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<transcripteur data-tag="transcripteur"><></transcripteur>PV1982-12-02

Margaux RIEMER

SEANCE DU 2 DECEMBRE 1982

Le Conseil se réunit à 15 heures, tous ses membres étant présents à l'exception de M. Valéry GISCARD d'ESTAING, excusé.

Monsieur le Président rappelle l'ordre du jour :

- Examen, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci du texte de la loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion.

Rapporteur : M. Louis JOXE

Monsieur le Président donne alors la parole au Rapporteur et Monsieur JOXE présente le rapport suivant :

Les quatre vieilles colonies, "la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, et la Réunion ont connu, depuis la chute de l'ancien régime, ce que j'appellerai les oscillations de l'histoire.

La Révolution de 1789 a entendu abolir l'esclavage et proclamer que tous les hommes… domiciliés dans les colonies deviennent citoyens français et jouissent de tous les droits donnés par la Constitution". C'était là la première manifestation d'une doctrine de l'assimilation qui s'exprimait dans le décret de la Convention nationale de février 1794.

Le premier Empire révoqua l'abolition de l'esclavage. Il fallut attendre le Gouvernement provisoire issu de la révolution de 1848 pour que, par la voix de SCHOELCHER, fut repoussée en termes magnifiques "toute autre solution que l'abolition immédiate de l'esclavage". Les esclaves étaient, non seulement libérés, mais il devenaient citoyens français. Ils allaient bénéficier de la représentation au suffrage universel.

Le Prince Président, dans la Constitution de 1852, s'empressera de retirer aux vieilles colonies leur représentation nationale et confiera au Sénat le soin de régler leurs conditions. Le Senatus consulte du 3 mai 1854 décida de leur sort pour près de 90 ans car la Illè République, rompant avec la logique historique, n'interdit pas à ses anciens territoires d’outre-mer le statut métropolitain que ses devanciers leur avaient plus généreusement reconnu.

Tout au cours de la Illè République on s'attachera plus à la mise en valeur et au développement des territoires, à l'instruction de leurs habitants que de leur accorder des droits, même si ces ces colonies étaient représentées au Parlement.

La situation hybride qui leur était faite provoqua les critiques de leurs députés et de leurs sénateurs.

L'attachement à la France et leur solidarité amena l'Assemblée Nationale Constituante à voter, à l'unanimité, un texte qui devint la loi du 19 mars 1946.

Le sens de l'article 1er en est profondément clair : "Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française sont érigées en départements français (je dis bien français). C'était là la définition d'une intégration au sens où l'entendait la Convention nationale et d’une assimilation au sens où l'entendaient les partisans d'une politique qui devait mener à l'identité.

J'hésite à rappeler ces faits essentiels et à aborder le sujet qui va suivre devant notre Doyen Monsieur le Président MONNERVILLE qui joua un rôle prépondérant dans les débats et dont les interventions sont "je ne sais pas si on peut enlever le s été décisives.

Je me souviens encore de l'appel qu'il lança en séance à ses collègues : "Assemblée Nationale Constituante, représentants de la souveraineté française, nous vous demandons de consacrer une fois pour toute l'égalité de nos populations devant la loi".

Le Conseil constitutionnel a été saisi d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion, à la fois par plus de soixante sénateurs, par plus de soixante députés et par le Président du Sénat.

La loi se présente comme la loi d'adaptation de la loi générale de décentralisation dont nous avons eu à connaître dans notre décision n° 82-137 DC du 25 février 1982. Notons au demeurant que l'article 1er de cette loi "droits et libertés" prévoit expressément la promulgation future "de lois adoptant certaines de ses dispositions à la spécificité des D.0.M.".

I. Puisqu'il s'agit d’adapter la loi sur la décentralisation à certains D.O.M., rappelons brièvement quel est leur état actuel.

Depuis la loi du 19 mars 1946 (adoptée à l’unanimité par l'Assemblée constituante) les vieilles colonies sont des départements français. C'est là la consécration de l'assimilation. Elle a notamment pour effet de rendre directement applicables aux D.O M., sans mention particulière, l'ensemble des lois françaises. On sait que de nos jours encore, sauf cas particulier (loi relative à la nationalité ou loi constitutionnelle) la législation française n'est applicable dans les T.O.M. que sur mention expresse d'extension.

La Constitution du 27 octobre 1946 (articles 73 et 85) consacrant les principes de la loi du 19 mars 1946, énonce que la République comprend la France métropolitaine, les D.O.M. et les T.O.M., en précisant que le régime législatif des D.O.M. est le même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi. Nous verrons plus en détail, tout à l'heure, que la Constitution de la Vème République renforce encore l'identité de régime entre la métropole et les D.O.M. puisqu'elle précise, dans son article 73 que "le régime législatif et l'organisation administrative des D.O M. peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière". On voit donc que les différences de législation entre les départements métropolitains et les D.O.M. sont doublement limitées : d'une part, il ne peut s'agir que d'ajustement d'étendue relativement restreinte et, d'autre part, ces mesures doivent correspondre à une nécessité résultant des particularités concrètes des D O.M. C'est ainsi, qu'actuellement, dans les quatre D.O.M. qui nous intéressent, il y a des coexistence du département et de la région, chacun ayant des compétences et des organes distincts.

On peut donc affirmer que les lignes générales des structures de ces collectivités sont similaires à celles de la France métropolitaine. Le département est identique quant à ses structure et à son son mode d'élection. En outre, depuis la loi de 1972 chacun de ces D.O.M. est doté d'une organisation régionale. Chaque D.O M. comprend donc un établissement public régional. La seule différence avec le régime métropolitain vient du fait que ces établissements publics régionaux ont la même assise territoriale que les départements.

Il existe cependant au profit des D O.M. quelques particularités :

- un décret de 1960 prévoit que tout projet de loi ou décret tendant à adapter la législation administrative des D.O.M. à leur situation particulière doit être préalablement soumis pour avis aux conseils généraux desdits départements. Les conseils généraux peuvent d'eux-mêmes saisir le Gouvernement de propositions tendant à l'intervention de dispositions spéciales motivées par la situation particulière de leur département.

- Notons comme autre particularité importante, l'existence de "l'octroi de mer" qui frappe tous les produits métropolitains ou étrangers arrivant dans les ports des D.O.M. et dont l’assiette et le taux sont fixés par le Conseil général et le produit réparti entre les communes, proportionnellement au chiffre de leur population.

- D'autres particularités existent parmi lesquelles il a été relevé notamment lors des débats, que le Préfet dispose de compétences plus étendues qu'en métropole, en raison de l'éloignement, en matière de défense et de maintien de l'ordre.

Cet ensemble de particularités ne remet pas en cause le principe de l'assimilation.

C'est dans ce contexte qu'intervient la loi de décentralisation du 2 mars 1982.

Cette loi de décentralisation, vous vous en souvenez, a supprimé la tutelle administrative antérieure pesant sur les collectivités locales et a dans ses articles 59 et suivants, posé le principe de l'érection de l'établissement public régional en collectivité locale . Les modalités de cette transformation sont renvoyées (article 60) à une loi future qui à ce jour n'a pas été soumise au Parlement.

La présente loi dans son article 1er se présente comme une simple loi d'adaptation aux D.O.M. de la loi générale du 2 mars 1982.

II. Quelles sont donc les lignes directrices du texte qui vous est soumis ?

J'épargnerai aux membres du Conseil constitutionnel un examen détaillé des dispositions de ce texte, que nous avons tous à l'esprit, pour m'en tenir à l’essentiel.

Signalons, tout d'abord, que la loi ne concerne pas Saint-Pierre et Miquelon dont l'organisation est d'ailleurs quelque peu différente de celle des autres départements. L'exclusion de ces îles s'explique par la volonté manifestée par leurs habitants de retrouver le statut de T.O.M qu'ils avaient abandonné en 1977 pour celui de D.O.M. La loi actuelle ne concerne donc que les "quatre vieilles colonies".

