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Sarah FLEURY PV1982-06-23

RAPPORT DE LA SEANCE DU MERCREDI 23 JUIN 1982

Le Conseil se réunit à 10 heures, tous ses membres étant présents, à l'exception de Monsieur Valéry GISCARD d'ESTAING qui est excusé.

Monsieur le Président rappelle l'ordre du jour ci-joint :

I. Examen, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique des dispositions du deuxième alinéa de l'article 169 du Code de la famille et de l'aide sociale telles qu'elles résultent de l'article 12 de la loi n° 71-563 du 13 juillet 1971 relative à diverses mesures en faveur des handicapés.

Rapporteur : M. Louis JOXE

II. Examen, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique des dispositions du premier alinéa de l'article 13 et de celles du deuxième alinéa de l'article 14 de la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution.

Rapporteur : M. Louis GROS

III. Examen, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique des dispositions du deuxième alinéa de l'article 3 de l'ordonnance n° 62-913 du 4 août 1962 relative au reclassement dans la métropole des Français rapatriés qui exerçaient en Algérie la profession de conducteurs ou de loueurs de taxis, ordonnance ratifiée par l'article 50 de la loi n° 63-23 du 15 janvier 1963.

Rapporteur : M. André SEGALAT

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I. Examen de la nature juridique des dispositions de l'article 169, alinéa 2, du Code de la famille et de l'aide sociale :

Monsieur le Président donne la parole à Monsieur Louis JOXE pour qu'il présente son rapport sur l'appréciation de la nature juridique de ces dispositions.

Monsieur JOXE présente alors le rapport suivant :

"Dans sa lettre en date du 25 mai 1982 le Premier ministre demande au Conseil d'examiner la nature juridique des dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article 169 du Code de la famille et de l'aide sociale. Ces dispositions résultent d'une loi postérieure à la Constitution, elles relèvent donc de la compétence du Conseil au titre de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution.


En voici les termes :

Premier alinéa : "Toute personne dont l'infirmité entraîne au moins 80 % d'incapacité permanente est qualifiée "grand infirme" et bénéficie des dispositions particulières prévues ci-dessous".

Deuxième alinéa (celui dont nous sommes saisis) :

"Le pourcentage d'infirmité est apprécié suivant le bar me<je pense que c'est "barème"> d'invalidité prévu et l'avant-dernier alinéa de l'article 9-1 du Code des pensions militaires des victimes de la guerre".

L'article 169, premier alinéa, est donc relatif à une catégorie de personnes bénéficiant d'aide sociale, groupées sous le nom de "grands infirmes" dotées d'une carte d'identité particulière et auxquelles la loi accorde, par ailleurs, des avantages particuliers en matière d'impôt sur le revenu.

Souffrant d'une incapacité de travail très importante, lourde et permanente, ces personnes ne peuvent accomplir un travail professionnel normal. Elles sont gênées dans les activités de leur vie personnelle, mais peuvent cependant les accomplir sans recourir à l'aide d'une tierce personne.

Le second alinéa de l'article 169 précise la manière dont le taux d'invalidité sera apprécié. Il s'agit, en l'espèce, de suivre les indications données par le guide-barème auquel renvoie le Code des pensions militaires d'invalidité.

Pour l'application de l'article 169, c'est un décret contresigné par le ministre des Anciens combattants et victimes de guerre, par le ministre des Armées, de la Marine, de l'Air et de la France d'Outre-mer qui détermine les règles et barèmes et qui classe en pourcentage les infirmités d'après leur gravité.

En bref, les dispositions dont on vous demande d'apprécier la nature juridique renvoient à un article de loi. Cet article de loi a, lui-même, pour objet de renvoyer à un décret portant barème des taux d'invalidité. Tel est le sens de notre délibération.

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Avant d'aborder le fond et, plus encore, de conclure, il faut cerner les motifs plus ou moins apparents de la demande qui nous est adressée et ceci exige deux précisions.

Première précision : le but du déclassement sollicité est, à l'évidence, de permettre que le décret portant barème des taux d'invalidité selon lesquels sera appréciée la situation de "grand infirme" (c'est-à-dire au moins 80 % d'invalidité permanente) soit contresigné par le ministre de la Solidarité nationale, compétent en la matière, et par lui seul.

