SEANCE DU 16 AVRIL 1982
Le Conseil constitutionnel se réunit à 14 h 50, tous ses membres étant présents à l'exception de Monsieur Valéry GISCARD d’ESTAING qui est excusé.
Monsieur le Président indique que l'ordre du jour porte sur l'examen des requêtes présentées par Messieurs Jacques BERNARD, Claude COLLIN du BOCAGE, Paul MERMILLOD et Olivier ROUX, membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger, tendant à l'annulation du décret n° 82-178 du 22 février 1982 et des arrêtés du Ministre des relations extérieures des 26 février, 2 mars et 8 mars 1982.
Le rapporteur de cette affaire est Monsieur le Doyen Georges VEDEL à qui le Président donne la parole.
Monsieur VEDEL indique que le sujet dont doit aujourd'hui traiter le Conseil est délicat et il demande à ses collègues de bien vouloir l'excuser par avance pour la longueur de son exposé qu'il se propose de développer en quatre points.
Il conviendra d'examiner, tout d'abord, les dispositions législatives et réglementaires relatives au Conseil supérieur des Français de l'étranger avant d'analyser les requêtes puis de délimiter le champ du problème juridique qui se pose et d'examiner la question de la recevabilité de ces requêtes.
I. Les dispositions législatives et réglementaires relatives au Conseil supérieur des Français de l'étranger :
Pour bien comprendre la complexité de cette matière, il est donc nécessaire de rappeler l'état du droit antérieur (a) aux textes déférés dont il faudra, ensuite, examiner la nature et la portée exactes (b) .
a) Quels sont donc les textes qui régissent le Conseil supérieur des Français de l'étranger ?
Le texte de base est évidemment l'article 24, alinéa 3, de la Constitution qui dispose : "les Français établis hors de France sont représentés au Sénat".
Trois ordonnances prises sur le fondement de l'article 92 de la Constitution complètent cet article 24. Il s'agit :
- de l'ordonnance n° 58-1097 du 15 novembre 1958 portant loi organique relative à la composition du Sénat dont l'article 1 énonce que les Français établis hors de France sont représentés par six sénateurs,
- de l'ordonnance n° 58-1098 du 15 novembre 1958 relative à l'élection des sénateurs qui, dans son article 49, indique que les lois ultérieures détermineront les conditions d'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France,
- et de l'ordonnance n° 59-260 du 4 février 1959 complétant l'ordonnance n° 58-1098 du 15 novembre 1958 qui, dans son titre II, traite du mode d'élection et des conditions d'éligibilité des sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Cette ordonnance pose les règles relatives aux conditions d'éligibilité (article 15) et au mode d'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France. Ces sénateurs élus par le Sénat sont obligatoirement proposés par le C.S.F.E. qui lui présente une liste de candidats. Si cette liste est rejetée par le Sénat le C.S.F.E. propose de nouveaux noms. Il y a alors instauration d'une sorte de navette entre le Sénat et le C.S.F.E. et ceci jusqu'à ce que ces deux organismes se mettent d'accord. Le Sénat ne peut élire que des candidats présentés par le C.S.F E.
Il convient de préciser, enfin, que cette ordonnance, si elle fait allusion au Conseil supérieur des Français de l'étranger (C.S.F.E.) n'en fixe pas le statut. En effet, le statut de cet organisme est réglementé par le décret n° 59-389 du 10 mars 1959 qui met en oeuvre les règles posées par l'ordonnance du 4 février 1959.
Il apparaît donc que cet ensemble est tout à fait complexe. Il est difficile de qualifier cette procédure qui implique la participation de deux organismes, le C.S.F.E. et le Sénat, qui doivent tomber d'accord pour que soient élus les sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Il faut donc constater qu'il existe deux collèges électoraux qui participent obligatoirement à la coélection de ces sénateurs.
Pour terminer ce tableau relatif au Conseil supérieur des Français de l'étranger, il faut préciser qu'il est divisé en deux sections par arrêté conjoint du Premier ministre et du Ministre des affaires étrangères. Ces sections sont, d'une part, la section Afrique qui est représentée par trois sénateurs et, d'autre part, la section Amérique, Europe, Levant, Asie et Océanie qui est représentée par les trois autres sénateurs. Enfin, c'est par un arrêté du Ministre des affaires étrangères que sont déterminées la composition du collège électoral du C.S.F.E., la répartition du nombre de ses membres suivant les divers pays et les conditions d'électorat.
Tel est donc, sommairement, l'ensemble des dispositions qui traitent de l'élection des sénateurs représentant les Français de l'étranger.
Le Conseil constitutionnel statuant en matière électorale a eu à en connaître, à deux reprises, à l'occasion de recours concernant l'élection de sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Une première décision du 16 juin.1959 (n° 59-223) apporte peu d'indications, le Conseil constitutionnel s'étant borné à statuer sur un problème relatif au défaut de publicité d'un arrêté divisant le C.S.F.E. en sections.
La décision du 5 février 1975 (n° 74-815) est, en revanche, beaucoup plus intéressante. Le Conseil constitutionnel, saisi d'un recours tendant à l'annulation de la désignation par le C.S.F.E. de candidats au siège des sénateurs représentant les Français de l'étranger, a, sur le fond, qualifié cette procédure d'opération électorale mais a déclaré la requête irrecevable car présentée antérieurement à l'élection des candidats présentés par le C.S.F.E., par le Sénat. On peut donc en conclure que, saisi dans les dix jours qui suivent une telle élection, le Conseil constitutionnel serait appelé à statuer sur la régularité des opérations électorales relatives au C.S.F.E.
b) Quels sont à présent, les textes dont les requérants demandent I'annulation ?
Il s'agit, en premier lieu :
- du décret n° 82-178 du 22 février 1982 relatif au statut du C.S.F.E. dont l'objet est de substituer pour l'élection à ce Conseil le suffrage direct au suffrage de divers groupements représentatifs des Français établis hors de France,
- de l'arrêté du Ministre des relations extérieures du 26 février 1982 qui détermine les circonscriptions électorales, leurs chefs-lieux et le nombre de sièges à pourvoir pour chacune d'elles,
- de l'arrêté du 2 mars 1982 portant convocation pour le 23 mai 1982 des électeurs pour l'élection des membres du C.S.F.E.,
- et, enfin, de l'arrêté du 8 mars 1982 qui a pour objet l'application du décret du 22 février 1982.
II. Les requêtes :
Ces requêtes ont été déposées par quatre membres du C.S.F.E.
Les griefs qu'ils formulent se fondent sur les dispositions de l'article 34 de la Constitution qui réservent à la loi le soin de fixer les règles relatives aux droits civiques et au régime électoral des assemblées parlementaires.
Les quatre textes précités qui fixent une partie de la procédure relative à l'élection des sénateurs représentant les Français de l'étranger constituent, selon eux, une violation flagrante du domaine réservé au pouvoir législatif.
Ils exposent, notamment, que l'absence de liberté de candidature au siège de sénateur représentant les Français de l'étranger touche à l'éligibilité au Sénat. Que, par ailleurs, la procédure électorale au sein du C.S.F.E. constitue une opération électorale inséparable de l'élection proprement dite de ces sénateurs par le Sénat. Ils ajoutent que la délimitation des circonscriptions électorales et du nombre de délégués par circonscription relève du domaine législatif et qu'enfin tout ce qui touche à l'élection d'une assemblée appartenant à l'ordre institutionnel français relève du domaine de la loi.
Les requérants réfutent, par avance, deux objections qui pourraient leur être opposées. En effet, d'une part, selon eux, il ne peut être soutenu que le C.S.F.E. constitue un simple service consultatif auprès du Ministre des relations extérieures. Ce serait tout simplement oublier le rôle électoral de cet organisme qui justifie à lui seul que son statut soit fixé par la loi. D'autre part, s'il peut être soutenu que, depuis 1958, les dispositions relatives au C.S.F.E. ont été prises sous la forme réglementaire, cela ne constitue pas une présomption quant à la régularité de cette pratique. Les requérants expliquent, en effet, que jamais le Conseil d'Etat n'a été consulté et que, de plus, lors du décret pris le 10 mars 1959, la délimitation des domaines législatif et réglementaire était encore incertaine.
