SEANCES DES MERCREDI 17 ET JEUDI 18 SEPTEMBRE 1986
Examen de la loi relative à la liberté de communication (n° 86-217 DC)
A 10 heures, Monsieur le Président déclare la séance ouverte, tous les membres étant présents.
Un photographe pénètre dans la salle du Conseil et photographie les membres du Conseil.
Monsieur le Président pense que le Conseil pourra siéger le jour même de 10 heures à midi ; qu'il reprendra ses travaux à partir de 14 heures jusque vers 17 heures ; qu'à 17 heures, après une pause "thé", il pourra poursuivre ses travaux jusqu'à 19 heures et, le cas échéant, reprendre la séance le lendemain. Puis, il donne la parole à Monsieur Daniel MAYER pour son rapport sur la loi relative à la liberté de communication.
Tout comme Monsieur Robert FABRE, à l'occasion de son premier rapport, Monsieur MAYER tient tout d'abord à remercier ceux qui l'ont assisté dans la préparation de son rapport. Ses remerciements, qu'il tient à adresser par ordre alphabétique, sont destinés à Monsieur DEBU, Mademoiselle GAIN, Monsieur NGUYEN HUU, Monsieur PAOLI. Il les adresse également à Monsieur le Secrétaire général, Bruno GENEVOIS, à qui il demande, par ailleurs, de les transmettre à l'ensemble des personnels du secrétariat. Il exprime en outre ses remerciements à Messieurs les Professeurs Olivier DUHAMEL et François LUCHAIRE. Il tient, par ailleurs, à remercier tout particulièrement l'ensemble des personnels administratifs et dactylographiques sans qui son rapport n'aurait pas vu le jour.
Comme Monsieur FABRE également, il remercie le Président de lui avoir confié ce rapport, notant toutefois qu'il y a quelque ironie à remercier quelqu'un pour vous avoir chargé d'une tâche aussi lourde.
Monsieur MAYER indique qu'il a rarement connu autant d'émotion pour arriver à la certitude d'être parvenu au but. Il souligne la difficulté de sa tâche pour laquelle il lui a fallu se débarrasser de ses a priori, tout en ignorant les critiques et les attaques dont le Conseil, comme le Conseil d'Etat, était l'objet.
A ce moment, le photographe se retire de la salle et un huissier change le siège de Maître MARCILHACY.
Monsieur MAYER expose alors les sources qui ont inspiré son rapport : d'abord, les textes constitutionnels, la jurisprudence du Conseil ensuite, celle des grandes cours constitutionnelles étrangères enfin. A ce propos, il observe que les textes constitutionnels qui, par définition, ne pouvaient pas tenir compte de l'évolution technologique, ne sont pas adaptés aux problèmes de notre temps. Cela, il l'a profondément ressenti dans le domaine de l'audiovisuel. Par ailleurs, il souligne la convergence de
jurisprudence entre le Conseil constitutionnel et certaines cours étrangères. A titre d'exemple, il cite les jurisprudences concernant les limitations à la concentration dans la presse écrite de la Cour suprême des Etats-Unis et de la Cour constitutionnelle de la République Fédérale Allemande.
Avant de conclure son introduction, Monsieur MAYER met en évidence les grandes lignes de son projet de décision : de ce projet, il ressort que, si le transfert de la société T.F.1 au secteur privé ne pose pas de problème de constitutionnalité, il n'en va pas de même des dispositions qui touchent au pluralisme et à la concentration "multimédia". Dans ces conditions, il observe que l'intitulé de la loi n'est qu’un trompe-l'oeil. Enfin, et même si ce qu'il va dire n'a rien à voir avec la constitutionnalité de la loi, il ne veut pas passer sous silence le fait que le Gouvernement a engagé la procédure de privatisation de T.F.1 avant même que le Conseil ne se soit prononcé.
Monsieur MAYER évoque alors le déroulement des débats parlementaires, bien que les requérants n’aient pas soulevé de moyens sur la procédure de discussion de cette loi. Il regrette, pour sa part, en effet, les conditions dans lesquelles cette discussion a eu lieu.
Son regret ne porte pas sur le choix des moyens utilisés. Il se fonde sur une constatation. Ni dans le débat fleuve qui s'est instauré au Sénat, ni, a fortiori, dans le débat qui n'a pas eu lieu à l'Assemblée nationale, il n'est aisé de trouver le fil conducteur d'un texte et, par là même, les éléments permettant, le cas échéant, d'éclairer les dispositions de la loi. En effet, le Sénat a consacré 21 jours de séance à l'examen des articles qu'il a examinés dans un ordre quelque peu bouleversé par les demandes de réserve. A l'opposé, l'Assemblée nationale n'a pas eu à discuter des articles, le Gouvernement ayant engagé sa responsabilité, en application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, à l'issue de la discussion générale. Ce regret qu'il exprime est d'autant plus grand que la loi déférée est complexe et que le recours à des travaux préparatoires intelligibles et éclairants eut été précieux. Incontestablement, cet élément d'appréciation manque.
Monsieur MAYER présente ensuite l'analyse de la loi.
Il constate que la loi relative à la liberté de communication, déférée à l'examen du Conseil, comprend 111 articles.
Aussi, n'est-il pas étonnant, s'agissant d'une loi dont l'objet est de remodeler après les lois de 1974 et de 1982 le paysage audiovisuel, que ces premiers articles, à savoir les articles 1er à 3, soient consacrés à l'affirmation de principes.
Ainsi, l'article 1er consacre, dans son premier alinéa, le principe de la liberté, tant de l'établissement et de l'emploi des installations de télécommunication que de l'exploitation et de l'utilisation des services de télécommunication.
L'alinéa 2 de cet article 1er pose que cette liberté ne peut être limitée, dans le respect de l'égalité de traitement, que dans la mesure requise par :
- les besoins de la défense nationale ;
- les exigences du service public ;
- la sauvegarde de l'ordre public ;
- la sauvegarde de la liberté et de la propriété d'autrui ;
- la sauvegarde de l'expression pluraliste des courants d'opinion.
L'article 2 définit les termes de "télécommunication" et de "communication audiovisuelle".
L'article 3 institue une Commission nationale de la communication et des libertés, en abrégé : C.N.C.L., organe central du nouveau système et dont la mission générale est de veiller au respect des principes définis à l'article 1er.
Cette mission générale est assortie de trois missions qui lui sont secondes :
- assurer l'égalité de traitement et favoriser la libre concurrence et l'expression pluraliste des courants d'opinion ;
- garantir aux citoyens l'accès à une communication libre ;
- veiller, enfin, à la défense et à l'illustration de la langue française.
Ces principes étant posés, la loi s'articule en huit titres dont :
- le premier, eu égard à la place essentielle qu'elle occupe dans le dispositif mis en place, est consacré à la Commission nationale de la communication et des libertés (C.N.C.L.), articles 4 à 20 ;
- le titre II traite de l'usage des procédés de télécommunication, articles 21 à 43 ;
- le titre III est relatif au secteur public de la communication audiovisuelle, articles 44 à 57 ;
- le titre IV concerne la cession de T.F.1, articles 58 à 69 ;
- le titre V vise le développement de la création cinématographique, articles 70 à 73 ;
- enfin, les titres VI, VII et VIII ont trait, respectivement, comme il est de coutume dans ce type de lois :
- aux dispositions pénales (titre VI) ;
- à diverses dispositions (titre VII) ;
- et aux dispositions transitoires et finales (titre VIII).
Monsieur MAYER indique qu'il se bornera à présenter au Conseil les grandes lignes de ces diverses dispositions, étant entendu que dans la suite de son exposé il sera conduit à analyser plus en détail les articles critiqués par les auteurs de la saisine. C'est cette analyse qui fera l'objet de la deuxième partie de son rapport.
Le titre I, intitulé "La Commission nationale de la communication et des libertés", comprend les articles 4 à 20.
L'article 4 de la loi pose que la C.N.C.L. est une autorité administrative indépendante, dont il fixe la composition : 13 membres nommés par décret en Conseil des ministres, sur lequel il sera amené à revenir, dont :
- 6 membres désignés respectivement par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat, à raison de 2 chacun ;
- 3 membres élus respectivement par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et la Cour des comptes, suivant des modalités sur lesquelles il aura l'occasion également de revenir ;
- 1 membre de l'Académie française élu par celle-ci ;
- et 3 personnalités cooptées par les 10 membres précédents, en raison de leur qualification dans les secteurs de la création audiovisuelle, des télécommunications et de la presse écrite.
Cet article 4, ainsi que les articles 5 à 8, fixe les règles relatives au statut des membres, à l'organisation et au fonctionnement de l'institution.
Il note que ces règles reprennent les dispositions propres à ce type d'autorités administratives indépendantes, dont la plupart n'appellent pas de commentaires particuliers, dans la mesure où elles tendent, dans le respect des règles constitutionnelles, à assurer l'indépendance de l'institution. Ainsi en est-il des dispositions concernant le statut des membres, les moyens en personnels et les moyens financiers mis à la disposition de la C.N.C.L. En revanche, la question de son pouvoir réglementaire fera l'objet d'une discussion ultérieure.
Les articles 9 à 12 concernent le rôle de la C.N.C.L. en matière de télécommunication :
- l'article 9 a trait à son association à la définition de la position de la France dans les négociations internationales ;
- I'article 10 concerne son pouvoir d'autorisation pour l'établissement, l'utilisation ou l'exploitation des installations de communication ;
- l'article 11 lui impose de veiller au respect, par les exploitants d'installations de télécommunication, du principe de l'égalité de traitement entre les usagers ;
- l'article 12, enfin, prévoit sa consultation pour la fixation des normes relatives aux matériels et techniques de télécommunication.
Les articles 13 à 17 définissent les règles générales qui s'imposent à la C.N.C.L. et qu'il lui incombe de faire respecter, soit à l'ensemble des services de communication audiovisuelle, soit aux seules sociétés nationales de programme :
- l'article 13, qui vise les seules sociétés nationales de programme, concerne le respect de l'expression pluraliste des courants d'opinion ;
- l'article 14 donne à la C.N.C.L. un pouvoir de contrôle étendu, en ce qui concerne l'objet, le contenu et les modalités de programmation des émissions publicitaires ;
il traite des émissions publicitaires à caractère politique, point sur lequel Monsieur MAYER reviendra ;
toutefois, il indique, dès maintenant, aux membres du Conseil, que cette disposition est la seule sur laquelle il s'est trouvé en désaccord avec le Secrétaire général du Conseil constitutionnel et le service juridique ;
- l'article 15 concerne la protection de l'enfance et de l'adolescence ;
- l'article 16 traite des émissions relatives aux campagnes électorales et nuance les pouvoirs de la C.N.C.L. selon qu'il s'agisse des sociétés nationales de programme qui se font imposer des règles ou des services autorisés auxquels sont adressées des recommandations ;
- l'article 17, enfin, concerne le rôle dévolu à la C.N.C.L. en matière de concurrence et de concentration
Ces missions générales touchant à des domaines fondamentaux (pluralisme, publicité, campagnes électorales, concurrence enfin) méritaient de retenir l'attention du Conseil dans la mesure où leur combinaison avec les dispositions particulières figurant au titre suivant sera un élément d'appréciation de la conformité à la Constitution des dispositions critiquées par les auteurs de la saisine.
Le titre II dont l'intitulé "De l'usage des procédés de télécommunication" ne permet pas immédiatement, en tout cas aux yeux du rapporteur, de saisir l'objet, concerne la question essentielle des régimes d'autorisation d'usage de fréquences pour la diffusion de services de radio ou de télévision.
Dans la mesure où plusieurs de ses articles, les articles 28 à 31, font l'objet de contestations de la part des auteurs de la saisine, Monsieur MAYER se contentera d'une description générale du système institué par la loi.
Celle-ci prévoit deux régimes : un régime d'autorisation et un régime de déclaration préalable.
Le régime d'autorisation concerne, soit les services utilisant la voie hertzienne terrestre ou par satellite, soit les services distribués par câble. Compte tenu de la différence de nature existant entre ces deux types de services - résultant du caractère fini et limité, très limité, de l'espace hertzien - il n'est pas étonnant que la loi consacre l'essentiel de ces dispositions aux services utilisant la voie hertzienne.
Dans la section I du chapitre I, articles 21 et 22, la loi pose des règles générales d'attribution des fréquences aux termes desquelles il revient au Premier ministre de définir les bandes de fréquence ou les fréquences attribuées aux administrations de l'Etat et celles confiées à la C.N.C.L. (article 21), la C.N.C.L. ayant à autoriser l'usage des fréquences qui lui ont été confiées (article 22).
La section II, articles 23 et 24, fixe les règles applicables aux usages autres que les services de communication audiovisuelle diffusés, et tend à assurer la protection du service public des télécommunications contre les risques d'empiétement des services privés sur la bande hertzienne.
La section III, articles 25 à 32, concerne enfin les services de communication audiovisuelle diffusés, à savoir les radios et les télévisions privées.
Dès lors que l'autorisation délivrée par la C.N.C.L. vaudra tout à la fois autorisation d'émettre et autorisation d'exploiter, il est normal que cette section subordonne l'autorisation, tant au respect de conditions techniques d'émission qu'au respect d'engagements souscrits en matière d'exploitation.
Les conditions techniques d'émission, définies aux articles 25 et 26, n'appellent pas de développement particulier.
S'agissant des engagements souscrits en matière d'exploitation, fixés aux articles 27 à 31, ils reposent sur des règles générales applicables à l'ensemble des services, articles 27 et 28, auxquelles viennent se superposer des règles spécifiques à chaque catégorie de services :
- radiodiffusion sonore par voie hertzienne terrestre, article 29 ;
- télévision par voie hertzienne terrestre, article 30 ;
- radiodiffusion sonore et télévision par satellite, article 31.
L'article 27 prévoit que les règles générales seront fixées, soit par décret en Conseil d'Etat, en ce qui concerne la publicité et le parrainage et le régime de diffusion des oeuvres cinématographiques, soit par la C.N.C.L. elle-même, pour ce qui est de la programmation et des conditions générales de production des oeuvres diffusées.
L'article 28 fixe tout d'abord la durée maximale de l'autorisation (12 ans pour les télévisions, 5 ans pour les radios) et subordonne l'exploitation des services à une ou plusieurs obligations particulières, 1° à 7° de l'article, définies par la C.N.C.L. et souscrites par le titulaire. Au nombre de ces obligations figurent l'honnêteté et le pluralisme de l'information et des programmes. Mais, comme le Conseil va le voir, cette exigence ne revêt pas un caractère impératif.
S'agissant des règles spécifiques, l'article 29, relatif aux services de radiodiffusion sonore par voie hertzienne terrestre, institue une procédure d'appel de candidatures à l'issue de laquelle les candidats retenus se voient accorder l'autorisation d'exploiter, au vu de l'intérêt de leurs projets, compte tenu, de plus, d'un faisceau de critères, au nombre desquels figure, mais sans ordre de priorité, la nécessité de diversifier les opérateurs, d'assurer le pluralisme des idées et des opinions et d'éviter les abus de position dominante et les pratiques entravant la concurrence en matière de communication.
L'article 30 concernant les services de télévision par voie hertzienne terrestre prévoit une procédure analogue sous deux réserves : seules les sociétés peuvent faire acte de candidature ; aux critères de sélection prévus à l'article 29 viennent s’ajouter un ou plusieurs engagements que le candidat entend souscrire.
L'article 31 qui est relatif aux services de radiodiffusion sonore et de télévision par satellite reprend les deux séries de critères de l'article 30 mais confie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer la procédure d'autorisation.
L'article 32 pose le principe de la publication au Journal officiel des autorisations avec les obligations dont elles sont assorties. Il fait obligation de notifier, en les motivant, les refus d'autorisation.
En ce qui concerne les services distribués par câble, l'article 33 renvoie à un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la C.N.C.L., le soin de fixer les règles générales concernant la durée de l'autorisation, la programmation, les conditions de production des oeuvres, la publicité et le régime de diffusion des oeuvres cinématographiques audiovisuelles.
L'article 34 définit les règles d'établissement et d'exploitation des services : il donne compétence aux communes pour établir ou autoriser l'établissement de réseaux câblés, l'exploitation étant soumise à autorisation délivrée par la C.N.C.L. sur proposition de la commune.
En ce qui concerne les dispositions applicables à l'ensemble des services soumis à autorisation, qu'ils utilisent la voie hertzienne ou qu'ils soient diffusés par réseaux câblés, ces services soumis à autorisation font l'objet dans la loi de plusieurs dispositions communes dont l'objet principal est d'assurer la transparence des sociétés et d'empêcher le cumul des services de communication. Ces dispositions concernent :
- l'interdiction du prête-nom, article 35 ;
- la forme nominative des actions, article 36 ;
- les informations que les services sont tenus de mettre à Ia disposition des usagers, article 37 ;
- les informations à communiquer à la C.N.C.L., article 38 ;
- la participation maximale pouvant être détenue par une même personne au sein d'une société titulaire d'une autorisation relative à un service de télévision par voie hertzienne, dès lors que le service couvre l'ensemble du territoire métropolitain, article 39 ;
- la limitation des participations étrangères, article 40 ;
- le régime du cumul des autorisations, article 41.
Monsieur MAYER note que certaines de ces dispositions seront examinées plus loin, notamment celles figurant aux articles 39 et 41. D'ores et déjà, il souligne que les dispositions "anticoncentration" ne concernent pas les services diffusés par réseaux câblés.
Avant d'achever l'analyse des dispositions relatives au régime d'autorisation, il indique que l'article 42 permet de sanctionner les violations de la loi. Aux termes de cet article, la C.N.C.L. peut mettre les titulaires d'autorisations en demeure de respecter les obligations imposées tant par les textes législatifs et réglementaires que par la décision d'autorisation.
Si les titulaires ne se conforment pas à cette mise en demeure, la C.N.C.L. peut suspendre l'autorisation pour une durée d'un mois ou en prononcer le retrait.
Enfin, dans certains cas, la C.N.C.L. peut retirer l'autorisation sans mise en demeure préalable.
Cette sanction administrative se trouve assortie d'une sanction pénale. Il en est ainsi d'ailleurs pour la plupart des dispositions applicables aux services soumis à autorisation dont la méconnaissance entraîne, en application du titre VI de la loi, des sanctions pénales. Sur ce dernier point, Monsieur MAYER émet des réserves quant à l'application effective de sanctions aussi rigoureuses .
Le régime de déclaration préalable comprend le seul article 43 qui donne une définition négative des services soumis à déclaration qui recouvrent en pratique les services suivants :
- services télématiques interactifs, tels que les banques de données ;
- services distribués sur un réseau câblé interne ;
- services de répondeurs téléphoniques ou de messages préenregistrés.