Deuxième précision : elle porte sur le caractère du guide-barème lui-même. Celui-ci, d'édition en édition, les dernières datant de 1961 et de 1976, sert d'élément de référence dans tous les cas (pensions, accidents, secours, etc.). Il s'impose, faute de l'existence d'un barème qu'on pourait appeler "civil" et qui n'est encore qu'en préparation.

Le barème "militaire" définit bien l'incapacité de 80 %. Il reflète les résultats de minutieuses expertises et d'un large contentieux. Il éclaire les commissions départementales ou régionales, les experts, les techniciens, les médecins, mais il comporte des lacunes explicables.

Un exemple concret : le barème ne connaît que les sourds et non pas les muets. Il est composé à l'intention des combattants et victimes civils de la guerre, à l'intention des adultes. Or, les enfants sont souvent muets parce qu'ils sont sourds. On les appelait d'ailleurs, autrefois, des "sourds-muets". Ces "grands infirmes", aux termes des articles 176 et 178 du Code de la famille et de l'aide sociale, doivent être "déclarés et pris en charge par les collectivités publiques".

Le barême est bien un guide. Il comporte de nombreux cas où la description d'une infirmité correspond non pas à un taux fixe, mais à deux chiffres extrêmes entre lesquels le médecin, l'expert classera et évaluera l'infirmité qu'il examine. Un exemple : la perte d'un orteil est évaluée selon le doigt de pied dont il s'agit, mais la perte de tous les orteils d'un pied s'évalue de 15 à 30 %. C'est-à-dire que l'appréciation peut varier du simple au double.

Le médecin agit donc, en la matière, selon une certaine marge d'appréciation. Il consulte le barème mais il utilise des connaissances personnelles et tient compte des progrès de la science et de la médecine appliquée. Dans certains cas, même, il évalue selon ses seuls critères personnels, c'est le cas pour les maladies dites "mentales".

Cette marge d'appréciation doit subsister sans attendre le prochain barème. Là est la question.

Il reste encore ceci. Le législateur a lié la définition de l'invalidité des "grands infirmes" à celle des invalides militaires, mais les deux notions n'ont pas le même fondement. Dans un cas, il s'agit de serviteurs du pays ou de victimes de la guerre dont l'incapacité a été contractée dans l'intérêt de leurs concitoyens. Il s'agit d'une dette morale de la part de la Nation et qui se règle avec générosité. L'aide sociale, elle, remplit une mission de solidarité entre les citoyens d'un même pays. C'est là une raison de plus, d'ailleurs, pour que le ministre de la Solidarité nationale établisse son propre guide-barême.

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II n'existe aucune jurisprudence sur le point de savoir si le barème est impératif ou indicatif, ni de la part de la Commission centrale d'Aide sociale, ni de la part de la Commission nationale technique du Contentieux de la Sécurité sociale.

Toutefois cette dernière, qui juge en appel des décisions rendues par les commissions régionales d'invalidité, considère de manière constante que le barème est indicatif, que l'autorité médicale peut s'en écarter en justifiant sa position. Dans le silence des textes, celle-ci s'inspire des dispositions prévues pour les accidents du travail par le Code de la sécurité sociale.

Il est nécessaire, d'autre part, de faire observer que l'article L. 10 du Code des pensions militaires d'invalidité précise que le guide-barème est impératif pour les exérèses, et indicatif pour les autres affections.

En l'absence des dispositions particulières, il y a lieu de penser que cette règle peut être appliquée également par le ministre de la Solidarité nationale.

On voit donc, sans entrer plus avant dans le détail, qu'il serait déraisonnable, au regard de notre propre jurisprudence, de classer dans le domaine de la loi le renvoi à un barême qui a pour seul effet de désigner un<c'est "unE façon de procéder"> façon de procéder. C'est pourquoi votre rapporteur soumet à votre examen une décision classant le second alinéa de l'article 169 du Code de l'Aide sociale dans le domaine réglementaire."

Monsieur le Président remercie Monsieur JOXE et lui demande de bien vouloir lire son projet dedécision.

Monsieur le Président déclare alors la discussion générale ouverte. Aucun membre n'ayant d'observations à formuler quant au fond ou quant à la forme. Monsieur le Président soumet le projet de Monsieur JOXE au vote du Conseil.

Son projet est adopté à l’unanimité. Le texte de la décision est joint au présent procès-verbal.

