Vous visualisez actuellement un média autre que celui transcrit/à transcrire.
PV1981-12-31<transcripteur data-tag="transcripteur"><></transcripteur> Doriac Zoé

SEANCE DU 31 DECEMBRE 1981

RAPPORT

Le Conseil se réunit à 14 heures en présence de tous ses membres à l'exception de Monsieur Valéry GISCARD d'ESTAING qui est excusé.

Le Président indique que l'ordre du jour porte sur l'examen de la conformité à la Constitution de la troisième loi de finances rectificative pour 1981 dont le Conseil a été saisi par soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution.

Le rapporteur de cette affaire est Monsieur André SEGALAT à qui le Président donne la parole.

Monsieur SEGALAT indique à ses collègues que les moyens développés par les auteurs de la saisine sont triples. Ils concernent :

1° le problème de la recevabilité de certaines dispositions de la loi au regard de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ;

2° le respect de l'article 45 de la Constitution ;

3° le principe d'égalité devant la loi fiscale.

I. LES MOYENS TIRES DE LA RECEVABILITE DES ARTICLES 7, 11-1, 12, 21 ET 25 DE LA LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE AU REGARD DE L'ORDONNANCE DU 2 JANVIER 1959 :

Je ne suis pas sûre de devoir mettre des balises de titre 2 ici

Il est soutenu que deux articles de cette ordonnance auraient été violés : les articles 1 et 42.

a) l'article 1 de l'ordonnance définit le contenu possible des lois de finances. Il tend à en écarter, ce que l'on appelle communément, les cavaliers budgétaires. Pour rechercher si les articles contestés entrent dans le champ d'application de cette ordonnance, il convient de les analyser sommairement pour vérifier s'ils ont ou non leur place dans la loi de finances.

- l'article 7 : cet article étend aux comptables chargés du recouvrement des impôts le droit de communication, reconnu par le livre des procédures fiscales aux fonctionnaires des impôts chargés de l'assiette et du contrôle de ces impôts. Il est clair que cette mesure tend à l'efficacité. Sa place dans une loi de finances est donc légitime.

- l'article 11-1 : Dois-je écrire "article 11-1 ou plutôt "article 11-I" comme dans le document original ?cet article autorise la communication de renseignements entre des administrations fiscales des membres de la Communauté Economique Européenne, sous réserve de réciprocité. Ces renseignements concerneront l'établissement et le recouvrement de l'impôt sur la fortune, de l'impôt sur le revenu ainsi que de la taxe sur la valeur ajoutée. Cette disposition qui était prévue avant même les élections de mai 1981 présente un intérêt fiscal évident.

- l'article 12 : cet article est relatif au recouvrement des frais de⁻jüstice en matière d'aide judiciaire. Désormais, ces frais de justice seront recouvrés suivant les modes et avec les garanties des amendes pénales. Cette mesure tend donc à assurer de façon plus certaine le recouvrement des frais de justice avancés par l'Etat au profit du plaideur ayant bénéficié de l'aide judiciaire.

Si ces trois articles ne posent pas de problème, il en est autrement pour les deux suivants, à savoir les articles 21 et 25.

- l'article 21 : cette disposition est relative à la composition de la commission de la concurrence dont les membres passent de dix à quatorze. On ne voit pas où est l’intérêt financier de cette mesure. Il semble donc que le Gouvernement a recherché la facilité offerte par les lois de finances pour véhiculer des dispositions qui n'ont pas à y figurer.

- l'article 25 : l'objet de cet article est d’améliorer la rémunération des porteurs de parts des sociétés mutualistes ou coopératives. Aujourd'hui, la rémunération de ces porteurs de parts est limitée à un taux de 5 ou 6 %. Le Gouvernement cherche à les majorer pour compenser le phénomène de l'érosion monétaire. Un projet de loi avait même été prévu sous l'ancienne législature. Il est repris ici, sous une forme quelque peu différente. Sur le fond, il apparaît que ces dispositions échappent au domaine du droit fiscal.

