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Adelie LALEVEE


SEANCE DU 24 MARS 1983

Le Conseil se réunit à 15 heures tous ses membres étant présents à l'exception de Monsieur Valéry GISCARD D'ESTAING, excusé.

Monsieur le Président prononce alors l'allocution suivante :

Messieurs, 

Je pense que vous comprenez l'émotion qui peut être la mienne en inaugurant une fonction que le Président de la République m'a récemment confiée.

Un seul regret tout d’abord, c'est de ne pouvoir commencer ces mots en disant : "Mesdames, Messieurs". Cette possibilité sera sans doute donnée plus tard, comme je le souhaite.

Il est normal que mes premiers mots évoquent le rôle joué par mon prédécesseur immédiat, Monsieur Roger FREY, dont le respect de la Constitution comme de la Déclaration des Droits de l'Homme a assuré et amplifié l'autorité du Conseil. Son rôte a été essentiel à l'origine de la réforme de 1974 puis pour son application.

Comment ne pas évoquer également le nom de Gaston MONNERVILLE chez qui l'expérience et la fidélité s'allient à un humanisme profond nourri par une vaste culture, et celui de René BROUILLET, homme tout en finesse et en nuances, qui savait utiliser ses connaissances diplomatiques et ses attaches internationales au service de notre institution.

Aujourd'hui les uns et les autres sont remplacés :
Par Monsieur JOZEAU-MARIGNE dont la carrière, qui vous est connue, a dépassé, notamment au Parlement européen et à la Haute Cour de Justice, le cadre d'une région dans laquelle il a joué et continue de jouer un rôle si important ;
Par Monsieur MARCILHACY, à la fois et successivement journaliste, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, réinscrit au Barreau de Paris, Sénateur, Président de la Commission des Lois constitutionnelles du Sénat, qui a laissé d'une campagne présidentielle le souvenir d'une rigueur qu'il n'a jamais abandonnée.

 

Quant à moi, désigné avec eux, je puis seulement vous assurer que je ne vous donnerai jamais l'occasion de me mésestimer.

J'ai retrouvé ici des visages connus, quelques uns pour moi familiers, rencontrés au cours de destins qui - la géométrie dut-elle mentir - quoique parallèles, se sont parfois rencontrés. Dois-je laisser les tirets qui encadrent l'expression "la géométrie dut-elle mentir" ? Ces rencontres ne nous plaçaient pas toujours du même côté lors de nos discussions politiques, mais, la chance d'une institution comme la nôtre est qu'elle nous situe, pour notre travail, au-dessus des divisions. Sa mission est de sauvegarder la Constitution, expression de la volonté commune des Français de vivre selon une certaine civilisation.

Certes, des détails de cette Constitution peuvent être remis en question ou paraître critiquables à l'un ou l'autre d'entre nous, mais ne contient-elle pas, en son article symboliquement 89, la procédure de sa propre révision ? C'est évidemment son texte, tout entier, que nous entendons sauvegarder.

L'histoire autant que la raison a imprimé au plus profond de notre être la conviction que la vie sociale passe par la démocratie.

Le seul rempart contre tous les abus, inévitables quand les mêmes personnes sont assurées d'exercer durablement le pouvoir, c'est le respect des décisions de la majorité.

Sur ces points, l'accord ne peut être que complet entre nous. D'ailleurs, nous avons tous accepté de participer aux travaux du Conseil constitutionnel, pour contribuer au maintien des fondements essentiels de l'unité nationale.

Cette tâche a certainement des aspects pénibles. Savoir y faire face est notre devoir.

Le respect des suffrages populaires a conduit plusieurs d'entre vous à annuler l'élection de parlementaires dont certains étaient vos amis. Les mêmes peines nous attendent, tous, un jour ou l'autre.



La rançon de notre mission de juge suprême est de ne pouvoir jamais laisser trancher par d'autres les cas qui peuvent nous embarrasser à titre personnel.

Il nous faudra payer de notre personne.

