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Julie LUCZKOW

J.D. F.T. F.

SEANCE DU 19 MARS 1986

La séance est ouverte à 10 heures, tous les membres étant présents.

Monsieur le Président constate que l'ordre du jour est peu chargé. En effet, le Conseil constitutionnel est saisi d'une demande de déclassement relative à deux séries de textes. La première concerne la loi de 1976 sur la protection de la nature et la seconde est relative à différents articles du code de la nationalité. Il remercie Monsieur SIMONNET d'avoir accepté le rapport de ces deux affaires et lui donne la parole.

Monsieur SIMONNET fait remarquer que toute la séance de ce jour sera occupée par l'application de l'article 37 de la Constitution. Il rappelle que la Constitution a prévu deux domaines d'action distincts, l'un au profit de la loi par l'article 34, l'autre au profit du règlement avec l'article 37. Toutefois, la frontière entre ces deux domaines n'est pas infranchissable. Mais le passage, en ce qui concerne les textes de forme législative postérieurs à l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958, ne peut se faire qu'avec l'aval du Conseil constitutionnel.

Le Gouvernement demande le déclassement de dispositions contenues dans la loi de 1976 relative à la protection de la nature. En fait, seul l'article 24 de cette loi est visé. Cet article dispose : "Afin de protéger, sur les propriétés privées, les espèces de la flore et de la faune sauvage présentant un intérêt particulier sur le plan scientifique et écologique, les propriétaires peuvent demander que celles-ci soient agréées comme réserves naturelles volontaires par le ministre chargé de la protection de la nature après consultation de toutes les collectivités locales intéressées. - Un décret en Conseil d'Etat précise la durée de l'agrément, ses modalités, les mesures conservatoires dont bénéficient ces territoires ainsi que les obligations du propriétaire, notamment en matière de gardiennage et de responsabilité civile à l'égard des tiers. - Les dispositions pénales prévues au chapitre V s'appliquent à ces réserves".

Le déclassement n'est demandé que pour les mots : "par le ministre chargé de la protection de la nature".

La question est donc de savoir qui a compétence pour classer en réserves naturelles certaines propriétés à la demande de leurs propriétaires. Jusqu'à ce jour, en application de la loi de 1976 cette compétence revient au ministre chargé de la protection de la nature.

Le Gouvernement pense qu'il est possible de déconcentrer cette prérogative en la confiant aux commissaires de la République. Si donc le Conseil décide que les mots : "par le ministre chargé de la protection de la nature" ont un caractère réglementaire, le Gouvernement pourra, par décret, attribuer aux commissaires de la République, le pouvoir de classer, sur la demande de leurs propriétaires, certaines propriétés privées en réserves naturelles.

Il ne s'agit donc que de désigner une autorité chargée, sur la demande des propriétaires, de classer des propriétés en réserves naturelles.

Cela se réduit à choisir au sein du pouvoir exécutif l'agent compétent pour exercer une attribution que la loi confie à ce pouvoir. La jurisprudence du Conseil est constante sur ce point ; ce type de disposition est bien de nature réglementaire. C'est pourquoi, Monsieur SIMONNET émet un avis favorable au déclassement et soumet au Conseil un projet de décision dans ce sens.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE fait part de son accord absolu sur le fond avec le rapport de Monsieur SIMONNET mais, il souhaite faire une observation.

Il constate tout d'abord que le dossier qui a été remis aux membres du Conseil constitutionnel contient le projet de décret que le Gouvernement prendra s'il obtient satisfaction. Ce projet de décret constitue certainement une information pour les membres du Conseil, mais cette information ne peut en rien être déterminante pour la solution.

Son observation est qu'il regrette que l'ensemble des ministères intéressés par l'éventuelle modification n'ait été associé ni à l'élaboration du projet de décret, ni à l'élaboration du projet de loi. Il s'agit là d'une pratique assez courante, qu'il ne peut que regretter.

Il se souvient de la gêne qu'il éprouvait, lorsqu'il était Vice-Président du Sénat, à voir que certains projets de loi relatif par exemple à l' urbanisme avaient été élaborés sans que le bureau compétent de la Chancellerie n'en ait été saisi. Ceci était d'autant plus regrettable que ces textes auraient certainement gagné a être examinés par le Ministre de la Justice.

En ce qui concerne la loi sur la protection de la nature, il pense que le Ministre de l'Intérieur aurait dû également donner son avis.

Il regrette vivement que le Conseil constitutionnel soit saisi ainsi au coup par coup de demande de déclassement. Il lui semble souhaitable que le Gouvernement prenne une bonne fois pour toutes tel texte approprié pour procéder à ce genre de modification.

Il pense que c'est une mauvaise chose de saisir le Conseil constitutionnel au coup par coup dans ces conditions.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE déclare que sa remarque est certainement accessoire au fond de l'affaire, mais qu'il estime devoir la faire.

Messieurs MAYER et MARCILHACY expriment leur plein accord avec la remarque de Monsieur JOZEAU-MARIGNE.

Monsieur le Président déclare aux membres du Conseil qu'il demandera au Secrétaire général de faire part au Secrétariat général du Gouvernement des observations du Conseil.

Puis, il demande aux membres du Conseil s'ils approuvent les conclusions du rapporteur et constatant leur accord sur ce point, déclare que le projet de décision est accepté.

Note : A la suite de la remarque de Monsieur JOZEAU-MARIGNE, le Secrétaire général du Conseil constitutionnel a fait part au Secrétariat général du Gouvernement du fait que le Conseil constitutionnel avait émis le désir que les textes de déclassement fassent l'objet, du moins en ce qui concerne la substitution des commissaires de la République à différents ministres, d'un texte général. Il a également indiqué que le Conseil avait émis le regret de ce qu'il apparaissait que souvent, tous les ministres intéressés à la préparation d'un texte n'étaient pas associés à sa préparation. Le Secrétariat général du Gouvernement a répondu qu'il semblait techniquement assez difficile qu'un texte général substitue les commissaires de la République aux différentes autorités dans l'ensemble des textes intéressés. En ce qui concerne la meilleure coordination pour la préparation des textes intéressant différents ministères, une instruction du Premier ministre serait prise en ce sens.