En conclusion, le rapporteur propose au Conseil de déclarer que les articles 21 et 25 ont été adoptés selon une procédure non conforme à la Constitution.

b) l'article 42 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 est également invoqué par les députés, auteurs de la saisine. Cet article dispose qu'aucun article additionnel, aucun amendement à un projet de loi de finances ne peut être présenté, sauf s'il tend à supprimer ou à réduire effectivement une dépense, à créer ou à accroître une recette ou à assurer le contrôle des dépenses publiques.

Deux articles du collectif auraient été adoptés en violation de cette disposition. Il s'agit des articles 21 et 11. Ils ont été analysés ci-dessus. Il est donc inutile de les détailler de nouveau. Sous l'angle de l'article 42, ils apparaissent comme étant de nature à améliorer les ressources de l'Etat et il est donc proposé le rejet du recours.

Bien que la question de recevabilité n'ait pas été soulevée au cours des débats devant le Parlement, le rapporteur suggère au Conseil d'écarter ce moyen car il n'est pas justifié sur le fond.

II. LE MOYEN TIRE DE LA VIOLATION DE L’ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION :

L'article 14 de la loi, relatif au financement des dépenses de conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement, présente en lui-même un intérêt mineur. Le problème qui se pose à son sujet est relatif à la procédure parlementaire. Les auteurs de la saisine font valoir qu'il aurait été adopté en méconnaissance de l'article 45 de la Constitution et des articles 108, 109 et 114 du règlement de l'Assemblée nationale qui assurent la mise en oeuvre de ces dispositions constitutionnelles.

Pour situer ce problème, il convient de retracer la chronologie de cette disposition.

Cet article a été introduit au Sénat, en première lecture, par un amendement du Gouvernement. Le Sénat l'a adopté avant de rejeter ultérieurement l'ensemble du projet de loi. Ce rejet de l'ensemble a donc effacé l'adoption partielle dont avait fait l'objet cet amendement.

A la suite du désaccord entre les deux assemblées, le Gouvernement a demandé la réunion d'une commission mixte paritaire qui n'est pas parvenue à élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion.

Une nouvelle navette s'est alors instaurée. C'est lors de sa deuxième lecture que l'Assemblée nationale a été saisie par le Gouvernement d'un amendement similaire à celui qui avait été voté par le Sénat. Cet amendement a été voté par les députés.

Le Sénat a donc été saisi en deuxième lecture du texte voté par l'Assemblée nationale dans lequel figurait l'article 14. Une nouvelle fois, les sénateurs ont adopté ce texte avant de rejeter l'ensemble du projet.

L'Assemblée nationale s'est ensuite réunie, en troisième lecture, pour statuer définitivement, à la demande du Gouvernement. Les députés ont alors adopté définitivement la loi et, notamment, cet article 14.

Comment se pose le problème soulevé par les députés, auteurs de la saisine ?

