SEANCE DU 5 MARS 1986
La séance est ouverte à 10 heures, tous les membres étant présents.
Monsieur Robert BADINTER, Président, constate tout d'abord que maintenant qu'il a prêté serment il peut "opérer comme président". Il rend hommage au président Daniel MAYER et se dit sensible à l'honneur qui lui est fait en lui succédant. Il sait ce qu'il a fait au cours des années passées où les travaux du Conseil constitutionnel se sont déroulés dans un climat d'amitié. C'est dans ce même esprit, attaché à préserver ce climat d'amitié qu'il assurera ses fonctions. Conformément à la tradition, il rend également hommage à MM. Robert FABRE et Maurice-Réné SIMONNET.
Monsieur le Président donne ensuite lecture d'un extrait d'une lettre adressée par Monsieur BIDALOU au Conseil constitutionnel, lettre dans laquelle ce dernier conteste la nomination du Président du Conseil constitutionnel. Il indique qu'il va transmettre cette lettre, à toutes fins utiles, au Gardes des Sceaux, Monsieur CREPEAU.
Monsieur le Président demande ensuite à Monsieur NGUYEN HUU de procéder au tirage au sort des trois sections chargées de l'instruction des requêtes électorales. A la suite de ce tirage au sort, les sections sont ainsi composées :
Première section : MM. BADINTER, FABRE et SIMONNET
Deuxième section : MM. LECOURT, VEDEL et MARCILHACY
Troisième section : MM. JOXE, MAYER et JOZEAU-MARIGNE
Monsieur le Président donne alors la parole à Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE afin qu'il présente son rapport sur les éventuelles modifications à apporter au règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE, rapporteur, évoque, tout d'abord, pour s'en réjouir, les relations amicales qu'il entretenait avec Monsieur Robert BADINTER, Gardes des Sceaux, ministre de la Justice, alors que lui-même présidait la commission des lois du Sénat.
Le rapporteur, indique ensuite au Conseil que le Président Daniel MAYER avait estimé utile qu'une réflexion soit menée, avant les élections, sur les problèmes que l'introduction du scrutin de liste à la représentation proportionnelle pourrait éventuellement poser en ce qui concerne la procédure suivie par le Conseil pour le contentieux des élections législatives. Le Président l'avait chargé de mener cette réflexion et, le cas échéant, de rapporter devant le Conseil.
Le rapporteur rappelle ensuite les textes qui fondent la compétence du Conseil dans le domaine du contentieux de l'élection des parlementaires. Il cite l'article 59 de la Constitution et le chapitre VI du titre II de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 relatif au contentieux de l'élection des députés et des sénateurs. Il décrit le déroulement de la procédure devant le Conseil et précise le rôle des sections ainsi que celui des dix rapporteurs-adjoints.
Le rapporteur donne lecture de l’article 56 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 en application duquel le Conseil a édicté le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs. Il souligne que ce règlement, publié au Journal officiel du 31 mai 1959, n'a pas été modifié depuis. Rédigé pour le contentieux d'élections faites principalement au scrutin uninominal, il note que ce règlement a permis, sans trop de difficulté, de traiter le contentieux, peu important, des élections sénatoriales au scrutin de liste à la représentation proportionnelle.
S'agissant des lois du 10 juillet 1985 qui posent le principe selon lequel les élections législatives auront désormais lieu au scrutin de liste, le rapporteur indique qu'elles ont été insérées dans le code électoral. Il donne lecture de l'article L. 123, article qui fixe le mode de scrutin.
Ce rappel des textes effectué, le rapporteur informe le Conseil qu'il a réuni, avec le secrétaire général, les rapporteurs-adjoints pour s'entretenir avec eux des incidences du nouveau mode de scrutin sur l'instruction des dossiers contentieux.
Il expose qu'à côté des problèmes de procédure, il y a des problèmes de fond et qu'il est important, avant les élections, de voir les problèmes de fond qui sont susceptibles de se poser pour
Ouvrant enfin une parenthèse, il expose au Conseil que les lois du 10 juillet 1985 ne semblent pas avoir réglé tous les problèmes de fond, dès lors que certaines dispositions, proposées par le Gouvernement ont été supprimées par l'Assemblée nationale, au motif que leur adoption, s'agissant de dispositions organiques susceptibles de s'appliquer au Sénat, aurait requis le vote dans les mêmes termes des deux assemblées.