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Monsieur le Président indique que la seconde affaire inscrite à l'ordre du jour est relative au déclassement de différents articles du code de la nationalité ; que cette demande émane de la Chancellerie et qu'elle a été faite à l'époque où lui-même était Garde des Sceaux. Pour cette raison, il lui semble préférable de ne pas participer à la délibération du Conseil et il demande à Monsieur JOXE, doyen d'âge, de bien vouloir assurer la présidence.

Monsieur JOXE répond qu'il ne s'attendait pas à cet honneur.

Monsieur MAYER demande qu'il soit donné acte au Président du Conseil constitutionnel de ses scrupules lorsqu'il reviendra en séance.

Monsieur le Secrétaire général précise que la décision devra être signée par Monsieur JOXE.

Monsieur JOXE donne alors la parole à Monsieur SIMONNET pour son rapport.

Monsieur SIMONNET déclare que l'affaire est délicate et que le Conseil se trouve en cette matière sur la ligne de crête qui départage les compétences du règlement et de la loi.

Il indique que le Conseil est saisi de dispositions de quatre articles différents du code de la nationalité. Toutes sont relatives aux certificats de nationalité. Il s'agit de savoir si, en application de l'article 37 de la Constitution, ces dispositions resteront dans le domaine de la loi ou passeront dans le domaine réglementaire.

Le Conseil est saisi en premier lieu de la totalité de l'article 149 du code de la nationalité. Cet article dispose : "Le juge du tribunal d'instance a seul qualité pour délivrer un certificat de nationalité française à toute personne justifiant qu'elle a cette nationalité".

Le Conseil est également saisi d'une disposition de l'article 150 du code de la nationalité tel qu'il résulte de la loi de 1973. Celui-ci, dans son alinéa premier dispose : "Le certificat de nationalité indique en se référant aux titres II, III, IV et VII du présent code, la disposition légale en vertu de laquelle l'intéressé à la qualité de français, ainsi que les documents qui ont permis de l'établir. Il fait foi jusqu'à preuve du contraire".

Les titres II, III, IV et VII du code de la nationalité précisent les différentes modalités d'acquisition de la nationalité française.

L'alinéa 2 de cet article 150 dispose : "Pour l'établissement du certificat de nationalité, le juge d'instance pourra présumer, à défaut d'autres éléments, que les actes d'état civil dressés à l'étranger et qui sont produits devant lui, emportent les effets que la loi française y aurait attachés".

Il est demandé au Conseil de déclasser dans ce deuxième alinéa, les mots : "Le juge d'instance".

Le troisième article concerné est l'article 151 : "Lorsque le juge du tribunal d'instance refuse de délivrer un certificat de nationalité, l'intéressé peut saisir le Ministre de la Justice, qui décide s'il y a lieu de procéder à cette délivrance". Le Conseil est saisi de la disposition contenue dans les mots : "Le juge du tribunal d'instance".

La dernière disposition dont le Conseil est saisi se trouve dans l'article 160 du code de la nationalité qui lui-même se rapporte aux dipositions particulières concernant les territoires d'outre-mer. Cet article dispose : "Par dérogation à l'article 149 du présent code, le Juge de Paix, et à son défaut, le Président du tribunal de première instance, ou le juge de section détachée et, lorsque l'organisation judiciaire de la circonscription ne comporte pas de magistrat de cet ordre, les administrateurs, chefs de ces circonscriptions ont seuls qualité pour délivrer un certificat de nationalité française à toute personne justifiant qu'elle a cette nationalité".

Le Gouvernement demande au Conseil de prononcer le déclassement des mots : "le Juge de Paix et, à son défaut ... ont seuls qualités".
En fait, il s'agit de dispositions qui désignent les autorités qui ont compétence outre-mer pour délivrer des certificats de nationalité.

Si le Conseil autorise le déclassement de ces dispositions, le Gouvernement pourra, par simple décret, désigner un autre titulaire du droit de délivrer des certificats de nationalité française. Dans le cas contraire, cette prérogative restera au législateur.

Monsieur SIMONNET souhaite faire quatre observations.

Premièrement, il rappelle qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : "... la loi fixe les règles concernant la nationalité ...". Le principe est donc que la matière de la nationalité relève du domaine de la loi. Il apparaît à Monsieur SIMONNET qu'il faut une raison extrêmement sérieuse pour déroger à ce principe. En cas de doute, il lui semble évident que le préjugé favorable doit bénéficier à la compétence de la loi.

Deuxièmement, le code de la nationalité française de 1945 a été complété et partiellement modifié par la loi de 1973. A cette occasion, tous ces textes ont été très sérieusement étudiés, tant par le Gouvernement que par les commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale. Les débats rapportent la preuve qu'à cette époque, le Gouvernement comme les parlementaires avaient déjà cherché à appliquer l'article 37 de la Constitution. Ils ont voulu évacuer de la partie législative du code, tout ce qui était de nature réglementaire. Ce fait est attesté par les propos tenus par Monsieur Pierre MAZEAUD, rapporteur de la commission des lois. Celui-ci déclare : "A titre d'exemple, notre texte ramène à 112 les 153 articles du projet gouvernemental, voire les 163 du Sénat. Nous vous proposons, en effet, l'abrogation d'une soixantaine d'entre eux, soit pour être ramassés en des formules plus brèves, soit parce ce que les questions dont ils traitent sont du domaine règlementaire" (séance du 10 octobre 1972).