Selon eux, aucune nouvelle disposition ne peut être introduite à la suite de l'échec d'une commission mixte paritaire. En effet, il s'agirait d'une violation de l'article 45 de la Constitution qui assure la garantie des prérogatives législatives du Sénat.
Pour les saisissants, la discussion devant l'Assemblée nationale, après l'échec de la commission mixte paritaire, devait se limiter aux dispositions qui faisaient l'objet, avant cette commission mixte paritaire, d'un désaccord entre les deux chambres. Ce moyen n'apparaît pas avoir le soutien des dispositions de l'article 45. En effet, la seule limitation qui est imposée à l'assemblée nationale Dois-je mettre une maj à "Assemblée nationale" concerne l'ultime lecture. A ce moment, l'Assemblée nationale perd des droits d'initiative car si on introduisait une nouvelle disposition à ce moment il y aurait violation des dispositions de l'article 45, alinéa 1, qui énonce que tout projet de loi doit être examiné successivement par les deux assemblées du Parlement. La garantie des prérogatives du Sénat n'est pas là où la situent les auteurs de la saisine mais dans le fait que le Sénat doit avoir eu connaissance du texte qui sera définitivement adopté. Rien n'interdit donc l'introduction au cours des lectures intermédiaires, d'alinéas additionnels, dès lors que le Sénat a pu en débattre. En effet, dans la mesure où le 4ème alinéa de l'article 45 de la Constitution prévoit qu'en dernière lecture l'Assemblée nationale peut reprendre "le dernier texte voté par elle, modifié, le cas échéant, par un ou plusieurs amendements adoptés par le Sénat", cela implique nécessairement un droit d'amendement équivalent au bénéfice des députés lors de la lecture qui suit la commission mixte paritaire et qui précède la seconde lecture au Sénat et l'ultime lecture à l'Assemblée nationale.

L'historique de l'article 14 que nous venons de dresser démontre que la procédure de l'article 45 a été respectée.

Postérieurement à la commission mixte paritaire, l'Assemblée nationale a délibéré sur le texte qu'elle avait voté en première lecture le Sénat ayant, comme nous l'avons vu, rejeté l'ensemble du projet. Au cours de cette deuxième lecture, les députés ont adopté l'amendement qui figure dans l'article 14. Puis, le texte issu de cette seconde lecture à l'Assemblée nationale a été soumis en seconde lecture au Sénat. Les sénateurs ont donc eu à connaître de l'ensemble du texte et, en particulier, de cet article 14. Ils ont de nouveau adopté cet article 14 avant de rejeter l'ensemble du projet. En troisième lecture, à l'Assemblée nationale, celle-ci a "statué définitivement" en reprenant à la demande du Gouvernement, à défaut de "texte élaboré par la commission mixte", "le dernier texte voté par elle".

L'Assemblée nationale a donc repris en dernière lecture le texte qu'elle avait voté lors de la seconde lecture qui avait suivi la commission mixte paritaire. Ce texte, qui incluait l'article 14, n'a pas été modifié, comme l'autorise l'article 45 de la Constitution, par "des amendements adoptés par le Sénat" puisque les sénateurs avaient rejeté l'ensemble du projet de loi. En définitive, la procédure législative a été respectée. La commission mixte paritaire n'étant pas parvenue à un accord une nouvelle navette s'est instaurée. En seconde lecture, l'Assemblée nationale a adopté l'amendement gouvernemental instituant l'article 14 puis ce texte a été soumis au Sénat qui l'a examiné dans son ensemble. Les sénateurs ayant rejeté le projet, les députés, en troisième lecture, ont donc statué définitivement adoptant sans modification le texte qu'ils avaient voté en seconde lecture.

En ce qui concerne la violation alléguée du réglement de l'Assemblée nationale, il suffit de rappeler que le Conseil constitutionnel considère que ce règlement n'a pas de valeur constitutionnelle et qu'il n'a pas à en vérifier l'application.

III. VIOLATION DU PRINCIPE D'EGALITE DEVANT LA LOI FISCALE :

L'article 9 de la loi de finances rectificative dispose "I.- Le premier alinéa de l'article L.277 du livre des procédures fiscales du nouveau code des impôts est remplacé par les dispositions suivantes :

"le contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge peut, s'il en a expressément formulé la demande dans sa réclamation et précisé le montant ou les bases du dégrèvement auquel il estime avoir droit, être autorisé à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions et des pénalités y afférentes.

"A l'exception des cas où la réclamation concerne des impositions consécutives à la mise en oeuvre d'une procédure d'imposition d'office ou à des redressements donnant lieu à l'application des pénalités prévues en cas de mauvaise foi ou de manoeuvres frauduleuses, le sursis de paiement est accordé dès lors que le contribuable a constitué des garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor."

