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PV1984-07-25-26 Romane TOULOT



SEANCES DU MERCREDI 25 JUILLET 1984 ET DU JEUDI 26 JUILLET 1984


Le Conseil se réunit le mercredi 25 juillet 1984 à 10 heures, tous ses membres étant présents à l'exception de Monsieur Valéry GISCARD d'ESTAING qui est excusé.

Monsieur le Président rappelle que l'ordre dû jour porte sur l'examen, en application de l'article 61, alinéas 1 et 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci :

I. de la loi modifiant la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et relative à certaines dispositions applicables aux services de communication audiovisuelle soumis à autorisation.

Rapporteur : Monsieur Louis GROS

II. de la loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion.

Rapporteur : Monsieur Robert LECOURT

III. de la résolution modifiant les articles 10, 16, 20, 39, 42, 43, 44, 47 bis, 48, 49, 74, 76, 79, 82, 100 et 108 du règlement du Sénat et ajoutant un article 110.

Rapporteur : Monsieur Pierre MARCILHACY

IV. de la loi relative à l'exploitation des services de radiotélévision mis à la disposition du public sur un réseau câblé.

Rapporteur : Monsieur Louis GROS

V. de la loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage.

Rapporteur : Monsieur André SEGALAT



 I. LOI MODIFIANT LA LOI DU 29 JUILLET 1982 SUR LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE ET RELATIVE A CERTAINES DISPOSITIONS APPLICABLES AUX SERVICES DE COMMUNICATION AUDIOVISUELLE SOUMIS A AUTORISATION :

Monsieur le Président déclare la séance ouverte.

Il informe le Conseil qu'en raison de l'ordre du jour fort abondant la séance se poursuivra le lendemain de manière à ce que chacun de ses membres puissent avoir le temps d'aller jusqu'au bout de sa pensée.

Il donne la parole à Monsieur Louis GROS pour son rapport sur la loi modifiant la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et relative à certaines dispositions applicables aux services de communication audiovisuelle soumis à autorisation.

Monsieur Louis GROS retrace rapidement les étapes de la procédure parlementaire et indique qu'il n'a pas d'observations à faire quant à sa régularité.

Il lit ensuite l'intitulé complet de la loi examinée et indique qu'elle a pour objet de modifier la loi du 29 juillet 1982.
Il rappelle au Conseil constitutionnel la très grande sensibilité des milieux parlementaires aux questions de communication par médias et plus particulièrement à celles relatives à la communication audiovisuelle. Il rappelle que chaque fois qu'une loi a été prise dans ce domaine le Conseil constitutionnel en a été saisi .

Il s'agit donc à ses yeux d'une matière extrêmement sensible et délicate qu'il convient d'aborder avec une certaine hauteur de vue et de grandes précautions.

Le rapporteur indique au Conseil qu'il ne refera pas l'historique de la communication audiovisuelle puisqu'il a déjà eu l'honneur de le faire précédemment devant le Conseil. Il note toutefois qu'en cette matière il y a dans l'opinion un perpétuel mouvement d'alternance qui oscille entre le désir d'une liberté absolue et complète et celui du monopole. Il pense que ce mouvement traduit dans la conscience des gouvernements, quels qu'ils soient, un phénomène à la fois de perception du pouvoir que constitue la communication par les médias et, en même temps que cette prise de conscience, un sentiment de crainte et d'effroi devant ce nouveau pouvoir.

Il estime que ce conflit dont il pense qu'il est perpétuel se manifeste d'une manière plus éclatante encore à propos de la loi relative à l'exploitation des services de radiotélévision mis à la disposition du public sur réseaux câblés dont il parlera plus tard.

Monsieur Louis GROS fait part au Conseil du sentiment qu'il a de voir le législateur partagé entre son souci d'assurer la liberté et la crainte de manquer à son devoir qui est de veiller à la cohésion sociale d'une société qui pourrait être menacée par les nouveaux moyens de communication de masse, moyens dont toutes les possibilités ne sont pas encore connues.



Il pense qu'en cette matière le législateur court plus après l'évolution technique qu'il ne l'encadre et ne la prépare.

Le rapporteur confit au Conseil que lui-même, en 1982, avait eu la naïveté d'affirmer que la diffusion audiovisuelle relèverait désormais de la communication par satellite sans aucun intermédiaire obligé. Il est vrai qu'il appuyait son opinion sur celles des plus hautes autorités scientifiques. Il ne peut que constater qu'à ce jour ces mêmes autorités scientifiques sont beaucoup moins affirmatives et que lui-même est devenu beaucoup plus prudent dans ses affirmations. A son avis, la communication audiovisuelle par câbles est un excellent exemple de cette incertitude inhérente à l'extrême rapidité d'évolution des techniques.

Il y a quelques années, alors qu'il était membre du Sénat, il se souvient que le Gouvernement de l'époque avait promu, à titre expérimental, des centres de communication audiovisuelle par câbles .

Lui-même, en sa qualité de sénateur, avait été amené à visiter certains de ces centres qui lui avaient été présentés comme la préfiguration de l'avenir de la communication audiovisuelle. Aujourd'hui, ces mêmes techniques font sourire par leur simplicité et il n'est presque plus question des expériences de Grenoble, Cergy-Pontoise ou Metz et il apparaît que le système de la communication audiovisuelle câblée n'a pas réussi à conserver autour de lui tous les enthousiasmes qu'il avait soulevés.

Monsieur GROS en déduit qu'en matière de communication audiovisuelle le conflit est normal et évident. Majorité et opposition politiques sont tour à tour, en fonction de l'alternance politique, partisanes, soit de la liberté totale, soit du contrôle total. Les signatures apposées au bas des recours devant le Conseil constitutionnel illustrent ce fait de manière éclatante.

Le rapporteur prie le Conseil constitutionnel de lui pardonner ce long préambule qui n'a pour seul objet que d'attirer l'attention des membres du Conseil sur l'importance et la difficulté de leur rôle qui doit être de dégager ce qui est essentiel en matière de communication audiovisuelle de ce qui est contingent politique et passionné.

Monsieur GROS est persuadé que les membres du Conseil constitutionnel sont trop âgés en moyenne pour croire au désintéressement total des différentes opinions politiques ou scientifiques qui s'expriment sur ce sujet.

Il rappelle qu'en 1982, avec la loi du 29 juillet, le Gouvernement a créé une véritable charte de la communication audiovisuelle.
Le premier article de cette loi qui avait rempli tout le monde de joie pose le principe de la liberté de la communication audiovisuelle. Il remarque toutefois qu'immédiatement l'article 2 de cette même loi réduit cette liberté à celle de la réception et ne l'étend pas à celle de l'émission. Il mentionne que les 109 articles suivants définissent cette liberté passive.





Monsieur Louis GROS indique également au Conseil qu'un professeur de droit - dont il constate en s'en excusant auprès du Doyen VEDEL qu'on peut les aimer ou non - Monsieur DEBBASCH, dans un article consacré à cette loi, a montré qu'il ne s'agissait pas là d'une liberté mais de la mise en place d'un régime d'autorisation préalable. Monsieur GROS exprime l'opinion que par crainte de l'inconnu le législateur de 1982 a voulu éviter l'accaparement, par des intérêts privés, d'un moyen de communication dont il ignore encore le pouvoir. Aussi, entre un monopole public inacceptable et un régime de liberté totale, il a choisi le régime de l'autorisation préalable.

Monsieur Louis GROS pense toutefois que tout régime d'autorisation préalable est porteur d'arbitraire. S'il est vrai que les actes du pouvoir sont soumis au contrôle judiciaire, son expérience lui a appris qu'il s'agit d'une garantie parfois illusoire et qu'il vaut mieux éviter les procès. Ainsi, pour lui, la loi du 29 juillet 1982 a posé, à son article 1er, le principe de la liberté et, à son article 2, a instauré un contrôle pointilleux et précis de cette même liberté.

Le rapporteur énumère ensuite les dispositions de l'article 80 relatif aux demandes d'autorisation et indique que cet article sur lequel, en son temps, le Conseil constitutionnel s'était longuement penché revêt à ses yeux une importance particulière. Il commente ensuite le titre IV de la loi du 29 juillet 1982 qui prévoit, pour les particuliers, la possibilité d'offrir des services ou des prestations sur les systèmes audiovisuels.

Monsieur Louis GROS insiste sur le fait que l'article 80 de cette loi ouvre à toute personne la possibilité de demander une autorisation de fournir des prestations et des services. Il attire l'attention du Conseil constitutionnel sur la différence qui existe entre l'ouverture d'un droit à tous et le refus du principe de ce droit à tous. Il rappelle qu'un refus peut être contesté et attaqué alors que la non-possibilité de demander une autorisation ne peut pas l'être.

Il rappelle que le 27 juillet 1982 le Conseil constitutionnel a rendu une décision largement discutée et largement critiquée aussi - ce qui lui paraît normal - surtout sur ce sujet. Il rappelle l'économie de la décision de 1982 dont il a été le rapporteur et l'inspirateur et non le rédacteur. Il estime en effet que cette décision - qui a été le fruit d'une collaboration voulue et fructueuse de tous les membres du Conseil constitutionnel est la décision de tout le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel, s'il a admis, dans cette décision, le principe d'une réglementation du contrôle en matière de communication audiovisuelle, il a d'abord affirmé le principe de la liberté. Monsieur Louis GROS précise que ce jour là le Conseil a estimé que la réglementation était justifiée dans la seule mesure, et pas au-delà, où elle était nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public. Il imposait donc une conciliation entre liberté et réglementation dans la limite des possibilités techniques inhérentes au moyen du système de communication audiovisuelle envisagée.



Monsieur Louis GROS indique qu'en 1981-1982, dans un esprit de libéralisme mais avec une certaine crainte, le Gouvernement a inclu dans la loi un article 81 qui mettait en application immédiate la possibilité de faire passer des émissions de radio sur la modulation de fréquence dans un rayon dit local (30 Kms du lieu d'émission). Il s'agissait, à ses yeux, d'un pas en avant même s'il était uniquement réservé aux associations.

Le rapporteur rappelle que le Conseil constitutionnel avait été saisi d'un recours qui critiquait plus particulièrement le fait que seules les associations pouvaient demander une autorisation . Il rappelle que le Gouvernement voulait par là empêcher que ce moyen de communication permette la recherche de profit. Il signale au Conseil que les signataires du recours actuel qui reprochaient à la loi de ne pas autoriser les associations à recourir à la publicité lui font aujourd'hui le grief inverse. Il commente à cette occasion la décision rendue en 1982 par le Conseil constitutionnel.