L'adaptation du règlement au nouveau mode de scrutin semble nécessaire puisque désormais ce n'est plus l'homme, le député, qui a vocation à siéger à l'Assemblée nationale, qui est en cause, mais des listes de candidats. Par ailleurs, une remise en ordre est également nécessaire pour tenir compte du changement de statut de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Enfin, un toilettage est proposé pour qu'aux références au Code de procédure civile soitent substituées des références au nouveau Code de procédure civile.
Le rapporteur invite alors le Conseil à examiner ses propositions qu'il a fait figurer dans un tableau comparatif mis à leur disposition avec le projet de décision.
S'agissant de l'article premier, plusieurs modifications sont proposées. A l'alinéa premier, la possibilité de contester l'élection de plusieurs membres du Parlement d'une circonscriptions déterminée est ouverte ; à l'alinéa 2, il est proposé d'introduire la notion de "collectivité territoriale" ; enfin, au troisième alinéa, il est fait référence au nouveau Code de procédure civile.
Le Président ouvre la discussion sur l'article premier.
Monsieur VEDEL considère, avec le rapporteur, qu'il convient de modifier le texte actuel du règlement, surtout si l'on tient compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis sa decision du 11 juin 1981, dite "décision Delmas', où le Conseil a accepté d'être saisi avait même l'élection. Ainsi donc l'expression "Seule l'élection peut être contestée" doit être modifiée et l'adjectif "seule" doit être supprimé. Pour le reste, il est d'accord pour permettre que le requête porte sur la contestation de l'élection de plus d'un élu.
Monsieur SIMONNET s'interroge, pour sa part, sur l'opportunité d'insérer les mots : "d'une circonscription déterminée". Il se demande comment ce texte s'appliquera à l'élection des sénateurs représentant les français de l'étranger.
Monsieur le rapporteur estime, avec Monsieur VEDEL, que lorsqu'une jurisprudence est créée, il faut effectivement des raisons de poids pour la renverser. Ainsi, il se prononce pour la suppression de l'adjectif "seule". Répondant à Monsieur SIMONNET, il lui indique que la rédaction a été retenue parce qu'elle lui paraissait adaptée au code électoral qui fait du département la circonscription électorale. Cependant, il reconnaît que cela peut poser problème et constate que Monsieur SIMONNET est le digne remplaçant de Monsieur GROS qui représentait au Sénat les français de l'étranger.
Monsieur le Président se demande s'il y a intérêt à conserver cette expression restrictive.
Monsieur MAYER demande pourquoi cette précision a été apportée.
Monsieur le rapporteur indique que c'est pour tenir compte de la nouvelle rédaction de l'article L. 123 du code électoral, mais qu'il est d'accord pour ne pas l'introduire.
Monsieur LECOURT, intervenant sur l'alinéa 2, se demande s'il n'est pas possible de supprimer l'énumération qui résulte des propositions du rapporteur.
Monsieur le rapporteur répond qu'il propose cette modification, parce que lorsqu'il était parlementaire, il avait eu à résoudre un problème semblable à propos de Mayotte. Il ajoute que l'érection de Saint-Pierre-et-Miquelon en collectivité territoriale rend cette adaptation encore plus nécessaire. S'agissant des termes choisis, il expose qu'il s'est borné à reprendre le texte des articles 3 et 4 de la loi n° 85-689 du 10 juillet 1985 relatifs à l'application du code électoral aux territoires d'outre-mer et aux collectivités territoriales. Il donne lecture de ces articles et précise qu'il lui paraît nécessaire de rester dans le cadre des lois en vigueur.
Monsieur LECOURT fait observer que sa remarque était de pure forme et s'incline devant l'argumentation du rapporteur.
Monsieur SIMONNET, après avoir souligné que les français de l'étranger pourraient s'adresser directement au Conseil, estime que la proposition du rapporteur améliore le texte.
Monsieur le Président souligne que la précision est plus grande. Il estime de plus, s'agissant des territoires d'outre-mer où l'on est d'une grande sensibilité en ce qui touche aux institutions, que cette précision est opportune.
