SEANCES DES 17 et 18 NOVEMBRE 1986
LOI SUR LA DELIMITATION DES CIRCONSCRIPTIONS POUR L'ELECTION DES DEPUTES - M. Robert FABRE, rapporteur.
Monsieur le Président ouvre la séance le lundi 17 novembre 1986, à 9 h 30, tous les membres étant présents à l'exception de Maître MARCILHACY. Cette séance, suggère Monsieur le Président, pourrait se prolonger jusqu'à 13 heures avec une suspension vers 11 h 15. Après le déjeuner, elle serait reprise vers 14 h 15 et levée, en raison de ses obligations, à 16 h 30. Le lendemain, elle reprendrait vers 9 heures pour être levée, au plus tard, à 13 h 15.
Monsieur le Président informe ensuite le Conseil de l’état de santé de Maître MARCILHACY. Notre ami va bien et il est tout à fait gaillard. Il s'interrogeait sur l'opportunité de participer aux travaux du Conseil ; je lui ai déconseillé. Il nous a fait parvenir ses réflexions qui portent essentiellement sur la saisine sénatoriale. Je le tiendrai au courant du déroulement de nos séances.
S'adressant enfin à Monsieur FABRE, rapporteur, il le remercie pour le travail qu'il a fourni. Ce travail, d'une grande complexité, a exigé un effort considérable. Il associe à ces remerciements le secrétariat général ainsi que les rapporteurs-adjoints auprès du Conseil constitutionnel dont le support logistique a été essentiel ; il leur adressera une lettre de remerciement. Il donne la parole à Monsieur FABRE.
Monsieur FABREestime qu'il n'a pas à revenir sur la difficulté de sa tâche, le seul fait que certains soient venus avec le Michelin, des atlas et des guides suffit à le montrer ! La tâche du service juridique, du secrétaire général et des rapporteurs-adjoints, qui ont assuré le plus gros, a été énorme. En ce qui me concerne, il me revenait d'assurer la synthèse des travaux et de prendre position. La difficulté tient aussi au temps dont j'ai disposé : trois semaines entrecoupées de deux "ponts".
Cependant, souligne Monsieur FABRE, j'ai entendu les requérants, députés et sénateurs, et les représentants du Gouvernement. Il s'est ainsi instauré un dialogue contradictoire concrétisé par un échange de notes.
Ayant voulu m'entourer, dans cette affaire délicate, de toutes les précautions nécessaires, je déplore de n'avoir pu faire parvenir plus tôt aux membres du Conseil les conclusions de mon rapport et notamment la liste des départements qui pourraient faire l'objet d'une censure.
Monsieur FABRE souligne, par ailleurs, la difficulté de l'examen auxquel il a procédé. D’une part, avec la procédure de la question préalable, on touche au fonctionnement des assemblées parlementaires. D'autre part, s'agissant du contrôle du Conseil constitutionnel sur la délimitation des circonscriptions électorales, il convient d'être guidé par la seule objectivité, même si les implications politiques sont sous-jacentes. Il indique que son rapport portera successivement sur les points suivants
I. L'élaboration de la loi et son adoption par le Parlement ;
II. L'économie de la loi ; (p. 5)
III. La procédure législative , (p. 6)
IV. L'étendue du contrôle du Conseil constitutionnel sur la délimitation des circonscriptions électorales. (p. 17)
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I- L'ELABORATION DE LA LOI ET SON ADOPTION PAR LE PARLEMENT
La loi relative à la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés vous est déférée d'une part par plus de soixante députés, et, d'autre part, par plus de soixante sénateurs. La saisine des députés qui conteste le contenu des dispositions de cette loi nécessite que soient rappelées les conditions d'élaboration de la loi, celle des sénateurs, relative à la procédure suivie pour son adoption, implique l'exposé précis de la procédure suivie pour son adoption.
L'ELABORATION DE LA LOI
Les conditions de l'élaboration de cette loi sur lesquelles les observations du Gouvernement insistent pour souligner qu'elles ont été entourées de très larges consultations -avis successifs et répétés tant de la Commission des six que des diverses formations du Conseil d'Etat- doivent être rappelées dans la mesure où cette loi, dans son inspiration, se situe dans le prolongement de la loi d'habilitation n° 86-825 du 11 juillet 1986 qui a rétabli le scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour l'élection des députés, tout en laissant au Gouvernement le soin de procéder, par ordonnances, à la délimitation des circonscriptions électorales tant des départements que des territoires d'outre-mer.
Comme la loi du 11 juillet 1986 le prévoyait, ces deux projets d'ordonnances -le premier relatif à la délimitation des circonscriptions des départements, le second concernant celle des circonscriptions de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française- ont d'abord été soumis à l'avis de la Commission des six -instituée par l'article 7 de la loi du 11 juillet- qui les a examinés tant au regard des dispositions de la loi d'habilitation que de notre décision des 1er et 2 juillet 1986 déclarant cette loi conforme à la Constitution, sous les strictes réserves d'interprétation qu'elle énonçait.
Cette commission a rendu un premier avis le 9 août 1986. Cet avis a été publié au Journal officiel le 26 août 1986.
Les projets d'ordonnances -comme tout projet d'ordonnance- ont ensuite été soumis aux formations administratives du Conseil d'Etat, en l'espèce, la section de l'intérieur. Cette section s'étant interrogée sur la régularité de la procédure suivie en ce qui concerne les départements pour lesquels le découpage qui lui était soumis ne reprenait ni le découpage initial, ni le découpage recommandé par la Commission des six, un nouvel avis de cette commission fut demandé par le Gouvernement. Cet avis fut rendu le 17 septembre. De nouveau, le Conseil d'Etat était consulté et l'assemblée générale rendait un avis à la suite de ses séances des 18, 19 et 20 septembre 1986. Pour tenir compte des observations du Conseil d'Etat, le Gouvernement soumettait de nouveau à la commission permanente du Conseil d'Etat le découpage de quatorze départements. La commission permanente se prononçait le 23 septembre. Le lendemain, les deux projets d'ordonnances étaient délibérés en Conseil des Ministres. La procédure, comme vous le savez, ne put aboutir : le Président de la République devait refuser de signer les ordonnances qui lui étaient soumises conformément à l'article 13 de la Constitution.
Cette décision du Président de la République est à l'origine du dépôt, devant l'Assemblée nationale, d'un projet de loi reprenant purement et simplement les dispositions contenues dans les deux projets d’ordonnances.
LES CONDITIONS D'ADOPTION DE LA LOI PAR LE PARLEMENT
Déposé le 8 octobre 1986 devant l'Assemblée nationale, ce projet de loi est inscrit à l'ordre du jour du 10 octobre. Entre temps, la Commission des lois conclut à son adoption sans modification après avoir examiné, en un temps record, un nombre significatif mais non excessif d'amendements. En séance publique, interviennent le rapporteur, le Ministre de l'intérieur et le Premier ministre qui, à la fin de son intervention, engage la responsabilité de son Gouvernement sur le vote de ce texte.
Le Gouvernement ayant déclaré l'urgence, la commission mixte paritaire se réunit le 21 octobre elle conclut à l'adoption du projet considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, c’est-à-dire à l'adoption du texte initial. Le 22 octobre, les conclusions de cette commission sont soumises à l'Assemblée nationale. Immédiatement, le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement. En l'absence de dépôt d'une motion de censure, le texte est considéré comme adopté au bout du délai de 24 heures. Le lendemain, le Sénat (qui, le 17 octobre avait voté la question préalable) adopte cette fois les conclusions de la commission mixte paritaire pourtant identiques au projet rejeté par lui en première lecture.
C'est à la suite de cette adoption que le 27 octobre plus de soixante députés ont déféré cette loi à notre examen, suivis, le 30 octobre, par plus de soixante sénateurs. Les premiers contestent la conformité de cette loi à la Constitution en raison de son contenu, les seconds, tout en faisant leurs l'ensemble des arguments développés par leurs collègues députés, estiment que cette loi a été examinée par le Sénat dans des conditions contraires à la Constitution.