Que penser de ces arguments ?
Monsieur le Doyen VEDEL déclare ne pas avoir d'hésitation quant à leur bien-fondé. Il est clair que, dans la mesure où le C.S.F.E. a un pouvoir de coélection avec le Sénat des six sénateurs représentant les Français établis hors de France, tout ce qui traite de cette élection est du domaine législatif. On peut même se demander si certaines dispositions ne relèvent pas de la loi organique.
Si le bien-fondé des requêtes n'est pas douteux, ce qui pose problème aujourd'hui est la question de leur recevabilité.
Monsieur le rapporteur indique qu'il reviendra en détail, dans la dernière partie de son exposé, sur ces questions de recevabilité mais il estime néanmoins nécessaire de les évoquer d'ores et déjà.
Il faut, en effet, comprendre que les requêtes visent des actes relatifs à des élections qui auront lieu, à l'avenir, sur une période de plusieurs mois. Selon les requérants, depuis la décision DELMAS du 11 juin 1981, le Conseil constitutionnel est seul compétent pour statuer sur la légalité des actes réglementaires qui mettent en cause la régularité de l'ensemble des opérations électorales et non plus celle de telle ou telle élection dans telle ou telle circonscription donnée. Ils exposent que nous nous trouvons devant un processus électoral indivisible qui part de la procédure d'élection des membres du C.S.F.E. pour se poursuivre par l'élection des candidats par ce conseil et qui se termine par l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France, par le Sénat. Il s'agit d'une opération électorale longue mais unique et sans faille. Pour eux, le Conseil constitutionnel ne peut manquer de se déclarer compétent.
Monsieur VEDEL indique qu'il fera connaître aux membres du Conseil son sentiment sur cette question de la recevabilité dans la dernière partie de son exposé. Il estime cependant nécessaire, pour les éclairer, de mentionner à présent deux éléments d'information.
En premier lieu, Messieurs Jacques BERNARD, Claude COLLIN du BOCAGE, Paul MERMILLOD et Olivier ROUX ont saisi concomitamment le Conseil d'Etat du même problème que celui qui est aujourd'hui posé au Conseil constitutionnel. Il ne semble pas que le Conseil d'Etat soit amené à statuer rapidement sur ces recours. Il est d'ailleurs difficile de savoir s'il reviendra ou non sur la jurisprudence d'incompétence qui, traditionnellement est la sienne en ce qui concerne les recours formés contre des actes relatifs aux opérations électorales et dont son arrêt DELMAS du 3 juin 1981 est une des plus récentes manifestation.
En deuxième lieu, le Gouvernement lui-même semble s'interroger sur la régularité du processus électoral conduisant à l'élection des sénateurs représentant les Français de l'étranger. C'est sans doute pourquoi il a déposé à l'Assemblée nationale un projet de loi n° 734 relatif au C.S.F.E.
Ce projet est assez curieux. On constate qu'il reprend certaines seulement des dispositions du decret attaqué du 22 février 1982, qu'il attribue au Conseil d'Etat le contentieux de la régularité des élections à ce conseil et qu'il a un effet rétroactif puisqu'il indique, dans son article 10 : "La présente loi prend effet le 22 février 1982".
Que conclure de tout cela, sinon qu'il semble que soit en train de s'instaurer un imbroglio juridique véritablement inextricable.
Il faut cependant, aujourd'hui, éviter de s'y perdre et pour ce faire il est nécessaire de délimiter clairement les problèmes juridiques précis qui se posent au Conseil constitutionnel.
III. Délimitation des problèmes juridiques soulevés par les requêtes :
a) Délimitation quant au fond :
Les problèmes de fond soulevés par les saisissants sont très sérieux.
Deux traits sont particulièrement frappants. Tout d'abord, le C.S.F.E. ne constitue pas un simple organisme de présentation. Il est coélecteur avec le Sénat des sénateurs représentant les Français de l'étranger. A défaut d'accord entre lui et le Sénat, ces sénateurs ne peuvent être élus. Ensuite, l'opération électorale qui commence par le vote des Français de l'étranger, qui se poursuit par les élections au sein des sections du C.S.F.E., qui se prolonge par l'élection en assemblée générale et qui se termine par le vote du Sénat, forme un tout indivisible.
La réglementation de cette matière par décret paraît d'une régularité discutable. On peut même se demander si, dans certains cas, elle ne relève pas de lois organiques et même, plus spécialement, de la loi organique relative au Sénat (article 46, alinéa 4, de la Constitution).
b) Délimitation quant à la question du recours parallèle devant le Conseil d'Etat :
Il est utile de se pencher sur la jurisprudence du Conseil d'Etat en la matière.
Avant 1939, le Conseil d'Etat, sans s'immiscer dans le contrôle des opérations électorales au Parlement, admettait néanmoins qu'il était compétent pour connaître des actes réglementaires de portée générale qui pouvaient lui être déférés dans la mesure où ils étaient détachables du processus électoral.
Depuis 1945, il considère que tout ce qui touche la matière électorale échappe à sa compétence.
L'arrêt DELMAS du 3 juin 1981, rendu sur des conclusions non conformes du Commissaire du Gouvernement, témoigne de cette jurisprudence.
Nous ne pouvons savoir si le Conseil d'Etat maintiendra sa position. S'il est infiniment probable qu'il refusera de connaître de l'arrêté de convocation des électeurs au C.S.F.E., il n'est pas interdit de penser qu'il pourrait se reconnaître compétent pour connaître des actes relatifs à la composition de ce Conseil. Il est néanmoins imprudent de supputer quelle sera la décision du Conseil d'Etat.
Si, aujourd'hui, le Conseil constitutionnel délimite clairement sa compétence, il pourrait ainsi éclairer celle du Conseil d'Etat.
c) Délimitation des problèmes par rapport au projet de loi sur le C.S.F.E. :
Monsieur le rapporteur n'estime pas utile de revenir sur l'exposé du projet de loi qu'il a fait ci-dessus. Il indique qu'il ignore quand ce texte sera définitivement voté et que personne ne peut émettre d'opinion quant à son contenu. La solution qui consisterait, pour le Conseil constitutionnel, à tarder à statuer, dans l'attente du vote de cette loi, ne lui paraît pas opportune, dans la mesure où cette loi ne changera vraisemblablement pas l'étendue de la difficulté qui se pose aujourd'hui et qui est relative à la régularité du décret et des arrêtés susindiqués.
C'est pour ces raisons qu'il appartient au Conseil constitutionnel de résoudre les problèmes qui se posent à lui.
Cependant, la question préliminaire qui commande la suite est celle de savoir s'il pourra considérer ces requêtes comme recevables.
IV. La question de la recevabilité des requêtes :
Monsieur le Doyen indique qu'il propose au Conseil une décision d'irrecevabilité.
Il ne s'agit ni d'une solution dictée par la facilité pour éviter de s'engager dans un imbroglio juridique ni d'un revirement de jurisprudence qui constituerait une abjuration de la décision DELMAS.
Cette solution qui ne se veut donc ni une manifestation d'impérialisme juridictionnel ni le signe d'un repentir présente, au contraire, l'avantage de préciser clairement le sens et la portée réels de cette décision du 11 j uin 1981.
Monsieur le Doyen VEDEL rappelle que les requérants se sont cru fondés à saisir le Conseil constitutionnel sur le fondemént de la jurisprudence DELMAS.
Il considère que cette décision, qui a d'ailleurs été acquise à une majorité simple le 11 juin 1981, constitue une solution d'espèce née d'une nécessité et qu'à ses yeux les circonsctances qui l'ont commandée ne sont pas, aujourd'hui, réunies. Il convient donc, à présent, de retracer les circonstances dans lesquelles le Conseil constitutionnel a rendu sa décision du 11 juin 1981.
