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PV1986-07-29

Cindy SEVRAINCOMPTE-RENDU DE LA SEANCE DU 29 JUILLET 1986

A 10 heures, Monsieur le Président ouvre la séance tous les membres étant présents.

Monsieur le Président rappelle que l'ordre du jour comporte : 1° l'examen de la requête de Monsieur Jean GOUJON contre la proclamation appelant Monsieur Georges BENEDETTI à remplacer, en qualité de sénateur du Gard, Monsieur Edgar TAILHADES, décédé, sur le rapport de Monsieur SIMONNET ; 2° l'examen, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la loi portant réforme du régime juridique de la presse, sur le rapport de Monsieur VEDEL.

Toutefois, avant de donner la parole à Monsieur SIMONNET pour son rapport sur la requête de Monsieur GOUJON, il a le plaisir d'informer le Conseil constitutionnel de ce que Madame TOUBOL-FISCHER a accouché, ce même jour, d'un petit garçon prénommé Jonathan. Il indique que la mère et l'enfant se portent bien et qu'il a fait adresser des fleurs et des félicitations à Madame TOUBOL-FISCHER tant en son nom qu'au nom du Conseil.

Les membres se réjouissent à cette nouvelle et Monsieur le Doyen VEDEL constate que cela fait un homme de plus au sein du Conseil constitutionnel.

Monsieur le Président donne la parole à Monsieur SIMONNET.

A l'instar de ce qui se passe dans l'une des maisons d'à côté, Monsieur SIMONNET compare son rapport à un lever de rideau précédent la pièce principale que constituera l'examen de la loi portant réforme du régime juridique de la presse.

Il note, au préalable, que le cas soumis aujourd'hui au Conseil est un cas curieux de lacune de la législation, mais, qu'en l'absence de théorie des pouvoirs implicites, il n'appartient pas au Conseil de combler cette lacune.

S'agissant des faits, Monsieur SIMONNET rappelle que Monsieur TAILHADES avait été réélu sénateur du Gard en septembre 1980 avec pour remplaçant Monsieur BENEDETTI. Ce dernier avait été élu député en juin 1981 mais n'avait pas été réélu en mars 1986. En juin 1986, Monsieur TAILHADES vient à décéder et Monsieur BENEDETTI est alors appelé à remplacer Monsieur TAILHADES. Selon la procédure habituelle, le Ministre de l'Intérieur a fait connaître au Président du Sénat le nom du remplaçant de Monsieur TAILHADES et le 24 juin, Monsieur le Président du Sénat a informé la Haute-Assemblée de ce remplacement. A la suite de cette proclamation, Monsieur BENEDETTI a été admis comme membre du Sénat.

Après avoir rappelé les termes de l'article L.O. 138 du code électoral : "Toute personne ayant la qualité de remplaçant d'un député ou d'un sénateur pert cette qualité si elle est élu député", Monsieur SIMONNET indique que Monsieur GOUJON conteste la procédure de remplacement utilisée par le Ministre de l'Intérieur.

A l’appui de sa requête, Monsieur GOUJON fait, en effet, valoir tout d'abord que sa requête est recevable, ensuite que le Ministre a outrepassé ses pouvoirs en communiquant au Président du Sénat le nom de Monsieur BENEDETTI, enfin, qu'il aurait fallu recourir à une élection partielle, l'article L.O. 138 du code électoral ayant fait définitivement perdre la qualité de remplaçant à Monsieur BENEDETTI à la suite de son élection à l'Assemblée nationale en juin 1981.

Face à cette requête, Monsieur SIMONNET insiste sur le fait que la proclamation de Monsieur BENEDETTI est différente de son élection. Son élection a eu lieu en septembre 1980 en même temps que celle de Monsieur TAILHADES comme le confirme et l'article L.O. 319 du code électoral et l'article 45 de l'ordonnance n° 56-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Par contre la proclamation, elle, n'a eu lieu qu'en 1986. Le rapporteur ajoute que le contentieux de l'élection du remplaçant est lié à celui de l'élection du titulaire et précise que ce contentieux se règle lors de l'élection, exception faite du cas des inégibilitéserreur d'orthographe se révêlanterreur d'accent postérieurement à l'élection. Il observe cependant que le cas des inéligibilités, expressément prévu par l'article 45 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, ne peut être transposé au cas d'espèce, qui est un cas d'incompatibilité, et pour lequel rien n'est prévu par les textes. Il constate donc qu'il n'est pas possible de répondre à la demande de Monsieur GOUJON, puisqu'aucun texte ne prévoit de rouvrir le contentieux.

En conclusion, Monsieur SIMONNET indique qu'il propose au Conseil constitutionnel de se déclarer incompétent. Dès lors que le Conseil est incompétent, il n'y a pas lieu d'aborder le problème de fond, à savoir, si oui ou non, l'article L.O. 138 s'opposait au remplacement de Monsieur TAILHADES par Monsieur BENEDETTI, dès lors que ce dernier, même s'il n'était plus député en juin 1986, l'avait été de juin 1981 à mars 1986.

Ne doit-on pas s'interroger sur l'imprécision de la rédaction de l'article L.O. 138 du code électoral ?

Préférant s'en tenir à la seule question de la compétence, Monsieur SIMONNET indique alors au Conseil qu'il a été conduit à reprendre les ternes d'une décision du 13 novembre 1970 (n° 70-570, A.N. Gironde, 2ème cire.) où dans une circonstance semblable, le Conseil s'était déclaré incompétent. Monsieur SIMONNET rappelle alors que les circonstances dans lesquelles, à la suite d'une élection partielle ayant opposé Monsieur SERVAN-SCHREIBER et Monsieur CHABAN-DELMAS, alors premier Ministre et dans laquelle Monsieur CHABAN-DELMAS l'avait emporté, le remplaçant de Monsieur CHABAN-DELMAS, Monsieur VALADE a été proclamé député. Monsieur TAIX avait contesté cette proclamation.

En terminant son exposé, Monsieur SIMONNET rappelle qu'à l'occasion de cette décision de 1970, la doctrine et, notamment Monsieur VEDEL dans son article paru dans le Monde du 4 septembre 1970, s'était, elle aussi, prononcée pour l'incompétence du Conseil constitutionnel.

A la suite de cet exposé, Monsieur le Président ouvre la discussion générale.

Monsieur MARCILHACY regrette qu'à l'occasion de requêtes en contestation d'opérations électorales dirigées contre des remplaçants, le Conseil n'ait pas tenté de définir le statut du suppléant. S'agissant du cas d'espèce, il se déclare moins convaincu que le rapporteur et s'interroge sur la validité de la proclamation de Monsieur BENEDETTI.

Monsieur le Président rappelle à Monsieur MARCILHACY que la question première est celle de la compétence du Conseil et que, sauf à se déclarer compétent, le Conseil ne peut traiter du fond.

Monsieur FABRE constate qu'il y a le précédent de 1970. Il se demande toutefois si le Conseil, dans cette décision, ne pourrait attirer l'attention sur le vide juridique évoqué par Monsieur SIMONNET.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE déclare qu'il n'y a pas de vide juridique. A ses yeux le problème est de savoir si le Conseil est ou non compétent. Si, comme il le croit, le Conseil n'a pas à connaître de cette requête, il se refuse à donner dans la décision le moindre élément susceptible d'orienter le juge qui, éventuellement, aura à connaître de cette question.

Monsieur VEDEL se déclare lui aussi sensible à l'absurdité des textes. Après s'être posé la question de savoir si le Conseil pouvait se déclarer compétent comme il l'avait fait dans sa décision du 11 juin 1981, il avoue avoir renoncé dès lors que la requête présente ne peut en aucune façon se rattacher à l'élection.

S'agissant de l'intérêt qu'il y aurait à faire sentir le vide juridique, il observe que l'on peut être tenté de le faire mais qu'il convient d'être très prudent dès lors que l'on n'a pas l'absolue certitude qu'il y a effectivement vide juridique. En effet, il estime que dans le face à face entre le Ministre et les assemblées parlementaires, les assemblées pourraient refuser la communication du Ministre. Dès lors, le Conseil, en se prononçant au-delà de la question de sa compétence risquerait d'empiéter sur les pouvoirs reconnus aux assemblées de régler leur vie intérieure.

Monsieur MAYER fait observer que le débat qui s'est engagé est dû à la richesse de l'exposé de Monsieur SIMONNET qui, pour l'information du Conseil, a également traité du fond. Il estime qu'en s'en tenant à la lecture du projet de décision, les choses lui paraissent claires et se suffisent à elles-mêmes.

Monsieur MARCILHACY réitère son regret de ne pouvoir définir le statut du remplaçant. Par ailleurs, il se déclare inquiet des propos de Monsieur VEDEL qui reconnaît un pouvoir aux assemblées alors que, selon lui, la Constitution de 1958 a justement entendu lui retirer tout pouvoir en matière de contentieux électoral.

Monsieur SIMONNET à l'appui des propos de Monsieur VEDEL fait remarquer que le règlement de l'Assemblée nationale, à la différence de celui du Sénat, comporte une procédure concernant la proclamation des députés élus. A la suite de Monsieur MAYER, il tient à préciser que son souci d'informer le Conseil l'a conduit à évoquer la question de fond, mais que son projet est uniquement consacré à la question de compétence.


Monsieur SIMONNET donne lecture de son projet de décision.

Le Conseil adopte le projet sans modification.

—0O0 —

A 10 h 25, Monsieur le Président donne la parole à Monsieur VEDEL pour son rapport sur l'examen de la loi portant réforme du régime juridique de la presse.

Monsieur VEDEL déclare que la loi que le Conseil doit maintenant examiner, tend à se substituer par une même abrogation à l'ordonnance de 1944 sur la presse et à la loi de 1984 relative à la transparence et au pluralisme des entreprises de presse.

Il rappelle que le texte examiné est issu d'une proposition de loi déposée au Sénat par Monsieur CLUZEL, et que le Gouvernement a ultérieurement donné son accord pour qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour des assemblées. Le Conseil se trouve donc devant une des rares lois issues d'une initiative parlementaire. Cette proposition de loi déposée le 19 novembre 1985 sur le bureau du Sénat, a été discutée les 17 et 18 décembre de la même année et transmise à l'Assemblée nationale. Celle-ci en a discuté les 16 et 18 juin 1986 et la transmise au Sénat après l'avoir amendée. Le Sénat ayant fait sien les amendements de l'Assemblée nationale, le texte a été définitivement adopté.