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II. L'ECONOMIE DE LA LOI.
Il convient préalablement à l'examen des recours, de présenter l'économie de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel.
Cette loi comprend cinq articles et deux tableaux annexés. Les articles premiers et deux et les tableaux annexés intéressent directement la délimitation des circonscriptions électorales d'une part des départements et, d'autre part, des territoires d'outre-mer. Ils sont la reprise exacte, sans la moindre modification, des deux projets d'ordonnances délibérés en Conseil des Ministres le 24 septembre 1986.
L'article 3 précise que les limites des cantons, communes et arrondissements visés par les tableaux annexés aux articles premier et deux s'entendent comme étant celles qui existent à la date de la loi. Ceci implique qu'aucune modification ultérieure de ces limites ne pourra modifier la délimitation des circonscriptions sans l'intervention expresse d'une nouvelle disposition législative.
L'article 4 prévoit que la loi nouvelle n'entrera en vigueur que lors du prochain renouvellement général de l'Assemblée nationale. Jusqu'à ce renouvellement les élections partielles et les remplacements des députés restent régis par les lois du 10 juillet 1985.
Enfin, l'article 5 abroge les dispositions du titre II de la loi du 11 juillet 1986 qui n'ont plus de raison d'être dès lors que tout recours à l'ordonnance pour la délimitation des circonscriptions est désormais exclu.
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III. SUR LA PROCEDURE LEGISLATIVE.
Les sénateurs estiment, dans leur recours, que la loi qui est déférée au Conseil constitutionnel a été examinée dans des conditions contraires à la Constitution.
I. Leur argumentation se fonde sur l'emploi qui a été fait de la procédure de la question préalable en première lecture par le Sénat.
La question préalable signifie qu'il n'y a pas lieu à délibérer d'un texte et équivaut à un rejet du texte sans examen de ses articles. Ils notent que cette procédure -qui n'est pas prévue par la Constitution- a été maintenue dans les règlements des assemblées parlementaires sans opposition du Conseil constitutionnel pour permettre à une assemblée, lorsqu'il est évident qu'un texte n'aura pas son agrément, de procéder d'emblée à son rejet sans examen préalable des articles et des amendements.
Dès lors, ils constatent que cette procédure est une exception à la règle selon laquelle les textes sont examinés article par article, règle qui découle directement de l'article 44, alinéa 1, de la Constitution, selon lequel les membres du Parlement ont le droit d'amendement.
Ils observent que ce droit ne peut s'exercer qu'à l'occasion de l'examen des articles et que l'exercice de ce droit est strictement réglementé par la Constitution. C'est la Constitution, ajoutent-ils, qui a limitativement prévu les cas dans lesquels ce droit ne pourrait pas s'exercer :
. Article 40 relatif à la recevabilité des amendements en matière financière ;
. Article 41 qui vise à sauvegarder la compétence réglementaire ;
. Article 44, alinéa 2, et article 49, alinéa 3, de la Constitution, qui permettent d'écarter le droit d'amendement.
. Article 44, alinéa 3, de la Constitution, sur le vote bloqué qui permet la discussion de tous les amendements mais permet d'écarter leur mise aux voix.
En dehors des cas prévus par la Constitution, les règlements des assemblées parlementaires ne sauraient donc limiter le droit d'amendement des parlementaires et porter atteinte à l'un des droits les plus essentiels de la fonction parlementaire : l'initiative des lois. Ils constatent que l'exception d'irrecevabilité ou la question préalable qui visent à provoquer le rejet de l'ensemble d'un texte dont il est évident qu'il se heurte à une forte opposition politique ou juridique, ne sont pas en elles-mêmes contraires à la Constitution, toute discussion dans le détail de ses articles ou toute tentative de l'amender étant, à l'évidence, vaine et inutile.
Au cas d'espèce, les sénateurs font observer que la question préalable a été mise en œuvre dans le seul et unique but d'interdire aux sénateurs le libre exercice du droit d'amendement. En effet, si le droit d'amendement peut être écarté à l'Assemblée nationale par le jeu de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement, rien ne permet de l'écarter au Sénat. Or, à leurs yeux, la question préalable a été employée uniquement à cette fin, puisque dans la suite de la navette la même majorité qui avait adopté la question préalable, donc rejeté le texte, l'a ensuite approuvé et lors des travaux de la commission mixte paritaire et lors de la discussion de ses conclusions en séance publique, alors qu'il s'agissait du même texte.
Ils concluent donc au détournement flagrant qui a été fait de la procédure de la question préalable lors de la première lecture de la loi par le Sénat et considèrent que cette loi n'a pas été examinée selon une procédure conforme à la Constitution.
II. Dans sa décision n° 75-57 DC du 23 juillet 1975 sur la loi supprimant la patente et instituant la taxe professionnelle, le Conseil constitutionnel avait été amené à examiner si l'usage qui avait été fait par le Gouvernement de l'article 40 de la Constitution n'avait pas été irrégulier. Concluant que dans les cas qui lui étaient soumis il avait été fait une exacte application de cet article, il devait ajouter :
"Considérant, au surplus, que dans le même temps, l'ampleur des discussions devant les assemblées ainsi que le nombre et l'importance des modifications apportées au cours des débats au texte déposé font apparaître qu'il y a eu, dans l'élaboration de la loi, exercice réel du droit d'amendement".
Cette position du Conseil montre très clairement son attachement à ce qu'il y ait exercice réel du droit d'amendement par les parlementaires. Cette position n'est pas unique puisque déjà, dans sa décision du 17 mai 1973, sur des modifications apportées au règlement du Sénat, le Conseil avait censuré des dispositions y portant atteinte. Cet attachement, le Conseil l'a enfin réaffirmé récemment dans sa décision du 3 juin 1986 où, examinant sur le rapport de Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE, des modifications apportées aux conditions de recevabilité des sous-amendements, le Conseil a rappelé que de telles modifications ne sauraient porter atteinte à l'exercice réel du droit d'amendement.
Il est clair que l'application de la jurisprudence issue de ces décisions et plus particulièrement de celle du 23 juillet 1975, au cas d'espèce, où il n'y a eu ni discussion, ni même possibilité d'exercer le droit d'amendement, pourrait conduire à retenir le moyen soulevé par les sénateurs et à proposer la censure.
Convient-il cependant de le faire ? Cette question mérite d'être examinée.
On doit observer que jusqu'à présent le Conseil constitutionnel n'a pas tenu à s'immiscer dans les rapports entre les pouvoirs publics ou dans la vie interne des assemblées parlementaires . En sanctionnant le détournement de procédure représenté par l'usage fait de la question préalable au Sénat, le Conseil constitutionnel pourrait être accusé de "gêner ou de retarder l'exercice du pouvoir législatif" (décision du 23 août 1985), ce qui risquerait de porter atteinte à son autorité.
Est-il opportun de prendre un tel risque qui, certes, ferait progresser le contrôle de la régularité de la procédure législative, mais qui pourrait, dans le même temps, mettre en cause les avancées réalisées par la jurisprudence dans le domaine des libertés fondamentales ?
A l'occasion de cette loi, la question mérite d'être posée devant le Conseil constitutionnel afin que, si la dégradation du débat parlementaire venait à s'amplifier, il ne soit pas exclu que le Conseil sanctionne un jour les détournements de procédure flagrants et choquants.
III. 1. Pour écarter le moyen, on ne peut retenir l'argument proposé par le Gouvernement selon lequel la contestation ne serait pas recevable devant le Conseil dès lors qu'elle n'a pas été soulevée en séance publique par voie de rappel au règlement. Il n'est en effet pas possible de faire ici application de la jurisprudence suivie par le Conseil constitutionnel en ce qui concerne l'application de l'article 40 de la Constitution selon laquelle l'irrecevabilité ne peut être invoquée devant le Conseil que si elle a été soulevée devant le Parlement. Dans un cas, les contrôles sont organisés par la Constitution et les règlements. Dans l'autre cas, aucun contrôle ne l'est.