L'article L.278 du livre des procédures fiscales du nouveau code des impôts est abrogé."

Cet article est donc relatif au sursis à paiement d'une dette fiscale contestée. L'état antérieur du droit prévoyait que tout contribuable avait droit au sursis à paiement. La nouvelle règle limitera l'automaticité de ce bénéfice aux seuls contribuables de bonne foi. Quelle est la raison de ce changement ? En période d'érosion monétaire, il est apparu que tout contribuable avait intérêt à demander le sursis car, en raison des forts taux d'intérêt du marché monétaire, il profitait de tout délai et ceci au détriment de l'Etat. Telle est la raison d'être de cette modification.

Il n'apparaît pas que cette mesure porte atteinte au principe d'égalité car la différence de situation entre un contribuable de bonne foi et un contribuable de mauvaise foi justifie pleinement cette différence de traitement.

Monsieur le rapporteur indique qu'il en est alors terminé avec son exposé.

Monsieur le Président remercie le rapporteur et déclare que la discussion générale est ouverte.

Monsieur VEDEL déclare ne pas très bien comprendre la différence entre un contribuable de bonne foi et un contribuable de mauvaise fois. Au début d'une procédure de redressement fiscal, un contribuable peut, en effet, s'estimer de bonne foi. Il sera privé des possibilités de sursis à paiement, en vertu de l'appréciation souveraine de l'administration. Il est tout à fait possible que cette appréciation soit erronée. Certes, dans ce cas, le contribuable pourrait saisir les juridictions administratives mais ce recours est, en réalité, quelque peu illusoire car, pour engager la responsabilité de l'Etat, le Conseil d'Etat exige une faute grave ou lourde de l'administration. Par ailleurs, il est tout à fait possible que l'administration dénie systématiquement la qualité de contribuable de bonne foi, en cas de contestation, afin d'assurer plus facilement le recouvrement des impôts et taxes.

Il est curieux, enfin, de noter qu'en cas de redressement après vérification le Code général des impôts prévoit l'octroi de délais tandis que, si le redressement se fait d'office, le contribuable risque de ne plus disposer de ses facilités de délai.

Monsieur SEGALAT estime que le sursis à paiement constitue, en réalité, une faveur, le principe étant que l'impôt est de plein droit recouvrable. Les dispositions de l'article 9 de la loi de finances constituent donc un retour au régime du droit commun.

Monsieur PERETTI souhaite aborder les problèmes de procédure posés par l'article 14 de la loi de finances. Il considère que l'article 45 de la Constitution vise à instaurer une harmonie entre les vues des deux assemblées. Après l'échec de la commission mixte paritaire, l'Assemblée nationale a donc tout à fait normalement repris l'examen du texte qu'elle avait voté avant cette commission mixte paritaire puisque le Sénat avait, lors de sa première lecture, rejeté l'ensemble du projet. En seconde lecture, après la commission mixte paritaire, les députés disposent d'un droit d'amendement. En effet, l'article 45 in fine de la Constitution, mentionnant le droit d'amendement des sénateurs, implique un même droit pour les députés. L'article 14 voté en seconde lecture par l'Assemblée nationale a été incorporé au texte soumis ensuite au Sénat et définitivement adopté lors de l'ultime lecture par l'Assemblée nationale. Il n'y a en l'espèce aucune violation des règles de la procédure parlementaire.

Sur le fond de l'article 14, Monsieur PERETTI se pose la question de savoir s'il ne s'agit pas, en réalité, d'un cavalier budgétaire. Les mesures de financement des conseils d'architecture n'étant pas relatives aux finances de l'Etat, mentionnées à l'article 1 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, on peut s'interroger de savoir si cette mesure avait sa place dans la loi de finances rectificative.

Monsieur SEGALAT considère que le texte même de l'article 14 suffit à montrer qu'il ne s'agit pas d'un cavalier budgétaire.