Mais je me sens, ici, dans une maison solide. La tâche accomplie avant mon arrivée lui a donné de fermes assises. Cela, nous le savons, a exigé de grands efforts. La réussite de l'institution est telle que l'on serait porté, aujourd'hui, à oublier que le Conseil s'est établi malgré une tradition hostile à tout contrôle de la loi et même du mandat parlementaire hors du Parlement lui-même.

Conçu pour être le "régulateur des pouvoirs publics", il a su sauvegarder les prérogatives des élus et reconnaître à la loi un domaine beaucoup plus large que ne l'avaient prévu les premiers analystes de la Constitution. Puis, il a resitué notre droit dans la grande tradition républicaine, par une interprétation du Préambule et de sa portée, si juste, qu'après coup, elle a paru d'une évidente nécessité.

La justesse de cette vue a conduit à une réforme donnant au Conseil de nouveaux moyens.

Utilisant les possibilités ouvertes en 1974, mes prédécesseurs ont assuré, alors qu'ils n'étaient guidés par aucun précédent, les bases solides de notre doctrine en matière de libertés, dans les domaines les plus divers. Alors, les citoyens se sont sentis mieux prémunis contre les abus. Ils estiment, à présent, que le Conseil est une garantie indispensable pour l'Etat de droit.

Avec votre aide, je poursuivrai la tâche à laquelle, pour six d'entre vous, vous avez déjà tant contribué.

De ce passé immédiat, je tire, pour ma part, cinq enseignements principaux.




1. Tout d'abord, on constate que la Constitution guide, la démarche de ses interprètes.

Pour, définir les libertés fondamentales, son Préambule réaffirme l'attachement des Français à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

C'est en donnant un sens plein à ce Préambule que vous avez fait le plus pour assurer les libertés .

En outre, l’article 2 de la Constitution proclame :

"La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ;"...

La devise de la République est "Liberté, Egalité, Fraternité". Son principe est : "gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple".

Ces notions sont bien, pour vous, celles qui ne sauraient être délaissées en aucun cas. N'êtes-vous pas allés, pour assurer le respect de l'universalité des suffrages, jusqu’à soulever d'office la constitutionnalité d'une régle qui divisait le corps des électeurs en catégories ?

2. La Constitution nous indique donc avec force quels principes fondamentaux permettront de lever nos éventuelles hésitations quand il s'agit des libertés. Nous les appliquons avec vigueur, mais nous savons que nos pouvoirs sont définis et nos compétences limitées .
Nous n'avons pas à porter d'appréciations d'ordre politique, c'est là le second trait sur lequel insister.

Nous n’avons pas à refaire la loi, mais à dire où s'arrête son pouvoir.




Les groupes politiques qui ont perdu une bataille parlementaire sont amenés à voir aisément dans la décision adoptée par la majorité une atteinte aux principes fondamentaux. Il est normal qu'ils nous convient à sanctionner ce qui leur paraît un abus, mais nous devans éloigner d'eux la tentation d'en user systématiquement. 

Il nous incombe de poser la limite entre ce qui serait le rôle d'une troisième chambre de Parlement, que nous refusons d'être, et celui du juge constitutionnel. Bien sûr, nous ne sommes pas là pour refaire la loi, mais pour éclairer les pouvoirs publics et les citoyens sur les limites que lui assigne la Constitution  

Il appartient au législateur, et à lui seul, comme le Conseil l'a maintes fois souligné, de prendre des décisions d'opportunité politique, ainsi d'estimer qu'il est d'utilité publique de tansférer certains biens du secteur privé à l'Etat ou d'interdire, par la sanction d'une peine, certains comportements nuisibles.

Il nous revient de dire où le pouvoir du législateur s'arrête : il s'arrête quand il met en cause une liberté fondamentale garantie par nos textes constitutionnels. J'ajoute que le législateur ne saurait ê soupçonné, a priori, d'avoir fait un mauvais usage des pouvoirs que lui confère la Constitution.

