce n'est pas le rôle du Conseil de s'asseoir sur un texte ou de permettre, par une interprétation d'ailleurs contraire au texte, les pressions qui ne manqueront pas de s'exercer dans la situation actuelle où chacun peut constater aisément combien les grands partis jouent de leur influence sur les élus pour éviter qu'ils ne présentent des candidats marginaux.

Monsieur le Président et Monsieur MONNERVILLE indiquent que la question n'est certainement pas une question théorique.

Ils ont eu déjà l'occasion de s'en rendre compte lors de la précédente élection présidentielle. Ils estiment eux aussi que la solution défendue par Monsieur VEDEL est la seule qui réponde aux exigences du décret.

Après que chacun ait pu exprimer son opinion (les seuls arguments présentés sont ceux qui ont été indiqués ci-dessus par les interventions de Monsieur SEGALAT et Monsieur VEDEL), le Président propose que l'on vote. Il demande quels sont les membres qui sont en faveur de l'annulation des deux présenta tions (étant bien entendu qu'au cas où les deux présentations sont faites en faveur du même candidat, il n'y a pas lieu à annuler mais simplement à ne compter qu'une présentation).Une parenthèse manuscrite est à côté de ce paragraphe, je ne sais pas à quoi cela peut correspondre

Sont en faveur de cette solution, MM. SEGALAT, GROS, PERETTI.

Le Président demande quels sont les membres qui estiment que l'on doit considérer comme valable la première présentation parvenue au Conseil.

Sont en faveur de cette solution, le Président, MM. LECOURT, JOXE, MONNERVILLE, VEDEL et BROUILLET.

La solution qui consiste à considérer comme valable la première des présentations est donc adoptée.Ce dernier paragraphe comporte un crochet avec une croix à côté, je ne sais pas à quoi cela peut correspondre

La séance est levée à 13 h 20.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.