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II. Examen de la nature juridique des dispositions des articles 13, alinéa 1, et 14, alinéa 2. de la loi du 16 décembre 1964 : relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution :

Monsieur le Président donne la parole à Monsieur GROS.

Monsieur GROS indique que le Conseil a été saisi le 26 mai 1982 par le Premier ministre pour l'examen de la nature juridique des dispositions sus-indiquées.

La loi en question est postérieure à la promulgation de la Constitution et la saisine régulière en la forme.

La loi relative à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution a fait l'objet de très longs débats parlementaires. Sa mise en oeuvre a été à la fois lente et complexe. C'est ainsi, par exemple, que divers décrets d'application ont été rendus en septembre 1966. Par ailleurs, une modification très importante a été portée à cette loi lors de l'adoption d'une loi de finances rectificative pour 1974 qui a ajouté des articles 14-1 et 14-2 au texte initial.

Sans vouloir exposer longuement l'objet de cette loi très technique, il convient, cependant, de situer dans leur contexte les comités de bassin et les agences financières de bassin.

La loi de 1964 constatant que les problèmes de l'eau ne pouvant se résoudre dans le cadre des circonscriptions administratives traditionnelles, a organisé six zones géographiques en fonction des données hydrographiques de la France. C'est ainsi qu'ont été créés six bassins .

L'organisation administrative de ces bassins est tout à fait originale. Chacun comprend, d'une part, un comité de bassin et, d'autre part, une agence financière de bassin.

L'article 13 de la loi crée les comités de bassin en ces termes :

"Au niveau de chaque bassin ou groupement de bassins, il "est créé un comité de bassin composé pour égale part :

"1° De représentants des différentes catégories d'usagers et personnes compétentes ;

"2° Des représentants désignés par les collectivités locales ;

"3° De représentants de l'administration.

"Cet organisme est consulté sur l'opportunité des travaux "et l'aménagement d'intérêt commun envisagés dans la zone "de sa compétence, sur les différends pouvant survenir "entre les collectivités ou groupements intéressés et plus "généralement sur toutes les questions faisant l'objet de " la présente loi.<je ne sais pas si je dois enlever les guillemets>

"Un décret en Conseil d'Etat fixera les modalités d'application du présent article."

Il s'agit donc d'organismes consultatifs tripartites comprenant pour égale part des représentants des usagers de l'eau, des collectivités locales et de l'Etat.

Les modalités de la composition de ces comités de bassin sont fixées par un décret n° 66-699 du 14 septembre 1966. Ces comités ont un rôle consultatif en matière d'aménagement hydraulique de chaque bassin et, d'autre part, des compétences non consultatives en ce qui concerne, comme nous le verrons, la fixation des redevances perçues par les agences financières de bassin. Cette dernière compétence est fixée par l'article 14 alinéa 6, de la loi.

Les agences financières de bassin sont créées par l'article 14 de la loi. L'ensemble, agences financièrés de bassin et comité de bassin, forme un tout difficile à qualifier. Selon l'expression imagée d'un fonctionnaire du ministère de l'Environnement venu apporter des précisions à Monsieur le Président GROS, les comités de bassin peuvent être assimilés à des "Parlements de l'eau" les agences financières de bassin constituant l'exécutif. Cette image est tout à fait parlante. En effet, ce sont les agences financières de bassin qui établissent un projet de budget qu'elles soumettent aux comités de bassin qui disposent d'un véritable pouvoir d'autorisation. L'article 14, alinéa 6 indique rappelons le, que l'assiette et le taux des redevances des agences financières de bassin sont fixés sur l'avis conforme des comités de bassin.

Tel est donc le système institué par la loi de 1964.

Quels sont, à présent, les textes précis dont le déclassement est demandé par le Premier ministre ?

Ces deux textes, l'article 13, alinéa 1, et 14, alinéa 2, sont relatifs à?. la composition, d'une part, des comités de bassinet, d'autre part, des agences financières de bas s in.

En ce qui concerne les agences financières de bassin, il faut souligner qu'il s'agit d'une catégorie d'établissements publics, entièrement originale et sans équivalent, créée par la loi de 1964. Conformément à une jurisprudence constante et ancienne du Conseil constitutionnel, les règles consultatives d'une catégorie d'établis- sements publics sont du domaine législatif. Doivent être incluses dans ces règles constitutives celles qui définissent les catégories de personnes siégeant dans les conseils d'administration de ces établissements publics ainsi que l'importance relative accordée aux diverses catégories de membres composant ces conseils d'administration.