Ce qu'il faut retenir- c'est que le législateur se propose dans les D.O.M. :

1 - Création d'une assemblée unique départementale et régionale. Si l'article 2 de la loi pose le principe de l'existence distincte du D.O.M. et de la région, l'article 3, qui constitue l'innovation centrale du texte, dispose que "les affaires de ces collectivités sont réglées… par une assemblée dénommée Conseil général et régional". Cet article précise aussitôt que ce conseil unique siègera tantôt comme organe du département, tantôt comme organe de la région. Cette assemblée élit un président qui constitue son organe exécutif.

2 - La seconde innovation majeure du texte ressort du chapitre II de la loi (articles 15 à 19). Les membres des conseils généraux et régionaux des D.O.M. seront élus par circonscription départementale au scrutin de liste à la représentation proportionnelle avec l'exigence d’un seuil minimal de 5 % des suffrages exprimés pour pouvoir figurer au conseil. Il est prévu cependant un scrutin majoritaire pour élire les conseillers de certaines îles de la Guadeloupe.

Telles sont à mes yeux les règles essentielles du texte qui nous est soumis. Je me bornerai à citer pour mémoire quelques autres dispositions. Les articles 8 et 9 prévoient que les conseils généraux et régionaux sont assistés d'un comité économique et social et d’un comité de la culture de l'éducation et de l'environnement. Ces conseils créent des établissements publics dits "agences" pour la mise en œuvre de diverses missions (article II). L'article 13 confirme la législation propre en matière de "droit d'octroi de mer" et, enfin, l’article 14 consacre législativement les dispositions du décret du 26 avril 1960 relatif aux pouvoirs de proposition des conseils des D.O.M.

III. Ayant examiné ainsi l'essentiel du régime législatif actuel des D.O.M. et les dispositions centrales du projet gouvernemental, je me propose d'envisager la procédure législative et le contenu des débats.

Cette élaboration législative se caractérise en la forme par la rapidité et au fond par le caractère passionné des débats.

La procédure législative a été précédée d'une consultation des conseils généraux des D.O.M. L’avis des conseils de la Martinique et la Réunion fut défavorable, celui de la Guyane et de la Guadeloupe était favorable au projet.

- Le projet de loi déposé fin juillet 1982 a été examiné par la commission des lois début septembre sur le rapport de M. SUCHOD.

- La première lecture à l'Assemblée nationale s'est déroulée les 29 et 30 septembre 1982.

L'Assemblée nationale a repoussé successivement une exception d'irrecevabilité soutenue par M. FOYER et une question préalable défendue par M. DEBRE. 

La majorité de l’Assemblée a adopté le projet gouvernemental par 328 voix contre 157.

- La majorité sénatoriale dans sa séance du 26 octobre 1982, sur le rapport de M. VIRAPOULLE, sénateur de la Réunion, a très largement modifié le projet qui lui a été transmis. La Haute Assemblée a maintenu l'existence autonome du conseil général et du conseil
régional, ces deux assemblées coexistant dans les D.O.M. avec leurs compétences particulières et leurs modes d'élections propres, scrutin majoritaire uninominal par canton pour la première, scrutin proportionnel unique pour la seconde.

- Vous ne serez pas étonnés que la commission mixte paritaire réunie le 27 octobre 1982 n'ait pu aboutir à des conclusions communes.

- Le 5 novembre 1982, l'Assemblée nationale en 2ème lecture a rétabli le texte du projet gouvernemental.

- Le 10 novembre, le Sénat en 2ème lecture, à la suite de l'échec de la C.M.P. a voté l'exception d'irrecevabilité.

- Enfin, l'Assemblée nationale a adopté définitivement, le texte qui nous est soumis, le 23 novembre 1982.

Les débats parlementaires illustrent les positions opposées, d'une part, du Gouvernement et de la majorité à l'Assemblée nationale et, d'autre part, de l'opposition à l'Assemblée nationale et de la majorité sénatoriale Votre rapporteur vous propose de vous arrêter quelques instants sur les thèses en présence en retenant pour la première les déclarations de Monsieur EMMANUELLI et de Monsieur CESAIRE et pour la seconde les déclarations de Messieurs FOYER et DEBRE. Déclarations qui ont d'ailleurs été brillamment développées au Sénat par Messieurs VIRAPOULLE et MONORY.

Le Secrétaire d'Etat chargé des D.O.M.-T.O.M., M. EMMANUELLI a clairement exposé la position du Gouvernement lors de la séance du 29 septembre.

Après avoir rappelé l'histoire des D O.M. et la genèse du principe d'assimilation, le Secrétaire d'Etat a affirmé que la présente loi se proposait "de redéfinir le contrat passé en 1946 entre la métropole et les quatre vieilles colonies". Monsieur EMMANUELLI a critiqué la politique de ses prédécesseurs qui a abouti à un échec économique (faillite de l'agriculture notamment sucrière, secteur tertiaire démesuré, chômage et émigration massifs) et <à>une régression culturelle (l'assimilationnisme ayant étouffé les spécificités locales). Le Gouvernement se propose de mettre en place des institutions réellement représentatives des populations et efficaces afin d'assainir la situation politique, économique et culturelle des D.O.M.

Monsieur EMMANUELLI a, sur ce point précisé que le Gouvernement n'a ni voulu regrouper les D.O.M. des Antilles - Guyane en une région qui n'aurait aucune consistance réelle, ni bidépartementaliser la Réunion, ce qui aurait entraîné des dépenses improductives.

Le Secrétaire d'Etat a enfin réfuté par avance les objections constitutionnelles de l'opposition :

- cette loi n'assimile en rien les D.O.M. aux T.O.M., l'unité de législation demeurant intégralement applicable aux D.O.M. ;

- la loi ne constitue aucun "abandon" des D.O M. Ces départements font partie de la République, le Secrétaire d'Etat, à ce sujet, a rappelé les termes de l'article 53 de la Constitution. Il ne peut être envisagé d'indépendance que "si une majorité clairement, librement et démocratiquement exprimée" le souhaite ;

- la loi ne méconnaît pas l'article 73 de la Constitution ; tout au contraire, elle constitue une mesure d'adaptation propre aux D O.M

Les parlementaires de la majorité à l'Assemblée nationale ont eu pour porte-parole principal, M. Aimé CESAIRE qui a stigmatisé la "non circulation des élites", les "combinaisons politicardes" et l'attitude des "départementalistes frileux". Pour lui, le projet tend à "transformer les citoyens passifs… en citoyens actifs, élimer des sociétés insulaires, les séquelles coloniales…, établir sur des bases nouvelles les rapports hypocrites qui prévalent jusqu'ici de colonisateurs à colonisés, élever nos communautés respectives au sentiment de la responsabilité, les faire accéder à la pleine personnalité et ouvrir à leur initiative tout le champ du possible au lieu de les enfoncer chaque jour davantage dans les marécages stagnant de l'aliénation, les blandices de l'assistance à vie et les délices de la société de consommation sans production".

L'essentiel des thèses de l'opposition à l'Assemblée nationale et de la majorité sénatoriale se retrouve dans les interventions de Monsieur FOYER et de Monsieur DEBRE, le premier a développé les objections constitutionnelles au projet, le second les objections de nature politique.

Pour Monsieur FOYER, le projet méconnaît le principe d'assimilation. Je ne développe pas ces arguments que vous retrouverez dans les saisines. Cette argumentation repose sur l'idée que l'adaptation ne "saurait porter atteinte à l'esprit" de la législation de droit commun. Or, la présente loi bouleverse complètement l'organisation des D.O.M. et crée une nouvelle collectivité territoriale qui n'est ni le département, ni la région.

La loi, d'autre part, méconnaît le principe d'égalité mettant fin au mandat des seuls conseillers généraux des D.O.M., faisant un sort particulier aux départements de Saint-Pierre et Miquelon, instituant un seuil de 5 % pour qu'une liste soit représentée au conseil, seuil qui n'existe pas pour les élections au conseil de la région de Corse. Enfin, elle traite différemment les habitants des diverses îles de la Guadeloupe.