Il reprend, pour l'essentiel, les règles auxquelles ces services étaient déjà soumis par la loi du 29 juillet 1982.
Monsieur MAYER expose ensuite les dispositions du titre III de la loi, articles 44 à 57, consacrées au secteur public de la communication audiovisuelle.
Le secteur public, et non plus le service public de la communication audiovisuelle, est, aux termes de l'article 44, composé de cinq sociétés nationales :
- une société nationale de radiodiffusion sonore qui fait suite à Radio France ;
- deux sociétés nationales de télévision, une qui succède à Antenne 2, l'autre à France Région 3 dont le caractère national et régional des émissions est maintenu ;
- une société de radio et de télévision destinée aux départements, territoires et collectivités territoriales d'outre-mer ;
- une société de radiodiffusion sonore à vocation internationale.
L'article 45 prévoit d'autre part la possibilité de créer une société nationale d'émissions de télévision diffusées par satellite, à vocation internationale et notamment européenne.
Ces sociétés sont soumises d'une façon générale à la législation sur les sociétés anonymes, article 46. La totalité de leur capital est détenue par l'Etat et leurs statuts sont approuvés par décret. Leur conseil d'administration comprend 12 membres, soit 2 parlementaires, 4 représentants de l'Etat, 4 personnalités qualifiées nommées par la C.N.C.L. et 2 représentants du personnel, nommés pour 3 ans. Les présidents de ces conseils sont nommés par la C.N.C.L. parmi les personnalités que cette commission a nommées pour y siéger, à l'exception du président de la société de radio à vocation internationale qui est nommé parmi les représentants de l'Etat, article 47.
Un cahier des charges fixé par décret définit les obligations de chacune de ces sociétés. La loi précise les dispositions de ces cahiers, en ce qui concerne, d'une part, les missions éducatives, culturelle et sociale des sociétés, d’autre part, les émissions publicitaires et les conditions de parrainage, article 48.
De plus, Monsieur MAYER rappelle que les articles 13 à 16 du titre I comportent aussi des dispositions applicables aux sociétés nationales relatives au pluralisme, article 19, à la publicité, article 14, à la protection de l'enfance, article 15, et aux émissions relatives aux campagnes électorales, article 17. Enfin, les articles 54 à 55 traitent des obligations de ces sociétés au regard des déclarations ou des communications du Gouvernement et du droit de réponse qu'elles ouvrent, de la retransmission des débats des assemblées parlementaires et des émissions à caractère religieux. L'ensemble de ces dispositions constitue ainsi les missions de service public des sociétés nationales.
A côté de ces sociétés, la loi prévoit l'existence, tout d'abord, de l'institut national de l'audiovisuel, article 49 et 50, dont les missions, tant en ce qui concerne la conservation et l'exploitation des archives audiovisuelles que son rôle en matière de création, de formation et de recherche, sont poursuivies. A noter que cet institut demeure un établissement public à caractère industriel et commercial. Le nombre des membres du conseil d'administration est réduit de 16 à 12. Enfin, le président est choisi parmi les membres du conseil représentant l'Etat.
Elle prévoit ensuite l'existence de deux sociétés qui succèdent, respectivement, à Télédiffusion de France et à la Société nationale de production audiovisuelle.
L'article 51 prévoit que l'établissement public T.D.F. sera remplacé par une société d'économie mixte dont la majorité du capital est détenue par des personnes publiques. Cette transformation de statut juridique se justifie, selon le législateur, par la réduction des missions précédemment dévolues à cet organisme, caractérisée principalement par la perte de son monopole de diffusion. Ainsi, cette société n'a plus désormais compétence exclusive de diffusion que pour les seules sociétés nationales.
L'article 52 redéfinit, quant à lui, les missions de la société de production dont il modifie le statut juridique. Désormais, la majorité, et non plus la totalité, du capital de la société, soumise à la législation sur les sociétés anonymes, sera détenue par des personnes publiques. Si la société continue de fournir des prestations pour le compte des sociétés nationales, le système précédent d'accords de coproduction est abandonné.
L'article 53 concerne le financement du secteur public. Il reprend, d'une façon générale, les dispositions antérieures, tant en ce qui concerne les sources de financement (redevances, etc.) que les procédures budgétaires. Il n'est pas critiqué par les auteurs de la saisine mais soulève des questions que le rapporteur se réserve d'exposer par la suite.
L'article 57 traite des droits des personnels et des journalistes des organismes du secteur public et, plus particulièrement, de l'exercice du droit de grève.
Cet article est expressément critiqué devant le Conseil. Son contenu sera analysé ultérieurement.
Avant de conclure sur les dispositions relatives au secteur public de la communication audiovisuelle, Monsieur MAYER précise que la loi, dans son titre III, prévoit, dans ses articles 102 et 103, des dispositions transitoires applicables aux sociétés nationales de programme, à l'institut national de la communication audiovisuelle et à T.D.F. Ces dispositions concernent le maintien en fonction des actuels conseils d'administration et les obligations définies par leurs cahiers des charges. S'agissant de T.D.F., des dispositions particulières sont prises afin que le changement de statut n'affecte pas les droits des personnels. De plus, le déclassement, puis le transfert au patrimoine de la nouvelle société des biens de T.D.F., incorporés au domaine public, sont expressément prévus.
La cession de la société nationale de programme "Télévision Française 1" procède du titre IV, articles 58 à 69. Les dispositions de ce titre qui, pour le rapporteur, sont les seules qui intéressent vraiment le public, font l'objet de critiques nombreuses de la part des requérants. Elles seront analysées en détail dans la suite du rapport. A ce stade de son rapport, Monsieur MAYER se contente de dresser le schéma prévu par le législateur en vue de la cession de T.F.1. au secteur privé.
L'article 58 pose le principe du transfert au secteur privé du capital de T.F.1, à raison de 50 % à un groupe d'acquéreurs puis de 10 % aux salariés de l'entreprise et de 40 % par appel public à l'épargne.
L'article 59 pose le principe selon lequel la cession ne peut se faire à un prix inférieur à la valeur de la société et précise les conditions dans lesquelles il sera procédé à l'évaluation de la société.
L'article 60 fixe les règles d'acquisition, par le personnel, des 10 % du capital de la société.
L'article 61 concerne les modalités de l'appel public à l'épargne.
Les articles 62 à 65 fixent les règles présidant à la cession de T.F.1. et organisent la procédure d'appel des candidatures à l'issue de laquelle la C.N.C.L. désignera le groupe d'acquéreurs cessionnaires.
L'article 66 définit le régime applicable à la nouvelle société.
L'article 67 donne compétence à la juridiction administrative pour connaître des litiges pouvant résulter de l'application des articles 58 à 66.
Les articles 68 et 69, enfin, qui ne sont pas contestés, tendent à la préservation des droits acquis du personnel de T.F.1. et fixent les modalités de cessation anticipée d'activité des personnels du secteur public de l'audiovisuel.
Les articles 70 à 73, qui constituent le titre V consacré au développement de la création cinématographique, sont d'importance inégale. Ils visent à préserver la création cinématographique en soumettant l'exploitation hors-salle des oeuvres cinématographiques à certaines conditions. A cette fin :
- l'article 70 fixe un certain nombre de règles qui devront figurer aussi bien dans les cahiers des charges des sociétés nationales de programme que dans les autorisations accordées aux services de communication audiovisuelle ;
- l'article 71 concerne la contribution des services diffusant des films au développement des activités cinématographiques ;
son objet est d'étendre l'assiette de la taxe aux services soumis à déclaration et aux services soumis à autorisation, même lorsqu'ils ne diffusent pas de film ;
- l'article 72 renforce le contrôle exercé par le Centre national de la cinématographie sur les vidéogrammes ;
- l'article 73, enfin, tend à limiter les coupures publicitaires dans les diffusions des films.
Monsieur MAYER expose ensuite les dispositions des articles 74 à 79 relatifs aux sanctions pénales applicables à :
- la violation d'interdiction de prête-nom, article 74 ;
- au défaut d'information de la C.N.C.L. pour les acquisitions de participations dans le capital des sociétés titulaires d'une autorisation relative à un service de communication audiovisuelle, article 75 ;
- la violation de l'obligation de mise au nominatif des actions et de mise à disposition du public de renseignements sur les dirigeants de l'entreprise, article 76 ;
- l'inobservation des règles concernant la détention du capital d'une société, article 77 ;
- les émissions illégales, qu'il s'agisse de l'émission sans autorisation ou en violation d'une décision de suspension ou de retrait prise sur la base de l'article 42 de la loi, article 78 ;
- la violation, enfin, des dispositions relatives à la diffusion et à l'exploitation des oeuvres cinématographiques, article 79.
Des dispositions diverses, articles 80 à 95, dont aucune ne fait l'objet de contestation, n'appellent pas de longs développements. A côté de quelques dispositions spécifiques, le titre VII a principalement pour objet de tirer les conséquences de la loi nouvelle dans la législation en vigueur. Deux articles peuvent retenir plus spécialement l'attention :
- l'article 80 qui confirme le principe d'attribution d'une aide financière accordée aux radios privées locales ne diffusant pas de messages publicitaires ;
- l'article 81 qui prévoit le versement d'une cotisation par les services de communication autorisés dont le montant est arrêté dans la limite de plafonds fixés chaque année par la loi de finances.
Les articles 82 à 95 sont des articles de coordination de portée formelle.
Traitant enfin des dispositions transitoires et finales qui forment le titre VIII de la loi, articles 96 à 111, Monsieur MAYER indique que les articles 96 à 98 concernent la Haute-autorité de la communication audiovisuelle.
- L'article 96 prévoit qu'elle demeure en fonction jusqu'à l'installation de la C.N.C.L., en précisant, pour cette période, ses attributions. Ce point particulier fait l'objet d'une contestation et sera donc abordé ultérieurement.
- L'article 97 concerne les demandes d'autorisation d'exploitation des réseaux câblés.
- L'article 98 prévoit, à titre transitoire, l'octroi de certains avantages financiers aux membres de la Haute-autorité.
- L'article 99 précise les modalités de la désignation initiale des membres de la C.N.C.L.
- L'article 100 concerne les personnels placés sous l'autorité de la C.N.C.L.
- Les articles 101 à 104 organisent la période transitoire pour les conseils d'administration des sociétés nationales de programme actuelles et de T.D.F.
- Les articles 105 et 106 précisent le régime applicable aux sociétés autorisées à émettre, en vertu de la loi du 29 juillet 1982, et pour lesquelles il est prévu, en principe, que les autorisations demeurent valables jusqu'à leur terme.
- L'article 107, à l'inverse, dispose, s'agissant des autorisations de faire diffuser par satellite, que ces autorisations prennent fin à compter de la publication de la loi. Il précise que le retrait d'autorisation peut ouvrir droit à réparation.
- L'article 108 concerne l'application de la loi, à l'exception de ses articles 10, 23, 53 et 81, aux territoires d'outre-mer et à Mayotte,
- Les articles 109 à 111, enfin, sont des articles d'abrogation.
. l'article 109 abroge, à compter du 1er octobre 1986, la loi n° 84-409 du 1er juin 1984 créant le Carrefour international de la communication ;
. les articles 110 et 111 abrogent plusieurs dispositions rendues inutiles du fait des dispositions nouvelles et, en particulier, la loi du 29 juillet 1982, à l'exception cependant de certains de ses articles.
A l'issue de cette présentation générale de la loi, Monsieur le Président, constatant que personne ne désire intervenir, invite Monsieur MAYER à poursuive l'exposé de son rapport.
- SUR LE REMPLACEMENT DE LA HAUTE-AUTORITE PAR LA COMMISSION NATIONALE DE LA COMMUNICATION ET DES LIBERTES (C.N.C.L.) :
Monsieur MAYER indique que le premier moyen invoqué par les auteurs de la saisine, dans l’ordre chronologique, est relatif aux conditions dans lesquelles la Commission nationale de la communication et des libertés créée par la loi nouvelle doit se substituer à la Haute-autorité qui avait été créée, on le sait, par la loi du 29 juillet 1982.
De façon on ne peut plus logique, la loi nouvelle, après avoir institué la C.N.C.L., dans son article 3, et défini son statut et ses attributions dans le titre I de la loi, traite dans un titre particulier, dans le titre VIII, des dispositions transitoires qui seront applicables.
Quatre articles de ce titre VIII méritent d'être mentionnés. Il s'agit des articles 96, 99, 110 et 111.
- L'article 96 de la loi pose en principe que la Haute-autorité demeure en fonction jusqu'à l'installation de la Commission et exerce, pendant cette période, la plupart mais non la totalité des attributions qu'elle tenait de la loi du 29 juillet 1982.
- L'article 99 fixe les règles particulières pour la constitution initiale de la Commission,
Sur les 13 membres composant cet organisme, 6 membres ont un mandat de 5 ans et 7 membres un mandat de 9 ans. Des délais sont fixés pour l'intervention des nominations.
- L'article 110, 2° et l'article 111 ont pour objet de définir la date à laquelle seront abrogées les dispositions de la loi du 29 juillet 1982.
- L'article 110, 2°, prononce l'abrogation immédiate de la loi de 1982, à l'exception d'un certain nombre d'articles. Parmi les articles ainsi visés, figurent ceux qui définissent les pouvoirs de la Haute-autorité.
- L’article 111 de la loi abroge, à compter de la date d'installation de la Commission, ceux des articles de la loi de 1982 qui étaient relatifs aux pouvoirs de la Haute-autorité.
On peut résumer le système prévu par la loi en disant qu'il a pour but de substituer la Commission à la Haute-autorité, sans jamais créer de vide juridique.
Les auteurs de Ia saisine font valoir que les règles ainsi retenues ont pour conséquence de mettre fin, de façon prématurée, au mandat des membres de la Haute-autorité. Ils en déduisent que le législateur porte atteinte à l'indépendance de cet organisme. Ils s'efforcent de démontrer qu'il s'agit là d'une inconstitutionnalité.
Pour ce faire, ils s'appuient sur les dispositions de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 qui proclame la libre communication des pensées et des opinions en estimant que, dans sa conception moderne, cette liberté postule l'existence d'une instance indépendante. Or, cette indépendance, serait précisément menacée par la fin prématurée du mandat des membres de la Haute-autorité. Monsieur MAYER indique que cette argumentation ne l'a pas convaincu. Elle tend, en réalité, à conférer une existence constitutionnelle à la Haute-autorité alors que cet organisme a été créé par une loi. Il rappelle que, dans sa décision du 29 juillet dernier relative à la loi sur les entreprises de presse, le Conseil a déclaré que le législateur pouvait à tout moment abroger ou modifier des dispositions législatives antérieures, dès lors qu'il n'aboutissait pas à priver de garanties légales les exigences constitutionnelles. La loi nouvelle lui paraît conforme à cette jurisprudence. Elle remplace la Haute-autorité par la Commission . Il s'agit, dans chaque cas, d'autorités administratives indépendantes chargées de missions comparables. Un tel changement n'aboutit pas à priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. C'est donc, sans beaucoup d'hésitation, que le rapporteur propose au Conseil d'écarter le premier moyen. Il indique qu'il traite cet aspect de la question dans les pages 2 et 4 de son projet de décision.
Monsieur le Président ouvre la discussion sur ce premier moyen.
Monsieur MARCILHACY demande si les membres de la Haute-autorité ont à leur disposition des voies de recours.
Monsieur le Président répond que oui mais que le problème n'est pas celui-là. Pour sa part, il se demande si une augmentation du nombre des membres de la Commission n'aurait pas permis, en y faisant siéger certains membres de la Haute-autorité, d'assurer la continuité et, par là même, de conforter l'indépendance de cette institution.
Monsieur SIMONNET estime que le nombre des membres de la Commission est déjà suffisamment important et que l'augmenter encore aurait rendu le travail de la Commission extrêmement difficile.
Monsieur FABRE se demande si la garantie d'indépendance d'une institution ne réside pas dans son fondement constitutionnel. Il note que le Médiateur qui a été créé par la loi peut également être supprimé par elle.
Monsieur MAYER rappelle que la Haute-autorité de la communication audiovisuelle n'a jamais eu valeur constitutionnelle.
Messieurs FABRE et SIMONNET discutent de l'utilisation des sigles dans les textes législatifs et réglementaires ainsi que dans les traités internationaux.
Monsieur MARCILHACY s'étonne que l'on puisse parler de l'indépendance d'une institution alors que celle-ci est à la merci des fluctuations législatives.
Monsieur VEDEL déclare que, sans vouloir intervenir au fond, compte tenu du caractère lumineux du rapport de Monsieur MAYER, il tient cependant à rappeler que, si les magistrats, de par la Constitution, sont inamovibles, une loi récente qui a baissé la limite de l'âge de leur retraite a porté atteinte à cette inamovibilité sans que le Conseil constitutionnel n'y trouve pourtant rien à redire. Telle est en effet la conséquence de l'Etat de droit.
Monsieur MAYER donne alors lecture des pages 2 à 4 de son projet de décision. Cette partie du projet est adoptée sans discussion par les membres du Conseil.
Monsieur MAYER aborde alors, dans son rapport, les questions relatives au régime juridique d'utilisation des fréquences hertziennes.
Il rappelle que la loi nouvelle opère une distinction entre :
- le secteur public de la communication audiovisuelle confié pour l'essentiel à des sociétés nationales de programme ;
- le secteur privé, qui doit pouvoir se développer sous un régime d'autorisation administrative, dépendant, quant à sa mise en oeuvre, de l'intervention de la Commission.
Le régime d'autorisation administrative applicable à chaque catégorie de services de communication audiovisuelle fait l'objet des articles 25 et suivants de la loi. Au nombre des services de communication concernés figurent les services de télévision par voie hertzienne terrestre. Les auteurs de la saisine considèrent que le fait de soumettre la création de chaînes de télévision par voie hertzienne à un simple régime d'autorisation de police, exclusif de l'application des règles du service public, est contraire à la Constitution. Au soutien de cette affirmation, ils font valoir que l'utilisation de l'espace hertzien à des fins de télévision est une activité de service public par nature qui répond à des exigences constitutionnelles. On serait en présence d'un service public par nature, dans la mesure où trois conditions sont simultanément réunies :
1° l'espace hertzien est un espace fini ;
2° c'est un bien rare ; on peut même penser qu'il appartient au domaine public ;
3° l'utilisation de cet espace par la télévision intéresse l'exercice des libertés publiques.
La conclusion du raisonnement est que ce service public, par nature, ne peut être confié à l'initiative privée dans un cadre autre que celui de la concession de service public. Cela condamne, par là même, un simple régime d’autorisation administrative.
Monsieur MAYER considère que, si l'argumentation ainsi développée est intelligente, et même ingénieuse, deux objections majeures peuvent lui être faites :
- en premier lieu, il lui parait indispensable de rappeler que, sur le plan constitutionnel, en matière de communication audiovisuelle, le point de départ de tout raisonnement doit être l'article 11 de la Déclaration de 1789. L'article 11 part, non pas de l'idée de service public, mais de celle de liberté.