Le tri a donc été fait très sérieusement et il a permis de déclasser plus de la moitié des dispositions du code de 1945. Le Garde des Sceaux de l'époque, Monsieur René PLEVEN a donné son plein accord à ce travail de déclassement. Au cours de la même séance il déclarait : "Le Gouvernement accepte, en premier lieu, la refonte de la plupart des articles du code de la nationalité et le renvoi aux décrets de certaines dispositions qui, par leur objet, paraissent relever du domaine réglementaire. En effet, le code de la nationalité promulgué en 1945 ne correspond plus aux règles constitutionnelles qui, depuis 1958, ont tracé les frontières entre les domaines législatif et réglementaire. Votre commission a donc eu raison de chercher à revenir à l'orthodoxie constitutionnelle".

Monsieur SIMONNET précise que ce sont là des opinions d'autorités qui ne sont pas le Conseil constitutionnel et qui ne le lient donc pas. Toutefois, il remarque que voici quatorze ans, un travail de partage entre règlement et loi a été fait. Certes, ce partage ne s'impose pas au Conseil mais il faut remarquer qu'il a été fait très sérieusement. Il s'agit là d'un argument de fait et non pas d'un argument de droit mais, c'est un argument qu'il convient de prendre, tout de même en considération. Il faudrait des raisons très puissantes pour modifier ce que le Gouvernement et les deux chambres unanimes ont maintenu voici quatorze ans dans le domaine de la loi. On peut légitimement s'interroger sur le point de savoir si les choses ont à ce point changé qu'il faille revenir sur ce qui a été fait voici quatorze ans.

Troisièmement, Monsieur SIMONNET appelle l'attention du Conseil sur l'originalité de la procédure de délivrance du certificat de nationalité française. Il souligne que la personne qui veut prouver qu'elle est française dispose de trois modalités différentes pour établir sa prétention.

Tout d'abord, en application d'un décret de 1972, elle peut se faire délivrer par la mairie de son domicile une fiche d'état civil et de nationalité. Il s'agit d'une procédure simple, non contentieuse, mise en oeuvre par un officier d'état civil.

Cette personne dispose également d'une procédure proprement contentieuse. La personne a qui le maire refuse par exemple de remettre une fiche d'état civil et de nationalité peut aller en justice. L'article 129 du code de la nationalité donne un monopole de compétences aux tribunaux de l'ordre judiciaire dans ce domaine. D'ailleurs la Justice peut être saisie en matière de nationalité en dehors de tout refus.

Ces deux procédures sont les procédures classiques et habituelles. Toutefois, en matière de nationalité, il en existe une troisième plus originale qui est celle du certificat de nationalité française.

La demande doit être formulée devant le juge d'instance. En cas de refus de ce magistrat, l'intéressé dispose d'un recours devant le Ministre de la Justice. Le juge agit non pas dans un cadre contentieux et juridictionnel mais dans un cadre administratif. Il en est de même, à plus forte raison, pour le Ministre de la Justice. Le juge d'instance ou le Ministre qui délivrent un certificat de nationalité ne rendent pas un jugement.

Comme dans la procédure du décret de 1972, la délivrance du certificat de nationalité est un acte administratif, mais comme dans la procédure contentieuse, il est délivré par un juge.

On peut se demander pour quelle raison, la compétence a été donnée à un juge. Monsieur SIMONNET pense que cela s'explique par la difficulté propre à la décision d'accorder ou de refuser un certificat de nationalité. Ce n'est pas une décision facile à prendre. C'est parce que c'est une affaire compliquée que la loi l'a confiée au juge judiciaire. Les juges délivrent plus de 3 000 certificats de nationalité par an. Sans texte, ils ont créé une procédure de consultation de la Chancellerie. Il ne s'agit que d'une pratique. Le juge n'est pas forcé d'y recourir. La délivrance d'un certificat est une opération plus compliquée que celle qui consiste, comme pour la délivrance d'une fiche d'état civil, à recopier un certain nombre de dispositions figurant, soit sur le livret de famille, soit sur les registres d'état civil. En effet, que doit faire le juge ? L'article 150 du code de la nationalité précise qu'il doit vérifier en fonction de quelles règles l'intéressé peut prétendre à la nationalité française. Il doit également indiquer quels sont les documents qui ont servi de base à sa déduction. Il peut aussi apprécier la portée d'actes d'état civil dressés à l'étranger.

La Cour de cassation a déjà admis que le juge pouvait appliquer d'office une loi étrangère même si le demandeur ne l'avait pas invoquée. La Chancellerie a donné des instructions par voie de circulaires pour le règlement des cas les plus difficiles. Le rôle du juge est donc un rôle extrêmement délicat, compliqué qui demande une compétence spécifique. C'est pourquoi, il apparaît tout-à-fait normal à Monsieur SIMONNET que le législateur ait confié en 1945 cette tâche au juge et la lui ait maintenue en 1973. La compétence pour délivrer des certificats de nationalité réclame une formation particulière et le juge judiciaire, ainsi que le Ministre de la Justice, lui paraissent les mieux armés pour ce faire.

Quatrièmement, le Gouvernement demande le déclassement pour substituer le greffier au juge d'instance. Il invoque trois raisons pour ce faire.

Tout d'abord les juges d'instance sont débordés et souhaitent être déchargés des tâches administratives qui les encombrent pour se consacrer entièrement à leur tâche juridictionnelle. Toutefois, il convient de remarquer que le nombre de certificats de nationalité délivrés chaque année baisse annuellement de 20 % en raison, sans doute, de la procédure permettant aux maires de délivrer des fiches d'état civil et de nationalité.

La deuxième raison est que les greffiers souhaitent voir élargir le domaine d'action qui leur est imparti.

Enfin, le Gouvernement fait valoir que le passage du juge au greffier, d'une part, correspond à la réalité de la pratique, d'autre part, laisse l'ensemble de la procédure dans le cadre de la procédure judiciaire. Actuellement trois agents interviennent : le greffier qui prépare le certificat de nationalité, le juge qui contrôle et le Ministre qui supervise. Le changement apporté par le projet de décret réduirait ce "trilogue" à un dialogue : le greffier et le Ministre.