Il nous appartient aussi de faciliter le travail du législateur en désignant les termes de la loi qui vont au-delà de son domaine souverain d'appréciation et en expliquant les raisons de notre décision. 

Sur tous ces points, comme l'a exprimé mon prédécesseur, il faut nous garder d'un excès de timidité comme d'un excès d'audace. 

3. Par ailleurs, et ce sera ma dernière remarque de fond : nous n'avons pas à être timides quand, pour éviter un blocage institutionnel, il faut, sans porter atteinte à un principe, suppléer à l'absence d'un texte, rectifier la lettre d'une disposition ou écarter une interprétation, généralement admise à la hâte.



Dans le domaine du fonctionnement des institutions, ce qui frappe est le caractère pratique de votre jurisprudence.

Sans votre réalisme, la vie publique serait paralysée.

J'en viens, à présent, aux questions de forme.

4. Notre décision prise, il nous faut exposer la règle sur laquelle nous la fondons. Bien souvent, le principe qui justifie notre décision n'était qu'implicite dans notre droit avant que nous ne l’ayons formulé. C'est là une raison de plus pour n'oublier jamais que :
pour être protectrice, il faut que la règle de droit soit claire.

Une des fonctions du droit est évidemment de protéger ceux qui en ont besoin, c'est-à-dire, d'abord, les plus humbles et tes plus démunis. Pour la remplir, la règle doit leur être compréhensible.

Or, l'origine jurisprudentielle d'un droit le rend difficile à connaître. Prenons garde que la jurisprudence ne devienne un nouveau rempart protégeant des inégalités.

Vous vous êtes efforcés d'éviter ce danger par des motivations détaillées et souvent très claires , dont j'ai, pour la plupart, pris connaissance.

Nous avons la chance de ne pas être submergés par le flot des affaires. Pour chacune, nous avons d'autant plus le devoir de répondre d'une façon juste, mais, aussi, compréhensible à tous.

Un excès de subtilité enlèverait beaucoup d'effet pratique à nos décisions les plus fondées.

Soyons clairs, donc.

5. En outre, et ce sera ma dernière remarque :
pour être mieux crédibles, n'hésitons pas à révèler sur quels débats, sur quels documents, nous nous sommes fondés.

Trop de silence a fait naître chez certains une suspicion sur notre acceptation d'un débat équilibré. Etre plus explicites sur notre procédure doit suffire à lever beaucoup de ces préventions.



Pourquoi, par exemple, ne pas publier, avec la décision, l'acte de saisine exposant les critiques faites à la loi ? Pourquoi ne pourrions-nous pas viser le mémoire du Gouvernement et indiquer, de quelque façon, que le rapporteur a entendu ceux qui avaient des observations à présenter et à transmis au Conseil les notes d’information qui ont pu lui être adressées ?

Notre autorité dépend uniquement, nous le savons tous, de la confiance de nos concitoyens. Allons donc au-delà de cette "motivation’’ qu’exigent les textes et montrons par ces indications le prix que nous attachons à nous éclairer par un large débat. S’il ne peut revêtir devant nous la forme du contradictoire classique, it doit conduire à prendre en compte tout argument pertinent.

Je n’ose formuler d’autres interrogations avant de mieux connaître les aspects complexes et divers de notre tâche.

Au surplus, c’est ensemble, tous ensemble, que nous arrêterons nos méthodes, en conservant ou en améliorant celles qui ont déjà été employées.

Sans doute aurons-nous, de temps à autre, des interprétations différentes des textes. Après tout, la bataille que nous avons menée sous l’occupation avait pour but de nous donner à tous le droit d’être en désaccord.

Nous le ferons avec discrétion, avec sagesse.

La discrétion nous est imposée, et même le silence hors de cette enceinte.



La sagesse est notre étiquette. Nous sommes, dit-on, des sages.

Il y a 80 ans - exactement le 23 janvier 1903 - Jean Jaurès disait à la tribune de la Chambre des Députés que "le progrès humain se mesure à la condescendance des sages pour les rêveries des fous".Dois-je laisser les tirets qui encadrent l'expession "exactement le 23 janvier 1903" ?