Les arguments de Monsieur DEBRE ont été de nature différente. Ce projet est contraire à la "tradition républicaine" selon laquelle les D.O.M. relèvent des mêmes lois et règlements que les départements métropolitains. Les justifications données pour les règles nouvelles sont inconsistantes :

Le caractère monodépartemental ne justifie pas la fusion du département et de la région. C'est un fait administratif qui ne dépend que de la volonté des Gouvernements puisqu'il suffit, pour l'éviter, de créer une région Caraïbes-Guyane et de diviser la Réunion en deux départements. Rien ne justifie la disparition
du conseil général élu par cantons. Les structures administratives actuelles n'ont en rien empêché les populations locales de prendre leurs affaires en main. En réalité, pour Monsieur DEBRE toute les raisons avancées constituent de faux semblants, la notion d'autonomie mise en avant n'étant qu'un habillage électoral de la volonté d'indépendance d'un parti politique.

III.  MOYENS DES SAISINES ET EXAMEN DE LEUR BIEN-FONDE

J'ai devant moi trois documents :

Tout d'abord, la saisine du Président du Sénat qui demande simplement au Conseil "de bien vouloir se prononcer sur la conformité de ce texte à la Constitution". Il ne développe aucun moyen à l'appui de cette demande.

D'autre part, deux documents, l’un de dix pages, d'une logique très serrée, émanant des députés, l'autre de dix-sept pages, qui se veut exhaustif et qui, disons-le, est parfois un peu diffus.

J'examinerai, successivement, les quatre moyens qui sont proposés à votre examen.

a) les deux premiers moyens communs aux députés et aux sénateurs critiquent la loi, au regard des articles 72 et 73 de la Constitution, comme méconnaissant tant le principe d'assimilation que son corollaire le principe d'adaptation.

b) Les moyens 3 et 4 ne sont retenus que par les sénateurs. Le troisième moyen est la violation de la règle démocratique de l’élection des conseils généraux. Les articles 3 et 72 de la Constitution seraient violés par une disposition de la loi qui met fin, prématurément au mandat des conseillers généraux des D.O.M. ; c'est à ce moyen que se rattache l'invocation du principe fondamental qui serait tiré de la loi TREVENEUC du 15 février 1872.

Le quatrième moyen est que la loi méconnaîtrait dans diverses de ses dispositions, le principe d'égalité.

Venons en, tout de suite, au premier moyen.

1. Méconnaissance du principe d’assimilation telcp'il résulte de l'article 72

L'article 72 de la Constitution indique, dans un premier alinéa "les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements et les territoires d'Outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi".

Le second alinéa précise : "ces collectivités s'administrent librement par les conseils élus et dans les conditions prévues par la loi".

On s'accorde pour penser que l'article 72 indique qu'il y a des départements en Outre-mer comme en métropole, il s'agit là de la confirmation du principe d'assimilation posé par la loi du 19 mars 1946 et traditionnel depuis lors, La loi du 19 mars 1946, je vous le rappelle, tirait la conclusion d'une longue histoire et instituait de nouveaux rapports entre la métropole et les quatre vieilles colonies, en décidant que :

- Article 1er : "Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française sont érigées en département : français" ;

- Article 2 : "Les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine et qui ne sont pas encore appliqués à ces colonies feront, avant le 1er janvier 1947, l'objet de décrets d'application à ces nouveaux départements" ;

- Article 3 : "Dès la promulgation de la présente loi, les lois nouvelles applicables à la métropole le seront dans les départements sur mention expresse insérée au texte".

Depuis lors, en principe, l'organisation administrative et la législation sont identiques dans les D.O.M. et en métropole. La Constitution de 1946 posait ces règles dans son articles 85 énonçant les collectivités territoriales :"La République française, une et indivisible, reconnaît l'existence de collectivités territoriales. Ces collectivités sont les communes, les départements et les T.O.M.". De plus, l'article 73 de la même Constitution indiquait : "le régime législatif des D.O.M. est le même que celui des départements métropolitains, sauf exception déterminées par la loi".

L'article 73 de la Constitution de 1958, comme vous le savez, pose également le principe de l'adaptation mais il le fait dans des termes moins larges puisqu'il prévoit que : "le régime législatif et l'organisation administrative des D.O.M. peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessaires par leur situation particulière".

L'essentiel de notre discussion va porter sur le sens des articles 72 et 73. Ces deux articles se tiennent étroitement et l'article 73 précise la façon dont on doit entendre l'article 72. L'organisation administrative peut recevoir des adaptations, mais toute la question est de savoir quelle est la mesure de ces adaptations.

Les sénateurs, comme les députés, indiquent dans la saisine que la loi fait disparaitre le département et qu'elle viole l'article 72 qui prévoit expressément l'existence des D.O.M.

Les députés dans leur saisine soutiennent que "la loi, en installant à la place du conseil général et du conseil régional une assemblée unique, élue à la proportionnelle, viole le principe constitutionnel d'assimilation en une de ses conséquences essentielles" (page 4, avant-dernier alinéa). Ils reprennent (pages 8) le même argument vous expliquant, cette fois ci, que la disparition du département provient de son remplacement par une collectivité locale d'une nature nouvelle "département-région". Or, il est clair, concluent-ils que "si la loi peut créer d'autres collectivités territoriales, cette disposition, aux termes mêmes de l'article 72 de la Constitution, ne peut aboutir à supprimer le département qui est une collectivité territoriale dont l'existence est constitutionnelle".

Il résulte, pour les députés, que : "la fiction du maintien du statut départemental ne résiste pas à l'examen".

"La même assemblée dispose des pouvoirs du conseils général et de ceux du conseil régional. Le Président du conseil général et régional cumulera les pouvoirs des deux exécutifs départementaux et régionaux. Si les mots ont un sens, cette structure est celle d'un nouveau type de collectivités territoriales. L'assemblée
unique, compte tenu de sa composition et de son mode d'élection, ne peut être considérée comme un conseil général dont les compétences seraient élargies. Elle n'est pas élue sur la base territoriale des cantons. Seule, la Constitution pouvait autoriser, par une modification de l'article 72, cette suppression des collectivités départementales au profit d'un autre type de collectivités".

Cet argument qui est essentiel sert aussi aux sénateurs qui vous disent (page 8) que "la création d'une catégorie nouvelle de collectivités territoriales, les départements-régions", est contraire à l'article 73 de la Constitution" (ce n'est pas par erreur que j'ai cité ici l'article 73, les sénateurs vous écrivant (page 8) la phrase que je viens de lire, reprise deux alinéas plus loin dans les termes ci-après : "les départements-régions remplacent les D.O.M. qui disparaissent, de ce fait, en violation de l'article 73 de la Constitution". Ils diront, par ailleurs (page 10) que, si l'on admettait "la survivance des D.O.M. malgré leur transformation en départements-régions, la différence institutionnelle entre les D.O.M. et les autres départements serait contraire au article 72 de la Constitution "puisque, comme l'écrit M. LUCHAIRE, la Constitution de 1958 confirme le principe de l'assimilation précédemment réalisée en ne distinguant plus, dans son article 72, les départements d'Outre-mer et ceux de la métropole".

Si je vous ai cité un peu longuement les saisines sur ce premier point, c'est pour faire apparaitre, par leur simple lecture, l'extrême difficulté qu'il y aurait à se tenir simplement sur le fondement de l'article 72, pour examiner le bien-f< é on ne voit pas ce qui est écrit sur le document officiella saisine.

Avant de reprendre les deux arguments essentiels de ces saisines (d'une part la disparition du département, en raison du régime électoral nouveau, et, d'autre part la confusion des organes avec ceux de la région), il me faut me référer à la note remise au Conseil constitutionnel par le Secrétaire général du Gouvernement et qui est en votre possession. II expose que si l'article 72 de la Constitution mentionne trois catégories de collectivités territoriales, les communes, les départements et les T.O.M. comme le faisait déjà l’article 85 de la Constitution de 1946, il permet en outre, au législateur, de créer "toute autre collectivité territoriale". Le but des auteurs de la Constitution a été de permettre l'évolution de l'organisation. De telles évolutions existaient déjà en 1958, notamment les variations des règles électorales ou de celles relatives à la tutelle budgétaire, en fonction de la dimension des communes ou pour le maintien de spécificités historiques et politiques, (dans le Haut-Rhin le Bas-Rhin, la Moselle, la Seine et Paris en particulier). Mais les auteurs de la Constitution ont voulu permettre une diversification plus profonde par la création de collectivités entièrement nouvelles quand cela était nécessaire. C’est ce qui a été fait pour Paris, pour Mayotte et, plus récemment pour la Corse.