2. Ecarter le moyen n'est cependant pas aisé.
a) J'ai envisagé dans un premier temps, un raisonnement qui consisterait pour le Conseil constitutionnel à s'abstenir de contrôler l'opportunité du recours aux procédures constitutionnelles ou réglementaires qui ont pour effet d'écarter le droit d'amendement.
Sur le plan constitutionnel en effet, le Gouvernement dispose de plusieurs moyens permettant de limiter ou de mettre en échec le droit d'amendement.
Il s'agit de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution sur la procédure du vote bloqué.
Il s'agit également des dispositions de l'article 45, alinéa 3, qui prévoient qu'en cas de mise en discussion du texte adopté par la commission mixte paritaire, aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement.
Il s'agit enfin des dispositions de l'article 49, alinéa 3, qui concernent l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d'un texte.
Quant aux assemblées parlementaires elles tiennent de leur règlement la possibilité d'avoir recours à deux motions de procédure dont l'adoption a pour conséquence d'écarter le droit d'amendement :
- l'exception d'irrecevabilité ;
- la question préalable.
En cet état des textes applicables, il m'a semblé qu'il était possible de dire que le contrôle du Conseil constitutionnel porte sur la régularité formelle de la mise en application de ces procédures, mais non sur l'appréciation portée par le Gouvernement et les assemblées sur l'opportunité d'y recourir.
Je suis conscient cependant du fait qu'une telle approche du problème peut se voir adresser deux objections :
- d'une part, sur le plan juridique, elle aboutit à placer sur le même plan, des procédures comme le vote bloqué ou l'engagement de responsabilité qui sont prévues par la Constitution et une procédure comme la question préalable qui a pour seul fondement le règlement d'une Assemblée.
Or, s'il est possible d'affirmer que l'article 49, alinéa 3, de la Constitution permet de faire échec au droit d'amendement, il est beaucoup plus délicat d'admettre que la procédure de la question préalable puisse paralyser l'exercice d'un droit constitutionnellement garanti, comme le droit d'amendement ;
- d'autre part, sur le plan de la politique jurisprudentielle le fait de considérer que constitue une question de pure opportunité la mise en œuvre de procédures qui paralysent l'exercice du droit d'amendement, peut nous gêner dans l'avenir.
b) Aussi ai-je essayé de trouver une solution qui s'efforce de ménager l'avenir. Elle consiste à s'en tenir au seul usage de la question préalable.
Celle-ci est prévue par le règlement des assemblées. Il appartient à l'Assemblée nationale ou au Sénat de décider d'avoir recours à cette procédure qui doit néanmoins conserver un caractère exceptionnel.
Après ce rappel de principes assez simples, le projet de décision considère que la question préalable a été mise en œuvre, au cas présent, dans des conditions qui n'affectent pas la régularité de la procédure législative.
Mais, tout en vous proposant d'écarter le moyen invoqué par les sénateurs socialistes, je ne puis vous cacher mes doutes et mes hésitations car, au fond de moi-même, j'ai le sentiment que la technique de la "question préalable positive" constitue bel et bien un détournement de procédure.
Monsieur le Président remercie le rapporteur et ouvre la discussion sur cette question qu'il estime difficile.
Monsieur VEDEL reconnaît que le problème est difficile ; il met en cause des considérations complexes. D'abord il lui paraissait simple, maintenant il le juge complexe.
Tout d’abord, en faisant droit à la saisine, le Conseil ferait un pas dans un domaine sacré, la vie interne des assemblées parlementaires qui est "l'équivalent de l'alcôve". Certes, le Conseil sera peut être un jour amené à faire ce pas, mais, toute juridiction doit observer une période de gestation. A cet égard, on peut citer le Conseil d'Etat et l'évolution de sa jurisprudence relative aux actes de gouvernement. La difficulté tient à ce que l'équilibre des institutions met en cause des mécanismes puissants : autant la classe politique et l'opinion peuvent comprendre le contrôle strict du Conseil constitutionnel en matière de libertés, autant, "hic et nunc ', le Conseil ne serait pas compris s'il faisait ce pas.
Ensuite, observe Monsieur VEDEL, la voie proposée par les sénateurs est celle du détournement de procédure, voie que le Conseil a jusqu'ici toujours refusé de suivre. Ce refus tient à la difficulté de connaître l'intention d'une assemblée de plusieurs centaines d'élus.
Il tient aussi au fait que s’il est possible de sanctionner un Ministre voire même le Premier ministre, il est très difficile de sanctionner les représentants de la Nation.
Enfin, un autre argument empêche de retenir le moyen. L'utilisation de la question préalable, comme l'a indiqué Monsieur LARCHE, Président de la commission des lois et rapporteur du texte devant le Sénat, répond à la volonté de compenser le retard dû au refus du Président de la République de signer les ordonnances. Si le Conseil acceptait de se saisir du problème, il lui faudrait alors tout contrôler. Sans même à avoir à donner son avis sur ce refus présidentiel, Monsieur VEDEL juge que le Conseil ne doit pas mettre le doigt entre l'arbre et l'écorce.
Il estime donc que le moyen doit être écarté, ajoutant, d'ailleurs, que la question posée est moins celle de l'usage qui a été fait de la question préalable que celle de la philosophie même de cette motion de procédure. En effet, son usage régulier aboutit à violer le droit d'amendement tout comme son usage anormal. Ceci accroît la difficulté. Dès lors que le Conseil, qui a toujours manifesté son attachement au droit d'amendement, dans ses décisions sur la nationalisation ou sur le régime de la presse notamment, viendrait à se pencher sur les dispositions réglementant la question préalable, il aurait à répondre à deux questions . l'usage, régulier ou non, de la question préalable n'est-il pas attentatoire au droit d'amendement ? Le droit d'amendement est-il aussi étendu que l'estiment les requérants ?
Monsieur VEDEL s'excuse d'avoir été aussi long et déclare que le sens du projet est excellent.
Monsieur le Président le pense aussi. Il donne lecture d'un passage de la lettre que Monsieur MARCILHACY a adressé au Conseil :
"L'article 44 de la Constitution consacre trois paragraphes au droit à l'amendement. Le premier pose le principe (égalité du Gouvernement et du Parlement), le second qui rentre dans la procédure parlementaire permet au Gouvernement de contrer certains abus de ce droit et le troisième, dit du vote bloqué, constitue l'arme absolue à la disposition de l'exécutif pour faire prévaloir la volonté politique, sur la réaction individualiste des parlementaires.
"L'article 44 ainsi résumé se présente comme un tout destiné à encadrer le droit du Parlement à l'amendement, et par Parlement il faut entendre aussi bien le Sénat que l'Assemblée nationale (article 24) .
"Or, dans le dossier qui nous est soumis, nous constatons que le texte a été voté à l'Assemblée nationale par le truchement du 49/3 et au Sénat en utilisant la procédure prévue au règlement de la question préalable.
"Même si l'abus du 49/3 est irritant et antinomique de la démocratie parlementaire, nous ne saurions le critiquer car il s'agit d'une méthode pour voter la loi expressément inscrite dans la charte constitutionnelle et, si le droit à l'amendement des députés en est offensé, nous ne pouvons que constater et déplorer.
"Il n'en est pas de mène devant le Sénat dont le règlement approuvé en son temps par le Conseil constitutionnel comporte la faculté, pour l'adoption de la question préalable, de couper court à toute discussion portant sur le fond ou d’éventuels amendements.
"Mais cette disposition du règlement du Sénat ne saurait avoir le caractère juridique et l’utilité politique du 49/3. Elle n'a pas valeur constitutionnelle en son principe et moins encore en son usage.
"En effet, si l'utilisation de la question préalable est correcte, ce ne peut être que dans la mesure où cette méthode n'aboutit pas à faire échec à l'article 44 de la Constitution car, en ce cas, la légalité du règlement du Sénat ne saurait faire place aux impératifs constitutionnels.