Toutefois, Monsieur SIMONNET appelle l'attention des membres du Conseil sur le fait qu'à partir du moment où ils autoriseraient le déclassement, un autre Gouvernement, demain, pourra retirer au greffier cette attribution pour la confier à un autre fonctionnaire qui lui ne relèvera pas de l'organisation judiciaire. Il se demande s'il est possible de permettre ainsi que la délivrance des certificats de nationalité soit confiée à des autorités administratives diverses ; quant à lui, il ne le pense pas. Il lui apparaît que le Gouvernement peut certainement déplacer ce type de compétence tant qu'il ne sort pas de l'organisation judiciaire. Mais, il ne lui semble pas possible d'admettre que le Gouvernement puisse, par décret, attribuer cette compétence à un agent quelconque de l'administration active. Il lui semble que ce n'est pas par hasard que depuis des décennies cette compétence purement administrative est confiée au juge. Il lui semble que c'est pour une raison de fond : c'est parce que l'intervention du juge constitue une garantie pour les demandeurs. C'est pourquoi, il estime que les règles relatives aux certificats de nationalité sont inséparables des règles de la nationalité elle-même. Il lui paraît que c'est en partie ce que suggère le Gouvernement dans la note qu'il a déposée. En effet, celle-ci indique "sans doute peut-on être légitimement soucieux de ne pas ouvrir indirectement la porte, par un déclassement, à des transferts de compétences au sein des administrations de l'Etat affaiblissant les garanties concrètes apportées aux intéressés par l'intervention de l'administration judiciaire ect.". Cette solution pourrait se justifier par la considération que les dispositions en cause sont inséparables des règles concernant la nationalité.

En conclusion, Monsieur SIMONNET indique au Conseil qu'après une mûre réflexion, il lui soumet un projet de décision concluant à la nature législative des dispositions dont le Gouvernement demande le déclassement.

Monsieur VEDEL fait part au Conseil du bonheur qu'il a éprouvé en écoutant le remarquable exposé de Monsieur SIMONNET ; cet exposé l'a comblé sur le plan esthétique et juridique. Toutefois, il l'a laissé moins heureux sur le plan de la conviction car il aurait bien voulu être convaincu. Malheureusement, Monsieur SIMONNET, dans son exposé admirable, a présenté un certain nombre d'arguments juridiques qui n'emportent pas sa conviction et un certain nombre d'arguments de fait qui sont certes impressionnants mais qui, à son avis, sont sans rapport avec le sujet.

Le Conseil constitutionnel n'a en effet jamais prétendu que les matières réservées au législateur ne laissent aucune place à l'action du pouvoir réglementaire traditionnel. Beaucoup d'auteurs, dont lui-même, se sont fait, sur ce sujet, "taper sur les doigts" par le Conseil constitutionnel, mais le Conseil avait raison. C'est en effet une tradition, sinon républicaine, du moins de l'Etat, que le Gouvernement qui a la charge d'exécuter les lois le fasse, non seulement par des règles individuelles, mais aussi par des mesures réglementaires générales. Il n'y a donc pas de présomption au profit de la loi. Il faut examiner au cas par cas les dispositions dont le déclassement est demandé. Ce qui est en cause dans cette affaire ce n'est pas le mécanisme de délivrance des certificats de nationalité par cette troisième voie que Monsieur SIMONNET a mise en évidence, mais simplement la désignation de l'agent qui va intervenir. Ce qui semble important à Monsieur VEDEL c'est l'intervention du législateur pour créer cette troisième voie ; mais les mots "le juge d'instance" ne lui paraissent pas d'une importance particulière. Il lui semble évident que le certificat de nationalité est un acte administratif. En tous les cas, ce n'est pas un acte juridictionnel. Le juge d'instance est présenté ici comme un expert. Il exerce une fonction spécialisée dans le domaine de la nationalité en tant qu'autorité qualifiée. Dans cette procédure, le juge d'instance est soumis à l'autorité hiérarchique du Garde des Sceaux, qui peut statuer, le cas échéant, contre l'opinion du juge. Cette raison lui semble suffisante à fonder son opinion qui est contraire à celle du rapporteur.
En effet, le Conseil est en présence d'un acte purement administratif. Le juge d'instance est soumis au même contrôle hiérarchique et au même contrôle d'opportunité que tout fonctionnaire. Dès lors, il n'y a aucune raison de lui faire, sur ce point, un sort différent. Certes le rapporteur a très habilement invoqué l'aptitude particulière, la spécialisation du juge, pour exercer ce type de fonction. Mais, cet argument ne peut être retenu. Il s'agit en effet d'un travail administratif et les juges d'instance ont certainement autre chose à faire.

La question qui se pose au Conseil ce n'est pas de savoir si le choix du juge pour délivrer ces certificats est un bon choix ou un mauvais choix. La question qui est posée au Conseil est : qui peut ou doit délivrer ce type de document ? A son avis, la réponse à cette question relève, manifestement, de la compétence du Gouvernement.

En ce qui concerne le troisième argument soulevé par Monsieur SIMONNET, il semble à Monsieur VEDEL que l'appréciation de savoir quel agent est le plus à même, le plus apte, le plus compétent, à délivrer un certificat de nationalité, appartient au Gouvernement.

Les différentes dispositions dont le déclassement est demandé ne lui apparaissent, en tous les cas, pas détachables intellectuellement. Ce qui le décide à ne pas suivre le rapporteur dans sa proposition c'est un premier argument de cohérence. Il lui apparaît manifeste que le Garde des Sceaux est un ministre comme les autres. Certaines législations étrangères donnent au Ministre de la Justice un statut à part. Ce n'est pas le cas en France. En droit constitutionnel français, le Ministre de la Justice est un ministre comme les autres. Il n'a pas d'attribution juridictionnelle. Les agents qui sont soumis à son autorité, à l'exception des magistrats du Parquet < Le mot "Parquet" est barré mais je n'arrive pas à lire la correction manuscrite dans la marge.>, sont exactement dans la même situation que tous les autres agents de l'administration.