Monsieur Louis GROS examine ensuite la loi objet du recours. Il estime qu'elle inverse les dispositions de la loi de 1982 et en fait réécrit l'article 80. En effet, la loi examinée définit sans modification le réseau local, maintient la possibilité de demander une autorisation d'émettre aux seules associations mais prévoit que ces associations pourront, soit recourir à des recettes publicitaires, soit se substituer une société qui, elle, devra demander une nouvelle autorisation.

Il remarque que selon ce dispositif une société ne pourra pas, en premier lieu, demander une autorisation. Il faudra, tout d'abord, l'existence préalable d'une association. Il informe le Conseil de ce que Monsieur FILLIOUD, interrogé sur ce point au cours des débâts, s'est contenté de répondre que tel était l'avis du Conseil d'Etat !!!

Monsieur Louis GROS pense que cette disposition sera cause de nombreuses difficultés dans le cas où une association importante se transformera en société et se verra refuser la nouvelle autorisation qu'elle sera tenue de solliciter. Il commente les articles qui suivent et indique qu'ils ne sont que la mise en oeuvre des précédents. Puis, il attire l'attention du Conseil sur l'article 5 qui constitue, à ses yeux, une innovation importante par rapport à la loi de 1982. Cet article modifie l'article 85 de la loi du 29 juillet 1982 et prévoit, ce qui est une garantie importante pour le rapporteur, que les retraits d'autorisation ne pourront plus être opères par l'autorité habilitée à les délivrer qu'après l'avis d'une commission.

Compte tenu de la qualité des membres qui composeront cette commission, Monsieur Louis GROS estime que, dans la pratique, la décision ne pourra qu'être conforme à l'avis rendu par la Commission.

Il commente ensuite l'article 6 de la loi qui prévoit et fixe des pénalités. Il donne ensuite lecture de la saisine et la commente. Il indique qu'il ne voit pas en quoi la loi de 1901 serait mise en péril par la loi examinée ni en quoi les associations ayant toutes le choix de leurs moyens de financement il peut y avoir atteinte au principe d'égalité.


Pour ce qui est de la nécessité des peines, Monsieur Louis GROS ne pense pas opportun que le Conseil constitutionnel se livre à une appréciation supra-parlementaire d'évaluation des peines et souhaite que le Conseil constitutionnel maintienne sa jurisprudence antérieure.

Sur le dernier moyen enfin, il estime que le Conseil constitutionnel a à juger la loi et non pas les intentions du Gouvernement.

Monsieur Louis GROS précise que s'il a été un peu long c'est qu'il lui semblait nécessaire de replacer la loi examinée dans son contexte.

Monsieur le Président remercie le rapporteur et lui demande de lire son projet de décision avant d'ouvrir la discussion.

Monsieur Louis GROS donne lecture du projet de décision qu'il a préparé.

Monsieur le Président lui renouvelle ses remerciements et ouvre la discussion généale.

Monsieur le Doyen VEDEL suggère qu'à la page 3, à l'avant-dernier paragraphe, il soit rajouter le mot "peines". 

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II. LOI RELATIVE AUX COMPETENCES DES REGIONS DE GUADELOUPE, DE GUYANE, DE MARTINIQUE ET DE LA REUNION :

Monsieur le Président donne la parole au rapporteur,
Monsieur LECOURT.

Monsieur LECOURT présente le rapport suivant.
La loi aujourd'hui déférée au Conseil constitutionnel doit être située dans l'ensemble des lois traitant de la décentralisation.

Le Conseil constitutionnel a été saisi, à l'origine, de la loi du 2 mars 1982, texte de base de la décentralisation. Cette loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions a été complétée par la loi du 22 juillet 1982.
Il faut également citer la loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse dont le Conseil a également eu à connaître dans une décision du 25 février 1982. Ces textes d'organisation ont été complétés par deux lois qui fixent les compétences respectives des communes, des départements , des régions et de l'Etat. Il s'agit des lois du 7 janvier 1983 et du 22 juillet 1983.



Qu'en est-il de la décentralisation dans les départements d'outre-mer ?

Un premier texte de loi instituant une assemblée unique dite conseil général et régional a été déclaré non-conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 2 décembre 1982. Les membres du Conseil constitutionnel qui ont assisté à cette séance se souviennent tous des propos pathétiques tenus par le Président MONNERVILLE au cours de cette séance. Le Conseil constitutionnel avait considéré essentiellement qu'en conférant à une assemblée unique la gestion du département et de la région, le texte n'assurait pas la représentation des composantes territoriales du département et conférait donc à cette assemblée une nature différente de celle des conseils généraux. Cette réforme allait au-delà des mesures d'adaptation permises par l'article 73. A la suite de cette annulation, le Parlement avait adopté une loi promulguée le 31 décembre 1982 et portant organisation des régions d'outre-mer. Les élections des conseils régionaux outre-mer sont intervenues dans le courant du mois de février 1983.

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Le texte aujourd'hui déféré au Conseil constitutionnel vient à la suite de cette loi d'organisation, il est relatif aux compétences qui sont attribuées aux régions d'outre-mer. Ce projet de loi déposé en novembre 1983, repose sur trois idées :

- la région a vocation à préparer à long terme, le département ayant la charge de la gestion du quotidien ;

- il s'agit de doter la région de blocs de compétences homogènes afin d'éviter tout conflit de compétences avec le département ;

- enfin, le législateur transfère à la région des pouvoirs exceptionnels précédemment accordés aux départements d'outre-mer. Il s'agit de l'octroi de mer et des droits assimilés

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La discussion parlementaire de ce projet n'appelle guère d'observation.

L'Assemblée nationale après avoir rejeté une exception d'irrecevabilité a adopté un texte largement conforme au projet gouvernemental.

Le Sénat, en première lecture, a apporté d'importantes retouches à ce texte.

Comme par suite, l'Assemblée nationale a rétabli son texte initial, il n'est pas étonnant que la Commission mixte paritaire ait échoué. Les dernières lectures ont permis à l'Assemblée nationale d'avoir le dernier mot.

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Le texte de loi se compose de cinq parties.

Le titre 1er traite du développement économique et de l'aménagement du territoire. Il s'agit ici de dispositions relatives à la planification régionale au développement de l'agriculture et de la forêt, à la mise en valeur des ressources de la mer, des transports et des ressources minières.


Le titre 2 est relatif à l'éducation et à la recherche. Cette partie de la loi ne fait d’ailleurs pas l'objet de contestations de la part des saisissants.

Le titre 3 est relatif à la qualité de la vie. Deux points ici sont contestés, l'article 30, relatif au centre régional de promotion de la santé et les articles 33 et relatifs aux questions d'habitat.

Le titre 4 traite des dispositions financières et fiscales.
Il s’agit de la question des octroi de mer et droits additionnels.

Le titre 5, enfin, énumère des dispositions diverses et transitoires.

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Le Conseil a été saisi de deux recours émanant l'un des députés, l'autre des sénateurs. Ces recours qui se recoupent d'ailleurs très largement invoquent quatre articles de la Constitution : l’article 2 relatif à l'égalité, l'article 72 relatif aux collectivités territoriales, l'article 73 relatif au principe d’adaptation aux départements d'outre-mer, et l'article 62 relatif à l'autorité des décision du Conseil constitutionnel.

Quels sont les moyens des députés ?

Les députés développent quatre moyens.

Premier moyen : L'égalité devant la loi confortée en la matière par l'article 72 implique qu’il n'existe qu'une catégorie de départements. Tous les départements doivent présenter une identité de structure et de compétence ainsi que cela ressort de la décision du Conseil constitutionnel du

2 décembre 1982. Ces exigences constitutionnelles étant méconnues, l'ensemble de la loi doit être déclaré inconstitutionnel . A titre subsidiaire cependant, les députés critiquent plus particulièrement sept dispositions de cette loi.

Deuxième moyen : Si l'article 73 de la Constitution autorise des mesures d'adaptation, il faut, selon les saisissants que ces mesures soient nécessitées. La possibilité d’adaptation ne doit pas léser le département et la commune qui ont un statut constitutionnel au profit de la région qui n'a qu'une simple valeur légale.

Troisième moyen : La loi déférée instituerait une recentralisation au profit de la région au détriment du département et de la commune, ce qui violerait le principe de la libre administration de ces collectivités locales posé par l'article 72 de la Constitution.

Quatrième moyen : La loi déférée violerait l'autorité de la décision du 2 décembre 1982 et par là-même méconnaîtrait l'article 62 de la Constitution.


Quels sont les arguments des sénateurs ?

Les sénateurs développent eux aussi quatre moyens à l'appui de leur recours.

Premier moyen : L'article 73 de la Constitution ne peut concerner les régions, celles-ci n'ayant qu'une qualité légale. En conséquence les régions d'outre-mer doivent être homogènes avec les régions métropolitaines.

Deuxième moyen : En dessaisissant le département de compétences au profit de la région, la loi mettrait en cause l'article 72 de la Constitution.

Troisième moyen : La loi institue une forme de tutelle de la région sur le département en outre-mer.

Quatrième moyen : Tout comme les députés, les sénateurs invoquent une méconnaissance de l'article 62 de la Constitution.

Pour envisager ces arguments, il convient d'examiner ceux portant sur l'ensemble de la loi afin d'examiner ensuite et s'il y a lieu, les points particuliers qui sont contestés.

Sur l'examen de la conformité à la Constitution de l'ensemble de la loi.

L'arguement essentiel développé ici repose sur l'égalité. Cette égalité est confortée en l'espèce par le principe d'identité.

Selon les saisissants, le principe d'identité entre les départements métropolitains et les départements métropolitains et les départements d'outre-mer implique que tous ces départements aient les mêmes compétences.
Il s'agit d’une interprétation restrictive de l'article 72 de la Constitution. La région au statut simplement légal ne peut bénéficier de mesures d'adaptation. Celles-ci ne peuvent concerner que les seuls départements et communes. Par ailleurs, la nécessité des mesures d'adaptation doit être strictement interprétée. C'est dire que la loi doit se trouver en face d'une impossibilité absolue de s'appliquer identiquement  outre-mer. L'adaptation doit être, par ailleurs, directement liée à la matière concernée.

Quelle valeur doit-on attribuer au principe d'identité ?

Pour Monsieur le rapporteur, il faut
considérer, en l'espèce, que l'article 72 englobe l'article 2 de la Constitution. L'identité doit s'apprécier par rapport à l’article 72. La référence à l'article 2 (principe d'égalité) est donc superflue.

La règle d'identité doit-elle être appliquée de façon rigide ?

Il ne le semble pas. En effet, si on examine la situation des départements métropolitains, on constate qu'il n'existe pas d'identité absolue entre eux, il suffit de penser à la situation des départements alsaciens ou de Paris.
Si l'on objecte, comme le font les saisissants, que ces situations particulières sont antérieures à la Constitution de 1958, on doit relever que celle-ci n'a rien changé à cette situation.


Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a admis l'existence des régimes particuliers dans ses décisions sur la Corse et sur Paris, Lyon, Marseille. C'est dire que dans le système général, il existe des souplesses. On ne peut donc pas conférer une interprétation rigide à l'article 72 de la Constitution.

Mais jusqu'où peut-on aller dans la voie de la souplesse ?

Le Conseil constitutionnel a déjà posé un
butoire, dans la décision censurant l'assemblée unique :
La loi ne peut aller jusqu'à conférer une situation particulière aux départements d'outre-mer.

Quand est-il possible d'échapper aux règles d'identité ?

La réponse se trouve à l'article 73 de la Constitution. Les mesures d’adaptation peuvent porter sur le régime administratif et sur l’organisation administrative. C’est d'ailleurs ce dernier point qui intéresse aujourd'hui le Conseil constitutionnel.

Pour Monsieur le rapporteur, il serait difficile pour le Conseil constitutionnel de se montrer excessivement sévère dans l'exigence d'identité entre l'organisation administrative outre-mer et en métropole. Sous la limite de la dénaturation le législateur doit disposer, en l'espèce, d'un réel pouvoir d'appréciation. Les articles 2 et 72 ne peuvent l'enfermer dans des limites rigides.

Il convient à présent de s'interroger sur la portée de la règle de l'adaptation posée par l'article 73.

De quoi s’agit-il ?

Pour les saisissants, la règle de l’adaptation autoriserait le législateur à augmenter les compétences des départements d'outre-mer mais non de leur retirer des compétences. On ne voit pas sur quoi repose cette affirmation. Les mesures d'adaptation peuvent aller dans les deux sens. Il s'agit pour emprunter une expression employée par Monsieur JOXE, le 2 décembre 1982, "d'ajustements"! L'adaptation permet d'ajuster le régime législatif ou l’organisation administrative aux nécessités de l'outre-mer.

Il convient cependant de poser une limite à cette possibilité.
Il ne doit pas être possible de s’écarter substantiellement de ce qui est prévu pour l'ensemble de la Nation. On rejoint ici, la notion d’erreur manifeste ou de dénaturation déjà employée par le Conseil constitutionnel notamment dans sa décision sur les nationalisations.

Que doit-on entendre par nécessité d'adaptation ? Cette nécessité doit-elle s'entendre comme une impossiblité matérielle d'appliquer une règle générale à l'outre-mer. Si l'on admettait cette thèse, qui est celle des saisissants, cela risquerait d'amener le Conseil à examiner la justification de chaque mesure d'adaptation, ce qui irait bien au delà de son rôle défini par la Constitution. En revanche, le Conseil ne peut faire preuve de laxisme.

 

S'il est certain que le législateur doit disposer d'un large pouvoir d'appréciation, celui-ci trouve ses limites dans le contrôle de l'excès qu'il appartient au Conseil constitutionnel d'exercer. Il s'agit ici de s'en tenir à une notion -le contrôle de l'excès- dont il est fait application en droit communautaire.

La région peut-elle bénéficier de mesures d'adaptation ?

Il est certain qu'en vertu de l'article 72 de la Constitution, la loi peut aménager les compétences des conseils généraux et des conseils régionaux pour tenir compte de l'existence de la région, nouvelle collectivité locale. La Constitution ne distingue pas entre les collectivités qu'elle énumère départements et communes, et les collectivités dont elle permet la création, telle la région. Celles-ci n'échappent pas au champ d'application de l'article 73. C'est dire que la région peut comme les départements et les communes faire l'objet, outre-mer, de mesures d’adaptation.

Pour les députés et les sénateurs, la loi déférée, en réduisant les attributions des départements outre-mer au profit des régions, a amoindri les conseils généraux et a, par voie de conséquence, méconnu la décision du 2 décembre 1982 qui avait annulé la première loi de décentralisation outre-mer.

Les saisissants sollicitent la décision du 2 décembre 1982. Il suffit pour écarter leurs prétentions de relever que le Conseil a pour mission de constater si la loi déférée viole la Constitution. Il n’est donc pas besoin, pour cela, de passer par le canal de l'article 62 de la Constitution.

Monsieur le Président LECOURT déclare alors en avoir terminé avec l'examen de l'ensemble de la loi. Il propose de donner lecture au Conseil de la première partie de sa décision.

Monsieur le Président, à la suite d'une demande de précision de Messieurs GROS et LEGATTE, indique que si le Conseil adopte les conclusions de la première partie du rapporteur, cela n'empêchera en rien le Conseil de critiquer telle ou telle disposition particulière dans l’examen de la deuxième partie de ce rapport.

Après que Monsieur le Président LECOURT ait donné lecture de la première partie de sa décision, Monsieur le Président déclare ouverte la discussion générale.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE : déclare approuver sur le fond les conclusions du Président LECOURT. En effet, si l'article 72 de la Constitution permet des souplesses en ce qui concerne les collectivités locales métropolitaines, c'est l'article 73 qui permet d'instituer des mesures d'adaptation outre-mer. Monsieur JOZEAU-MARIGNE estime cependant que la rédaction de la décision, page 4, présente quelques ambiguités du fait d’une certaine confusion des fondements sur lesquels elle repose. L’adverbe "aussi" employé neuf lignes avant la fin de cette page, semble introduire une confusion entre les articles 72 et 73 de la Constitution. Pour sa part, Monsieur le Président JOZEAU-MARIGNE souhaiterait que la décision du Conseil marque clairement qu'elle se fonde sur l’article 72 de la Constitution.


Monsieur MARCILHACY éprouve un certain malaise à la lecture de ce projet de décision. A ses yeux, les mesures d'adaptation outre-mer sont nécessitées par les besoins du "terrain". Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer, sur ce point, son appréciation à celle du législateur.

Monsieur VEDEL approuve pleinement le projet du Président LECOURT. Il ne partage pas les réserves rédactionnelles de Monsieur JOZEAU-MARIGNE. La décision proposée est dense et serrée. La première partie du considérant central de la page 4 indique clairement que la région, bien que non visée par l'article 73 de la Constitution, peut faire l'objet de mesures d'adaptation ; la deuxième partie de ce considérant indique quelles peuvent être ces mesures d'adaptation. Le Conseil constitutionnel comme tout juge, doit marquer les limites entre le pouvoir discrétionnaire d'une autorité administrative gouvernementale et les compétences que s'accorde le juge.

Monsieur SEGALAT s'interroge sur le fondement retenu par le rapporteur. Est-ce l'article 72 ou l'article 73 ?
A son avis, la loi peut prévoir des règles spéciales en ce qui concerne les régions d'outre-mer sur le fondement de l’article 72 de la Constitution. Cette création d'une collectivité locale influe nécessairement sur les départements d'outre-mer. La modification de leurs compétences qui en résulte se trouve justifiée par l'appel à l’article 73.

Monsieur LECOURT pense qu'il est un peu théorique de vouloir séparer les articles 72 et 73 et d'opposer l'adaptation naturelle résultant de l'article 72 de la Constitution aux facultés d'adaptation permises par l'article 73.
Monsieur le Président LECOURT précise, d'autre part, qu'à ses yeux, l'article 73 vise le département en tant qu'aire géographique englobant aussi bien la commune que le département, structure administrative, et la région.

Toutefois, Monsieur LECOURT ne se déclare pas opposé à une modification formelle du considérant central de la page 4 de son projet de décision.

Monsieur LEGATTE déclare approuver les conclusions du rapporteur et se demande cependant si la référence à "un aménagement limité des compétences des régions et des départements d'outre-mer par rapport aux autres régions et départements" page 4 n'est pas de nature à lier la jurisprudence du Conseil constitutionnel à l'avenir.

Monsieur LECOURT : les termes "d'aménagement limité" ont pour objet d'indiquer que si la loi dispose d'une grande liberté en matière d'adapatation, elle ne peut cependant pas tout faire.

Aucune observation n'étant présentées, Monsieur le Président propose au Conseil de suspendre ses travaux à 13 h 10. Au cours de cette pose, un comité de rédaction se réunira autour du Président LECOURT qui sera assisté des présidents JOZEAU-MARIGNE et SEGALAT

Le Conseil reprend ses travaux à 15 h 05.

Monsieur LECOURT donne lecture à ses collègues de la nouvelle rédaction du considérant central de la page 4.


Monsieur VEDEL indique à ses collègues que la question de l'autorité du Conseil constitutionnel a été le plus souvent évoquée devant le Conseil d'Etat. Il s'agit de savoir si une décision du Conseil constitutionnel a une autorité de réglement qui peut lier le législateur. Pour Monsieur VEDEL, la réponse est négative. n'appartient pas au Conseil de prendre des arrêts de règlement.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel n'est pas lui-même lié par sa propre jurisprudence. Il suggère donc au Président LECOURT de synthétiser le dernier considérant de la page 5 relatif à l'article 62 de la Constitution.

Messieurs MARCILHACY et JOZEAU-MARIGNE se rallient à la suggestion de Monsieur le Doyen VEDEL.

Le rapporteur Monsieur LECOURT n'émet pas d'objection à cette proposition.

Monsieur le Président constate alors que la décision amendée pages 4 et 5 ne fait l'objet d'aucune contestation. Il invite alors Monsieur LECOURT à passer à la deuxième partie de son rapport.

Monsieur LECOURT : après avoir envisagé les critiques adressées à l'ensemble de la loi, il convient d'examiner à présent les critiques ponctuelles dont font l'objet certains articles de ce texte.

- Sur l'article 2 de la loi : il est reproché à cet article de supprimer en matière de planification régionale la consultation des petites communes qui, en droit commun, sont regroupées dans des commissions constituées à cet effet par le Conseil général, en application de l'article 27-11 de la loi du 7 janvier 1983.

La note du Gouvernement fait valoir que si le conseil régional n'a pas l'obligation de consulter ces petites communes en application de l'article 1er de la loi déférée, il a toujours la possibilité de le faire.

Cet argument ne peut être retenu. Il ressort, en effet, très nettement des débats parlementaires que l'intention du législateur est d'exclure la consultation des petites communes dans les régions d'outre-mer. Une telle exclusion dépasse les mesures d'adaptation nécessitées par les situations particulières des départements d'outre-mer. Il est proposé en conséquence au conseil de censurer l'article 2 de la loi.

Monsieur MARCILHACY déclare ne pas comprendre le fondement de cette censure. A ses yeux, il s'agit d'une décision semi-arbitraire.

Monsieur VEDEL approuve le rapporteur. Il convient toujours d'accorder une présomption au profit du législateur. Cependant, en l’espèce, on. constate qu'il n'existe aucune justification à l'appui de la suppression des consultations des petites communes. On ne peut accepter une telle mesure d'adaptation qui ne fait l'objet d'aucune justification.