Monsieur MAYER souhaite rappeler les termes de cet article : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.".
C'est cet article que le Conseil a pris comme point de départ de son analyse des dispositions de la loi précédente concernant la communication audiovisuelle. Cette décision du 27 juillet 1982, après avoir énoncé les termes de l'article 11, relève :
"qu'il appartient au législateur de concilier, en l'état actuel des techniques et de leur maîtrise, l'exercice de la liberté de communication telle qu'elle résulte de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme, avec, d'une part, les contraintes techniques inhérentes
aux moyens de communication audiovisuelle et, d'autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels auxquels ces modes de communication, par leur influence considérable, sont susceptibles de porter atteinte."
C'est la nécessité d'une conciliation entre, d'une part, la liberté de communication, appliquée à l'audiovisuel et, d'autre part, le respect d'objectifs de valeur constitutionnelle, qui légitime l'intervention du législateur et en fixe par là même le cadre. A ce stade, ce n’est pas la notion de service public qui est essentielle.
- en second lieu, on doit souligner que c'est à la suite d'un glissement dans leur raisonnement que les auteurs de la saisine passent de la notion de "services publics par nature" à la notion de "services publics ayant un fondement constitutionnel". Or, il ressort de la décision des 25 et 26 juin 1986 que la privatisation d'un service public n'est exclue que si l'activité de ce service a son fondement dans des dispositions de valeur constitutionnelle. Or, la communication par voie de télévision hertzienne terrestre n'est érigée en service public, ni par la Constitution elle-même, ni par les textes auxquels se réfère son Préambule. Tout au plus, peut-on relever que, dans son treizième alinéa, le Préambule de la Constitution de 1946 fait obligation à la Nation de garantir "l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture".
En raison de l'incidence et du rôle de la télévision dans le monde d'aujourd'hui, en ce qui concerne l'instruction et la culture, on peut penser que l'Etat ne peut se dispenser d'avoir recours à ce mode de communication. Sur ce fondement, se trouvent légitimées des obligations de service public qui pourraient être imposées à des télévisions privées par voie hertzienne. En conséquence, Monsieur MAYER indique au Conseil qu’il a prévu, dans son projet, de préciser que : "La définition du régime juridique de la communication audiovisuelle implique que soit prise en compte l'obligation faite, par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, à la Nation et, par suite, à l'Etat, de garantir l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture".
Cependant, il ne s’ensuit nullement que la communication audiovisuelle devienne pour autant une activité de service public ayant, en tant que telle, un fondement constitutionnel. Pour ces divers motifs, Monsieur MAYER propose à ses collègues d'écarter le deuxième moyen avancé per les auteurs de la saisine.
Monsieur le Président ouvre la discussion sur ce point particulier.
Monsieur VEDEL déclare souscrire totalement au rapport de Monsieur MAYER. Les requérants ont en effet opéré un glissement dans leur raisonnemènt, tant il est vrai que nombre de fins d'intérêt général sont assurées en dehors du service public. Un problème toutefois l'amène à intervenir. Il s'agit de la référence faite au treizième
alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Pourquoi introduire cette référence dans un texte portant sur la télévision, alors que cela n'a pas été fait lors de l'examen des lois sur la presse ? Il faut que le Conseil réfléchisse sur cette adjonction qui pose plus une question de prudence jurisprudentielle qu'une question de fond. Monsieur VEDEL se demande, en conclusion, s'il est sage "de charger la barque" sur ce point.
Monsieur MARCILHACY s'interroge, quant à lui, sur la nature juridique de l'espace hertzien. Il se demande si on ne l'assimile pas un peu trop vite au domaine public et il se rappelle à cet égard les problèmes auxquels il s'était heurté lorsque, sénateur, il avait eu à traiter de l'espace maritime. Quoiqu'il en soit, il se déclare sensible à l'argumentation des auteurs de la saisine : si l'espace hertzien fait partie du domaine public, il convient d'en réglementer l'usage et, dans ce cas, comment le faire, sans suivre les règles qui sont celles du service public ?
Monsieur VEDEL fait observer à Monsieur MARCILHACY que sur les voies urbaines, qui font partie du domaine public, circulent cependant des voitures particulières ! Puis, revenant à la référence faite au Préambule de la Constitution de 1946, il estime que cette référence est dangereuse, dans la mesure où elle pourrait conduire à légitimer une censure. Il ne faut pas, en effet, confondre l'action qu'il revient à l'Etat de mener par ses moyens propres avec l'action qu'il lui incombe seulement de surveiller mais qui peut être poursuivie par des moyens privés. D'après lui, on ne peut pas tirer de l'article 11 de la Déclaration de 1789 la règle selon laquelle une obligation pédagogique s'imposerait à l'Etat. L'article 11 pose seulement la règle selon laquelle on répond a posteriori de l'abus de l'usage d'une liberté. Il ne lui semble donc pas qu'il y ait lieu de faire référence au Préambule de la Constitution de 1946.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE considère, tout comme Monsieur VEDEL, qu'il convient de supprimer cette référence au Préambule de la Constitution de 1946.
Monsieur MAYER indique au Conseil qu'il a, d'ores et déjà, de lui-même, procédé à cette suppression, dans le projet de décision qu'il s'apprête à lire devant le Conseil.
Monsieur LECOURT estime que cette suppression est d'autant plus nécessaire que les requérants ne font aucunement allusion au 13ème alinéa du Préambule.
Monsieur SIMONNET appelle tout d'abord l'attention du Conseil sur les coordinations auxquelles il faudrait procéder si cette suppression était décidée par le Conseil. S'agissant de la nature de l'espace hertzien et se souvenant de la thèse qu'il a "commise" sur le droit de la mer, il félicite le rapporteur de n'avoir pas repris l'argumentation des auteurs de la saisine. En effet, en dehors du droit du sol, il observe que les règles relatives au domaine public sont d'une extrême complexité.
Monsieur le Président reconnaît que l'article 11 de la Déclaration de 1789, comme l'a dit Monsieur VEDEL, pose le principe d'une liberté. Il se demande toutefois, s'agissant du domaine de la communication audiovisuelle et plus précisément de ce mode de communication qu'est la télévision par voie hertzienne, si le
problène n'est pas différent. En effet, compte tenu de l'importance de la télévision et de la rareté de l'espace hertzien, il se demande s'il n'y a pas un certain paradoxe à affirmer que la communication est libre alors que le moyen de communication est limité. Dès lors, au regard de l'obligation faite à l'Etat, par le Préambule de la Constitution de 1946, et s'agissant de ce mode particulier de communication qu'est la télévision, l'Etat ne doit-il pas veiller à ce que cette obligation soit prise en compte dans les cahiers des charges des sociétés nationales de programme, dans les créneaux qu'elles consacrent aux émissions culturelles et éducatives ? Sur le fond, il ne se déclare pas opposé à la suppression de la référence au Préambule de la Constitution de 1946 dans la décision, mais il estime souhaitable que cette obligation soit prise en compte lors de l'élaboration du cahier des charges.
Monsieur VEDEL fait valoir que cette obligation est prise en compte dans la loi et que le secteur public trouve justement là son fondement. Si le secteur public doit remplir cette obligation, à l'inverse le secteur privé doit pouvoir être plus libre. Dès lors, il est prudent, dans l'attente de lois à venir, de ne pas se référer explicitement à cette obligation qui, à ses yeux, a seulement valeur législative et non pas constitutionnelle, du moins en ce qui concerne le secteur privé.
Monsieur MAYER, au vu du consensus qui se dégage de cette discussion, propose de modifier son projet de décision en conséquence. Il donne lecture des pages 5 et 6 et du début de la page 7 de son projet de décision qui sont acceptés par les membres du Conseil.
Monsieur le Président propose alors de suspendre la séance.
La séance est suspendue à 11 h 35 et est reprise à 11 h 45.
Monsieur le Président donne la parole à Monsieur MAYER pour la suite de son rapport.
Monsieur MAYER aborde les questions relatives au pluralisme dans les services de communication diffusés par voie hertzienne terrestre ou par satellite.
Il déclare qu'il s'agit là, à ses yeux, d'un aspect essentiel dans l'argumentation des auteurs de la saisine. Il est traité par eux de diverses façons :
- dans le § III, lorsqu'est abordé le problème de la privatisation de T.F.1., problème qu'il se réserve d'examiner ultérieurement car il peut être traité de façon spécifique ;
- dans le § IV du mémoire initial ;
- dans le § V, à l'occasion de l'examen de certains articles ;
- et, enfin, dans une note complémentaire qui a été remise dans le cadre de la procédure contradictoire et qui a été distribuée aux membres du Conseil.
Pour la clarté de son analyse, il apparaît souhaitable à Monsieur MAYER d'examiner les problèmes posés par la sauvegarde de l'objectif de pluralisme, en se plaçant sur un plan global, sous la seule réserve du cas particulier de T.F.1.
Monsieur MAYER déclare qu'il lui paraît utile de rappeler, au début, l'importance que la jurisprudence du Conseil attache à la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels. Trois décisions méritent d'être rappelées, estime-t-il :
- tout d'abord, la décision du 27 juillet 1982, rendue à propos de la future loi du 29 juillet 1982, a, comme il l'a dit tout-à-l'heure, fait de la préservation du pluralisme des courants d'expression socioculturels un objectif de valeur constitutionnelle ;
- plus nettement encore, la décision des 10 et 11 octobre 1984, rendue à propos de la loi sur la transparence financière et le contrôle de la concentration des entreprises de presse, a, dans des termes qu'il estime très heureux, fait du pluralisme un corollaire nécessaire de la liberté de communication ; l'exigence de pluralisme a été directement rattachée à l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 ;
- enfin, tout récemment, la décision du 29 juillet 1986, relative à la loi portant réforme du régime juridique de la presse, a repris les termes de la précédente décision, tout en ajoutant une référence au fait que le pluralisme n'était pas limité au seul cas de la presse. Monsieur MAYER rappelle qu'en effet le Conseil constitutionnel a censuré l'article 11 de la loi qui lui était déférée, en relevant que les dispositions de cet article : "loin d'aménager, comme pouvait le faire le législateur, les modalités de protection du pluralisme de la presse et, plus généralement, des moyens de communication dont la presse est une composante, ne permettent pas de lui assurer un caractère effectif.".
Monsieur MAYER souligne que c'est la première fois que le Conseil faisait un "clin d'oeil aux multimédias" en soulignant que la presse n'est qu'une des modalités de la communication.
La fermeté dont a fait preuve la jurisprudence du Conseil en matière de sauvegarde du pluralisme peut être mise en parallèle avec la jurisprudence de certaines cours constitutionnelles de pays étrangers. Monsieur MAYER indique que, sur ce point, on peut se référer à un arrêt du 16 juin 1981 de la Cour constitutionnelle de la République Fédérale Allemande qui a été distribué aux membres du Conseil. Cet arrêt est d'autant plus intéressant à ses yeux que la situation de la France, en matière de communication audiovisuelle, présente certaines analogies avec le cas de la République Fédérale Allemande. Ainsi, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe avait décidé : "Le législateur doit tout particulièrement prendre des mesures pour assurer que la radio ne sera pas livrée à un ou plusieurs groupes sociaux, que les forces sociales d'une certaine importance pourront s'exprimer dans l'ensemble des programmes et qu'il ne sera pas porté atteinte à la liberté de s'informer".
Et, plus loin : "Le législateur doit rendre obligatoires des principes directeurs, en ce qui concerne le contenu de l'ensemble des programmes, principes qui garantissent un minimum de pondération, d'objectivité et de respect d’autrui.".
Monsieur MAYER rappelle qu'en France, comme en République Fédérale Allemande, il existe, en matière de radiodiffusion et de télévision, une organisation reposant sur le service public et visant, dans ce cadre, à garantir le pluralisme.
En République Fédérale Allemande, comme en France, une ouverture plus large de la communication audiovisuelle soulève des problèmes voisins. Il s'agit d'éviter que l'appel à l'initiative privée, en dehors du cadre du service public, ne conduise à des situations dominantes, sur le plan national, ou plus vraisemblablement sur le plan local, qui seraient en contradiction avec l'objectif de préservation du pluralisme. A ses yeux, l'objectif de sauvegarde du pluralisme doit être respecté aussi bien dans le secteur public de la communication audiovisuelle que dans le secteur privé. Ces réflexions lui paraissent directement résulter de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Aussi, il se propose d'examiner les diverses dispositions de la loi, afin de vérifier si elles satisfont aux exigences du pluralisme.
L'examen des deux premiers articles de la loi fait apparaître immédiatement deux éléments :
- d'une part, les intentions proclamées par le législateur sont, dans leur principe, conformes aux exigences constitutionnelles ; pour s'en convaincre, il suffit de se reporter au texte de l'article 1er de la loi ; après avoir énoncé, dans un premier alinéa, un principe de liberté, l'article 1er poursuit dans un deuxième alinéa que cette liberté ne peut être limitée que dans la seule mesure requise par divers impératifs, au nombre desquels figure la sauvegarde de l'expression pluraliste des courants d'opinion ;
- d'autre part, le législateur met, dès l'article 3 de la loi, l'accent sur le rôle essentiel confié, dans le dispositif qu'il prévoit, à la Commission nationale de la communication et des libertés ; le texte de l'article 3 est, à cet égard, très éclairant ; Monsieur MAYER en rappelle le libellé : "Il est institué une Commission nationale de la communication et des libertés qui a pour mission de veiller au respect des principes définis à l'article 1er. La Commission veille à assurer l'égalité de traitement et à favoriser la libre concurrence et l'expression pluraliste des courants d'opinion.- Elle garantit aux citoyens l'accès à une communication libre.- Elle veille à la défense et à l'illustration de la langue française.".
Au-delà de l'énoncé de principes généraux qui se trouvent donc, on vient de le voir, dans les articles 1er et 3 de la loi, ce qui doit essentiellement retenir le Conseil c'est la question de savoir si les autres dispositions de la loi organisent de manière effective un régime juridique permettant de sauvegarder le pluralisme. C'est à cette interrogation que les auteurs de la saisine demandent au
Conseil de répondre. La réponse à faire n'est franchement pas aisée et ceci pour deux raisons complémentaires :
- d'une part, comme les membres du Conseil ont pu le constater, la loi nouvelle forme un ensemble complexe qui manque bien souvent de netteté ; les conditions de son élaboration ne sont pas étrangères à cette impression de flou ;
- d'autre part, l'importance même des prérogatives conférées à la Commission constitue à la fois la force et la faiblesse du dispositif que le législateur a mis sur pied.
C'est un élément de force car une autorité administrative indépendante peut jouer un rôle très utile dans les secteurs politiquement très sensibles. On en a, par exemple, une bonne illustration avec le rôle imparti à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, instituée par la loi du 6 janvier 1978, ainsi qu'avec la Haute-autorité de la communication audiovisuelle. Ce sont là, estime Monsieur MAYER, les types mêmes des autorités administratives indépendantes qui ont une autorité suffisante. Mais l'importance et la diversité des attributions de la Commission nationale de la communication et des libertés revêtent aussi un aspect quelque peu inquiétant. En effet, un organisme autonome, non prévu par la Constitution, va exercer, en vertu de la loi nouvelle, des prérogatives nombreuses et variées dans le secteur de la communication audiovisuelle et dans un cadre juridique qui paraît à Monsieur MAYER, sur beaucoup de points, par trop imprécis. Il croit cependant que, sur ce point, qui est au coeur du débat, il est indispensable de nuancer l'analyse, en envisageant séparément et successivement :
- le respect du pluralisme dans le secteur public de la communication audiovisuelle ;
- les règles qui président à la délivrance d'autorisations aux opérateurs du secteur privé ;
- les règles destinées à contrôler les concentrations dans le domaine de la communication audiovisuelle et, plus généralement, dans une perspective multimédia.
Pour commencer, Monsieur MAYER estime que, si l'on envisage le régime juridique applicable au secteur public de la communication audiovisuelle, il faut constater que le législateur a fixé des règles qui sont à la fois précises et contraignantes, y compris pour la Commission. Le législateur a fixé lui-même des règles qui sont de nature à garantir le pluralisme.
- Si l'article 16 de la loi indique que la Commission "fixe les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales", que les sociétés nationales sont tenues de produire et de programmer, la compétence ainsi reconnue à la Commission doit nécessairement s'exercer dans le cadre des lois et réglements. Or, l'article L. 167-1 du code électoral fixe les règles d'accès des partis politiques aux services publics de la radio-diffusion- télévision qui sont à même d'assurer le respect du pluralisme des opinions et, dans le cadre considéré, la compétence reconnue à la Commission est une simple compétence de mise en oeuvre des règles qui ont été définies antérieurement par la loi.
- De la même façon, c'est à la Commission qu'il reviendra de fixer les modalités d'exercice du droit de réplique reconnu par l'article 54 de la loi et qui est consécutif aux émissions jugées nécessaires par le Gouvernement et présentées comme telles.
- Le fait pour la loi d'indiquer, dans le premier alinéa de l'article 55, que la retransmission des débats des assemblées parlementaires par les sociétés nationales de programme s'effectuera sous le contrôle du Bureau de chacune des assemblées, constitue une incontestable garantie. Les Bureaux veilleront à ce que les retransmissions des débats se fassent dans des conditions d'honnêteté politique indiscutable.
- Essentielle au regard du pluralisme, est la reconnaissance, par le deuxième alinéa de l'article 55 de la loi, d'un temps d'émission au profit des "formations politiques représentées par un groupe dans l'une ou l'autre des assemblées du Parlement ainsi qu'aux organisations syndicales et professionnelles représentatives à l'échelle nationale". Monsieur MAYER commente, sans l'approuver, ce dernier point. Dans ce domaine encore, si l'intervention de la Commission est prévue, s'agissant de la fixation des modalités d'application de ce droit d'émission, les modalités choisies ne peuvent pas conduire à la remise en cause du droit reconnu par la loi.
- Par ailleurs, on notera que l'article 56 de la loi fait obligation à la société Antenne 2 de programmer le dimanche matin des émissions à caractère religieux consacrées aux principaux cultes pratiqués en France, obligation qui incombait antérieurement à T.F.1. En dehors des règles précises édictées par la loi et que Monsieur MAYER vient de résumer, le respect du pluralisme dans le secteur public se trouve garanti de deux façons complémentaires :
. D'une part, l'article 13 de la loi énonce en des termes impératifs que la Commission "veille, par ses recommandations, au respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des sociétés nationales de programme et notamment pour les émissions d'information politique". L'application de dispositions législatives analogues concernant l'intervention de la Haute-autorité de la communication a été à l'origine d'un arrêt du Conseil d'Etat du 20 mai 1985 (LABBE et GAUDIN). En la circonstance, le Conseil d'Etat a jugé que les recommandations adressées par la Haute-autorité à une- société nationale de programme constituaient des décisions administratives faisant grief susceptibles d'être attaquées par des tiers, au moyen d'un recours pour excès de pouvoir. Aux termes de cette jurisprudence, des recommandations deviennent donc des décisions administratives.