L'esprit de cette proposition de loi est assez difficile à caractériser. Dans l'intention de ses auteurs, il s'agit d'un texte de substitution à la loi adoptée en 1984 qui avait été très contestée par l'ancienne opposition parlementaire devenue aujourd'hui majoritaire à l'Assemblée nationale. Ce qui était reproché au texte de 1984 c'était, pour les auteurs de la proposition de loi examinée, son esprit tatillon, étriqué et dirigiste qui gênait selon eux la modernisation des entreprises de presse en France. Les auteurs de la proposition de loi estiment que la concentration de la presse n'est pas un mal en soi et que bien au contraire beaucoup de quotidiens ont péri, non en raison d'une trop forte concentration, mais en raison d'une absence de concentration des moyens de presse.

Monsieur VEDEL tient à souligner un aspect irritant qui s'est manifesté tout au long des débats et qui a consisté, tant pour la majorité parlementaire que pour le Gouvernement, à renvoyer l'examen des problèmes posés par la concentration de la presse aux dispositions de la "future loi multi-médias".

La loi examinée est assez courte puisqu'elle ne compte que 22 articles. Elle comporte à son début une manière de préambule qui définit, à l'article 1er, l'expression "publication de presse". Ses auteurs font valoir que leur projet est plus ambitieux que celui de la loi de 1984 puisqu'il vise toutes les publications.

Monsieur VEDEL donne lecture de l'article 2 de la loi examinée et il indique que cet article détermine le champ d'application de la loi. il précise que les auteurs des deux saisines ont critiqué cet article mais qu'en fait, les critiques portaient moins sur le champ d'application de la loi, c'est-à-dire les dispositions précises de l'article 2, que sur le fond des autres dispositions de la loi.

Il tient, dès maintenant, à rappeler que le Conseil a donné une valeur constitutionnelle à la transparence des entreprises de presse. Le Conseil, en effet, définit l'entreprise de presse non seulement comme une entreprise économique mais aussi comme un lieu de confrontation et d'influences de personnes physiques et morales.

Les articles 1er à 10 de la loi traitent plus particulièrement de ce problème de transparence.

Monsieur VEDEL indique que l'article 3 de la loi est relatif à la prohibition du prête-nom ; que l'article 4 traite de la mise au nominatif des actions des sociétés éditrices de publication ; que l'article 5 précise quel type d'information doit être porté, dans chaque numéro, à la connaissance des lecteurs ; que l'article 6 détermine quel type d'information relative aux modifications de structures d'une entreprise éditrice doit également être porté à la connaissance des lecteurs ; que l'article 7 comporte des dispositions de nature à limiter l'influence étrangère sur les entreprises de presse de langue française ; que l'article 8 interdit la perception d'argent de gouvernements étrangers et qu'enfin, l'article 9 modifie, d'une manière qu'il estime heureuse, l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en définissant qui doit être le directeur d'une publication et en précisant le statut de ce directeur lorsqu'il jouit d'une immunité en qualité de membre du Parlement de la République française, ou de membre de l'assemblée des communautés européennes. L'article 10, enfin, interdit le travestissement de la publicité financière en information.

L'article 11 de la loi constitue, à lui seul, un tout. Il s'agit de la disposition relative au pluralisme. L'article 11 fixe à 30 % le seuil au-delà duquel un même acquéreur ne peut, à peine de nullité, acquérir une nouvelle publication quotidienne d'information politique et générale, ou la majorité du capital social ou des droits de vote d'une entreprise éditant une publication de cette nature.

Les articles 12 et 13 comportent des pénalités

Les articles 15 et 19 procèdent au "toilettage" de textes divers dans lesquels les références à l'ordonnance de 1944 et à la loi de 1964, sont remplacées par des références à la loi actuellement examinée.

L'article 20 comporte des dispositions transitoires relatives à la mise au nominatif des actions.

L'article 21 porte abrogation de l'ordonnance du 26 août 1944 sur l'organisation de la presse française et de la loi n° 84-937 du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.

Monsieur VEDEL rappelle que la loi examinée a fait l'objet de deux saisines, l'une des députés l'autre des sénateurs. Il précise que la saisine des sénateurs, corollaire de la saisine des députés, est fondée essentiellement sur la décision rendue par le Conseil constitutionnel les 10 et 11 octobre 1984 et relative à la loi couramment appelée loi FILLIOUD. A cette occasion, le Conseil constitutionnel avait indiqué : "que le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale... est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle".

Les auteurs des saisines s'appuient également sur la décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 sur la loi relative à l'enseignement supérieur. Dans cette dernière décision, le Conseil avait censuré l'abrogation de la loi ancienne par la loi nouvelle au motif que la loi ancienne donnait des garanties conformes aux exigences constitutionnelles qui n'étaient pas remplacées dans la loi nouvelle par des garanties équivalentes.

Ces deux décisions et les principes qu'elles contiennent et qu'il vient de rappeler, constituent les "deux piliers" sur lesquels se fondent les auteurs des saisines.

Monsieur VEDEL indique également que dans leur saisine, les députés critiquent les dispositions de l'article 11 de la loi, en ce qu'il met en place un système dans lequel, s'il est possible de connaître qui est le "maître apparent" d'une entreprise éditrice, il n'est pas possible de remonter plus haut et de connaître qui la contrôle réellement.

Accessoirement, ils font valoir que le seuil de 30 % est fixé beaucoup trop largement et que sur le plan régional, il permet à une même entreprise de détenir la totalité de la presse d'information. L'ancienne législation leur apparaît nettement plus protectrice puisqu'elle permettait de découvrir qui était le "patron réel” des publications en autorisant la recherche du contrôle direct ou indirect.

Ils critiquent également, nais de manière subsidaireerreur d'orthographe, les dispositions de la loi relative à la transparence. Les dispositions examinées traduisent, à leur avis, un recul très net par rapport aux dispositions anciennes. Ils s'en rapportent à l'appréciation du Conseil constitutionnel pour savoir si ces garanties moindres sont suffisantes.

Les sénateurs procèdent à une analyse critique de la loi, analogue à celle des députés en ce qui concerne la transparence. Ils font valoir que les dispositions de l'article 11 ne permettent pas de savoir qui est derrière les actionnaires des entreprises éditrices.

Dès lors, le seuil de 30 % ne signifie rien à leurs yeux et leur apparaît comme une "coque vide".

La position du Gouvernement, telle, du moins qu'elle a été exprimée à l'occasion de la réunion de travail qu'il a eu avec les membres du Secrétariat général du Gouvernement et du Cabinet de Monsieur LEOTARD, a frappé Monsieur VEDEL par sa faiblesse.

Rarement, depuis de nombreuses années, il n'a vu des gens aussi peu convaincus de la thèse qu'ils devaient soutenir. Il est vrai que la situation des représentants du Gouvernement était assez originale et intéressante puisque le Gouvernement défendait des positions à l'origine desquelles il n'était pas.

A ce propos, Monsieur VEDEL fait part aux membres du Conseil de son opinion selon laquelle les Président de l'Assemblée nationale et du Sénat auraient intérêt à réexaminer leur position sur la procédure d'instruction devant le Conseil constitutionnel. En tous les cas, en ce qui concerne les textes issus d'une initiative parlementaire.

L'argument principal soutenu par le Gouvernement, pour défendre la loi examinée, est qu'un nouveau texte était nécessaire en raison principalement des difficultés de la mise en oeuvre de la loi de 1984, qui avait été amputée d'une grande partie de ses dispositions par le Conseil constitutionnel et de l'ordonnance de 1944. Ces deux textes étaient déjà difficilement applicables en eux-mêmes, et leur combinaison ajoutait encore à la difficulté de leur mise en oeuvre.

Un autre argument est que le libéralisme doit s'appliquer aux entreprises de presse comme aux autres entreprises. De ce point de vue, la "commission CAVAILLET" mettait en oeuvre un système totalitaire, lourd, inefficace et nuisible au développement harmonieux de la presse moderne.

Le Gouvernement critique également les dispositions de l'ordonnance de 1944 relative à la tranparence erreur d'orthographe. Les exigences posées par ce texte lui semblent beaucoup trop importantes et le lecteur, si elles avaient été appliquées, aurait été noyé sous les informations.

A ce sujet, Monsieur VEDEL fait remarquer que si, effectivement, les dispositions de l'ordonnance de 1944 sur la transparence avaient été littéralement appliquées à la date de publication de cette ordonnance, les journaux de l'époque, en raison de la pénurie de papier qui existait alors, n'auraient certainement plus eu de place pour publier d'autres informations.

Le Gouvernement fait valoir également que la loi examinée était nécessaire pour clarifier la situation des directeurs de publication élus à l'Assemblée nationale, au Sénat ou à l'Assemblée des communautés européennes et pour assurer un contrôle efficace des influences étrangères.

En ce qui concerne la critique faite à l'article 11 de ne pas permettre de rechercher qui est derrière une entreprise éditrice, le Gouvernement renvoie à l'adoption d'une future loi multi-médias. Par ailleurs, la fixation à 30 % du seuil à ne pas dépasser, lui semble relever de l'appréciation discrétionnaire du Parlement.

Monsieur VEDEL estime que l'impression qui domine de la note du Secrétariat général du Gouvernement, en dépit des passages un peu âpres relatifs aux pouvoirs de contrôle exercés par le Conseil constitutionnel, est qu'en fait, il s'en rapporte un peu à l'appréciation du Conseil en ce qui concerne les dispositions de l'article 11.

En effet, comme l'a écrit Monsieur Bertrand de JOUVENEL, si c'est dans les post-scriptum des lettres des femmes qu'il faut rechercher leurs pensées, c'est certainement dans les dernières lignes de la note du Secrétariat général du Gouvernement qu'il faut rechercher la pensée de ce dernier. Le Secrétariat général du Gouvernement estime que l'article 11 de la loi est séparable du reste. Cette indication est très claire.

Monsieur VEDEL pense, par ailleurs, que les nombreuses indiscrétions dont la presse s'est fait l'écho et qui, étaient toutes relatives à la décision que le Conseil allait prendre ce même-jour, indiscrétions qui ne provenaient certainement pas du Conseil constitutionnel, doivent être comprises comme un moyen de préparer l'opinion à une censure partielle et à en atténuer, par avance, l'impact.

Monsieur VEDEL estime d'ailleurs lui aussi, qu'à l'évidence, l'article 11 peut être déclaré séparable.