Monsieur LECOURT se demande si le Doyen VEDEL ne se montre pas plus exigent que lui-même envers le législateur. Plutôt que d'exiger du législateur une justification article par article des mesures d'adaptation, il suggère au Conseil un simple contrôle de ces limites d'adaptation.

Monsieur le Président se demande si la proposition du rapporteur n’est pas excessivement sévère, l'article 2 prévoyant déjà de très nombreuses consultation en matière de planification régionale.

Monsieur LEGATTE ne voit pas en quoi le département est atteint du fait de la suppression outre-mer de la commission instituée par l'article 27-11 de la loi du 7 janvier 1983. En effet, seules les petites communes qui ne sont pas consultées pourraient se plaindre d'une éventuelle atteinte au principe d'égalité.
En réalité, il n'y a pas d'atteinte substantielle à leurs droits. Pour sa part, Monsieur LEGATTE se demande si le rapporteur ne se montre pas d'une trop grande sévérité.

Monsieur VEDEL : le fait de ne pas prévoir la consultation de ces petites communes pourrait se justifier, encore eut-il fallu que le législateur s'explique, ce qui n’est pas le cas en l'espèce.

Monsieur le Président constatant que les conclusions de Monsieur le Président LECOURT sont approuvées par la majorité du Conseil, lui demande de poursuivre son exposé.

- Sur les articles 11 et 30

Monsieur LECOURT il est reproché à l'article 11 de prévoir la représentation du conseil régional au sein des SAFER et à l'article 30 de créer un centre régional de promotion de la santé. Ces critiques ne peuvent être retenues car les articles en question associent la région au département, d'une part dans SAFER et, d'autre part, à la politique de la santé, qui en vertu de la loi du 7 janvier 1983 relève essentiellement du département.

Monsieur GROS considère que comme il n'existe pas de centre régional de la santé en métropole, on ne voit pas en quoi l'article 11 constitue une mesure d'adaptation.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE rappelle que la loi du 7 janvier 1983 attribue aux départements de larges compétences en matière de santé. Il lui paraît inadmissible, dès lors, que le Conseil régional n'ait aucune représentation au sein du Conseil régional à la promotion de la santé.

Monsieur SEGALAT rappelle à ses collègues qu'en métropole, les conseils régionaux n'ont aucune attribution en matière de santé.

Monsieur VEDEL approuve les conclusions du rapporteur. La décision du 2 décembre 1982 a posé l'exigence de deux assemblées, l’une générale, l'autre régionale. Il faut bien alors que dans les régions monodépartementales les compétences soient reparties entre ces deux assemblées.


Il n'y a aucune raison d'attribuer au conseil général des garanties absolues en matière de compétences et de refuser toutes compétences au conseil régional.

Monsieur le Président soumet alors au vote du Conseil les conclusions du rapporteur après que celui-ci ait lu son projet de décision. La proposition relative à l'article 11 est adoptée par tous les membres du Conseil à l'exception de Messieurs GROS et SEGALAT. L'article 30, par tous les membres du Conseil à l'exception de Messieurs GROS, SEGALAT et JOZEAU-MARIGNE.

- Sur l'article 14 :

Monsieur LECOURT : cet article attribue à la région l'ensemble des compétences en matière d'aides aux cultures marines alors que la loi du 22 juillet 1983 (art. 11) attribue à la région les compétences en matière d'aides aux entreprises de cultures marines et aux départements celles relatives aux travaux d'aménagement destinés à ces cultures. La modification ainsi instituée outre-mer n'a rien de substantielle. Il n'est d'ailleurs pas facile de distinguer entre les compétences départementales et régionales. La situation spécifique de l'outre-mer doit conduire le Conseil constitutionnel à faire preuve de souplesse.

Monsieur le Président invite Monsieur LECOURT à donner lecture de son projet qui est alors adopté à l'unanimité du Conseil.

- Sur l'article 15

Monsieur LECOURT indique que l'article 15 de la loi dispose qu'en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à la Réunion, les comités régionaux des transports exercent les compétences des comités départementaux visés au articles 16 et 17 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs et que, les compétences dévolues aux départements et aux conseils généraux par les articles 27, 29 et 30 de cette loi sont exercées respectivement par les conseils régionaux et les régions. Les articles 16 et 17 de la loi du 30 décembre 1982 ont institué des comités régionaux et départementaux des transports qui, notamment, sont associés à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la politique des transports intérieurs dans le domaine de la compétence de l'Etat, et qui peuvent être consultés sur des questions relatives à l'organisation et au fonctionnement du système des transports. L'article 27 de la même loi prévoit l'avis du conseil général sur la définition du périmètre des transports urbains. L'article 29 remet au département l'organisation des services réguliers publics non-urbains et des services à la demande à l'exception des liaisons d'intérêt régional ou national. Enfin, l'article 30 permet au département de passer avec l'Etat des contrats de développement pour la modernisation des réseaux de transports publics non-urbains.

Pour les saisissants ce transfert de compétences méconnaît tant les articles 72 qu 73 de la Constitution. Il s'agit d'un dessaisissement considérable d'une étendue autrement plus importante que ce qui vient d'être évoqué à propos des cultures marines.


En effet, ici en matière de transport, le dessaisissement du département est total. Ce dessaisissement semble recouvrir également les transports scolaires quoique l'on se heurte ici à une difficulté d'interprétation des textes essentiellement ceux de la loi d'orientation de transports intérieurs. Les transports scolaires semblent en effet relever des transports réguliers publics dont la compétence est transférée à la région par la loi présentement examinée.

Il y a là une mise en cause d'une attribution classique du département, cette atteinte est d'autant plus grave que le conseil général, de par sa composition, est le représentant de l'ensemble des composantes territoriales du département.
Le choix du législateur va au delà des mesures d'adaptation nécessitées par la situation des régions d'outre-mer.
Si l'on acceptait une telle dépossession du conseil général, celui-ci risquerait de n'être plus qu'une "coquille".
En effet, il suffirait de quelques textes législatifs pour le vider de sa substance même.

Monsieur le Président invite Monsieur LECOURT à lire son projet de décision sur l'article 15. Aucune observation n'étant présentée, cette partie de la décision est soumise au vote.
Les conclusion du rapporteur sont adoptées à l'unanimité du Conseil, Monsieur MARCILHACY s'abstient.

- Sur les articles 33 et 34 :

Monsieur LECOURT indique que, dans les régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, l'article 33 de la loi institue un conseil régional de l'habitat qui exerce les pouvoirs du conseil départemental prévu à l'article 79 de la loi du 7 janvier 1983, auquel il se substitue. L'article 34 de la loi dispose que le représentant de l'Etat arrête la répartition des aides de l'Etat en faveur de l'habitat après avis du conseil régional de l'habitat. En droit commun, l'article 79 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 a institué un conseil départemental de l'habitat substitué à l'ensemble des commissions, comités et conseils départementaux en matière de logement. Cette même loi permet à la région de définir les priorités en matière d'habitat et de donner un avis sur la répartition des crédits de l'Etat entre les différents départements et la région. L'article 80 de cette loi prévoit, dans son alinéa 2, que la répartition des aides de l'Etat entre les départements d'une région est effectuée par le représentant de l'Etat après consultation du conseil régional et, dans son alinéa 3, que la répartition de ces aides de l'Etat à l'intérieur du département est effectuée après consultation du conseil général.

Si la loi peut aménager des compétences en matière d'habitat elle ne peut, sans méconnaître les articles 72 et 73, supprimer le conseil départemental de I'habitat. Pour cette raison, il est proposé de déclarer inconstitutionnels les derniers mots de l'article 33. Pour ce qui est de l'article 34 relatif à l'avis devant être recueilli par le représentant, un effort d'interprétation peut être fait. Il y a lieu de considérer que cette disposition n'abroge pas l'avis obligatoire du conseil général en matière de répartition des crédits affectés aux départements pour l'habitat.


Monsieur LECOURT donne alors lecture de son projet de décision relatif aux articles 33 et 34.

Monsieur VEDEL indique que du fait de ses compétences législatives nombreuses, le département représente une instance importante en matière d’habitat.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE confirme pleinement les propos du Doyen VEDEL. Les compétences du département en matière d'habitat sont essentielles. Le problème de l'habitat est au centre des soucis des conseils généraux notamment dans les départements qui ont connu les sinistres de la guerre ou dans les départements qui souffrent d'un exode rurale. Monsieur JOZEAU-MARIGNE approuve donc les conclusions du rapporteur.

Le projet du rapporteur, alors soumis au vote,
est adopté à l'unanimité des membre du Conseil constitutionnel.

- Sur les articles 38, 40 et 41 :

Monsieur LECOURT indique que l’article 38 confère au conseil régional le pouvoir de fixer le taux de l'octroi de mer qui taxe les marchandises introduites dans les régions.
L'article 40 prévoit que le taux des droits sur les rhums et spiritueux fabriqués et livrés à la commission locale est fixé par le conseil régional. Le produit de ces droits constitue une recette du budget de la région.
L'article 41 donne au conseil régional le pouvoir de fixer dans les limites déterminées par la loi de finances une taxe spéciale sur les carburants. Pour les auteurs des deux recours cette privation de compétences au détriment des départements d'outre-mer méconnaît l'article 73 de la Constitution.

On ne peut suivre les saisissants sur ce terrain. Le fait que la loi retire aux départements d’outre-mer des recettes fiscales ne méconnaît pas l'article 73 de la Constitution.
Le législateur peut défaire ce qu'il a établi dans une précédente loi.

Monsieur le rapporteur donne alors lecture de son projet de décision.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE se déclare très réservé quant à l'attribution des droits d'octroi de mer à la région. Il n'existe aucune raison de priver les départements d'outre-mer de cette recette traditionnelle.

Monsieur VEDEL remarque qu'aux termes mêmes de l'article 38 les modalités de répartition des produits de l'octroi de mer ne sont pas modifiées.

Monsieur le Président soumet cette partie de la décision de Monsieur LECOURT au vote. Le projet concernant les articles 38, 40 et 41 est adopté à l’unanimité des membres du Conseil à l'exception de Monsieur JOZEAU-MARIGNE qui s'abstient.

Monsieur le Président soumet alors l'ensemble de la décision du rapporteur au vote du Conseil. Cette décision est adoptée à l'unanimité des membres du Conseil à l'exception de Messieurs SEGALAT et GROS qui s'abstiennent.

Monsieur le Président lève alors la séance à 18 h 20.


III. RESOLUTION MODIFIANT LES ARTICLES 10, 16, 20, 39, 42, 43, 44, 47 bis, 48, 49, 74, 76, 79, 82, 100 et 108 DU REGLEMENT DU SENAT ET AJOUTANT UN ARTICLE 110 :

Le Conseil se réunit à nouveau le 26 juillet 1984 à 10 heures, tous ses membres étant présents, à l'exception de Monsieur Valéry GISCARD d'ESTAING qui est excusé.