"On peut d'ailleurs se demander si le Sénat qui, de par la volonté du constituant, ne peut subir aucun 49/3, n'est pas dans cette situation constitutionnelle parce qu'il demeure l'ultime refuge du droit à l'amendement conféré au Parlement et qui entraîna au Comité consultatif constitutionnel cette réflexion désabusée de Monsieur TEITGEN
"De toutes manières, l'utilisation d'un droit (celui de voter la question préalable) ne constitue pas une preuve de la régularité constitutionnelle de l'opération prise dans son ensemble, laquelle a abouti à faire en sorte qu'aucun amendement n'a pu être déposé en dépit de l'article 44 de la Constitution.
"Et cela en faisant voter pour la question préalable qui sous-entend une volonté de rejet par ceux qui étaient pour l'adoption du texte.
Mais, le Conseil ne saurait tirer argument d'un inversion des parlementaires.
"En définitive, et m'excusant de la formulation de mon opinion, je pense que la loi qui nous est déférée, en ayant fait obstacle à l'article 44 qui proclame un droit absolu du Parlement n'est pas conforme à la Constitution dont nous avons la garde.
Monsieur VEDEL indique que sur le fond il serait d'accord avec Monsieur MARCILHACY, mais qu’il ne peut le suivre sur un point : la question préalable, quel que soit son usage, porte atteinte au droit d’amendement.
Invité à le faire par le Président,
Monsieur JOZEAU-MARIGNE, indique qu'ayant entendu le rapporteur et lu le projet de décision, qui a son accord, il n'avait pas jugé utile d'intervenir. En accord avec Monsieur VEDEL, il ne peut l'être avec Monsieur MARCILHACY. Peut-on sanctionner un détournement alors que le Parlement est l'émanation du peuple ? Non. Dès lors et même si les règlements des assemblées parlementaires n'ont pas valeur constitutionnelle on ne peut aller à l'encontre d'un texte voté par le Parlement et qui touche à sa vie interne. D'autre part et si le Conseil se mettait à contrôler les détournements de procédure, ne serait-il pas conduit à déclarer qu'il y a détournement lorsqu'on est en présence de 1 500 amendements : C'est dire qu'il ne peut y avoir de jeu normal des procédures lorsqu'il y a obstruction. Enfin, s'agissant de l'article 44 de la Constitution, Monsieur JOZEAU-MARIGNE estime qu'il régit les rapports entre le Gouvernement et les membres du Parlement en rappelant le droit puis en fixant les limites parmi lesquelles ne figure pas la question préalable. Il regrette donc d'être en désaccord avec Monsieur MARCILHACY.
Monsieur MAYER observe que sur les neuf membres du Conseil, sept sont d’anciens parlementaires qui n'auraient jamais pu imaginer que l’adoption d'une question préalable puisse être interprétée comme tendant à l’adoption d'un texte ! N'aurait-on pas rêvé si, lors du débat sur la communauté européenne de défense, on avait dit que le traité était approuvé par suite de l'adoption de la question préalable ! C'est pourquoi il ne peut accepter la thèse dite de la "question préalable positive". Par contre, il partage les sentiments de Monsieur
JOZEAU-MARIGNE concernant l'obstruction. Manifestant son inquiétude face à l'emploi de procédures qui permettent qu'une loi puisse être adoptée sans même avoir été votée, il estime qu'il faut veiller sur les très graves dégradations des conditions dans lesquelles se déroule le débat parlementaire. Aussi, si le Conseil ne peut, dès aujourd'hui, censurer de telles pratiques, il estime qu'il serait opportun de donner dès maintenant un fondement à une prise de position future du Conseil. Ainsi, sans s'opposer aux conclusions du rapporteur, il conviendrait que le projet comporte une sorte de réserve qui montrerait que le Conseil n'entend pas donner son accord à une éventuelle utilisation systématique de ces procédures.
Monsieur SIMONNET rappelle que la Constitution de 1958 a substitué le parlementarisme rationalisé au régime d'assemblée irrationnel. Certes les règles ainsi instituées peuvent paraître restrictives, mais cela est préférable à l'absence de règle. En réponse à la lettre de Monsieur MARCILHACY, il souligne que la loi déférée a fait l'objet de deux lectures au Sénat qui a émis un vote positif sur le texte proposé par la commission mixte paritaire. De plus n'y a-t-il pas eu pire encore si l'on pense que des lois sont devenues définitives après application de l'article 49, alinéa 3, à l’Assemblée nationale et rejet du Sénat. En conclusion peut-être, comme le propose Monsieur MAYER, est-il nécessaire de donner un coup de semonce, mais le moment n'est pas venu de changer de jurisprudence.
Monsieur VEDEL indique que sur le plan juridique il faut distinguer l'objet de la question préalable -il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération- de son effet- le rejet du texte. La vraie question est alors de savoir si l'on peut censurer cette procédure qui a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil. Peut-on rappeler dans la décision que l'application de cette procédure pose une question d'opportunité qu'il n'appartient pas au Conseil d'apprécier ?
Monsieur JOZEAU-MARIGNE estime que lors du débat sur la communauté européenne de défense, c'était en 1954, donc sous une autre Constitution, les choses étaient différentes. La question préalable avait été adoptée en première lecture devant l'Assemblée nationale pour des questions de principe. Ici, la question préalable a été utilisée devant le Sénat et après engagement de la responsabilité du Gouvernement à l'Assemblée nationale.
Cette utilisation a permis au Sénat de respecter la tradition qui veut qu'une assemblée ne traite pas d'un sujet qui intéresse l'autre chambre. Elle a également été utilisée comme réponse à d’autres détournements de procédure.
Monsieur LECOURT, après avoir fait observer qu'il n'avait pas l'habitude d'intervenir dans un débat où sa pensée avait déjà été exprimée par d'autres, estime, s'agissant du détournement de procédure, qu'il ne faut pas entrer dans la voie du contrôle. En effet, il y a toute sorte de procédures parlementaires -rappel au règlement, suspension de séance- que la Constitution n'appréhende pas et sur lesquels il serait difficile de juger de détournements de procédure. Il ajoute que si faute il y a, la faute pourrait incomber au Conseil constitutionnel lui-même qui aurait dû la sanctionner dès 1959. Si l'on suivait les requérants, il faudrait introduire une distinction dans la notion de question préalable : elle ne serait plus caractérisée par le renvoi du débat, mais par le fait que son usage serait nécessairement réservé à l'opposition. Il est impossible que le Conseil distribue les moyens de procédure entre opposition et majorité. Dès lors que cette motion de procédure a été déclarée conforme à la Constitution, le Conseil n'a pas le pouvoir d'en réserver l'usage à la seule opposition.
Monsieur VEDEL après avoir rappelé que les "langages codés" de la vie parlementaire étaient nombreux et qu'il fallait faire attention avant d'y toucher même si certains d'entre eux, telle la réduction indicative des crédits, n'étaient pas conformes aux textes, précise que le projet de décision lui paraît bon et qu’il retire ses propositions de rectification.
Monsieur le Président souligne la grande prudence que doit avoir le Conseil constitutionnel en présence du fonctionnement des assemblées parlementaires. A défaut d'y prendre garde, on crierait non seulement au Gouvernement des juges mais à la tyrannie des juges ! Certes, comme Monsieur JOZEAU-MARIGNE, on peut comprendre la réponse du berger à la bergère : à obstruction, question préalable. Mais ce n'était pas le cas en l'espèce car le nombre d'amendements était limité. Pour l'essentiel, il faut éviter de se pencher sur les mobiles qui sont à la base du choix des procédures ; ainsi, il note que le Conseil, dans sa décision du 25 août 1985 sur la loi relative à l'évolution de la
Nouvelle-Calédonie, n'a non plus voulu juger du détournement de procédure du Président de la République soulevé par les requérants d'alors.
La motivation de la question préalable, fait ensuite remarquer le Président, n'a pas été une volonté de réduire les droits de la minorité. Il cite Monsieur LARCHE lors du vote de cette question préalable : "Votre commission souhaite que le Président de la République veuille bien comprendre que, chaque fois qu'il croira pouvoir s'arroger un pouvoir que la Constitution ne lui confère pas expressément, nous maintiendrons très fermement l'attitude que nous avons déjà choisie dans une occasion semblable et que je vous propose d'adopter de nouveau aujourd'hui. C'est donc par la question préalable que je vous propose, au nom de la commission, de répondre à la démarche présidentielle". Dès lors que la majorité du Sénat manifeste contre une décision du Président de la République, on ne peut, au cas présent, motiver une censure.