Il souhaite rappeler à ses collègues les termes des décisions du Conseil n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 relative à. l'enseignement supérieur et n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984 relative aux entreprises de presse : "Considérant que si l'abrogation des dispositions de la loi ancienne contraires aux dispositions de la loi nouvelle, ainsi que le maintien en vigueur de la règlementation ancienne jusqu'à son remplacement par une réglementation nouvelle n'appelle pas d'observation du point de vue de leur conformité à la Constitution, en revanche, l'abrogation totale de la loi d'orientation du 12 novembre 1968, dont certaines dispositions donnaient aux enseignants des garanties conformes aux exigences constitutionnelles qui n'ont pas été remplacées dans la présente loi par des garanties équivalentes, n'est pas conforme à la Constitution"C.C. 20 janvier 1984 (1) et "Considérant que, loin de s'opposer à la liberté de la presse ou de la limiter, la mise en ouvreerreur d'orthographe de l'objectif de transparence financière tend à renforcer un exercice effectif de cette liberté ; qu'en effet, en exigeant que soient connus du public les dirigeants réels des entreprises de presse, les conditions de financement des journaux, les transactions financières dont ceux-ci peuvent faire l'objet, les intérêts de tous ordres qui peuvent s'y trouver engagés, le législateur met les lecteurs à même d'exercer leur choix de façon vraiment libre et l'opinion à même de porter jugement éclairé sur les moyens d'information qui lui sont offerts par la presse écrite'' (2)C.C. 10-11 octobre 1984.

En ce qui concerne les limitations des concentrations et le pluralisme de la presse :  "Considérant que le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale auxquels sont consacrées les dispositions du titre II de la loi est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu'en effet la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s'adressent ces quotidiens n'était à même de disposer d'un nombre suffisant de publications de tendance et de caractère différents ; qu'en définitive, l'objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels, la liberté proclamée par l'article 11 de la déclaration de 1789, soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leur propre décision ni qu'on puisse en faire l'objet d'un marché'' C.C. 10-11 octobre 1984(2)

Monsieur VEDEL rappelle que tels sont les deux objectifs de valeur constitutionnelle consacrés par le Conseil dans sa décision des 10 et 11 octobre 1894. C'est à la lumière des principes dégagés par ce précédent qu'il convient à son avis d' examiner les griefs faits à la loi. II souhaite tout d'abord bien préciser la portée des décisions du Conseil constitutionnel sur lesquelles les auteurs des saisines appuient le
recours.

En ce qui concerne la décision de janvier 1984 relative à la loi sur l'enseignement supérieur, Monsieur VEDEL précise qu'elle ne consacre en rien l'intangibilité de la loi ancienne. En effet, il relève de la souveraineté du Parlement de modifier ou d'abroger une loi ancienne et de lui substituer des dispositions nouvelles. Mais une telle modification ou une telle abrogation ne peut pas aboutir à supprimer une garantie
nécessaire à l'exercice d'un principe ou d'une règle de valeur constitutionnelle. La loi examinée propose de remplacer des garanties exigées par la Constitution et non pas de les supprimer. Le législateur peut agir ainsi sous réserve toutefois que les objectifs de valeur constitutionnelle soient toujours garantis. Il peut modifier ou ajouter de nouvelles garanties ou prendre des moyens moins complets et moins parfaits. Le Conseil constitutionnel n'a pas à dire si la loi ancienne était meilleure ou au contraire plus mauvaise que la loi nouvelle. La comparaison avec la jurisprudence du Conseil d'Etat permet d'éclairer la nature du contrôle que le Conseil constitutionnel peut exercer sur la
loi. En effet, le problémeerreur d'accent intellectuellement est identique. Le Conseil d'Etat vérifie dans quelle mesure une norme d'un degré inférieur est conforme ou non à une norme d'un degré supérieur.

Le Conseil d'Etat veille à la conformité des règlements à la loi. Le Conseil constitutionnel veille à la conformité de la loi à la Constitution. Tout le système intellectuel mis en oeuvre pour procéder à ce type d'examen est identique. Il y a un pouvoir discrétionnaire de l'administration, il y a un pouvoir discrétionnaire encore plus large du Parlement. L'erreur manifeste, et Monsieur VEDEL signale à ses collègues
une excellente étude parue sur ce sujet dans la revue de droit public, apparaît comme un moyen ultime, presque désespéré, d'opérer un contrôle minimum dans certains cas sur ce pouvoir discrétionnaire soit de l'administration dans le cas du Conseil d'Etat soit de la loi dans le cas du Conseil constitutionnel.

Dans certaines situations en effet, le Conseil d'Etat estime qu'il ne peut exercer qu'un contrôle restreint. II se refuse à apprécier l'opportunité des textes qui lui sont soumis. Pour procéder à son contrôle, le Conseil d'Etat peut s'appuyer sur quatre catégories de moyens : l'erreur de droit, l'erreur de fait, le détournement de pouvoir et enfin l'erreur manifeste d'appréciation. C'est lorsque le Conseil d'Etat n'apprécie la conformité d'un acte réglementaire à la loi que sur la base de l'erreur manifeste d'appréciation que le pouvoir discrétionnaire de l'administration est le plus grand.

La démarche du Conseil constitutionnel est très semblable à celle du Conseil d'Etat. Le législateur dispose d'un très grand pouvoir d'appréciation. S'agissant de garanties à apporter à des exigences de valeur constitutionnelle, il ne commet une erreur d'appréciation que dans le seul cas où la protection dûeerreur d'orthographe est soit inexistante soit d'une faiblesse telle qu'elle est inopérante.

C'est cette définition de l'erreur manifeste, que le Conseil constitutionnel a mis en oeuvre, lorsqu'il a censuré en 1982 la première loi de nationalisation et en 1983 la loi sur la troisième voie d'accès à l'E.N.A.

Quand le législateur nouveau substitue à un système de garanties données à la réalisation d'objectifs de valeur constitutionnelle, un autre système de garanties le Conseil constitutionnel ne peut exercer qu'un contrôle restreint. Il ne peut pas exiger que la loi nouvelle présente quelque chose d'aussi parfait que la loi ancienne.

Les auteurs de la saisine estiment que la loi examinée présente un recul par rapport aux garanties de la loi de 1984 . Ils déduisent du seul fait de ce recul que la loi examinée est contraire à la Constitution. Cette déduction est erronée. Le fait que les garanties données par la loi nouvelle puissent apparaître inférieures aux garanties de la loi ancienne ne suffit pas à rendre la loi nouvelle contraire â la Constitution. La décision de janvier 1984 sur l'enseignement supérieur n'exigeait pas que les garanties nouvelles soient équivalentes ou supérieures aux garanties anciennes.

Monsieur VEDEL se propose d'examiner à cet instant de son rapport l'argument tiré de la jurisprudence issue de la décision des 10 et 11 octobre 1984.

Il rappelle dans quelles conditions passionnelles le Conseil constitutionnel avait dû statuer. Le Conseil avait dû corriger une bévue énorme contenue dans la loi qui interdisait de dépasser certains seuils même par un accroissement interne, interdiction qui ne correspondait certainement pas à l'intention du législateur. La loi sur la transparence et le pluralisme de la presse permettait par ailleurs de remonter aussi haut et aussi loin qu'il le fallait pour déterminer qui était le maître réel des journaux . Pour atteindre cet objectif la loi de 1984 avait utilisé et mis en oeuvre des notions au contenu très extensible telles celles de "groupements de fait", "par tous moyens" et "contrôles
indirects". Le Conseil n'avait pas décidé qu'il y avait des éléments contraires à la Constitution dans ces notions. Il avait donc admis les dispositions relatives à la transparence. Il est vrai que le système mis en place en 1984 était très inquisitorial et si les auteurs des saisines, à l'époque, n'avaient pas autant "tirer leur poudre aux moineaux " ils auraient pu sans doute amener le Conseil constitutionnel à prononcer d'autres annulations. A titre d'exemple, Monsieur VEDEL donne lecture de l'article 4 de la loi du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse aux termes duquel : "Les actions représentant le capital social d'une entreprise de presse et celles d'une société qui
détient directement ou indirectement 20 % au moins du capital social d'une entreprise de presse ou des droits de vote dans cette entreprise doivent revêtir la forme nominative.". Puis il développe les conséquences critiquables à son avis que l'application de cette disposition aurait pu entraîner .

Monsieur VEDEL fait remarquer qu'en ce qui concerne le pluralisme de la presse le Conseil constitutionnel partait d'un état de la presse à un moment donné et estimait qu'il n'était pas nécessaire, en cet état, de rendre les dispositions de la loi examinée à l'époque rétroactives. Ainsi, il estime que, contrairement â ce qu'écrivent les auteurs des saisines, le Conseil n'a pas fait une théorie des droits acquis en
matière de liberté publique, mais plus simplement une théorie de la proportionnalité des moyens mis en oeuvre avec les fins poursuivies. En 1984, le Conseil a estimé qu'il n'était pas nécessaire, pour servir l'objectif constitutionnel de pluralisme, de rendre rétroactives les dispositions de la loi relatives aux seuils. Le Conseil avait toutefois validé le principe d'un seuil qui ne devait pas être dépassé par le moyen de procédures purement financières. Il avait en outre fermé les yeux sur la situation tout-à-fait monopolistique de la presse régionale. Monsieur VEDEL déclare que, pour autant qu'il s'en souvienne, la décision du Conseil avait été dictée par le bon sens. En effet, dans n'importe quelle petite bourgade éloignée de province, il est possible de trouver toute la
presse nationale et un journal local. Quant à la "Commission CAILLAVET", comme elle s'est appelée par la suite, le Conseil n'avait censuré que le pouvoir juridictionnel considérable que la loi lui conférait.

Monsieur VEDEL déclare que bien des critiques ont été portées contre le système résultant de loi du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse. On a reproché à ce système de coexister difficilement avec celui de l'ordonnance de 1944 remis en vigueur par la décision du Conseil constitutionnel. Cette dualité de régimes juridiques de la presse a posé de gros problèmes de fonctionnnement à la Commission CAILLAVET, difficultés qui se sont révélées à l'occasion d'affaires auxquelles Monsieur HERSANT a été mêlé. En ce qui concerne la loi examinée, Monsieur VEDEL estime que les principales difficultés qu'elle pose quant à sa conformité à la Constitution sont relatives au pluralisme et à la transparence.