Monsieur VEDEL est de l'avis du rapporteur. Il indique que l'article 1, troisième alinéa, vise "des impositions de toutes natures".
Il est tout à fait loisible à une loi de finances d'inclure des dispositions relatives aux collectivités locales. Nous ne sommes pas dans un état fédéral mais dans un état unitaire. Dans ce cas, c'est l'Etat qui est responsable des finances des collectivités locales.

Monsieur LECOURT se déclare troublé par l'interprétation de l'article 45 de la Constitution qui vient d'être donnée par le rapporteur. Il considère que l'esprit de l'article 45 témoigne du désir manifesté par le constituant de permettre l'élaboration d'un texte commun aux deux assemblées. Cette idée est fondamentale. Elle éclaire la façon dont il faut envisager la procédure législative. Cette procédure se divise en effet en deux étapes.

Dans une première étape, l'Assemblée nationale et le Sénat, dans une totale liberté d'amendement, par le jeu de la navette, doivent tendre à parvenir à un texte commun. Puis, arrive un moment différent qui vise à la conciliation avec l'instauration par le Gouvernement d'une commission mixte paritaire chargée de "proposer un texte sur les dispositions restant en discussion".

A partir de la création de cette instance paritaire, s'ouvre une seconde étape de la procédure législative. Si la commission n'aboutit pas à un texte d'accord dans les lectures postérieures, la discussion des articles doit être limitée à ceux pour lesquels les deux chambres n'ont pu parvenir à un accord. En effet, à supposer qu'on ouvre la vanne des amendements après une commission mixte paritaire, il y aurait un risque de véritable dénaturation du texte par le jeu d'amendements introduits postérieurement à la commission mixte paritaire. Le Gouvernement avec l'accord d'une assemblée pourrait contourner les exigences de l'article 45 dont le but est d'aboutir à une conciliation entre les deux assemblées.

Il craint que l'interprétation proposée de l'article 45 ne permette de favoriser des méthodes administratives douteuses par le biais d'amendements nouveaux lors de la fin des débats parlementaires.

Monsieur GROS est pleinement d'accord avec ce que vient d'exprimer Monsieur LECOURT. Il estime que la commission mixte paritaire met fin à la libre expression du droit d'amendement des assemblées.

Monsieur PERETTI pense que la solution proposée par le rapporteur respecte l'article 45 de la Constitution.

Monsieur MONNERVILLE rappelle que l'article 45 répond à une volonté d'équilibre entre les deux chambres. Cet équilibre existait imparfaitement sous la IVème République. A cette époque, le Conseil de la République avait longuement travaillé la question dans l'optique d'une éventuelle révision constitutionnelle.
Il indique que des études fouillées auxquelles avaient pris part, notamment, Monsieur Michel DEBRE et Monsieur Paul COSTE-FLORET, étaient intervenues à ce sujet.

Le constituant de 1958 s'est inspiré de ces travaux qui sont à l'origine de l'article 45 de la Constitution. Le but est d'instaurer un système permettant le rapprochement des deux chambres. Si cette conciliation ne parvient pas à se faire par le jeu de la navette, elle est poursuivie par la commission mixte paritaire. Si celle-ci n'arrive pas à élaborer un texte de conciliation, il considère que, dans les lectures ultérieures, le droit d'amendement n'est pas restreint. Ce n'est que lors de l'ultime lecture à l'Assemblée nationale que ce droit est limité, l'Assemblée nationale ne pouvant reprendre que, soit le texte de la C.M.P., soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs amendements du Sénat. Ces dispositions s'expliquent car, si des amendements nouveaux étaient introduits lors de l'ultime lecture, le Sénat n'aurait pas eu à en connaître, ce qui violerait l'exigence de l'article 45, premier alinéa, qui énonce que tout projet de loi doit avoir été examiné dans toute son étendue par chacune des deux assemblées.