. D'autre part, il y a lieu de souligner, estime Monsieur MAYER, que, sous l'empire de la loi nouvelle comme sous l'empire de la loi du 29 juillet 1982, les cahiers des charges des sociétés nationales de programme doivent être fixés par décret pris après avis de la Commission. Conformément aux principes dégagés par la jurisprudence administrative, les cahiers des charges devront respecter les principes fondamentaux du service public, en particulier le principe d'égalité des usagers du secteur public et le principe de neutralité du service.
Tous ces éléments conduisent Monsieur MAYER à conclure que les principes posés par les articles 1er et 3 de la loi en matière de pluralisme trouvent une traduction satisfaisante dans les dispositions particulières de la loi. La situation est beaucoup moins nette, estime-t-il, et donc beaucoup moins satisfaisante, si l'on considère le cas du secteur privé.
A ce stade de son analyse, Monsieur MAYER déclare qu'il s'en tiendra aux règles qui président à la délivrance des autorisations administratives. Il envisagera un peu plus tard le contrôle des concentrations.
En ce qui concerne les règles de délivrance des autorisations administratives aux opérateurs privés, la loi fixe un cadre juridique assez complexe. Monsieur MAYER pense que la meilleure formule consiste en l'analyse, un à un, des articles pertinents de la loi.
L'article 25 habilite la Commission à fixer les conditions techniques de l'usage des fréquences pour la diffusion de services de communication audiovisuelle par voie hertzienne terrestre. On se trouve ici dans le cadre d'une réglementation d'ordre purement technique qui est neutre, au regard de l'exigence de pluralisme.
L'article 26 concerne l'attribution des fréquences aux sociétés nationales de programme. Monsieur MAYER ne le mentionne ici que pour mémoire, parce que, beaucoup plus important est l'article 27 qui comporte deux paragraphes :
- le § I laisse à des décrets en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission, le soin de fixer "pour l'exploitation de chaque catégorie de services de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre ou par satellite", autres que ceux assurés par les sociétés nationales de programme :
. les règles applicables à la publicité et au parrainage
. le régime de diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles.
- le § II de l'article 27 confère, au contraire, une compétence réglementaire directe à la Commission. Il est dit que la Commission fixe, pour l'exploitation de chaque catégorie de services de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre ou par satellite, autres que ceux assurés par les sociétés nationales de programme :
. les règles générales de programmation ;
. les conditions générales de production des oeuvres diffusées, et notamment la part maximale d'émissions produites par l'exploitant du service.
A la Commission revient donc le soin de fixer des règles générales de programmation s'imposant à tous les services autorisés. A ces règles générales doivent s'ajouter, pour chaque catégorie de services autorisés de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre ou par satellite, des obligations particulières qui sont énoncées à l'article 28. Le premier alinéa de l'article 28 concerne la durée de validité des autorisations. Le deuxième alinéa dispose que : "L'exploitation des services mentionnés à l'article 27 est subordonnée au respect d'obligations particulières définies par la Commission et souscrites par le titulaire, compte tenu de l'étendue de la zone desservie, du respect de l'égalité de traitement entre les différents services et des conditions de concurrence propres à chacun d'eux". Le troisième alinéa de l'article 28 indique, sous sept rubriques différentes, en quoi peuvent consister les obligations particulières. La rédaction de cet alinéa est, il faut bien le dire, assez singulière, estime Monsieur MAYER. Il est dit en effet que :
"Ces obligations portent sur un ou plusieurs des points suivants : (Monsieur MAYER tient dès maintenant à attirer l'attention des membres du Conseil sur cet aspect des choses. Il estime en effet que les mots "un ou plusieurs" méritent d'être soulignés)
1° une durée minimale de programmes propres ;
2° l'honnêteté et le pluralisme de l'information et des programmes ;
3° un temps minimal consacré à la diffusion d'oeuvres d'expression originale française en première diffusion en France ;
4° une contribution minimale à des actions culturelles, éducatives ou de défense des consommateurs ;
5° une contribution minimale à la diffusion d'émissions de radiodiffusion sonore ou de télévision dans les départements, territoires et collectivités territoriales d'outre-mer ;
6° une contribution minimale à la diffusion à l'étranger d'émissions de radiodiffusion sonore ou de télévision ;
7° le temps maximum consacré à la publicité.".
La lecture même de l'article montre que, estime Monsieur MAYER, l'objectif de respect du pluralisme n'est qu'un élément parmi d'autres susceptible d'être retenu. Cet objectif est, en quelque sorte, noyé dans un ensemble. Lorsqu'on dit qu'un ou plusieurs de ces points doivent être respectés, il suffit que l'un d'entre eux le soit effectivement pour que les règles garantissant le pluralisme ne s'appliquent plus. Cette même impression prévaut lorsqu'on prend connaissance des dispositions de l'article 29 de la loi qui fixent les conditions dans lesquelles sont accordées par la Commission les autorisations d'usage des fréquences pour les services de radiodiffusion par voie hertzienne terrestre. Les alinéas 2 à 7 de l'article 29 fixent les conditions dans lesquelles il est procédé à un appel de candidatures. Quant au huitième alinéa, il définit les critères du choix opéré par la Commission. Monsieur MAYER cite, sur ce point, le texte :
"La Commission accorde les autorisations en appréciant l'intérêt de chaque projet pour le public, compte tenu notamment :
1° de l'expérience acquise par le candidat dans les activités de communication ;
2° du financement et des perspectives d'exploitation du service ;
3° de la nécessité de diversifier les opérateurs et d'assurer le pluralisme des idées et des opinions ;
4° des engagements du candidat quant à la diffusion d'oeuvres d'expression originale française en première diffusion en France ;
5° de la nécessité d'éviter les abus de position dominante et les pratiques entravant la concurrence en matière de communication ;
6° du partage des ressources publicitaires entre la presse écrite et les services de communication audiovisuelle.".
Monsieur MAYER fait observer qu'au début de ce texte apparaît l'adverbe "notamment", un de ces "notamment" que Monsieur JOZEAU-MARIGNE n'aime pas et qu'il a de plus en plus raison de ne pas aimer.
Il estime par ailleurs qu'il y a, dans cette énumération, des préoccupations dignes d'intérêt et qui sont importantes au regard de l'objectif du pluralisme. On peut regretter cependant, estime-t-il, que la loi ne soit pas plus formelle sur le point considéré. Monsieur MAYER ne pense pas, ou du moins ne dit pas, que c'est là l'intention du législateur mais tel est le résultat de la loi. Ce sentiment se trouve confirmé, à son avis, par l'examen des
dispositions de l'article 30 de la loi qui sont relatives aux autorisations concernant les services de télévision par voie hertzienne terrestre. Comme pour la radio, la loi organise une procédure d'appel de candidatures et, en vertu du quatrième alinéa de l'article 30, il revient à la Commission d'accorder l'autorisation en appréciant l'intérêt de chaque projet pour le public "compte tenu notamment" des critères figurant au 1° à 6° de l'article 29 et des engagements que le candidat souscrit dans l'un ou plusieurs des domaines suivants (Monsieur MAYER indique que suit une liste comportant cinq rubriques) :
- diffusion de programmes éducatifs et culturels ;
- action culturelle ou éducative ;
- contribution à la diffusion d'émissions de télévision dans les départements, territoires et collectivités territoriales d'outre-mer ;
- contribution à la diffusion à l'étranger d'émissions de télévision ;
- concours complémentaire au soutien financier de l'industrie cinématographique et de l'industrie de programmes audiovisuels ;
Pour être complet, Monsieur MAYER tient à citer également l'article 31 de la loi qui est relatif à l'usage des fréquences de diffusion affectées à la radiodiffusion sonore et à la télévision par satellite. Il est dit, au deuxième alinéa de cet article 31, que : "La Commission accorde l'autorisation, en fonction des critères mentionnés aux six derniers alinéas de l'article 29 et des engagements figurant aux cinq derniers alinéas de l'article 30".
Monsieur VEDEL intervient pour faire remarquer qu'en termes juridiques les expressions "ou" et "notamment" n'ont pas le même sens. Le "ou" est alternatif alors que le "notamment" est cumulatif.
Monsieur MAYER pense que l'examen des textes fait apparaître deux choses :
- l'objectif de pluralisme est quelque peu noyé dans la masse des critères et éléments d'appréciation dont la mise en oeuvre est laissée au libre choix de la Commission ; il remercie d'ailleurs Monsieur le Doyen VEDEL de confirmer son interprétation sur ce point ;
- le système mis en place par la loi vaudra ce qu'en fera la Commission.
Pour sa part, il trouve que cette situation est peu satisfaisante, surtout lorsque sont en cause une liberté publique essentielle ainsi qu'un objectif de valeur constitutionnelle comme le pluralisme. Le Gouvernement présente cependant deux arguments en faveur du texte de
la loi, dont il convient de faire état. Un premier argument est tiré de la diversité des situations et des cas de figure qui seront soumis à la Commission. En fonction de la variété des situations qui se présenteront à elle, la Commission pourra se référer à tel critère plutôt qu'à tel autre. Ainsi, par exemple, si le pluralisme est assuré par la diversité même des opérateurs, cela dispensera la Commission d'exiger le maintien du pluralisme interne.
Un second argument consiste à faire valoir que les articles 28 à 31 de la loi doivent être lus à la lumière des principes posés aux articles 1er et 3 de la même loi. L'article 3 devrait ainsi être entendu comme faisant obligation à la Commission, dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient des articles 28 et suivants, d'agir en conséquence. Les arguments ainsi mis en avant, dans la note du Secrétariat général du Gouvernement, n'ont cependant pas convaincu Monsieur MAYER, et cela pour diverses raisons.
Tout d'abord, il lui semble qu'on ne peut pas extrapoler à partir des articles 1er et 3 de la loi. Ces articles ne constituent qu'un exposé général des intentions du législateur. Ce qui importe, en droit strict, ce sont les dispositions particulières de la loi qui définissent et encadrent les pouvoirs de la Commission.
Quant à l'argument tiré de la diversité des situations auxquelles la Commission va se trouver confrontée, Monsieur MAYER pense qu'il est aisé de le retourner. La diversité même des situations imposait au législateur de se montrer à la fois plus précis et plus contraignant à l'égard de la Commission. L'article 34 de la Constitution lui en fait obligation. C'est à la loi qu'il revient de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice de libertés publiques. Le législateur ne peut pas se dessaisir purement et simplement, dans un domaine de cette importance, au profit de la Commission. Monsieur MAYER ne peut pas l'admettre pour sa part. Il estime qu'on peut d'ailleurs ajouter qu'une plus grande précision de la loi dans le domaine des autorisations offrirait deux intérêts supplémentaires non négligeables : d'une part, cela permettrait aux intéressés d'exercer un contrôle de légalité sur les décisions de la Commission devant le Conseil d'Etat ; une plus grande précision de la loi permettra l'exercice par le juge administratif d'un contrôle normal ; d'autre part, une plus grande précision de la loi offrirait au Gouvernement lui-même la possibilité de contester devant le juge administratif la légalité de telle ou telle décision de la Commission. Cela paraît important à Monsieur MAYER, au regard des équilibres institutionnels voulus par le constituant de 1958. Il pense en effet qu'il ne faut pas oublier que le Gouvernement qui dispose de l'Administration, en vertu de l'article 20 de la Constitution, est, par ailleurs, responsable devant le Parlement. Aussi, il lui paraît souhaitable qu'une autorité administrative de l'Etat, comme la Commission, même s'il s'agit d'une autorité administrative indépendante, ne soit pas amenée à jouer un rôle excessif. Tel est le risque qui résulte de la loi nouvelle. Pour couper court à ce risque, il lui paraît souhaitable de demander au législateur de revoir les articles 28 à 31, afin d'assumer pleinement la compétence qui est la sienne, en vertu de l'article 34 de la Constitution.
Monsieur le Président arrête à cet instant de son exposé Monsieur MAYER et souhaite ouvrir le débat sur la question du pluralisme, c’est-à-dire sur les questions posées par les articles 28 à 31 de la loi.
Monsieur SIMONNET exprime l'opinion que le pluralisme peut être atteint de deux manières différentes. Quand il y a un service public, du style de l'ancien O.R.T.F., c'est dans le cadre d'un droit de réplique donné à l'opposition, après des déclarations du Gouvernement, que ce pluralisme peut être mis en oeuvre. Le même service est tenu d'assurer une forme de pluralisme interne. L'autre forme de pluralisme est externe. C'est le système de la presse écrite. Il ne semble pas à Monsieur SIMONNET qu'il soit possible de contraindre "l'Humanité", par exemple, à rendre compte d'un congrès eucharistique, ni au Journal "La Croix" à rendre compte d'une fête de l'Humanité. Dans ce dernier cas, le pluralisme tient à la coexistence, expression à la mode, de différentes entreprises. Il y a donc lieu de distinguer deux choses différentes. Dans le secteur public, le pluralisme doit être interne ; dans le secteur privé, le pluralisme résulte de l'existence de plusieurs entrepreneurs et du phénomène de la concurrence. Le législateur n'est pas obligé de choisir entre ces deux modalités. S'il n'y a pas concurrence, il est nécessaire qu'il impose le pluralisme interne. Mais, en situation de concurrence, une telle obligation n'est pas nécessaire.
La Commission a, de par les articles 1er et 3 de la loi, l'obligation de veiller au pluralisme. Mais, il s'agit du pluralisme sous ses deux formes, soit interne, soit externe. Dans le secteur privé, le pluralisme externe sera assuré par la concurrence. L'Etat peut d'ailleurs, s'il le souhaite ou s'il l'estime utile, venir en aide à la concurrence. Monsieur SIMONNET pense que la question du pluralisme pose en fait un problème de nature philosophique. Il estime que, soit on estime qu'il n'y a qu'une seule forme de pluralisme possible, le pluralisme interne, et que dans ce cas on l'impose à tout le monde, soit on estime que le pluralisme externe peut être assuré par le libre jeu de la concurrence.
Monsieur FABRE pense que le cas de la presse écrite est un cas particulier et que les solutions qui sont vraies pour elle ne sont pas nécessairement transposables ailleurs. Ce qui importe, à son avis, c'est que le pluralisme interne soit également respecté dans les sociétés privées. C'est d'ailleurs là l'objet de l'article 64 de la loi. Monsieur FABRE pense que, si l'on suivait intégralement l'opinion exprimée par Monsieur SIMONNET, il n'y aurait plus de pluralisme du tout, si toutes les chaînes privées étaient de la même sensibilité politique. Pour sa part, il souscrit complètement à l'analyse de Monsieur MAYER.
Monsieur VEDEL déclare qu'il a écouté avec beaucoup d'intérêt et d'attention l'analyse de Monsieur SIMONNET. Il exprime son plein accord avec ce dernier, en ce qui concerne ce qu'il dit de l'article 28. Mais, il pense toutefois que l'argumentation de Monsieur
SIMONNET laisse subsister la difficulté posée par l'article 29 de la loi. Il pense que le "gros problème" est de savoir quelle pourrait être la position du juge administratif ayant à connaître une décision rendue sur la base des textes tels que la loi les présente. Quels moyens ce juge aurait-il d'exercer un contrôle effectif ? Une
décision du Conseil constitutionnel, disant explicitement que les articles 1er à 3 de la loi orientent tout le texte de celle-ci et lui donnent tout son sens lui suffirait-il ? Ou bien, estimerait-il que la commission devait concilier différents impératifs et, qu'en le faisant, elle n'a pas commis d'erreur manifeste d'interprétation ? Monsieur VEDEL estime que le Conseil est saisi d'un problème qui relève beaucoup plus de "la maison d'en face".
Monsieur LECOURT déclare qu'il se posait exactement la même question. Il évoque la loi de 1982 qui était relative au problème posé par la radiodiffusion. Il constate, que la loi examinée s'inspire assez largement du texte de 1982. Il rappelle qu'en 1982 le pluralisme était invoqué au titre d’un principe, qu'il était posé comme une règle, mais que, toutefois, la loi n'était guère précise sur son contenu. Il constate qu'actuellement le Conseil doit raisonner dans le cadre du secteur public ; que les missions de ce dernier sont définies. Toutefois, pour le reste, il rappelle qu'en 1982 le Conseil n'avait guère de précisions sur les règles relatives au contenu du pluralisme. Il lui semble qu'il, en est de même dans la loi que le Conseil examine actuellement. L'article fondamental lui apparaît être l'article 3. Cet article domine toute la loi. Il définit les missions de la Commission. La Commission ne peut pas s'en dégager. Il semble évident à Monsieur LECOURT que les autres règles qui s'imposent à la Commission ne lui permettent tout-de-même pas de se dégager des obligations qui sont posées par l'article 3. Il rappelle que l'article 11 de la Déclaration de 1789 est relatif à la libre expression des citoyens. Ce que le Conseil examine ici c'est la libre possibilité, pour les citoyens, de recevoir l'expression de courants d'opinion différents. L'obligation constitutionnelle lui semble satisfaite, dès lors que les citoyens sont libres de recevoir telles ou telles émissions de leur choix.
Il estime que le Conseil constitutionnel devrait préciser que l'article 3 s'impose à toute la loi et que l'article 28 ne peut pas être lu indépendamment de l'article 3.
Monsieur MARCILHACY se déclare stupéfait par la lecture qu'il fait de l'article 28. La lecture de l'article 28 lui semble évidente. Il suffit de satisfaire à une seule des obligations qu'il pose pour être dégagé du reste. Les débats parlementaires n'ont rien apporté de plus sur cette question. Mais, il demande aux membres du Conseil de lui pardonner, il y a "des conneries" qu'on n'a pas le droit d'écrire. Il estime que, lorsqu'on écrit, il faut satisfaire à "un ou plusieurs des points suivants" c'est très clair. Si, comme le pense Monsieur VEDEL, cela devait être jugé par un juge administratif, il se demande ce que ce malheureux juge pourrait dire de plus ! Et comment la Commission pourrait-elle interpréter l'article 28 au regard de l'article 3. Cette lecture lui semble s'imposer sans qu'on puisse le soupçonner de faire le moindre procès d'intention à la loi.
Monsieur SIMONNET estime qu'il ne s'agit pas de "conneries là-dedans", mais d'une divergence de philosophie politique. Soit, on peut penser qu'il n'y a qu'une seule sorte de pluralisme, le pluralisme interne, et dans ce cas on l'impose à tous, soit on croit qu'il y a place pour un autre régime du pluralisme applicable au secteur privé.