Ceci étant posé, il faut noter que si l'on accorde le droit à la majorité d'écarter, par la question préalable, toute possibilité d'amender, il est nécessaire de réserver l'avenir. La rédaction est certes difficile car on peut ni écrire qu'il n'y aura jamais censure ni non plus : "attention, on va censurer". Il y a tout de même un cas où le Conseil pourrait s'interroger, celui où la majorité interdit à l'opposition d'amender et que cela apparaisse nettement. Devant un tel bâillonnement de la minorité, le Conseil se devrait d'intervenir.
En conclusion, la rédaction du projet doit être prudente. S’en tenir à un considérant général serait donner un feu vert à un emploi systématique. Comme Monsieur FABRE, on peut ne pas retenir le détournement de procédure, mais il faut être attentif à ne pas bloquer l'avenir, s'il y avait un écrasement minoritaire sous une pluie de questions préalables.
Monsieur FABRE observe que son projet d'une part reprend la définition de la question préalable et d'autre part, dispose bien qu'il s'applique au cas présent, réservant ainsi l'avenir.
Monsieur le Président se demande si le Conseil qui est interpelé sur le droit d'amendement, ne devrait pas faire référence à ce droit au lieu de se référer à la "régularité de la procédure législative".
Monsieur VEDEL estime que la mérite de la rédaction proposée est de se limiter à la seule question de la procédure de la question préalable. En visant le droit d'amendement, certains pourraient y voir une bénédiction donnée par le Conseil à l'emploi de la question préalable.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE considère que la référence faite au cas présent répond bien au souci du Conseil. De plus parler de la "procédure législative" permet d'ouvrir un éventail qui comprend le droit d'amendement. Pour ces raisons, il approuve le projet de décision.
Monsieur SIMONNET craint qu'en se référant "à la régularité de la procédure législative" le Conseil, qui n'est pas chargé de contrôler le fonctionnement des pouvoirs publics, puisse faire penser qu'il excède ses pouvoirs.
Monsieur VEDEL réplique à Monsieur SIMONNET qu'il entre bien dans la mission du Conseil de veiller à la régularité de la procédure législative.
Monsieur FABRE donne alors lecture de son projet de décision qui est adopté sans modification.
La séance, suspendue à 11 h 05, est reprise à 11 h 15.
-oOo-
A la reprise, Monsieur FABRE, poursuit l'exposé de son rapport en examinant :
L'ETENDUE DU CONTROLE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR LA DELIMITATION DES CIRCONSCRIPTIONS ELECTORALES.
Le moyen de fond invoqué par les députés auteurs de la saisine soulève une question de principe préalable touchant à l'étendue de notre contrôle sur la délimitation des circonscriptions.
Je ne compte nullement éluder cette question.
La réflexion que l'on peut mener à ce sujet me semble pouvoir être conduite en trois temps :
1° - Dans un premier temps, je résumerais la position respective des auteurs de la saisine et du Gouvernement.
2° - Dans un deuxième temps, j'analyserai les éléments de réponse que l'on peut trouver dans le droit positif, tant sur le plan interne, qu'à l'étranger.
3° - Enfin, je vous indiquerai quelles sont les conclusions auxquelles j'aboutis pour ma part.
I - Il convient de s'arrêter tout d'abord sur les positions défendues respectivement par les députés auteurs de la première saisine et par le Gouvernement.
1-1 Le point de vue des députés socialistes me paraît reposer sur trois idées.
a) En premier lieu, ils paraissent considérer comme évident que la délimitation des circonscriptions ne doit pas être arbitraire et qu’il s'agit là d'une exigence de valeur constitutionnelle.
b) Deuxième idée : il ne parait faire aucune doute à leurs yeux que le Conseil constitutionnel doit exercer un entier contrôle sur le point de savoir si le découpage est ou non arbitraire. Ils n'en font pas une règle absolue.
c) Enfin, la saisine des députés essaye de définir en quoi consiste l'arbitraire. Il y a de ce dernier point de vue une gradation dans l'argumentation là où ce n’est pas indispensable.
. Pour ne pas être arbitraire, la délimitation effectuée aurait dû, chaque fois que cela était démographiquement possible, conserver l'ancien découpage ou en respecter l'économie.
En quelque sorte, serait arbitraire ce qui, contrairement à l'idée d'économie de moyens, remettrait en cause l'ancien découpage.
. Une étape supplémentaire dans le raisonnement consiste à dénoncer l'hétérogénéité des critères de délimitation retenus ..., hétérogénéité qui aboutit à ce que les auteurs du découpage aient choisi d'apporter des réponses radicalement différentes à des questions identiques .
On retrouve ici le sens donné au mot arbitraire par le LITTRE ou le ROBERT : qui dépend de la seule volonté, n'est pas lié par l'observation de règles.
La conclusion du raisonnement va un peu plus loin : l'arbitraire vient de ce que c'est le critère tiré de l'intérêt qu'escomptent, sur le plan politique, les auteurs du découpage qui a été prédominant. Ce critère a été, lui, utilisé avec une parfaite homogénéité.
1-2.Tout différent est le point de vue exprimé dans la note du Secrétariat général du Gouvernement.
a) A titre principal, le Gouvernement s'attache à démontrer que l'argumentation exposée par les députés socialistes est inopérante devant le Conseil constitutionnel.
Le raisonnement fait peut se résumer comme suit :
. le seul principe de valeur constitutionnelle au regard duquel la délimitation doit être appréciée est l'égalité devant le suffrage ;
. le découpage résultant du Parlement lui-même, il serait vain de l'assujettir au respect de critères quelconques, en dehors du respect du principe de l'égalité de suffrage ;
. en réalité, les députés socialistes font grief à la loi d'être entachée de détournement de pouvoir. Or un tel moyen est irrecevable devant le Conseil constitutionnel .
Il est souligné au demeurant que le législateur ne se trouve pas, devant le Conseil constitutionnel, dans la même situation que le gouvernement ou l'Administration devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux.
b) Le Gouvernement ne s'en tient pas seulement au caractère inopérant du découpage. A titre subsidiaire, il expose pourquoi, selon lui, l'argumentation des saisissants n'est, en tout état de cause, pas fondée. A cet égard, le Gouvernement indique que le découpage des circonscriptions a été opéré en fonction de deux éléments :
- d’une part, le découpage a été effectué dans le respect des règles objectives résultant de la loi du 11 juillet 1986.
Comme on le sait, les règles posées par cette loi et que le Gouvernement devait respecter lors de l'élaboration des ordonnances étaient de trois types :
- les circonscriptions doivent être constituées par un territoire continu, sauf impossibilité ;
- les limites cantonales doivent être respectées, sauf exceptions concernant PARIS, LYON et MARSEILLE, les cantons de plus de 40.000 habitants et les cantons non constitués par un territoire continu ;
- les écarts de population entre les circonscriptions ont pour objet de permettre la prise en compte d’impératifs d'intérêt général et ne peuvent, en aucun cas, s'écarter de plus de 20 % de la population moyenne des circonscriptions du département.
- d'autre part, et il s'agit là d’un élément qui mérite de retenir l'attention, les auteurs du découpage se sont inspirés de plusieurs lignes directrices.
Ces lignes directrices sont au nombre de cinq :
- l'une, tirée du respect, dans la mesure du possible des limites cantonales, rejoint la règle qui avait été posée par la loi du 11 juillet 1986 ;
- Les autres lignes directrices sont plus originales, à savoir :
(1) La carte des anciennes circonscriptions a constitué le point de départ du projet de découpage ,
(2) La notion de territoire a été prise en considération subsidiairement à celle de population afin de faire de chaque circonscription un ensemble géographique cohérent ;
(3) chaque circonscription a été définie, dans la mesure du possible, autour d'un centre qui en constitue le pôle d'attraction ;
(4) A été évitée la réunion dans une même circonscription de cantons présentant des caractéristiques sociologiques par trop différentes.