C'est en restant fidèle à mes rêveries de fou que, pour ma part, j'entends me rallier à votre sagesse.


Au terme de cette allocution, Monsieur le Président indique que l'ordre du jour est le suivant :

1° Tirage au sort des sections prévues, en matière de contentieux électoral, par l'article 36 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

2° Examen de la situation de Monsieur Paul-Yves LAVOLE remplaçant éventuel d'un sénateur décédé.

Rapporteur : Monsieur Robert LECOURT

I. TIRAGE AU SORT DES SECTIONS PREVUES PAR L'ARTICLE 36 DE L'ORDONNANCE DU 7 NOVEMBRE 1958 EN MATIERE DE CONTENTIEUX ELECTORAL.

Monsieur le Président indique qu'il va être procédé par voie de tirage au sort à la désignation des trois sections électorales prévues par l'article 36 précité. Il donne lecture de cet article :

"Le Conseil constitutionnel forme, en son sein, trois sections composées chacune de trois membres désignés par le sort. Il est procédé à des tirages au sort séparés entre les membres nommés par le Président de la République, entre les membres nommés par le Président du Sénat et entre les membres nommés par le Président de l'Assemblée nationale.

Chaque année, dans la première quinzaine d'octobre, le Conseil constitutionnel arrête une liste de dix rapporteurs adjoints choisis parmi les maîtres des requêtes au Conseil d'Etat et les conseillers référendaires de la Cour des comptes. Les rapporteurs adjoints n'ont pas voix délibérative."

Monsieur le Président demande alors à Monsieur PERETTI qui est le plus jeune membre du Conseil de bien vouloir tirer dans chacune des séries les bulletins portant le nom des membres qui doivent composer chaque section.

Le tirage au sort opéré par Monsieur PERETTI donne les sections ci- après :

- Section n° 1 : Monsieur le Président MAYER, MM. LECOURT et PERETTI.

- Section n° 2 Monsieur GROS, Président, MM. MARCILHACY et SEGALAT.

- Section n° 3 : Monsieur JOXE, Président, MM. JOZEAU-MARIGNE et VEDEL.

II. INDICATION DE LA NOMINATION DE DEUX CONSEILLERS AUPRES DU PRESIDENT.

Monsieur le Président indique aux membres du Conseil qu'il vient de désigner, en qualité de "conseillers auprès du Président", MM. Jean GICQUEL et Olivier DUHAMEL, professeurs de droit public.

MM. GICQUEL et DUHAMEL qui auront leur bureau au troisième étage du Conseil se présenteront individuellement à chacun des membres.
MM. GICQUEL et DUHAMEL auront bien entendu vocation à collaborer aux travaux de chacun des membres du Conseil constitutionnel.




III. EXAMEN DE LA SITUATION DE MONSIEUR PAUL-YVES LAVOLE, REMPLAÇANT EVENTUEL D'UN SENATEUR DECEDE.

Monsieur le Président donne alors la parole à Monsieur LECOURT qui présente son rapport :

Monsieur LECOURT indique que le Conseil a eu à connaître de trois cas de déchéance prononcés à l'encontre de parlementaires qui avaient fait l'objet de condamnations pénales. C'est en revanche la première fois qu'il a à se prononcer sur la situation du remplaçant d'un sénateur et c'est également la première fois qu'il a à faire application en matière de déchéance de la loi du 13 juillet 1967 sur le réglement judiciaire.

A. Avant d'examiner la question de droit qui se pose, Monsieur LECOURT se propose d'évoquer la situation personnelle de Monsieur LAVOLE.