Monsieur MARCILHACY répond que "là alors je m'accroche au lustre" Il y aurait deux sortes de pluralisme et deux sortes d'honnêteté. L'une interne et l'autre externe ?
Monsieur SIMONNET répond que oui, que parfaitement, telle est son opinion. Il estime que d'ailleurs c'était déjà là le sens de la loi de 1982.
Monsieur le Président conteste ce dernier point. Il fait remarquer que, dans la situation du monopole local, la loi de 1982 imposait le pluralisme interne.
Monsieur SIMONNET répond que c'est exactement ce que fait l'article de la loi examiné. La Commission n'est pas contrainte d'user des mêmes critères selon qu'elle se trouve devant une situation de monopole local ou non.
Monsieur le Président ne partage pas l'opinion de Monsieur SIMONNET sur ce point .
Monsieur JOZEAU-MARIGNE regrette, pour sa part, que les débats au Parlement aient été si confus. Il exprime tout son intérêt pour la discussion qui a lieu au sein du Conseil. Toutefois, il ne peut pas, pour sa part, suivre Monsieur MAYER dans ses conclusions. Il le lui a d'ailleurs déjà dit. Mais il se réjouit que le Président ait ouvert la discussion sur ce point.
Monsieur MAYER déclare souhaiter une censure du Conseil pour couper court à tous les risques. Il pense que l'article 3 de la loi est "un coup de chapeau" rendu au pluralisme.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE ne partage pas, sur ce dernier point, l'opinion de Monsieur MAYER mais il rejoint la pensée de Monsieur LECOURT. Il pense que, si le Conseil doit censurer l'article 28 de la loi en raison du "ou", le Conseil diminuera de manière inconsidérée les dispositions de l'article 3. L'article 3 est plus qu'un "coup de chapeau". Lorsqu'on pose un principe en début de texte, avant toute rédaction des articles, comment peut-on dire qu'il ne s'agit que d'un coup de chapeau ? Le pluralisme est un absolu. L'article 28 n'a que la portée qui est la sienne. Il contient des obligations qui peuvent être remplies dans certaines situations et non pas dans d'autres. Mais toutes concourent également à mettre en oeuvre le principe posé par l'article 3 de la loi. On a regretté que le pluralisme ne soit pas exprimé de manière impérative, La censure de l'article 28 affaiblirait en grande partie la portée de l'article 3. Il pense qu'il est préférable que, par un considérant fortement motivé, le Conseil constitutionnel redonne tout son sens et sa portée à l'article 3. Une censure poserait à son avis un véritable problème de technique au législateur qui, en rédigeant chacun des articles d'une loi, se demanderait s'il n'affaiblit pas la portée et le sens des principes qu'il aurait posés précédemment.
Monsieur FABRE conteste que l'article 3 ait le caractère impératif que lui donne Monsieur JOZEAU-MARIGNE. Il remarque ainsi que, tour à tour, le législateur utilise les verbes "veiller à", ce qui est impératif, "assure", ce qui crée une obligation, et "favorise", ce qui n'est ni impératif, ni ne pose une obligation.
Monsieur le Président reprend à son propre compte l'observation de Monsieur FABRE.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE donne lecture de l'article 1er de la loi et estime qu'il faut en tenir compte : "L'établissement et l'emploi des installations de télécommunication, l'exploitation et l'utilisation des services de télécommunication sont libres.- Cette liberté ne peut être limitée, dans le respect de l'égalité de traitement, que dans la mesure requise par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public ainsi que par la sauvegarde de l'ordre public, de la liberté et de la propriété d'autrui et de l'expression pluraliste des courants d'opinion.- Le secret des choix faits par les personnes parmi les services de télécommunication et parmi les programmes offerts par ceux-ci ne peut être levé sans leur accord".
Monsieur le Président rappelle que la loi de 1982 s'inscrivait dans le cadre du secteur public. Elle ne considérait donc que le pluralisme interne. Le Conseil constitutionnel a fait du pluralisme un objectif concret à juste titre. Là où il n'y a pas de pluralisme d'opinions, il n'y a pas de liberté. En 1985, il s'agissait du secteur privé. Le législateur avait tenu compte du pluralisme externe et, s'il n'était pas respecté, du pluralisme interne. L'interprétation de la loi examinée faite par Monsieur SIMONNET, si elle n'était pas censurée, menacerait gravement le pluralisme. En effet, en matière de secteur public, le pluralisme serait uniquement assuré par les moyens du pluralisme interne. En ce qui concerne le secteur privé, le pluralisme ne pourrait être qu'externe et assuré par le simple jeu de la libre concurrence. Mais cela n'est pas possible en raison du coût et des limites du réseau hertzien. Il se peut ainsi que toutes les chaînes privées, différentes entre elles, soient cependant toutes acquises aux mêmes opinions et à la même sensibilité. Il se pourrait qu'il y ait ainsi trois chaînes privées juridiquement différentes mais qui ne fassent "qu'une seule chanson". Le simple jeu de la concurrence ne suffit pas à garantir le pluralisme. Le texte de l'article 3 de la loi permet de limiter la liberté de communiquer au nom du pluralisme mais il ne garantit certainement pas pour autant l'existence même du pluralisme. Or, cet article vise les pouvoirs mêmes de la Commission. Monsieur le Président ne pense pas que le choix du terme "favoriser" dans cet article soit dû à une simple erreur de plume.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE déclare ne pas partager cette analyse. Il donne lecture du deuxième alinéa de l'article 3 : "La Commission veille à assurer l'égalité de traitement et à favoriser la libre concurrence et l'expression pluraliste des courants d'opinion". Il estime que cet alinéa n'est compréhensible qu'en liaison avec le premier alinéa de l'article 3 qu'il cite également : "Il est institué une Commission Nationale de la Communication et des Libertés qui a pour mission de veiller au respect des principes définis à l’article 1er". Monsieur JOZEAU-MARIGNE considère que le génitif s'applique à la sauvegarde et à l'expression pluraliste.
II considère que le principe posé à l'alinéa 2 de l'article 3 impose la sauvegarde de l'expression pluraliste et c'est dans ce sens qu'il faut lire, à son avis, l'article 3. Il déclare qu'il est possible qu’il se trompe mais que c'est ainsi qu'il pense qu'il faut lire le texte de cet article, et ce d'autant plus qu'il est personnellement convaincu de la valeur constitutionnelle du pluralisme.
Monsieur VEDEL déclare que le délibéré présente, à ce moment, un aspect particulièrement intéressant, à ses yeux. Il ne partage pas l'opinion de Monsieur le Président. Il le regrette, en ce qui concerne la différence qu'il voit entre les verbes "favoriser" et "assurer". Monsieur VEDEL pense qu'on assure, ce qui relève de soi, et qu'on favorise, ce qui dépend des autres. Il pense par ailleurs que Monsieur SIMONNET a tout à fait raison dans la lecture qu'il fait de l'article 28. En cas d'absence de pluralisme externe, la Commission met en place un système de pluralisme interne. L'article 29 est intéressant puisque la définition qu'il donne est celle du service public. Cet article contient l'adverbe "notamment" et Monsieur VEDEL indique que le Président lui a fait passer une fiche issue du dictionnaire Littré sur ce point, qui veut dire prendre en compte. Il est vrai que c'est là, de l'opinion de Monsieur VEDEL, la faiblesse du texte ; que la Commission a pour mission de tenir compte avec d'autres principes du principe du pluralisme.
La question qui se pose, pour Monsieur VEDEL, est de savoir si les articles 3 et 1er de la loi jettent comme une "manière de phare" sur toute la loi et suffisent à donner des moyens suffisants au juge administratif saisi d'un recours contre une décision de la Commission, car le problème du Conseil n'est pas d'être favorable ou défavorable au rapport de Monsieur MAYER mais de savoir si l'interprétation des articles 1er et 3 de la loi suffit à garantir l'exigence constitutionnelle du pluralisme.
Le Conseil se trouve donc face à un choix entre deux possibilités de raisonnement.
Monsieur le Président souhaite présenter deux observations. Il rappelle que l'article 5 de la loi du 29 juillet 1982 comportait l'expression "a pour mission en assurant".
Monsieur VEDEL fait remarquer que la loi portait l'expression "assurer" parce qu'il s'agissait du secteur public et que c'était l'Etat qui le faisait lui-même.
Monsieur le Président répond que précisément, lorsqu'il s'agit du secteur privé, on peut se demander si l'expression "favoriser" est suffisante et cela surtout en matière de télévision régionale. Il pense qu'on se trouve toujours en face du même problème. En matière de télévision régionale, c'est la rareté qui "coince la garantie du pluralisme". Il se demande, si le Conseil ne censure pas cette disposition, s'il l'interprète, s'il ne sera pas, à juste titre cette fois-ci, critiqué pour interpréter la loi en contredisant le législateur.
Monsieur le Président reprend ensuite la discussion sur la portée du sens de l'adverbe "notamment".
Messieurs VEDEL et SIMONNET affirment que l'adverbe "notamment" confère une prise en compte obligatoire de toutes les conditions qui le suivent. Pour eux "notamment" n'est pas alternatif. Le seul problème possible est que, dans le texte de la loi examinée, le "notamment" soit suivi de trop nombreuses conditions.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE estime que le Conseil constitutionnel n'a pas à interpréter la loi. L'alinéa 2 de l’article 1er de cette loi pose l'exigence du pluralisme. Le Conseil ne fera que reprendre ce que dit la loi.
Monsieur le Président déclare bien comprendre la position de Messieurs VEDEL, SIMONNET et JOZEAU-MARIGNE. Ceux-ci voudraient "purger le venin de l'article 3 par l’article 1er" et "corriger l'article 30 par l'article 28". Toutefois, il voit un autre problème. Il se demande si la loi pouvait réellement, dans des conditions constitutionnellement acceptables, déléguer ses pouvoirs à la Commission. Pour sa part, il ne le pense pas et se demande si le Conseil ne doit pas censurer sur cette base.
Monsieur VEDEL dit que ce qui le gêne actuellement c'est que le texte de la loi examinée est très proche du texte de 1982. En 1982, la loi parlait de "veiller". Entre veiller, assurer, favoriser, les termes sont assez similaires. Il pense que, si les membres du Conseil avaient à réécrire eux-mêmes la loi, ils écriraient que la Commission "veille surtout à...". Mais il ne pense pas que pour une simple divergence sémantique le Conseil puisse censurer la loi.
Monsieur MARCILHACY déclare qu'il a suivi la discussion avec passion. Mais lui, "vrai paysan du Danube", n'arrive pas à se détacher de l'article 28. Monsieur MARCILHACY donne lecture de cet article. Il déclare qu'il veut bien faire crédit à tout le monde et qu'il ne met pas en cause les principes de l'article 3 de la loi. Mais l'article 28 est "une connerie", il s'excuse de le dire, il est grossier mais chacun le sait et on lui pardonne.
Monsieur VEDEL demande à Monsieur MARCILHACY pourquoi "diable" il veut à tout prix imposer le pluralisme quand ce n'est pas nécessaire. Il fait remarquer qu'il y a à Paris plus de quarante radios privées dont une radio homosexuelle. Pourquoi, au nom du pluralisme, faudrait-il imposer à cette radio de faire de la publicité pour les pratiques hétérosexuelles ?
Monsieur LECOURT déclare que, si les membres du Conseil étaient législateurs, ils auraient sans doute écrit qu'il fallait avant tout préserver la pluralité des opinions et des idées. Puis il cite l'article 1 de la loi examinée : "L'établissement et l'emploi des installations de télécommunication, l'exploitation et l'utilisation des services de télécommunication sont libres.- Cette liberté ne peut être limitée, dans le respect de l’égalité de traitement, que dans la mesure requise par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public ainsi que par la sauvegarde de l'ordre public, de la liberté et de la propriété d’autrui et de l'expression pluraliste des courants d'opinion.- Le secret des choix faits par les personnes parmi les services de télécommunication et parmi les programmes offerts à ceux-ci ne peut être levé sans leur accord".
II cite également l'article 3 de la loi : "Il est institué une Commission Nationale de la Communication et des Libertés qui a pour mission de veiller au respect des principes définis à l'article 1er.- La Commission veille à assurer l'égalité de traitement et à favoriser la libre concurrence et l'expression pluraliste des courants d'opinion.- Elle garantit aux citoyens l'accès à une communication libre.- Elle veille à la défense et à l'illustration de la langue française".
Il fait remarquer qu'aux termes de ces deux articles la liberté d'expression peut être limitée et notamment pour garantir le pluralisme. Il pense qu'il n'est pas possible de négliger, dans la lecture des articles 28 à 31, des principes posés par les articles 1er et 3 de la loi.
Monsieur le Président propose alors de suspendre la séance pour le déjeuner et de la reprendre à 14 h 30.
A 14 h 45, Monsieur le Président réouvre la séance et propose à Monsieur MAYER de donner lecture de son projet de décision jusqu'aux dispositions relatives au pluralisme dans le secteur privé, c'est-à-dire jusqu'à la page 12 du projet. Il demande à Monsieur le Secrétaire général de préparer une rédaction sur ce passage.
Monsieur MAYER donne alors lecture de son projet de décision de la page 7 à la page 9 jusqu'à la partie intitulée : "En ce qui concerne le pluralisme dans le secteur public".
Monsieur VEDEL fait quelques propositions de ponctuation sur la page 9 qui sont acceptées par les membres du Conseil.
Monsieur MAYER donne alors lecture des pages 10 et 11 de son projet de décision.
Monsieur SIMONNET, à la page 10, à la ligne 5, propose le remplacement du verbe "programmer" par le verbe "diffuser".
Cette modification est acceptée par le Conseil.
Monsieur MAYER reprend alors son rapport et déclare qu'il va examiner maintenant les dispositions de la loi destinées à permettre, dans l'intention du législateur, un contrôle des concentrations. Il indique tout de suite que les dispositions prévues lui apparaissent critiquables. Mais ce qui est en cause ici, c'est moins le caractère vague ou imprécis que leur insuffisance. Le dispositif prévu, sans être négligeable, présente, à son avis, des failles sérieuses.
Il propose, dans un premier temps, d'examiner ce qu'il estime être les articles pertinents de la loi. Il mentionne tout d'abord l'article 17 qui dote la Commission d'un double pouvoir de proposition et de contrôle. En vertu du premier alinéa de l'article 17, la Commission adresse au Gouvernement des recommandations pour le développement de la concurrence dans les activités de la communication audiovisuelle.
Le second alinéa du même article confère à la Commission un pouvoir de contrôle : "Elle est habilitée à saisir les autorités administratives ou judiciaires pour connaître des pratiques restrictives de la concurrence et des concentrations économiques. Ces mêmes autorités peuvent la saisir pour avis".
Monsieur MAYER constate qu'ainsi l'article 17 de la loi n'impose, par lui-même, aucune règle nouvelle aux opérateurs privés.
Il indique que les dispositions normatives créant des obligations à l'égard des particuliers figurent dans les articles 35 à 41 du texte de la loi. Il pense qu'on pourra passer rapidement sur les articles 35 à 38 de la loi qui répondent à un souci de transparence financière :
- Interdiction de prête-nom, article 35 ;
- Mise au nominatif des actions, article 36 ;
- Liste d'information sur la vie interne des entreprises titulaires d'autorisations, article 37 ;
- Obligation à toute personne physique ou morale qui vient à détenir toute fraction supérieure ou égale à 20 % du capital ou des droits de vote aux assemblées générales d'une société titulaire d'une autorisation d’en informer la Commission nationale.
Plus significative, à ses yeux, sont les dispositions destinées à réglementer la possibilité pour une même personne d'être titulaire de plusieurs autorisations relatives à un service de communication audiovisuelle ou d'exercer une influence prépondérante au sein d'une société titulaire d'une autorisation. Trois articles sont essentiels sur ce point : les articles 39, 40 et 41.
Monsieur MAYER déclare ne pas vouloir s'étendre sur l'article 40, qui est relatif à la limitation des participations étrangères, si ce n'est pour souligner qu'il fait expressément la réserve des engagements internationaux souscrits par la France. Doivent seuls retenir l'attention du Conseil, les articles 39 et 41.
L'article 39 dispose que : "Une même personne ne peut acquérir une participation ayant pour effet de porter, directement ou indirectement, sa part à plus de 25 % du capital d'une société privée titulaire d'une autorisation relative à un service de télévision par voie hertzienne, dès lors que ce service dessert l'ensemble du territoire métropolitain de la France".
Monsieur MAYER déclare que cet article a une portée réduite. Il limite la participation au sein d'une même société et non dans plusieurs, et c'est là un point qui lui paraît extrêmement important. Qui plus est, la limitation ne vaut que pour la ou les sociétés qui sont titulaires d'une autorisation relatives à un service de télévision sur l'ensemble du territoire.
L'article 41 vise, quant à lui, à éviter certains cumuls d'autorisation, mais sa portée est, elle aussi, réduite. Le premier alinéa de l'article 41 traite du cumul de plusieurs services de radiodiffusion sonore par voie hertzienne.
Le deuxième alinéa est relatif aux services de télévision par voie hertzienne. Selon le premier alinéa, une personne qui dispose déjà d'un réseau de diffusion en modulation de fréquence desservant l'ensemble du territoire national ne peut devenir titulaire d'une ou plusieurs autorisations d'usage de fréquence pour la diffusion en modulation de fréquence de services de radiodiffusion sonore par voie hertzienne terrestre que dans la mesure où la population recensée dans les zones qu'elle dessert, sur le fondement des nouvelles autorisations, est inférieure ou égale à 15 millions d'habitants. C'est dire entre le quart et le tiers de la population française, précise Monsieur MAYER. Le deuxième alinéa de l'article 41 dispose qu'une personne titulaire d'un service de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre dans une zone déterminée ne peut devenir titulaire d'une autorisation relative à un service de même nature diffusé en tout ou partie dans la même zone.
L'article 41 comporte deux précisions complémentaires :
- d’une part, il est précisé que les limitations énoncées visent aussi bien la personne titulaire de l'autorisation que celle qui contrôle, directement ou indirectement, le titulaire
- d'autre part, les règles édictées s'appliquent sous réserve des dispositions de la loi du 19 juillet 1977 relative au contrôle de la concentration économique et à la répression des ententes.
Enfin, il y a lieu de relever que le non-respect des règles posées par l'article 39 est passible de sanctions pénales, et qu'en ce qui concerne l'article 41, des sanctions administratives sont prévues dans un premier temps, avant que ne jouent des sanctions pénales.