Monsieur le Président donne la parole à Monsieur Pierre MARCILHACY.

Monsieur Pierre MARCILHACY présente alors le rapport suivant :

Il rappelle tout d'abord à ses collègues qu'en 1958 il avait été amené à refaire le règlement du Sénat en collaboration avec Monsieur François GOGUEL. A cette époque, il avait tenté d'élargir le plus possible les pouvoirs du Sénat. Aujourd'hui, membre du Conseil constitutionnel, il lui appartient de scruter le règlement du Sénat d'un autre regard. Il indique à ses collègues que la résolution soumise au Conseil constitue une "toilette" du règlement. Il ne s'arrêtera pas sur chacun des 25 articles de cette résolution, deux seulement semblant poser quelques difficultés : les articles 3 et 7.

En ce qui concerne l'article 3 de la résolution :

La question que pose cet article est délicate : il s'agit de la recevabilité des amendements.

Le droit d'amendement constitue une des prérogatives essentielles des parlementaires.

L'article 44, alinéa 1er, de la Constitution rappelle solennellement :

"Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement".

L'alinéa 2 de cet article 44 précise cependant :

"Après l'ouverture du débat, le Gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission".

C'est dire qu'à peine d'irrecevabilité tout amendement doit être déposé devant la commission compétente avant l'ouverture de la séance, sans quoi les droits que le Gouvernement tient de l'article 44 seraient méconnus.

La réforme du règlement votée par le Sénat doit être confrontée à cette exigence constitutionnelle.

Le premier membre de l'article "1 bis" constitue une application rigoureuse de l'article 44, alinéa 2, susvisé : il dispose en effet :

"La commission saisie au fond se réunit pour examiner les amendements avant l'ouverture de la séance publique au cours de laquelle le Sénat doit en débattre...".


En revanche, le second membre de cet article semble méconnaître les règles posées par l'article 44, alinéa 2, de la Constitution. En effet, selon ce membre de phrase : "... et, s'il y a lieu, avant le passage à la discussion des articles. Dans ce dernier cas, la séance est suspendue pour permettre à la commission de se réunir".

Cela signifie que des amendements sont recevables jusqu'à la fin de la discussion générale du texte d'un projet ou d'une proposition de loi. Après cette discussion générale, la séance est suspendue et la commission se réunit pour examiner ces derniers amendements.

Monsieur le rapporteur regrette de devoir constater que cette innovation est contraire aux dispositions claires de l'article 44, alinéa 2, en ce qu'elle méconnaît les droits accordés par cet article au Gouvernement en matière de recevabilité d'amendements.

Monsieur le Président déclare ouverte la discussion générale sur ce point.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE se déclare très surpris des conclusions du rapporteur. Après avoir indiqué qu'il avait exercé pendant trois ans les fonctions de Vice-président du Sénat, que durant cette période le texte du règlement lui avait servi de "Bible", le Président JOZEAU-MARIGNE indique à ses collègues que la résolution adoptée le 30 juin 1984 a été votée à l'unanimité du Sénat et qu'elle est issue d'un travail de "toilette" du règlement qui a été mené par les quatre Vice-présidents de la Haute Assemblée.

L’article 3, selon le rapporteur, méconnaîtrait les dispositions de l'article 44, 2ème alinéa, de la Constitution. En réalité, il n'en est rien. Les dispositions introduisant un alinéa 1 bis à l'article 20 du règlement ne gènent en rien le Gouvernement dans l'exercice de ses prérogatives constitutionnelles. En effet, il convient d'envisager le règlement dans son ensemble avant de porter un jugement sur la modification ponctuelle qu’y apporte l'article 3 de la résolution. Il suffit de se réfèrer à l'article 49, alinéa 5, du règlement qui dispose :

"Le Sénat ne délibère sur aucun amendement s'il n'est soutenu lors de la discussion, non plus que sur les amendements qui n'ont pas été soumis à la commission avant l'ouverture du débat lorsque le Gouvernement s'oppose à leur examen."

Le Gouvernement dispose de tous moyens nécessaires
pour s'opposer à l'examen d'un amendement qui
n'aurait pas été déposé avant l'ouverture des débats. L'article 3 coexiste donc avec l'article 49-5 du règlement. Pour sa part, le Président JOZEAU-MARIGNE déclare ne pouvoir approuver les conclusions du rapporteur.

Monsieur MARCILHACY : il y a télescopage entre les dispositions de l'article 49-5 et celles de la résolution présentement examinée. Le strict respect de l'article 44, alinéa 2, de la Constitution, amène à censurer l'article 3 de la résolution.


Monsieur VEDEL : l'examen de la constitutionnalité de l'article 3 de la résolution doit s'effectuer par rapport à l'ensemble du règlement du Sénat. Compte tenu de l'article 49-5 de ce règlement, le Doyen VEDEL déclare, pour sa part, ne pas souscrire à la déclaration d'inconstitutionnalité proposée par le rapporteur. On ne peut isoler une disposition de son contexte.

Monsieur MARCILHACY indique qu'il serait possible de sauver l'article 3 mais cela nécessiterait une rédaction minutieuse.

Monsieur LEGATTE estime que si le texte est déclaré conforme à la Constitution il n'y a pas lieu de l'interprèter.

Monsieur le Président soumet au vote la proposition de
Monsieur LEGATTE c'est-à-dire une déclaration de conformité pure et simple de l'article 3 du règlement.

Cette proposition est adoptée à l'unanimité des membres du Conseil, à l'exception de Monsieur MARCILHACY qui s'abstient.

Monsieur MARCILHACY reprend son rapport.

L'article 7 de la résolution modifie l'alinéa 6 de l'article 42 du règlement du Sénat.

L'article 42, 6ème alinéa, b bis dispose que le Sénat discute : "sur le texte précédemment adopté par le Sénat en ce qui concerne les projets et propositions de loi dont l'ensemble a été ensuite rejeté par l'Assemblée nationale après transmission au Sénat".

Il s'agit ici de combler un vide juridique auquel a été confronté le Sénat, notamment lors de la discussion d'un projet de loi le 28 juin 1980. La difficulté est la suivante : le Sénat adopte un projet de loi en première lecture qui est ensuite rejeté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, sur quoi le Sénat va-t-il discuter lorsqu'il sera saisi en deuxième lecture ?

Jusqu'à présent, aucune disposition du règlement ne déterminait le texte sur lequel le Sénat devait dans ce cas débattre. En 1980, lorsque la question s'était posée à propos d'un projet relatif à la situation des familles nombreuses, le rapporteur du Sénat demandait à ses collègues d'adopter le texte transmis par le Gouvernement et qui était celui adopté antérieurement par la Haute Assemblée et rejeté par l'Assemblée nationale.

Cette solution serait respectueuse du droit du Gouvernement qui décide souverainement de la transmission des projets de loi entre les chambres et de ceux du Parlement puisqu'avant d'être adopté tout projet doit être examiné successivement par les deux chambres.

Cependant, la formulation donnée par le "b bis" est ambigüe. En effet, la résolution adoptée omet de faire référence à la transmission gouvernementale du projet de l'Assemblée nationale au Sénat : le Gouvernement est seul juge de l'opportunité de cette transmission. L'alinéa b bis laisserait croire que le Sénat serait maître de la discussion d'un projet qu'il aurait voté et que l'Assemblée nationale aurait ensuite rejeté.


Ceci ne peut être accepté sans méconnaître les droits que le Gouvernement tient des articles 42 et 45 de la Constitution : il est libre de transmettre ou de ne pas transmettre des projets entre les chambres.

Il est probable que cette inconstitutionnalité est involontaire, le rapport de Monsieur DAILLY indique en effet, que la résolution a voulu s’inspirer de l'article 109, 2ème alinéa, du règlement de l'Assemblée nationale qui dispose : "dans le cas de rejet de l'ensemble d'un texte par le Sénat, l'Assemblée nationale, dans sa lecture suivante, délibère sur le texte qu'elle avait précédemment adopté et qui lui est transmis par le Gouvernement après la décision de rejet du Sénat".

Cependant, la comparaison entre cet article 109, 2ème alinéa, et le b bis de l'alinéa 6 de l'article 42 de la résolution montre que celui-ci n'est pas conforme aux 42 et 45 de la Constitution en ce qu'il ne respecte pas expressément la libre décision du Gouvernement en matière de transmission de projets de loi.

Monsieur le Président ouvre la discussion générale.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE indique à ses collègues qu'il est impossible au Sénat de délibérer sur un projet de loi rejeté par l'Assemblée nationale et qui ne lui aurait pas été transmis par les soins du Gouvernement. Matériellement, on ne voit pas comment le Sénat pourrait inscrire à son ordre du jour un tel projet de loi. Ce serait oublier l'existence de la conférence des présidents. Pour ces motifs, le Président JOZEAU-MARIGNE propose donc de déclarer conformes à la Constitution les dispositions de l'article 7 de la résolution.

Monsieur MARCILHACY répète que ce qui le choque en l'espèce c'est que la résolution, contrairement au règlement de l'Assemblée nationale, ne mentionne pas expressément que le Sénat discute sur le projet transmis par le
Gouvernement. Cela laisserait croire qu’il pourrait se saisir proprio motu.

Monsieur VEDEL déclare avoir des difficultés à suivre le rapporteur. A ses yeux, le paragraphe b bis doit être considéré comme un cas particulier de l'alinéa b qui mentionne la transmission du projet. Il ajoute qu'il n'est manifeste qu'à aucun moment les auteurs de la résolution n'ont pu envisager que le Sénat se saisisse lui-même d'un projet de loi.

Monsieur LEGATTE considère que la lecture du texte montre que le paragraphe b bis n'est pas en facteur commun avec le b. Ce texte laisserait croire que le Sénat pourrait se saisir lui-même d'un projet de loi. Pour sa part, Monsieur LEGATTE souhaiterait que la décision du Conseil, si elle ne censure pas cette disposition, l'interprète pour lui ôter toute ambiguité.

Monsieur SEGALAT estime qu'il est délicat d'interpréter une telle disposition : elle est conforme à la Constitution ou elle ne l'est pas.


Monsieur le Président constatant qu'aucune autre intervention n'est présentée soumet au vote la proposition de déclaration de conformité proposée par le Président JOZEAU-MARIGNE.

Cette proposition est adoptée à l'unanimité des membres,
à l'exception de Messieurs LEGATTE et MARCILHACY qui s'abstiennent.

Monsieur MARCILHACY demande à ses collègues de lui accorder quelques temps pour modifier son projet de décision.

Ledit projet modifié est porté à la connaissance des membres du Conseil constitutionnel et adopté en début d'après-midi.