Sans hésitation. Monsieur le rapporteur considère que les disposi- tions de 1 'article 14-2 de la loi de 1964 sont donc de nature législative.

En ce qui concerne l'article 13-1 qui fixe la composition des comités de bassin, il faut rappeler que, si l'obligation de consulter un organisme a un caractère règlementaire dès lors qu'elle ne met en cause aucun des principes ni aucune des règles que

1'article 34 réserve au domaine de la loi, il en est tout autrement lorsque l'avis préalable d'un organisme consultatif constitue une garantie essentielle mettant en cause une disposition de caractère législatif. Telles sont les lignes générales de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Les comités de bassin, s'ils sont consultés à titre indicatif, en ce qui concerne l'organisation hydraulique de chaque bassin, disposent par ailleurs d'un véritable pouvoir d'autorisation en ce qui concerne la fixation de l'assiette et du taux des redevances perçues par les agences financières de bassin.

Il est inutile d'insister sur le fait que la notion d'avis conforme est assimilée par la doctrine à un véritable pouvoir d'autorisation. C'est ainsi que, si les comités de bassin refusent d'autoriser les redevances proposées par les agences financières de bassin, celles-ci ne peuvent percevoir ces redevances.

Il convient donc de souligner à ce sujet que ces redevances en matière de pollution dont les modalités ont été fixées par les articles 14-1 et 14-2 de la loi (par la loi de finances rectificative pour 1974) relèvent du domaine législatif. Il est clair que les comités de bassin dont la composition est tripartite - administration, collectivités locales, usagers - disposent d'un pouvoir d’autorisation dans une matière qui met en cause une règle que l'article 34 de la Constitution réserve à la loi. à savoir la fixation de l'assiette et du taux d'une imposition. C'est pourquoi. Monsieur le rapporteur propose de déclarer que la disposition sus-visée de l'article 13-1 est de caractère législatif.

Monsieur le Président remercie Monsieur GROS et lui demande de bien vouloir lire son projet de décision.

Monsieur le Président déclare alors la discussion générale ouverte.

Monsieur PERETTI approuve entièrement les conclusions de Monsieur le Président GROS. Il souhaiterait avoir une précision sur ce qui se passe si un désaccord se manifeste entre les comités de bassin et les agences financières de bassin en ce qui concerne la fixation des redevances .

Monsieur GROS indique que cette question est réglée par l'article 6 du décret n° 66-699 du 14 septembre 1966.

Si un comité émet un avis défavorable aux propositions qui lui sont faites, cet avis doit être motivé. Une nouvelle proposition concernant les redevances lui est soumise par l'agence financière de bassin et le comité dispose alors d'un délai d'un mois pour se prononcer. Si, alors, les nouvelles propositions de l'agence financière de bassin sont rejetées, il s'instaure une sorte de navette entre ces deux organismes jusqu'à ce qu'un terrain d'entente soit trouvé. Ni la loi, ni le règlement n'ont prévu une issue à cette navette. U est évident que pour des raisons de commodité, le dialogue entre les comités et les agences doit se terminer par un accord.

Monsieur VEDEL confirme les propos de Monsieur GROS. Si un comité ne donne pas un avis conforme aux propositions de l'agence, celle-ci peut, soit y renoncer, soit faire de nouvelles propositions.

Monsleur LECOURT souhaiterait obtenir des précisions sur la jurisprudence dont fait état la note du secrétariat général du Gouvernement qui mentionne une décision du 7 novembre 1973 relative aux comité national de l'eau, qui aurait indiqué que la fixation de la composition de ces comités ne touchait à aucun principe ni à aucune règle que l'article 34 de la Constitution a placés dans le domaine de la loi. .

Monsieur GROS indique qu'il n'existe aucune contradiction entre la jurisprudence qui était indiquée dans cette note et celle qu'il invoquait à l'appui de sa décision. Il faut comprendre, en effet, que le comité national de l'eau constitue simplement un organisme consultatif auprès du Premiér ministre. Tel n'est pas le cas, comme il vient de l'exposer des comités de bassin.