Les auteurs de la saisine soulignent, et Monsieur MAYER indique que c'est à juste titre selon lui, les insuffisances notoires du dispositif résultant des articles 39 et 41 de la loi. Cela, paraît évident à Monsieur MAYER, tout d'abord s'agissant de l'article 39 de la loi. Cet article se borne à interdire à une même personne d'être titulaire de plus de 25 % du capital d'une société de télévision nationale privée. Mais a contrario, se trouve permise la détention par une même personne de 25 % du capital de plusieurs télévisions nationales privées.
En outre, pour les télévisions locales privées, aucune limitation n'est édictée quant à la participation au capital d'une ou plusieurs sociétés. La seule limite en matière de télévision locale hertzienne résulte de l'impossibilité de cumuler deux services locaux intéressant une même zone. Dans le domaine de la radiodiffusion, la limite fixée par l'article 41, alinéa 1er, n'a qu'une portée restreinte. Elle ne concerne que les autorisations en modulation de fréquence et omet de traiter du cas des sociétés qui émettent sur grandes ondes.
S’agissant de la seule modulation de fréquence, il est interdit à une même personne d'avoir un réseau de radio locale desservant une population qui, du fait d'une nouvelle autorisation, dépasserait un seuil de diffusion de 15 millions d'habitants ce qui, Monsieur MAYER insiste sur ce point, est un chiffre très élevé. II y a lieu de relever également que la loi ne prévoit aucune limitation en ce qui concerne le développement des réseaux câblés, non plus que dans le cas de la télévision par satellite. Les insuffisances de la loi sont encore aggravées par le fait que le législateur a envisagé le problème des concentrations dans une perspective purement sectorielle, d'ailleurs incomplète, et fort peu dans une perspective horizontale. Aucune règle stricte ne vient limiter les possibilités de cumul d'autorisations en matière tout à la fois : de radiodiffusion grandes ondes, de radiodiffusion en modulation de fréquence, de réseau câblé, de télévision hertzienne, de télévision par satellite. Quant au problème "de la concentration multimédia" il est traité, en quelque sorte, par prétérition. Les lacunes et insuffisances de la loi paraissent à Monsieur MAYER être de nature à compromettre la réalisation de l'objectif de sauvegarde du pluralisme.
Monsieur MAYER estime que ce sont surtout les cumuls multimédia dans une même zone géographique qui sont à craindre. Il ajoute que l'absence d'un minimum de réglementation risque d'encourager le développement de certaines situations de fait sur lesquelles il serait très difficile de revenir dans les années à venir. Le Conseil constitutionnel doit, selon lui, alors qu'il en est encore temps, inviter le législateur à compléter le texte des articles 39 et 41. En l'état, ces articles ne satisfont pas à l'objectif constitutionnel de sauvegarde du pluralisme. Ils sont contraires à la Constitution car le législateur est resté en deçà de la compétence qui est la sienne en vertu de l'article 34 de la Constitution.
Monsieur le Président ouvre le débat sur ce point.
Monsieur VEDEL demande à quel moment a disparu l'annonce faite que le texte examiné allait traiter du problème de la concentration multimédia.
Monsieur le Président l'informe que cette mention a disparu au moment de la discussion en commission mixte paritaire.
Monsieur LECOURT souhaite faire une observation de détail mais qui, à son avis, mérite d'être prise en considération. Il indique qu'au cours des débats parlementaires, plusieurs orateurs ont fait valoir que des limitations pourraient être apportées à la concentration multimédia sur la base de la notion d'abus de position dominante. Cela veut dire qu'en matière économique, on admet par principe la notion d'une position dominante. Mais il constate que la loi examinée ne porte pas sur un domaine écononique. Peut-être le Conseil devrait-il faire valoir, qu'en matière de communication, la notion même de position dominante n'est pas recevable, ou n'est en tout cas pas équivalente avec la position dominante en matière économique.
Monsieur le Président pense qu'une pareille différenciation entre les notions de position dominante économique et de position dominante en matière de communication trouverait tout-à-fait sa place à la page 21 du projet de décision.
Monsieur SIMONNET estime, pour sa part, que le texte examiné est peut-être insuffisant mais qu'il constitue un progrès, une avancée par rapport à l'état du droit existant. Il a été dit que ce texte ne mettait en place que "des digues fragiles, insuffisantes, que la crue emporterait tout de suite”, mais ce sont des digues tout de même. Si le Conseil les censure rien n'imposera au législateur de les remplacer ou d'en élever de plus hautes.
Monsieur VEDEL pense que cette obligation pourrait être donnée au législateur si, dans sa censure, le Conseil déclarait ces dispositions contraires à la Constitution et insuffisantes.
Monsieur SIMONNET pense que c'est alors toute la loi qu'il faudrait annuler et que c'est là un bien grand moyen.
Monsieur VEDEL en est d'accord mais il pense que c'est dans la logique même de l'option proposée. "Vous pouvez déclarer les dispositions en cause inséparables de tout ou partie de la loi".
Monsieur le Président pense que le problème posé par Monsieur SIMONNET est un problème parfaitement exact.
Monsieur VEDEL estime que ce n'est pas en effet parce que une "digue est insuffisante" qu'il faut nécessairement la balayer. Mais, au cas présent, il lui apparaît que les dispositions des articles 39 et 41 ne s'opposent pas à une mainmise des moyens de communication par un même groupe.
Monsieur MAYER donne alors lecture des pages 16 à 20 de son projet de décision.
Monsieur le Président propose quelques modifications formelles à la page 20 afin de faire droit aux "légitimes objections" du Président LECOURT.
Monsieur MAYER donne lecture de la page 21 de son projet de décision.
Monsieur VEDEL propose la suppression des trois dernières lignes du premier considérant de cette page. Il estime que cette phrase qui commence par "que de telles situations... remettre en cause dans l'avenir", reprise textuellement de la saisine, risque d'induire en erreur sur la portée de la décision des 10 et 11 octobre 1984.
Monsieur le Président donne son plein accord à ce point de vue.
Monsieur MAYER y souscrit également pour sa part.
Monsieur LECOURT, toujours sur le premier considérant de la page 21, propose à la ligne 8 de remplacer l'expression "propre à garantir le pluralisme des courants d'expression socioculturels" par "nécessaire à cette fin".
Monsieur SIMONNET exprime la crainte que la censure des articles 39 et 41 de la loi ne contribue pas à lutter contre la concentration. Il ne voit pas, par ailleurs, en quoi ces articles sont contraires à la Constitution. Même en les relisant, il ne voit vraiment pas en quoi la tentative de réduire la concentration est contraire à la Constitution. Son observation est particulièrement vraie, à son avis, en ce qui concerne les dispositions de l'article 39.
Monsieur LECOURT pense que Monsieur SIMONNET a tout à fait raison. L'article 39 est sans doute insuffisant mais en lui-même il n'est pas contraire à la Constitution.
Monsieur le Président estime que c'est le résultat qu'il permet qui est contraire à la Constitution. Il y a censure de la part du Conseil constitutionnel. Cette censure doit être effective sans pour autant être excessive.
Monsieur MAYER indique les résultats d'une petite étude qu'il a faite et qui illustrent le risque que ces articles peuvent faire courir en matière de concentration.
Monsieur le President donne lecture d'un amendement rédactionnel proposé par Monsieur le Secrétaire général qui donne satisfaction à tous les membres du Conseil et qui consiste à écrire : "Considérant qu'en l'état, les dispositions des articles 39 et 41 de la loi ne satisfont pas a elles seules...".
Monsieur VEDEL demande également qu'il soit précisé que ces articles doivent être déclarés "non conformes" à la Constitution et non pas qu'ils sont contraires à la Constitution.
Le Conseil donne son accord à cette proposition.
Monsieur le Président donne alors la parole à Monsieur MAYER pour la suite de son rapport.
Monsieur MAYER déclare qu'il va maintenant aborder les questions relatives au transfert au secteur privé de la société nationale de programme "Télévision française 1".
Il précise qu'avant de commencer son rapport il souhaite faire un rappel de la législation antérieure à 1974 .
En février 1959, une ordonnance en date du 4 de ce mois a fait de la radio-télévision française un établissement public de l'Etat à caractère industriel et commercial, doté d'un budget autonome et placé sous l'autorité du Ministre de l'Information.
Une loi du 27 juin 1964 a transformé la R.T.F. en office. L'autonomie fonctionnelle a été accordée à l'O.R.T.F., qui est désormais placé sous la tutelle et non plus sous l'autorité du Ministre de l'Information. Le directeur général de cet office est entouré d'un conseil d'administration. Le contrôle a priori en matière de répartition des crédits, d'investissement et de personnel est maintenu. C'est sous l'O.R.T.F. que sera créée la deuxième chaîne et que sera envisagée la création dé là troisième chaîne.
Une loi du 3 juillet 1972 a consacré deux principes fondamentaux : la radiodiffusion-télévision est un service public et un monopole de l'Etat. La loi a fait une place prépondérante au Président-Directeur Général.
C'est avec une loi du 7 août 1974 qu'apparaîtra T.F.1., puisque cette loi aura pour principale conséquence de faire éclater l'O.R.T.F. en cinq sociétés et deux établissements publics : une société de radio, trois sociétés de télévision, une société de production, l'établissement public de diffusion et l'institut national de l'audiovisuel.
La société T.F.1., comme les autres sociétés, est dirigée par un conseil d'administration de six membres, ainsi composé : deux représentants de l'Etat, un parlementaire, une personnalité de la presse écrite, un représentant du personnel, et une personnalité du monde culturel. Le Président, choisi parmi les membres du Conseil d'administration, est nommé pour trois ans en conseil des Ministres. La société, dont l’Etat est l'unique actionnaire, est soumise à la législation sur les sociétés anonymes. Le Premier ministre ou un membre du Gouvernement délégué par lui veille à l'observation par la société de son cahier des charges. Le financement de la société est assuré à la fois par la redevance et par des recettes publicitaires dont le montant est plafonné à 25 % du total des ressources. Le personnel est régi par des conventions collectives.
La loi du 29 juillet 1982 a maintenu les sociétés de programme existantes, dont T.F.1., dont elle a par ailleurs profondément changé les règles de fonctionnement compte tenu de l'apparition de la Haute-Autorité de la communication audiovisuelle et du rôle joué par cette Haute-Autorité nouvellement créée. T.F.1. est actuellement détenu à 100 % par l'Etat et est soumise à la législation sur les sociétés anonymes sous réserve des dispositions contraires de la loi. Son conseil d'administration comprend douze membres : deux parlementaires, quatre administrateurs nommés par la Haute-autorité, deux administrateurs désignés par le Conseil national de la communication audiovisuelle, deux représentants du personnel et deux administrateurs représentant l'Etat. Le Président de T F.1. est nommé par la Haute-Autorité parmi les administrateurs qu'elle désigne. Son budget est de 2 438, 5 millions de francs dont 840 millions proviennent de la publicité et 1 500 millions de ressources publicitaires. Pour ceux des membres qui aiment les précisions "vraiment très très précises", Monsieur MAYER précise qu'elle a un effectif de 1 498 personnes, que son audience a été évaluée en juillet 1986 à 40 %. '
L'intitulé du titre IV de la loi indique très clairement son objet. Il s'agit de la "cession de la société nationale de programme "Télévision française 1"". Ce titre comprend douze articles. Les articles 58 à 69 inclus. Les auteurs de la saisine ne contestent pas la privatisation de T.F.1. dans son principe, ils estiment cependant que les conditions dans lesquelles cette opération est réalisée ne sont pas, elles, conformes à la Constitution.
Toutefois, ils ne critiquent pas tel ou tel des douze articles du titre ou encore telle ou telle disposition d'un de ces articles, mais ils critiquent l'ensemble, le résultat final. Aussi bien, il semble à Monsieur MAYER qu'il ne peut pas échapper à l'obligation de procéder dans un premier temps à l'analyse du contenu de chacun des articles en cause, puis dans un second temps de rappeler les critiques que le titre IV, dans son ensemble, suscite chez les auteurs de la saisine, et, enfin d'apprécier, sous le contrôle des membres du Conseil et avec leur approbation, la pertinence, au regard de la Constitution, de ces critiques.
L'article 58 décide, dans son premier alinéa, du transfert au secteur privé du capital de la société nationale de programme "Télévision française 1". Dans son alinéa 2, cet article décide que 50 % du capital de cette société sera cédé à un groupe d'acquéreurs dans certaines conditions que Monsieur MAYER se réserve d'examiner ultérieurement, en analysant les articles 62, 63 et 64. Ce même alinéa définit la notion de "groupe d'acquéreurs" comme la réunion d'au moins deux personnes physiques ou morales agissant conjointement mais pas indivisément et prenant des engagements solidaires en vue d'acquérir cette part de 50 % du capital de T.F.1.. Cet article précise en outre que, dans le cas de personnes morales, aucune d'entre elles ne doit contrôler, au sens du droit des sociétés, l'autre ou les autres personnes morales du groupe. Cette précision a pour objet d'éviter que le groupe d'acquéreurs ne soit constitué entre des sociétés dépendantes les unes des autres. Le dernier alinéa de l'article 58 décide que 10 % du capital de T.F.1. sont proposés aux salariés de T.F.1. dans des conditions qu'il examinera tout à l'heure et que les 40 % restant du capital font l'objet d'un appel public à l'épargne, dans des conditions que Monsieur MAYER se propose d'analyser dans un instant.
L'article 59 comporte sept alinéas : le premier pose le principe que la société T.F.1. ne peut pas être cédée à un prix inférieur à sa valeur.
Le deuxième précise que l'évaluation de la valeur de T.F.1. sera faite par la Commission de privatisation créée par l'article 3 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986.
Il s'agit, les membres du Conseil le savent, de la loi qui a été votée par le Parlement à la demande du Gouvernement à la suite du refus du Président de la République de signer les ordonnances relatives à la privatisation de soixante-cinq entreprises publiques.
Monsieur MAYER rappelle aux membres du Conseil que comme lui, ils ont sans doute appris par la presse ou par la lecture du Journal officiel que cette commission d'experts est présidée par leur ancien collègue Monsieur Pierre CHATENET.
Le troisième alinéa de cet article indique que cette commission est saisie par le Ministre chargé de l'Economie et par le Ministre chargé de la Communication et qu'elle fixe la valeur de T.F.1..
L'alinéa 4 précise les critères en fonction desquels la Commission procédera à l'évaluation de T.F.1.. Il indique que cette évaluation est conduite selon les méthodes objectives couramment pratiquées en matière de cession d'actifs des sociétés ; qu'il faudra tenir compte du cahier des charges qui servira lui-même de base à la cession, de l'actif net, des éléments incorporels, des perspectives de bénéfices de la société, de la valeur de ses filiales et tous les éléments de nature à contribuer à sa valorisation boursière.
Il décide également que cette évaluation sera rendue publique. Ceci paraît assez important à Monsieur MAYER.
Le cinquième alinéa précise que les prix d'offre, de cession, et des parités d'échange sont fixés par arrêté ministériel sur avis de la Commission de privatisation.
Le sixième alinéa fixe un plancher à ces prix en indiquant qu'ils ne peuvent pas être fixés à un montant inférieur à l'évaluation faite par la Commission de la privatisation. Il impose également de tenir compte dans cette fixation, de la valeur estimée des avantages consentis par l'Etat en faveur des salariés de T.F.1..
Le dernier alinéa, enfin, dispose que la Commission de privatisation donnera son avis sur les procédures de mise sur le marché du capital de T.F.1..
L'article 60 est fort long, il comprend onze alinéas :
Le premier décide que 10 % du capital de la société T.F.1. est offert en priorité aux salariés de T.F.1. et des filiales dont elle détient la majorité du capital social. Il étend également le bénéfice de cette priorité aux anciens salariés de T.F.1. et de ses filiales, à la condition que ceux-ci justifient d'un contrat d'une durée accomplie d'au moins cinq ans.
Le deuxième impose de servir intégralement les demandes des salariés. Toutefois, il précise que chaque demande individuelle ne peut être servie que dans la limite de trois fois le plafond annuel des cotisations de sécurité sociale, soit 341 000 F.
L'alinea 3 permet de fixer un prix d'offre aux salariés inférieur de 20 % à celui fixé pour la cession au groupe d'acquéreurs. Toutefois, les titres ainsi acquis ne peuvent pas être cédés avant leur paiement intégral et de toute manière avant un délai de deux ans.
L'alinéa 4 admet en paiement et à concurrence de 50 % du montant de chaque acquisition les titres d’emprunt d'Etat et les titres d'emprunt dont le service est pris en charge par l'Etat. Il précise que l'évaluation de ces titres est faite sur la base de la moyenne de leur cours en bourse calculé sur une période comprenant les 20 jours de cotation précédant la mise sur le marché des actions offertes.
L'alinéa 5 indique qu'à l'occasion d'un tel échange de titres, les dispositions du code général des impôts relatives aux plus-values ne sont pas applicables aux gains procurés par l'échange.
L'alinéa 6 précise que, dans le cas de cession des actions reçues, la plus-value ou la moins-value est calculée à partir du prix ou de la valeur d'acquisition des titres remis en échange. Il prévoit également une base de calcul spécifique dans trois cas :
- Pour les titres acquis dans le cadre de la loi de nationalisation du 11 février 1982 ;
- Pour les opérations mentionnées à l'article 19 de la loi de finances rectificative pour 1981, il s'agit d'un prélèvement de 3 % opéré sur les montants moyens des comptes ordinaires créditeurs et des comptes sur livret libellés en francs et comptabilisés par les banques ;
- Pour les opérations mentionnées à l'article 14 de la loi du 30 décembre 1982, il s'agit en fait d'opérations relatives à l'échange des actions de la société Matra contre des obligations.
L'alinéa 7 de l'article 60 accorde des délais de paiement aux salariés, délais qui ne peuvent excéder trois ans. Il précise que les salariés acquéreurs ont, dès la date de l'achat, tous les droits des actionnaires.
L'alinéa 8 dispose qu'il sera attribué gratuitement par l'Etat une action pour une action achetée, dans la limite de la moitié du plafond mensuel des cotisations de la sécurité sociale, soit 700 F., dès lors que les titres acquis ont été conservés au moins un an à compter du jour où ils sont devenus cessibles.
L'alinéa 9 prévoit que les différents avantages résultant tant du mode de fixation du prix de cession que des délais de paiement et de la distribution gratuite d'actions sont cumulables. Il exclut par ailleurs ces avantages du calcul de l'assiette de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales.
L'alinéa 10 précise la procédure de cession aux salariés. Pendant un délai fixé par les Ministres compétents, 10 % du capital de T.F.1. sont proposés aux salariés dans les conditions qui viennent d'être décrites. Si, à l'expiration de ce délai, la valeur des actions souscrites est inférieure à 10 %, le Ministre de l'Economie, sur proposition du Ministre de la Communication, offre à nouveau les titres non acquis aux salariés, dans les mêmes conditions et cela pendant deux années.