-oOo-

IV. LOI RELATIVE A L'EXPLOITATION DES SERVICES DE RADIOTELEVISION MIS A DISPOSITION DU PUBLIC SUR UN RESEAU CABLE

Monsieur le Président donne la parole à Monsieur Louis GROS pour son rapport sur la loi relative à l'exploitation des services locaux de radiotélévision mis à la disposition du public sur réseau câblé.

Monsieur Louis GROS rappelle que la charte actuelle de la communication audiovisuelle en France est la loi du 29 juillet 1982 sur laquelle le Conseil constitutionnel s'est largement penché. Il présente cette loi comme une loi complexe rendue plus complexe encore par les différents décrets et arrêtés pris pour son application. Il lui semble toutefois nécessaire, pour la clarté de son rapport, de revenir sur les dix premiers articles de cette loi.

Il commente alors brièvement les six premiers articles et procède à une analyse plus poussée des articles 7, 8 et 9 de la loi du 29 juillet 1982.

Le rapporteur rappelle que l'article 7 prévoit une réglementation de l'usage des fréquences radio-électriques par le moyen d'un régime d'autorisation préalable ; autorisation elle-même précaire et révocable. Il pense que la précarité et la révocabilité de cette autorisation sont le moyen de sanctionner un éventuel abus d'usage.

Il donne ensuite lecture de l'article 8 et fait référence aux discussions auxquelles cet article a donné lieu lors de l'examen de la loi du 29 juillet 1982 par le Conseil constitutionnel.

Puis il donne lecture de l'article 9. Il attire l'attention du Conseil sur le fait que cet article autorise toute personne physique ou morale à demander une autorisation. Il souligne qu'en 1982 il avait déjà été fait mention de la communication audiovisuelle par câble mais qu'à l'époque cette technique ne jouissait pas de l'intérêt qu'elle suscite aujourd'hui.

Monsieur Louis GROS indique qu'en 1982 le Gouvernement avait décidé de lancer un plan de câblage par fibres optiques.
Il informe le Conseil qu'il n'entend pas se lancer dans une discussion sur les mérites respectifs du câble coaxial et de la fibre optique.

Le Gouvernement a donc choisi d'établir un réseau de câblage par fibres optiques en étoile. Le rapporteur confesse qu'il ne sait pas exactement ce que la notion de réseau en "étoile" recouvre dans les faits mais admet que l'expression est poétique. Il indique au Conseil qu'en raison du coût d'installation extrêmement élevé d'un tel réseau le Gouvernement a choisi de faire participer les collectivités territoriales à son financement. Celles-ci feront l'avance des frais d'installation, qui sera elle-même réalisée par les P et T., qui selon des modalités prévues rembourseront ultérieurement les collectivités des frais qu'elles auront engagés. Il estime que cet ensemble de dispositions constitue un acte de Gouvernement que le Conseil constitutionnel n'a pas à apprécier.


Toutefois, Monsieur Louis GROS fait part au Conseil de son interrogation sur le point suivant : ce projet, tel que défini par le Gouvernement, traduit-il l'intention du Gouvernement d'interdire aux autres personnes physiques ou morales la possibilité d'installer un réseau câblé ? Cette question, le rapporteur informe le Conseil constitutionnel qu'il l'a posée aux représentants du Gouvernement à l'occasion d'une réunion de travail qu'il a provoquée et dont il lit le compte-rendu qu'il en a fait dresser. Il ressort de cette lecture que, pour le Gouvernement, la loi soumise à l'examen du Conseil ne diminue en rien les possibilités ouvertes aux personnes physiques ou morales, par la loi de 1982, d'être autorisées a installer un réseau câblé.

Le rapporteur passe alors à l'examen de la loi critiquée et donne lecture de son article 1er. Il informe le Conseil qu'il a étudié cet article, non dans un esprit critique mais avec un esprit curieux et avec un souci : le sauver d'une critique sévère ou d'une censure du Conseil constitutionnel. Toutefois, après avoir pris connaissance des débats, il s'est interrogé sur les raisons qui font que la loi réserve le monopole d'exploitation de ce nouveau moyen de communication audiovisuelle qu'est le réseau câblé à une seule catégorie de personnes, les sociétés d'économie mixte.

Il rappelle au Conseil constitutionnel que celui-ci, à l'occasion de huit décisions qu'il a déjà rendues sur cette matière, a toujours considéré que les médias étaient parties constitutives de la liberté de communication et que, par la suite, les règles applicables à la liberté de communication l'étaient aussi aux médias.

Monsieur Louis GROS fait valoir qu'à l'instar de l'imprimerie de Gutenberg le câble est un nouveau moyen de communication. Que par sa nature ce moyen n'est pas limité quant au nombre d'usagers qui pourraient s'en servir. Que le Gouvernement a décidé de créer un tel réseau câblé et de le mettre à la disposition du public, c'est-à-dire de tous les citoyens. Mais, ce qui a troublé le rapporteur c'est que pourtant ce même Gouvernement n'autorise qu'une seule catégorie de personnes à demander l'autorisation de se servir de ce nouveau moyen. Il invoque, pour l'écarter, le précédent de 1982. A cette époque, il s'agissait des ondes hertziennes. La limitation était inéluctable et nécessaire en raison de la rareté du support par rapport aux usagers potentiels : la situation n'est pas la même avec le câble puisqu'il n'y a pas de rareté physique.

Le rapporteur indique au Conseil qu'il a fait part de son interrogation aux représentants du Gouvernement et qu'il lui a simplement été répondu qu'il s'agissait là d'un choix politique. Monsieur Louis GROS déclare que cette raison n'a fait qu'augmenter son trouble et son inquiétude car il lui semble que, dans le domaine de la communication, les seules justifications aux limites ou aux restrictions ne peuvent relever que de la défense de l'ordre public ou de raisons techniques. En l'espèce, cela ne lui semble pas être le cas.


Pour lui, le problème est donc le suivant : peut-on accepter qu'un moyen de communication établi par le Gouvernement, mis à la disposition du public, soit en fait réservé à une seule catégorie de personnes, les sociétés d'économie mixte ?

Il indique au Conseil qu'au surplus le choix d'un élu comme seul président possible des sociétés d'économie mixte et la présence obligatoire d'un commissaire du Gouvernement auprès de leur Conseil d'administration lui fait douter de l'aptitude de ces sociétés à pouvoir garantir en toute indépendance la liberté des citoyens.

Monsieur Louis GROS pense donc que cette loi exprime la volonté délibérée du Gouvernement d'interdire aux citoyens le libre usage de ce nouveau moyen de communication. Sa conviction est confortée par le refus opposé par le Gouvernement à un amendement déposé par le Sénat qui devait ouvrir à d'autres personnes que les sociétés d'économie mixte la possibilité d'exploiter des réseaux câblés.

Il est clair, pour lui, que l'Etat impose un exploitant unique, les sociétés d'économie mixte, où il a un représentant, le commissaire du Gouvernement. Il s'interroge sur le fait de savoir s'il est admissible, au regard de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 34 de la Constitution, de permettre à l'Etat de mettre à la disposition des citoyens un moyen de communication tel que le réseau câblé, tout en en réservant l'usage à une société d'économie mixte dans laquelle il y aura un commissaire du Gouvernement et qui ne pourra diffuser que des programmes autorisés.

Le rapporteur estime, quant à lui, que dans son principe même cette loi est contraire à la Constitution. Il pense que l'Etat aurait pu, sans violer la Constitution, se réserver le contrôle technique et la définition détaillée du cahier des chargés si, dans son-principe, le droit d'accéder au réseau câblé avait été ouvert à tous.

Monsieur Louis GROS déclare que, depuis que le Conseil constitutionnel lui fait l'honneur de lui confier l'étude des dossiers relatifs à la communication audiovisuelle, il est devenu sage et sait que, dans ce domaine, les techniques évoluent avec une rapidité extrême et que les lois sont rapidement obsolètes. Il cite, à titre d'exemple, l'apparition actuelle des disques à laser.

Il tient toutefois à appeler solennellement l'attention du Conseil sur la gravité de la décision qu'il doit prendre. Il s'agit en effet de la défense des libertés publiques. Les auteurs de la doctrine, la presse et le grand public donnent toujours beaucoup de publicité aux décisions que le Conseil rend en cette matière. Monsieur Louis GROS souligne que le Conseil constitutionnel a toujours agi, dans ce domaine, avec prudence. Il se demande si le Conseil va pouvoir affirmer qu'il est légitime, qu'il est constitutionnel, que l'Etat réserve à une catégorie de personnes l'exploitation exclusive d'un moyen de communication en ne permettant même pas aux autres de solliciter une autorisation d'exploitation sans qu'aucune justification d'ordre public ou technique ne soit donnée à cette défense ?



Monsieur Louis GROS demande à Monsieur le Président si, à ce point de son exposé, il doit donner lecture du projet de décision qu'il a préparé ou examiner la saisine.

Monsieur le Président remercie Monsieur le rapporteur et constate qu'en effet la question se pose puisque Monsieur Louis GROS soulève là une manière d'exception d'irrecevabilité ce qui revient à soulever d'office un moyen d'inconstitutionnalité non soutenu par les auteurs de la saisine.

Monsieur Georges VEDEL tient à souligner le talent, la vigueur et la calrté des propos de Monsieur Louis GROS. Toutefois, il se pose deux questions.

- N'y-a-t'il pas eu un consensus, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, pour accepter le système de l'exploitation exclusive du réseau câblé par les sociétés d'économie mixte ?

- Il s'interroge aussi sur le point de savoir si le dossier technique du législateur est aussi vide qu'il paraît ?

Monsieur Louis GROS confirme que le moyen qu'il soulève ne se trouve pas dans Ia saisine et indique à Monsieur le Doyen qu'il n'y a pas eu de consensus réel entre les deux assemblées sur l'article 1er de la loi. Qu'en effet, le Sénat a voté un amendement élargissant la possibilité d'exploitation du réseau. Il précise qu'en ce qui concerne le choix des sociétés d'économie mixte il a été répondu, tant au cours des débats devant le Parlement qu'à l'occasion de la réunion qu'il a lui-même provoquée, qu'il s'agissait d'un choix de Gouvernment pour empêcher un éventuel monopole d'exploitation par des intérêts privés ou par des personnes publiques. La société d'économie mixte est censée, aux yeux du Gouvernement, mieux assurer le pluralisme que tout autre moyen.

Monsieur Georges VEDEL estime, quant à lui, qu'il s'agit en fait d'un système de concession. Que, dès lors, il y a nécessairement un important facteur "d'intuitu personnae" pour déterminer le concessionnaire. La question qu'il se pose, à ce stade de la discussion, est de savoir s'il est possible d'envisager un ou plusieurs exploitants pour un même réseau câblé. Pour lui, la question du monopole se pose en effet différemment, selon qu'il s'agit de défendre un prétendu droit de chacun à être concessionnaire, ce qui lui semble indéfendable, ou s'il s'agit d'organiser une certaine ouverture à tous, à l'intérieur d'un monopole.

