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PV1984-10-10-11

Roméo MARCEL

SEANCES DES MERCREDI 10 ET JEUDI 11 OCTOBRE 1984

Monsieur le Président déclare la séance ouverte à 10 heures, tous les membres du Conseil étant présents, à l'exception de M. Louis GROS, décédé.

Evocation de la mémoire de Monsieur le Président Louis GROS :

 La disparition de Monsieur Louis GROS survenue le 8 octobre 1984 est ressentie avec douleur par chacun des membres du Conseil.

Son fauteuil qui est vide sera ce soir même occupé par son remplaçant. A cette occasion, Monsieur le Président déclare qu'il fera connaître ce.qu'il pense des circonstances dans lesquelles s'est effectué le remplacement de Monsieur Louis GROS.

Chacun connaît la brillante carrière du Président GROS. Le Président estime donc inutile de la détailler. Pour ce qui est de l'homme, nul n'oubliera l'ascendant qu'il a exercé durant les sept ans et demi durant lesquels il a siégé au Conseil. Cette autorité résultait tant dans sa force de conviction que de ses connaissances juridiques et de son travail assidu.

Monsieur le Président GROS, chacun s'en souvient, était un homme sujet à des colères. Il fonçait brusquement, un éclat vif dans le regard. Pour sa part, Monsieur le Président appréciait ces manifestations de caractère. Il y voyait le signe de la force de conviction et de la sincérité de l'homme et, derrière le regard, se cachaient de la tendresse et de la chaleur humaine.

Monsieur le Président indique à ses collègues que, lorsqu'il avait pris ses fonctions de président du Conseil, Monsieur Louis GROS avait demandé à être reçu pour se présenter. Au cours de leur entretien, Monsieur GROS avait notamment parlé de sa carrière et s'était longuement attardé sur le souvenir de son père dont l'influence avait orienté sa vie de façon décisive.

Monsieur le Président avait été extrêmement touché de voir cet octogénaire évoquer ses souvenirs personnels si lointains. C'est cette image que, pour sa part, le Président MAYER conservera de Monsieur le Président Louis GROS.

Informations diverses :

 a) Sécurité des locaux du Conseil :

 Monsieur le Président informe ses collègues qu'il s'est révélé que la sécurité des locaux du Conseil constitutionnel laissait à désirer. En effet, il y a peu de temps, un individu a été surpris en train de roder dans les couloirs du Conseil. 

La surveillance policière des locaux du Conseil sera renforcée, notamment la nuit. Par ailleurs, le Président demande aux membres d'indiquer aux huissiers le nom des visiteurs qu'ils attendent. A défaut, les autres personnes désirant rencontrer les membres du Conseil seront invitées à remplir une fiche dans le hall d'entrée du Conseil.

 b) Election à l'Assemblée nationale du Président Valéry GISCARD d'ESTAING :

Monsieur le Président indique qu'il a reçu la visite, le 2 octobre 1984, de Monsieur Valéry GISCARD d'ESTAING. Celui-ci l'a informé de son élection dans la deuxième circonscription du Puy-de-Dôme et lui a fait savoir qu'il était venu prendre temporairement congé du Conseil constitutionnel.

Monsieur le Président lui a rappelé, d'une part, qu'il n'avait jamais siégé au Conseil constitutionnel et que, d'autre part, en ce qui concerne l'adverbe "temporairement", il ne pouvait se prononcer ; en effet, lui a-t-il indiqué, nul ne savait quelle serait la position du Conseil constitutionnel si Monsieur Valéry GISCARD d'ESTAING voulait y revenir.

Monsieur Valéry GISCARD d'ESTAING a répondu qu'étant membre à vie du Conseil constitutionnel, à ses yeux rien ne l'empêcherait de reprendre sa qualité de membre du Conseil constitutionnel à l'expiration de son mandat parlementaire.

Monsieur le Président lui a répondu qu'il était dans l'incapacité de se prononcer. Ce sera le jour venu au Conseil constitutionnel d'en décider.

Ensuite, Monsieur Valéry GISCARD d'ESTAING a brièvement évoqué la question de l'extradition des basques ainsi que sa récente campagne électorale.

Monsieur le Président tenait à informer les membres du Conseil de cette rencontre et tenait aussi à ce qu'il en soit porté trace dans un procès-verbal.

Désignation des rapporteurs-adjoints :

 Monsieur le Président rappelle que l'article 36 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose : "Chaque année, la première quinzaine d'octobre, le Conseil constitutionnel arrête une liste de dix rapporteurs-adjoints choisis parmi les maîtres des requêtes au Conseil d'Etat et les conseillers référendaires à la Cour des comptes.".

Conformément à l'usage, le Président a demandé au Vice-Président du Conseil d'Etat et au Premier Président de la Cour des comptes de bien vouloir proposer au Conseil constitutionnel, respectivement, les noms des maîtres des requêtes et des conseillers référendaires qu'ils désignaient.

En ce qui concerne les maîtres des requêtes au Conseil d'Etat, il n'y a pas de changement par rapport à la liste établie l'an dernier.

En ce qui concerne les rapporteurs-adjoints de la Cour des comptes, Monsieur le Président propose, d'une part, de reconduire pour un an dans leurs fonctions MM. François REYMOND de GENTILE et Guy THUILLIER et de nommer en remplacement de MM. Pierre LAFAYE, François GIQUEL et Alain LAMASSOURE, MM. Guy BERGER, Louis BADY et Philippe de CASTELBAJAC.

Monsieur Guy BERGER est né en 1937 à Paris.

Licencié en droit et diplômé d'études supérieures de lettres, il est entré à l'E.N.A. en 1963. A la sortie de cette école, il a été nommé auditeur à la Cour des comptes en 1965. Par la suite, il a occupé les fonctions de conseiller technique, à compter de 1969, auprès du cabinet du Ministre des postes et télécommunications et du Ministre des armées. Entre 1974 et 1980, il a exercé des fonctions de Directeur-adjoint des services financiers de la Société CIT Alcatel. Monsieur Guy BERGER a été réintégré à la Cour des comptes en octobre 1983. Il occupe actuellement les fonctions de conseiller référendaire de première classe.

Monsieur Louis BADY est né en 1939 à Fribourg (Suisse).

Ancien élève de l'Ecole normale supérieure, il est agrégé de lettres et diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris. Il a ensuite intégré l'E.N.A. en 1966 avant d'être nommé auditeur à la Cour des comptes en 1968. Par la suite, il a occupé des fonctions de conseiller technique au cabinet du Ministre de l'éducation nationale avant d'être nommé chargé de mission au cabinet du Premier ministre en 1974. Entre 1977 et 1982, il a été chargé des fonctions de Directeur à la Caisse nationale des monuments historiques et des sites. Réintégré dans les cadres de la Cour des comptes en 1982, Monsieur Louis BADY a été nommé conseiller référendaire de première classe en 1984.

Monsieur Philippe de CASTELBAJAC est né en 1929 à Angoulême.

Docteur en droit et licencié es lettres, il a occupé de 1956 à 1963 le poste d'adjoint au Directeur des productions au Commissariat général de l'énergie atomique. De 1963 à 1973, il a été chargé de mission à la Délégation à l'aménagement du territoire (DATAR). Puis, entre 1973 et 1977, il a occupé des fonctions à la Direction générale de la politique régionale de la Commission des communautés européennes. Nommé conseiller référendaire de deuxième classe à la Cour des comptes en 1978, Monsieur de CASTELBAJAC a été nommé conseiller référendaire de première classe en 1984.

Avant de demander au Conseil constitutionnel d'approuver la décision de nomination des rapporteurs-adjoints, Monsieur le Président exprime les remerciements du Conseil à MM. Pierre LAFAYE, François GIQUEL et Alain LAMASSOURE pour leur collaboration aux travaux du Conseil constitutionnel.

La décision de nomination des rapporteurs-adjoints jointe au procès-verbal est adoptée à l'unanimité des membres du Conseil constitutionnel.

Examen de la loi sur la presse :

 Monsieur le Président indique que, conformément à l'ordre du jour, il devrait à présent donner la parole au Doyen VEDEL, rapporteur de ce texte. Cependant, chacun sait que le Président du Sénat vient de désigner un remplaçant à Monsieur Louis GROS en la personne de Monsieur Maurice René SIMONNET et que ce nouveau membre doit prêter serment aujourd'hui, 10 octobre 1984, à 15 h 30.

En raison des exigences du délibéré qui ne peut former qu'un tout et pour éviter tous reproches, toutes suspicions ou toutes remises en cause de la décision à intervenir, Monsieur le Président suggère de lever la séance et de n'envisager l'examen de la loi sur la presse qu'après le retour de l'ensemble des membres du Conseil constitutionnel du Palais de l'Elysée, à la suite de la prestation de serment de Monsieur SIMONNET.

Monsieur le Président constate alors que l'ensemble des membres du Conseil constitutionnel approuve la solution qu'il vient de proposer.

Il lève donc la séance à 10 h 20.

Après la prestation de serment de Monsieur SIMONNET, le mercredi 10 septembre 1984 à 15 h 30, au Palais de l'Elysée, le Conseil reprend ses travaux à 16 h 15, tous ses membres étant présents dont Monsieur SIMONNET.

Monsieur le Président fait alors la déclaration suivante à ses collègues : Le Conseil connstitutionnel vient de vivre une bien étrange journée. Le matin même il évoquait la mémoire de Monsieur Louis GROS et, à présent, il accueille en son sein Monsieur SIMONNET. Les impératifs du calendrier semblent l'avoir emporté sur le recueillement qui s'impose devant la mort.

Le Président du Sénat a manifesté publiquement le souhait que Monsieur le Président GROS soit rapidement remplacé. Le Président de la République a pris acte de cette détermination et a fait en sorte que Monsieur SIMONNET puisse prêter serment dans les délais les plus brefs. Le Conseil constitutionnel n'a pas à s'opposer à cette volonté même s'il considère cette hâte comme déplacée. A l'occasion de la nomination du nouveau membre, chacun a pû entendre un langage inadmissible. Certains n'ont pas hésité à déclarer qu'un membre de l'opposition étant mort il s'agissait de le remplacer par un autre membre de l'opposition le plus vite possible. Ces considérations sont inacceptables. Le Conseil constitutionnel est composé d'hommes de bonne foi qui cherchent en toute conscience à appliquer le droit.

Monsieur le Président indique à Monsieur SIMONNET qu'il pourra constater que, bien souvent, le Conseil constitutionnel se prononce à l'unanimité. Ses membres se déterminent au vu des dossiers qu'ils examinent et non en fonction de choix antérieurs à leur arrivée au Conseil.

Monsieur le Président indique que ces précisions fâcheuses sont effacées par la personne même de Monsieur SIMONNET. Il indique qu'il a lui-même siégé à l'Assemblée nationale en même temps que Monsieur SIMONNET avec qui il a noué des liens d'amitié. Monsieur le Président souligne la fidélité dans les opinions et la courtoisie qui caractérisent Monsieur SIMONNET.