Monsieur LAVOLE exerce la profession d'éleveur de volailles. Son entreprise qui avait connu une prospérité certaine s'est heurtée à de graves difficultés lorqu'il a entrepris, sur les conseils de l'un de ses fournisseurs, de l'agrandir. Ces difficultés ayant été concomitante à la crise qu'a connu l'industrie de la volaille, Monsieur LAVOLE a été contraint, se trouvant en cessation de paiement, de déposer son bilan au greffe du Tribunal de commerce de Lorient. Cette juridiction, par jugement du 25 novembre 1977 l'a admis au bénéfice du réglement judiciaire. Il convient de noter rapidement, quoique cela n'ait aucune importance en l'espèce, que le Tribunal de commerce de Lorient a refusé par la suite d’homologuer le concordat proposé par Monsieur LAVOLE et son syndic à la suite, semble-t-il, de l'admission au passif d'une très importante créance. Cette juridiction a converti le réglement judiciaire en liquidation de biens.

Pour être complet, il faut souligner que Monsieur LAVOLE et son syndic ont introduit une action en responsabilité pour ingérance dans l'affaire à l'encontre d'un créancier. Le Tribunal de commerce de Lorient ayant rejeté leurs prétentions, ils ont fait appel devant la Cour de Rennes qui par un arrêt du 22 avril 1982 a ordonné une expertise sur les relations commerciales et comptables entre Monsieur LAVOLE et le créancier en question.

Cet exposé sur la situation commerciale de Monsieur LAVOLE n'aurait aucun intérêt si celui-ci n'avait pas qualité de remplaçant d'un sénateur. En effet, Monsieur Louis LE MONTAGNER qui a été proclamé sénateur du Morbihan le 22 septembre 1974 avait pour remplaçant éventuel Monsieur LAVOLE. Monsieur LE MONTAGNER étant décédé le 30 janvier 1983, Monsieur LAVOLE lui a immédiatement succédé en qualité de sénateur. Cependant comme il a fait l'objet du jugement du 25 novembre 1977 le déclarant en réglement judiciaire, il tombe sous le coup des dispositions de l'article 110 de la loi du 13 juillet 1967 sur le réglement judiciaire :
"Le jugement qui prononce le réglement ou la liquidation des biens emporte de plein droit contre le débiteur, ou s'il s'agit d'une personne morale, contre les personnes visées à l'article 99, l'incapacité d'exercer une fonction élective.
S'il exerce une fonction de cette nature, il est réputé démissionnaire".

B. Il convient à présent d'évoquer rapidement la procédure.

Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Garde des Sceaux le 28 février 1983 en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 24 octobre 1958 relative aux conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires. Cet article, codifié à l'article L.O.136 du Code électoral, dispose :
"Sera déchu de plein droit de la qualité de membre de l'Assemblée nationale ou du Sénat celui dont l'inéligibilité se révélera après la proclamation de l'élection et l'expiration du délai pendant lequel elle peut être contestée ou qui, pendant la durée de son mandat, se trouvera dans l'un des cas d'inéligibilité prévus par la présente loi.

La déchéance est constatée par le Conseil constitutionnel à la requête du bureau de l'assemblée intéressée ou du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, ou, en outre, en cas de condamnation postérieure à l'élection, du Ministre public près la juridiction qui a prononcé la condamnation".

La requête du Garde des Sceaux se révèle fort prudente. Le Ministre de la Justice après avoir évoqué les faits de la cause, demande au Conseil : "d'examiner la situation de Monsieur Paul-Yves LAVOLE".

A la suite de cette saisine, le Président du Conseil constitutionnel a avisé Monsieur LAVOLE de la requête du Garde des Sceaux.
Monsieur LAVOLE par lettre du 15 mars 1983 a adressé au Président du Conseil constitutionnel copie d'une lettre qu'il faisait parvenir au Président du Sénat dans laquelle il indiquait :
"Monsieur le Sénateur Louis LE MONTAGNER dont j'étais le remplaçant éventuel est décédé le 30 janvier 1983.
J'ai l'honneur de vous confirmer que j'avais, dès cette date, renoncé à lui succéder n'étant plus en mesure, pour des raisons personnelles, d'assurer ce mandat".