Monsieur Louis GROS précise que plusieurs personnes pourront se servir du réseau câblé pour offrir des prestations de services mais que la diffusion de programmes télévisés par ce même réseau câblé sera réservée à une seule catégorie de personnes.

Monsieur Paul LEGATTE exprime son accord avec l'opinion du rapporteur selon laquelle les bornes posées à la liberté de communication ne doivent pas l'être de manière arbitraire. Il estime que le choix de la société d'économie mixte, en raison de sa composition et des garanties de diversité qu'elle permet, constitue une borne acceptable. Sa conviction est renforcée par le fait qu'il ne s'agit que d'un monopole d'exploitation du réseau.


Monsieur Louis GROS fait remarquer à Monsieur Paul LEGATTE que l'exploitant du réseau choisira aussi les programmes.

Monsieur Paul LEGATTE pense que ce fait justifie d'autant plus le choix de la société d'économie mixte comme seul exploitant. La nature de la société d'économie mixte est, à ses yeux, une garantie contre les excès possibles.

Monsieur Georges VEDEL demande ce qu'il faut entendre par programmes .

Monsieur Louis GROS lui indique qu'au cours des débats devant le Parlement il a été soutenu que l'exploitant du réseau câblé ne serait qu'un intermédiaire vis à vis des usagers. Il jouerait en quelque sorte un rôle analogue à celui d'un libraire qui diffuse et distribue mais n'imprime pas et ne publie pas. Tel n'est pourtant pas le cas prévu pour les sociétés d’économie mixte qui pourront, certes, acheter des programmes mais qui pourront aussi en produire. La société d'économie mixte ne sera pas uniquement une demoiselle du téléphone qui transmet les communications. Elle les transmettra certainement mais elle en produira aussi.

Monsieur Pierre MARCILHACY estime, quant à lui, que tant qu'il n'y a pas physiquement de réseau en place il n'y a pas encore réellement de liberté de communication. Il indique que l'établissement de ces réseaux impose une mobilisation de moyens financiers considérables. Il remarque que si chacun est libre de participer au financement de ces réseaux cela dégage un agréable petit parfum de liberté. Toutefois, en matière de communication, l'établissement de tels réseaux par le moyen de sociétés d'économie mixte ne lui semble pas être une mauvaise solution.

Il indique, dès maintenant, au Conseil, qu'il ne pourra pas suivre l'excellent rapport de Monsieur Louis GROS dans sa conclusion. Il préfère, quant à lui, s'en tenir à l'analyse de la concession telle qu'elle a été développée par Monsieur le Doyen VEDEL. La société d'économie mixte lui semble garantir la non-appropriation du réseau câblé par un financier local ou privé. Il déclare que si les sociétés d'économie mixte ne l'enthousiasment pas elles lui semblent toutefois le meilleur moyen de garantir la pluralité. En conséquence, il ne pense pas que le Conseil puisse dire que l'article 1er de la loi examinée viole la Constitution.

Monsieur le Président déclare qu'il opine volontier dans le sens de Monsieur Pierre MARCILHACY et souhaite faire quelques observations à ce stade de la discussion.

Il constate que Monsieur Louis GROS estime que l'article 1er de la loi examinée, en réservant à une société d'économie mixte le monopole d'exploitation du réseau câblé, viole la Constitution en étant contraire aux articles 11 de la Déclaration de 1789 et 34 de la Constitution. Il estime, quant à lui, que la solution qui consisterait à prévoir la possibilité, pour toutes personnes, d'avoir un accès direct au réseau câblé en présentant chacune une demande d'autorisation se heurte à des impossibilités d'ordre pratique et économique. La multitude des demandes qui seraient ainsi formulées présenterait inévitablement un caractère fragmentaire incohérent et contradictoire. Il lui semble donc


nécessaire que ces demandes multiples soient regroupées au sein d'une structure d'accueil qui les harmonisera entre elles avant de saisir la Haute autorité d'une demande d'autorisation d'exploiter. La société d'économie mixte lui apparaît, de ce point de vue, une bonne formule. Par ailleurs, l'installation d'un réseau câblé exige des investissements coûteux auxquels doivent contribuer financièrement les collectivités territoriales. L'opération ne sera financièrement viable que si un nombre suffisant d'abonnements est souscrit. Il ne peut en être ainsi que si sont offerts à la population des programmes élaborés et attrayants, ce qui impose l'existence d'un organisme pour regrouper ces programmes et en faire un montage cohérent et économiquement viable. En conclusion, il lui semble que l'existence même d'un réseau câblé est conditionnée par la présentation de demandes d'exploitation portant sur des ensembles économiquement exploitables et cependant respectueux de l'expression pluraliste des opinions et des sensibilités.
De ce point de vue aussi la société d'économie mixte lui apparaît comme une solution adéquate.

Monsieur Georges VEDEL fait remarquer au Conseil que la possibilité d'un monopole juridique d'exploitation n'est pas une innovation en droit français et donne l'exemple de la Société générale des pompes funèbres ou la Compagnie générale des eaux.

C'est donc avec beaucoup de regrets qu'il s'écartera de la position de Monsieur Louis GROS mais il est heureux que l'analyse soutenue par le rapporteur ait permis au Conseil d'avoir un pareil débat.

Pour préciser sa pensée, il déclare que s'il y avait eu une possibilité de concurrence il aurait suivi Monsieur Louis GROS dans sa conclusion ; mais, dans la mesure où ce n'est pas le cas, où l'on se trouve devant une situation de monopole forcé, il faut choisir la moins mauvaise solution et le choix de la société d'économie mixte lui semble convenable. Il remarque, d'ailleurs, que l'amendement du Sénat ne permettait pas à plusieurs personnes d'exploiter le câble mais permettait simplement de choisir un exploitant unique entre plusieurs catégories.

Monsieur Louis GROS ne pense pas que la société d'économie mixte présente la meilleure formule pour garantir la pluralité des opinions. Il est d'avis que le véritable pluralisme se trouve dans la multiplication des personnes qui défendent honnêtement leurs idées. Il n'est pas persuadé non plus du bien-fondé de la raison qui veut qu'un seul utilisateur ait le monopole de l'exploitation du réseau parce que la multiplicité des demandes interdit qu'il en aille autrement. Il estime, en effet, que de toute manière, compte tenu de l'importance du coût d'installation des réseaux, le nombre des demandes d'autorisation sera nécessairement réduit. Il remarque également que le réseau câblé gouvernemental ne sera pas le seul. Il existera, il existe déjà, la possibilité de créer des réseaux câblés. Tout le monde, avec l'autorisation de l'Etat, peut, en I'état actuel de la législation, créer un réseau. Pour lui, la seule question est donc de savoir si, sur le réseau gouvernemental, l'Etat est en droit ou non d'en réserver l'usage à une seule personne ?


Monsieur JOZEAU-MARIGNE déclare au Conseil qu'il rejoint, quant à lui, la pensé du Doyen VEDEL. Contrairement à Monsieur MARCILHACY, il ne critique pas, en tant que telles, les sociétés d'économie mixte. La question, pour lui, est de savoir si la concurrence d'exploitation des réseaux câblés est possible ou si elle ne l'est pas. Techniquement, matériellement la concurrence est-elle possible ? S'il s'avère que non, il votera comme Monsieur VEDEL, s'il s'avère que oui, alors il votera comme le rapporteur. En raison de la situation qui existe à Metz et qu'illustre le sénateur-maire de cette ville il incline à penser que la concurrence est possible. Toutefois, il souhaite savoir si le Conseil constitutionnel a encore le moyen de s'informer sur ce point.

Monsieur Paul LEGATTE estime, quant à lui, que la question de la possibilité ou de la non-possibilité de la concurrence ne fait rien à l'affaire. Que même dans l'hypothèse ou la concurrence serait techniquement et matériellement possible, rien, à moins de raisons qui le justifient, n'interdit au Gouvernement de choisir un utilisateur.

Monsieur Robert LECOURT, quant à lui, s'interroge sur le point de savoir si ce dont le Conseil débat actuellement ne porte pas, en fait, sur la liberté d'entreprendre plutôt que sur la liberté de communication.

En effet, dans l'hypothèse d'une concurrence possible quant à l'exploitation d'un réseau câblé, il pense que, sur le plan local, le libre accès de tous garantirait effectivement la liberté. Mais, il se demande si ce moyen est le seul qui puisse assurer cette liberté ? Il ne le pense pas et est d'avis que la société d'économie mixte remplit aussi bien ce rôle.
En ce qui concerne la liberté d'entreprendre, Monsieur LECOURT estime qu'elle peut être légitimement limitée. Le seul point sur lequel il faille être vigilent c'est de veiller à ce que la liberté de communiquer soit garantie après le passage obligé par une société d'économie mixte. Cette question lui apparaît beaucoup plus essentielle que celle de la détermination de l'exploitant du réseau câblé.

En ce qui le concerne, il pense que l'effort du Conseil constitutionnel doit porter sur la seule question qui ait de l'importance, veiller à la garantie de la liberté d'expression, indépendamment du moyen d'installation ou d'exploitation du réseau câblé.

Monsieur André SEGALAT rejoint tout-à-fait l'opinion de Monsieur LECOURTet s'estime, quant à lui, totalement rassuré par le fait que chacun peut être autorisé à créer un réseau câblé.

Monsieur Georges VEDEL rappelle à Monsieur André SEGALAT que, si chacun est libre de créer un réseau câblé, son exploitation impose de passer par une société d'économie mixte.

Monsieur Louis GROS déclare que les débats parlementaires ne fournissent aucune indication intéressante quant à la possibilité de concurrence. Toutefois, le secrétariat général du Gouvernement,


dans une note complémentaire, dont Monsieur Louis GROS donne lecture au Conseil constitutionnel, indique qu'en raison de la lourdeur des investissements nécessaires à l'établissement et à l'entretien des réseaux et des coûts d'exploitation consécutifs l'exploitant du service sur un réseau câblé ne peut pas être mis en situation de concurrence. Qu'en effet, la rentabilité d'une telle entreprise est nécessairement différée à long terme.

Monsieur André SEGALAT fait remarquer au Conseil que le cas du maire de Metz ne doit pas être pris en compte puisque cet élu entend, en fait, confisquer le réseau local de cette ville à son seul profit.

Monsieur le Président propose alors de soumettre aux voix la conclusion soutenue par le rapporteur. Celle-ci est rejetée par tous les membres présents, à l'exception du rapporteur et de Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE qui votent pour.

Monsieur Louis GROS demande alors si le Conseil ne souhaite pas changer de rapporteur pour la suite de cette affaire.