Monsieur SIMONNET, s'agissant de l'actualisation des références faites à l'article 1033 du Code de procédure civile, demande confirmation de l'intitulé du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur le Président confirme qu'il s'agit bien du nouveau Code de procédure civile.
Il soulève ensuite une question de style. Convient-il au premier alinéa de maintenir l'expression : "L'élection d'un ou de membres du Parlement" ? Après une intervention de Monsieur VEDEL, Monsieur le Président propose de lui substituer l'expression : "L'élection d'un ou de plusieurs membres du Parlement".
Aux termes de l'examen de l'article premier, le Conseil retient donc les propositions du rapporteur, sous réserve, au début du premier alinéa de substituer à l'expression : "Seule l'élection d'un ou des membres du Parlement d'une circonscription déterminée peut être contestée", l'expression : "l'élection d'un ou de plusieurs membres du Parlement peut être contestée".
EXAMEN DE L'ARTICLE 2Monsieur le rapporteur expose que la modification proposée découle de celle adoptée à l'article premier pour l'adoption du règlement aux territoires d'outre-mer et aux collectivités territoriales.
Un débat, auquel participent Messieurs LECOURT, MARCILHACY, VEDEL, SIMONNET et Monsieur le Président, s'engage sur le point de savoir s'il n'est pas préférable de parler "de représentant de l'Etat dans le territoire ou dans la collectivité territoriale" plutôt que "du représentant de l'Etat, du territoire ou de la collectivité territoriale". Au cours de ce débat, la question de savoir s'il convient de modifier le mot "préfet" comme celle de savoir si une expression générique, du type "la circonscription" ne serait pas plus simple qu'une longue énumération sont aussi soulevées.
EXAMEN DE L’ARTICLE 3Monsieur le rapporteur donne lecture des deux modifications proposées à cet article. Au premier alinéa, il expose qu'il s'agit d'une coordination avec l'article premier.
S'agissant du deuxième alinéa, il précise que le seul changement consiste à substituer aux mots : "tierce personne", les mots "toute personne", dès lors que plusieurs requérants peuvent choisir l'un d'eux pour les représenter ou les assister dans les actes de la procédure autres que la signature de la requête.
Il expose ensuite comment il a été conduit à traiter de la question de la représentation. Après avoir rappelé que plusieurs dispositions du code électoral prévoyaient la représentation des listes par la tête de liste ou son mandataire pour un certain nombre d'opérations (déclaration de candidature, cautionnement, participation aux travaux de la commission de propagande et à ceux de la commission de recensement des votes), il expose que la représentation, en l'absence de texte, ne pouvait pas être imposée au contentieux. Aussi ses propositions se
bornent-elles à permettre, dans des conditions précises, la représentation des seules personnes qui le désireraient. Le rapporteur indique que sa démarche a été guidée par le souci de donner le plus de possibilités aux intéressés.
Monsieur MARCILHACY considère que la question de la représentation est une question très délicate. Autant il se déclare favorable à l’assistance, autant il est opposé à la représentation. De plus avec le nouveau mode de scrutin, il constate, dans un département comme les Bouches-du-Rhône, (16 élus et au moins cinq listes) qu’un nombre important de personnes vont avoir vocation à être représentées. Ainsi, il peut y avoir des problèmes qui vont naître de cette représentation.
A la demande de Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général indique que jusqu'à présent, il n'y a pas eu de problèmes consécutifs à la représentation, qui nécessite toujours un acte écrit.
Monsieur le rapporteur rappelle que la représentation des élus fait l’objet de l'article 9. A l'article 3, il s'agit seulement de celle des requérants et, pour lui, il ne devrait pas y avoir de problèmes particuliers.
Monsieur MARCILHACY souligne que si le règlement permet d'organiser une bonne représentation, ce sera très bien mais il craint que l'instruction devienne très compliquée.
Monsieur VEDEL estime que pour simplifier, la requête collective est de loin la meilleure et que, de toute façon, il faut laisser les gens faire comme ils veulent.
Monsieur le rapporteur souligne que la modification qu'il propose n'est qu'une coordination résultant de l'article premier.