Sur le pluralisme la disposition la plus importante est celle de l'article 11 : "Est interdite, à peine de nullité, l'acquisition d'une publication quoditienneerreur d'orthographe d'information politique et générale ou de la majorité du capital social ou des droits de vote d'une entreprise éditant une publication de cette nature, lorsque cette acquisition aurait pour effet de permettre à l'acquéreur de détenir plus de 30 p. 100 de la diffusion totale sur l'ensemble du territoire national des quotidiens d'information politique et générale, appréciée sur les douze derniers mois connus précédant la date d'acquisition".

Par rapport à la loi de 1984 l'article 11 sanctionne sa violation par la nullité des actes ainsi commis. Ce qui est un bon point pour lui. A l'instar de la loi de 1984 l'article 11 crée un seuil qui ne peut pas être dépassé sauf par un accroissement normal du journal ou par la création de titres nouveaux. Ce qui est prohibé par cet article c'est un
processus financier permettant une concentration par absorption ou acquisition de publications déjà existantes. Le seuil posé par l'article 11 est 30 % de la diffusion totale sur l'ensemble du territoire national des quotidiens d'information politique et générale. Il s'agit d'un seuil unique et global qui est plus élevé que les anciens seuils.

Les auteurs de la saisine lui reprochent d'être trop élevé. Monsieur
VEDEL est d'avis qu'on peut laisser ce problème de côté. Pour lui il s'agit là d'une pure mesure d'opportunité. Il faudrait beaucoup d'audace au Conseil constitutionnel pour censurer ce seuil en tant que tel sauf bien sûr en cas d'erreur manifeste. Si par exemple le seuil était placé à 90 % ou à 60 %. Fixé à 30 % ce seuil peut apparaître comme généreux pour les groupements mais n'est pas manifestement attentatoire au pluralisme.

Par ailleurs ce seuil tombera si le Conseil constitutionnel censure comme
il le lui proposera l' article 11. Monsieur VEDEL exprime par ailleurs le regret que dans la loi de 1984 les seuils fixés aient été très respectueux des monopoles régionaux.

L'article 11 de la loi interdit l'acquisition d'une nouvelle publication lorsque cette acquisition aurait pour effet "de permettre à l'acquéreur de détenir plus de 30 % de la diffusion totale sur l'ensemble du territoire national des quotidiens d'information politique et générale, appréciés sur les douze derniers mois connus précédant la date d'acquisition.". Il semble à Monsieur VEDEL que dans sa rédaction, l'article 11 est un "pistolet de paille". En fait la disposition est tellement large qu'il n'y a pas de règle du tout. Ainsi par exemple si Jacques, Pierre ou Robert veulent sans méconnaître les dispositions de cet article s'assurer le contrôle d'un journal il leur suffira de créer une société dite "Théophraste Renaudot". L'article 11 peut interdire à la société "Théophraste Renaudot" d'acquérir une publication si cette acquisition a pour effet de permettre à la société "Théophraste Renaudot" de dépasser le seuil de 30 %. Il est vraisemblable que la société "Théophraste Renaudot" ne dépassera jamais ce seuil. Mais on ne pourra pas lui opposer le fait qu'elle n'est que la filiale d'une société mère qui elle possède déjà 30 % des publications générales ou au-delà. C'est là le mécanisme le plus simple. Certes le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'était pas possible de censurer une loi en raison des risques qu'elle avait d'être violée ou contournée. Le mauvais usage virtuel d'un texte ne justifie pas sa censure constitutionnelle. Mais dans le cas d'espèce il n'y a pas d'abus, il n'y a pas de détournement. L'article 11 permet purement et simplement les concentrations les plus larges. Monsieur VEDEL précise à ses collègues qu'il était troublé par le texte de l'article 11. Il s'est demandé s'il l'avait bien compris. La note du Gouvernement a libéré ses doutes sur ce point.

En effet, dans sa note, le Gouvernement après s'être livré à un certain "ergotage" sur la décision du Conseil constitutionnel rendue à l'occasion de la loi sur la concentration et le pluralisme de la presse, précise que le juge judiciaire aura seul à apprécier qui sera le détenteur réel des publications. Ce qui lui paraît ennuyeux c'est que cette interprétation du Gouvernement est contraire au texte même de l'article 11. En effet, la personne qui est soumise à l'interdit de concentration de l'article 11 c'est l'acquéreur des publications et non pas le détenteur. Dès lors que l'acquéreur ne dépasse pas le seuil fixé de 30 % il est irréprochable. Par ailleurs les travaux préparatoires ne laissent pas de doute sur ce point. Au cours des débats tous les amendements qui ont tendu à faire peser l'interdit sur l'acquéreur réel, c'est-à-dire sur les détenteurs, qui dépassaient le seuil de 30 % ont été rejetés. Au surplus, une interprétation restrictive s'impose puisque l'article 11 est sanctionné pénalement .

Il convient également de remarquer que les notions de contrôle direct et indirect ont été systématiquement exclues de toutes les dispositions de la loi au prétexte que ces notions n'étaient ni claires ni opératoires, comme si elles n'existaient pas déjà dans notre droit, sauf en ce qui concerne, dans l'article 7, la prise de participation des intérêts étrangers.

Monsieur VEDEL a attiré l'attention du Secrétariat général du Gouvernement sur ce point à l'occasion de la réunion de travail qu'il avait avec lui. II lui a été répondu qu'on voulait que l'article 7 soit efficace ce qui établit clairement qu'on ne voulait pas que l'article 11 le soit !

L'interdiction posée par l'article 11 de dépasser un seuil de 30 % ne s'impose qu'au seul acquéreur et non pas à l'auteur réel de l'opération.

Le texte de l'article 11 est parfaitement inopérant. Avec l'abrogation de la loi de 1984 il n'y a donc plus aucune garantie, aucune protection contre une concentration excessive de la presse. Au surplus, une interprétation litéraleerreur d'orthographe du texte de cet article permettrait à un acquéreur ayant déjà 30 % de la presse ou plus de 30 % de continuer à
acheter librement des titres des publications existantes.

Aussi il propose au Conseil de prononcer la censure de l'article 11 et également la censure des dispositions de la loi examinée qui abrogent l'ordonnance de 1944 et la loi de 1984. En effet, ce qui est condamnable c'est l'ensemble de ce dispositif qui supprime les garanties données par la loi à des objectifs de valeur constitutionnelle sans leur substituer d'autres dispositions. En effet, de part son effet inopérant l'article 11 n'offre aucune garantie. Il propose donc de soumettre l'ensemble de ce dispositif à "la hache du Conseil".

Monsieur le Président propose alors d'ouvrir la discussion générale sur ce point.

Monsieur MARCILHACY remercie Monsieur VEDEL de son exposé qu'il a trouvé brillant et extrêmement intéressant. Il souhaite faire part à ses collègues de son problème de conscience. La loi actuellement examinée relance ce que l'on a appelé "l'affaire HERSANT". Il demande à Monsieur le Président MAYER de bien vouloir lui pardonner d'user de cette expression. Il pense que la décision rendue par le Conseil précédemment était une décision fâcheuse, il l'a lui-même regrettée. Mais elle posait un problème dont il faut avoir l'honnêteté de dire qu'il est quasiment insoluble. Mais le Conseil pouvait-il faire mieux ? Pour le reste il lui semble lui aussi que la disposition de l'article 11 est extrêmement détestable. Cet article interdit de dépasser un seuil de 30 % sauf pour ceux qui disposent déjà de plus de 30 % des quotidiens.

Monsieur FABRE demande si la loi actuellement examinée est également applicable aux hebdomadaires et biquotidiens.

Monsieur VEDEL répond qu'en ce qui concerne la concentration il est possible de distinguer le sort des quotidiens de celui des autres publications.

Ce qui est redoutable c'est la concentration des quotidiens qui menace réellement le pluralisme. Il concède que le problème des biquotidiens n'a pas été vu. Mais il pense qu'il faudrait considérer un biquoditienerreur d'orthographe comme un quotidien.

Monsieur MARCILHACY déclare qu'il est lui-même "un vieux routier de la presse" et rappelle qu'il a eu sa carte de journaliste pendant longtemps. Il s'est toujours interrogé sur le sens qu'il fallait donner à l'expression biquoditienerreur d'orthographe. Il rappelle que le "Petit parisien" avait jusqu'à sept éditions par jour. A son avis le problème de la presse est un problème quasiment insoluble. Il déclare que, par bonheur, le texte aujourd'hui examiné présente un côté "farfelu" que le "Doyen" a bien vu. Il s'agit là d'une question de fait devant laquelle le pouvoir politique
baisse les bras. Ceci dit Monsieur MARCILHACY estime que l'impact de la presse est dérisoire par rapport à celui beaucoup plus redoutable de l'audiovisuel.

Monsieur SIMONNET fait observer que le pluralisme des quotidiens est un luxe parisien. Le français moyen, celui qui vit en province, vit sous le régime du monopole de fait. Il estime que le seuil de 30 % ne changera rien à l'affaire. En province il n'y a guère que deux situations de pluralisme, le nord et le midi. Dans les deux cas, il constate que c'est le journal dominant qui a sauvé le journal menacé. Dans le midi c'est le journal de Gaston DEFFERRE qui a sauvé le "Midi libre". Dans le nord, c'est le puissant journal "Nord éclair" qui a sauvé son rival. Ces deux journaux appartiennent maintenant au même groupe. En province, Monsieur SIMONNET estime que c'est la concentration de la presse qui a sauvé le pluralisme. Il estime donc que le problème examiné et débattu est un problème purement théorique pour au moins les 4/5 des français. Voici pour le fait. Pour ce qui est du problème juridique Monsieur SIMONNET
déclare que Monsieur CAILLAVET qui est un fin juriste et un homme modéré a dit lui-même que la législation sur la presse était purement et simplement inapplicable. L'ordonnance de 1944 n'a jamais été appliquée et les décrets d'application n'ont jamais vu le jour. La coexistence de la loi de 1984 et de l'ordonnance de 1944 a créé un imbroglio juridique difficile à dénouer. Monsieur CAILLAVET lui-même a exprimé le souhait d'une nouvelle loi abrogeant ces deux textes.

Monsieur SIMONNET s'inquiète de la portée de la décision du Conseil constitutionnel si celui-ci décide la censure de l'article 11. Cette censure apportera-t-elle de la clarté là où il y a de l'obscurité, de l'ordre là où il y a du désordre, de la simplicité là où il y a de la complexité ? Il ne le croit pas. La presse est actuellement régie par deux textes. La censure du Conseil aura simplement pour effet d'en rajouter un troisième. Il plaint le juge et la commission qui aura à appliquer une législation aussi compliquée. Pour ce qui est des notions de contrôle direct ou indirect, il remarque qu'elles ne figuraient pas non plus dans l'ordonnance de 1944 et n'étaient pas définies dans la loi de 1984.