Le Conseil exprime le souhait de voir Monsieur Louis GROS accepter de conserver sa charge.

Monsieur le Président suspend la séance à 13 h 10.

La séance est reprise à 14 h 50.

Monsieur le Président donne la parole à Monsieur Louis GROS.

Monsieur Louis GROS donne lecture de la saisine qu'il analyse. Il déclare qu'il n'est pas loin de partager l'avis des sénateurs auteurs de la saisine en tant qu'ils estiment qu'il appartient à la loi et non au décret de définir le réseau local. II souligne l'importance de cette distinction qui entraîne la détermination de l'autorité habilitée à délivrer l'autorisation d'exploiter.

Sur le deuxième moyen de la requête, le rapporteur estime que la formulation en est un peu concise et que sa compréhension n'est pas aisée. Il constate cependant qu'aucune disposition de la loi ne définit avec exactitude et précision certaines choses qui, à son avis, devraient y figurer. Il propose au Conseil un projet de rédaction de décision qu'il estime lui-même très imparfait. Il s'agit, à ses yeux, d'un avant-projet susceptible de nombreuses améliorations.

Monsieur Pierre MARCILHACY constate que l'article 2 renvoie au décret la définition du réseau local. Cette définition, à son avis, doit résulter, soit de la loi, soit du décret. Il est d'avis, quant à lui, qu'il s'agit, en l'espèce, d'une prérogative du législateur.

Sur demande du Président, Monsieur Louis GROS procède à la lecture du projet de décision.

Monsieur Robert LECOURT suggère une amélioration du texte en proposant de rajouter, à la première page, à la cinquième ligne du deuxième considérant, les mots "soumise à l'examen du Conseil" après "loi".



Monsieur Pierre MARCILHACY s'interroge sur le fait de savoir s'il n'existe pas des précédents où une loi renvoie à un décret la définition de son champ d'application.

Monsieur Louis GROS lui fait valoir qu'il s'agit de mettre en évidence les contradictions de la loi.

Monsieur Pierre MARCILHACY se déclare convaincu par cette réponse.

Monsieur le Président soumet le projet de décision amendé au vote du Conseil.

Le projet est accepté à l'unanimité moins une abstention, celle du rapporteur.

-oOo-

IV. LOI RELATIVE AU CONTRÔLE DES STRUCTURES DES EXPLOITATIONS AGRICOLES ET AU STATUT DU FERMAGE :

Monsieur le Président donne la parole à Monsieur André SEGALAT pour son rapport sur la loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage.

Monsieur André SEGALAT expose que la loi a deux volets, l'un relatif aux structures agricoles, l'autre au statut du fermage. Il souligne l'importance pour un pays de petites et de moyennes exploitations de la politique foncière. En France, pendant tout le XIXème siècle, cette politique découlait du Code civil. Il a fallu attendre la Libération pour voir des réformes (loi de 1946). Le bail rural est la forme générale de l'exploitation des terres tout autant que le faire-valoir direct.

A partir de 1960, la législation sur les baux ruraux est soudée aux lois d'orientation agricole. La nouvelle politique a pour objectif de favoriser la constitution ou le maintien d'exploitations agricoles familiales viables. Elle est sous-tendue par deux préoccupations :

- Etendre le fermage ;

- Contrôler l'évolution des structures agricoles.

Ceci est particulièrement nette dans la loi d'orientation agricole du 4 juillet 1980.

Le texte soumis à l'examen du Conseil regroupe des préoccupations relatives au fermage et aux structures. Il ne marque pas une rupture avec les orientations de la loi de 1980 : le texte examiné s'insère plutôt dans la continuité de cette politique.

Le rapporteur déclare que la saisine est ponctuelle et factuelle. Il souhaite éclairer le Conseil et dissiper l'obscurité qui entoure, et la saisine, et la législation, dans cette matière. Faute de pouvoir faire une synthèse, il se propose de reprendre la loi, article par article. Il informe le Conseil qu'il a


demandé au secrétariat général du Gouvernement d'élaborer un tableau en trois colonnes :

- Etat de la législation antérieure ;

- Etat du texte actuel ;

- Observations ;

Il attendait beaucoup de la troisième colonne mais son attente a été déçue.

Sur l'article 2 :

Pour être bien compris, cet article doit être rapproché des articles 1 et 3 qui définissent le champ d'application de la loi. Le rapporteur précise que les auteurs de la saisine ne critiquent que le II de l'article 2. Pour sa part, il se rallie à la jurisprudence du Conseil telle qu'elle a été formulée par Monsieur Georges VEDEL et qui prévoit que, si le droit de propriété est un droit garanti constitutionnellement, il peut cependant être limité pour des besoins d'intérêt général, librement apprécié par le législateur, sous le contrôle, en cas d'erreur manifeste, du Conseil constitutionnel. Il se demande si ces principes sont mis en cause à propos de la loi examinée.

Il rappelle que le contrôle des structures est limité à l'exploitation des structures agricoles et non à la propriété qui n'est donc pas atteinte dans son fondement. Le problème posé tient en fait à l'extension du contrôle, à la situation des propriétaires exploitants lorsqu'une cession aboutit à démembrer une exploitation. Cette nouvelle disposition a incontestablement pour effet de limiter indirectement le droit de propriété mais le rapporteur estime qu'elle n'est pas suffisamment grave pour encourir la censure du Conseil constitutionnel. Il estime en effet que, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, l'atteinte portée au droit de propriété est partielle et non pas totale.

Sur la situation des sociétés ou des biens en indivisions :

La loi exige une nouvelle autorisation en cas de modification de la répartition du capital. Il s'agit d'une mesure destinée à faire échec à une fraude éventuelle qui pourrait, par exemple, être une cession de parts à un tiers ou à un associé qui n'aurait pas le droit d'exploiter.

Sur l'article 3 :

Cet article est relatif aux autorisations de plein droit.
Les auteurs de la saisine soutiennent que la loi restreint abusivement les cas d'autorisations de plein droit. Le rapporteur est d'avis que les dispositions de cet article n'interdisent pas la transmission des biens.


Sur l'article 4 :

Monsieur André SEGALAT rappelle le déroulement de la procédure et explique que cet article a été retiré par le Gouvernement lors de la première lecture devant l'Assemblée nationale puis réintroduit à l'occasion de la seconde lecture devant cette même chambre.

Sur l'article 6 :

Il explicite les dispositions de cet article et estime qu'elles ne portent pas atteinte au droit de propriété.

Sur l'article 7 :

La Mutuelle sociale agricole communique aux représentants de l'Etat les informations qu'elle possède relativement aux parcelles, à la nature des cultures, à l'identité des exploitants. Les requérants estiment qu'il y aurait, par là, atteinte au respect de la vie privée. Monsieur André SEGALAT s'interroge sur le fait de savoir si la communication de la superficie d'une parcelle porte ou non atteinte à la vie privée ?
Il rappelle que le Conseil constitutionnel a précédemment admis la communication de renseignements détenus par la Sécurité sociale à des organismes chargés d'établir des listes électorales. A l'occasion de la loi de finances de 1984, le Conseil a également admis le droit pour le créancier d'aliments d'obtenir des renseignements de la part du fisc. Il estime qu'il y avait là des atteintes plus importantes que celles qui sont reprochées à la loi actuelle. Par ailleurs, les conditions de cette communication devant être fixées par un décret pris après l'avis de la Commission nationale informatique et liberté, il est d'avis que le grief ne peut pas être retenu.

Sur l'article 8 :

Monsieur André SEGALAT rappelle la situation telle qu'elle résultait de la législation antérieure. Il signale que cet article apporte une sanction nouvelle, la possibilité pour le tribunal des baux ruraux de désigner, le cas échéant, un titulaire du droit d'exploiter. Il estime que, contrairement à l'opinion simple et vive des auteurs de la saisine, l'ensemble des garanties dont le mécanisme prévu par la loi est assorti, ne permet pas de penser qu'il y a là une atteinte inconstitutionnelle au droit de propriété. Pour ce qui est de la critique faite relativement au droit de s'installer, il confie qu'il ne saisit pas entièrement le sens de la critique.

Sur l'article 12 :

Il en expose et en commente la portée aux membres du Conseil. Il indique que cette disposition est conforme à la jurisprudence suivie par la Cour de cassation et qui est différente de celle du Conseil d'Etat qui avait elle-même été reprise par la loi de 1980. Il précise qu'en fait les auteurs de la saisine ne critiquent que les dispositions de cet article qui sont relatives à la période transitoire et concernent l'application immédiate des règles qu'il édicte.


Sur l'article 22 :

Le rapporteur expose que cet article l'a plus particulièrement intéressé car ses dispositions évoquaient pour lui son Limousin natal. Cet article reconnaît la part importante prise par l'intuite personnae dans ce contrat, ce qui explique que l'acquéreur puisse échapper au droit de préemption du teneur et, dans l'état actuel de la législation, de la SAFER. Cette situation particulière justifie, à ses yeux, le fait que, par la suite, l'acquéreur voit limiter son droit de reprise.

Sur l'article 25 :

Après en avoir analyser les dispositions, il avoue ne pas très bien comprendre la portée du moyen qui lui semble devoir être rejété.

Avec l'accord du Conseil, Monsieur le Président suggère de reprendre les dispositions critiquées, les unes après les autres.

Sur son invitation, le rapporteur donne lecture du projet qu'il a préparé.

Sur l'article 2, Monsieur JOZEAU-MARIGNE remarque qu'il est vrai que le droit de propriété s'amenuise petit à petit. Toutefois, ce phénomène n'a rien d'inconstitutionnel, à ses yeux, et le texte proposé lui apparaît, en conséquence, devoir échapper à la critique.

Monsieur Pierre MARCILHACY considère, quant à lui, qu'à partir de 1945, un certain droit de propriété a disparu. Certaines personnes, dont lui-même, en ont été les victimes. Mais il pense que la révolution est faite et que les conclusions du rapporteur doivent être adoptées telles quelles.

Sur l'article 7, Monsieur Georges VEDEL expose que le secret de la vie privée pose un véritable problème au Conseil constitutionnel. Il s'interroge sur le point de savoir si ce secret a une valeur constitutionnelle comme la rédaction du projet semble l'admettre. Il s'interroge sur l'opportunité de cette rédaction.

Monsieur André SEGALAT fait remarquer à Monsieur Georges VEDEL que, dans sa rédaction, le secret est lié aux libertés publiques qui, elles, sont garanties constitutionnellement.

Monsieur Georges VEDEL reconnaît le bien-fondé de cette remarque et retire son interrogation.

Les autres articles ne font l'objet d'aucune remarque.

L'ensemble du projet est adopté à l'unanimité.

La séance est levée à 17 h 20.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.