Il a indiqué la gêne éprouvée par les membres du Conseil à la suite du remplacement hâtif de Monsieur le Président GROS, c'est pour protéger Monsieur SIMONNET et lui éviter d'éprouver le même trouble.

Monsieur le Président termine sa déclaration en souhaitant amicalement la bienvenue à Monsieur SIMONNET.

Monsieur SIMONNET remercie Monsieur le Président pour ses paroles très bienveillantes. Il déclare mesurer le poids de la charge qu'il assume. Il indique que venant de prêter serment il prend conscience des obligations auxquelles il s'est engagé. Il déclare qu'il siégera en juriste et en juge impartial. Il se prononcera sur les affaires qu'il aura à connaître en son âme et conscience avec pour seule considération le bien de l'Etat, de la Nation et de la France.

Monsieur le Président remercie Monsieur SIMONNET et donne la parole à Monsieur le Doyen VEDEL pour qu'il présente son rapport sur la loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.

Monsieur VEDEL déclare tout d'abord au Président et aux membres du Conseil constitutionnel que si, pendant son rapport, ses yeux se tourneront souvent vers la place “qu'occupait Monsieur GROS, ce ne sera pas dû uniquement au souvenir de l'amitié qu'il lui portait mais aussi en raison du fait que chaque rapporteur, en préparant son travail, ne peut s'empêcher de penser à ceux à qui il est destiné ; certains passages de son rapport étaient ainsi plus particulièrement destinés à Monsieur GROS et lui-même, en le préparant, entendait déjà les objections que Monsieur GROS aurait émises et se réjouissait par anticipation avec fierté d'obtenir son acquiessement à la solution qu'il préconisait, acquiessement qui n'aurait rien dû à la complaisance.

Le rapporteur refait alors l'historique de l'ordonnance de 1944 sur l'organisation de la presse française et indique que, dans tous les cas, ce texte appelait une mise à jour. II rappelle qu'il a été chargé, pour le compte du Conseil économique et social, de faire un rapport en son temps, rapport dont il ne pense pas, sauf meilleur avis du Conseil, devoir faire état. Il souligne toutefois que la préoccupation de la situation des entreprises de presse et de leur opacité financière s'est faite jour assez tardivement en 1981. Un texte a alors été proposé par le Gouvernement, texte qui a été l'objet d'une bataille symbolique entre la majorité et l'opposition et entre les deux assemblées dont le centre de gravité politique n'est pas le même.

Ce conflit s'est traduit par un débat de procédure peu ordinaire en raison du nombre des amendements déposés et de la durée des discussions (Décembre 1983 à janvier 1984 uniquement en 1ère lecture à l'Assemblée nationale !). La commission mixte paritaire n'a pû aboutir qu’à un constat d'échec et le Gouvernement a dû user des pouvoirs que l'article 49, alinéa 3. de la Constitution, lui donne. Le texte a été adopté en 4ème lecture par l'Assemblée nationale.

Le rapporteur expose ensuite l'économie générale de la loi qui tend, d'une part, à limiter la concentration des entreprises de presse et, d'autre part, à en assurer la transparence financière et le pluralisme.

Selon une bonne méthode, l'article 1er définit le champ d'application de la loi et l'article 2 donne des définitions et précise le sens des mots employés.

Le rapporteur annonce qu’il procédera à l'analyse de la loi titre par titre. 

 - SUR LE TITRE I : transparence financière des entreprises de presse

 Ce titre comprend six articles qui interdisent le prête-nom, imposent la forme nominative des actions et organisent une certaine publicité et, enfin, imposent la publication de différentes informations de caractère financier.

 - SUR LE TITRE II : pluralisme

 Ce titre comprend environ une demi-douzaine d'articles et détermine des plafonds sur lesquels le Conseil constitutionnel aura à se prononcer ; l'article 13 précise le mode de calcul de ces plafonds et l'article 14 impose une équipe rédactionnelle pour chaque publication.

 - SUR LE TITRE III :

 Ce titre institue une commission et règle la procédure qui doit être suivie devant elle. Cette commission est prestigieuse en raison de son mode de composition et du statut de ses membres. Elle a pour mission de contrôler les opérations de cession et d'acquisition des entreprises de presse. Le titre définit les pouvoirs dont elle dispose pour exercer ses missions - investigations, vérifications, décisions - et les possibilités de recours contre ses décisions.

 - SUR LE TITRE IV :

 Ce titre énonce les sanctions pénales et ne peut être analysé qu'en liaison avec les titres I, II et III.

 - SUR LE TITRE V :

 Ce titre est relatif aux mesures transitoires et pose un certain nombre de problèmes.

Le rapporteur précise que le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, par les sénateurs, le 12 septembre 1984 et, d'autre part, par les députés, le 13 septembre 1984. Les méthodes choisies par les auteurs des saisines sont différentes. Les sénateurs ont suivi l'ordre de la loi, article par article, les députés ont, en ce qui les concerne, procédé par énoncé des règles et des principes qu'ils estiment violentés par la loi. C'est la raison pour laquelle le rapporteur a fait distribuer aux membres un tableau recensant les griefs des auteurs des saisines, article par article.

Ce tableau sera joint au présent procès-verbal.

Le rapporteur indique que la loi est attaquée dans son ensemble, tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale. Les sénateurs estiment que les dispositions qu'ils critiquent sont inséparables ; Les députés estiment, quant à eux, que la loi est critiquable dans son principe.

A ces deux saisines se sont ajoutés par la suite un mémoire déposé par Monsieur de CHAISEMARTIN pour le compte de Monsieur Robert HERSANT et une note de Monsieur HERSANT lui-même que le rapporteur fait distribuer à l'instant aux membres du Conseil.

Il indique que ces notes ne rajoutent rien aux saisines ; mais, dans la mesure où il estime qu'aucune procédure contradictoire n'étant formellement prévue, il pense qu’il n'est tout de même pas possible de faire comme si ces pièces et mémoires n'existaient pas, aussi, il informe le Conseil qu'il a fait communiquer ces deux notes au Secrétaire général du Gouvernement.

En effet, selon l'usage, au vu des saisines, le Gouvernement produit généralement une note qui prend la défense de la loi.

Le rapporteur indique qu'il est d'avis que la loyauté et le contradictoire sont l'âme des débats devant le Conseil constitutionnel. Aussi, a-t-il jugé nécessaire de faire part aux représentants du Gouvernement de ce qu'il appelle "ses états d'âme" afin que le Gouvernement puisse faire utilement valoir ses arguments et ses explications et pour que le Conseil constitutionnel ne soit pas ainsi amené à soulever d'office un moyen d'inconstitutionnalité sur lequel le Gouvernement n'aurait pas été à même de fournir les éclaircissements et les précisions qu'il aurait jugés nécessaires de faire valoir.

Le premier objet des saisines concerne la procédure suivie devant les chambres. La procédure est en effet critiquée par les auteurs des deux saisines aux motifs qu'à deux reprises, essentiellement lors des deux premières lectures devant l'Assemblée nationale, la commission compétente, écrasée sous le nombre des amendements présentés, n'a pas présenté, au nom de la commission, un rapport complet, ni sur le texte de loi, ni sur les amendements déposés ;

Il n'y a pas eu de rapport de la commission mais simplement un exposé fait par le Président de la commission et relatif à l'état des travaux suivis par la commission jusqu'au moment de la séance publique. Les auteurs des saisines évoquent, pour les uns, une violation des règlements de l'Assemblée nationale et, pour les autres, en plus, une violation de la Constitution.

Pour le rapporteur, il est évident qu'il y a eu violation des règlements de l'Assemblée nationale.

A ce moment de son rapport, Monsieur VEDEL donne lecture des articles 86, 90 et 91 du règlement de l'Assemblée nationale.

Monsieur le rapporteur rappelle qu'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel décide que la violation par une assemblée de son propre règlement ne constitue pas, par elle-même, une violation de la Constitution. Il est vrai que le Conseil peut revenir sur cette jurisprudence mais en ce qui le concerne le rapporteur n'a pas envisagé cette hypothèse et ceci pour deux raisons : tout d'abord, il s'agit d'une règle un peu formelle qu'il est difficile de faire respecter. Deuxièmement, pour un argument d'équilibre des pouvoirs au sein de chaque assemblée entre la majorité et l'opposition ; il lui semble en effet que le risque d'asphixie d'une assemblée par une tactique d'obstruction systématique de la minorité n'est pas à exclure.

Mais, dans l'hypothèse où la méconnaissance du règlement s'accompagnerait d'une violation de la Constitution, il est d'avis qu'alors, dans ce cas, la procédure suivie pourrait être censurée par le Conseil constitutionnel, non en raison de la violation du réglement, mais en raison du non-respect de la Constitution.

Une des saisines évoque précisément la violation des articles 43 et 44 de la Constitution.

Monsieur VEDEL donne lecture de ces deux articles.

Il déclare que si un seul des amendements avait été écarté en séance publique aux motifs qu'il n'avait pas été, soit soumis à la commission, soit examiné en commission, le Conseil pourrait alors prononcer la censure de la procédure. Or, ce grief n'est pas soulevé par les auteurs des saisines. Il fait valoir que la Constitution renvoie les textes de loi à l'examen des commission mais ne définit ni l'étendue, ni la forme, ni le contenu des rapports des commissions ; elle ne précise même pas s'il doit y avoir un rapport. Aussi, le rapporteur pense que le Conseil ajouterait beaucoup aux textes de la Constitution en affirmant que les articles du réglement n'ont fait que traduire fidèlement les exigences des articles 43 et 44 de la Constitution. Il propose donc de rejeter ce moyen.

- SUR L'ARTICLE 2 :

 Le rapporteur précise que cet article est un article de définition, ce qui est un procédé peu courant dans la technique législative française, mais qui se rencontre souvent dans les techniques législatives étrangères. Il donne lecture de cet article. Il indique que dans leur saisine les députés font valoir que ces définitions étant extrêmement larges et floues et étant sanctionnées pénalement violent les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, c'est-à-dire le principe de légalité des délits et des peines. Il estime quant à lui que les définitions données à l'article 2 sont certes extensives mais qu'elles sont claires. Sans doute sont-elles très générales mais elles sont précises. La notion de contrôle, notamment, à déjà pénétré le droit positif français et a été introduite d'ailleurs par la jurisprudence, à l'occasion, pendant la guerre, de la définition des biens ennemis. Il propose donc de rejeter ce moyen.

- SUR LES DISPOSITIONS RELATIVES A LA TRANSPARENCE FINANCIERE DES ENTREPRISES DE PRESSE :

 Monsieur VEDEL déclare que ces dispositions reprennent d'une manière plus adéquate et mieux adaptée les objectifs poursuivis par les auteurs de l'ordonnance de 1944. La transparence n'est pas contraire à la liberté de la presse mais est bien, au contraire, un de ses éléments constitutifs. Il remarque d'ailleurs que les auteurs des saisines ne contestent pas en lui-même l'objectif de la transparence mais qu'ils attaquent chacun des moyens choisis pour le mettre en oeuvre.