Enfin le dernier alinéa prévoit qu'à l'issue de ce dernier délai, les titres non cédés sont vendus sur le marché.
L'article 61 est relatif à la cession des 40 % du capital de T.F.1. par appel public à l'épargne. Il comporte treize alinéas :
Le premier dispose que cet appel s'effectue au prix fixé dans les conditions prévues par l'article 59, évaluation par la Commission de privatisation, fixation par arrêtés conjoints des Ministres compétents sur avis de la Commission. Il décide que les modalités de l'appel public à l'épargne sont fixées par arrêtés conjoints des Ministres compétents et, dans l'intention de favoriser les petits porteurs, que "les ordres d'achat seront réduits par arrêtés conjoints de façon à privilégier les ordres portant sur les plus faibles quantités".
Le deuxième alinéa dispose que les personnes étrangères ou sous contrôle étranger ne pourront pas acquérir plus de 5 % du capital de T.F.1. en utilisant cette procédure. Cette disposition pourrait poser problème au regard du droit communautaire. Mais il est possible d'interpréter la loi comme ne mettant pas obstacle à la suprématie du droit communautaire. En tous cas, il n'y a aucune contestation qui soit parvenue au Conseil sur ce point.
Monsieur MAYER indique que Monsieur le Président LECOURT a pu examiner plus particulièrement cet aspect des choses qui lui tient particulièrement à coeur en raison de ses fonctions antérieures et pourtant très proches encore.
Le troisième aliéna admet en paiement, à concurrence de 50 % au plus de chaque acquisition, les titres d'emprunt d'Etat ou d'emprunt dont le service est pris en charge par l'Etat. Il comporte une disposition identique à celle examinée précédemment quant aux modalités d'évaluation de ces titres.
Les quatrième, cinquième et sixième alinéas comportent des dipositions fiscales relatives à l'échange des titres mentionnés à l'article 61. Ils excluent de la détermination du résultat imposable de l'exercice en cours des entreprises la plus-value ou la moins-value résultant de l'échange des titres figurant à leur bilan. Ils excluent, pour les particuliers, l'application des dispositions du code général des impôts relatives aux plus-values lors de l'échange des titres.
Les septième, huitième et neuvième alinéas comportent certaines dispositions relatives au calcul de la plus-value en cas de cession ultérieure des actions reçues, pour les entreprises d'une part, et pour les particuliers d'autre part.
Le dixième alinéa de l'article 61 prévoit l'attribution d'une action gratuite pour cinq actions acquises directement de l'Etat, conservées pendant au moins dix-huit mois et dans la limite d'un montant de 25 000 F.
Les trois derniers alinéas autorisent des délais de paiement aux mêmes conditions que celles fixées au septième alinéa de l'article 60.
L'article 62 est relatif à la cession faite au profit d'un groupe d'acquéreurs.
Il soumet cette cession à deux types de conditions. D'une part, l'acceptation de certaines contraintes qui pèsent actuellement sur la gestion de T.F.1.. Il s'agit :
- de l'obligation de faire assurer la diffusion des programmes de la société dans la totalité de la zone desservie à la date de publication de la loi ;
- de l'obligation de mettre des programmes à la disposition de Radio-France d'Outre-Mer dans les conditions existantes déjà aujourd'hui ;
- de l'obligation, pendant les deux premières années suivant la cession, de passer à la société française de production un montant de commandes au moins égal à la moitié des commandes passées par la société "Télévision Française 1" à la S.F.P. en 1986.
Par ailleurs, le groupe devra respecter un cahier des charges qui sera fixé par un décret en Conseil d'Etat et qui comportera des obligations minimales en matière :
- de programmation notamment, et Monsieur MAYER indique qu'on retrouve cet adverbe, en ce qui concerne l'honnêteté et le pluralisme de l'information ;
- de production des oeuvres diffusées ;
- de publicité, notamment le temps d'émission maximum consacré à la publicité ;
- de diffusion des oeuvres cinématrographiques et audiovisuelles ;
L'article 63 est relatif à la procédure d'appel des candidatures relative au groupe d’acquéreurs.
Le premier alinéa donne compétence à la Commission Nationale de Communication et des libertés pour publier, dans des formes et délais qui seront fixés par décret en Conseil d'Etat, un appel aux candidatures de groupes d'acquéreurs. Ensuite, il est imposé aux groupes d'acquéreurs candidats de faire connaître la répartition entre leurs membres de la part du capital qui leur sera cédée ;
Ensuite, la candidature des groupes où les personnes étrangères, ou sous contrôle étranger détiendraient plus d'un cinquième du capital à acquérir est interdite. Ces dernières dispositions appellent les mêmes remarques que celles formulées précédemment en ce qui concerne le deuxième alinéa de l'article 61. Monsieur MAYER indique qu'il y a très certainement un problème au regard du droit communautaire. Mais il est possible d'interpréter la loi comme ne faisant pas obstacle à la suprématie du droit communautaire.
Le quatrième alinéa de l'article 63 impose aux candidats de justifier de leur capacité technique et financière et des modalités de financement envisagées. Enfin, il est prévu que la Commission arrête la liste des candidats admis qui est publiée au Journal officiel.
L'article 64 est relatif à la présentation par les candidats d'un projet d'exploitation du service. Cet article énumère les critères permettant de sélectionner les groupes d'acquéreurs s'étant portés candidats. Dans un délai, fixé par un décret en Conseil d'Etat, ils doivent présenter un projet qui, outre les obligations inscrites au cahier des charges servant de base à la cession, comporte des engagements concernant :
- la diffusion de programmes culturels et éducatifs ;
- la diffusion d'oeuvres d'expression originale française en première diffusion en France ;
- leur contribution à des actions culturelles et éducatives ;
- leur contribution à l'action des organismes assurant la présence culturelle de la France à l'étranger ;
- leur concours au soutien financier de l'industrie cinématographique et de l'industrie de programmes audiovisuels ;
- le volume et la périodicité réservés aux journaux télévisés, magazines d'actualité et documentaires.
Au vu des dossiers ainsi constitués, la Commission désigne, par décision motivée, le groupe cessionnaire.
Elle doit prendre sa décision en fonction de l'intérêt que les projets proposés présentent pour le public en tenant compte notamment de :
- l'expérience des candidats dans les activités de communication ;
- la nécessité de diversifier les opérateurs ;
- la nécessité d'assurer le pluralisme des opinions ;
- la nécessité d'éviter les abus de position dominante et les pratiques anticoncurrentielles en matière de communication ;
- du partage des ressources publicitaires entre la presse écrite et les services de communication audiovisuelle.
L'article 65 définit le régime applicable à la nouvelle société. Il dispose qu'à la date d'effet de la cession la Commission accorde à la société T.F.1. l'autorisation d'utiliser les fréquences précédemment assignées à celle-ci en tant que société nationale de programmes, et cela pour une durée de dix ans. Cette autorisation est assortie des obligations et conditions qui viennent d'être rappelées ainsi que des engagements supplémentaires pris par le candidat retenu. Enfin, il dispose que l'ensemble des dispositions relatives au service de communication audiovisuelle s'applique à la société T.F.1. une fois privatisée.
L'article 66 dispose que le conseil d'administration de la nouvelle société devra se composer pour un sixième au moins de représentants du personnel et cette disposition a pour effet de garantir le maintien des dispositions assurant actuellement la représentation du personnel au sein du conseil d'administration de T.F.1.. Cette représentation est la traduction législative d'une exigence qui résulte du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".
L'article 66 permet par ailleurs, durant la période au cours de laquelle l'Etat procédera à l'appel public à l'épargne et cédera une partie du capital aux salariés, de déroger aux dispositions du décret-loi du 30 octobre 1935 organisant le contrôle de l'Etat sur les sociétés ayant fait appel au concours financier de l'Etat.
L'article 67 confie à la juridiction administrative compétence pour trancher l'ensemble des litiges auxquels peut donner lieu l'application des articles 58 à 66.
L'article 68 est relatif à la situation des personnels de la société "Télévision Française 1". Dans la mesure où il ne paraît en rien contraire à la Constitution, Monsieur MAYER estime qu'il n'est pas nécessaire de procéder à un examen particulièrement détaillé de cet article.
L'article 69 fixe les modalités de cession anticipée d'activité au profit de l'ensemble des personnels du secteur public de la radiodiffusion sonore et de la télévision. Il précise que les emplois ainsi libérés pourront être prioritairement offerts aux agents de T.F.1.. Il renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer, en tant que de besoin, les modalités d'application.
Monsieur MAYER annonce qu'il va maintenant procéder à l'analyse des arguments des auteurs de la saisine. Ceux-ci estiment que le transfert au secteur privé de la société T.F.1. est contraire à la Constitution pour quatre raisons.
Ils soutiennent tout d'abord qu'un tel transfert ne peut être réalisé, en raison de la nature particulière de ce moyen de communication, qui constitue, à leur avis, un service public par nature, que dans le cadre du régime de la concession du service public. Il s'agit là, en fait, de l'opinion de Monsieur MAYER, de l'application au cas particulier de T.F.1. du grief plus général qu'ils ont formulé à l'encontre du régime juridique d'utilisation des fréquences hertziennes prévu par la loi. Monsieur MAYER a fait part précédemment à ses collègues, à l'occasion de l'examen des articles 25 et suivants, des raisons pour lesquelles il ne pensait pas devoir les inviter à suivre les auteurs de la saisine sur ce point et, pour les mêmes raisons, il leur propose d'écarter ce grief. La communication par voie hertzienne ne constitue pas en effet, à ses yeux, une activité de service public ayant un fondement dans la Constitution elle-même.
Les auteurs de la saisine font valoir en second lieu que la cession de 50 % du capital à un groupe unique d'acquéreurs serait contraire aux exigences constitutionnelles du pluralisme. Ils font valoir que T.F.1. est la première chaîne française de télévision, qu'elle recueille à elle seule 40 % de l'audience actuelle de la télévision et que la loi a donc pour effet, à leur yeux, d'attribuer à un seul groupe 40 % de la télévision en France. Cet argument peut paraître à première vue pertinent et Monsieur MAYER déclare qu'il y a été, pendant un temps assez long, sensible. Mais, finalement, il a décidé de l'écarter. D'une part, le groupe d'acquéreurs privé qui verra céder 50 % du capital de la société nationale "Télévision Française 1" sera désigné par la Commission dans les conditions des articles 62 à 64 qui viennent d'être examinés. Une procédure publique d'appel à la concurrence étroitement réglementée a été prévue. D'autre part, l'article 58 de la loi définit ce qu'il faut entendre par groupe d'acquéreurs. Il s'agit de personnes agissant, certes conjointement, mais pas indivisément. Dans le cas où il s'agit de personnes morales, elles ne doivent pas être en situation de dépendance entre elles. Enfin, les 50 % restant du capital de la société seront cédés pour 10 % aux salariés et pour 40 % au public.
Par ailleurs, les articles 62 et 64 de la loi organisent une publicité de la procédure de désignation du groupe d'acquéreurs retenu et lui impose de présenter un projet d'exploitation qui comporte des obligations inscrites dans un cahier des charges. Monsieur MAYER pense que cette notion de cahier des charges doit retenir l'attention du Conseil. En effet, ce cahier des charges est arrêté par un décret pris en Conseil d'Etat. Il doit, aux termes de l'article 62 de la loi, contenir un certain nombre d'obligations minimales relatives notamment à l'honnêteté et au pluralisme de l'information et des programmes. La loi fait aussi l'obligation à la Commission de prendre en compte, pour désigner le groupe d'acquéreurs retenu, les exigences du pluralisme des opinions, la nécessité d'éviter les abus de position dominante. Elle prévoit, par ailleurs, des sanctions administratives et, en tant que de besoin, pénales en cas de non respect par le groupe d'acquéreurs des prescriptions qu'elle édicte ou qui sont prises sur son fondement. Ces règles semblent pouvoir offrir des garanties suffisantes au respect de l'exigence constitutionnelle de pluralisme et le projet que Monsieur MAYER soumet à ses collègues écarte donc ce grief, sous réserve toutefois que la Commission veille à éviter la concentration dans l'ensemble du secteur de la communication. Mais par là, on en revient, "comme disent les techniciens à l'hypothèse n° 1".
Les auteurs de la saisine critiquent également le transfert au secteur privé du capital de la société nationale "Télévision Française 1" au regard des règles de la concurrence. Ils estiment que l'alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel "tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité" a pour objet implicite mais nécessaire de donner valeur constitutionnelle au principe de concurrence entre les activités privées .
Ceci posé, ils estiment que la privatisation de T.F.1. aura pour effet de fausser la concurrence puisque T.F.1. sera avantagée, d'une part, vis-à-vis des services de télévision par voie hertzienne du secteur public qui devront supporter les obligations du service public et, d'autre part, vis-à-vis des autres sociétés de télévision privée qui ne disposeront pas d'une audience comparable à celle dont jouira T.F.1., ce qui paraît à Monsieur MAYER absolument évident. Les auteurs de la saisine résument leur argumentation en faisant valoir que : "Les télévisions publiques ont la puissance et les contraintes. Les télévisions privées ont nettement moins de contraintes et nettement moins de puissance. T.F.1. privatisée aura seule à la fois la puissance et l'absence de contrainte".
Monsieur MAYER estime que la chose est ainsi bien présentée et cela lui paraît tout à fait juste. L'argument peut donc paraître séduisant et il est légitime de s'interroger sur le point de savoir s'il est ou non possible de déduire du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 un principe, ayant valeur constitutionnelle, de concurrence entre les activités privées. Et cependant, il ne proposera pas d'aborder ce terrain mais de constater plus prosaïquement que si le neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 fait bien obstacle à ce que la loi confère un monopole, à l'échelon national, à une entreprise privée, tel est ni l'objet, ni le résultat de la loi examinée. Il subsiste en effet un important secteur public de l'audiovisuel qui, par sa seule présence, évite la constitution d'un monopole privé. Ainsi le moyen soulevé par les auteurs de la saisine sur la base du Préambule de la Constitution de 1946 doit être écarté.
Monsieur MAYER indique à ses collègues qu'ils doivent bien sentir au son de sa voix qu'il se résigne à cette solution parce que c'est la seule qui, au regard de la Constitution, lui paraît honnête.
En dernier lieu, les auteurs de la saisine critiquent ce transfert, parce qu'ils estiment que les règles fixées par la loi pour déterminer la valeur de la société nationale T.F.1. méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques. Ils font valoir que le groupe d'acquéreurs bénéficie d'un privilège "exorbitant" au regard du prix qu'il paiera. Selon eux, en ne versant que 50 % du prix de la société, ce groupe s'assurera en fait 100 % du pouvoir au sein de celle-ci. Ils soutiennent également que le mécanisme prévu par la loi pourrait même conduire l'Etat à être lésé dans ses droits. Ils expliquent ainsi que, si la mise sur le marché de 40 % des actions ne remportait pas, pour une raison quelconque, le succès escompté, l'Etat n'aurait pas d'autre choix que de conserver les actions invendues. Il disposerait alors certes des droits proportionnels à ses dividendes mais il aurait perdu tout pouvoir dans la société, sans avoir pour autant reçu l'intégralité du prix correspondant à une telle cession.
Que penser de cette argumentation ? Il est certain, et le Conseil constitutionnel l'a jugé à l'occasion de l'examen de la loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social, que la Constitution ne permet pas de céder des biens faisant partie du patrimoine public à des prix inférieurs à leur valeur à des personnes poursuivant des fins d'intérêt privé. Mais est-ce là le cas de l'espèce ?
L'article 59 de la loi prohibe la cession de la société nationale "Télévision française 1" à un prix inférieur à sa valeur. La loi confie l'évaluation de cette société à un collège d'experts proclamés indépendants. Elle prescrit des modalités d'évaluation "objectives et couramment pratiquées en matière de cession totale ou partielle d'actifs de société". Elle précise que cette évaluation devra tenir compte d'un cahier des charges établi par décret en Conseil d'Etat et servant de base à la cession, de l'actif net et des éléments incorporels des perspectives de bénéfices, de la valeur des filiales et de tous éléments de nature à contribuer à sa valorisation boursière.
Il apparaît à Monsieur MAYER que cette prescription implique nécessairement que le prix d'acquisition des actions donnant à un groupe d'acquéreurs le contrôle effectif de la société soit fixé justement en tenant compte de cet avantage : le "juste prix" semble-t-il sera versé. Mais pour que les choses soient plus claires encore, il propose de l'écrire noir sur blanc dans les décisions que le Conseil va prendre, c'est-à-dire de préciser ce point de manière très ferme.
Enfin, en ce qui concerne la lésion éventuelle des droits de l'Etat, dans l'hypothèse d'une mévente de la fraction des 40 % du capital de T.F.1., il convient de remarquer que cette situation ne porterait pas atteinte aux intérêts patrimoniaux de l'Etat, puisque les actions cédées par ailleurs l'ont été à leur juste prix.
Pour le reste, Monsieur MAYER ne croit pas qu'en renonçant, comme il l'a fait à l'article 66 de la loi, une fois vendue la moitié du capital à un groupe d'acquéreurs, aux dispositions qui garantissent à l'Etat, au sein des conseils d'administration des sociétés dans lesquelles il détient 10 % du capital, un nombre de sièges proportionnel à sa participation, le législateur ait méconnu une règle ou un principe de valeur constitutionnelle. Il lui apparaît donc que le moyen tiré de ce que les conditions de cession du capital de T.F.1. à un groupe d'acquéreurs seraient contraires au principe d'égalité manque en fait et c'est ce qu'il propose de déclarer, sous réserve toutefois de la précision qu'il indiquait précédemment. Pour aller au fond de son sentiment, il indique à ses collègues que, si l'un d'entre eux trouvait des arguments plus forts et allant en sens contraire, ce n'est pas dans sa bouche qu'il trouvera beaucoup d'arguments contraires.
Monsieur le Président ouvre la discussion générale sur cette partie du rapport de Monsieur MAYER.
Monsieur MARCILHACY commence par déclarer que, comme tous les membres du Conseil, il s'est dépouillé de ses sentiments personnels en apprenant la privatisation de T.F.1. car il se rappelle que c'est "nous qui l'avons faite et payée, c'est nous qui en avons suivi la conception, et la maturation". Lui-même éprouve donc un fort attachement à cette chaîne même s'il en a été un consommateur tardif. Toutefois, il s'interroge sur la validité de sa cession au secteur privé pour la raison suivante : si l'espace hertzien relève du domaine public et qu'il doit être réglementé, ce qui lui paraît tout-à-fait évident, il ne voit pas comment une telle réglementation est possible en dehors du système de la concession de service public. Pour prendre un exemple de son pays, il ne s'agit pas en matière de vente de T.F.1. d'une opération analogue à celle de la vente de la poudrerie d'Angoulême qui, au demeurant, marchait fort bien, ce qui n'est pas semble-t-il le cas de T.F.1..