Monsieur VEDEL donne alors lecture du troisièmement de l'article 2 de la loi du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et assurer la
transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse aux termes duquel : "Le "contrôle" s'entend de la possibilité pour une personne d'exercer, sous quelque forme que ce soit et par tout moyen d'ordre matériel ou financier, une influence déterminante sur la gestion, le fonctionnement d'une entreprise de presse.".

Monsieur SIMONNET déclare qu'il ne pense pas que l'absence ou la présence du mot "contrôle direct ou indirect" puisse justifier la censure de la loi. Il craint par ailleurs que la décision du Conseil ait pour effet que le Gouvernement, qui n'aura aucun amour propre à l'égard d'un texte dont il n'est pas l’auteur, accepte de maintenir les deux lois précédentes, c'est-à-dire celles de 1944 et celle de 1984, toutes deux inapplicables et inappliquées. Il se satisfera par ailleurs de la censure de l'article 11 qui remplaçait "des barrières de papier" par des garanties bien plus réelles.

Monsieur VEDEL répond à Monsieur SIMONNET que ce n'est pas parce que quelque chose est imparfait qu'il faut le remplacer par le néant. Car pour lui l'article 11 est un néant. Monsieur CAILLAVET par ailleurs indique que les choses étaient compliquées mais il n'a pas dit qu'elles étaient inapplicables. Il constate simplement que le texte de l'article 11 ne permet pas de remonter jusqu'à l'acquéreur réel. Il n'ose pas penser que cet article ait été fait exprès pour ça nais il finira par le croire.

Monsieur le Président cite à cet instant les conclusions du rapport CAILLAVET. Il en retient que la commission CAILLAVET a estimé que la loi de 1984 était démocratique et réaliste et que malgré quelques difficultés elle s'est montrée opératoire. Il n'y voit pas la "noire critique" présentée par Monsieur SIMONNET.

Monsieur SIMONNET déclare plaindre le juge et la commission.

Monsieur LECOURT considéreerreur d'accent pour sa part qu'il faut partir du fait que le pluralisme est reconnu comme une exigence de valeur constitutionnelle. Il remarque que dans la loi examinée le pluralisme est censé être garanti par l'article 11. Or le texte actuel de l'article 11 ne permet pas d'assurer cette garantie. Il remarque en outre que même rapproché des dispositions relatives à l'interdiction du prête-nom, l'article 11 ne permet pas de garantir le pluralisme. Aussi, cet article lui semble mériter toutes les critiques que Monsieur VEDEL a porté contre lui .

Il se déclare par ailleurs très impressionné par le rapport de Monsieur VEDEL. En particulier il a trouvé pleine et entière satisfaction dans ce que Monsieur VEDEL a appelé le ''premier pilier'' des auteurs de la saisine.

Il s'était ému de l'interprétation donnée par les auteurs de la saisine de la décision du Conseil constitutionnel de janvier 1984. Dans cette décision, le Conseil avait dit que des garanties n'avaient pas été remplacées par la loi examinée. A partir de cette décision il s'est monté toute une théorie en vertu de laquelle le Conseil constitutionnel serait obligé de procéder systématiquement à une comparaison entre la loi ancienne et la loi nouvelle.

Si cette comparaison faisait apparaître qu'une loi nouvelle donnait moins
de garantie qu'une loi ancienne, pour cette seule raison, elle devrait être déclarée contraire à la Constitution. Monsieur LECOURT redoutait qu'une telle interprétation, heureusement démentie par l'analyse qu'en a fait Monsieur VEDEL, conduise à une réduction considérable du domaine d'action du législateur. Il craignait que le Conseil constitutionnel ne soit amené à se mettre en contradiction avec lui-même. Toutefois, il est très satisfait par la nuance apportée dans son rapport par Monsieur VEDEL. Le mécanisme tel que l'imaginait les auteurs de la saisine aurait pu emporter le Conseil constitutionnel très loin. Il en avait la crainte mais il est maintenant parfaitement rassuré. Toutefois, la rédaction du projet de décision le rassure un peu moins dans deux passages au moins qui incitent tous deux à la comparaison. Il se déclare hostile pour sa
part à une décision qui laisserait place à une notion de comparaison. Il pense que l'article 11 doit être censuré parce que cet article ne donne aucune garantie et non pas parce que les garanties qu'il offre viennent en réduction des garanties anciennes offertes par les lois de 1944 ou de 1984. Il estime qu'il convient de décourager les demandes, hélas de plus en plus fréquentes, des auteurs des saisines de comparer les lois entre elles, ce que le Conseil n'a pas à faire. En effet, le Conseil juge la loi en quelque sorte dans l'absolu.

Monsieur JOZEAU - MARIGNE fait part de son plein accord avec le rapporteur. Les principes de base dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel sont des principes intangibles avec lesquels le Conseil ne peut pas transiger. Il a bien entendu ce qu'a dit Monsieur SIMONNET mais il lui semble qu'on ne peut interpréter que ce qui est interprétable et tel n'est pas le cas de l'article 11. Par ailleurs, c'est un phénomène bien connu que les plaideurs ont toujours tendance à baser leur demande sur la jurisprudence de leur juge. Il partage donc complètement sur ce point les préoccupations de Monsieur LECOURT qui a tout-à-fait raison. Il est nécessaire que le Conseil constitutionnel s'appuie fermement sur sa jurisprudence et ne se laisse pas emporter. En ce qui concerne le premier considérant de la page 12 il se réserve de faire ultérieurement une proposition rédactionnelle mais dès maintenant il veut faire part de son plein accord avec les huit premières lignes de ce considérant.

Monsieur MAYER craignait que le Conseil constitutionnel ne prenne un peu trop l'habitude d'interpréter la loi. Il n'a pas regretté que le Conseil l'ait fait précédemment car cela était sans doute nécessaire. Il est d'autant plus satisfait qu'en ne suivant pas Monsieur SIMONNET, le Conseil constitutionnel indiquera bien qu'il n'est pas une troisième chambre.

Monsieur le Président fait part de son plein accord avec ce qui vient d'être dit. Toutefois, il remarque que les deux dernières décisions auxquelles sans doute Monsieur le Président MAYER fait allusion étaient relatives à des lois d'habilitation. Il s'agissait là donc de lois un peu particulières et les pouvolrs du Conseil ne sont peut être pas exactement les mêmes dans cette matière. Puis il propose à Monsieur VEDEL de procéder à la lecture de la première partie de son projet de décision.

Monsieur VEDEL dit qu'il a suivi avec beaucoup d'attention et le plus grand intérêt les judicieuses observations présentées par Messieurs MAYER, JOZEAU-MARIGNE, LECOURT et SIMONNET bien qu'il ne se rallie pas aux observations de ce dernier. En ce qui concerne la proposition du Président, il préfère pour sa part reprendre l'ensemble de son texte et corriger dans la foulée plutôt que de le faire partie par partie.

Monsieur le Président suggère alors à Monsieur VEDEL de ne lire que les quatre premières pages de son projet de décision c'est-à-dire jusqu'à la partie du projet relative à la transparence financière.

Monsieur VEDEL acquiesse.

Sur le premier considérant de la page 3, Monsieur LECOURT propose un amendement rédactionnel. Il propose d'écrire "que si l'exercice de ce pouvoir permet au législateur de concilier divers impératifs d'intérêt général, il ne saurait aboutir...".

Une discussion s'instaure sur ce point au sein du Conseil.

Monsieur LECOURT fait valoir que le Conseil est ici en présence d'un impératif de valeur constitutionnelle, le pluralisme de la presse et d'un impératif économique, la nécessité de la concentration. Il lui semble que le législateur doit se débrouiller pour les concilier et qu'il ne peut ce faisant supprimer des garanties à des exigences constitutionnelles.

Monsieur VEDEL propose de faire remonter plus haut l'idée de conciliation nécessaire.

Monsieur le Président demande le remplacement du mot "contrainte" qui lui semble avoir une résonnanceerreur d'orthographe péjorative par le mot "disposition" qui lui paraît plus neutre.

Une discussion s'instaure au sein du Conseil sur ces différents points.

Monsieur le Secrétaire général fait alors une proposition rédactionnelle qui recueille l'agrément du Conseil constitutionnel.

Monsieur VEDEL sur le premier considérant de la page 3 indique que son texte est extrait de la décision que le Conseil constitutionnel a précédemment rendue à l'occasion de l'examen de la loi sur la démocratisation du secteur public dite "loi AUROUX".

A 12 h 35, Monsieur le Président suspend la séance.

Monsieur le Président réouvre les débats à 14 h 40.

Monsieur VEDEL procède à l'examen des articles 3 à 10 de la loi. Il indique que ces articles s'ils ne sont pas censurés par le Conseil constitutionnel aboutissent à supprimer la commission dite commission CAVAILLET.

Dans la mesure où le Conseil constitutionnel prononce la censure des articles d'abrogation, cette commission se maintiendra. Monsieur VEDEL concède qu'elle aura sans doute quelque difficultés à fonctionner de manière harmonieuse.

Monsieur VEDEL donne lecture de l'article 3 : "Il est interdit de prêter son nom à toute entreprise éditrice, en simulant la souscription d'actions ou de parts, l'acquisition ou la location-gérance d'un fonds de commerce ou d'un titre".

Il explique que cet article n'interdit le prête-nom que dans le cas d'une société éditrice.

Monsieur le Président se déclare extrêmement soucieux du caractère restrictif de l'interdiction de prête-nom. Il propose de supprimer dans la loi les quatre mots "dans toute entreprise éditrice".

Monsieur VEDEL voit deux objections à la proposition du Président. Tout d'abord, il estime qu'il y a là un problème général qui se pose pour tous les articles. La transparence doit-elle pouvoir remonter à l'infini. Pour sa part, il pense que cela est possible mais qu'il n'y a pas là de nécessité réellement constitutionnelle. La seconde objection est la suivante. Le changement proposé ne serait pas aussi important que l'on peut le supposer. En effet, l'article 2 de la loi en limite déjà le champ d'application aux entreprises éditrices. La suppression des quatre mots ne changerait pas la portée de cette disposition de l'article 2.