A la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale par le nouveau Gouvernement, trois décrets ont été rendus le 22 mai 1981 portant convocation des collèges électoraux pour l'élection des députés.
Le premier de ces décrets s'appliquait aux départements ainsi qu'à la collectivité de Mayotte, le second aux territoires de la Nouvelle-Calédonie et le troisième à la Polynésie et aux Iles Wallis et Futuna.
Les 25 et 26 mai 1981, Monsieur DELMAS et deux autres personnes introduisaient devant le Conseil d'Etat des recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions des décrets de convocation des collèges électoraux en ce qu'ils raccourcissaient
la durée de la campagne électorale fixée par les dispositions du Code électoral et qu'ils portaient atteinte au principe d'égalité dans la mesure où certains territoires d'outre-mer votaient avec un retard d'une semaine sur les autres circonscriptions françaises.
Le Conseil d'Etat rendait, le 3 juin 1981, un arrêt d'incompétence rejetant ce recours aux motifs "qu'il n'appartient qu'au Conseil constitutionnel qui est, en vertu de l'article 59 de la Constitution du 4 octobre 1958, juge de l'élection des députés à l’Assemblée nationale, d'apprécier la légalité des actes qui sont le préliminaire des opérations électorales".
Monsieur DELMAS, à la suite de cette "pseudo-invitation" adressée par le Conseil d'Etat au Conseil constitutionnel, saisissait celui-ci le 5 juin 1981 lui demandant l'annulation des trois décrets du 22 mai 1981.
Le Conseil constitutionnel s'est trouvé alors devant un problème très difficile.
Devait-il ou non déclarer ce recours recevable ?
S'il s'en tenait aux termes des articles 32 à 45 de la loi organique du 7 novembre 1958, il devait se déclarer incompétent, seules étant recevables les requêtes dirigées contre des élections contestées et présentées dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats du scrutin.
Cette solution aurait d'ailleurs été dans la lignée de l'ensemble de ses décisions électorales. Cependant, se fondant sur les termes de l'article 59 de la Constitution qui dispose que "le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs", il lui est apparu que les règles déterminant sa compétence étaient moins contraignantes que ne pouvaient le laisser apparaître les seules dispositions de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
Celle-ci fixe une partie de la mission générale énoncée à l'article 59 de la Constitution mais n'interdit pas la mise en oeuvre de cette mission, dans les cas qu'elle ne vise pas. C'est dire que se fondant sur l'article 59 de la Constitution il peut exister des cas où une contestation électorale ne doit pas obligatoirement être présentée postérieurement à l'élection de tel ou tel député. En d'autres termes, le Conseil constitutionnel a estimé que le texte constitutionnel ne pouvait être limité rigoureusement par l'ordonnance organique.
Si tel est le principe formulé par la décision DELMAS, il est indispensable de comprendre les conditions dans lesquelles il a été dégagé, pour éviter de lui donner une portée excessive qui constituerait une dénaturation du sens réel de cette décision.
En juin 1981, le Conseil se trouvait devant ce que Monsieur le Doyen VEDEL qualifie de cas de nécessité politique et juridique. Il s'agissait de savoir si les Français étaient ou non valablement convoqués pour procéder à l'élection des députés.
En effet, après sa dissolution, le Parlement, contrairement à ce qui se passe lors de son renouvellement périodique, se trouvait dans l'impossibilité de censurer une décision gouvernementale qui pouvait être entachée d'irrégularité. Seul restait comme régulateur des
pouvoirs publics le Conseil constitutionnel. Il lui appartenait de se prononcer et ceci dès avant le scrutin car il aurait été regrettable qu'il rende une décision d'incompétence qui aurait signifié : "votez et on vous dira après si vous avez voté régulièrement ! ". Cette situation était d'autant plus critiquable qu'après le scrutin le Conseil se serait trouvé dans une situation lui interdisant pratiquement de déclarer l'élection irrégulière. Cette élection aurait d'ailleurs constitué un fait qui aurait influencé, de façon considérable, un nouveau scrutin en cas d'annulation par le Conseil.
C'est pour l'ensemble de ces raisons et essentiellement pour répondre aux besoins de la vie publique que le Conseil a rendu sa décision DELMAS. Cet état de nécessité ressort des deux considérants essentiels de la décision :
"Considérant que la mission ainsi confiée au Conseil constitutionnel s'exerce habituellement, conformément aux dispositions des articles 32 à 45 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par l'examen des contestations élevées contre les résultats acquis dans les diverses circonscriptions ;
"Considérant cependant que les griefs allégués par M. François DELMAS mettent en cause les conditions d'application de l'article 12 de la Constitution et, à cet égard, la régularité de l'ensemble des opérations électorales telles qu'elles sont prévues et organisées par les décrets du 22 mai 1981 et non celle des opérations électorales dans telle ou telle circonscription ; qu'il est donc nécessaire que, en vue de l'accomplissement de la mission qui lui est confiée par l'article 59 de la Constitution, le Conseil constitutionnel statue avant le premier tour de scrutin" ;
Il ressort de la lecture de ces deux considérants, d'une part, que le Conseil constitutionnel n'aurait pas pu agir utilement s'il avait statué après le scrutin et que, d'autre part, pour être fidèle à la mission qui lui est confiée par l'article 59 de la Constitution, dans ce cas précis, il se trouvait dans l'obligation de se prononcer avant même que 30 millions d'électeurs ne se rendent aux urnes.
-oOo-
S'il a été dit que la doctrine constitue le miroir de la jurisprudence, il faut bien reconnaître que ce miroir est parfois bien déformant.
Quels n'ont pas été les commentaires les plus invraisemblables qui ont été formulés à la suite de la décision du 11 juin 1981 !
En regroupant ces commentaires, on peut discerner deux interprétations :
Selon une première interprétation, le Conseil constitutionnel aurait admis que tout acte préparatoire à des élections peut lui être soumis avant que le scrutin ne s'engage. Cette thèse n'est pas admissible. Le Conseil constitutionnel deviendrait un véritable "dépotoir", saisi d'un contentieux des plus hétéroclite. Il aurait à connaître aussi bien du décret de dissolution que d'une circulaire du Ministre de l'intérieur traitant, par exemple, des emplacements réservés.
L'idée développée par d'autres commentateurs est qu'il faut nécessairement qu'il y ait un contentieux et, alors, si le Conseil d'Etat refuse de se déclarer compétent pour connaître des actes préliminaires aux élections, ce serait au Conseil constitutionnel de s'en saisir. Cette interprétation est plus ingénieuse que la première mais elle aboutit aux mêmes résultats, à savoir un large transfert de compétence au Conseil constitutionnel. En outre, c'est oublier qu'il n'est pas interdit de penser que le Conseil d'Etat reviendra un jour à sa jurisprudence antérieure à 1939 qui, comme il a déjà été indiqué, admettait assez libéralement les recours contre les actes réglementaires de portée générale et détachables du processus électoral. Certes, il n'en est pas là bien qu'il faille se souvenir que l'arrêt DELMAS n'a pas été rendu sur des conclusions pleinement conformes du commissaire du Gouvernement.
Il apparaît donc que ces deux interprétations sont tout à fait dangereuses en ce qu'elles donnent une portée trop extensive à la décision du Conseil constitutionnel.
Les requérants, eux, suggèrent une troisième interprétation. Ils opposent, en effet, un acte administratif concernant l'ensemble des élections à un acte relatif à une élection particulière. Selon eux, il résulte des jurisprudences concordantes du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel que celui-ci est seul compétent pour statuer sur la légalité des actes réglementaires qui mettent en cause la régularité de l'ensemble des opérations électorales, tel un décret de convocation des collèges électoraux.
Quelle appréciation porter sur la thèse des requérants ?