Ce qui lui paraît malsain, par contre, c'est que dans un domaine quelconque un magistrat puisse être placé sous l'autorité de son ministre. A son avis, s'il y a une "bavure" dans le code de la nationalité, elle consiste dans le fait d'avoir fait du juge d'instance un employé du Ministre de la Justice. C'est la raison pour laquelle il est personnellement d'avis de rendre au Gouvernement le droit de désigner qui il voudra pour délivrer des certificats de nationalité, du moment qu'il ne s'agit pas d'un juge.

Monsieur MARCILHACY rappelle au Conseil que, lorsqu'il a à connaître d'un conflit entre les articles 34 et 37 de la Constitution, il est toujours mal à l'aise et que, pour reconnaître le caractère réglementaire d'un texte, il faut qu'il soit profondément convaincu. Dans le cas examiné, il ne peut pas suivre le rapporteur dans ses conclusions. S'il est certain que l'article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant la nationalité, cela ne veut pas dire que l'on puisse confier au juge, contrairement à une tendance qui tend à se développer, n'importe quelle tâche. La raison en est que le juge bénéficie d'une présomption d'honnêteté que l'on n'accorde pas nécessairement à d'autres. Dans le cas d'espèce, le juge va donc délivrer un papier que l'on appelle "certificat de nationalité" et, sous prétexte qu'il est juge, on dira que cette délivrance est mieux faite que si elle émanait de quelqu'un d'autre. Et bien, à son avis, cela n'est pas vrai ! Dans la pratique, les certificats sont le plus souvent délivrés par les greffiers.

Il demande au Conseil la permission, pour illustrer son propos, d'évoquer un souvenir personnel remontant à l’époque où il exerçait encore la profession d'avocat aux conseils. Il avait reçu un vétérinaire d'origine sénégalaise, un Monsieur magnifique aux cheveux blancs. Cet homme était né dans une de ces communes du Sénégal qui était française depuis des temps fort lointains. Après l'indépendance du Sénégal, il avait été mis, en qualité de vétérinaire, à la disposition du Gouvernement sénégalais par l'administration française. Le temps ayant passé, il avait atteint l'âge de la retraite et avait été remis par les autorités sénégalaises à la disposition de l'administration française. Celle-ci, pour liquider son dossier de retraite, lui avait demandé de produire un certificat de nationalité. Cet africain, attaché à la France, avait déjà ressenti cette demande comme un peu vexatoire. Toutefois, il s'y était soumis. Il avait donc demandé cette pièce au juge d'instance qui la lui avait délivrée.

Mais, le Ministère des Finances avait refusé d'en tenir compte aux motifs que le texte visé dans le certificat de nationalité, et sur la base duquel son client pouvait prétendre être français, n'était pas le bon texte. Ce refus avait accru l'humiliation de ce français sénégalais. Sur sa demande, le juge d'instance lui avait délivré un nouveau certificat de nationalité qui, cette fois, visait les documents adéquats. Pourtant, l'administration des finances avait persisté dans son refus d'instruire son dossier de liquidation de pension au prétexte, cette fois, que les délais utiles étaient expirés et que l'intéressé était forclos.

Monsieur MARCILHACY saisi à ce moment de cette affaire, avait remué ciel et terre pour que son client obtienne satisfaction et pour contraindre l'administration à revenir sur sa décision. Il était finalement parvenu à ses fins, l'administration maintenant sa position mais indiquant que par faveur exceptionnelle elle acceptait de ne pas tenir compte de la forclusion des délais.

De cette histoire, que lui-même trouve un peu cruelle, il conclut que la seule manière dont son client aurait pu, en cas de refus persistant de l'administration, être indemnisé, aurait consisté à mettre en cause le fonctionnement du service administratif de délivrance des certificats de nationalité. Il se serait agi d'une procédure difficile et très aléatoire. Ceci dit, du fait du juge d'instance, ce vétérinaire franco-africain avait été cruellement humilié et blessé dans son amour propre.

C'est pour cette raison que lui-même pense que la délivrance d'un certificat de nationalité française n'est pas un acte créateur de droit. Il s'agit simplement d'un constat. Aussi, il lui semble que la désignation de l'autorité habilitée à délivrer cette pièce relève du pouvoir réglementaire.

Monsieur VEDEL soutient que contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'intérêt du justiciable ne consiste pas nécessairement à voir classer la procédure de délivrance du certificat de nationalité dans un cadre juridictionnel. En effet, le cas rapporté par Monsieur MARCILHACY l'illustre bien, les victimes d'un mauvais fonctionnement du service seront plus facilement indemnisées le cas échéant si la procédure est uniquement administrative et si son contentieux relève des juridictions administratives.

Monsieur LECOURT tient à faire part au Conseil de la profonde préoccupation que lui inspire la note du Secrétariat général du Gouvernement. Il lui semble indispensable que le Conseil procède d'une manière extrêmement prudente. Il redoute, que sans le vouloir, par une rédaction insuffisamment pesée et réfléchie, le Conseil constitutionnel n'aboutisse à limiter les attributions du Parlement lorsque dans le cadre de la loi, il donne des garanties aux citoyens. Sur le fond de l'affaire, il lui semble que la procédure de délivrance des certificats de nationalité est un processus extrêmement complexe qui, pour partie, est certainement de nature réglementaire. En effet, dès lors que l'acte de délivrance est exécuté, sous la responsabilité d'un Ministre, il lui semble difficile de penser que cet acte puisse avoir une nature législative.

Cependant, la note du Secrétariat général du Gouvernement fait une distinction, sinon une opposition, entre l'acte juridictionnel posé par un juge et l'acte administratif fait par ce même juge. Si le Conseil décide que le législateur ne peut mentionner, ne peut évoquer, les magistrats que dans la seule mesure où ceux-ci interviennent de manière juridictionnelle, le risque est grand que le Conseil écarte par là la compétence du législateur pour désigner des juges comme autorités indépendantes du Gouvernement, constituant par là même, une garantie. Ainsi, par exemple, dans la dernière loi sur la Nouvelle-Calédonie française, le législateur a choisi un juge pour présider les opérations de vote. Il a fait appel à un magistrat, car il pensait que celui-ci constituait une garantie pour les électeurs, qu'il était une autorité indépendante, dont l'indépendance était garantie par la Constitution.