Monsieur VEDEL considère que l'interprétation proposée par le rapporteur se justifie par le texte même de l'article 45. La commission mixte paritaire ne peut figer les discussions parlementaires. On ne comprendrait pas d'ailleurs pourquoi le quatrième alinéa de l'article 45 mentionnerait des amendements du Sénat s'il était interdit à l'Assemblée nationale d'en voter. Il comprend cependant l'objection de Monsieur LECOURT qui craint qu'après une procédure en trompe-l'oeil, en première lecture, l'Assemblée nationale, après la commission mixte paritaire, ne dévoile ses batteries par un jeu d'amendements totalement inédits mais, alors, le contrôle du Conseil constitutionnel aurait à intervenir pour juger de la nature de ces amendements.

Monsieur LECOURT confirme qu'il craint que postérieurement à la commission mixte paritaire il y ait introduction d'amendements nouveaux qui modifient complètement le sens du texte par rapport à ce qu'il était, antérieurement à la commission mixte paritaire. Cela serait grave pour la vie parlementaire.

Monsieur VEDEL précise qu'il n’avait pas compris la profondeur des observations très fines de Monsieur LECOURT. La question qui se pose n’est pas de savoir si un amendement peut surgir lors de la dernière lecture mais si, après la commission mixte paritaire, il peut y avoir introduction dans le projet d’éléments entièrement nouveaux. Il y aurait là un danger de détournement de procédure. Il importe donc d’apprécier ce qui doit être entendu par le terme d’amendement.

Monsieur BROUILLET voudrait savoir si un problème identique s'est déj à posé. Si cette question est nouvelle, il invite le Conseil à réfléchir sur les incidences de sa décision.

Monsieur PERETTI déclare comprendre les craintes de Monsieur LECOURT. Sur le fond, il rappelle qu'il considère que l'article 14 constitue un cavalier budgétaire.

Monsieur BROUILLET estime, lui aussi, que cet article 14 est un cavalier budgétaire. Il considère que l'article 1 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ne peut, à ses yeux, traiter des finances des collectivités locales. Si le Conseil juge comme lui qu'il s'agit d'un cavalier budgétaire, cela permettra d'enjamber le problème de procédure parlementaire que pose l'interprétation de l'article 45.

Monsieur SEGALAT demande qu’il ne soit pas recouru à un procédé pour éluder la difficulté. Il estime qu'il n'est pas possible de déclarer que l'article 14 est un cavalier budgétaire. A ce sujet, il indique que l'article 31 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 se réfère expressément aux finances des collectivités et établissements publics.

Monsieur VEDEL souscrit à cette dernière opinion du rapporteur. Adopter une position contraire aurait une répercussion considérable car cela interdirait de faire figurer dans les lois de finances tout ce qui concerne la fiscalité locale.

Monsieur SEGALAT rappelle sa position. Il serait contraire au texte et à l'esprit de l'article 45 de la Constitution de vouloir restreindre le droit d'amendement, après une commission mixte paritaire à des amendements ayant, comme le suggère Monsieur LECOURT, un lien direct avec des dispositions en discussion entre les assemblées avant la réunion de cette instance paritaire.

Il ne faut pas oublier que la commission mixte paritaire, qui ne dispose d'ailleurs d'aucun pouvoir délibérant, marque l'introduction dans le jeu parlementaire d'un troisième acteur entre les deux chambres : le Gouvernement. C'est lui seul qui peut provoquer la réunion de la commission mixte paritaire. S'il le fait c'est afin de tenter une conciliation entre députés et sénateurs.

Si la commission mixte paritaire échoue, c'est le jeu normal du dialogue par navette entre les deux assemblées qui reprend son cours. Limiter alors l'étendue du droit d'amendement reviendrait, en fait, en figeant ce dialogue, à entraver les moyens de trouver une conciliation entre les assemblées. La navette avec un plein droit d'amendement à l'exclusion, évidemment, d'amendements nouveaux lors de l'ultime lecture à l'Assemblée nationale qui dispose constitutionnellement du  "dernier mot", est pleinement conforme à l'esprit de l'article 45 de la Constitution.