Voilà, les positions en présence.
II - J'en viens maintenant, aux éléments d'appréciation que l'on peut trouver dans le droit positif.
Trois séries d'éléments peuvent nous servir ici de référence :
- tout d'abord, notre propre jurisprudence ;
- ensuite, les solutions dégagées par le Conseil d'Etat ;
- enfin, l'attitude adoptée face au problème du Gerry-mandering par la Cour Suprême des Etats-Unis.
2-1 - En ce qui concerne notre propre jurisprudence, deux décisions doivent retenir l'attention :
- en premier lieu, la décision du 8 août 1985, rendue à propos de la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie. Cette décision fait application du principe de l'égalité de suffrage à propos de l'élection des membres du Congrès du territoire de Nouvelle-Calédonie.
- en second lieu, il convient naturellement de se référer à la décision des 1er et 2 juillet 1986, rendue à propos de la loi qui rétablissait le scrutin uninominal majoritaire à deux tours et qui habilitait le Gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions.
Cette dernière décision se réfère comme celle du 8 août 1985 au principe d'égalité de suffrage et en déduit : "que l'Assemblée nationale désignée au suffrage universel direct, doit être élue sur des bases essentiellement démographiques" et que si le législateur peut tenir compte d'impératifs d'intérêt général, susceptibles d'atténuer la portée de cette règle fondamentale, il ne saurait le faire que dans une mesure limitée.
En dehors du rappel de ces principes, la décision des 1er et 2 juillet 1986 comporte un considérant, le 24e considérant, qui interprète les termes de la loi d'habilitation afin d'encadrer par avance le contenu de l'ordonnance qui devait normalement procéder à la délimitation des circonscriptions.
Le 24e considérant comporte ainsi quatre séries d'indications :
. la faculté de ne pas respecter les limites cantonales dans les départements comprenant un ou plusieurs cantons non constitués par un territoire continu ou dont la population est supérieure à 40.000 habitants ne vaut que pour ces seuls cantons ;
. la mise en œuvre de l'écart maximum de 20 % doit être réservée à des cas exceptionnels et dûment justifiés ;
. l'utilisation de cette faculté ne pourra intervenir que dans une mesure limitée et devra s'appuyer sur des impératifs précis d'intérêt général ;
. enfin "la délimitation des circonscriptions ne devra procéder d'aucun arbitraire".
Cette dernière précision fait suite à des observations formulées par M. le Doyen VEDEL qui, au cours de notre délibéré, avait souligné que les écarts de représentation sur le plan démographique étaient moins à craindre en définitive qu'un découpage orienté ou partisan.
J'ajoute que lors de la rédaction de cette partie de la décision, le terme "arbitraire" avait été préféré au mot "artifice" initialement proposé par le Doyen VEDEL.
Je crois me souvenir que M. le Président BADINTER avait trouvé que la référence à l'idée d'artifice faisait par trop penser à la langue du 18e siècle...
Quoi qu'il en soit, c'est la référence à l'arbitraire dans notre décision qui a largement guidé la réflexion du Conseil d'Etat, la commission des six, elle, a privilégié l’élément démographique qui, seul recherché, conduirait à des choses impossibles qui rappelleraient la frontière sud du Soudan !
2.2. - Si l'on se tourne maintenant vers la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de délimitation des circonscriptions, on peut tirer, me semble-t-il, deux séries d'enseignements.
a) une première série d'enseignements résulte de la jurisprudence du Conseil d'Etat statuant au contentieux, concernant le découpage des cantons.
. Depuis une décision du 12 juillet 1978 Commune de SARCELLES, le Conseil d'Etat a fait porter son contrôle sur l'effet d'un redécoupage cantonal sur les disparités démographiques entre les cantons du département.
Pour le juge administratif, le remodelage des circonscriptions cantonales :
"ne saurait en principe avoir pour objet ni pour effet d'accroître les disparités qui existaient auparavant entre les cantons les plus peuplés et les cantons les moins peuplés de ce département".
. Plus récemment le Conseil d'Etat a été invité à se prononcer sur la pertinence des nouvelles limites cantonales par rapport aux données géographiques ou humaines.
En réponse à l'argumentation dont il était saisi, le Conseil d'Etat a, par une décision du 27 juin 1986 LISE et VALCIN, jugé :
"qu'il n'est pas établi que l'appréciation à laquelle il (il s'agit du Gouvernement) s'est livré sur l'adéquation des nouvelles limites cantonales aux données géographiques ou humaines soit entachée d'une erreur de nature à entraîner l’annulation du décret attaqué..."
La formule employée est quelque peu ambiguë quant à l'étendue du contrôle exercé par le Conseil d'Etat. On notera cependant qu'il n'est pas fait référence à l'idée d’erreur manifeste, mais à une erreur de nature à entraîner l'annulation.
b) un autre type d'enseignements nous est donné par la doctrine des formations administratives du Conseil d'Etat en ce qui concerne la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés.
Je ne puis mieux faire que de me référer à la note d’observations de l'Assemblée générale du Conseil d'Etat, délibérée les 18, 19 et 20 septembre 1986 concernant le découpage des circonscriptions.
Il est dit que… "Le Conseil d'Etat a examiné la légalité du projet au regard tant des règles posées par la loi du 11 juillet 1986, dans l'interprétation qu'en a donnée le Conseil constitutionnel pour en reconnaître la conformité à la Constitution, que des principes qui se dégagent de sa propre jurisprudence.
Le Conseil a pris acte des lignes directrices dont s'est inspiré le Gouvernement pour établir le projet de délimitation des circonscriptions électorales.
Après avoir constaté que ces critères ne sont, ni en eux-mêmes, ni pris globalement, entachés d’illégalité, le Conseil, dans les limites de l'exercice de sa fonction administrative, a recherché s'il en a été fait application avec une suffisante unité sur l'ensemble du territoire..."
Cette note d'observations du Conseil d'Etat appelle, me semble-t-il, trois brefs commentaires :
(1) Le Conseil s'est situé, au départ de son raisonnement, par rapport à la loi d'habilitation du 11 juillet 1986 ;
(2) Il a mis l'accent sur "les limites de l'exercice de sa fonction administrative".
Cette formule a dans le cas considéré deux significations :
- d'une part, l’Assemblée générale a estimé qu'elle n'était pas à même de dénoncer un éventuel détournement de pouvoir, ce dernier ne pouvant, le cas échéant, être établi qu'au terme d'une instruction contentieuse contradictoire ;
- d'autre part, l’Assemblée générale a pensé que même lorsque son avis était défavorable elle n'avait pas à faire de contre-projet dans une matière aussi délicate.
(3) Cependant, et c'est le dernier commentaire que l’on peut faire, l’Assemblée générale du Conseil d'Etat a soumis le projet de découpage à un contrôle de cohérence d'ensemble.
Il y a là un écho de la jurisprudence du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, sur les directives administratives, jurisprudence qui remonte à un arrêt du 11 décembre 1970 - Crédit Foncier de France.
Le cadre ainsi défini est apparu comme le meilleur moyen de vérifier, sur la base de données objectives, que le découpage n'était pas arbitraire.
2-3 - Enfin, nous pouvons nous référer en matière juridictionnel du découpage des circonscriptions, jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis
L'examen de cette jurisprudence conduit à mettre l'accent sur deux points.
a) En premier lieu, la Cour suprême est très rigoureuse en ce qui concerne l'égalité de représentation sur le plan démographique.
Depuis une décision de principe du 25 mars 1962 (affaire BAKER contre CARR) elle veille au respect du principe : un homme - une voix. Mais dans la mise en œuvre de ce principe, certains Etats ont eu recours à des manipulations électorales constitutives de Gerry-mandering.