Tout comme les deux premières interprétations, il est clair qu'elle conduit à étendre considérablement la recevabilité des recours électoraux. II suffirait, pour que le Conseil soit compétent, qu'un acte administratif vise plus d'une seule circonscription électorale. D'autre part, cela conduirait à un changement d'optique complet en matière électorale. Il ne faut pas oublier, en effet, que le Conseil constitutionnel, en matière électorale, est moins le juge de la régularité formelle des opérations électorales que celui de la sincérité de l'élection. Si on admettait toute requête qui attaque, pour des raisons de forme, des actes organisant des élections, il y aurait un glissement de la compétence du Conseil.
Monsieur le Doyen écarte donc ces trois interprétations. En se fondant à la fois sur le texte de la décision DELMAS et sur le procès-verbal de délibération il propose au Conseil un autre critère. Il convient de se souvenir qu'en matière électorale le Conseil constitutionnel contrôle la sincérité et la régularité des élections et qu'il statue donc normalement a posteriori. La décision DELMAS constitue une exception à cette règle car, dans cette espèce, il n'était pas possible au Conseil de garantir la sincérité des opérations électorales sans intervention a priori, tout simplement parce que, comme il a déjà été indiqué, le résultat des élections aurait pesé de façon déterminante à la fois sur les possibilités d'intervention du Conseil et sur les résultats d'un nouveau scrutin, si le Conseil avait annulé l'ensemble des opérations électorales.
En est-il toujours ainsi ?
Aujourd'hui, cela ne semble pas être le cas car le fonctionnement des pouvoirs publics n'est pas mis en cause quelle que soit la gravité des irrégularités soulignées par les requérants. Il ne s'agit que de six élections échelonnées tous les trois ans. Le résultat le plus grave d'un contrôle a posteriori serait en l'espèce, l'invalidation de deux sénateurs. Cela est sérieux, certes, mais en rien comparable avec le cahot politique qu'aurait produit l'annulation de toutes les élections législatives, au cas où les arguments avancés par Monsieur DELMAS s'étaient révélés fondés. Il convient donc de tracer une limite quant à la recevabilité ou à l'irrecevabilité d'un recours a priori. Celle que sous-entend la décision DELMAS est la suivante : si une réclamation a posteriori n'est de nature, ni à procurer au requérant les mêmes garanties, ni à permettre au Conseil constitutionnel d'exercer pleinement sa mission, alors il y a lieu de déclarer ce recours recevable. En d'autres termes, un recours préalable à l'élection doit être déclaré recevable si une réclamation, après le scrutin, n'est pas à même de procurer un résultat équivalent.
Ce critère a ses lettres de noblesse même s'il peut paraître délicat à mettre en oeuvre. Il faut se souvenir que l'exception du recours parallèle a été dégagée empiriquement par le Conseil d'Etat.
Devant un risque de basculement de l'ensemble du contentieux qui aurait glissé en direction du recours pour excès de pouvoir, le Conseil d'Etat a été dans l'obligation de poser une limite.
En application de l'exception du recours parallèle, le recours pour excès de pouvoir n'est pas recevable, estime le Conseil d'Etat, si le requérant dispose d'un autre type de recours juridictionnel d'une aussi grande efficacité pour anéantir les effets de l'acte illégal attaqué.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel doit veiller à ne pas déroger inutilement aux dispositions de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958. S'il l'a fait, le 11 juin 1981, ce n'est que parce qu'il avait le sentiment d'un recours a posteriori n'eût pas été de nature à assurer les mêmes garanties au requérant.
Le rapporteur indique qu'il a rédigé un projet de décision (pièce jointe au procès-verbal) qui va dans le sens de ce qu'il vient d'exposer.
Il ajoute que, toutefois, d'autres solutions sont ouvertes au Conseil constitutionnel. Il peut, ou bien déclarer les recours recevables et constater que les actes déférés sont illégaux, ou il peut encore tarder à statuer dans l'attente de l'adoption du projet de loi relatif au C.S.F.E. qui vient d'être voté en première lecture à l'Assemblée nationale.
Monsieur le rapporteur, pour sa part, s'en tiendra à la solution d'irrecevabilité qu'il propose car elle présente à ses yeux deux mérites. D'une part, elle éclaire la décision DELMAS lui retirant toute équivoque et, d'autre part, elle peut constituer un moyen de rétablir une forme de consensus au sein du Conseil.
Monsieur le Président remercie le Doyen VEDEL pour son remarquable exposé et il déclare ouverte la discussion générale.
Monsieur GROS indique que l'exposé que vient de faire Monsieur le Doyen VEDEL lui a apporté une énorme satisfaction. En effet, il a toujours considéré, et ceci depuis vingt ans, que les membres du C.S.F.E. sont coélecteurs avec le Sénat des sénateurs représentant les Français établis hors de France. Ceci dit, Monsieur GROS déclare ne pas être d'accord avec les conclusions du Doyen VEDEL. Le rappel fait par le rapporteur des dispositions traitant du C.S.F.E. n'appelle, de sa part, que peu de commentaires. Il souligne toutefois que l'article 15 de l'ordonnance du 4 février 1959, fixant des conditions d'éligibilité à la fonction de sénateur représentant les Français établis hors de France, relève, conformément à l'article 25 de la Constitution, du domaine réservé à la loi organique.
Que s'est-il passé depuis 1959 ?
Depuis cette date, une dizaine de textes ont modifié le statut du C.S.F.E. Tous sont réglementaires et tous sont irréguliers. L'explication réside dans le fait que le Ministre des affaires étrangères, Président du C.S.F.E., a toujours estimé qu'il était compétent pour réglementer, par arrêté, ce qui a trait au dit conseil. L'actuel Ministre, Monsieur CHEYSSON, n'a pas adopté un comportement différent de celui de ses prédecesseurs. Au cours de la discussion parlementaire qui vient de se dérouler à l'Assemblée nationale, les 7 et 8 avril 1982, à propos du projet de loi sur le C.S.F.E., Monsieur CHEYSSON a en effet avoué qu'il continuait la pratique qui s'était amorcée avant qu'il ne soit ministre. Il a manifesté sa surprise lorsqu'il a été informé par le Conseil d'Etat, à l'occasion de l'avis qu'il a donné sur le projet de loi, que toute cette règlementation était irrégulière.
Sur le fond du problème qui se pose aujourd'hui, il faut se souvenir qu'un million et demi d'électeurs, selon Monsieur CHEYSSON, ou plus probablement un million d'électeurs répartis dans le monde entier vont être convoqués pour élire 120 ou 130 membres du C.S.F.E. qui eux-mêmes se réuniront à Paris pour désigner les personnes qui seront élues par le Sénat au titre de sénateurs représentant les Français établis hors de France. Il apparaît donc qu'en réalité cette procédure dépasse la simple élection de deux sénateurs.
Ce qui peut surprendre c'est que ce processus électoral s'étale sur plus d'une année. C'est qu'il faut recenser les électeurs, dresser des listes d'électeurs, les réviser, procéder à des élections locales, procéder à des élections dans les sections du C.S.F.E. puis en assemblées générales avant d'aboutir à l'élection par le Sénat. Cette procédure est donc à la fois lourde et longue.
Le rapporteur a montré magnifiquement que le pouvoir réglementaire a traité d'une manière totalement irrégulière d'une matière réservée au domaine de la loi. On voit difficilement pourquoi le raisonnement adopté par le Conseil constitutionnel, dans sa décision DELMAS, ne s'appliquerait pas dans le cas présent.
Monsieur GROS se souvient des paroles très sévères prononcées par Monsieur le Doyen VEDEL en juin 1981 à l'égard du Conseil d'Etat qui avait renvoyé au Conseil constitutionnel l'affaire DELMAS, d'une façon quelque peu péremptoire.
Le juge administratif n'a aucune injonction à adresser au Conseil constitutionnel. Celui-ci n'a pas, de son côté, à se soucier de ce que pense et de ce que fait la haute juridiction administrative.
Il importe peu au Conseil constitutionnel de savoir si le Conseil d’Etat compte ou non changer sa jurisprudence en matière électorale.