C. Comment se pose, dès lors, la question qu'il appartient au Conseil constitutionnel de résoudre ?

Il est évident que le Conseil se trouve en présence d'une incapacité-sanction. Je ne comprend pas pourquoi il y a un tiret dans l'expression utilisée "incapacité-sanction" L'application combinée des articles 8 de l'ordonnance du 24 octobre 1958 et 110 de la loi du 13 juillet 1967 conduit à constater la déchéance, ou tout du moins la démission d'office, de Monsieur LAVOLE.

Monsieur LECOURT se demande cependant s'il est nécessaire de faire usage des foudres de la loi. En effet, le Conseil constitutionnel ne peut-il pas se fonder sur la lettre de renonciation adressée par Monsieur LAVOLE au Président du Sénat ?

Une difficulté pourrait, dans ce cas, se poser à savoir celle du caractère rétroactif de cette lettre de renonciation.

Pour sa part, Monsieur LECOURT estime que le projet de décision qu'il soumet au Conseil est dénué d'ambiguïté. A ses yeux, la formule : "Monsieur Paul-Yves LAVOLE n'a pas exercé et ne pourra exercer le mandat de sénateur en remplacement de Monsieur Louis LE MONTAGNER" montre clairement que Monsieur LAVOLE remplaçant d'un sénateur décédé n'a à aucun moment exercé de mandat de sénateur.

Monsieur le Président remercie Monsieur LECOURT et déclare ouverte la discussion générale.

Monsieur MARCILHACY considère que le dossier soumis aujourd'hui au Conseil montre à quel point le régime des suppléants est absurde. Monsieur MARCILHACY rappelle qu'il a de longue date émis des critiques à l'égard du régime des suppléances. Monsieur LE MONTAGNER étant décédé le 30 janvier 1983, Monsieur LAVOLE est-il devenu immédiatement sénateur ? La réponse à cette question est délicate, cependant les circonstances ayant voulu que Monsieur LE MONTAGNER décède en intersession, son suppléant n'a pu exercer le mandat de sénateur. Mandat qui s'exerce essentiellement par le vote des lois.

Sur le fond, Monsieur MARCILHACY rejoint les conclusions du Rapporteur. Il s'interroge cependant quant au caractère quelque peu laconique du projet. A ses yeux, il serait souhaitable que le Conseil évoque plus clairement la loi du 13 juillet 1967.


Sa décision serait alors plus explicite et aurait le mérite de se fonder non seulement en fait mais aussi en droit.

Monsieur GROS hésite à adhérer à la thèse défendue par Monsieur MARCILHACY. Il n'est pas souhaitable lorsque l'espèce ne le justifie pas de prendre des décisions de principe. L'article 24 de la Constitution et la loi organique du 24 octobre 1958 indiquent que la qualité de remplaçant d'un député ou d'un sénateur est une fonction élective même si elle n'est que potentielle. Si on combine ces dispositions avec celles de l'article 110 de la loi du 13 juillet 1967, en toute logique, Monsieur LAVOLE aurait du se trouver démissionnaire d'office le jour où a été prononcé le jugement de réglement judiciaire. Il faut cependant constater que jamais le Parlement n'a eu connaissance de la démission d'un remplaçant éventuel d'un parlementaire en exercice. Monsieur GROS approuve les conclusions du Rapporteur. Il est manifeste que Monsieur LAVOLE n'a jamais eu l'intention d'être sénateur et qu'il n'a, bien entendu, participé à aucun des travaux parlementaires. Dans ces conditions la solution proposée par Monsieur LECOURT ne peut être qu'approuvée, d'autant qu'elle a le mérite de ne pas se prononcer sur des principes délicats de droit parlementaire.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE souscrit également, quant à lui, aux conclusions de Monsieur LECOURT. Tout comme Monsieur GROS, il pense qu'il n'est utile en l'espèce de prendre une décision de principe.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE déclare ne pas entièrement partager le point de vue de Monsieur MARCILHACY. A ses yeux, un suppléant remplace immédiatement le titulaire d'un mandat parlementaire empêché. La qualité de sénateur n'est pas suspendue à l'exercice du vote des lois. Il ne faut pas oublier qu'en dehors des sessions, des commissions parlementaires se réunissent. Tel a été le cas fréquemment de la commission des lois constitutionnelles que Monsieur JOZEAU-MARIGNE a eu l'honneur de présider plusieurs années. L'exercice d'un mandat parlementaire n'est donc absolument pas lié au vote en session. C'est ce que le Sénat a voulu illustrer clairement lorsque l'Assemblée nationale ayant été dissoute, diverses commissions sénatoriales avaient néanmoins continué à travailler, malgré la dissolution de l'autre chambre. Ce geste tendait à démontrer que le Parlement n'était pas en vacance.