Les garanties du Sénat ne sont pas là où les situent les auteurs du recours. Ces garanties sont ailleurs. Elles résident, d'une part, dans le fait que le Sénat doit connaître d'un texte identique à celui voté en dernière lecture par l'Assemblée nationale (article 45, alinéa 1er) et, d’autre part, dans le fait que, conformément à l'article 61 de la Constitution,le Sénat peut saisir le Conseil constitutionnel pour lui faire valoir qu'il y a eu dénaturation par des amendements abusifs d'un texte de projet de loi.

Le Président demande alors au rapporteur de lire son projet de décision.

Il est alors procédé au vote des considérants sur l'article 14.

Ont voté pour la conformité : MM. le Président, SEGALAT, JOXE, VEDEL, PERETTI, MONNERVILLE.

Ont voté contre la conformité : MM. GROS et LECOURT.

Monsieur BROUILLET ne prend pas part au vote.

Ensuite, il est procédé au vote sur l'ensemble du texte qui est adopté, Monsieur GROS votant contre, MM. BROUILLET et LECOURT s'abstenant.

La séance est levée à 18 h 30.

SEANCE DU 31 DECEMBRE 1981

Le Conseil se réunit à 18 h 30 en présence de tous ses membres à l'exception de Monsieur Valéry GISCARD D'ESTAING excusé.

Le Président indique que l'ordre du jour porte sur l'examen de la conformité à la Constitution de la quatrième loi de finances rectificative pour 1981 dont le Conseil a été saisi par soixante députés en application de l'article 61 de la Constitution.

Le Rapporteur de cette affaire est Monsieur SEGALAT à qui le Président donne la parole.

Monsieur SEGALAT indique à ces collègues que cette quatrième loi de finances rectificative a pour objet de traduire concrètement les résultats de la conférence agricole annuelle qui s'est déroulée en décembre 1981. Face à la crise agricole qui sévit, le Gouvernement a décidé de recourir à des mesures d'aide importantes. Pour ce faire, il a prévu un mode mixte de financement qui associe l'Etat et le Crédit agricole. Ces aides d'un montant total de cinq milliards cinq cent cinquante millions de francs se répartissent à concurrence de deux milliards huit cent cinquante six millions à la charge de l'Etat et de deux milliards sept cent millions à la charge du Crédit agricole.

Les auteurs du recours soutiennent essentiellement que la contribution du Crédit agricole aurait dû faire l'objet d'une traduction directe dans la loi de finances. Ils considèrent que le loi ne peut se borner à indiquer dans son exposé des motifs ce financement du Crédit agricole qui aurait dû être pris en compte suivant la procédure du fonds de concours visée à l'article 19 de l'ordonnance du 2 janvier 1959.

Un second grief, relatif à l'article 9 de cette loi de finances rectificative portant modification de l'article 51-1 Est-ce "51-1" ou "51-I" ?du Code du domaine de l'Etat, sera examiné plus loin.

En ce qui concerne les articles 1, 2 et 3 relatifs aux aides à l'agriculture, il faut bien comprendre que si le Gouvernement a évité de faire apparaître la totalité de la dépense, il l'a fait dans une perspective communautaire. En effet, en minorant cette participation, il s'expose moins à être critiqué par ses partenaires européens pour avoir, par des aides directes, rompu l'égalité du marché agricole en favorisant les agriculteurs français. Le mode de financement adopté, qui fait apparaître qu'une part importante de l'aide ne vient pas de l'Etat, semble de nature à faciliter la. défense des français au cas où elle serait prise à partie par ses partenaires europééens.

Que penser du grief avancé par les saisissants ?