Monsieur VEDEL souhaite lui aussi revenir à une époque qu'il n’a pas personnellement connue. Il rappelle que, sous l'Ancien régime, l'imprimerie était un service du Roi. Ce monopole royal avait pour effet de contribuer à la prospérité des contrebandiers "odieux" qui distribuaient des libelles dans tout le royaume. Avec l'imprimerie, privilège du Roi, la poudrerie d'Angoulême, T.F.1., il pense que la nostalgie n'est pas de mise au sein des débats du Conseil constitutionnel.
Monsieur MARCILHACY pense que le problème posé est en fait celui de l'évolution foudroyante des techniques. Les solutions mises en place actuellement par le législateur apparaîtront sans doute "farfelues" dans quelques années. Telle est du moins sa conception personnelle, qui "n'a rien à faire ici".
Toutefois, en ce qui concerne la communication audiovisuelle, il estime qu'il s'agit d'un service d'Etat et que l'Etat n'aurait jamais dû s'en dessaisir. Sur ce point, il pense que les Russes ont donné l'exemple et qu'ils ont raison. Pour des raisons techniques, l'Etat a été conduit à se dessaisir de son monopole mais il n'aurait jamais dû le faire.
Monsieur SIMONNET rappelle à ses collègues que, lorsqu'il siégeait au Parlement européen, les hôtels mis à la disposition de ses collègues comportaient des chambres équipées d'au moins seize chaînes de télévision. Cette situation propre à Bruxelles sera sans doute la même sur toute la France et bien au-delà quand le satellite "s'y mettra". Il pense que si l'on ne veut pas de concurrence interne, nous auront bientôt une concurrence européenne.
Monsieur FABRE se déclare extrêmement heureux que la passion qui a déferlé au parlement se soit arrêtée à la porte du Conseil constitutionnel. Il pense toutefois que le Conseil va statuer maintenant sur un sujet qui sera sans doute dépassé peut-être dans quelques secondes !
Monsieur JOZEAU-MARIGNE pense que le Conseil constitutionnel statue plutôt pour le futur antérieur.
Monsieur le Président déclare que ce qui le préoccupe le plus c'est que l'Etat se dessaisisse de la totalité de ses pouvoirs. 50 % des parts aboutissent en fait à céder effectivement le contrôle de cette chaîne. Il pense qu'il faut tenir compte du fait que le prix du "bloc de contrôle" soit estimé comme tel.
Monsieur MAYER souhaite rendre avec Monsieur VEDEL et Monsieur SIMONNET ce qui revient à Madame Simone Signoret : "la nostalgie n'est plus ce qu'elle était".
Monsieur VEDEL déclare que, pour sa part, T.F.1. lui apparaît comme une de ces universités prodiges qui réussissait un certain nombre de choses avec dix fois plus de moyens que les autres. Il pense que T.F.1. était une "Poule de luxe".
Une discussion générale s'engage au sein du Conseil sur le régime de faveur dont aurait ou n’aurait pas joui T.F.1. dans le passé. Puis, Monsieur le Président souligne que la privatisation de T.F.1. est un choix du législateur et que, dans son esprit, la concurrence doit faire naître la qualité.
Puis, sur demande du Président, Monsieur MAYER donne lecture de son projet de décision des pages 22 à 26.
Cette partie du projet est adoptée par les membres du Conseil sans autre discussion.
Monsieur MAYER donne alors lecture de la page 27 et du premier considérant de la page 28.
Cette partie du projet est adoptée après quelques modifications rédactionnelles.
Monsieur MAYER aborde alors les autres moyens invoqués par les auteurs de la saisine et il commence par la question posée relativement à l'article 5 de la loi.
Il expose que le premier alinéa de l'article 5 dispose que les fonctions de membre de la Commission Nationale de la Communication et des libertés sont incompatibles avec tout mandat électif, tout emploi public et toute activité professionnelle. Les auteurs de la saisine ne critiquent pas au fond la disposition mais soutiennent que seule la loi organique pouvait édicter des incompatibilités applicables aux parlementaires et que seule la Constitution pouvait le faire à l'égard des ministres. Ils en tirent la conséquence que les mots "tout mandat électif" figurant au premier alinéa, ainsi que, par voie de conséquence, la mention du mandat électif au quatrième alinéa de l'article, sont contraires à la Constitution.
Monsieur MAYER considère qu'il est exact qu'une loi ordinaire ne peut pas édicter d'incompatibilités applicables aux mandats parlementaires ou aux fonctions de ministre, qu'il s’agisse d'incompatibilités frappant directement les parlementaires ou les ministres, ou comme c'est le cas d'incompatibilités frappant les membres d'un organisme, dès lors qu'elles portent sur un mandat parlementaire ou des fonctions ministérielles.
Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de prendre position dans ce sens par deux décisions du 30 août 1984 concernant respectivement les membres du Gouvernement de la Polynésie française et ceux de la Nouvelle-Calédonie. Par conséquent, la loi présentement examinée ne pouvait instituer un cas d'incompatibilité entre les fonctions de membres de la Commission nationale et un mandat électif parlementaire ou des fonctions ministérielles. Dans la mesure où il aurait cette portée, l'article 5 serait inconstitutionnel.
Monsieur MAYER précise que le secrétairat général du Gouvernement répond que la disposition critiquée figurait déjà à l'article 24 de la loi du 29 juillet 1982, non censurée par le Conseil constitutionnel, et soutient qu'elle doit être entendue comme visant les mandats électifs autres que ceux des députés ou des sénateurs et, précise Monsieur MAYER, les emplois publics autres que celui de ministre. L'incompatibilité avec les mandats de députés ou de sénateurs résulte, en effet, des articles L.O. 142 et L.O. 297 du code électoral et celle avec les fonctions ministérielles, de l'article 23 de la Constitution. Cette réponse ne semble pas très satisfaisante à Monsieur MAYER car elle force les termes de l'article 5 qui établissent une incompatibilité avec tout mandat électif et tout emploi public. Une autre réponse lui semble préférable. Elle consiste à déclarer que, en ce qui concerne l'incompatibilité avec un mandat parlementaire, la loi se borne, dans un souci explicatif et pour la clarté de la rédaction, à rappeler des incompatibilités qui résultent nécessairement des dispositions organiques figurant aux articles L.O. 142 et L.O. 297 du code électoral. Il en est de même de l'incompatibilité avec les fonctions de membre du Gouvernement qui résultent de l'article 23 de la Constitution.
Cette interprétation qu'il propose à ses collègues et qui conduit à écarter le grief d'inconstitutionnalité invoqué trouve un appui sur une jurisprudence ancienne du Conseil d'Etat. Ainsi la décision du 30 octobre 1942 - Union nationale des parents d'élèves de l'enseignement libre. Aux termes de cette jurisprudence du Conseil d'Etat, un décret qui rappelle pour la clarté de leur rédaction des dispositions figurant déjà dans la loi n'est pas, de ce fait, entaché d'incompétence.
Monsieur le Président ouvre le débat sur ce point.
Monsieur SIMONNET fait observer que, si le Gouvernement, dans sa note, indique que le Conseil constitutionnel n'a pas soulevé d'office ce point en 1982, c'est certainement qu'il souhaite renvoyer le Conseil constitutionnel à sa propre jurisprudence. Il fait cette observation pour répondre à celle de Monsieur MAYER qui estime que l'argument du Gouvernement est dénué d'intérêt.
Sur invitation du Président, Monsieur MAYER donne alors lecture des pages 28 et 29 de son projet de décision.
Les membres du Conseil les adoptent sans observation particulière.
Monsieur MAYER aborde alors la partie de son rapport consacrée à l'examen des dispositions attribuant à la Commission Nationale de la Communication et des libertés un pouvoir réglementaire.
Il rappelle que l'article 6 dispose, dans son premier alinéa, que celles des décisions de la Commission nationale mentionnées aux articles 22, 27 et au deuxième alinéa de l'article 34 qui présentent un caractère réglementaire sont transmises au Premier ministre qui peut, dans les quinze jours suivant leur réception, demander à la Commission une nouvelle délibération. Les auteurs de la saisine critiquent dans cette disposition les mots : "qui présentent un caractère réglementaire". Ils estiment que l'article 21 de la Constitution conférant au Premier ministre, sous réserve des pouvoirs attribués au Président de la République, le monopole du pouvoir réglementaire, ce membre de phrase méconnaît l'article 21. Ils s'élèvent non contre le fait que la loi confère à la Commission le pouvoir de prendre des décisions de portée générale, d'édicter des normes, mais contre le fait de qualifier ces décisions de réglementaires, ce que n'avait pas fait le législateur de 1982. La critique qu'ils portent concerne donc la terminologie.
Selon le droit administratif, des décisions réglementaires s'opposent aux décisions individuelles ou collectives en ce qu'à l'inverse de celles-ci, elles ont une portée générale et impersonnelle. C'est le sens du terme "réglementaire". On ne peut donc à la fois admettre que la Commission puisse se voir attribuer le pouvoir de prendre des décisions générales et impersonnelles et refuser de les qualifier de réglementaires. Les deux notions se recouvrent. Mais il convient d'aller plus loin et de rechercher si le pouvoir conféré par la loi à la Commission d'édicter des règles dans certains domaines n'est pas contraire à l'article 21 de la Constitution. Le pouvoir de réglementation attribué à la Commission est assez étendu. Il déborde d'ailleurs des articles 22, 27 et 34 auxquels fait référence l'article 6. Doit au moins y être ajouté l'article 16, qui confie à la Commission le soin de fixer les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales. L'article 21 de la Constitution qui définit les prérogatives du Premier ministre lui attribue deux pouvoirs qui pourraient, être mis en cause par la disposition critiquée :
- le pouvoir d'assurer l'exécution des lois ;
- le pouvoir réglementaire.
Le pouvoir d'assurer l'exécution des lois est celui de prendre les mesures de caractère général nécessaires pour que la loi puisse recevoir application. C'est le pouvoir, plus exactement l'obligation de compléter la loi pour qu'elle puisse porter effet. Il n'a d'autre objet que celui-là. C'est à la fois une prérogative et une obligation dont le Premier ministre a le monopole. Son exercice ne peut être subordonné à aucune condition susceptible de l'entraver. Dans ce sens, on peut invoquer une décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1978 qui censurait une disposition d'une loi relative à l'enseignement agricole. Cette disposition subordonnait l'intervention du décret d'intervention de la loi à la conclusion obligatoire de conventions passées entre le Ministre de l'agriculture et les organisations représentatives de l'enseignement agricole privé.
Quant au pouvoir réglementaire du Premier ministre, prévu également par l'article 21 de la Constitution et que, à la différence des Constitutions antérieures à 1958, cet article distingue du pouvoir d'assurer l'exécution des lois, c'est le pouvoir d'édicter des normes générales dans toutes les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi. Ce pouvoir est communément dénommé "pouvoir réglementaire autonome" pour marquer sa spécificité par rapport au pouvoir d'assurer l’exécution des lois qui, lui, est subordonné à la loi .
La disposition de l'article 6, critiquée par les auteurs de la saisine, ne confère pas à la Commission un pouvoir de même nature et de même étendue que les deux pouvoirs ci-dessus rappelés confiés au Premier ministre par l’article 21 de la Constitution. La Commission n'est pas substituée au Premier ministre pour assurer l'exécution de la loi : celle-ci sera assurée par un ou des décrets en Conseil d'Etat comme pour les autres lois. En second lieu, le pouvoir de réglementation conféré à la Commission ne s'apparente ni par son étendue ni par sa portée au pouvoir réglementaire du Premier ministre. On peut soutenir, il est vrai, que si le pouvoir de réglementation confié a la Commission ne peut pas être assimilé aux deux pouvoirs reconnus au Premier ministre par l'article 21, il peut avoir pour effet d'en limiter le champ et, dans cette mesure, de porter atteinte à l'article 21.
S’agissant tout d'abord du pouvoir du Premier ministre d'assurer l'exécution des lois, il sera doublement réduit :
- en raison de l'objet de la loi qui, touchant aux libertés, laissera normalement assez peu de place à des décrets d'application qui ne pourront en aucun cas apporter à la liberté de communication audiovisuelle des limitations non prévues par la loi ;
- en raison, en second lieu, de l'existence de pouvoirs propres de réglementation confiés par la loi à la Commission qu'un décret d'application de la loi ne pourrait réduire sans méconnaître cette loi.
S'agissant en second lieu du pouvoir réglementaire autonome du Premier ministre, il subira une limitation dans la mesure où il ne pourra s'exercer dans le champ ouvert par la loi à la Commission.
Les restrictions que pourra subir le pouvoir du Premier ministre d'assurer l'exécution de la loi n'appellent pas d'objection constitutionnelle dans la mesure où elles découlent normalement de l'objet même de la loi et où cette loi ne substitue pas la Commission au Premier ministre pour prendre des mesures nécessaires à l'exécution de la loi.
Il convient seulement de veiller au respect de la hiérarchie des normes et de s'assurer que le décret en Conseil d'Etat pris pour l'application de la loi ne sera jamais une mesure subordonnée par rapport aux règles édictées par la Commission.
C'est malheureusement le cas de l'article 62 dont le deuxième alinéa prévoit que les normes édictées par décret en Conseil d'Etat pour assurer l'exécution de cet article seront subordonnées aux règles générales fixées par la Commission en application de l'article 27-11. Cette disposition de l'article 62 paraît contraire à l'article 21 de la Constitution.
On peut s'interroger également sur les restrictions que pourra subir le pouvoir réglementaire autonome du Premier ministre en raison des compétences attribuées à la Commission. On ne saurait raisonnablement soutenir que l'article 21 fait obstacle à ce que la loi confère à toute autorité autre que le Premier ministre le pouvoir d'édicter, dans n'importe quel domaine, des normes de portée impersonnelle. Depuis une quarantaine d'années, d'assez nombreuses autorités de l'Etat se sont vu reconnaître le pouvoir d'édicter des règles de cette nature. On citera, pour s'en tenir aux autorités exerçant des pouvoirs au niveau national, les Ministres qui, non seulement peuvent prendre des mesures réglementaires pour l'organisation et le fonctionnement interne de leurs services, mais qui ont reçu de la loi ou du décret d'assez nombreuses compétences dans des domaines, il est vrai, délimités étroitement.
On citera surtout un certain nombre d'autorités étatiques, communément dénommées "autorités administratives indépendantes" dont la création répond principalement au souci d'apporter dans le domaine de certaines libertés des garanties particulières ou au souci de régulariser certaines activités économiques. Dans l'un et l'autre cas, plusieurs de ces autorités, qui sont toujours des organes collégiaux, ont reçu le pouvoir d'édicter des réglementations qui, si ces autorités n'avaient pas été créées, auraient relevé de la loi ou du décret. Il y a donc bien eu, à leur profit un dessaisissement partiel des prérogatives des pouvoirs publics. Au nombre de ces autorités administratives indépendantes figurent les organismes suivants :
- la Commission des opérations de bourse, créée par ordonnance du 28 septembre 1967 et qui dispose d'un pouvoir de réglementation, notamment pour définir les conditions d'obtention des visas des documents que les entreprises s'adressant au marché boursier mettent à la disposition du public ;
- la Commission des marchés à terme de marchandises, créée par une loi du 8 juillet 1983 pour veiller au bon fonctionnement de ces marchés et qui définit les conditions d'obtention des visas auxquelles est soumise la publicité destinée à être diffusée en matière d'opération sur les marchés à terme, établit la réglementation générale de ces marchés, détermine les modalités de perception et fixe les taux maximum et minimum des commissions afférentes aux opérations sur les marchés ;
- la Commission de la réglementation bancaire, créée par la loi du 24 janvier 1984 sur les établissements de crédits, qui fixe les prescriptions d'ordre général applicables à ces établissements ; l'article 33 de la loi énumère huit catégories de matières dans lesquelles le comité a le pouvoir de réglementer. Le Conseil constitutionnel à qui cette loi a été déférée n'a pas soulevé d'office l'inconstitutionnalité à cet égard ;
- la Commission nationale de l'informatique et des libertés, créée par la loi du 6 janvier 1978 et qui a reçu le pouvoir d'établir des normes auxquelles doivent être conformes les catégories les plus courantes de traitements informatiques ne portant pas atteinte à la vie privée ou aux libertés ;
- La Haute-Autorité de la communication audiovisuelle créée par la loi du 29 juillet 1982 et dotée du pouvoir de réglementer le droit de réplique aux communications du Gouvernement ainsi que certaines catégories d'émissions ; le Conseil constitutionnel a implicitement admis ces dispositions en cause dans sa décision du 27 juillet 1982.
Ces divers précédents qui, jusqu'alors, n'ont pas soulevé d'objection, conduisent, estime Monsieur MAYER, à écarter le moyen tiré de ce que seul le Premier ministre peut fixer des règles. Toutefois, ce pouvoir de réglementation ne peut être regardé comme ne méconnaissant pas la Constitution que s'il porte sur un domaine étroitement déterminé, s'il s'exerce dans un cadre défini par les lois et règlements et si la hiérarchie des normes juridiques est respectée : obligation pour l'organisme de respecter les dispositions législatives et réglementaires en vigueur.
Tel paraît être le cas en l'espèce, sous réserve de ce qui a été dit précédemment concernant l'article 62.
Monsieur MAYER donne alors lecture de son projet de décision des deux dernières lignes de la page 29 jusqu'au deuxième considérant de la page 32.
Monsieur le Président ouvre ensuite la discussion sur cette question.
Monsieur SIMONNET fait observer qu'il n’y a pas que le pouvoir réglementaire du Premier ministre. Il cite celui des maires et des Présidents d'universités.
Monsieur VEDEL fait remarquer que dans les exemples cités, le pouvoir réglementaire s’exerce au nom de personnes morales différentes de l'Etat. Il ajoute, s'agissant du projet de décision, que ce projet touche la fameuse question du pouvoir réglementaire : y en a-t-il un seul ou deux ? Il n'estime pas nécessaire que ce point soit tranché à cette occasion dans la mesure où, jusqu'à présent, le Conseil d’Etat, dans sa jurisprudence, a reconnu l'unicité du pouvoir réglementaire.
Après une discussion où interviennent successivement Monsieur le Président, Monsieur le Doyen VEDEL, et Monsieur Bruno GENEVOIS, Secrétaire général, le Conseil décide de supprimer la partie de la décision consacrée à l'exposé des deux pouvoirs réglementaires et qui est ainsi rédigé : "sous la forme, soit de l'édiction des règlements dans les matières qui ne ressortissent pas du domaine de la loi, soit de l'obligation qui est faite au Premier ministre d'assurer l'exécution des lois par voie de normes générales et impersonnelles".
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.