Monsieur VEDEL donne alors lecture de l'article 4 de la loi ainsi conçu : "Dans le cas de sociétés par actions, les actions doivent être nominatives. Toute cession est soumise à l'agrément du Conseil d'administration ou de surveillance". Il constate que cet article est vraiment "au ras de l'entreprise".

Monsieur VEDEL donne ensuite lecture de l'article 5 de loi : "Dans toute publication de presse, les informations suivantes doivent être portées, dans chaque numéro, à la connaissance des lecteurs : 1° Si l'entreprise éditrice n'est pas dotée de la personnalité morale, les nom et prénom du propriétaire ou du principal copropriétaire ; 2° Si l'entreprise éditrice est une personne morale, sa dénomination ou sa raison sociale, son siège social, sa forme et le nom de son représentant légal et de ses trois principaux associés ; 3° Le nom du directeur de la publication et celui du responsable de la rédaction". Il estime que cette disposition de l'article 5 est une des plus sages de la loi. Elle est relative aux informations qui doivent être portées à la connaissance des lecteur. Il estime que cette disposition est heureuse car il ne faut pas asphyxier le lecteur d'informations multiples.

Monsieur VEDEL donne ensuite lecture des articles 7 à 10 de la loi en indiquant que les deux premiers sont relatifs au contrôle de l'influence étrangère.

Monsieur VEDEL annonce qu'il va procéder à l'inventaire des critiques apportées à ces textes. Il constate que celles-ci ne sont pas très vives en ce qui concerne la transparence. Pour ce qui est de la commission CAVAILLET, Monsieur VEDEL rappelle les dispositions le concernant auraient été déclarées conformes à la Constitution du moment que les attributions de cet organisme n'empiétaient pas sur celles de l'autorité judiciaire. A son avis sa suppression n'est pas en elle-même contraire à la Constitution. Il n'est pas nécessaire de créer une commission spéciale pour l'application de chaque loi.

Pour ce qui est du mécanisme de transparence, il lui est fait grief d'être insuffisamment remontant. Mais cela ne lui semble pas inconstitutionnel. Dans son principe même, la transparence remontante n'a pas de limite. Même si le secret des affaires n'a pas valeur constitutionnelle, il semble difficile d'imposer la transparence de toutes les entreprises françaises. Surtout quand on connaît l'attachement des français au secret des affaires. Cet attachement est plus fort chez nous en France que dans bien des pays plus attachés que le nôtre au principe du capitalisme.

La transparence est un des moyens du pluralisme ; il s'agit d'empêcher l'accaparement par un homme ou par quelques hommes de toute la presse et des médias. Si l'on se place du point de vue de la garantie à donner au pluralisme, il apparaît nécessaire de pouvoir faire remonter la transparence aussi loin qu'il est possible. Concrètement pourtant, il est tout-à-fait possible de s'arrêter à un certain niveau de transparence à tout le moins si l'on ne fait pas croire qu'il n'est pas techniquement possible de remonter plus haut. En ce qui concerne le pluralisme, la "transparence remontante" est vitale. En matière d'information, elle est essentielle mais elle n'est pas vitale. Il n'est pas possible de dire que le refus d'un contrôle est en lui-même contraire à la Constitution quand la suppression de ce contrôle permet l'avancée des libertés.

Monsieur VEDEL estime que le Conseil constitutionnel exercerait un contrôle excessif s'il censurait l'aménagement des modalités de transparence en matière d'information du public. Le public est persuadé que le Conseil constitutionnel a une politique jurisprudentielle. En fait, Monsieur VEDEL estime que le Conseil obéit plus à la prudence et au pragmatisme. A son avis la France est un pays de consensus par ses citoyens et de division par sa classe politique. Les audaces du Conseil constitutionnel ont été officiellement bien accueillies. Toutefois, des parlementaires, en tant que tels, peuvent s'inquiéter de savoir quelle marge d'initiative le Conseil constitutionnel leur laissera. Il pense que si le Conseil est amené à censurer il doit le faire mais en motivant fortement sa décision. Le Conseil constitutionnel peut censurer ; mais que fait-il ? En fait, il donne des directives, il interprète la loi. Il dit, vous pouvez abroger des lois anciennes à condition de faire des lois nouvelles.

En matière de transparence, le Conseil constitutionnel peut difficilement aller plus loin du moment qu'il n'y a pas de suppression de garantie. Que des garanties, même modestes, soient données et le Conseil ne peut exiger beaucoup plus. Il est possible que le Conseil soit critiqué pour cette décision. On lui reprochera d'avoir pris une décision "chèvre et chou". On lui dira "vous censurez le législateur en annulant l'article 11, "la prunelle de ses yeux", mais vous condamnez d'un autre côté les auteurs de la saisine en laissant subsister les décisions sur la transparence".

Ces critiques seraient injustifiées. Elles s'appuieraient sur une apparence trompeuse. En effet, la logique impose de censurer l'article 11 qui touche au pluralisme. Mais pour ce qui est de la transparence, les dispositions de la loi sont honnêtes. Elles ne sont pas très exigeantes, mais elles ne dissimulent pas de véritable piège.

Monsieur VEDEL propose donc à ses collègues de ne pas toucher à ces dispositions.

Il déclare par ailleurs que les sénateurs en se "battant un peu les flancs" interviennent après les députés pour trouver des motifs de censure qui leur soient propres. Il remarque que l'inverse est d'ailleurs vrai lorsque les députés interviennent après les sénateurs. Ceux-ci font grief à l'article 12 de ne pas préciser à qui incombent les obligations que cet article sanctionne. Monsieur VEDEL déclare à ses collègues qu'il a relu plusieurs fois le texte de la loi. Après ces différentes lectures, il est persuadé que la saisine a dû être rédigée sur "un coin de table" par quelqu'un qui n'a pas lu la loi. En effet, le moyen ne tient pas. En résumé, il propose au Conseil de prononcer la censure de l'article 11 et de l'article 12, 5° qui le sanctionne ainsi que de l'article 21 qui abroge l'ordonnance de 1944 et la loi de 1984.

Toutefois, une question se pose. Les dispositions ainsi censurées sont-elles séparables du reste de la loi. Monsieur VEDEL pense que oui. Il n'y a pas de lien littéral et logique entre les articles qu'il propose de censurer et les autres articles de la loi. On peut certes objecter qu'il sera vraiment difficile de faire coéxistererreur d'orthographe l'ordonnance de 1944 "décidemmenterreur d'accent increvable" puisque maintenue une seconde fois, et la loi de 1984 ainsi que le texte actuel. La commission CAVAILLET qui subsistera, aura donc à faire face à bien des difficultés. Cet argument est certainement un argument de poids mais ce n'est pas un argument d'anticonstitutionnalité. Le gouvernement, tout comme lors de la précédente affaire relative à la Nouvelle-Calédonie, a le choix soit de faire promulguer la loi soit de refaire une loi, nouvelle ou de solliciter du chef de l'Etat une nouvelle délibération.

Monsieur VEDEL estime, en ce qui le concerne, qu'il n'est pas possible d'abroger l'ordonnance de 1944 et la loi de 1984. En effet, une telle abrogation jointe à la censure de l'article 11 créerait un vide juridique. Or c'est précisément l'abolition de la loi ancienne et l'inexistence du dispositif mis en place par l'article 11 qui fait l'inconstitutionnalité du dispositif examiné.

Il précise qu'il y a deux manières de procéder. Le Conseil peut décider que dans la mesure où la loi actuelle ne donne pas de garanties nouvelles, il convient de maintenir les garanties anciennes. C'est une solution. L'autre solution consiste à maintenir la loi de 1984 nais en affirmant que cela se fait dans l'ignorance où se trouve le Conseil de savoir ce que le législateur aurait décidé s'il avait eu connaissance de la censure que le Conseil s'apprête à prononcer. Il est certain qu'au point de vue des résultats ceux-ci sont identiques. Mais psychologiquement, la portée est différente. Monsieur VEDEL exprime sa préférence pour la seconde solution.

Monsieur VEDEL invoque une seconde raison à l'appui de son choix. Le Conseil à déjà procédé dans le même domaine, de la même manière, en 1984 à l'encontre d'un gouvernement de gauche.

Un autre argument, est un argument qu'il appelerait "un argument d'élégance". Il déclare qu'on reconnaît un bon matador à ce qu'il ne transforme pas la mise à mort du taureau en boucherie. L'épée pénètre dans le cou de la bête mais le sang n'envahit pas l'arène. La décision sera interprétée de manière passionnelle, c'est pourquoi, il vaudrait mieux ne pas innover en matière de censure et suivre les précédents.

Monsieur VEDEL est hostile à tout ce qui pourrait conforter l'idée fausse de l'intangibilité de Ia loi ancienne. La formule qu'il propose est plus neutre.

A cet instant de son rapport, Monsieur VEDEL souhaite faire part à ses collègues de ses sentiments sur la manière dont l'instruction de cette affaire à été menée. Il indique à ses collègues que le groupe socialiste utilise en ce moment les services d'un excellent juriste, Monsieur CARCASSONNE. Monsieur CARCASSONNE réagit très vite. Lui-même a eu de très bons échanges avec Monsieur CARCASSONNE et il a transmis les observations que Monsieur CARCASSONNE avait faites, au gouvernement. C'est là une procédure inusitée dans les pays civilisés mais qui a très bien fonctionnée.

Monsieur le Président indique aux membres du Conseil qu'il souhaite provoquer une nouvelle réunion avec eux afin de discuter des méthodes d'instruction du Conseil constitutionnel. Pour le reste, il se réserve d’intervenir ultérieurement sur la transparence.

Monsieur MARCILHACY déclare souscrire entièrement aux conclusions de Monsieur VEDEL. Lui-même a participé en son temps, à la rédaction de l'ordonnance de 1944 qui n'a pas été appliquée parce qu'à son avis, elle n'était pas applicable. Il pense d'ailleurs que la loi de 1984 n'était pas applicable non plus et que celle qui est examinée actuellement ne le sera sans doute guère plus. A la vérité, il lui semble que le Parlement se heurte là à un problème équivalent à celui de la quadrature du cercle. Il estime que la seule technique possible serait celle utilisée par les pays anglo-saxons qui renverrait la matière à l'appréciation des tribunaux. Il lui semble en effet, que cette matière n'est pas susceptible d'être réglementaire dans son détail.