- SUR L'ARTICLE 3 :

 Le rapporteur donne lecture de cet article. Il indique qu'il lui est fait grief de ne pas définir l'interdiction qu'il énonce. Que, par suite, cet article étant sanctionné pénalement, il y a là une nouvelle violation du principe de la légalité des délits et des peines. Le rapporteur estime quant à lui que la définition est suffisante. Que prêter son nom c'est dissimuler quelqu'un derrière son nom et que cela s'explique assez par cela même. 

- SUR L'ARTICLE 4 :

 Monsieur VEDEL donne lecture de cet article. Il indique que la critique est ici encore liée à la sanction pénale prévue par l'article 27 et se fonde sur l'imprécision de la notion de "dirigeants de faits". Le rapporteur expose que cette notion est déjà utilisée en droit positif français et que, par suite, il estime que ce grief n'est pas fondé.

- SUR L'ARTICLE 5 : mise en forme nominative des actions

 Monsieur VEDEL en explique l'économie et indique que les auteurs des saisines y voient une violation du secret des patrimoines et donc la vie privée. Il se demande s'il est opportun de se lancer dans une longue analyse du contenu du secret de la vie privée et de rechercher si ce secret est protégé en tant que tel et pour lui-même ou s'il n'est protégé qu'en sa qualité de simple appendice de la liberté individuelle. Il y faudrait, dit-il, comme dirait Rudyard KIPPLING "une longue nuit claire". Il pense, quant à lui, que le Conseil constitutionnel peut se contenter d'affirmer qu'en raison de l'objectif poursuivi, la transparance des entreprises de presse et la légèreté du tort éventuel causé aux actionnaires, le moyen peut être écarté.

- SUR LES ARTICLES 6 et 28 :

 Il donne lecture de l'article 6 et de l'article 28 qui en sanctionne la violation. Il indique au Conseil que les auteurs des saisines évoquent l'imprécision des concepts de "détention directe ou indirecte" mais il estime, quant à lui, que ces termes n'outrepassent pas le caractère élastique de certaines notions juridiques. Par contre, ce qui lui apparaît être un obstacle dirimant c'est que la loi ne précise pas à qui incombe l'obligation définie par l'article 6 et sanctionnée par l'article 28.

Il propose donc l'annulation de ces deux articles pour raison d'incompatibilité avec le principe de légalité des délits et des peines.

- SUR L'ARTICLE 8 DE LA LOI :

 Il donne lecture de cet article. Il estime que cet article ne contient aucune disposition contraire à la liberté de la presse et se contente d'obliger les propriétaires d'entreprises de presse à fournir les renseignements concernant les modalités de leurs possessions.

Il souhaite, à ce moment de son rapport, après s'en être excusé auprès des membres du Conseil, revenir un peu sur l'article 2 de la loi dont les auteurs des saisines soutiennent qu'il est également contraire à l'article 4 de la Constitution.

Ce qui est en cause, à leurs yeux, c'est la situation d'un organe de presse qui dépendrait directement d'un parti politique. La transparence de cet organe de presse tendrait, serait-ce indirectement, à établir la transparence des moyens des partis politiques. Le législateur pouvait, soit faire un sort particulier à la presse des partis politiques et encourir alors le risque d'être censuré par le Conseil sur la base du non-respect du principe d'égalité, soit traiter identiquement la presse politique et, la presse non-politique, dans ce cas, s'exposer à la critique émise par les auteurs des saisines.

Cependant, Monsieur VEDEL estime que l'indépendance et la liberté des partis politiques ne peuvent ni l'emporter ni être supérieures à celles de la liberté et de l'indépendance des citoyens.

Il lui apparaît que l'article 21 de la loi pose des barrières nécessaires et garantit suffisamment l'indépendance et la pleine liberté d'exercice des partis politiques.

La presse des partis ne peut pas être placée au-dessus de l'autre presse et la législation sur la presse ne permet pas de contrôler l'activité des partis. Le titre I lui semble donc en résumé, à l'exception de l'article 6 qui punit la commission d'un délit dont on ne connaît pas l'auteur, conforme à la Constitution.

- SUR LE TITRE III :

 Le rapporteur commence par donner lecture de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Il fait remarquer au Conseil qu'une lecture "absolue" de cet article interdirait, à la limite, toute législation sur la presse.

Il se pose la question de savoir si le pluralisme de la presse peut avoir une valeur constitutionnelle. Pour sa part, il le pense car il estime que le libre choix du citoyen lecteur des journaux impose le pluralisme de la presse. Il pense qu'il est sans doute utile d'affirmer ce point dans la décision. Il indique au Conseil que le problème du juge constitutionnel est, dans le cas d'espèce, de savoir ce qui doit être condamné au nom de la règle de droit et ce qui doit être abandonné au libre choix du législateur. La difficulté est accrue quand le juge constitutionnel se trouve confronté à des notions qui ne font pas l'objet de définitions constitutionnelles telles que l'intérêt général ou bien un élément constitutif de l'intérêt général. La position du Conseil est plus aisée quand il se trouve devant des notions qui sont constitutionnellement définies, telles que, par exemple, une liberté publique.

En s'en excusant par avance, il annonce qu'il prendra comme exemple la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de liberté publique, en raison de l'identité des catégories de concepts mises en cause. Il pense qu'en matière de liberté publique le législateur n'est pas plus libre que ne l'est l'administration. En veillant, dans le domaine des libertés publiques, à l'adéquation des moyens choisis par le pouvoir législatif aux fins poursuivies, le Conseil constitutionnel ne fait, à son avis, qu'exercer pleinement les attributions qui sont les siennes et ne se livre pas, contrairement à ce qu'on pourrait - à tort - penser, à un contrôle d'opportunité.

Le rapporteur indique au Conseil qu'il n'explicite pas cette théorie telle qu'il l'expose verbalement dans le projet de décision qu'il lui soumettra ultérieurement mais qu'il en fait, cependant, application.

Il donne ensuite lecture des articles 11 et 12 de la loi et indique qu'à la première lecture ces deux articles lui semblent absolument inconstitutionnels, en ce qu'ils portent atteinte à tous les droits et, en premier lieu, à ceux des lecteurs.

Il déclare qu'il a fait part de ses réserves aux représentants du Gouvernement et que ceux-ci lui ont fait valoir que les articles 10, 11 et 12 étaient indissociables de l'article 13 qui prévoyait les deux cas dans lesquels les restrictions posées par les articles 10, 11 et 12 étaient applicables.

Monsieur VEDEL estime qu'en ce qui concerne les intentions du Gouvernement et celles du législateur cette explication est tout-à-fait satisfaisante et conforme à l'objectif poursuivi. Les plafonds ne sont pas applicables tout le temps et à tout moment mais ne sont pris en compte que dans les deux hypothèses définies à l'article 13. Monsieur VEDEL s'interroge sur les raisons qui ont pû pousser le législateur à voter les articles 11 et 12 qui, apparemment, contredisent formellement sa pensée et ses intentions. Aussi, il propose au Conseil de préciser soigneusement dans la décision qu'il sera amené à rendre le sens des articles 10, 11 et 12 éclairés par l'article 13.

- SUR L'ENSEMBLE DES ARTICLES 10, 11, 12 et 13 :

Le rapporteur propose au Conseil de commencer l'analyse par le deuxième alinéa de l'article 13 qui organise "la mise à zéro des compteurs" avant l'application de la loi. Il pense en effet que cette disposition pose un problème dans la mesure où elle a pour conséquence de remettre en cause les situations juridiques qui ont été légitimement acquises sous l'empire d'une législation antérieure. Il ne s'agit certainement pas d'un effet de rétroactivité de la loi puisqu'il n'y a pas de sanctions pénales prévues à l'encontre des situations acquises. Lê rapporteur donne comme exemple celui des constructions déjà construites et qui seraient contraires aux prescriptions d'un plan d'occupation des sols établi après leur réalisation. Les constructions préexistantes à ce plan d'occupation des sols ne sont pas détruites. La solution serait autre s'il s'agissait, par exemple, d'interdire la vente d'un médicament déjà existant qui aurait été reconnu dangereux. Il va de soi que les médicaments déjà en stock ne pourraient être vendus et qu'au contraire ils devraient faire l'objet d'une destruction.

Le rapporteur estime qu'en matière de liberté publique le législateur est moins libre que dans d'autres domaines et qu'une législation plus rigoureuse ne peut, sauf cas de nécessité absolue, remettre en cause les situations légitimement acquises par l'exercice de cette liberté, sous l'empire de la loi antérieure.

C'est cette disposition de la loi examinée qui est la plus trouble. Ce qui est visé c'est en fait la situation de Monsieur HERSANT à qui il est fait grief d'avoir méconnu les dispositions de l'ordonnance de 1944. Monsieur VEDEL estime que si tel est bien le cas il convient alors de faire application à Monsieur HERSANT des sanctions prévues par cette ordonnance. Il fait d'ailleurs remarquer que Monsieur HERSANT n'a d'ailleurs, mais à une échelle nettement plus considérable, sans doute fait que ce que d'autres ont déjà fait. Il estime que dire que Monsieur HERSANT a "mal acquis" et qu'en conséquence il faut le "raser" lui semble un bien mauvais prétexte. En effet, si le bien a été mal acquis, le problème ne se pose pas en termes de pourcentage mais c'est la totalité des biens illégalement acquis qu'il faut alors confisquer. L'autre raison qui pourrait justifier l'application des pourcentages aux situations existantes avant la promulgation de la loi pourrait être l'état de non pluralisme de la presse française, ce qui ne lui semble certainement pas établi à l'heure actuelle.

Aussi, il pense que le législateur peut et doit certainement légiférer pour l'avenir mais qu'en matière de presse qui est du domaine des libertés publiques il n'y a pas lieu de toucher aux situations régulièrement acquises. Il fait valoir en outre qu'une comparaison avec l'étranger démontre que la France est bien pourvue en presse nationale et que, par contre, la concentration et les situations de monopole sont certainement beaucoup plus poussées en province et en matière de presse régionale.

En définitive, le rapporteur estime qu'il n'y a aucune raison de mettre les "compteurs à zéro" et d'attenter aux situations acquises régulièrement par l'exercice d'une liberté publique. Il propose donc de "sauver" les articles 10, 11 et 12 par l'article 13 mais d'annuler l'alinéa 2 de ce dernier article.