Par ailleurs, la note du Gouvernement indique à juste titre que la modification du nombre des sièges attribués à telle ou telle catégorie de membres composant les comités de bassin relève du domaine réglementaire. C'est une évidence puisque c'est précisément le décret n° 66-699 qui a arrêté le nombre des sièges attribués aux diverses catégories composant cet organisme. Cependant, ce qui est demandé par le Gouvernement c'est une modification de l'équilibre entre les diverses catégories composant ces comités de bassin.

S'il est exact que le règlement peut augmenter de 20 à 22, par exemple, le nombre de représentants de chaque catégorie, seule la loi, par contre, peut modifier les proportions existant entre ces catégories.

Monsieur LECOURT adhère à la position de Monsieur le Président GROS. La composition tripartite prévue par la loi constitue effectivement une garantie légale accordée aux collectivités locales.

Monsieur SEGALAT présente une observation de forme. Il souhaiterait que dans le troisième considérant relatif à l'article 14-2 les termes suivants : "les représentants des collectivités locales et autres usagers" soient remplacés par les termes suivants moins équivoques : "les représentants des collectivités locales et des différentes catégories d'usagers". Cette rédaction serait d'ailleurs plus proche de celle de l'article 14-2 de la loi et a le mérite d'éviter d'assimiler purement et simplement les collectivités locales à des usagers .

Monsieur GROS et les autres membres du Conseil approuvent cette modification proposée par le Président SEGALAT.

Monsieur le Président,: aucune autre observation n'étant formulée, soumet le projet au vote du Consei 1.

Ce projet, annexé au présent procès-verbal, est adopté à l'unanimité.

III. Examen de la nature juridique des dispositions de l'article 3, alinéa 2, de l'ordonnance n° 62-913 du 4 août 1962 :

Monsieur le Président donne alors la parole à Monsieur SEGALAT pour qu'il présente son rapport sur l'appréciation de la nature juridique de ces dispositions.

Monsieur SEGALAT présente alors son rapport. Les conditions de saisine du Conseil ne suscitent de sa part aucune observation. Il se propose d'articuler ce rapport en trois points.

Il s'agit de savoir, tout d'abord, si l'ordonnance du 4 août 1962 a force de loi puis de situer sa place dans la réglementation relative aux taxis pour conclure, enfin, quant à sa nature législative ou réglementaire.

1° I{ordgnnançe_du_4_agût_1962_a;t-elle_forçe_de_loi ?

Cette ordonnance trouve son origine dans la loi n° 62-421 du , 13 avril 1962 concernant les mesures à prendre au sujet de l'Algérie. Cette loi, adoptée par référendum, dispose en son article 2 : "jusqu'à la mise en place de l'institution politique éventuellement issue de l'autodétermination des populations algériennes, le Président de la République peut arrêter par ordonnance ou, selon le cas, par des décrets pris en conseil des ministres, toutes mesures législatives ou réglementaires relatives à l'application des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962".

L'ordonnance dont il s'agit à donc été prise en application de ces dispositions. Elle a été ratifiée implicitement par le Parlement, dans une loi du 15 janvier 1963.

L'article 50 de cette loi relative aux atteintes à la sûreté de l'Etat dispose que les ordonnances prises en vertu de l'article 2 de la loi du 13 avril 1962 ont et conservent force de loi à compter de leur publication.

En conclusion, l'ordonnance du 4 août 1962 a donc effectivement valeur législative. .

2° Qy®lls_§st_la_Dlaçe_de_çette_grdgnnançe_dans_la_réglementation e D Z Ô i ï 11Ë® ” d ë ~ t â x ï s " ? ” "

Il faut avoir à l'esprit le fait que cette réglementation est fort complexe. Elle est le reflet de plusieurs facteurs différents. Elle touche, en effet, la matière de la domanialité publique et du service public mais elle concerne également la défense d'intérêts particuliers puissamment défendus au travers de syndicats influents. Il ne faut pas se cacher qu'il s'agit en réalité d'une réglementation corporatiste. Pendant longtemps le texte de base, en la matière, a été la loi municipale du 5 avril 1884. Ce texte donne compétence aux maires en matière de police de stationnement. C'est le maire qui fixe le nombre de taxis opérant dans sa commune, qui délivre les autorisations individuelles et qui fixe les lieux de stationnement des taxis. Ce texte de base a été complété en 1937.