Monsieur MARCILHACY estime que l'article 5 est plein de bonnes intentions. Mais qu'en fait, c'est une "bouillie pour les chats". Monsieur MARCILHACY pense que cet article ne préservera pas les lecteurs français de certains groupes de presse qui ont des appétits démesurés. Il pense au groupe de Monsieur HERSANT parce qu'il aime appeler les choses par leur nom. Toutefois, il se ralliera à la solution adoptée par le Conseil constitutionnel. Il se demande simplement s'il ne serait pas plus sage de renvoyer tout le texte au Parlement.

Monsieur VEDEL fait observer à Monsieur MARCILHACY qu’il ne s'agit pas ici de sagesse mais de Constitution.

Monsieur MARCILHACY estime que c'est dommage que les deux mots sagesse et Constitution ne soient pas conciliables.

Monsieur MAYER leur fait remarquer que les deux choses ne sont pas forcément incompatibles.

Monsieur VEDEL pense qu'il est heureux qu'ils soient inconciliables car c'est comme cela selon lui que le monde marche.

Monsieur le Président déclare que ce texte a été voté en décembre 1985 suite à une proposition de loi. Ce n'est pas étonnant, car en effet, si ce texte avait été examiné par le Conseil d'Etat, l'article 3 n'aurait certainement pas été retenu. Il exprime son plein accord avec Monsieur LECOURT. Les garanties des objectifs constitutionnels sont à la discrétion pleine et entière du législateur, sous la seule réserve qu'elles ne soient pas chimèriqueserreur d'accentou inexistantes. Il ne faut pas qu'elles constituent des "pistolets de paille".

En 1984, le Conseil constitutionnel a donné à la transparence la valeur d'un objectif de valeur constitutionnelle. Cet objectif est sans doute aussi important que celui du pluralisme. Son contenu minimal est que le lecteur puisse choisir en connaissance de cause son journal ; qu'il sache à qui ce journal appartient. C'est le but poursuivi en 1984. Il faut empêcher que le propriétaire d'un journal avance masqué. Monsieur le Président insiste sur le terme de masque. Il ne faut pas que le propriétaire d'un journal avance devant ses lecteurs masqué. Le masque, c'est la volonté délibérée de tromper ; c'est faire croire aux lecteurs que le propriétaire est quelqu'un d'autre que ce qu'il est réellement. C'est contre cela qu'a été prise l'ordonnance de 1944 et c'était là le dessein et la volonté issus de la résistance.

Les articles 4, 5, 6 et 7 de la loi réduisent l'exigence de transparence. Les garanties existantes ont été réduites. C'est d'ailleurs ce que soulèvent les auteurs des saisines. Toutefois, à ses yeux, le problème n'est pas là. Le problème est posé par l'article 3 de la loi qui met le Conseil constitutionnel devant un artifice complet. Monsieur BADINTER explique à ses collègues que c'est précisément en raison des difficultés relatives au prête-nom qu'il y a eu des difficultés de mise en oeuvre des dispositions pénales à l'encontre d'un certain patron de presse. Aux termes de l'article 3 : "Il est interdit de prêter son nom à toute entreprise éditrice, en simulant la souscription d'actions ou de parts, l'acquisition ou la location-gérance d'un fonds de commerce ou d'un titre".

Monsieur le Président fait remarquer que la souscription d'actions, c'est pour tout juriste une action qui se place au moment de la constitution d'une société ou d'une augmentation de capital. En aucun cas le Conseil constitutionnel ne pourrait interpréter plus largement le mot "souscription d'actions".

Monsieur le Président constate qu'en France, il n'y a actuellement quasiment pas une seule personne physique qui soit éditrice de publication. Il défie quiconque de citer un seul cas où l'article 3, dans ces conditions, est applicable. Il ne voit pas comment il serait possible de prêter son nom à une entreprise éditrice pour souscrire une action. Ce qui lui semble impensable, c'est qu'une société publie pour le compte d'une autre société une publication quelconque. L'action en simulation d'une société pour le compte d'une autre société lui paraît techniquement impossible. Le seul mécanisme possible semble lié à la disposition prévue par l'article 11. Des particuliers pourraient se porter acheteurs pour le compte d'une société. Il lui semble concevable que des entreprises ou des entreprises politiques ou de publicité puissent avoir le désir de contrôler des publications et pour ce faire, d'user du mécanisme du prête-nom. Mais dans ce cas, le mécanisme du prête-nom se fera toujours pour le compte et au non du propriétaire de l'entreprise intéressée et jamais au nom de l'entreprise éditrice.

Le dispositif de l'article 3 n'est même pas un "sabre de bois". Il est inexistant. Monsieur BADINTER est persuadé que si ce dispositif avait été soumis au filtre du Conseil d'Etat il ne serait jamais passé.

Il donne à ce moment lecture aux membres du Conseil d'une rédaction qu'il a préparée et qui aurait pu être celle de l'article 3. Il estime que l'article 3 est inopérant ; qu'il ne donne aucune garantie. Les dispositions de cet article sont purement illusoires. Dans sa rédaction, il ne permet aucune répression de l'opération de prête-nom. A ce titre, Monsieur BADINTER pense que l'article devrait être censuré. Il avait pensé dans un premier temps qu'il serait possible de ne supprimer que trois mots dans la rédaction de l'article 3. Cependant, l'objection faite par Monsieur VEDEL, qui rappelait que le champ d'application de la loi était défini par l'article 2 lui donne à réfléchir. En effet, dans ces conditions la suppression des trois mots qu'il proposait, n'aurait sans doute pas l'effet qu'il en attendait. Il se demande toutefois, s'il ne serait pas possible d'analyser la portée de l'article 2 en le rapportant au titre de la loi qui vise d'une manière générale le régime juridique de la presse. Cependant, le fond de sa pensée est qu'il faut censurer complètement l'article 3. Il semble en effet impossible de laisser cet article dans sa rédaction actuelle puisqu'il permet au propriétaire d'une publication de tromper le lecteur sur son identité.

Monsieur VEDEL déclare que chacun apporte au Conseil constitutionnel son expérience de la vie. Les parlementaires enrichissent le Conseil de leur expérience de parlementaires, les professeurs font l'apport des controverses doctrinales. Monsieur le Président, lui apporte toute l'expérience d'un Garde des Sceaux qui veut que les textes soient clairs et bien faits et qu'ils puissent être sanctionnés. Toutefois, sur le plan de la constitutionnalité, il n'a pas trouvé d'argument déterminant.

En effet, qu'apporte le prête-nom par rapport à la possibilité de créer des filiales de société qui "s'enchaînent les unes aux autres comme des chapelets de saucisses" ? L'interdiction de prête-nom n'apporte rien du tout ! Et encore moins si l'article 11 tombe. Si, comme lui, le Conseil constitutionnel pense que sur la transparence les exigences de garanties peuvent être moins fortes, pourquoi censurerait-on l'article 3 ? Cet article offrira des garanties qui ne joueront certainement pas souvent mais qui ne sont toutefois pas inexistantes. Il faut donc s'en contenter. Pour sa part, il comprend très bien la position de Monsieur le Président, il symphatiseerreur d'orthographe même avec lui car les juristes symphatisenterreur d'orthographe avec les Gardes des Sceaux qui aiment les lois bien faites. Mais en toute honnêteté, si la loi examinée présente des dangers, il ne pense pas que ceux-ci résident dans la possibilité de prête-nom. Les difficultés de mise en oeuvre de l'ordonnance de 1944 lui semblent avoir plus résidé dans le fait que cette ordonnance visait un mode archaïque de production des journaux avec des propriétaires individualisés plus qu'à des problèmes liés à l'usage du prête-nom.

Il demande au Président plutôt que de "jeter l'article 3 dans l'arène, aux fauves ou au glaive du gladiateur", de faire le signe salvateur de la grâce.

Monsieur le Président observe que c'est principalement la combinaison des articles 4, 5, 6 et 7 qui déterminent les règles de la transparence. Ces articles visent des opérations relatives au capital. Or celle de l'article 3 y fait exception.

Monsieur VEDEL estime qu'il faut lire l'article 3 comme "dans toute entreprise éditrice". Il estime que c'est là le mérite de la discussion que de permettre de déterminer les différentes lectures auxquelles peut donner lieu un article.

Monsieur le Président estime que si l'on peut lire l'article 3 dans le sens indiqué par Monsieur VEDEL cela change tout.

Monsieur VEDEL répond que cette interprétation résulte des travaux préparatoires de la loi.

Monsieur le Président demande son opinion sur ce point à Monsieur le Secrétaire général.

Monsieur GENEVOIS fait remarquer que les travaux préparatoires ne condamnent aucune des deux interprétations. Ce qui ressort des travaux préparatoires c'est l'abandon du dispositif de la loi de 1984 qui était trop large pour en revenir au texte de l'ordonnance de 1944.

Monsieur le Président estime que si le texte de la loi examinée est la reprise de l'ordonnance de 1944, il n'y a qu'une difficulté. L'interdiction de prête-nom dans ce dernier texte s'appliquait en effet à toutes les opérations effectuées dans le cadre des sociétés éditrices et ne se réduisait pas au prête-nom aux éditions édictrice.

Monsieur MARCILHACY pense que le législateur tout comme le Conseil constitutionnel est impuissant en cette matière. Il est d'avis qu'il vaut mieux tout renvoyer.

Monsieur SIMONNET donne lecture de l'article 3 et déclare que cet article ne peut se comprendre qu'à la lumière de l'article 2 dont il donne également lecture. Selon lui cet article est le retour pur et simple à l'ordonnance de 1944 et également à la loi de 1984. Ces dispositions ont voulu être un palliatif à la pratique du XIXème siècle qui permettait de mettre en prison des hommes de paille aux lieu et place des véritables propriétaires de journaux.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE a éprouvé un très vif intérêt à l'échange de vue entre le Président et Monsieur VEDEL. Il pense pour sa part, que le Conseil constitutionnel n'a pas a censurer l'article 3. Dans le cas contraire, il redoute qu'avec raison on ne reproche au Conseil constitutionnel de sortir de son rôle. Il ne voit pas en quoi cette disposition de l'article 3 peut être contraire à la Constitution. Quant à la suppression des trois mots que propose Monsieur le Président, il s'interroge sur la raison qui pourrait la justifier. Il fait observer qu'au cours des débats, personne, ni de l'opposition, ni la majorité n'a soulevé de problème par rapport à l'article 3. La proposition faite par Monsieur le Président aurait tout son sens, si comme dans un passé récent, Monsieur le Président était au banc du Gouvernement et que lui-même siègeaiterreur d'accent au banc de la commission des lois. Il a suivi avec tout l'intérêt qu'il porte toujours aux interventions du Président, l'analyse que celui-ci a fait de l’article 3. Toutefois, il se demande comment en tant que juge constitutionnel il pourrait prononcer une censure de cet article.