- SUR L'ALINEA 1er DE L'ARTICLE 13 :

 Monsieur VEDEL déclare comprendre que le législateur ait le souci d'empêcher pour l'avenir la constitution, par achat ou contrôle, de groupes de presse trop importants. En tant qu'elle vise l'avenir, cette prohibition ne le gêne pas. Toutefois, il pense que l'opposition qui est généralement faite entre concentration et pluralisme n'est pas fondée. La concentration est parfois le seul moyen de maintenir ou de garantir le pluralisme de la presse. Aussi, dans un premier temps, il s'est posé la question de savoir si, même dans son alinéa 1er, l'article 13 n'était pas contraire à la Constitution. Il lui apparaît, par ailleurs, que les seuils fixés sont une "camisole de force" pour la presse nationale et un "permis de chasse" pour la presse régionale mais ce terrain lui apparaît relever plus de l'opportunité que du droit. Aussi, propose-t-il au Conseil de déclarer l'alinéa 1er de l'article 13 conforme à la Constitution. Il lui semble, en effet, que cet alinéa ne pourrait être censuré que sur la base de l'erreur manifeste et, en l'espèce, les éléments d'une telle erreur ne lui semblent pas rassemblés.

Il s'interroge ensuite sur la séparabilité des deux alinéas de l'article 13. Il remarque, en effet, que la suppression de l'alinéa 2 a pour conséquence d'étendre le champ d'application de l'alinéa 1er qui, restant seul, a, dès lors, vocation à régir aussi bien les situations futures que les situations passées. Cet obstacle ne peut, à ses yeux, être évité que dans la mesure où, dans sa décision, le Conseil précisera expressément la portée de l'article 13.

- SUR L'ARTICLE 14 :

 Monsieur VEDEL donne lecture de cet article et indique que les sénateurs auteurs d'une des saisines lui font grief d'établir un monopole au profit des titulaires de cartes professionnelles de journaliste et que les députés lui reprochent d'être imprécis dans la définition de l'équipe rédactionnelle alors même que sa violation est sanctionnée pénalement. Il estime, quant à lui, que les sénateurs interprètent mal le sens de l'article 14 qui fait simplement obligation aux personnes qui travaillent comme journalistes de remplir effectivement et réellement leurs fonctions. Quant au grief relatif à l'imprécision, il ne pense pas que le concept "d'équipe rédactionnelle" dépasse ce qui peut, normalement, relever de l'appréciation du juge pénal.

- SUR L'ARTICLE 15 :

 Le rapporteur donne lecture de cet article et déclare que le grief des sénateurs qui estiment que cet article met en place un régime d'autorisations préalables n'est pas fondé. Toutefois, il proposera au Conseil d'annuler cet article mais comme conséquence de la proposition d'annulation des articles 19 et 20 qu'il se propose de demander au Conseil.

- SUR LE TITRE III :

 Monsieur VEDEL donne lecture de l'article 16. Il indique que les sénateurs font grief à ces dispositions’de conférer des pouvoirs juridictionnels à une commission administrative. Il donne ensuite lecture de l'article 17 relatif aux obligations des membres de la commission et de l'article 18 définissant les personnes compétentes pour saisir la commission.

Il estime que les articles 16 et 17 ne font pas, en eux-mêmes, problème. L'article 18 non plus mais celui-ci se trouve "pollué" par les articles 19 et 20. Le grief des auteurs de la saisine qui voient, dans l'article 18, une violation des droits de la défense par le fait que la commission pourra statuer seule sur la recevabilité des saisines dont elle sera l'objet lui semble devoir se passer de tout commentaire.

- SUR LES ARTICLES 19 ET 20 :

 Le rapporteur donne lecture de cet article et indique que ce texte lui apparaît comme étant une "énigmatique juridique rare". Il remarque, par exemple, que la commission peut envoyer un dossier au parquet dans la mesure où ses injonctions ne seraient pas suivies d'effet. Or, le fait de ne pas exécuter les injonctions de la commission ne constitue pas une infraction pénale. Par contre, le constat fait par la commission que les injonctions qu'elle a émises n'ont pas été exécutées entraîne ipso facto la suspension immédiate des aides fiscales et des tarifs postaux préférentiels. Des recours sont bien prévus mais l'application de lasanction administrative est immédiate. Il estime que, par là, la loi instaure de facto, un système d'autorisations préalables qui lui semble contraire - en matière de libertés publiques - aux dispositions de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Aussi, les articles 19 et 20 lui paraissant faire un tout indissociable. Il en propose l'annulation entière.

- SUR L'ARTICLE 21 :

Le rapporteur déclare que la pertinence de la critique dont cet article fait l'objet lui échappe. Il pense que les auteurs des saisines raisonnent en fait de la manière suivante : l'ordonnance de 1945 autorise des moyens d'investigations plus étendus que ceux qui, prévus par la loi de finances pour 1984, ont été déclarés inconstitutionnels par le Conseil. Ils doivent en déduire que les moyens prévus par l'ordonnance de 1945, dont ils pensent qu'il pourrait être fait application dans lescas prévus par la loi examinée sont a fortiori également inconstitutionnel.

Toutefois, Monsieur VEDEL rappelle que le Conseil constitutionnel n'a jamais eu à connaître de l'ordonnance de 1945.

- SUR LES ARTICLES 22 ET 23 :

 Monsieur VEDEL estime que le premier est tout-à-fait conforme à la Constitution.

- SUR LES ARTICLES 24 ET 25 :

 Il estime qu'il n'y a pas de difficultés.

- SUR LES SANCTIONS PENALES :

 Il ne reste en fait, indique-t-il, qu'à examiner la conformité à la Constitution des articles 29 et 31 qui ne présentent pas de difficultés et l'article 32 qui sanctionne les dispositions des articles 10, 11, 12 et 13, articles ayant déjà été examinés à l'occasion de l'examen des titres précédents.

Pour ce qui est des articles 34, 35, 36, 37 et 38, le rapporteur estime qu'ils ne présentent aucune difficulté particulière. Il précise que l'article 39 n'a plus de raison d'être en raison de l'annulation du deuxième alinéa de l'article 13.

- SUR L'ARTICLE 40 :

 Monsieur VEDEL indique que cet article abroge une série de dispositions de l'ordonnance de 1944 qui sont remplacées par des dispositions de la loi examinée. Toutefois, l'article 9 de l'ordonnance de 1944 qui interdit le cumul sur une même tête de plusieurs publications est également abrogé. L'abrogation de cet article a pour effet "d'amnistier" Monsieur HERSANT et ses petits émules qui font actuellement l'objet de poursuites sur la base de ces dispositions. Aussi, le rapporteur estime qu'il est souhaitable de déclarer l'article 40 inséparable, ce qui pourra peut-être poser un petit problème au législateur mais ce problème c'est au législateur qu'il appartiendra de le résoudre.

Pour le reste, il fait valoir que si le Conseil suit la proposition qu'il lui fait, toutes les dispositions relatives à la transparence prévue par la loi examinée sont maintenues ainsi que, pour l'avenir, la prohibition relative à certaines modalités de concentration par achat ou contrôle avec ses sanctions pénales.

Enfin, la commission et tous ses pouvoirs d'investigation, de contrôle et d'avis reçus ou donnés sont également conservés. Il pense que le Gouvernement pourra promulguer ce qui restera de la loi et qui n'est certainement pas négligeable. A défaut, le rapporteur estime que le Gouvernement pourra aussi, s'il le souhaite, "boucher les trous" qu'il a lui-même mis "tant de coeur" à ouvrir.

Il indique au Conseil que le Gouvernement pourra également, le cas échéant, demander une nouvelle lecture aux assemblées.

Monsieur VEDEL déclare au Conseil que la décision qu'il lui propose de rendre ne peut, à ses yeux, apparaître ni comme une "farce", ni comme une "dérision". Il propose l'amputation, dans une loi difficile, de dispositions qui, en son "âme et conscience", ne lui paraissent compatibles, ni à l'Etat de droit, ni à la dignité de la France. Il pense également, mais pour sa part il y voit un bon signe, que la décision qu'il propose au Conseil de prendre ne donnera satisfaction à personne.

Monsieur le Président remercie Monsieur VEDEL pour son rapport à la fois complet, précis, très dense et qui a confirmé de manière éclatante à quel point le rapporteur maîtrisait complètement le sujet. Il n'a jamais douté, quant à lui, que la proposition du rapporteur pourrait être, ou une dérision, ou une farce. Il propose, en raison de l'heure, que le Conseil se sépare et rappelle qu'ils ont rendez-vous le lendemain à 8 h 50 à l'Eglise Saint-Sulpice pour assister aux obsèques de Monsieur Louis GROS. Il propose que les travaux soient repris au retour de cette cérémonie. Il demande également à Monsieur VEDEL si celui-ci peut suggérer au Conseil une méthode de travail.

Monsieur VEDEL souhaite que le Conseil procède à une discussion générale puis travaille ensuite sur le projet de décision. Il lui semble en effet qu'une autre méthode présenterait des difficultés en raison de l'interaction des différentes dispositions de la loi.

Les membres du Conseil approuvent cette proposition de travail.

Monsieur le Président lève la séance à 19 h 05.

La séance est reprise à 10 h 30, le jeudi 11 octobre 1984.

Monsieur le Président annonce aux membres du Conseil qu'il les retiendra, selon l'habitude, à déjeuner avec le personnel du Conseil constitutionnel. Il leur annonce que des photographes viendront prendre leur photographie à 14 heures. Il se propose donc de suspendre la séance à 12 h 45 et d'accélérer le déjeuner.

Il ouvre ensuite la discussion générale sur le rapport de Monsieur VEDEL et rappelle que le Conseil doit débattre de l'ensemble du rapport puis discuter ensuite, paragraphe par paragraphe, du projet de décision.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE déclare qu'il a été tellement intéressé en écoutant le rapport de Monsieur VEDEL qu'il n'a pas vu le temps passer. Il doit faire part au Conseil du cheminement de sa propre pensée tant sur la procédure que sur le rapport.

Les articles 6, 11, 12 et 13 de la loi lui étaient un motif d'inquiétude lors de la première lecture qui en avait été faite et il s'interroge toujours sur leur portée. Il est également réservé sur les dispositions relatives au pluralisme. Toutefois, sur ce point, sa pensée s'est affinée depuis qu'il a entendu le rapport de Monsieur VEDEL. Il pense également que, si les articles 10, 11 et 12 étaient isolés, ils seraient certainement inconstitutionnels. Il rejoint absolument l'opinion exprimée par Monsieur VEDEL quant au sort qu'il convient de réserver à l'alinéa 2 de l'article 13. Il se demande comment il pourra voter un projet qui donnera valeur constitutionnelle aux articles 10, 11 et 12 par la seule vertu de l'alinéa 1er de l'article 13. Est-ce que cette solution permettra à ceux qui liront la loi de dire que les membres du Conseil ont rempli leur tâche ?

Monsieur MARCILHACY ne veut rien rajouter à ce qu'a dit Monsieur JOZEAU-MARIGNE sur le travail fait par le Doyen. Il ne veut pas lui-même lui "envoyer des fleurs" mais il doit dire qu'il retrouve dans ce rapport toute la finesse, toute la rigueur et toute la justice qui caractérisent le rapporteur.