Afin de mettre fin à la guerre des tarifs entre les taxis, il a été donné compétence aux préfets pour étendre à l'ensemble de la profession des accords professionnels qui auraient pu intervenir. Cette loi de 1937 permet, ainsi, au préfet de régler divers différends et, à défaut d'accord entre les intéressés, il a la possibilité de réglementer directement les tarifs et le nombre des taxis habilités à exercer.

Aujourd'hui, cette loi ne concerne que la région parisienne et Lyon. Pour le reste du pays, c'est la loi de 1884 qui continue à s'appliquer. Ce système présente des inconvénients car ces deux statuts ne se recouvrent pas de façon forcément harmonieuse et, d'autre part, cela engendre une hétérogénéité de la réglementation qui varie d'une commune à une autre.

Un décret du 2 mars 1973 est intervenu en la matière afin d'y introduire un semblant d'ordre. Ce texte qui ne s'applique pas à Paris et à Lyon tend à fixer des règles communes qui s'imposent à tous en la matière. Il fixe, notamment, le régime des autorisations d'exploi- tation des taxis et supprime la faculté pour les détenteurs d'autori- sation d'exploitation de présenter un successeur à l'administration.

Ce décret a été fort mal accepté par la profession.

Que conclure de l'examen de. cette réglementation ?

Elle traite d'une mesure ressortissant au pouvoir de police. Elle se caractérise par une limitation du nombre d'autorisations d'exploitation et, désormais, depuis 1973, par l'incessibilité de ces autorisations.

Comment se situe, dans ce contexte, l'ordonnance du 4 août 1962 ?

Ce texte, relatif au reclassement en métropole des chauffeurs de taxis français exerçant en Algérie avant l'indépendance de ce pays, a créé un certain nombre de licences supplémentaires en leur faveur. Ce sont les autorités de police qui ont été autorisées à délivrer ces licences qui se caractérisent par leur caractère incessible : les titulaires de ces licences ne disposent pas d'un droit de présen- tation de leur successeur à l'administration.

Le Gouvernement souhaite, à présent, pouvoir modifier cette ordonnance pour rétablir l'égalité complète entre les chauffeurs de taxis rapa- triés et les autres.

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3° LZarticle_3,_a1inéa_2₂_de_lZordonnance_du_4_août_1962 est-il réglementaire_gu_relèye₌1>il_du_domaine_législatif ?

Cetarticledispose:

"Les licences sont accordées par le maire et, dans le département "de la seine, conjointement par le préfet de la Seine et par le "préfet de police à des candidats figurant sur cette liste dans "un délai maximum de deux mois à compter de la date de présentation "de la demande. Elles sont personnelleset incessibles".

La première partie de ce texte ne pose aucun problème. Il traite d'une matière réglementaire : la délivrance de licences par une autorité administrative. Ce qui peut poser problème est la dernière phrase de cet article : "Elles sont impersonnelles et incessibles".

Monsieur le rapporteur n'a cependant, quant à lui, aucun doute quant ü la nature réglementaire de ces dispositions. Il faut se souvenir, en effet, de la nature même de l'acte qui est à l'origine des droits des titulaires de licences.

Une licence constitue une autorisation de stationnement sur la voie publique et elle relève donc de l'exercice du pouvoir de police. C'est une mesure purement administrative, mesure qui est, en outre, unilatérale. La volonté manifestée par l'administration lors de cette délivrance n'est en rien constitutive d'un lien contractuel. Sous cet angle, une mesure dé police ne peut pas faire l'objet d'un commerce. C'est d'ai1 leurs 1¹opinion du Conseil d'Etat (arrêt du 23 novembre 1955, R.D.P. 56, note du Doyen WALINE).

L'administration a cependant du prendre en considération les avantages que procuraient ces licences à leurs titulaires, essentiellement un droit de monopole et un droit de présentation de leurs successeurs.

Les intéressés eux-mêmes y voient un droit patrimonial. Il n'empêche que,lorsqu¹ un chauffeur de taxi présente son successeur, il ne réalise pas un transfert de licence. C'est l'administration qui opère ce trans fert.

Cette réglementation ne touche donc pas au droit de propriété ni aux obligations civiles et commerciales. C¹ est pourquoi, l'ordonnance du 4 août 1962 présente un caractère réglementaire car elle ressortit du pouvoir de police, de l'administration. Le décret du 2 mars 1973 constitue d'ailleurs une preuve en ce sens. N'est-ce pas une manifestation du pouvoir réglementaire, en la matière ?