L'image de l'angle mort brillament exposée par Monsieur SEGALAT lors de la séance du 11 juin 1981 paraît dangereuse. Le Conseil constitutionnel est investi d'une fonction de juge électoral. Il est utile à tout juge de se reporter à ce qui doit constituer son livre de chevet, à savoir le Code civil. Parmi ses premiers articles qui fixent les principes fondamentaux républicains, figure l'article 4 qui énonce : "Le juge qui refusera de juger sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable du déni de justice". Le Conseil constitutionnel doit garder à l'esprit cette règle fondamentale. L'image de l'angle mort ne signifie-t-elle pas, tout simplement, que si le Conseil d'Etat se déclare incompétent, le Conseil constitutionnel doit aussi se déclarer incompétent ?
Monsieur GROS déclare refuser d'envisager ce qui constituerait un déni de justice.
Il ne partage pas l'opinion de ceux qui pensent que le Conseil constitutionnel n'est compétent que pour connaître de telle ou telle élection donnée. On ne peut, en effet, considérer que le Conseil constitutionnel a simplement hérité du pouvoir de validation des élections dont était investie, sous la IVème République, la Chambre des députés.
L'article 44 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 dispose que : "Le Conseil constitutionnel a compétence pour connaître de toutes questions et exceptions posées à l'occasion de la requête". Cela dépasse le pouvoir du bureau de l'assemblée qui avait pour simple pouvoir de valider les élections mais qui ne disposait pas des pouvoirs juridictionnels dont est investi le Conseil constitutionnel, véritable juge de la régularité de l'élection dans son ensemble.
Monsieur GROS ne peut approuver la distinction proposée par Monsieur VEDEL entre le contrôle de la légalité et le contrôle de sincérité. S'il est vrai qu'en matière électorale les sections du Conseil ont le plus souvent à connaître de questions de fait qui vicient la régularité de l'élection, l'article 44 de l'ordonnance organique lui confère le pouvoir de juger de la légalité d'opérations électorales. Il paraît difficile de suivre le rapporteur lorsque, pour restreindre la portée de la décision DELMAS, il indique l'existence de conditions particulières ou d'un état de nécessité. Selon lui, tant que le grief allégué par un requérant peut être invoqué utilement a posteriori, il est inutile au Conseil d'en connaître a priori. On ne voit pas très bien pourquoi. N'est-ce pas dire au requérant : "Vous avez raison mais revenez après-demain ! ". Cette attitude se justifierait parce que, dit-on, le Conseil serait submergé par un contentieux énorme. Cela se peut mais rien ne permet de l'affirmer.
Il faut revenir au décret et arrêtés attaqués. Il s'agit un véritable monument d'irrégularités, comme l'a d'ailleurs avoué, de façon fort sympathique, le Ministre des relations extérieures.
Une décision d'incompétence conduirait à laisser se rendre aux urnes, le 23 mai, un million d'électeurs répartis à travers le monde, alors que toute l'organisation de l'élection est manifestement irrégulière. Le Conseil doit assumer ses responsabilités et dire que tout cela est nul. C'est d'ailleurs rendre service à toutes les autorités, notamment au Gouvernement. Il faut lui dire : "Arrêtez ! Ce que
vous faites est irrégulier. Ne vous avancez plus sur cette voie ! ", sinon il est clair que lorsque le Conseil sera saisi a posteriori il ne pourra que déclarer ces élections irrégulières. Cela serait tout à fait regrettable car une décision constatant l'irrégularité des textes déférés aurait une signification tout à fait claire. Elle inviterait le Gouvernement qui s'est lancé dans la voie législative, pour ce qui est du statut du C.S.F.E. à continuer sur cette voie et aller jusqu'à son terme. Il lui est, en effet, possible, avant le mois de septembre 1983, date de l'élection des deux sénateurs représentant les Français de l'étranger, de légaliser l'ensemble de la procédure. Cette solution aurait le mérite de la clarté et de la simplicité. Il suffirait, en quelque sorte, de superposer la décision à intervenir à la décision DELMAS en remplaçant la référence à l'article 12 de la Constitution par celle de l'article 34 de la Constitut ion.
Enfin, il faut se souvenir que la décision DELMAS, longuement délibérée, a été adoptée par le Conseil constitutionnel et qu'elle s'impose à tous. Il est nécessaire qu'il existe une unité dans sa jurisprudence. Il serait donc tout à fait regrettable qu'il renie le précédent DELMAS.
Monsieur VEDEL précise qu'une décision d'incompétence ne constitue aucunement un déni de justice. En ce qui concerne le critère qu'il propose qui tient au fonctionnement ou au non fonctionnement des pouvoirs publics, il est évident qu'il y aura toujours des problèmes de délimitation. Il n'empêche qu'en l'espèce on ne voit pas en quoi le fonctionnement du pouvoir public sera compromis par l'irrégularité de la procédure électorale conduisant à l'élection des deux sénateurs représentant les Français établis hors de France. Le Conseil constitutionnel ne doit pas devenir un "touche à tout" de la vie administrative. Il n'y a aucune raison, dans le cas présent, de déroger au texte clair de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
Monsieur VEDEL rappelle qu'il était le rapporteur de l'affaire DELMAS et que jamais, dans son esprit, il n'avait été question d'ouvrir la porte à de nouveaux domaines contentieux. Il considérait que la difficulté évoquée par Monsieur DELMAS constituait un cas particulier et que, pour répondre à l'esprit de la Constitution, le Conseil devait statuer comme il l'a fait mais, pour lui, il ne s'agissait pas d'un premier pas vers une appropriation de tout le contentieux électoral.
La jurisprudence DELMAS a sa signification mais elle ne trouve pas, ici, à s'appliquer.
Monsieur le Président donne alors connaissance aux membres du Conseil de l'avis du Conseil d'Etat sur le projet de loi relatif au statut du C.S.F.E.
Il lui paraît qu'au contentieux ce même Conseil d'Etat ne pourra que déclarer irrecevables les requêtes de Messieurs Jacques BERNARD, Claude COLLIN du BOCAGE, Paul MERMILLOD et Oliver ROUX. Le Conseil constitutionnel se trouve devant un imbroglio juridique. Il lui faut cependant prendre ses responsabilités à moins qu'il ne préfère tarder à statuer en attente de l'adoption de la loi en cours.
Monsieur PERETTI rend hommage au rapport de Monsieur le Doyen VEDEL. Comme lui, il estime que les textes déférés sont irréguliers en tant qu'ils sont réglementaires et non législatifs. Il est certain que le C.S.F.E. procède avec le Sénat à la coélection des sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Le problème de recevabilité qui se pose est délicat mais il lui paraît très critiquable de considérer qu'il existe des violations mineures et des violations majeures de la Constitution. Il paraît choquant d'opposer le million d'électeurs concernés par les élections au C.S.F.E. aux trente millions d'électeurs qui étaient en cause pour les élections législatives de juin 1981.
Si le Conseil constitutionnel se déclarait compétent, il paraît excessif de le taxer d'impérialiste juridictionnel. Au contraire, on ne manquera pas, si une décision d'irrecevabilité était prise, de constater que le Conseil constitutionnel accepte sa compétence si le Conseil d'Etat lui renvoie une affaire et qu'il hésite à se déclarer compétent si le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé sur sa propre compétence.
Lorsque les membres du Conseil constitutionnel statuent en sections électorales, il est certain que les questions qui leur sont soumises relèvent essentiellement du fait. Cela ne veut pas dire que le Conseil constitutionnel n'a aucune qualité à connaître de questions de légalité. L'ordonnance du 7 novembre 1958 dit d'ailleurs exactement le contraire dans son article 44.
Par ailleurs, on ne peut opposer cette ordonnance à la Constitution, ses normes n'étant pas de même valeur. L'ordonnance ne règle qu'une situation particulière, à savoir le cas de contestations postérieures aux élections alors que l'article 59 de la Constitution est beaucoup plus large. L'ordonnance ne saurait en rien restreindre cette disposition constitutionnelle. Enfin, il serait très regrettable au Conseil de renier sa jurisprudence DELMAS et ceci particulièrement si l'on se contente d'opposer quantitativement un million d'électeurs à 30 millions d'électeurs.