A l'occasion de cette affaire, il a relu le rapport que le Doyen VEDEL avait fait pour le Conseil économique et social et il est d'avis que rien de mieux n'a jamais été écrit sur ce sujet. Pour lui, il s'agit d'un problème de liberté. Les propositions du Doyen, auxquelles il finira par se rallier, ne sont cependant pas toujours ce qu'il aurait lui-même souhaité. La proposition du Doyen VEDEL consiste à reconnaître les bonnes intentions de la loi, à geler la situation actuelle pour repartir d'un bon pied.

Monsieur MARCILHACY s'interroge sur le fait de savoir si le gel de la situation actuelle est une chose satisfaisante. Il déclare qu'il se sent mal à l'aise. Lui-même est un ancien journaliste professionnel qui est devenu avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation presque par accident. Pour lui, la liberté de la presse consiste à fournir aux lecteurs des informations assez nombreuses et diversifiées. Sur ce point particulier, il souhaite voir insérer dans la décision, si cela est possible, décison qui, à ses yeux, aura beaucoup d'importance, la notion de diversité.

Monsieur VEDEL fait remarquer à Monsieur MARCILHACY qu'il a déjà fait droit dans son projet, à sa demande sur ce point particulier.

Monsieur MARCILHACY dit qu'il le sait ; il en donne acte à Monsieur VEDEL ; mais il sè permet d'insister car, pour lui, il s'agit d'une chose très importante. Il pense qu'il est difficile de défendre "une loi mal foutue". Pour lui, la liberté de la presse consiste/à privilégier, pour faire exemple, la liberté de 3 000 personnes - chiffre qu'il donne tout-à-fait arbitrairement et pour la commodité de son exemple - ou celle de 3 000 000 personnes. Les 3 000 ce sont les groupes de presse tels ceux de Monsieur HERSANT et PHILLIPACI et les 3 000 000 ce sont les lecteurs. Il ne sait pas encore dans quel sens il va se décider, mais il trouve que les propositions du rapporteur qui sont, comme d'habitude, très solides, obtiennent son adhésion "juridique" totale. Il a lui-même bien connu et souffert des pressions exercées sur la presse. Il rappelle qu'à la Libération des poursuites ont été intentées contre les journaux de la collaboration. Ces poursuites se sont étalées dans le temps. Sur le tard, le journal "La petite Gironde" a vu son cas évoqué. La famille des propriétaires CHAPIN (?) avait intérêt à passer devant le tribunal militaire plutôt que devant les chambres civiques. La famille LEMOINE qui avait un intérêt tout-à-fait contraire a tenté de faire voter une loi prorogeant, pour le seul cas de "La petite Gironde" la compétence des chambres civiques.

Lui-même qui était rapporteur au Sénat sur ce projet de loi, avait pris parti avec force contre cette "exception dans l'exception", suivant la parole du Garde des Sceaux de l'époque, Monsieur René MEYER, qui lui avait d'ailleurs donné son appui. Or, pendant les cinq années qui suivirent, le journal "Sud-Ouest", héritier de "La petite Gironde", ne mentionna jamais aucun des faits et gestes du sénateur Marcilhacy. Il pense donc qu'il n'est pas possible de ne pas légiférer.

Il estime que la loi soumise à l'examen du Conseil est une loi mal faite et il s'inquiète du fait que la proposition du rapporteur ait pour conséquence de valider les situations acquises, Il pense souhaitable de ne pas priver de bases juridiques les instances judiciaires pendantes. Il s'excuse de présenter au Conseil des propos un peu mélancoliques mais le sujet évoque pour lui sa jeunesse. Aujourd'hui, la liberté de la presse consiste à essayer de faire que les informations ne soient pas monopolisées par des pouvoirs qui ne sont pas nécessairement le pouvoir politique ou le pouvoir du Gouvernement.

Monsieur LECOURT déclare que les circonstances lui ont donné une nuit et une matinée pour méditer le rapport admirable de Monsieur VEDEL. A l'issue de cette méditation, il n'a plus d'hésitation sur l'ensemble des orientations proposées par le rapporteur. Toutefois, il est préoccupé par la conjonction des deux textes. Cette situation ne le pousse pas à proposer au Conseil une censure supplémentaire mais lui fait souhaiter une précision complémentaire. Le texte essentiel sur lequel repose tout le raisonnement c'est, à ses yeux, l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 qui garantit certes la liberté d'imprimer mais consacre également le droit de communiquer ses pensées et ses opinions. Il s'agit là d'une liberté essentielle qui, pour lui, est la base même du système démocratique sur lequel notre société est construite. En cas de conflit entre ce principe et d'autres principes de valeur constitutionnelle, il faudrait, estime-t-il, introduire, sans doute, une certaine idée de degré et faire prévaloir, d'une manière certaine, le principe de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Pour ce qui est de l'organisation du pluralisme de la presse, pris sous l'angle de la personne qui reçoit l'information, pluralité veut certainement dire aussi diversité. Il est normal que le législateur ait à coeur de l'organiser - avec toutes les difficultés que cela comporte - Le rapporteur propose de reconnaître valeur constitutionnelle au principe du pluralisme ; quant à lui, il en est d'accord ; mais, en cas de conflit entre ce principe qui passe par l'organisation matérielle de la liberté de la presse et le principe proclamé par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, il lui serait très difficile de ne pas faire prévaloir le principe de l'article 11. Or, il pense que, dans certaines hypothèses, un tel conflit peut exister.

Pour ce qui est des situations passées, Monsieur LECOURT estime que, si le législateur, au nom de la réglementation de l'organisation de la presse, ne peut porter atteinte aux situations régulièrement acquises sous l'empire d'une législation antérieure, rien ne garantit que, pour l'avenir, les barrières posées par le Conseil ne soient un jour bousculées par la modification du taux des quotas par exemple. Pour le futur, il pense qu'on peut admettre que le législateur intervienne pour prévenir des abus, mais il lui paraît toutefois nécessaire de prévoir, dans la loi, une disposition préalable prohibant tout accaparement que la liberté de la presse ne pourrait tolérer. 

Le but poursuivi par le législateur est la garantie du pluralisme des opinions. Ce but lui paraît parfaitement légitime. En conséquence, il pense que les moyens organisant le pluralisme doivent permettre d'atteindre cet objectif mais certainement pas de le dépasser. C'est là que gît sa crainte. Les quotas fixés par les articles 10, 11 et 12 sont des quotas "aveugles" que la commission, prévue aux articles 19 et 20, doit faire respecter "aveuglément".

Il estime que le législateur avait la possibilité de choisir différentes méthodes, y compris celle consistant à fixer des quotas. Mais, ce qui le préoccupe, c'est le caractère "irréfragable" de ces quotas ; c'est la brutalité de l'application de ces quotas et l'impossibilité pour la commission de les apprécier. Dans certaines hypothèses, cette application aveugle peut aller à l'encontre même de la garantie du pluralisme. Quid, par exemple, d'un petit journal local mal en point qui pourrait être acheté par un journal plus important de la même opinion. L'interdiction de concentration, dans ce cas, si les quotas sont dépassés, condamnera ce petit journal à disparaître et, paradoxalement, favorisera ou permettra l'installation locale d'un monopole par le journal adverse d'une opinion contraire. La brutalité de ces coefficients et le caractère irréfragable de leur mise en oeuvre subsistera en dépit de la censure proposée par le rapporteur des articles 19 et 20.

Sur les articles 19 et 20, Monsieur LECOURT estime que la commission va voir ses pouvoirs fondre si le Conseil suit l'avis du rapporteur. De toute manière, l'article 19 ne lui paraît pas devoir être épargné car la commission ne dispose d'aucune souplesse d'exécution. Elle est réduite au rôle d'un simple distributeur. Cette situation lui semble curieuse pour une commission aussi prestigieuse. Ceci posé, Monsieur LECOURT se demande que faire ? Il ne lui paraît pas possible de pouvoir censurer d'autres textes que ceux proposés par le rapporteur. Il pense que si le Gouvernement n'est pas averti des craintes et des inquiétudes que suscite la technique des quotas qu'il a choisis, le Conseil sera contraint de censurer une nouvelle loi qui aurait la même rigidité. Il ne lui paraît pas possible que le Conseil constitutionnel laisse passer un texte ou une disposition qui permettrait, en matière de presse, l'instauration d'un monopole local.

Monsieur SEGALAT rejoint tout-à-fait la préoccupation exprimée par Monsieur LECOURT qui est également la sienne. Ce qui est en cause, à ses yeux, c'est en effet le système des quotas. Si le Conseil le valide, il faut faire apparaître que ce système n'est pas un système qui conduit nécessairement à garantir la liberté de la presse, liberté qui est constitutionnellement garantie. Cela lui semble donc poser un problème de rédaction.

Monsieur LEGATTE se déclare moins préoccupé par les solutions proposées pour les articles 14, 19 et 20. Ce qui lui fait souci c'est le raisonnement qui sous-tend les propositions du rapporteur. Il redoute que le Conseil constitutionnel n'outrepasse ses compétences et n'empiête N'y a t-il pas une faute d'orthographe ici ? sur les prérogatives du législateur. Ce que la loi vise, pour lui, c'est la propriété des journaux. Or, à ses yeux, la propriété des journaux n'a qu'un très lointain rapport avec l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 qui est relatif à la liberté de communication de la pensée. Il a du mal à comprendre comment, voici deux siècles, les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen pouvaient penser aux entreprises de presse en liaison avec le droit à la communication des pensées. 

Pour lui, le pouvoir du Conseil constitutionnel consiste simplement à vérifier si le législateur, à l'occasion de la loi examinée, a vidé de sens le droit de propriété reconnu par l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen en matière de presse. Pour sa part, il pense que le législateur, en limitant à 15 % la possibilité d'accroître par achat la propriété d'entreprises de presse ne viole en rien le principe de la propriété.

Pour répondre à l'objection présentée par Monsieur LECOURT, Monsieur LEGATTE estime qu'il appartient au législateur d'assumer ses erreurs. Si une loi est imparfaite, tant pis pour lui ! Il lui appartiendra d'en faire une autre.

Pour ce qui est de censurer le principe des quotas, il pense qu'une telle solution ne serait admissible que dans la mesure où le Conseil pourrait établir que ces quotas vident l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de son contenu. Cela lui semble tout-à-fait impossible.

Sur la commission, il estime que les avantages fiscaux et postaux sont des avantages administratifs. S'il y a constatation d'une infraction, constat qui ne se fait qu'avec des garanties de procédure, il lui semble tout-à-fait normal que ces avantages soient supprimés. A ses yeux, il n'y a là rien d'inconstitutionnel. Pour lui, le Conseil constitutionnel doit se borner à vérifier que la suppression de ces aides financières et postales n'obéit pas à l'arbitraire et que la loi a prévu les garanties nécessaires. Il estime, quant à lui, que la loi les a abondamment prévues. En conclusion, il pense que si le Conseil accepte de se placer dans le cadre de la réglementation de la propriété des entreprises de presse, il ne lui est pas possible de censurer la loi.