La législation française offre beaucoup de cas comparables. Qu'il s'agisse de la réception des actes de notoriété, du recueil des demandes d'adoption, de la convocation du Conseil de famille, tous ces actes, qui ne sont pas des actes juridictionnels relèvent du juge, en sa qualité de magistrat, dont l'indépendance est protégée par la Constitution.

Laisser entendre que chaque fois que le juge est désigné comme n'agissant pas comme autorité juridictionnelle relève de la compétence réglementaire, que le Gouvernement peut librement, pour faire les mêmes actes, désigner un autre agent, lui semble extrêmement dangereux et il craint que le Conseil n'aille bien loin. En effet, cela aboutirait à retirer au législateur le pouvoir de désigner, en tant que de besoin, une autorité indépendante.

C'est pourquoi, dans le projet de décision, il souhaite que la compétence réglementaire, si elle est finalement reconnue, soit justifiée en raison du fait que l'acte de délivrer un certificat de nationalité est réglementaire, mais qu'il n'est réglementaire que pour la seule raison que sa délivrance est soumise au contrôle du Ministre de la Justice.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE fait part au Conseil de son accord sur le caractère réglementaire de cette procédure. Toutefois, il se déclare extrêmement sensible à l'importance de la rédaction du considérant par lequel le Conseil constitutionnel, non seulement établira pour les autres, mais se fera à lui-même jurisprudence, en cette matière. Il est partisan d'un considérant qui reconnaît le caractère réglementaire de cette procédure mais qui en expose la véritable raison. La décision de donner un certificat de nationalité est administrative. Elle relève donc du domaine réglementaire. Toutefois, la matière de la nationalité relève du domaine législatif. Le certificat de nationalité n'est pas, comme l'a rappelé, Monsieur MARCILHACY, constitutif de droit. Il ne constitue pas non plus une garantie attachée à la possession de la nationalité française. Comment peut-on alors considérer ce document ? Il convient de rappeler que les magistrats sont souvent chargés, accablés de travaux non juridictionnels. Dans la pratique, une grande partie de ces tâches ne sont pas effectivement et concrètement effectuées par les juges.

Dans le cas qui est soumis au Conseil constitutionnel, la vérité est que la délivrance des certificats de nationalité ne constitue qu'une modalité de mise en oeuvre des règles relatives à la nationalité.

Cette raison entraîne sa conviction sur le caractère réglementaire des dispositions dont le déclassement est demandé.

Toutefois, il tient à faire part de sa profonde adhésion à l'appel à la prudence de Monsieur LECOURT. Dans la même ligne de pensée, il rappelle au Conseil que les jurys d'assises sont choisis sous le contrôle du juge ; que le bureau des élections des sénateurs est présidé par le juge d'instance. Or, dans chacune de ces activités, le juge n'agit pas comme autorité juridictionnelle mais bien comme une autorité administrative indépendante non soumise à l'autorité hiérarchique du Garde des Sceaux.

Il a été très vivement intéressé par le brillant exposé de Monsieur SIMONNET. Il pense comme Monsieur SIMONNET, que les règles de la nationalité sont de caractère législatif, mais par contre, il pense que la mise en oeuvre de ces règles, que leurs modalités d'application, sont de nature réglementaire. Il n'est pas surpris, pour sa part, de trouver ces dispositions, dont le déclassement est demandé, dans un texte de loi. En effet, le Parlement est saisi d'un ensemble, d'un texte global, mais il lui semble que certaines dispositions peuvent par la suite être détachables, et que si le Gouvernement en éprouve le besoin, il peut en demander le déclassement. Il estime donc qu'il faut donner une réponse favorable à la demande de déclassement en veillant toutefois à ne pas toucher au caractère d'autorité indépendante du juge lorsque celui-ci agit en dehors du cadre juridictionnel.

Monsieur MAYER tient à faire part au Conseil de son trouble et presque de son désarroi. En s'en excusant par avance auprès de Monsieur SIMONNET, il souhaite poser une question à Monsieur VEDEL. Sa question n'est sans doute pas vraiment juridique, elle est même, ce qui n'est pas approprié réellement au débat du Conseil constitutionnel, d'opportunité politique. Ce qui l’a frappé dans l'exposé de Monsieur SIMONNET, c'est la crainte que celui-ci a exprimée que petit-à-petit la compétence pour délivrer un certificat de nationalité puisse glisser du greffier du tribunal d'instance au commissaire de police. Il pense que le Conseil connaît trop l'attrait que peut exercer une doctrine parfaitement condamnable exprimée par Monsieur LE PEN, notamment sur certains syndicats de commissaires de police. Dans ces conditions, n'y a-t-il pas un risque réel à ce que certaines personnes, des harkis ou des descendants de harkis par exemple, aient les plus grandes difficultés à se faire délivrer des certificats de nationalité ? Quelles garanties peut-on donner aux gens qui demandent un certificat de nationalité et qui risquent d'avoir devant eux un agent public de la sorte de ceux qu'il vient d'évoquer ?

Monsieur VEDEL répond à Monsieur MAYER qu'il craint de le désespérer car, que ce soit le juge d'instance ou le commissaire de police qui refuse de délivrer un certificat de nationalité, c'est en définitive le Ministre de la Justice qui décidera et le Ministre lui-même peut être politiquement très marqué. Toutefois, lui-même se déclare extrêmement sensible aux arguments développés par Monsieur MAYER, d'une part, et par Monsieur LECOURT, d'autre part. Il lui semble que ces arguments sont parfaitement fondés et doivent être pris en considération. A la réflexion, il lui apparaît que le juge peut sans doute être par lui-même une garantie même en dehors de ses attributions juridictionnelles.