La Cour suprême n'a pendant longtemps pas réagi contre ces manipulations car traditionnellement les tribunaux américains s'estimaient incompétents.
b) Mais, et c'est le deuxième point qui doit nous retenir, la Cour suprême a tout récemment infléchi sa jurisprudence.
Depuis un arrêt du 30 juin 1986 DAVIS contre BANDEMER, elle considère que les tribunaux sont compétents pour contrôler le découpage des circonscriptions électorales.
Mais dans l'exercice de ce contrôle la Cour suprême fait preuve de beaucoup de prudence.
Selon elle, pour que l'inconstitutionnalité du découpage soit admise, il faut que soit prouvé le désavantage permanent supporté par une majorité de votants, ou l'impossibilité pour une minorité d'avoir une chance équitable d'influencer le processus politique. Le seuil à partir duquel un découpage est contraire à la Constitution doit être fixé assez haut pour que tous les découpages ne soient pas contestés. Dans le cas qui lui était soumis, le Cour suprême a estimé que le seuil n'était pas dépassé alors que dans l'Etat d'Indiana le parti démocrate était désavantagé.
L'arrêt de la Cour a suscité des opinions divergentes ou concurrentes.
Pour se limiter aux opinions extrêmes, on doit noter :
- d'une part, que le juge BURGER était favorable à l'incompétence de la Cour au motif que les tribunaux n'ont pas à s'immiscer dans le découpage. Ce sont les citoyens qui doivent remédier à la situation en influençant leurs élus ;
- d'autre part, que le juge POWELL a défendu une opinion toute différente. J'attire votre attention sur cette position.
Pour lui, non seulement les tribunaux sont compétents mais de plus les demandeurs peuvent se fonder devant eux sur un ensemble de preuves : la forme des circonscriptions, leur conformité à la tradition, les intérêts communs de la population, la procédure utilisée pour élaborer le découpage (y- a-t'il ou non participation du parti adverse et du public ?).
Tels sont les éléments d'appréciation qui peuvent nous guider dans la définition de l'étendue de notre contrôle.
III - Pour ma part, je suis conduit à formuler devant vous deux propositions qui concernent respectivement les normes de référence de notre contrôle et le degré d'intensité de notre contrôle.
3-1 - S'agissant des normes de référence du contrôle, il me semble que nous devons placer au niveau des exigences constitutionnelles deux choses :
- d'abord, et cela va de soi, le principe d'égalité de suffrage ;
- ensuite l’absence d’arbitraire.
Certes, ce dernier élément n'était mentionné dans la décision des 1er et 2 juillet 1986, qu'au titre de l'encadrement des ordonnances qui devaient procéder au découpage.
Mais l'absence d'arbitraire me paraît répondre à une exigence de valeur constitutionnelle. Il s'agit là d'un corollaire indispensable de l'égalité de suffrage.
A quoi servirait-il de veiller au respect d'une égalité numérique, si un découpage approprié des circonscriptions aboutissait à tourner, dans la pratique, le principe d'égalité.
Le respect dû au suffrage universel implique que soit assurée la loyauté dans l'aménagement des circonscriptions électorales.
J'observe d'ailleurs que cette idée se trouve exprimée dans le cours de Droit constitutionnel et d'institutions Politiques qui a été professé par M. le Doyen VEDEL à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de PARIS.
L'idée de loyauté des opérations électorales figure également dans le traité de la Juridiction administrative de LAFERRIERE, au chapitre consacré au rôle du juge de l'élection .
Il me parait indispensable que notre jurisprudence rappelle avec netteté de telles exigences.
Cela me paraît s'imposer non seulement sur le plan juridique, mais aussi pour des raisons de politique jurisprudentielle. Il faut bien voir en effet qu'aux Etats-Unis le refus, jusqu'à une date toute récente, de contrôle des délimitations arbitraires, a incité les Etats à se livrer au gerry-mandering.
C'est ce que Mme Marie-France TOINET a clairement mis en évidence dans un article publié en 1976 par la Revue Française de Science Politique et intitulé : "La concurrence électorale imparfaite aux Etats-Unis".
Ce sont d'ailleurs les errements qui se sont développés à cet égard, qui ont conduit la Cour suprême à infléchir sa jurisprudence dans l'affaire jugée le 30 juin 1986.
L'expérience américaine tout comme les éléments qui résultent d'ores et déjà de notre jurisprudence doivent nous conduire à affirmer que la délimitation des circonscriptions électorales doit, conformément à l'article 3 de la Constitution, être effectuée sur des bases essentiellement démographiques et qu'en outre, elle ne doit procéder d'aucun arbitraire afin que soit assurée la loyauté des consultations électorales.
3-2. Reste, et ce n'est pas le plus aisé à définir le degré d'intensité de notre contrôle.
Mon sentiment est que nous devons faire preuve de prudence et de réserve dans l'intensité de notre contrôle.
a) En ce qui concerne les aspects d'ordre démographique de la délimitation, nous avons d'ores et déjà jugé que notre censure éventuelle ne doit porter qu'en cas de disproportion manifeste. C'est ce qui ressort nettement des décisions des 8 août et 23 août 1985 concernant la loi sur l'évolution de la
Nouvelle-Calédonie.
b) S'agissant du contrôle de la loyauté de l'aménagement des circonscriptions, nous devons procéder avec "tact et mesure".
Notre contrôle ne doit pas être trop tatillon, trop strict. Le Conseil constitutionnel n'est pas normalement un juge du fait
Ce contrôle doit être un contrôle de cohérence d'ensemble et des justifications appropriées apportées dans chaque cas. Je n'ai pas trouvé toujours les justifications qu'on était en droit d'attendre.
Telle est, au demeurant, l'orientation de la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de remodelage des cantons depuis la décision du 27 juin 1986 LISE et VALCIN.
Je n'ignore pas que le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat statuant au contentieux ont chacun des missions propres.
Mais en matière de délimitation des circonscriptions, il faut veiller à ce que les exigences de l'Etat de droit ne diffèrent pas fondamentalement selon qu’il y a intervention du Conseil d'Etat ou du Conseil constitutionnel.
La présente affaire est d'ailleurs très significative le découpage législatif est la reprise pure et simple d'un projet d'ordonnance qui était juridiquement un acte administratif. Face à une matière qui reste la même à savoir une délimitation déterminée, les exigences de la légalité doivent être identiques.
En définitive, je vous propose donc d'exercer avec tact et mesure un contrôle portant sur le point de savoir si la loi déférée satisfait aux exigences constitutionnelles tirées respectivement de l'égalité du suffrage et de l'aménagement loyal des circonscriptions.
Je dois vous rappeler que nous avons été saisis par les députés de 47 départements. Le parti communiste nous en a signalé d'autres dont le Pas-de-Calais. Finalement mon examen a porté sur 48 départements. Plus de la moitié n'ont pas été retenus ce qui atteste ma modération.
Monsieur le Président ouvre la discussion et donne la parole à Monsieur LECOURT qui la demande.
Monsieur LECOURT souligne l'importance du travail effectué par Monsieur FABRE non seulement sur les questions de principe, nais aussi sur l'étude des départements, travail d'autant plus remarquable qu'il a du être effectué en peu de temps. Il regrette cependant de s’écarter de ses conclusions et indique qu'il s'en tiendra à l'évocation d'un certain nombre de principes relatifs au rôle du Conseil et aux bases à partir desquelles il pourrait exercer une éventuelle censure.