Monsieur le Président remercie Monsieur SEGALAT et lui demande de bien vouloir donner lecture de son projet de décision.

Après la lecture de son projet, Monsieur le Président déclare la discussion générale ouverte. .

Monsieur GROS souhaiterait avoir connaissance du projet de décret modificatif.

Monsieur SEGALAT lui précise que ce projet de décret supprime purement et s implement le deuxième alinéa de l'article 3 de l'ordonnance du 4 août 1962.

Monsieur VEDEL déclare avoir apprécié le rapport qui vient d'être exposé. Il précise que, si on comprend qu'un maire puisse réglementer le nombre des autorisations de taxis on peut à juste titre s'étonner qu'il puisse également réglementer les tarifs. C'est le Conseil d'Etat qui fournit une réponse à cette question. Si un maire peut fixer les tarifs, c'est afin d'éviter les disputes entre taxis et il agit donc, dans ce cas, afin d'assurer la tranquillité de ses administrés. Ceci dit, Monsieur le Doyen VEDEL rappelle que toute cette réglementation en matière de taxis est une grande hypocrisie. On pourrait, en effet, se demander pourquoi le Gouverne- ment éprouve le besoin de demander la délégalisatin de l'article 3 de l'ordonnance du 4 août 1962 puisque, depuis le décret du 2 mars 1973, la cessibilité des licences de taxis est présumée supprimée. C'est tout simplement que ce décret de 1973 est lui aussi tout à fait hypocrite. Il suffit, en effet, de se référer à ses articles 7 et 8. Le droit de présentation d'un successeur demeure lorsqu'un chauffeur de taxi a exercé sa profession pendant, au moins, dix ans ou s'il a atteint l'âge de la retraite ou encore s'il est obligé d'abandonner son métier pour cause de maladie.

Le décret de 1973 n'a d'autre but que de supprimer seulement la cession spéculative de licence et rien d'autre. Ceci dit, il serait délicat d'interdire aux chauffeurs de taxis rapatriés de bénéficier de cette tolérance. Ce serait à la fois contraire au bon sens et à 1 'équité.

Monsieur SEGALAT précise que, si en 1962, l'objectif était essentiel- lement de permettre un reclassement des chauffeurs de taxis rapatriés, aujourd'hui la législation a fait de grands progrès en matière de réparations de préjudices des rapatriés. C'est dans cette optique que se situe la demande de délégalisation formulée par le Premier ministre.

Monsieur PERETTI fait savoir que 35 années à la tête d'une mairie lui ont appris à ne pas être dupe des hypocrisies de la réglementation en matière de taxis. Chacun doit savoir qu'il existe des trafics en matière de licences. Il précise que la commune qu'il administre est simplement consultée par l'administration quant à l'augmentation du nombre des licences. La délivrance et la mutation de ces licences est entièrement du ressort de l'administration.

Monsieur SEGALAT apporte une dernière précision. En 1935, on recensait 20 000 taxis dans la région parisienne. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 14 200.

Monsieur le Président, aucune autre observation étant formulée, soumet le projet de décision. au vote du Conseil. Ce projet, annexé au présent procès-verbal, est adopté à l'unanimité.

IV. Saisine_relative_à_ljartiçle_1_de_la_loi_du_25_mars_1943_modifié_ par la loi du 19 décembre 1963 relative aux taxes d'épreuves ÜIâDBü”ins Z f I v âp ë ü r Z15 ZÏ T EBË â Ëi ï I s Z s ôüs Zprëss lôn/a/gâz⁻?

12

IV. Saisine_relatiye_à_Particle_1_de_la_loi_du_25_mars_1943_modifié par la loi du 19 décembre 1963_relative_aux_taxes_d^épreuves d'appareils à vapeur et d'appareils sous pression à gaz :

Monsieur PERETTI indique aux membres du Conseil que cette saisine, parvenue au Conseil le 26 mai 1982, a été, dans un second temps, retirée à la demande du Premier ministre. Il pense qu'il n'est pas utile de l'évoquer mais souhaiterait avoir l'avis de ses collègues à ce sujet.

Monsieur le Président invite les membres du Conseil Constitutionnel à formuler toutes observât!ons qu'ils souhaitent à ce sujet; .

Aucune observation n'étant présentée, Monsieur le Président constatant que l'ordre du jour est épuisé lève la séance à 11 h 45.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.