Monsieur LECOURT se demande si le débat actuel au sein du Conseil constitutionnel porte sur la constitutionnalité de l'article 3 ou plutôt sur son efficacité ? Il faudrait censurer l'article 3 parce qu'il serait inefficace et par là anticonstitutionnel. Cela lui semble un raccourci un peu audacieux. Et cela d'autant plus que cet article est relatif à la limpidité de la transparence de la presse. Même si son efficacité est douteuse, il n'empêche pas les autres articles relatifs à la transparence de produire leurs pleins effets. Il cite le premier considérant de la page 9 : "Considérant que, si les dispositions combinées des articles 3, 4, 5 et 6 de la loi ne permettent pas dans tous les cas au public ou aux catégories de personnes intéressées de connaître de façon immédiate l'identité de toutes les personnes susceptibles d'exercer un contrôle sur une publication de presse déterminée, leur application est cependant propre à leur fournir des renseignements essentiels sans leur dissimuler le fait que les personnes morales détenant des actions ou des parts de l'entreprise éditrice et y exerçant une influence peuvent elles-mêmes dépendre de personnes physiques ou de groupements extérieurs à l'entreprise éditrice ; qu'ainsi, l'appréciation portée par le législateur sur les modalités de réalisation de l'objectif de transparence, n'est pas entachée d'une erreur manifeste".

Monsieur LECOURT estime que problème soulevé par le Président est tout-à-fait traité par cette partie du projet de décision. Le considérant qu'il vient de citer semble contenir une critique implicite de l'article 3 de la loi et il pense que le législateur le comprendra ainsi. Aussi il lui semble que Monsieur le Président devrait avoir satisfaction de ce point de vue.

Monsieur le Président déclare qu'il n'est pas entièrement convaincu par cette analyse de Monsieur LECOURT.

Monsieur VEDEL observe que les auteurs des saisines ne critiquent pas l'article 3 dans le même sens que le Président. Après réflexion, il lui semble d'ailleurs que l'article 3 est sans doute mal rédigé mais qu'il est juridiquement applicable. L'entreprise qu’il vise est l'entreprise réellement éditrice. C'est la référence à l'article 2 qui impose qu'on comprenne l'article 3 dans ce sens. Mal rédigé "mal fichu" l'article 3 lui semble toutefois pas susceptible d'une critique de constitutionnalité.

Monsieur le Président déclare n'être pas convaincu par la pertinence de cette lecture. L'article 3 est sanctionné pénalement et doit donc faire l’objet d'une lecture stricte.

Monsieur VEDEL en convient bien volontiers, mais c'est parce qu'il faut le lire strictement qu'à son avis l'article 3 n'a de sens que par rapport à l'article 2.

Monsieur le Président estime que la difficulté tient à ce que ce qui se conçoit pour des personnes physiques n'est pas transposable à des personnes morales pour un certain nombre de raisons, fiscales notamment. Les dispositions de l'article 3, qui ont du sens par rapport aux personnes physiques, sont totalement inapplicables aux personnes morales, sauf bien entendu si la personne qui est visée est propriétaire des actions. Si l'interdiction de prête-nom n'est qu'une modalité de la garantie de la transparence, son objection tombe. Mais si le prête-nom est en lui-même une garantie d'un objectif de valeur constitutionnelle alors, il faut "vider cet article de son venin". Ceci dit il ne pense pas que son objection soit fondamentale et il n'aura pas le "coeur brisé" si le Conseil ne le suit pas.

Monsieur VEDEL estime qu'on peut se dispenser de censurer l'article 3. En effet, cet article ne signifie à peu près rien. C'est comme si l'on craignait "l'invasion d'un ennemi en vélo".

Monsieur MARCILHACY se déclare entièrement d'accord avec l'analyse de Monsieur VEDEL.

Monsieur le Président déclare qu'il est désolé de ne pas pouvoir être d'accord avec Monsieur le Doyen. Il a lui-même, dans le passé assitéerreur d'orthographe à des opérations de prête-nom en matière de presse. Certaines personnes qui peuvent accepter de vendre à un Monsieur Y n'auraient certainement pas vendu à un Monsieur X. Le prête-nom permet de contourner cette difficulté.

Monsieur MARCILHACY dit qu'il est extrêmement séduit par ce que dit Monsieur le Président. Mais quant à ce qui est de l'efficacité d'une censure, il "se vautre" dans le scepticisme.

Monsieur VEDEL pense que l'article 3 interdit de prêter son nom à l'éditeur réel. Il est entièrement convaincu qu'il ne peut pas y avoir une autre lecture de cet article.

Monsieur le Président se demande s'il n'est pas possible de lier le sort de l'article 3 à celui de l'article 11.

Monsieur VEDEL estime que cela n'est pas nécessaire à l'inconstitutionnalité de l'article 11.

Monsieur LECOURT pense que la rédaction du projet de décision lie déjà un peu les articles 3 et 11.

Monsieur le Président exprime le souriait d'une modification de rédaction du deuxième considérant de la page 11.

Sur invitation de Monsieur le Président, Monsieur VEDEL donne alors lecture du projet de décision de la page 5 jusqu'à la page 8. Il indique aux membres du Conseil que le deuxième considérant de la page 8 est une reprise pure et simple d'un considérant de la décision rendue par le Conseil les 10 et 11 octobre 1984 à l'occasion de l'examen de la loi relative aux entreprises de presse.

Monsieur le Président, à propos du dernier considérant de la page 8 souhaite que l'on supprime le mot "contraignantes" afin de répondre au souci précédemment exprimé par Monsieur LECOURT. Il craint que les commentateurs interprètent mal cet adjectif. Il propose de lui substituer celui de "différentes".

Monsieur LECOURT craint que la combinaison des mots "à lui seul" et "contraignant" ne puisse laisser croire que la moindre rigueur de l'astreinte puisse fournir à elle-seule une base à un grief d'inconstitutionnalité.

Monsieur le Secrétaire général suggère de remplacer "à lui-seul" par "par lui-même".

Monsieur VEDEL ne s'oppose pas à cette modification mais pense qu’elle donne un sens un peu pâle au considérant.

Une discussion s'engage sur cette question au sein du Conseil constitutionnel. Le conseil se rallie finalement au remplacement de l'adjectif "contraignante" par celui de "rigoureux" et plus loin des mots "à lui seul" par le mot "elle-même".

Monsieur VEDEL donne alors lecture des pages 9 et 10 du projet de décision. Il précise que le sous-titre de la page 10 "Sans qu'il soit besoin de statuer sur d'autres moyens" est lui aussi repris de la rédaction de la décision d'octobre 1984. Il souligne que ce titre à l'avantage de faire l'économie d'une discussion sur la portée et la valeur du seuil de 30 %. Il donne alors lecture des deux considérants de la page 11 de son projet de décision.

Sur le premier considérant de la page 11 à la ligne 6, Monsieur FABRE présente un amendement rédactionnel tendant à rajouter ligne les mots "de cette nature". Cet amendement n'est pas accepté par le Conseil.

Sur le même considérant, Monsieur SIMONNET conteste que les travaux préparatoires puissent corroborer le sens donné par le Conseil constitutionnel aux articles 7 et 11.

Messieurs VEDEL et GENEVOIS font valoir à Monsieur SIMONNET que mis à part celle de Monsieur d'AUBERT toutes les interventions au cours des débats allaient pourtant bien dans ce sens.

Monsieur VEDEL donne alors lecture du premier considérant de la page 12.

Monsieur LECOURT propose un amendement rédactionnel qui est accepté par le Conseil.

Sur le premier considérant de la page 12 Monsieur SIMONNET propose de changer les mots "loin d'aménager" et de les remplacer par "au lieu d'aménager". Il estime que la première formule fait un peu procès d'intention.

Monsieur MAYER exprime une préférence pour la formule "loin de".

Monsieur JOZEAU-MARIGNE se rallie à l'expression "loin de" qui lui semble le mieux amener la censure ultérieure.

Monsieur SIMONNET déclare ne pas tenir à tout pris à son amendement rédactionnel.

Monsieur VEDEL donne alors lecture du deuxième considérant de la page 12 puis des pages 13 et 14 du projet de décision.

Monsieur le Président remarque que le dispositif de la disposition de 1984 sur la loi relative aux entreprises de presse ne se présentait pas dans la même forme que celui de la décision soumise à l'approbation du Conseil. Il souhaite une rédaction semblable à celle de 1984 pour des raisons de clarté et afin de prévenir des interprétations éventuelles de la presse, interprétations qui seraient erronées par rapport aux intentions du Conseil constitutionnel.

Monsieur le Secrétaire général fait valoir que le strict respect de l'ordonnance du 1958 sur le Conseil constitutionnel conduirait à faire prévaloir la rédaction qui est actuellement examinée. Il y a une différence très nette entre la disposition qui est elle-même contraire à la Constitution et ces dispositions qui sont inséparables d'une disposition contraire.

Monsieur le Président estime cependant qu'il est plus clair au cas présent de faire un bloc des dispositions censurées sans entrer dans des subtilités trop grandes. Il souligne pour terminer que la prohibition du prête-nom n'est pas une protection de valeur constitutionnelle. Puis il demande aux membres du Conseil de bien vouloir lui donner mandat de négocier une date de séance pour le 20 août, dans l'hypothèse où le Conseil serait saisi d'un recours contre la loi sur la privatisation d'entreprises du secteur public. Par ailleurs, il annonce qeerreur d'orthographe le Conseil sera vraisemblablement saisi des différentes lois relatives à la sécurité mais qu’il ignore actuellement la date à laquelle ces textes seront votés. Il informe le Conseil de ce que Monsieur LECOURT a déjà accepté d'être le rapporteur du recours contre la loi relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Il annonce que la loi relative aux locataires dite loi MEHAIGNERIE ne sera sans doute pas votée rapidement. Dans tous les cas, il tiendra les membres au courant par téléphone et dans l'attente d'une éventuelle séance du Conseil le 20 aôuterreur d'orthographe il leur souhaite de bonnes vacances, du moins à ceux d'entre eux qui peuvent en prendre.

La séance est levée à 18 heures.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.