Sur le fond Monsieur JOZEAU-MARIGNE considère que le projet soumis au Conseil a le mérite de souligner les éléments de fait qui démontrent amplement que Monsieur LAVOLE n'a pas ni ne peut exercer le mandat de sénateur. Cette décision qui s'ancre sur des données de fait est une décision de sagesse. Elle évite en effet au Conseil de censurer trop durement un commerçant malheureux. A ce sujet, il faut souligner que la loi d'amnistie du 4 août 1981 a permis de relever des incapacités et déchéances les frappant des commerçants ayant été déclarés en faillite sous l'empire de la législation antérieure à la loi de 1967. Cette nouvelle loi qui tend à séparer l'Homme de l'entreprise a supprimé toute sanction frappant automatiquement le commerçant à l'exception de la seule inéligibilité résultant de son article 110. Il semblerait d'ailleurs qu'un projet de loi à l'étude aurait pour objet de supprimer cette dernière sanction automatique.

Monsieur MARCILHACY souscrit aux observations que vient de formuler Monsieur JOZEAU-MARIGNE. Il faut remarquer cependant que le remplaçant Monsieur LAVOLE ne pouvait être affecté à une commission parlementaire sans y être désigné par le Sénat.


Monsieur le Président invite Monsieur LECOURT à donner lecture de son projet de décision, après quoi, il demande aux membres du Conseil de présenter les observations de forme qu'ils jugent utiles.

Monsieur SEGALAT se déclare en plein accord avec Monsieur le Rapporteur. Il souhaiterait cependant que le Conseil évite d'employer la formule "prend acte". C'est qu'en effet, le Conseil n'a pas a se subsistuer à l’autorité délibérante dont relève le remplaçant en question, autorité qui, elle prend acte de sa décision. Par ailleurs, cette formule n'est pas indispensable à la décision.

Monsieur LECOURT approuve l'observation de Monsieur SEGALAT et propose au Conseil⁻de supprimer la référence "donner acte" qui figure au dernier considérant et à l'article 1er du dispositif. Dois-je laisser "1er" ou dois-je l'écrire en toute lettre "premier" ?
Sont donc supprimés les mots : "Il y a lieu de prendre acte" ainsi que "Il est pris acte de la lettre adressée par Monsieur Paul-Yves LAVOLE au Président du Sénat en date du 15 mars 1983".

Monsieur SEGALAT souhaiterait par ailleurs que le Conseil rende hommage au Garde des Sceaux qui a rempli la mission lui appartenant avec diligence. Il faut avoir à l'esprit le fait que la saisine du Garde des Sceaux était entièrement justifiée. Au moment où il a saisi le Conseil, le 28 février 1983, il ne pouvait qu'ignorer la décision de renonciation de Monsieur LAVOLE, décision qui s'est manifestée par sa lettre au Président du Sénat en date du 15 mars 1983.

Monsieur LECOURT considère que les visas de son projet qui comportent la date de la saisine et la date de la lettre de Monsieur LAVOLE sont suffisamment explicites pour apaiser les scrupules de Monsieur SEGALAT envers le Garde des Sceaux.

Monsieur le Président constatant qu'aucune autre observation n'est formulée soumet le projet de décision au vote du Conseil.

Ce projet est adopté à l'unanimité des membres du Conseil.

L'ordre du jour étant épuisé, Monsieur le Président lève alors la séance à 16 h 20

Cette décision comporte des annexes.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.