Monsieur PERETTI rappelle que lorsque le Conseil constitutionnel s'est prononcé, il n'y a plus de majorité ou de minorité mais une décision qui s'impose à tous. C'est une considération essentielle que tous les membres du Conseil doivent avoir à l'esprit.
Monsieur BROUILLET rappelle, pour expliquer la position du ministère des affaires sans la justifier, qu'à l'origine, en 1949, le C.S.F.E. ne constituait qu'un simple service consultatif auprès du Ministre des affaires étrangères. Depuis 1959, les attributions de cet organisme ont été élargies en matière électorale mais c'est en toute bonne foi que le ministère des affaires étrangères a continué à fixer le fonctionnement du C.S.F.E. par voie réglementaire. Si l'attention du ministère avait été attirée sur cette anomalie, il est certain que cette situation ne se serait pas perpétuée. Il n'empêche qu'à présent une décision d'incompétence serait regrettable. En effet, le ministère des affaires étrangères a été avisé par le Conseil d'Etat, à propos de son projet de loi sur le statut du C.S.F.E., que cette matière était de la compétence législative. II est choquant que, néanmoins, le ministère ait été à l'origine du décret et des arrêtés attaqués et qu'il se soit contenté de rectifier la situation au moyen d'une loi de validation. Il y a là un comportement qui offense la conception que se fait Monsieur BROUILLET de son devoir. Il appartient à l'autorité chargée de régulariser le fonctionnement des pouvoirs publics de dire, dans ce cas, et après la décision DELMAS, qu'il y a là une irrégularité majeure, qui ne peut être tolérée.
Monsieur JOXE confirme ce que vient d'indiquer Monsieur BROUILLET.
Son expérience au ministère des affaires étrangères lui a permis de comprendre qu'aux yeux de ce ministère le C.S.F.E. n'est essentiellement qu'un organisme consultatif. Ceci explique que les irrégularités constatées se sont perpétuées depuis de nombreuses années.
Monsieur LECOURT se dit préoccupé, non pas tant sur le fond - les irrégularités invoquées lui paraissent établies - que sur le problème de la recevabilité. Il faut veiller à ce que les attributions du Conseil constitutionnel ne se soient pas élargies à un point tel qu'il devienne un instrument du contrôle de la légalité de divers textes réglementaires. Il faut se souvenir que le texte qui fixe la compétence du Conseil est l'article 59 de la Constitution.
Le terme de "contestation" qui y figure doit être éclairé à la lumière des dispositions de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 qui énonce clairement à son article 33 que " l'élection d'un député ou d'un sénateur peut être contestée devant le Conseil constitutionnel dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats du scrutin". Nous sommes en présence d'un système contentieux cohérent, prévu et organisé à la fois par la Constitution et par l'ordonnance organique. Si le Conseil constitutionnel va au-delà des textes, il n'y aura plus de limites à sa compétence. Ceci ne peut se justifier par la référence faite à l'article 44 de l'ordonnance qui donne compétence au Conseil de "connaître de toutes questions et exceptions posées à l'occasion d'une requête électorale". En effet, il faut comprendre ce texte comme permettant au requérant de conserver des moyens tirés de l'illégalité des dispositions organisant l'élection. Cela ne saurait justifier un recours a priori. Si la décision DELMAS est allée quelque peu au-delà des limites des compétences du Conseil constitutionnel, c'est en raison de circonstances tout à fait particulières. Il s'agissait d'un problème général, après la dissolution de l'Assemblée nationale, et il n'aurait pas été possible au Conseil, après le scrutin, de remettre en cause globalement l'élection de cette assemblée.
La question qui se pose aujourd'hui est beaucoup moins aiguë.
Il ne s'agit que de l'élection de quelques sénateurs. Peu importe d'ailleurs le nombre des électeurs en cause. Ce qui compte c'est qu'il s'agisse d'une contestation relative à l'élection de tel ou tel sénateur. La décision proposée par le rapporteur est tout à fait claire et elle suscite l'approbation de Monsieur LECOURT qui considère que le Conseil constitutionnel doit rester dans le cadre strict de ses compétences.
Monsieur SEGALAT approuve la démonstration de Monsieur VEDEL qui lui paraît irréfragable. Le premier devoir du Conseil constitutionnel est de respecter l'étendue de sa mission, c'est-à-dire sa compétence.
Monsieur MONNERVILLE se déclare très préoccupé par le problème qui se pose aujourd'hui au Conseil constitutionnel. Il rappelle qu'il n'a pas voté la décision DELMAS mais que, dans la mesure où elle existe, il faut tenir compte de cette jurisprudence.
Monsieur MONNERVILLE se demande si, dans la mesure où chacun semble admettre l'irrégularité du décret et des arrêtés attaqués, le Conseil constitutionnel ne paraîtrait pas la couvrir s'il prenait une décision d'incompétence. Il se déclare néanmoins sensible aux arguments développés par Monsieur LECOURT quant à l'étendue de la compétence du Conseil.
Monsieur VEDEL semble discerner un glissement dans l'attitude du Conseil. Celui-ci aurait tendance à élargir sa compétence pour intervenir sur un problème qui le scandalise. Sur le fond, il est tout à fait d'accord quant aux graves irrégularités que soulignent les requêtes mais il estime que, déontologiquement, il appartient en premier lieu au Conseil constitutionnel de remplir sans les dépasser ses attributions constitutionnelles.
Le Conseil constitutionnel ne doit pas s'arroger un rôle de censeur et statuer de façon quasi-sentimentale. En l'espèce, il faut se souvenir que, contrairement à ce qui s'était passé dans l'affaire DELMAS, il n'y a pas une situation de vide juridique. Si le 11 juin 1981, le Conseil a rempli le rôle suprême et exceptionnel qu'il lui appartient d'assumer dans certaines circonstances pour combler un vide, cela n'est pas le cas aujourd'hui. Ni le Parlement, ni le pays dans son ensemble ne seront bouleversés par l'irrégularité invoquée par les quatre requérants. Le Conseil doit rester le gardien de ce qu'il y a de plus fondamental. A défaut, il risquerait d'être submergé de recours mineurs.
Monsieur le Doyen se déclare glacé par les périls que présenterait l'extension de la jurisprudence DELMAS et déclare que, si il les avait alors pressentis, il aurait peut être, en tant que rapporteur de cette affaire, modifié son attitude.
Monsieur le Président conçoit tout à fait le péril énoncé par Monsieur VEDEL mais il se demande si une décision d'irrecevabilité ne serait pas de nature à aggraver l'imbroglio juridique qui se dessine à propos du C.S.F.E. et de l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Monsieur SEGALAT précise que l'avis donné par le Conseil d'Etat en formation administrative,à propos du projet de loi de Monsieur CHEYSSON, ne lie pas le Conseil d'Etat en formation contentieuse. Il se demande si l'adoption de cette loi ne sera pas à même de rectifier quelque peu la situation juridique confuse qui a été invoquée par Monsieur le Doyen VEDEL.
Monsieur MONNERVILLE se demande si le fait que le Conseil constitutionnel ait la responsabilité de la répartition entre les compétences législatives et réglementaires, au biais de l'article 37 de la Constitution, n'est pas de nature à le guider dans le choix d'une décision dans la présente affaire.
Monsieur VEDEL déclare n'avoir jamais douté que les dispositions attaquées sont du domaine législatif mais le Conseil constitutionnel n'est gardien du domaine législatif que suivant la procédure des articles 37 et 41. Sous peine de connaître demain du moindre arrêté d'un sous-préfet, le Conseil constitutionnel ne peut se reconnaître compétent dans la présente affaire.
Monsieur GROS pense que le trouble qui se manifeste chez certains membres du Conseil provient du fait que celui-ci est saisi directement par des citoyens. Il ne faut pas oublier que nous sommes en matière de contentieux électoral et qu'en cette matière le Conseil est toujours saisi de la sorte.