Monsieur JOXE se déclare frappé par la fermeté du rapport de Monsieur VEDEL mais, au fur et à mesure que le débat se déroule, il se sent gagné par des préoccupations proches de celles exprimées par Monsieur LECOURT. Il pense qu'il serait souhaitable d'examiner dès maintenant le projet de décision, point par point, ce qui permettrait d'examiner ou de dissiper ses préoccupations.

Monsieur SIMONNET déclare prendre la parole avec appréhension au sein du Conseil. Il pense, en effet, que les membres du Conseil ont pû étudier à fonds le dossier qui leur est soumis. Il remercie Monsieur le Doyen VEDEL pour l'excellence de son rapport et se déclare d'accord avec ses conclusions. Toutefois, en ce qui concerne le titre II, il proposerait au Conseil d'aller plus loin que la proposition de Monsieur VEDEL. Il pense qu'il y a une confusion dans l'esprit du législateur entre les notions de pluralisme, de concentration et de liberté.

Pour lui, concentration n'est pas antinomique avec pluralisme. Confondre pluralisme et liberté ou concentration et liberté lui semble faux. Sa propre expérience d'homme public le conforte dans son opinion.

A la Libération, alors qu'il avait des responsabilités nationales au sein de son parti, il poussait à la concentration des différents journaux issus de la résistance. Ses amis ont refusé de le suivre. La suite fût simple : ces petits journaux locaux disparurent et les élus M.R.P. qu'ils soutenaient furent battus. D'autres furent élus, ceux-là même dont les opinions étaient soutenues par des journaux locaux.

A Marseille, la concentration a eu pour effet de sauver le pluralisme. Dans le Rhône, cinq départements n'ont qu'un seul journal. En province, la réalité des faits c'est le monopole. Aussi, pour lui, le vrai problème n'est pas celui de la concentration. La liberté de l'information lui semble largement et suffisamment garantie par la presse nationale. Monsieur SIMONNET estime que la vraie disposition sauvegardant le pluralisme se trouve dans l'article 14 qu'il est d'avis de sauver à tout prix.

Sur l'article 10, il s'excuse par avance auprès du Conseil de parler de sa région mais il doit dire que, dans ce département, les habitants ont un véritable culte des droits de l'homme. Dans cette région, en effet, à forte implantation protestante, les droits de l'homme sont une véritable religion. On y touche pas ! On les complète. Les articles 4 et 11 de la Déclaration de 1789 qui sont pour lui paroles d'évangile lui paraissent difficilement compatibles avec les articles 10 et 11 de la loi. Le fait d'acheter des journaux jusqu'à 15 % nuit-il à la liberté d'autrui ? Certes non. Seuls les abus qui consisteraient, soit en des vols, soit dans le fait d'obliger un journal à se taire, devraient être sanctionnés.

Monsieur SIMONNET constate que ce seuil de 15 % ne vise que Monsieur HERSANT ce qui lui paraît inadmissible. A ses yeux, la loi doit être générale et ne doit jamais prévoir de mesures personnelles à l'exception de celles qui confèrent la dignité de maréchal de France.

Sur l'article 10, alinéa 2 : cet article lui semble incomplet puisque Ia notion de région n'est pas définie par la loi. Il estime que cela aurait pour conséquence de donner au seul Gouvernement la possibilité de définir, par des décrets d'application, les régions. Il y aurait là une insécurité juridique inadmissible, à ses yeux.

Monsieur VEDEL lui fait remarquer qu'aucun journal ne peut échapper au jeu des quotas, que les définitions, fussent-elles données par la loi, ne permettent pas d'évasion. Par ailleurs, il n'y a pas d'ambiguité et chacun s'accorde à reconnaître qu'est locale, régionale ou départementale toute publication qui, dans l'ensemble de sa surface rédactionnelle, consacre une part majoritaire aux affaires locales. Il rappelle à Monsieur SIMONNET que, d'ailleurs, ce point n'est pas soulevé par les auteurs des saisines.

Monsieur SIMONNET déclare que, dans ces conditions, il ne souhaite pas statuer ultra petita.

Messieurs VEDEL, LECOURT et Monsieur le Président font alors remarquer à Monsieur SIMONNET que ce n'est pas un problème.

Monsieur SIMONNET se déclare rassuré par l'explication donnée par Monsieur VEDEL. Pour ce qui concerne l'article 13, alinéa 1er, il fait valoir que cet article, amputé de l'alinéa 2, devient tout-à-fait général et pourra donc s'appliquer à toutes les situations, y compris aux situations antérieures à la promulgation de la loi. Il est d'avis que le maintien de l'alinéa 2 pose un grave problème mais pense que sa séparation produit des effets qui ne sont pas moins redoutables. Il se déclare extrêmement inquiet et ne voit pas comment un juge saisi de l'application de cet article pourra refuser d'en faire application aux situations existantes. Il propose donc de déclarer inconstitutionnels les articles 10, 11, 12 et 13.

Monsieur le Président donne alors la parole à Monsieur VEDEL.

Monsieur VEDEL veut se borner à donner quelques indications générales et souhaite répondre, dans un premier temps, aux observations de Messieurs MARCILHACY et LEGATTE.

S'il considère leurs doubles propos.comme un "jugement", il déclare son accord avec le dispositif du jugement de Monsieur LEGATTE et son désaccord du tout avec ses motifs et, par contre, il approuve totalement les motifs de Monsieur MARCILHACY mais rejette son dispositif.

Il constate que Monsieur LEGATTE paraît avoir une conception plus restrictive de la compétence du Conseil constitutionnel que la sienne propre. Il ne peut pas suivre Monsieur LEGATTE dans son opposition, qui lui paraît un peu puérile, entre le droit de propriété des entreprises de presse et le régime de la liberté de la presse. Les deux choses sont intimement liées. Dans le cas contraire, en effet, la législation sur les ententes devrait suffire. Il constate qu'en dépit d'approches différentes Monsieur LEGATTE n'est, au fonds, pas totalement éloigné de ses propres convictions.

Monsieur LEGATTE précise à Monsieur VEDEL qu'il est, quant à lui, tout-à-fait favorable au maintien des quotas qui, à ses yeux, ne vident en rien le droit de propriété de sa substance.

Monsieur VEDEL déclare qu'étant voisin de siège, voisin de conclusions et voisin par d'autres traits de Monsieur LEGATTE il ne voit pas d'argument plus particulier à lui opposer en l'état de leur discussion. Par ailleurs, il se déclare ravi par les propos tenus par Monsieur MARCILHACY : "La liberté c'est d'abord la liberté des lecteurs !". Monsieur VEDEL déclare qu'il est tout-à-fait d'accord sur ce point et qu'il pense que le système exécrable des quotas appliqués à la presse régionale en France donne un véritable permis de chasse aux groupes régionaux. Il lui apparaît toutefois que la situation actuelle ne justifie pas l'arsenal qui est en train de se monter.

S'adressant ensuite à Messieurs LECOURT, SEGALAT et JOXE, Monsieur VEDEL leur déclare à quel point leurs interventions lui ont été sympathiques. Il est, à titre personnel, tout-à-fait favorable à l'instauration d'une règle qui pourrait, à partir d'une situation existante s'adapter et se moduler en fonction de l'objectif que cette règle aurait pour but d'assurer.

Mais il rappelle qu'en l'état le Conseil constitutionnel ne peut pas statuer en opportunité. Les opinions des membres divergent sur les moyens dont le Conseil constitutionnel dispose pour exercer sa mission. Est-il opportun, à l'occasion de l'examen de cette loi, d'user d'un moyen extrême qui réaliserait une des opinions, opinion qui est d'ailleurs la sienne ? Pour sa part, il pense que cela ne serait pas sage et, tout comme Saint-Paul "il ne souhaite pas bousculer ses frères". Il est d'avis que le Conseil prendrait une trop grande responsabilité en poussant le législateur à augmenter les pouvoirs juridictionnels de la commission.

Pour lui, la véritable difficulté réside dans la proposition, dubitative, de Monsieur JOZEAU-MARIGNE et, affirmative de Monsieur SIMONNET de censurer entièrement l'article 13. Leurs propositions s'appuient sur deux points. Le premier c'est la constitutionnalité des quotas et, sur ce point, Monsieur VEDEL estime que le système des quotas n'est certes pas le meilleur des systèmes ; que le but poursuivi par le législateur est légitime. A son avis, il n'est pas possible d'affirmer l'inconstitutionnalité de ce moyen.

La seconde raison soutenue par Messieurs JOZEAU-MARIGNE et SIMONNET est que l’article 13, prive de son alinéa 2, deviendrait général et trouverait à s'appliquer à des situations existant avant l'entrée en vigueur de la loi .

Il pense qu'il est possible de préciser la portée de cet article dont la simple lecture lui semble, d'ailleurs, écarter le risque d'une application rétroactive.

Il lui apparaît que le "néant" qui résulterait de la suppression de l'article 13 risquerait d'être très réellement nuisible à la liberté de la presse. Aussi imparfaite qu'elle soit, la loi lui semble offrir tout de même quelques garanties.

Monsieur le Président constate qu'il est 12 h 30 et clôt la discussion générale. Il propose, pour la suite, l'examen du projet de décision de Monsieur VEDEL, paragraphe par paragraphe, et de clore cet examen par un vote sur l'ensemble.

Monsieur LEGATTE veut intervenir sur la procédure. Il remarque qu'il y a discussion sur les articles 10 à 13 de la loi ainsi que sur les articles 19 à 20. Il remarque que Monsieur VEDEL considère comme acquise la censure du deuxième alinéa de l'article 13 et en conséquence la censure de l'article 20. Il pense qu'il serait préférable de faire voter le Conseil sur ces deux points.

Monsieur le Président répond qu'il déteste interrompre un orateur mais demande à Monsieur LEGATTE s'il ne pense pas que ces points pourraient aussi bien être examinés à l'occasion de l'examen des différents articles de la loi.

Monsieur le Président suspend la séance à 12 h 40. La séance reprend à 14 h 10 après que des photographes aient exécuté leur mission.

Monsieur le Président donne alors la parole à Monsieur VEDEL qui donne lecture du projet de décision qu'il a préparé.

Monsieur LECOURT propose au premier considérant, à la cinquième ligne, la suppression du mot "soutiennent". Il demande également si dans le dernier considérant, à la page quatre, la première phrase ne pourrait pas être supprimée ; il craint, en effet, que son maintien ne puisse faciliter une interprétation trop laxiste.

Monsieur le Rapporteur se rallie à cette opinion.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE s'interroge sur l'opportunité, au premier considérant, à la page quatre, de la ligne cinq.

Monsieur VEDEL lui répond qu'il s'agit d'une mention essentielle et que dans le cas contraire, l'article 44 de la Constitution aurait été violé.