Le cas de Paris, poursuit en substance le Secrétaire général du Gouvernement, est spécialement intéressant à ce sujet puisqu'on ne saurait tout à fait dire que Paris est, ou un département, ou une commune. De même, Mayotte n'est certainement ni un département ni un T.O.M. On voit ainsi que sur certaines portions du territoire il n'existe pas certaines des collectivités territoriales prévues par l'article 72.

A fortiori, ajoute le Secrétaire général du Gouvernement, si la loi peut créer des collectivités territoriales nouvelles, elle peut modifier celles qui existent pour les adapter à des besoins particuliers. C'est d'ailleurs ce que prévoit expressément l'article 73 de la Constitution qui a pour objet "non de limiter le pouvoir général d'adaptation de l'organisation administrative reconnue au législateur par l'article 72, pour l'ensemble du territoire, mais au contraire, de consacrer expressément la situation particulière des D.O.M. et de permettre, non seulement des mesures d'adaptation de leur organisation au moins aussi étendues qu'en métropole, mais aussi des mesures d'adaptation du régime législatif qui ne seraient pas possibles en métropole… En tout état de cause, le principe d'assimilation ne saurait s'opposer à ce que le législateur adopte, pour les D.O.M. des règles d'organisation administrative qui ne seraient pas contraires à la Constitution si elles s'appliquaient en métropole".

Après cette discussion de principe, le Secrétaire général du Gouvernement va s'attacher à démontrer qu'il ne s'agit pas de créer une nouvelle catégorie de collectivités territoriales.

Qu'en est-il sur le principe même ? Il semble à votre rapporteur que si l'article 72 de la Constitution autorisait le législateur à remplacer les collectivités territoriales qu'il énumère par des collectivités territoriales d'une nature différente, la mention des D.O.M. que fait cet article serait vide de sens et la notion même d'assimilation serait contredite. L'adaptation ne peut s'entendre au sens de l'article 73, que par des "retouches" à un modèle général. Pour prendre une comparaison simple, on met les institutions locales "aux mesures" des réalités concrètes particulières de ces départements, on ne les établit pas un modèle différent. C'est d'ailleurs cette interprétation qui est traditionnelle.

Il semble que les articles 72 et 73 n'ont plus de sens s'ils permettent, non des adaptations, mais des mutations complètes de l'organisation métropolitaine.

Voilà pour les principes, reprenons, maintenant, les arguments. Il y en a deux :

a) le département, disent les saisines, serait caractérisé par l'élection des conseillers généraux, par canton, au scrutin majoritaire. Dans la loi qui vous est soumise les membres des nouveaux conseils sont élus à la représentation proportionnelle dans une circonscription unique qui couvre l'ensemble du "département- région". Il est certain que ces deux modes d'élection correspondent à des conceptions radicalement différentes de la représentation. Dans un cas, les électeurs sont représentés selon des critères géographiques et majoritaires ; dans l'autre, toutes les tendances sont représentées dès lors qu'elles obtiennent au moins 5 % des suffrages dans l'ensemble du département.

Peut-on affirmer pour autant qu'il y a disparition du département ? Peut-on affirmer que si demain les règles électorales du conseil général étaient profondément modifiées, (et je vous rappelle que l'article 34 de la Constitution donne compétence au législateur pour les définir) , le département disparaîtrait alors que ses compétences resteraient ce qu'elles sont, que sa définition géographique ne serait pas modifiée et qu'il demeurerait administré par un conseil général ?

Votre rapporteur éprouve quelques réticences à s'avancer dans une telle voie. Je vous serais reconnaissant, toutefois, de garder à l'esprit l'analyse à laquelle nous venons de nous livrer et dont nous retrouverons bientôt les données essentielles.

b) Le département disparaît-il, comme l'affirment encore les saisines du simple fait qu'une seule assemblée serait l'organe de décision du département et celui de la région et que région et département auraient également un organe exécutif commun ?

Le fait de confier à une seule autorité, qu'il s'agisse de l'assemblée ou de l'exécutif, les pouvoirs du départements et de la région est certainement un trait particulier dont on constate qu'il n'existe nulle part ailleurs. Il ne semble pas que le département disparaît alors que la loi le maintien expressément dans ses compétences, dans son budget et assure sa gestion sur un organe élu.

Venons-en au moyen qui paraît le plus fondé.

2. Violation de l'article 73 qui prévoit l'adaptation de l'organisation administrative quand la situation particulière des D.O.M. le nécessite :

Je vous rappelle, avant d'exposer les arguments de la saisine, combien les articles 72 et 73 sont liés entre eux puisque, comme je vous l'ai exposé précédemment, l'assimilation et l'adaptation sont deux expressions complémentaires qui définissent la limite des pouvoirs du législateur pour l’adapter au droit commun

Ce moyen est présenté sous trois aspect.

1/ On ne saurait adapter une règle qui n'existe pas encore ;

2/ La loi procède à une mutation, non à une adaptation ;

3/ La modification, si tant est qu'il y a adaptation des règles générales, ne trouve pas de fondement nécessaire dans la situation particulière des D.O.M.

Le second aspect de cette violation constituera l'argument décisif de ma réflexion et du projet que je vous soumettrai.

a) premier aspect de la violation du principe d’adaptation

La nouvelle loi prétend adapter la loi du 2 mars 1982 aux départements d’Outre-mer. Or, il se trouve que, sur bien des points aucune disposition n'existe dans la loi du 2 mars 1982. Elle ne comporte aucune règle pour l’élection des conseils régionaux. On aboutit à ce paradoxe que la loi "adaptée" par le nouveau texte est, non la loi de décentralisation du 2 mars 1982, mais une autre loi du même jour qui porte statut particulier pour la région de Corse. La notion même d'adaptation suppose qu'il existe une règle à adapter. Or, tel n'est pas le cas ici. Il y a donc violation de la règle d'adaptation "par défaut d'objet à adapter".

Cet argument qui paraît très solide à première vue n'est pourtant pas pleinement convaincant. Aucun texte n'exprime que la notion d'adaptation impose un ordre chronologique. L'idée de l'adaptation est plus simple, la voici. Des règles applicables dans les D.O.M. doivent être identiques dans leurs principes essentiels à celles applicables en métropole.

Le Conseil a d'ailleurs déjà écarté un argument semblable d'antériorité. Il était reproché à la loi organisant le statut particulier de la Corse de prévoir un régime électoral spécifique qui aurait été dérogatoire au droit commun et qui, comme tel, aurait été contraire au principe d'égalité . Sans même répondre sur le principe, le Conseil constitutionnel a simplement constaté que le moyen ne pouvait exister en fait puisque "en l'état actuel de la législation et jusqu'à l'intervention du texte destiné à fixer le régime général des élections aux conseils régionaux, rien ne permet de soutenir que le régime applicable à la région Corse sera dérogatoire au droit commun applicable à l'ensemble des régions".

Il semble que le Conseil qui avait donné cette réponse dans sa décision du 25 février 1982, peut adopter la même conduite aujourd'hui

b) Le deuxième aspect de la violation du principe de l'adaptation mérite de nous retenir.

On n'adapte pas une organisation administrative à l'Outre-mer, vous dit-on, mais on procède à une véritable mutation. La loi nouvelle remplace le département et la région par une entité spécifique, le "département-région". Au lieu d'adapter on crée une institution différente de toutes celles qui existent ailleurs. Le département et la région créés par la loi se voient dotés d’un organe unique tant pour décider de leurs affaires que pour mettre en oeuvre leurs décisions. De plus, l'élection des conseillers composant cette assemblée est, comme nous venons de le voir précédemment, organisée selon des principes rigoureusement différents de ceux retenus par la loi électorale applicable pour les conseils généraux métropolitains

La loi qui vous est soumise n'a pu, pour les adapter aux nouveaux organismes, emprunter les règles de son élection à la fois au départe- ment et à la région puisque la philosophie de l'élection du conseil général et du conseil régional est complètement différente. Au mieux, on pourrait dire que la gestion dû département est confiée à l’assemblée. Ceci est évidemment beaucoup plus que de l'adaptation. La collectivité nouvelle est fondamentalement différente dans ses structures, non pour des détails mais pour la conception générale, du département métropolitain. Et là, il y a un droit commun de comparaison puisque nul ne saurait nier que dès à présent une loi électorale prévoit la façon dont sont élus les conseillers généraux.