Il ne paraît pas possible de considérer que l'ordonnance du 7 novembre 1958 puisse limiter la portée de l'article 59 de la Constitution. Il faut, au contraire, considérer que les dispositions de l'ordonnance ne concernent qu'une phase du contentieux électoral. Dans d'autres cas de figure, il faut faire application de l'article 59 de la Constitution. Il appartient au Conseil de juger de sa propre compétence. C'est ce qui a été fait au mois de juin 1981. Le Conseil a alors donné sa pleine portée aux énonciations de l'article 59 qui peut être compris comme lui permettant de statuer sur la régularité de l'ensemble de l'élection des députés et des sénateurs. Il paraît difficilement compréhensible de revenir à présent sur l'acquit de cette jurisprudence.
Il serait, enfin, imprudent de penser que l'adoption du projet de loi en cours réduira la difficulté juridique de la question qui est posée au Conseil. Le problème de la régularité du décret et des arrêtés attaqués demeurera et si le Conseil tardait à statuer il se retrouverait en face du même problème dans quelques semaines.
Monsieur VEDEL approuve ce que vient d'affirmer en dernier lieu Monsieur le Président GROS. Le projet de loi en cours de discussion ne reprend que certaines dispositions du décret du 22 février 1981. Il valide certaines de ces dispositions avec un effet rétroactif mais on ne peut manquer de se demander si certaines de ces validations rétroactives sont conformes à la Constitution. Si le Conseil est saisi de la loi adoptée, il aura à connaître de problèmes très délicats.
Monsieur LECOURT pense qu'il faut éviter de mêler les questions de fond et les questions de compétence. Il est bien sûr tentant pour le Conseil de vouloir séparer ce qu'il y a de régulier de ce qu'il y a d'irrégulier dans les textes déférés, mais il doit auparavant s'interroger pour savoir s'il est régulièrement saisi. S'il déclarait les présents recours recevables, n'ouvrirait-il pas la porte à une forme de recours populaire.
Monsieur LECOURT considère qu'il appartient au Conseil, aujourd'hui, de donner une interprétation constructive à la décision DELMAS. La règle générale quant à la recevabilité d'une requête en matière électorale se trouve énoncée à l'article 33 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et ce n'est qu'en cas de force majeure, comme dans le cas DELMAS, qu'un recours peut être déclaré recevable avant le scrutin.
Le Conseil ne peut élargir la portée de sa décision DELMAS, à la fois pour les raisons de droit qui viennent d'être exposées et pour des raisons d'opportunité. Il aura à se prononcer en temps utile dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats sur le magma de difficultés juridiques que soulèvent les requérants.
Monsieur VEDEL réitère qu'il avait toujours considéré que la décision DELMAS, rendue dans des circonstances particulières ne pouvait constituer qu'une jurisprudence exceptionnelle. Cette décision ne peut devenir une machine de guerre pour "chicanneaux” en mal de procédure.
Monsieur BROUILLET rappelle qu'une orientation de la jurisprudence du Conseil a été donnée par la décision DELMAS. Il lui semble, aujourd'hui, difficile de procéder à un revirement jurisprudentiel qui lui paraît délicat à justifier.
Monsieur VEDEL invite ses collègues à relire soigneusement les considérants de la décision DELMAS. Il souligne que la référence aux conditions d'application de l'article 12 de la Constitution, révèle que le Conseil a entendu marquer la situation exceptionnelle née de la dissolution de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, la mention de la régularité de l'ensemble des opérations électorales vise le cas d'élections générales. La solution qu'il propose aujourd'hui au Conseil ne renie en rien la portée de la décision DELMAS. Loin de suggérer un revirement de jurisprudence, il demande au Conseil, tout simplement, de faire application de sa jurisprudence DELMAS.
Monsieur le Président constatant qu'aucun membre du Conseil ne souhaite intervenir, propose de remettre la discussion à la séance du mardi 20 avril 1982 à 9 h 30.
La séance est levée à 18 h 45.
SEANCE DU 20 AVRIL 1982
Le Conseil se réunit à 9 h 30 tous ses membres étant présents à l'exception de M. Valéry GISCARD d'ESTAING, excusé.
Monsieur le Président rappelle que l'ordre du jour porte sur la poursuite de l'examen des requêtes présentées par MM. BERNARD, COLLIN du BOCAGE, MERMILLOD et ROUX, tendant à l'annulation du décret du 22 février 1982 et des arrêtés du Ministre des relations extérieures des 26 février, 2 mars et 8 mars 1982.
Il indique que si le Conseil constitutionnel a été souvent confronté à des difficultés majeures tel ne paraît pas être le cas aujourd'hui. Il faut ramener le problème qui lui est posé à ses justes proportions. Il serait donc souhaitable de parvenir à une décision raisonnable qui même si elle ne recueille pas les éloges dithyrambiques qui ont salué la décision DELMAS, soit conforme aux dispositions constitutionnelles dont le Conseil est le gardien.
Monsieur VEDEL ayant rédigé un nouveau projet à la lumière de la séance du 16 avril 1982, il serait donc souhaitable, sans réouvrir la discussion générale de prendre ce texte comme base de réflexion.
Monsieur le Président invite alors Monsieur VEDEL à donner connaissance au Conseil de ce nouveau projet.
Monsieur VEDEL, avant de procéder à la lecture de ce projet indique l'esprit qui l'a guidé dans sa rédaction. Il s'est attaché à tenir compte de la discussion très enrichissante qui s'est déroulée lors de la précédente séance et il s'est efforcé de dégager des points de convergences entre les thèses défendues par les membres du Conseil.
Pour faire droit à une observation présentée par Monsieur le Président MONNERVILLE, il a tenté de distinguer la question de la compétence du Conseil de celle de la recevabilité des requêtes. Il a cherché à délimiter les conditions dans lesquelles le Conseil peut statuer sur une requête électorale avant même le scrutin. Il précise enfin qu'il est allé jusqu'à la limite de ce qu'il est possible de dire par avance de ce que le Conseil pense de l'irrégularité soulevée sans toutefois aller jusqu'à prononcer l'annulation du décret et des arrêtés déférés.
En ce sens, ce projet ne peut prêter à équivoque. Il constitue une invitation pour le Gouvernement à rectifier l'ensemble des irrégularités dont est entaché le système électoral qui conduit à l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Monsieur VEDEL donne alors lecture de son nouveau projet de décision.
Monsieur le Président invite les membres du Conseil à exprimer leur opinion sur ce projet.
Monsieur SEGALAT déclare ne pouvoir taire les scrupules qu'il éprouve devant ce projet.
Il est clair que ce projet se place nettement sur le terrain de la recevabilité. Selon le rapporteur des requêtes présentées avant le scrutin ne sont pas recevables sauf circonstances exceptionnelles.
Monsieur SEGALAT déclare ne pas discerner le fondement du départ entre la compétence du Conseil constitutionnel et la recevabilité des requêtes. Ce projet consacre une extension de compétence du Conseil en matière électorale et entérine une véritable transformation de la nature du rôle du Conseil constitutionnel.
Monsieur SEGALAT aurait souhaité que la décision n'invoque que la question de la recevabilité.
Il est demandé au Conseil d'annuler des actes administratifs. Cela n'entre pas dans son pouvoir. Sa mission étant en fait simplement de vérifier la régularité des opérations électorales.
Le premier projet proposé par Monsieur VEDEL lors de la séance du 16 avril 1982 présentait cette équivoque mais de façon moins évidente que ne le fait le projet qui vient d'être lu.
Monsieur VEDEL croit que les alarmes exprimées par Monsieur SEGALAT sont exagérées. Le projet qu'il soumet au Conseil ne sous-entend pas que cette juridiction s'arroge le pouvoir d'annuler des actes administratifs illégaux. Il n'y a pas une transformation de la compétence du Conseil mais un rappel que le Conseil étant compétent pour apprécier la régularité des élections, il est dans son pouvoir d'annuler non des actes administratifs mais des opérations électorales irrégulières.