Monsieur SEGALAT pense que la difficulté tient au choix du mot "irrecevable" et suggère de le remplacer par le mot "rejeté".

Monsieur le Rapporteur donne son accord à cette opposition.

Cette première partie du projet de décision ainsi modifiée est adoptée à l'unanimité par le Conseil.

Sur l'article 2 :

Monsieur VEDEL donne lecture de l'article 2 ainsi que de la réponse rédigée dans le projet de décision.

Monsieur SEGALAT propose l'adjonction des mots "d'une part".

Monsieur VEDEL donne son accord à cette proposition.

Le Conseil adopte, à l'unanimité, cette partie de la décision ainsi modifiée.

Sur les dispositions du titre I :

Monsieur MARCILHACY s'interroge sur le sens des mots "sources d'information" contenus au deuxième considérant, à la douzième ligne. Il souhaite la suppression du mot "sources".

Monsieur LEGATTE suggère de supprimer l'explication, du fait que le pluralisme garantit la diversité. Il se déclare, d'une manière générale, hostile à la pratique du Conseil, de faire un cours à chaque phrase.

Monsieur VEDEL répond qu'il n'est pas convaincu par la proposition de Monsieur LEGATTE.

Monsieur le Président déclare qu'en ce qui le concerne, il est partisan du maintien de l'explication qui a pour effet de donner une espèce "de cours d'instruction civique" qui ne lui paraît pas superflu.

Monsieur VEDEL dans un souci de compromis propose de remplacer le mot "sources" par celui de "moyens".

Le Conseil, à l'unanimité, acquiesse à cette proposition.

En ce qui concerne les articles 3 et 26 :

Monsieur SIMONNET suggère dans le troisième considérant, l'emploi du conditionnel à la place de celui du futur.

Le Conseil se rallie à cette proposition.

En ce qui concerne les articles 4 et 27 :

Monsieur MARCILHACY propose, au dernier paragraphe, de la page neuf, la suppression des mots "malgré leur généralité".

Monsieur VEDEL s'oppose tout à fait à cette proposition et fait remarquer que le mot "général" peut être tout à fait précis.

Monsieur le Président constate que le Conseil n'a pas d'opposition à l'adoption de la partie de la décision relative aux articles 4 et 27.

En ce qui concerne l'article 5 :

Cette partie de la décision est adoptée à l'unanimité par le Conseil qui supprime toutefois, dans le troisième considérant, le mot "y".

La partie de la décision relative aux articles 6 et 28 et 8 et 30 est adoptée à l'unanimité.

Sur les dispositions du titre II :

Monsieur SIMONNET souhaite voir supprimer, à la page quatorze, au paragraphe un, les mots "arbitrage souverain" et propose de les remplacer par les mots "liberté de choix". Il désire également, qu'à la page treize, après la citation de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, le Conseil cite également l'article 4 de la même déclaration. Il propose aussi que le troisième considérant soit placé immédiatement après cette citation et que le troisième considérant soit lui-même suivi par le deuxième.

Monsieur VEDEL exprime son désaccord absolu à cette proposition. Il fait valoir, d'une part, que par paresse, il ne souhaite pas réécrire l'ensemble de son projet, mais que, principalement, il ne voit pas du tout ce que l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen viendrait rajouter à l'affaire. Il lui semble que l'article 4 a déjà un bien grand champ d'application et il ne lui apparaît pas nécessaire d'en rajouter un autre.

Monsieur MARCILHACY se déclare extrêmement touché par les termes employés par le Doyen. Il suggère de rajouter, page quatorze, dans le deuxième considérant, après le mot "pluralisme", celui de "diversité".

Monsieur VEDEL se déclare réticent à cette proposition car il pense qu'elle pourrait laisser entendre que diversité et pluralisme ne sont pas synonimes. Toutefois, il accepte la proposition de Monsieur MARCILHACY.

Monsieur SEGALAT intervient pour faire valoir que la diversité peut porter uniquement sur la forme et non pas sur le fond.

Monsieur VEDEL accepte de faire droit à la première suggestion de Monsieur SIMONNET et donne son accord au remplacement des termes "arbitrage souverain" par ceux de "libre choix".

Monsieur LEGATTE déclare qu'à son avis, ce qui est en jeu à titre principal, c'est soit la propriété des entreprises de presse, soit la liberté de communication des pensées. Il s'interroge sur le point de savoir si ce qui est en cause est une liberté économique ou la liberté de la presse. Il demande si la décision du Conseil doit s'appuyer sur l'article 4 ou sur l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ?

Monsieur VEDEL lui répond que ce qui est manifestement en cause, c'est la liberté de la presse. S'il s'agissait d'une liberté économique, il pense que Monsieur LAGATTE devrait être tout à fait rassuré car il existe déjà une législation en ce domaine.

Monsieur LEGATTE demande au Président de faire voter le Conseil sur ce point. Il pense que de bonne foi, le législateur a pu se tromper et croyant faire une loi sur une liberté économique l'a faite, en fait, sur la liberté de la presse. Il ne pense toutefois pas que l'erreur éventuelle du législateur suffirait à rendre la loi inconstitutionnelle.

Monsieur MARCILHACY est d'avis qu'il peut y avoir une opposition entre la liberté économique et la liberté de la presse. Mais dans ce cas, ce qui prévaut, à ses yeux, c'est évidemment la liberté de la presse.

Monsieur le Président soumet au vote du Conseil le point de savoir si la philosophie générale de la décision du Conseil se fonde sur la base de l'article 4 ou sur celle de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

Monsieur SIMONNET intervient pour déclarer qu'en ce qui le concerne, il estime qu'il convient de s'appuyer à égalité sur ces deux articles. Il convient de distinguer dit-il tant pour l'article 4 que pour l'article 11 les bornes des abus. Il supplie le Conseil de ne pas le forcer à choisir entre l'article 4 et l’article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Il demande donc que le vote ne porte que sur le point de savoir si la loi examinée réglemente le droit de propriété ou la liberté de la presse.

Monsieur le Président répond à Monsieur SIMONNET qu'il comprend mal sa position. Il lui fait remarquer que l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen s'applique indifféremment à toutes libertés et qu'il est lui-même constitutif d’une liberté.

Monsieur MARCILHACY s’interroge sur la répercussion qu'aura le vote du Conseil sur l'article 4 ou l'article 11 de la Déclaration de 1789.

Monsieur LEGATTE lui répond que si l'article 4 l'emporte, la loi examinée par le Conseil ne pourra être censurée que dans la mesure où le Conseil estimera qu'elle vide le droit de propriété de son sens. Il estime, en effet, que la liberté de la presse garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789 est plus protégée, ou est protégée d'une manière plus forte, que ne l'est le simple droit de propriété.

Monsieur VEDEL déclare qu'il ne partage pas du tout cette opinion. Il estime quant à lui qu'il y a un bloc de constitutionnalité qu'il convient de concilier et d'aménager, que ce bloc comprend la Constitution ainsi que les droits et libertés qu'elle garantit et protège. Il pense que le Conseil n'a pas à choisir ou à trier à l'intérieur de ce bloc. Il déclare que lorsque le Conseil se situe dans le cadre de la Constitution il est comme dans un sanctuaire et qu'il n'est que le prêtre de la Constitution. Il n'a pas à se saisir au passage d'une liberté ou d'une autre, il doit se maintenir constamment dans le cadre du respect des droits constitutionnellement garantis aux français.

Monsieur le Président soumet au vote du Conseil la formulation de Monsieur LEGATTE à savoir : la décision du Conseil est-elle sous-tendue principalement par l'article 4 ou par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789. Le Conseil décide à l'unanimité moins une voix, de suivre le raisonnement du rapporteur en s'appuyant principalement sur l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (liberté de la presse).

Monsieur SEGALAT propose, à l'alinéa 2 du deuxième considérant, à la page treize, la suppression des mots "termes particulièrement vigoureux".

Monsieur MARCILHACY fait valoir qu'il ne partage pas cette proposition et qu'il regretterait la suppression de ces termes.

Monsieur VEDEL donne son accord à la suggestion de Monsieur SEGALAT.

Monsieur LEGATTE propose, page treize, deuxième considérant, la suppression des mots "communication" et de "la liberté de parler, écrire et imprimer".

Monsieur le Président fait remarquer à Monsieur LEGATTE qu'il essaie, par ce moyen, d'annuler le vote qui a été pris contre son opinion.

Monsieur SIMONNET propose,dans le même considérant, le remplacement du mot "législateur" par celui de "loi".

Monsieur MARCILHACY s'oppose absolument à la proposition de Monsieur SIMONNET.

Monsieur VEDEL fait valoir que les mots "la loi” et "le législateur" sont synonimes n'y a-t-il pas une faute à "synonimes"? et que l'on choisit l'un ou l'autre suivant l'usage et, il s'en excuse auprès de Monsieur SIMONNET, selon le bon usage.

Monsieur SEGALAT propose, page treize, troisième considérant, la suppression des mots "souveraineté nationale".

Monsieur VEDEL lui déclare qu'il regretterait vivement cette suppression. Qu’à ses yeux, l'exercice sans contrainte de la souveraineté nationale est conditionné par la liberté de la presse. Toutefois, sur ce point, il s'en rapporte à la sagesse du Conseil.

Monsieur le Président dit que dans un premier temps, il a été sensible et convaincu par Monsieur SEGALAT, mais qu'après la déclaration chaleureuse de Monsieur VEDEL sur la souveraineté nationale, il se rapproche maintenant de l'opinion du rapporteur.

Monsieur SEGALAT renonce à son amendement. Toutefois, page quatorze, douzième ligne, il demande la suppression des mots "ni que l'on puisse disposer d'eux comme de marchandises" qui lui semblent redondants et dont le sens profond lui échappe.

Monsieur VEDEL répond qu'il ne lui apparaît pas indifférent que le Conseil constitutionnel marque qu'il n'est pas permis aux entrepreneurs de presse de "s'entendre comme cochons en foire et d'acheter des lecteurs comme des choses".

Monsieur MARCILHACY défend vivement la rédaction du projet qui a fait dit-il "vibrer sa fibre de journaliste".

Monsieur VEDEL s'en rapporte toujours à la sagesse du Conseil.

Monsieur JOXE demande en quoi le maintien causer une gêne.

Monsieur SEGALAT lui répond que ce qui le gêne c'est le mot "dispose".

Monsieur MARCILHACY se déclare fermement partisan du maintien de la rédaction.

Monsieur VEDEL dans un souci de compromis propose la formulation "puisse en faire les objets d'un marché".

La rédaction ainsi modifiée est adoptée à l'unanimité par le Conseil.

En ce qui concerne les article 10, 11 et 12

Monsieur JOZEAU-MARIGNE fait valoir que selon la rédaction du projet les articles 10, 11 et 12 ne sont constitutionnels que par référence à l'article 13. La discussion de l'article 13 lui semble donc un préalable nécessaire et il demande qu'il soit délibéré en premier lieu sur ce dernier article.