L'article 19 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 dispose : "Les procédures particulières permettant d'assurer une affectation au sein du budget général ou d'un budget annexe sont la procédure de fonds de concours et la procédure de rétablissement de crédits.

Les fonds versés par des personnes morales ou physiques pour concourir avec ceux de l'Etat à des dépenses d'intérêt public, ainsi que les produits de legs et donations attribués à l'Etat ou à diverses administrations publiques, sont directement portés en recettes au budget. Un crédit supplémentaire de même montant est ouvert par arrêté du ministre des finances au ministre intéressé. L'emploi des fonds doit être conforme à l'intention de la partie versante ou du donateur. Des décrets pris sur le rapport du ministre des finances peuvent assimiler le produit de certaines recettes de caractère non fiscal à des fonds de concours pour dépenses d'intérêt public.

'Peuvent donner lieu à rétablissement de crédits dans des conditions fixées par arrêté du ministre des finances :

a) Les recettes provenant de la restitution du Trésor de sommes payées indûment ou à titre provisoire sur crédit budgétaires ;

b) les recettes provenant des cessions ayant donné lieu à paiement sur crédits budgétaires.

"Le décret visé au deuxième alinéa du présent article pourra étendre la procédure des fonds de concours aux cas de rétablissement de crédits non prévus sous les lettres a et b ci-dessus et autorisés par la législation en vigueur. "

Il n'apparaît pas que les sommes versées par le Crédit agricole devaient être coulées dans le moule du fonds de concours et ceci pour trois raisons :

- Le fonds de concours n'est pas, premièrement, une obligation mais simplement une faculté offerte à la personne qui désire concourir avec l'Etat à une activité quelconque. C'est seulement si la somme versée par cette personne est versée à l'Etat que la procédure du fonds de concours doit être utilisée. En l'espèce, il n'y a pas eu de versement à l'Etat de fonds non publics provenant du Crédit agricole.

- Deuxièmement, il convient de rappeler que la procédure du fonds de concours n'implique pas d'autorisation législative. C'est une procédure purement règlementaire.

- Enfin, la loi de finances rectificative discutée a pour objet de modifier le budget de 1981. Il n'y avait pas lieu de retenir des opérations qui concernent l'exercice 1982. Pour ces raisons, il est donc proposé d'écarter ce moyen.

En ce qui concerne l'article 9 de la loi de finances rectificative, cette disposition, qui modifie l'article L. 51-1 du Code du domaine de l'Etat étend aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER ) la possibilité de gérer les immeubles domaniaux de l'Etat. Il est soutenu que cette mesure n'est pas au nombre de celles qui entrent dans le cadre de l'article 1 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 qui énonce notamment que les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat compte tenu de l'equilibre économique et financier qu'elles définissent.

Ce moyen ne semble pas fondé, l'article 9 de la loi de finances en étendant aux S.A.F.E.R. la possibilité de gérer des biens immobiliers de l'Etat, complète l'article L. 51-1 du Code du domaine de l'Etat. Cette mesure vise à permettre la gestion par une S.A.F.E.R. d'une partie du domaine du Larzac, tel qu'il résultait des expropriations. Après avoir limité son projet l'Etat a proposé la restitution aux anciens propriétaires. Certains d'entre eux n'ont pas accetpé de reprendre ces terres. C'est cette partie du domaine dont il s'agit d'assurer la gestion. Il est clair que cet article qui instaure un mode de gestion du domaine de l'Etat est de nature à affecter les recettes domaniales qui conformément à l'article 3 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 figurent parmi les ressources permanentes de l'Etat. Cette mesure relève donc bien d'une loi de finances.

Monsieur le Président remercie Monsieur le Rapporteur et lui demande de donner lecture de son projet de décision.

Aucune observations n'ayant été formulée par les membres du Conseil, Monsieur le Président propose alors de procéder au vote. Le projet du Rapporteur est adopté à l'unanimité.

La séance est alors levée à 19 h 20.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.