Monsieur GROS rappelle qu'il considère que le Conseil constitutionnel est compétent en l'espèce et qu'il doit exercer ses pouvoirs dans leur plénitude.
L'article 44 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 rend le Conseil constitutionnel juge des exceptions qui accompagnent les requêtes électorales. Cet article a une portée tout à fait générale et si par exemple une exception de nullité est soulevée, le Conseil devra la trancher.
Pour ce qui est de la décision proposée il estime qu'elle constitue un compromis acceptable. Elle précise la décision DELMAS puisqu'elle indique que le Conseil peut connaître des requêtes avant même le scrutin dans des cas exceptionnels et qu'en l'espèce il n'y a pas de situation particulière justifiant la recevabilité de ces requêtes. Si le Conseil allait plus loin en affirmant qu'il n'est pas compétent il méconnaîtrait à la fois les dispositions de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et celles de l'article 59 de la Constitution.
Monsieur GROS considère que dans la mesure où la jurisprudence est créatrice de droit ses revirements ne doivent être qu'exceptionnels et mûrement réfléchis. Il se souvient alors qu'il était avocat de la répercussion considérable qu'avait eu en matière de responsabilité du fait des choses inanimées, l'arrêt Le JAND'HEUR du 13 février 1930. Le 11 février 1981 le Conseil constitutionnel a rendu sa décision DELMAS.
Il serait très regrettable de la renier aujourd'hui. En revanche on peut admettre qu'elle soit précisée et que le Conseil considère que pour des raisons de fait elle ne puisse s'appliquer en l'espèce.
Monsieur PERETTI éprouve tout comme Monsieur SEGALAT des scrupules après avoir pris connaissance de ce projet. Ses scrupules sont cependant totalement à l'inverse de ceux éprouvés par Monsieur SEGALAT. On peut se demander si la décision proposée ne se fonde pas sur des questions de simple opportunité. Le fait qu'il soit indiqué : "le Conseil constitutionnel peut exceptionnellement statuer sur des requêtes mettant en cause la régularité d'élections à venir" semble introduire une nuance dans l'appréciation selon l'importance de l'irrégularité invoquée. Par ailleurs cette décision se montrant très éloquente quant à ce que pense le Conseil sur l'irrégularité du décret et des arrêtés attaqués ne lui suffirait-il pas de faire un pas de plus pour statuer sur le fond ?
Monsieur VEDEL comprend les scrupules exposés par Monsieur PERETTI. Il considère néanmoins que son projet ne se fonde pas sur une question d'opportunité mais qu'il se prononce pour des raisons de droit sur la question de la recevabilité. Ce projet s'appuie sur l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 que fixe la compétence du Conseil constutionnel en matière électorale. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles qu'il peut déclarer recevables des requêtes présentées avant le scrutin. La définition de ces circonstances exceptionnelles est de plus précisée. Il doit s'agir comme l'indique le projet, de circonstances qui "risqueraient de compromettre gravement l'efficacité du contrôle du Conseil constitutionnel de l'élection des députés ou des sénateurs, qui vicieraient le déroulement général des opérations électorales et qui ainsi porteraient atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics".
Pour ces raisons, il y a lieu de considérer que le Conseil motive sa décision en droit de façon tout à fait explicite.
Monsieur LECOURT indique qu'il a précédemment rappelé à ses collègues les réticences qu'il éprouve envers la décision DELMAS, ceci dit il est prêt à accepter le projet proposé sous réserve de quelques modifications. Il souhaiterait vivement que le projet n'oppose pas la question de l'élection de quelques sénateurs à celle d'un renouvellement périodique du Sénat. On ne manquerait pas, en effet, si cette disposition est maintenue dans la décision, de mettre en comparaison ces deux cas. Les commentateurs en déduiraient que le Conseil constitutionnel n'admet pas la recevabilité de requêtes dirigées contre des actes relatifs à l'élection de quelques parlementaires. Alors qu'au contraire, il accueillerait tous recours intéressant un renouvellement général d'une assemblée parlementaire.
Il importe donc de trouver une formulation plus satisfaisante. Sous cette réserve, Monsieur LECOURT reconnaît que ce projet fournit un éclairage a la décision DELMAS qui ne peut que le rassurer .
Monsieur VEDEL pense excessif d'induire de la décision que le Conseil se déclarerait automatiquement compétent pour connaître de toutes requêtes attaquant un acte relatif à l'ensemble d'une opération de renouvellement d'une assemblée. Ainsi par exemple, si le Conseil était saisi d'un recours attaquant un décret de convocation pour défaut de contre-seing, il est évident qu'il n'aurait pas à déclarer ce recours recevable avant même le scrutin.
Le projet ne restreint en rien pour l'avenir la liberté du Conseil constitutionnel en matière électorale.
La barrière ouverte par la décision DELMAS ne donne pas accès à des domaines aussi vastes que ne le craint Monsieur LECOURT.
Monsieur le Président indique aux membres du Conseil qu'il a pris contact avec le Vice-Président du Conseil d'Etat, qui n'a pas été en mesure de lui indiquer où en était l'instruction des recours de MM. BERNARD, COLLIN du BOCAGE, MERMILLOD et ROUX. Il a néanmoins indiqué que cette affaire ferait l'objet d'une instruction fort longue avant que le Conseil d'Etat ne rende son arrêt.
Monsieur SEGALAT informe ses collègues qu'à son avis l'adoption projet de loi en cours relatif au Conseil supérieur des français de l'Etranger ne couvre pas exactement les dispositions du décret attaqué du 22 février 1982. Il y aura alors des problèmes délicats de combinaison de textes.
Monsieur BROUILLET partage l'opinion de Monsieur SEGALAT. Il trouve regrettable que le Gouvernement ayant été avisé que les règles relatives à l'élection des sénateurs représentant les français de l'étranger relevaient de la loi a néanmoins pris le décret du 22 février 1982 pour ensuite tenter de le valider au moyen d'une loi rétroactive.
Monsieur le Président indique à ce sujet que des informations parues dans la presse laissent à penser que le Conseil sera saisi d'un recours, sur le fondement de l'article 61, dirigé contre la loi relative au Conseil supérieur des français de l'étranger en cours de discussion.
Monsieur MONNERVILLE rappelle qu'il est d'usage qu'un projet de loi relatif à l'organisation d'une assemblée parlementaire soit toujours déposée devant l'assemblée concernée. Il estime regrettable qu'en l'espèce le Sénat n'ait pas été saisi en premier.
Monsieur VEDEL estime que le Conseil devra se montrer particulièrement prudent quant au choix de ses termes dans la présente décision afin de ne pas se trouver lié par une formulation hâtive lorsqu'il sera saisi du projet de loi en cours. Il importe dans la présente décision d'éviter de se prononcer sur la compétence de la loi ordinaire ou de la loi organique en la matière. Par prudence il peut donc emprunter autant que possible les termes mêmes des textes régissant actuellement le C.S.F.E.
Monsieur le Président constatant que chacun des membres a pu exprimer son opinion générale sur le projet rédigé par Monsieur le doyen VEDEL propose que ce projet soit examiné considérant par considérant.
Lors de l'examen du projet, à la demande de M. LECOURT est supprimée la partie du texte suivant : "Considérant que, dans la présente espèce, les actes administratifs faisant l'objet des requêtes dirigées contre lui, quelle que soit la gravité ou la pertinence des critiques qui leur sont adressées, intéressent l'élection des six sénateurs représentant les Français établis hors de France à raison de deux sénateurs pour chaque renouvellement triennal et non celle de l'ensemble des sénateurs ou de l'ensemble des sénateurs soumis à un renouvellement triennal".
Outre cette soustraction quelques modifications de détail sont apportées au projet joint au présent procès-verbal.
Monsieur le Président met alors ce projet au vote.
Ont voté pour le projet : Monsieur le Président, MM. MONNERVILLE, JOXE LECOURT, BROUILLET, VEDEL.
Ont voté contre : M. GROS
Se sont abstenus : MM. SEGALAT, PERETTI.
La séance est levée à 11 h 45.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.