C'est pourquoi votre rapporteur vous propose d'annuler la loi qui vous est soumise en retenant que les structures des D.O.M. qu'elle se propose de créer sont radicalement différentes par la confusion des organes du département et de ceux de la région et par le mode d'élection du conseil général et régional de celles qui existent dans les autres départements. Ainsi, bien loin d'adapter l'organisation administrative aux D.O M., le législateur a innové, allant ainsi au-delà des pouvoirs que lui donne l'article 73.

Il me reste a exposer pour en terminer et pour être complet le troisième aspect allégué de la violation du principe d'adaptation et les deux derniers moyens développés par les sénateurs.

c) Troisième aspect de la violation du principe d'adaptation.

Si vous suivez votre rapporteur pour estimer que les règles nouvelles sont des règles sui generis et non d'adaptation de l'organisation du département en Outre-mer, l'argument selon lequel les règles nouvelles ne sont pas rendues nécessaires par les situations locales, comme l'exige l'article 73 de la Constitution devient surabondant.

Nous avons estimé que les mesures prises par la loi n'étaient pas des mesures d'adaptation. Elles ne sauraient donc être justifiées au regard de l'article 73.

Les deux moyens que je vous exposerai pour terminer (et surtout pour être complet) n'apparaissent que dans la saisine des sénateurs.

3. Moyen : violation de la règle démocratique de libre administration par des collectivités élues (articles 3 et 72 de la Constitution)

Le principe démocratique qui tient à la libre administration par des -conseils élus perdrait tout son sens si, lorsque la loi modifie la règle électorale, elle pouvait, par là même, mettre fin au mandat de l'organe élu. Il ne semble pas que l'argument soit très solide, compte tenu de la décision rendue par le Conseil sur une question très semblable en ce qui concerne l'assemblée territoriale de la Nouvelle Calédonie (en mai 1979) où il était dit qu'il appartient au législateur de préciser les conditions et, notamment la date de mise en application des règles qu'il pose (79-104DC).

Notons qu'à l’appui de ces moyens il indiqué que mettre fin prématurément au mandat d'un conseil général contreviendrait au principe constitutionnel qui résulte de la loi Tréveneuc (15 février 1872). Cette loi qui, selon les sénateurs auteurs dé la saisine, a valeur constitutionnelle, doit permettre, en effet, à l'assemblée des conseils généraux d’assurer le maintien des institutions en cas de dissolution injustifiée ou d'empêchement de fonctionner de l'Assemblée nationale.

Même si la loi Tréveneuc avait la valeur que lui accorde l’auteur de l'argument, la loi nouvelle ne crée pas un vide dans les conseils généraux puisque ceux-ci ne sont dissouts que lors de la formation de ceux qui les remplacent. Au surplus, la loi Tréveneuc a été votée pour maintenir la continuité de l'Etat en cas d'invasion et confère ainsi aux conseils généraux demeurés libres de leurs mouvements la tâche d'assurer le maintien de l'ordre public.

4. Violation du principe d'égalité. Discrimination entre les conseils généraux et entre les diverses populations représentées aux conseil généraux par des règles différentes.

Cet argument ne saurait avoir une portée absolue. Pour le retenir, il faudrait démontrer, à chaque fois, qu'aucune situation différente ne justifie une différence dans les règles électorales applicables.

Donner à l'argument une valeur de principe reviendrait à interdire toute variation de la règle électorale. Qui osera dire que Paris, Marie-Galante ou Saint-Pierre et Miquelon, ou Mayotte doivent, en raison des traits communs évidents qu'ils ont entre eux, recevoir rigoureusement les mêmes modalités d'élection que le département du Var ou celui du Pas-de-Calais ?

Pour en revenir au point le plus essentiel, je souligne pour finir que la violation de l'article 73, portant sur les traits essentiels du régime instauré par la loi nouvelle, entraîne la déclaration de non conformité de la loi toute entière.

Monsieur le Président remercie Monsieur JOXE pour son rapport complet, Impartial' et objectif. Il lui demande de bien vouloir donner lecture de son projet de décision.

Après que Monsieur JOXE ait lu son projet, Monsieur le Président déclare ouverte la discussion générale.

Monsieur MONNERVILLE estime que personne ne comprendrait qu'il ne prenne pas la parole en premier.

S'il y a bien une affaire dans laquelle un rappel historique s'impose c'est bien celle dont traite, aujourd'hui, le Conseil constitutionnel. Monsieur MONNERVILLE se propose de retracer brièvement les évènements qui ont conduit à l'adoption de la loi du 19 mars 1946.

La question de l'assimilation des quatre vieux territoires que sont la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion se pose depuis la Révolution française.

La Convention, en supprimant l'esclavage, avait proclamé les habitants de ces territoires "citoyens français".

En 1794, une cérémonie symbolique avait officialisé cette nouvelle égalité.

Napoléon, sous l'influence de Joséphine, a rétabli l'esclavage.

Ce n'est que sous l'influence de Victor SCHOELCHER que la Seconde République a aboli l'esclavage.

La Illème République a poursuivi cette œuvre, inspirée par la philosophie de la dignité humaine.

Ces quatre territoires étaient représentés, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.

Lorsqu'ont été créés les conseils généraux en métropole, ils ont . également été institués dans les quatre vieilles colonies.

Dès le milieu du 19ème siècle, les populations de ces territoires ont manifesté leur volonté d'assimilation.

En 1912, à l'occasion d'un débat relatif à la Défense Nationale, les représentants de ces quatre territoires ont souhaité rendre le service militaire obligatoire chez eux.

Pendant la guerre de 1914-1918, les originaires de ces territoires ont massivement contribué à l'effort national.

La revendication de l'assimilation s'est poursuivie entre les deux guerres .

Après la guerre de 1939-1945 Monsieur Monnerville rappelle à ses collègues qu'il présidait, au sein de l'Assemblée constituante, la Commission de l'Outre-mer qui a élaboré le projet de loi aboutissant à la loi du 19 mars 1946 cette loi a été votée à l'unanimité de l'assemblée, aussi bien par les représentants des partis communistes, socialistes, radicaux ou républicains. Cette loi abolit définitivement le régime des décrets institué par le senatus consulte de 1854. Elle consacre l'aspiration d'homme libre à la citoyenneté française.

Après la promulgation de cette loi, le Gouvernement et le Parlement ont constitué une commission spéciale interministérielle pour son application, présidée par Monsieur MOUTET. Cette commission a effectué un travail très minutieux et difficile pour sérier les particularismes de ces quatre nouveaux départements d'Outre-mer. Depuis cette époque, la loi française s'applique en tenant compte des particularismes. Ceci ne pose aucune difficulté. Les adaptations se sont faites au jour le jour sans que jamais elles constituent des transformations des organismes administratifs de ces départements

Monsieur MONNERVILLE pense, tout comme Monsieur JOXE, que la présente loi transforme, aujourd'hui, la structure des D.O.M. Elle abolit la notion de cantons, base électorale du conseil général. La nouvelle assemblée dite conseil général et régional est d'une nature toute autre que les conseils généraux métropolitains. Il y a une véritable dénaturation de l'essence du département. Cette nouvelle assemblée dirigée par un président unique se révèle d'une monstrueuse ambiguïté. Monsieur MONNERVILLE ne peut accepter qu'on crée une assemblée spécifique au détriment du département. Il ne veut porter un jugement politique sur cette loi. Rien, certes, n'est immuable. Les structures du département peuvent varier. Cependant, le terme d'adaptation contenu à l'article 73 de la Constitution n'est synonyme ni d'innovation, ni de transformation.