Monsieur LECOURT fait remarquer que dans le cas d'espèce, le juge d'instance n'est pas dans la dépendance totale du Garde des Sceaux. En effet, la possibilité de recours devant ce Ministre n'existe qu'en cas de refus. La décision du juge d'instance accordant le certificat de nationalité n'est susceptible d'aucun recours.

Monsieur VEDEL estime que ce qui semble se détacher de ces discussions c'est qu'au sein de l'administration judiciaire, la désignation de l'agent compétent pour délivrer un certificat de nationalité relève du pouvoir réglementaire mais, que par contre, la possibilité de sortir du cadre de l'administration judiciaire au profit d'une autre administration relèverait de la compétence du législateur. Il lui semble, en effet nécessaire de limiter la possibilité de déclassement conférée au Gouvernement. Sur le plan de la rédaction, il serait possible de préciser que le pouvoir de délivrer des certificats de nationalité est du domaine législatif en tant qu'il est conféré à l'administration judiciaire et que le pouvoir réglementaire est compétent dans le cadre de l'ordre judiciaire pour désigner l'agent qui effectivement remettra cette pièce. Il demande aux techniciens si une telle rédaction est possible.

Monsieur le Secrétaire général répond que matériellement la chose est faisable mais que cela aboutit à reconnaître un statut particulier à l'administration judiciaire.

Monsieur FABRE rappelle au Conseil que c'est quasiment la première délibération à laquelle il à l'honneur et le plaisir de participer. Il trouve la discussion extrêmement intéressante. Pour sa part, il pense qu'en arrière plan du débat, il y a les problèmes relatifs à la nationalité. Dans la mesure où il y a un risque d'y toucher, il convient d'être très circonspect.

Le rapporteur semble penser, s'il l'a bien compris, que la procédure de délivrance du certificat de nationalité par le juge d'instance est, au fond, anormale ; que la bonne règle devrait être, en fait, que cette procédure soit purement administrative. Il souhaite indiquer au Conseil qu'en sa qualité ancienne de médiateur, il a connu de très nombreux cas où des Français éprouvaient les plus grandes difficultés à faire établir leur nationalité. Par ailleurs, les difficultés considérables de fonctionnement des tribunaux, dues à l'explosion du contentieux judiciaire, ne peuvent que faire approuver tout ce qui tend à simplifier et à alléger leurs tâches. C'est la raison pour laquelle il se rallie à la proposition de déclassement, mais souhaite que le Conseil prenne toutes les précautions juridiques utiles en rédigeant les considérants.

Monsieur SIMONNET estime que le Conseil est réellement sur la ligne de crête ; qu'il est extrêmement difficile de se rallier entièrement à un point de vue ou à l'autre. Il tient à remercier particulièrement Monsieur VEDEL d'avoir apporté tant de clarté et de précision dans ce débat. Monsieur VEDEL a apporté l'antithèse alors que lui-même avait soutenu la thèse, ce qui devrait permettre au Conseil bien évidemment de faire la synthèse. Il exprime son plein accord avec les réserves formulées par Monsieur LECOURT et lui demande s'il accepterait de rédiger quelques considérants qui marquent bien la volonté du Conseil constitutionnel de ne pas permettre le déclassement de toutes les activités non juridictionnelles que la loi peut confier à un juge.

Toutefois, il tient à rappeler au Conseil que la saisine ne porte que sur le point de savoir si la désignation de l'autorité chargée de délivrer un certificat de nationalité relève du pouvoir législatif ou du pouvoir réglementaire. Dans les faits, le greffier présente, techniquement, certaines garanties. Par contre, dans l'administration active et plus particulièrement dans les petites communes, la compétence des agents qui pourraient, le cas échéant, se voir confier la tâche de délivrance des certificats de nationalité, n'est certainement pas suffisante. En outre, si un jour le maire devait recevoir cette compétence, le problème le plus aigu qui se poserait, c'est qu'il se trouverait être à la fois juge et partie. En effet, le certificat de nationalité permet l'inscription sur les listes électorales et les questions de majorité dans les petites communes peuvent prendre une importance considérable. Il lui semble que lors de la réunion de travail qu'il avait organisée, les représentants du Gouvernement n'avaient pas été insensibles à cet argument ; cela s'est notamment traduit dans la note qu'ils ont déposée ultérieurement en proposant que le Conseil, dans sa décision, autorise le déclassement en usant de la formule "en tant que".

Si le Conseil constitutionnel décide que le déclassement ne peut se faire que dans le cadre de l'organisation judiciaire, lui-même s'estime satisfait.

Monsieur VEDEL déclare qu'en faveur de cette proposition on peut invoquer un autre argument. Dans la situation actuelle, c'est le Ministre de la Justice qui connaît des refus de délivrance des certificats de nationalité. On peut penser que, si un autre fonctionnaire est désigné, ce contrôle sera toujours exercé par le Garde des Sceaux. Dans ces conditions, il est préférable que cet agent continue à relever de l'autorité du Ministère de la Justice.

Monsieur SIMONNET demande alors s'il est possible de composer un comité de rédaction.

Monsieur JOXE vérifie qu'aucun autre membre ne souhaite, en l'état, intervenir dans le débat et donne son accord à la composition d'un comité de rédaction.

Messieurs LECOURT, VEDEL et SIMONNET se retirent alors avec le Secrétaire général pour préparer un nouveau projet.

Monsieur JOXE suspend la séance.

La séance est reprise à 12 h 38.

Monsieur SIMONNET tient, avant de donner connaissance au Conseil du nouveau projet de rédaction, à appeler son attention sur le fait que le Premier ministre a demandé le déclassement de toutes les dispositions de l'article 149 du code de la nationalité.

Monsieur JOXE demande à Monsieur SIMONNET de donner lecture du nouveau projet de décision.

Monsieur SIMONNET s'exécute.

Monsieur MARCILHACY s'interroge sur le point de savoir si l'ordre judiciaire comporte des greffiers. Il lui est répondu par l'affirmative.