Monsieur le Président propose donc au Conseil de réserver l'examen des articles 10, 11 et 12 et de procéder à l'examen immédiat du dernier alinéa de l'article 13.

Monsieur SEGALAT dit éprouver un certain malaise devant la rédaction proposée. Il pense qu'il est préférable de mettre par écrit le résultat d'une réflexion et non pas les différentes phases par lesquelles le raisonnement du rédacteur passe. Il lui semble donc préférable pour la clarté du raisonnement, sa fermeté et son impact, de rédiger immédiatement le sens dans lequel le Conseil estime qu'il faut interpréter les articles litigieux.

Monsieur VEDEL déclare qu'il ne veut pas donner le sentiment au Conseil de défendre une rédaction. Mais il est d'avis que le projet de rédaction proposé par Monsieur SEGALAT aura pour effet de trahir la pensée profonde du Conseil. Par ailleurs, il pense qu'il est préférable de faire clairement comprendre au législateur, au Gouvernement où se trouve le risque d'inconstitutionnalité.

Monsieur le Président constatant qu'il est 16 heures suspend la séance.

A 16 h 20 la séance est reprise. Monsieur le Président propose au Conseil de discuter globalement de la rédaction du projet relatif aux articles 10, 11, 12 et 13.

Monsieur le Rapporteur donne alors lecture au Conseil de la sous-partie du projet de décision relative à ces articles.

Monsieur LEGATTE pense, que, par la rédaction choisie au deuxième considérant de la page 18, Monsieur VEDEL s'oppose à la volonté du Parlement. Qu'en fait, il substitue sa propre appréciation à celle du législateur. Il estime donc que ce moyen du raisonnement doit être absolument écarté.

Monsieur MARCILHACY se déclare gêné par la proposition consistant à geler la situation existante. Au deuxième considérant de la page dix-sept les mots "illéglement acquise" lui pose un problème. Il se demande si le Conseil peut ne pas prendre en compte le fait que les tribunaux régulièrement saisis aient leur mot à dire.

Monsieur VEDEL fait remarquer à Monsieur MARCILHACY que son projet de décision, dans le troisième considérant, fait précisément droit à sa judicieuse observation. Il pense que la décision est parfaitement claire.

Monsieur SIMONNET s'écrit que ce qui fait problème c'est que la loi est rétroactive. Ce qui est contraire, à son avis, à toute sécurité juridique.

Monsieur VEDEL lui répond que la rétroactivité de la loi n'est pas en matière civile un motif d'inconstitutionnalité. Par ailleurs, il lui fait valoir que le législateur a été si prudent qu'il n'a prévu aucune pénalité à l'encontre d'un groupe qui maintiendrait une position dominante même après la publication de la loi. Ce qui lui semble par contre critiquable, en matière de liberté publique, c'est l'atteinte portée aux droits acquis par l'exercice régulier d'une liberté constitutionnellement garantie. Il lui semble sans doute nécessaire de prendre des mesures pour garantir le pluralisme dans l'avenir mais, à ses yeux, la situation actuelle du pluralisme de la presse en France, ne peut pas jusifier une atteinte aux drôits acquis.

Monsieur le Président met aux voix le projet du rapporteur relatif à l'alinéa 2 de l'article 13 de la loi. La rédaction est adoptée à l'unanimité moins une voix (celle de Monsieur LEGATTE) et une abstention (celle de Monsieur MARCILHACY).

Monsieur le Président met alors au vote le projet de décision relatif au premier alinéa de l'article 13. Cette partie de la décision est adoptée à l'unanimité moins deux abstentions (celles de Messieurs SIMDNNET et JOZEAU-MARIGNE).

Le Conseil passe alors à la décision relative aux articles 10, 11 et 12.

Monsieur VEDEL propose au Président de suspendre la séance afin d'essayer de rédiger un texte tenant compte des observations présentées précédemment par Monsieur SEGALAT.

Monsieur SEGALAT déclare que les modifications de style déjà acceptées par le Conseil lui donne entièrement satisfaction.

Monsieur SIMONNET suggère la substitution dans le deuxième considérant de la page quinze des mots "pris isolément" à ceux de "sens litéral".

La rédaction du rapporteur relative aux articles 10, 11 et 12 est adoptée par le Conseil par six voix et trois abstentions (Messieurs SIMONNET, JOZEAU-MARIGNE et LECOURT).

En ce qui concerne les articles 14 et 33

Monsieur le Président propose de supprimer, au deuxième considérant de la page vingt et un, les mots "un citoyen" et de les remplacer par le mot "quiconque".

Monsieur MARCILHACY déclare que si le Gouvernement pense que la disposition prévue à cet article est efficace "on devrait lui apprendre que le Père Noël ne passe pas le 24 décembre".

Le projet de rédaction sur ce point est adopté à l'unanimité par le Conseil.

Sur l'article 15 et sur les dispositions du titre III :

Monsieur MARCILHACY se déclare choqué par les dispositions de l'article 19 qui donne des pouvoirs de sanction à la commission. Par contre il n'est pas choqué par le fait que la commission constatant une irrégularité, ce constat ait pour conséquence la suppression d'avantages. Il fait valoir que ces avantages, la presse a jadis mendier pour les obtenir. Elle y voyait une condition de sa survie. Toutefois il s'agit tout de même d'avantages. Contrairement à certains de ces collègues, leur suppression dans le cas de situations irrégulières, ne le heurte pas. Il s'agit de "gracieusetés" faites à la presse, qui sont certes nécessaires, mais il ne s'agit tout de même que de "gracieusetés".

Monsieur VEDEL indique au Conseil qu'en 1982 le montant de ces avantages était supérieur à quatre milliards de francs.

Monsieur LEGATTE estime que les garanties de procédure prévues par les articles 19 et 20 de la loi sont largement satisfaisantes. Il indique au Conseil qu'au moment du vote, il votera donc pour la conformité de ces articles à la Constitution.

Monsieur LECOURT propose au Conseil une rédaction qui prend en compte les préoccupations qu'il a exprimé le matin même sur les pouvoirs de la commission. Il propose pour le premier considérant de la page 27 un amendement rédactionnel qui consiste à décrire le mécanisme de fonctionnement de la commission et à faire apparaitre que le rôle de cette commission est limité à la constatation du dépassement des quotas.

Monsieur VEDEL déclare comprendre et partager l'opinion de Monsieur LECOURT. Toutefois, il pense nécessaire de conserver une logique d'analyse. Dans le projet qu'il a rédigé, la commission est condamnée puisqu'elle délivre des autorisations préalables. Il lui semble donc très difficile dans la même rédaction d'apparaître regretter que cette commission n'ait pas plus de pouvoir. Il craint que la proposition de Monsieur LECOURT ne fasse en fait référence à un autre système, à une autre loi que celle examinée par le Conseil. Il craint que cette "incise" ne soit pas comprise.

Monsieur LECOURT ne se dit pas entièrement convaincu par l'observation de Monsieur VEDEL. Il ne voit pas à quel autre endroit du projet de décision la proposition qu'il soutient pourrait trouver sa place.

Monsieur VEDEL propose alors une rédaction de compromis que Monsieur LECOURT accepte.

Monsieur MARCILHACY souhaite vivement qu'il soit bien précisé que la commission n'est pas compétente pour donner des injonctions. Il estime en effet que la liberté des Hommes consiste également à "pouvoir se vautrer dans l'illégalité quitte en assumer les conséquences".

Monsieur le Président soumet alors au vote du Conseil le projet de décision relatif aux articles 19 et 20. Le projet du rapporteur modifié ainsi qu'il a été dit est accepté à l'unanimité moins une voix contre (celle de Monsieur LEGATTE) et une abstention (celle de Monsieur MARCILHACY).

En ce qui concerne l'article 21 :

La rédaction du rapporteur est adoptée à l'unanimité.

En ce qui concerne l'article 22 :

Monsieur SEGALAT s'interroge sur la compatibilité du projet de rédaction du deuxième considérant, à la page 30, relatif aux perquisitions domiciliaires avec la décision rendues précédemment par le Conseil constitutionnel sur les perquisitions domiciliaires autorisées à l'administration fiscale. Il fait valoir que dans certaines entreprises, le domicile et le siège social de l’entreprise peuvent être confondus. Aussi suggère-t-il la suppression des phrases qui suivent le mot "qu'enfin".

Monsieur MARCILHACY lui fait remarquer qu'il est assez rare qu'un imprimeur établisse son domicile dans son imprimerie.

Monsieur SEGALAT répond que ce qui lui paraît grave c'est que le Conseil puisse se lier pour l'avenir par une définition de l'entreprise.

Monsieur VEDEL donne son accord à la suggestion faite par Monsieur SEGALAT.

Monsieur le Président propose de remplacer le mot "suppose" par le mot "implique".

Le projet de rédaction relatif à l'article 22 ainsi modifié, ainsi que la rédaction relative aux articles 23 et 32 et relative au titre IV et V de la loi sont adoptés à l'unanimité. Les autres dispositions du projet de décision sont adoptées de la même manière.

Monsieur le President remercie le rapporteur et met aux voix l'ensemble du projet de décision tel qu'il est lu par Monsieur VEDEL. Le projet ainsi amendé est adopté à l'unanimité.

Monsieur le Président remercie à nouveau le rapporteur pour son travail et plus particulièrement pour le fait de l'avoir associé à sa démarche.

A l'adresse de Monsieur SIMONNET, il déclare qu'heureusement le Conseil constitutionnel ne connaît pas toujours de séance aussi longue et aussi difficile.

Monsieur SIMONNET répond qu'il a été si vivement intéressé par ces délibérations qu'il est prêt à continuer à siéger.

Monsieur le Président le remercie et lui déclare qu'il pourra dire à celui qui l'a nommé que cette décision relative à la loi sur la presse a été adoptée, après de larges débats, à l'unanimité et qu'au Conseil constitutionnel se ne sont pas des motifs de politique partisanes qui font le partage des voix.

Monsieur SIMONNET répond qu'il ne lui sera pas possible, sans violer le secret des délibérés de parler précisément de la décision du Conseil relative à la loi sur la presse.

Messieurs SEGALAT et JOZEAU-MARIGNE l'appuient sur ce point.

Monsieur SIMONNET déclare cependant qu'il attestera de la hauteur de vue et de la profondeur des délibérations du Conseil, et du fait que ses membres ne sont mus que par l'intérêt de la Nation et de la France.

Monsieur MARCILHACY regrette que le Conseil constitutionnel n'ait pas dit de manière plus ferme que les pouvoirs d'injonction de la commission étaient inconstitutionnels.

La séance est levée à 17 h 30.

Cette délibération contient des annexes.

Il y a également un tableau présent dans les annexes et je ne sais pas, étant donné qu'il fait partie des annexes, si je dois le mentionner par la balise <table> ?

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.