Un débat s’engage alors où interviennent Monsieur le Président et Messieurs SIMONNET, MAYER, FABRE, VEDEL et LECOURT sur le point de savoir si la représentation peut être effectuée par une personne morale. Monsieur le rapporteur voit bien la difficulté et s'en remet à la sagesse du Conseil, pour qui seule une personne physique peut représenter un requérant.
Monsieur le Secrétaire général indique que le problème est réel mais que le Conseil pourrait se trouver confronter à des cas de figure de ce type. Monsieur Untel demande à Monsieur Georges Marchais de le représenter "ou" Monsieur Untel demande à Monsieur le Secrétaire général du Parti communiste français de le représenter : que ferait alors le Conseil ?
Monsieur LECOURT et Monsieur le Président s'interrogent alors sur l'utilité qu'il y aurait à compléter le deuxième alinéa de l'article 3 en faisant préciser les noms, prénoms, adresse, qualité et profession du représentant, afin de bien faire ressortir que le représentant doit être une personne physique.
Monsieur le Président propose, pour finir, de seulement substituer aux mots "toute personne", les mots "la personne", et de s'en tenir pour le reste à la rédaction du rapporteur étant entendu que si la question de la représentation par une personne morale se posait, le Conseil prendrait alors position.
ARTICLES 4 à 8
Le rapporteur expose que les articles 4 à 8 n'ont pas fait l'objet de modification. S'agissant de l'article 6, il indique que seul le nom des personnes visées par les requêtes sera communiqué à l'Assemblée nationale, toute requalification des requêtes pouvant conduire à préjuger des décisions du Conseil.
ARTICLE 9Monsieur le rapporteur donne lecture des modifications proposées pour cet article et indique qu'il compte apporter une rectification de pure forme au texte soumis au Conseil en substituant aux mots : "a ou aux membres" les mots : "à celui ou à ceux des membres".
Monsieur MAYER interroge le rapporteur sur le fait que l'on ne vise plus les seuls
Monsieur le rapporteur ainsi que Messieurs VEDEL et MARCILHACY indiquent que cette modification tient au scrutin de liste. Pour ne pas préjuger, il convient d'inviter tous les élus susceptibles de voir leur siège mis en cause, à présenter leurs observations.
S'engage ensuite un débat sur l'expression "élus à l'occasion de l'élection". A l'issue de ce débat où interviennent Messieurs LECOURT, MARCILHACY, VEDEL, MAYER, Monsieur le Président et Monsieur le rapporteur, l'expression "élus par le même scrutin dans la circonscription concernée"
Par coordination, Monsieur le rapporteur propose de substituer aux mots "toute personne" les mots "la personne". Il expose enfin qu'au dernier alinéa, l'essentiel réside non dans la modification de la première phrase, mais dans le maintien du texte actuel de la deuxième phrase qui permet à la section de mener son instruction avec le plus d'efficacité possible.
Monsieur MAYER soulève la question de l'harmonisation des travaux des sections. Il suggère que les présidents de chaque section se rencontrent pour coordonner leurs travaux.
Monsieur le rapporteur souligne l'importance qu'il attache lui aussi à l'unité de jurisprudence entre les sections. Il fait observer cependant que seul le Conseil décide, les sections n'ayant qu'un pouvoir de proposition.
Monsieur MAYER insiste sur le risque qu'il y aurait que le Conseil se prononce sur les conclusions d'une section, qui aurait terminé la première ses travaux. La tendance à s'aligner sur ce qui est fait en premier pourrait conduire à écarter de meilleures conclusions.
Monsieur le rapporteur indique qu'il appartient au Président de veiller à cette harmonisation.
Monsieur le President partage le point de vue de Monsieur MAYER et déclare qu'il sera fait ainsi.
Les articles 15 et 17 sont ensuite adoptés sans faire l'objet de discussion.
Monsieur VEDEL se demande s'il ne conviendrait pas de profiter de cette adaptation pour préciser, dans le reglement, que les requêtes portant sur les mêmes opérations électorales sont jointes.
Monsieur le Secrétaire général fait remarquer que la pratique de la jonction est constante depuis 1959.
Monsieur le rapporteur donne enfin lecture du projet de décision qui est approuvé.
Monsieur le Président indique que la prochaine réunion du Conseil aura lieu le 19 mars à 10 heures pour l'examen de deux affaires de déclassement.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.