Le projet est alors soumis à l'approbation des membres du Conseil par Monsieur JOXE. Il est adopté à l'unanimité.

Monsieur BADINTER reprend alors la présidence de la séance. Il prend connaissance de la décision et s'interroge sur la portée des termes "ordre judiciaire". Il lui semble que les notions d'autorités et d'institutions judiciaires sont des notions bien connues mais il se demande si le concept "d'ordre judiciaire" a une existence. Il lui semble que cette notion n'existe pas.

Monsieur VEDEL fait valoir que la notion "d'ordre judiciaire" est bien connue et fort utilisée par le Conseil d'Etat.

Monsieur le Président exprime la crainte que les commentateurs n'en déduisent que le Conseil constitutionnel a voulu créer un "ordre judiciaire".

Monsieur VEDEL reconnaît volontiers que les greffiers n'appartiennent certainement pas à l'autorité judiciaire.

Monsieur le Président prend l'exemple d'une directive européenne. Il demande que le Conseil précise le sens qu'il entend donner à la notion "d'ordre judiciaire".

Monsieur VEDEL estime que "l'ordre judiciaire" comprend l'ensemble des agents qui relèvent du Ministère de la Justice, mis à part ceux qui sont chargés des tâches de construction des bâtiments et de leur entretien.

Monsieur le Président exprime une ferme préférence pour la notion d'institution judiciaire. Il est d'accord sur le fond de la décision mais il redoute que les commentateurs éventuels ne s'interrogent sur l'instauration par le Conseil constitutionnel d'un "ordre judiciaire".

Monsieur VEDEL précise que, pour le Conseil constitutionnel, l'autorité judiciaire ce sont les magistrats des tribunaux, à l'exception toutefois de ceux du Parquet.

Monsieur le Président fait demander, pour l'information du Conseil constitutionnel, au service judiciaire, des précisions sur le statut exact des greffiers.

Monsieur VEDEL propose de dire "autorités relevant du service judiciaire".

Monsieur MAYER suggère : "Administration judiciaire".

Monsieur le Président fait remarquer que ce qui rassure les citoyens, c'est que ce soit une personne relevant de l'autorité judiciaire qui est compétente pour délivrer un certificat de nationalité.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE propose de parler de "personnes relevant du Ministère de la Justice".

Monsieur VEDEL exprime sa préférence pour les mots "services judiciaires".

Monsieur le Président pencherait plutôt pour "institution judiciaire".

Monsieur VEDEL fait remarquer que les mots "administration" et "judiciaire" peuvent être pris dans deux sens différents.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE pense que le mot "d'autorité" peut faire problème.

Monsieur VEDEL propose l'expression "nature judiciaire".

Monsieur JOZEAU-MARIGNE s'interroge sur le point de savoir si un greffier peut être considéré comme une autorité.

Monsieur le Président estime qu'il faut connaître le statut institutionnel exact des greffiers.

Monsieur MARCILHACY propose l'expression "l'intervention d'un fonctionnaire relevant de l'ordre judiciaire".

Monsieur le Président pense que cette formule exclut pour l'avenir, la possibilité de désigner à nouveau un magistrat par un simple décret.

Monsieur FABRE propose l'expression "cadre judiciaire".

Monsieur SIMONNET incline pour l'expression "personnes appartenant à l'organisation judiciaire".

Monsieur MARCILHACY se dit dérangé par le mot "autorité".

Monsieur JOZEAU-MARIGNE suggère l'expression "l'intervention d'agents de l'organisation judiciaire".

Monsieur le Secrétaire général fait valoir que le code de l'organisation judiciaire ne traite que de l'organisation des juridictions.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE n'y voit pas d'inconvénient, bien au contraire, puisque ce que le Conseil demande c'est précisément que la personne qui délivrera un certificat de nationalité soit placée sous l'autorité du Garde des Sceaux. A son avis, ce qui fait problème c'est l'expression "ordre judiciaire". Par ailleurs, le mot "autorité" ne lui plaît pas non plus .

Monsieur MARCILHACY souhaite que le Conseil se garde de deux sortes de pièges. D'une part, une rédaction dont l'interprétation puisse donner matière à trop de commentaires, d'autre part, de blesser, involontairement, les agents à qui la compétence pour délivrer des certificats de nationalité sera accordée.

Monsieur le Président propose alors l'expression "agent public appartenant à l'institution judiciaire", ou bien "magistrats ou fonctionnaires relevant de l'ordre judiciaire".

Les membres du Conseil expriment leur accord sur cette dernière formule.

Monsieur le Président fait part au Conseil de l'ordre du jour qui pourrait être envisagé pour la prochaine réunion. Le délai pour le dépôt des contestations contre les élections législatives du 16 mars 1986 expire le jeudi 27 mars 1986 à minuit. Il propose donc que le Conseil se réunisse le mardi 8 ou le mercredi 9 avril afin d'une part d'examiner les requêtes qui, en application de l'article 38 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, ne nécessitent pas d'instruction contradictoire préalable et, d'autre part, de faire le point sur l'ensemble du contentieux électoral enregistré au Conseil constitutionnel.

Le Président suggère qu'au cours de cette réunion il soit procédé à un échange de vues sur les problèmes que pose le nouveau mode de scrutin et sur le type de solutions qui pourraient être retenues par le Conseil.

Il indique que s'agissant du jour de la semaine à retenir pour les séances du Conseil, le mardi lui semble préférable au mercredi si le Conseil souhaite que ses décisions soient reprises par la presse. En effet, le Conseil des Ministres a lieu le mercredi, jour où les media concentrent toute leur attention sur ses travaux.

Les membres du Conseil acquiescent à ce point de vue. Il est donc décidé de tenir la prochaine réunion le mardi 8 avril à 10 heures.

Le Président propose enfin de réunir à déjeuner une fois par mois les membres du Conseil et indique que le premier déjeuner aura lieu le mardi 8 avril 1986 à l'issue de la séance.

La séance est levée à 13 h 35.

<Il n'y a aucune annexe.>

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.