C'est pour toutes ces raisons qu'il déclare se rallier aux conclusions de Monsieur JOXE.

Monsieur GROS se déclare d'accord avec les conclusions du rapporteur.

Il ne s'agit pas de mesures d'adaptation mais d'une suppression pure et simple du département qui est remplacé par une chose nouvelle.

Monsieur BROUILLET déclare ne rien avoir à ajouter. Il adhère pleinement aux propos de Messieurs JOXE et MONNERVILLE. La loi déférée constitue une dénaturation de l'article 73 de la Constitution .

Monsieur SEGALAT indique qu'il est entièrement d'accord avec les conclusions du rapporteur. Ceci dit, Monsieur SEGALAT estime qu'il ne faut pas s'en tenir à une lecture abrupte des articles 72 et 73 de la Constitution .

Les pouvoirs dévolus au Parlement en vertu de l'article 73 ont une richesse certaine. On ne peut tirer de l'article 73 que le législateur est obligé de maintenir, Outre-mer, l'ensemble des structures métropolitaines. Il se réserve donc le droit d'intervenir dans la deuxième partie de la discussion relative au projet de décision. Sur le fond, il confirme son accord avec la position de Monsieur JOXE.

Monsieur PERETTI partage, lui aussi, les conclusions du rapporteur. Il estime vain de se référer au statut de Paris et au statut de Mayotte pour justifier le sort particulier fait aux D.O.M. C'est qu'en effet les lois relatives à Paris et à Mayotte n'ont pas été soumises au Conseil. Celui-ci n'est en rien lié par un quelconque précédent. Il se déclare choqué par les arguments avancés contre la bidépartementalisation de certains D.O.M. Pourquoi n'a-t-on pas hésiter à bidépartementaliser la Corse qui compte 250 000 habitants et non la Réunion qui en compte 416 000 ?

Monsieur VEDEL déclare que, malgré l'excellence du rapport de Monsieur JOXE, il n'a pas été convaincu par ses conclusions. Il estime, en effet, qu'il y a peu de relation entre ce rapport et la question qui se pose. Il ne voit pas en quoi cette loi est contraire à la Constitution. En effet, la différence des régimes électoraux est la règle en France. Les élections au Sénat varient, par exemple, suivant la taille des départements, les élections municipales à Paris sont autres que dans les autres communes du pays .

Le terme d'adaptation contenu à l'article 73 de la Constitution ne présente pas un caractère limitatif. Les adaptations doivent répondre au caractère particulier des différents D.O.M. En l'espèce, les nécessités d'adaptations avancées par le législateur ne sont pas fantaisistes : il ne faut pas oublier que chacun des D.O.M. constitue une région. Ce fait seul justifie des adaptations. Il est cocasse de réclamer qu'on bidépartementalise ces départements alors qu'on n'allègue aucune raison administrative sérieuse. Procéder de la sorte revient à établir des fausses symétries. On serait tenté de parler de fausses fenêtres . Toute la difficulté provient de la coïncidence entre la région et le département. Le rapporteur critique la loi d'avoir choisi le mode électoral propre au conseil régional. Il y a lieu de croire qu'il aurait été satisfait si le législateur avait choisi le mode électoral propre au conseil général. Le Conseil ne doit pas oublier que toute loi électorale a un caractère politique.

Monsieur VEDEL ne voit pas en quoi, constitutionnellement, ont peut critiquer la loi d'avoir opte, pour le régime de la représentation proportionnelle propre aux assemblées régionales. La décision proposée par le rapporteur est d'une très grande fragilité. Elle repose sur une interprétation du terme d' "adaptation" qui est un terme courant mais qui n'a pas d'acception juridique particulière. Ceci est d'autant plus regrettable qu'en l'espèce le Conseil se trouve sur un terrain politiquement glissant. Il est navrant que ce soit dans un tel domaine que le Conseil rende une décision aussi fragile. Comment ne pas autoriser le législateur, alors qu'il dispose du fondement constitutionnel de l'article 73, à instituer un régime propre aux D.O.M. comme jadis il a pu édicter un statut propre à Paris ? La présente loi répond à une nécessité. Il n'existe qu'une seule assise territoriale dans les D.O.M. Il est difficile, par ailleurs, de nier les spécificités de chacun de ces départements. Comment, dès lors, critiquer le choix fait par le législateur en faveur d'un mode électoral ?

Monsieur MONNERVILLE considère que le département a une valeur constitutionnelle alors que la région n'a qu'une simple valeur législative. Le législateur ne peut ôter ses pouvoirs au département pour les confier à une nouvelle assemblée élue sur la base du scrutin régional.

Monsieur VEDEL précise que la région a été créée par le législateur, conformément à la Constitution. Il n'existe pas de collectivités territoriales de rang différent.

Monsieur LECOURT considère qu'il faut s'en tenir au texte des articles 72 et 73 de la Constitution. Ils ne peuvent se comprendre l'un sans l'autre.

L'article 72 pose l'interdiction de distinctions entre les départements, qu'ils soient métropolitains ou d'Outre-mer. L'article 73, lui, permet des adaptations. En l'état actuel de la législation, le cadre départemental repose sur sa représentation par canton. Tant que la loi générale ne change pas, il est difficile d'accepter des adaptations d'une telle ampleur. Si le Conseil donnait une interprétation laxiste à la notion d'adaptation, il y aurait un véritable télescopage entre les articles 73 et 74 (relatif à l'organisation particulière des T.O.M.). Le Conseil doit veiller au maintien de cette séparation. A défaut, la loi bouleverserait à sa guise les structures territoriales de la République.

Monsieur LECOURT souhaiterait d'ailleurs que la décision à intervenir fasse référence à cet article 74 de la Constitution.

Monsieur le Président déclare pleinement approuver, quant à lui, les conclusions de Monsieur le rapporteur.

Il invite alors Monsieur JOXE à lire une nouvelle fois son projet de décision, après quoi il prie les membres du Conseil à former toutes observations de forme qu'ils jugeront utiles.

Monsieur SEGALAT rejoint les observations de Monsieur LECOURT. Il souhaiterait qu'il soit fait mention, dans la décision, de l'article 74.

Monsieur VEDEL considère que le projet de décision est quelque peu ambigu, en ce qu'il n'indique pas ce que le Conseil considère être conforme à la Constitution. Toute décision de censure doit être pédagogique, ne serait-ce que pour indiquer la voie au Gouvernement.

Diverses modifications du projet ayant été proposées par Messieurs BROUILLET, LECOURT et SEGALAT, Monsieur le Président suspend la séance et forme un comité de rédaction pour élaborer un projet modificatif.

Ce comité de rédaction comprend, outre Monsieur le Président, Messieurs JOXE, LECOURT, BROUILLET et SEGALAT. Ce comité de rédaction se réunit de 18 h 20 à 20 h 30.

Monsieur le Président déclare que la séance est alors reprise. Il invite Monsieur JOXE à donner lecture du nouveau projet de décision (projet B. Le projet initial A est également joint au présent procès-verbal).

Après la lecture de ce projet, Monsieur le Président invite les membres du Conseil à formuler toutes observations utiles. Aucune observation n'étant formulée, Monsieur le Président soumet au vote le nouveau projet de décision.

Ce projet est adopté à l'unanimité des membres du Conseil, à l'exception de Monsieur VEDEL qui vote contre.

La séance est levée à 20 h 50.

Cette délibération contient des annexes

c^(c)2 ^(sjon\ n)° _⁸_²_Z 1 4 7 DC u 2 décembre 1982

PROJET A SOUMIS PAR LE RAPPORTEUR AU CONSEIL

PROJET NON ADOPTE

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Saisi Je 23 novembre 1982, dans les conditions prévue à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution,

par Adolphe CHAUVIN, Philippe de BOURGOING, Charles PASQUA, Louis VIRAPOULLÉ, Georges REPIQUET, Roger LISE, Edmond VALCIN, Alphonse ARZEL, René BALLAYER, Maurice BLIN, André BOHL, Roger BOILEAU, Charle: BOSSON, Jean-Marie BOULOUX, Louis CAIVEAU, Jean CAUCHON, Pierre CECCALDI-PAVART, Auguste CHUPIN, Jean CLUZEL, Jean COLIN, Charles FERRANT, André FOSSET, Jean FRANCOU, Jacques GENTON, Henri GOETSCHY, Jean GRAVIER, Daniel HOEFFEL, Rémi HERMENT, René JAGER, Louis JUNG, Bernard LAURENT, Jean LECANUET, Bernard LEMARIÉ, Jean MADELAIN, René MONORY, Claude MONT, Jacques MOSSION, Dominique PADO, Paul PILLET, Roger POUDONSON, Maurice PRÉVOTEAU, André RABINEAU^ Marcel RUDLOFF, Pierre SALVI, Jean SAUVAGE, Pierre SCHIÉLE, Paul SÉRAMY, René TINANT, Raoul VADEPIED, Pierre VALLON, Joseph YVON, Charles ZWICKERT, Marcel?DAUNAY, Alfred GERIN, Henri LE BRETON, Yves LE COZANNET, Marcel LEMAIRE, Georges TREILLE, Roland du LUART, Richard POUILLE, Jean-Pierre FOURCADE, Pierre-Christian TAITTINGER, Guy PETIT, Roland RUET, Guy de LA VERPILLIERE, Jean PUECH, Jean-François PINTAT, Jules ROUJON, Michel CRUCIS, Jacques MÉNARD, Bernard BARBIER, Jean BENARD-MOUSSEAUX, Paul GUILLARD, Michel MIROUDOT, Albert VOILQUFN, Jacques LARCHÉ, Louis BOYER, Louis MARTIN, Serge MATHIEU, Hubert MARTIN, Pierre CROZE, Jean CHERIOUX,_(z)Paul d’ORNANO, Adrien GOUTEYRON, Jacques CHAUMONT, Marc BECAM, Jean AMELIN, Michel MAUR1CE-BOKANOWSKI, Paul MALASSAGNE, Jacques DELONG, Henri BELCOUR, Jean-François LEGRAND, Jacques BRACONNIER, Bernard, Charles HUGO, Louis SOUVET, Michel ALLONCLE, Christian PONCELET, Amédée BOUQUEREL, Marc JACQUET, Michel CHAUTY, Henri PORTIER, Marcel FORTIER, Jacques MOUTET, Etienne DAILLY, Mme Brigitte GROS, MM. Pierre JEAMBRUN, Raymond SOUCARET, Jacques PELLETIER, Jean-Pierre CANTEGRIT, Sénateurs.

par MM. Michel DEBRE, Camille PETIT, Claude LABBE, Mme

Florence d'HARCOURT, MM. Michel CO1NTAT, Didier JULIA, Claude- Gérard MARCUS, Tutaha SALMON, Roger CORREZE, Bruno BOURG-BROC, François FILLON, Henri de GASTINES, Georges TRANCHANT, Mme Nicole de HAUTECLOCQUE, MM. Serge CHARLES, Jean de LIPKOWSKI, Jean-Louis MASSON, René LA COMBE, Maurice COUVE de MURVILLE, Jacques MARETTE, Gabriel KASPERE1T, Roland VUILLAUME, Jean FALALA, Jacques CHIRAC, Edouard FREDERIC-DUPONT, Mme Hélène MISSOFFE, MM. Georges GORSE, Pierre-Bernard COUSTÉ, Jacques GODFRAIN, Jacques TOUBON, Pierre-Char1 es KRIEG, Michel PÊRICARD Bernard PONS, Alain PEYREFITTE, Etienné PINTE, Marc LAURIOL, Jean-Louis GOASDUFF, Yves LANCIEN, Pierre MAUGER, Jean-Paul de ROCCA-SERRA, Roland NUNGESSER, Philippe SÉGUIN, Jean de PREAUMONT, Jean FOYER, Georges DELATRE, Jacques CHABAN-DELMAS, Pierre MESSMER,,Pierre WEISENHORN, Michel NOIR, Pierre BAS, Jean-Paul CHARIE, Jean-Charles CAVAILLE, Jean TIBERI, Robert GALLEY, Antoine GESSINGER, Jean VALLEIX, Germain SPRAUER, Emile BIZET, Jacques BAUMEL, Olivier GUICHARD, Jean NARQUIN, Lucien RICHARD, Emmanuel AUBERT, Robert-André VIVIEN, Michel BARNIER, Hyacinthe SANTONI, Michel INCHAUSPE, Danier GOULET, Christian BERGELIN, Jean-Claude GAUDIN, Jacques FOUCHIER, Maurice LIGOT, Claude BIRRAUX, Albert BROCHARD, Jacques DOMINATI Gilbert GANTIER, Paul PERNIN, Marcel BIGEARD, Germain GENGENWIN, Francisque PERRUT, Mme Louise MOREAU, MM. Pascal CLÉMENT, Jacques BLANC, Jacques BARROT, Edmond ALPHANDERY, Charles MILLON, Alain MADELIN, Philippe MESTRE, Joseph-Henri MAUJOUAN- DU-GASSET, Jean BRIANE, André ROSSINOT, René HABY, Claude WOLFF, Jean PRORIOL, Roger LESTAS, Pierre MICAUX, François d'HARCOURT, Yves SAIJTIER, Jean RIGAUD, Jean SEITLINGER, Marcel ESDRAS, Victor SABLE, Raymond BARRE, Jean-Pierre SOISSON, Bernard STASI, Députés,

et par Monsieur Alain POHER, President du Sénat,

de demandes d’examen de la conformité â la Constitution du texte de la loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et.libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion ;

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de cette ordonnance ;

Oui le rapporteur en son rapport

Considérant que, pour contester la conformité

à la Constitution de la loi soumise à l'examen du

Conseil constitutionnel, les parlementaires auteurs des

j

saisines soutiennent notamment, d'une part, qu'en substituant au conseil général et au conseil régional une assemblée unique élue à la représentation proportionnelle, dans une circonscription unique, et en créant une nouvelle collectivité territoriale qui supprime le département, la loi viole le principe de l'assimilation des département d'Outre-mer aux départements de la métropole consacré par l'article 72 de la Constitution, d'autre part, que les dispositions de la loi comportent des innovations qui vont au-delà des mesures d'adaptation prévues à l'article 73 de la Constitution ;

Considérant qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution "Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les terri- toires d ' Outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi. Dans-les départements et les terri- toires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêt: nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois" ;

Considérant qu'aux termes de l'article 73 de la Constitution "Le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'Outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d’adaptation nécessitées par leur situation particulière" ,

Considérant qu'il résulte de ces articles que l'existence du département a valeur constitutionnelle et que le statut des départements d'Outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains, sous la seule réserve des mesures d'adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de ces départements d'Outre-mer ;

Considérant que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel prévoit, notamment, que la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion constituent chacune deux collectivités territoriales distinctes, un département et une région ; que les affaires de ces deux collectivités sont réglées par une assemblée unique dénommée conseil général et régional dont les membres sont élus à la représentation propor- tionnelle dans une circonscription unique ; que le Président de cette assemblée est l'organe exécutif tant du département que de la région ;

Considérant qu'en édictant pour les départements d'Outre-mer des règles différentes de celles applicables aux autres départements,et qui portent sur des caractères institutionnels fondamentaux de ces collectivités territoriales, les dispositions de ladite loi vont au-delà des mesures d'adaptation que l'article 73 de la Constitution autorise en ce qui concerne le régime législatif et l'organisation administrative de ces départements ; qu'ainsi, en donnant à cet article une portée qu'il n'a pas, le législateur a méconnu la règle de droit qui définit sa compétence ; .

Considérant, dès lors, que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel doit être déclarée contraire à la Constitution ,

DECIDE :

Article premier - La loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, â la Martinique et à la Réunion, est déclarée non conforme à la Constitution.

Art ic1e 2_- La présente décision sera publiée au Journal

officiel de la République française

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans

sa séance du 2 décembre (198 2.

é c j s j on n ° 8 2-147 PC u 2 décembre 1982

PROJET B ADOPTE PAR LE CONSEIL

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Saisi le 23 novembre 1982, dans les conditions prévue; à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution,

par 1JM. Adolphe CHAUVIN, Philippe de BOURGOING, Charles PASQUA,

Louis VIRAPOULLÉ, Georges REPIQUET, Roger LISE, Edmond VALCIN, Alphonse ARZEL, René BALLAYER, Maurice BLIN, André BOHL, Roger BOILEAU, Charles BOSSON, Jean-Marie BOULOUX, Louis CAIVEAU, Jean CAUCHON, Pierre CECCALDI-PAVART, Auguste CHUPIN, Jean CLUZEL, Jean COLIN, Charles FERRANT, André FOSSET, Jean FRANCOU, Jacques GENTON, Henri GOETSCHY, Jean GRAVIER, Daniel HOEFFEL, Rémi HERMENT, René JAGER, Louis JUNG, Bernard LAURENT, Jean LECANUET, Bernard LEMARIÉ, Jean MADELAIN, René MONORY, Claude MONT, Jacques MOSSION, Dominique PADO, Paul PILLET, Roger POUDONSON, Maurice PRÉVOTEAU, André RABINEAU_(X) Marcel RUDLOFF, Pierre SALVI, Jean SAUVAGE, Pierre SCHIÉLE, Paul SÉRAMY, René TINANT, Raoul VADEPIED, Pierre VALLON, Joseph YVON, Charles ZWICKERT, Marcel. DAUNAY, Alfred GERIN, Henri LE BRETON, Yves LE COZANNET, Marcel LEMAIRE, Georges TREILLE, Roland du LUART, Richard POUILLE, Jean-Pierre FOURCADE, Pierre-Christian TAITTINGER, Guy PETIT, Roland RUET, Guy de LA VERPILLIERE, Jean PUECH, Jean-François PINTAT, Jules ROUJON, Michel CRUCIS, Jacques MÉNARD, Bernard BARBIER, Jean BENARD-MOUSSEAUX, Paul GUILLARD, Michel MIROUDOT, Albert VOILQUTN, Jacques LARCHÉ, Louis BOYER, Louis MARTIN, Serge MATHIEU, Hubert MARTIN, Pierre CROZE, Jean CHERIOUX,_(z)Paul d’ORNANO, Adrien GOUTEYRON, Jacques CHAUMONT, Marc BECAM, Jean AMELIN, Michel MAURICE-BOKANOWSKI, Paul MALASSAGNE, Jacques DELONG, Henri BELCOUR, Jean-François LEGRAND, Jacques BRACONNIER, Bernard, Charles HUGO, Louis SOUVET, Michel ALLONCLE, Christian PONCELET, Amédëe BOUQUEREL, Marc JACQUET, Michel CHAUTY, Henri PORTIER, Marcel FORTIER, Jacques MOUTET, Etienne DAILLY, Mme Brigitte GROS, MM. Pierre JEAMBRUN, Raymond SOUCARET, Jacques PELLETIER, Jean-Pierre CANTEGRIT, Sénateurs,

par MM. Michel DEBRE, Camille PETIT, Claude LABBE, Mme

Florence d'HARCOURT, MM. Michel COINTAT, Didier JULIA, Claude- Gérard MARCUS, Tutaha SALMON, Roger CORREZE, Bruno BOURG-BROC, François FILLON, Henri de GASTINES, Georges TRANCHANT, Mme Nicole de HAUTECLOCQUE, MM. Serge CHARLES, Jean de LIPKOWSKI, Jean-Louis MASSON, René LA COMBE, Maurice COUVE de MURVILLE, Jacques MARETTE, Gabriel KASPEREIT, Roland VUILLAUME, Jean FALALA, Jacques CHIRAC, Edouard FREDERIC-DUPONT, Mme Hélène MISSOFFE, MM. Georges GORSE, Pierre-Bernard COUSTÉ, Jacques GODFRAIN, Jacques TOUBON, Pierre-Charles KRIEG, Michel PÉRICARD, Bernard PONS, Alain PEYREFITTE, Etienné PINTE, Marc LAURIOL, Jean-Louis GOASDUFF, Yves LANCIEN, Pierre MAUGER, Jean-Paul de ROCCA-SERRA, Roland NUNGESSER, Philippe SÉGUIN, Jean de PREAUMONT, Jean FOYER, Georges DELATRE, Jacques CHABAN-DELMAS, Pierre MESSMER,,Pierre WEISENHORN, Michel NOIR, Pierre BAS, Jean-Paul CHARIE, Jean-Charles CAVAILLE, Jean TIBERI, Robert GALLEY, Antoine GESSINGER, Jean VALLEIX, Germain SPRAUER, Emile BIZET, Jacques BAUMEL, Olivier GUICHARD, Jean NARQUIN, Lucien RICHARD, Emmanuel AUBERT, Robert-André VIVIEN, Michel BARNIER, Hyacinthe SANTONI, Michel INCHAUSPE, Danier GOULET, Christian BERGELIN, Jean-Claude GAUDIN, Jacques FOUCHIER, Maurice LIGOT, Claude BIRRAUX, Albert BROCHARD, Jacques DOMINATI Gilbert GANTIER, Paul PERNIN, Marcel BIGEARD, Germain GENGENWIN, Francisque PERRUT, Mme Louise MOREAU, MM. Pascal CLÉMENT, Jacques BLANC, Jacques BARROT, Edmond ALPHANDERY, Charles MILLON, Alain MADELIN, Philippe MESTRE, Joseph-Henri MAUJOUAN- DU-GASSET, Jean BRIANE, André ROSSINOT, René HABY, Claude WOLFF, Jean PRORIOL, Roger LESTAS, Pierre MICAUX, François d’HARCOURT, Yves SAQTIER, Jean RIGAUD, Jean SEITLINGER, Marcel ESDRAS, Victor SABLE, Raymond BARRE, Jean-Pierre SOISSON, Bernard STASI, Députés,

et par Monsieur Alain POHER, Président du Sénat, de demandes d’examen de la conformité à la Constitution du texte de la loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et;libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion ;

Vu la Constitution ,

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de cette ordonnance ;

Ouï le rapporteur en son rapport ;

3.

Considérant que, pour contester la conformité à la

Constitution de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel les parlementaires auteurs des saisines soutiennent notamment, d'unt part, qu'en substituant au conseil général et au conseil régional une assemblée unique élue à la représentation proportionnelle dans une circonscription unique, et en créant une nouvelle collectivité territoriale qui supprime le département, la loi viole le principe de l'assimilation des départements d'Outre-mer aux départements de la métropole consacré par l'article 72 de la Constitution, d'auti part, que les dispositions de la loi comportent des innovations qui vont au-delà des mesures d'adaptation prévues à l'article 73 de la Constitution ;

Considérant qu'aux termes de l'article 72 de la Consti- tution "les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'Outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi Ces collecti- vités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi" ;

Considérant qu'aux termes de l'article 73 de la Constitr tion "Le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'Outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adapta- tion nécessitées par leur situation .particulière" ;

Considérant qu'il résulte de ces articles que le statut des départements d'Outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains sous la seule réserve des mesures d'adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de ces départements d'Outre-mer ; que ces adaptations ne sauraient avoir pour effet de conférer aux départements d'Outre-mer une "organisation particulière", prévue par l'article 74 de la Constitution pour les seuls territoires d'Outre-mer ,

4 .

Considérant qu'en confiant la gestion des départements d'Outre-mer à une assemblée qui, contrairement au conseil général des départements métropolitains en l'état actuel de la législation, n'assure pas la représentation des composantes territoriales du département, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel confère à cette assemblée une nature différente de celle des conseils généraux , qu'ainsi, ces dispositions vont au-delà des mesures d'adaptation que l'article 73 de la Constitution autorise en ce qui concerne l'organisation des départements d'Outre-mer ;

Considérant qu’en donnant à cet article une portée qu'il n'a pas, le législateur a méconnu la règle de droit qui définit sa compétence et que, dès lors, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel doit être déclarée non conforme à la Constitution ;

DECIDE :

Article premier La loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion, est déclarée non conforme à la Constitution

Article 2. La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 2 décembre 1982.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.