Ses premières observations, très importantes, touchent à la manière dont le Conseil peut concevoir son rôle. Plus au vu du projet de décision qu'à l'exposé que vient de faire Monsieur FABRE, n'y a-t-il pas un risque que le Conseil constitutionnel soit considéré comme la Cour d'appel du Conseil d'Etat ? Est-ce que le Conseil d'Etat, dans ses avis successifs, a bien examiné les ordonnances en restant fidèle à sa jurisprudence ? Ce n'est pas le rôle eu Conseil qui n'a pas à trancher le cas d'ordonnances nais qui a, face à lui, une loi qui doit être examinée selon des critères constitutionnels. L'objet, c'est la loi et non des ordonnances. Devant lui, le Conseil se trouve non face au Gouvernement défendant des ordonnances, mais face au Parlement souverain. Dès lors, on peut rechercher si la jurisprudence du Conseil d'Etat a été respectée, mais il ne peut y avoir d'interférence entre la jurisprudence du Conseil d'Etat et les préoccupations du Conseil qui sont d'ordre constitutionnel : les références sont différentes. Monsieur LECOURT ajoute qu'il comprend la jurisprudence du Conseil d'Etat qui, dans son cadre propre, est bonne. Mais cette jurisprudence ne peut servir de base au Conseil, même si l'on peut observer que dans son arrêt du 27 juin 1986 LISE et VALCIN, le Conseil d'Etat, après avoir émis des considérations sur l'adéquation des nouvelles limites cantonales aux données géographiques ou humaines, retrouve in fine le critère démographique. Ainsi donc, même selon cette jurisprudence, les critères géographique et humain sont secondaires, subalternes par rapport au critère démographique. En tout état de cause, il faut souligner que les bases sont différentes : le Conseil constitutionnel a à prendre en compte la loi et à l'examiner par rapport à la Constitution .
S'agissant de l'évolution jurisprudentielle de la Cour suprême des Etats-Unis, telle qu'elle résulte de sa décision du 30 juin 1986, Monsieur LECOURT note qu'il lui appartient, après avoir parcouru tant et tant d’étapes, d'élargir aujourd'hui son contrôle. Doit-elle être suivie en cela par le Conseil ? Monsieur FABRE, s'il était suivi par le Conseil, l'entraînerait sur un terrain glissant. En effet, le Conseil serait alors amené à statuer sur la simulation d'un scrutin, sur ce qui peut-être nocif dans un découpage lors d’une consultation, s'il devait prendre en compte "l'intention discriminatoire" des auteurs du découpage. Enfin, le projet qui accomplit un pas dans le sens de la décision de la Cour suprême, en accomplit un autre en posant que la charge de la preuve repose non sur les requérants, mais sur le législateur. Somme toute, le Conseil en viendrait à avoir une appréciation politique ; il supputerait les chances des différents partis pour juger si elles sont égales.
A cela s'oppose la jurisprudence constante (1°75, 1981 et 1984) du Conseil constitutionnel selon laquelle l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement. Le Conseil est tenu par cet article et sa jurisprudence : il ne peut trouver de base que dans la Constitution.
Monsieur LECOURT traite ensuite des bases juridiques sur lesquelles le Conseil ferait reposer son contrôle. La Constitution, dans ses articles 2 et 3, ainsi que la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 prévoient la mise en œuvre de la règle de l'égalité démographique : cela est admis. Faut-il y ajouter un "cocktail" de considérations juridiques et méthodologiques qui amènerait à limiter la portée de la règle démographique. C'est en ces ternes que la question se pose.
La tâche du Conseil consiste à prendre les articles de la Constitution et la Déclaration des droits, à en tirer l'égalité de suffrage et à veiller au respect de ce principe. De plus compte de sa décision des 1er et 2 juillet 1986 qui doit être pour lui "la loi et les prophètes" et qu'il ne peut modifier.
Cette décision, rappelle-t-il, après l'exposé des griefs, vise les textes de référence, puis énonce le considérant de principe, applicable à tous les cas : "Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'Assemblée nationale, désignée au suffrage universel direct, doit être élue sur ces bases essentiellement démographiques ; que si le législateur peut tenir compte d'impératifs d'intérêt général susceptibles d'atténuer la portée de cette règle fondamentale, il ne saurait le faire que dans une mesure limitée". Pour Monsieur LECOURT, on ne peut rien ajouter au principe ainsi énoncé. Dans la suite de cette décision, le Conseil examiné ensuite la loi et constate qu'elle n'est pas contraire au principe. Enfin, dernière étape, le Conseil s'adresse au Conseil d'Etat et lui indique la perspective dans laquelle il va devoir apprécier les ordonnances.
Ce que propose Monsieur FABRE, continue Monsieur LECOURT, c'est de faire remonter le cadre ainsi fixé au Conseil d'Etat dans le cadre constitutionnel et, notamment, d'y faire remonter la notion d'arbitraire, au motif qu'en disant que l'Assemblée étant élue sur des bases essentiellement démographiques, la place est ainsi laissée à d'autres critères. Mais l'intervenant demande de relire la décision et son considérant il y a le principe d'égalité démographique et les exceptions possibles. Le Conseil indiquait ainsi que le législateur peut tenir compte d'autres impératifs pour l'exception, ce qui est différent que de dire qu'il doit tenir compte de ces impératifs pour l'application du principe. En ce qui concerne enfin la notion d'arbitraire, le Conseil l'a citée dans un cadre différent de celui dans lequel on souhaite aujourd'hui l'appréhender. Elle figurait dans la décision des 1er et 2 juillet pour prévenir d'éventuels abus et pour inviter le Conseil d'Etat â examiner si le Gouvernement ne commettait pas d'erreurs susceptibles de couvrir l'arbitraire. Peut-on transposer l'arbitraire gouvernemental â l'égard du pouvoir législatif ?
Dans l'affirmative, le Conseil, non seulement dans cette affaire, nais pour l’examen de toutes les lois, devrait apprécier la manière dont le Parlement exerce ses fonctions et vérifier s'il n'est pas tombé dans l'arbitraire. Or la définition mène de l'arbitraire est arbitraire. De plus comment le Conseil pourrait-il taxer une loi d'arbitraire ? Il ne peut le faire que sur une base constitutionnelle. Même après m'être séparé du Conseil dans sa décision du 8 août 1985 relative à la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie, j'accepte que le Conseil juge si le législateur n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation au regard d'un principe constitutionnel, en l'espèce, le principe d'égalité de suffrage. Mais je ne peux accepter que l'on se réfère à l'arbitraire "tout azimut".
Au-delà de la notion d'arbitraire, Monsieur LECOURT pose une autre question, celle de la preuve. Qui va prouver : le Parlement, le Gouvernement ou les requérants ? Le projet de décision fait porter la charge de la preuve sur le législateur qui doit se justifier. En transposant cela au droit commun, cela veut dire que le Parlement devra toujours apporter la preuve de la nécessité d'une loi et justifier de ses choix. Voilà qui est audacieux et va bien au-delà de l'arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis !
Allant encore plus loin, le Conseil demandera au Gouvernement de justifier la nécessité de changer le mode de scrutin et comme, ni lui, ni le Parlement ne peuvent dire "j'entend confirmer ma majorité", alors le Conseil se substituera au Gouvernement et, en l'absence de justification, conclura à la censure. De même, lors de l'instauration de la représentation proportionnelle en juillet 1985, si le problème avait été posé en ces termes, le Conseil aurait pu conclure à l'arbitraire. Monsieur LECOURT demande au Conseil de ne pas aller dans cette voie, "pente savonnée au bout de laquelle on ne sait pas ce qu'il y aura".
Dans ces conditions, Monsieur LECOURT se demande ce qui peut-être ajouté aujourd'hui à la décision des 1er et 2 juillet, si ce n'est faire changer de cadre la notion d'arbitraire.
Reprenant l'analyse de la saisine, Monsieur LECOURT note que, si les requérants reconnaissent, comme le Conseil l'a fait lui-même, que la règle démographique n'est pas absolue, ils tentent de faire glisser le débat d'hier à aujourd'hui alors que ce débat avait eu lieu dans un cadre différent :
- hier les requérants n'avaient retenu que la règle démographique, aujourd'hui ils l'abandonnent pour inviter le Conseil à se prononcer à partir d'autres critères ; mais la faculté donnée hier au Gouvernement deviendrait maintenant une obligation qui s'imposerait au Parlement et au Conseil ;
- les requérants demandent également, lorsque cela est démographiquement possible, que le maintien des anciennes circonscriptions serve de référence au contrôle du Conseil. Les suivre serait alors revenir sur un point acquis et rappelé dans la décision du 3 septembre 1986 sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, selon lequel la constitutionnalité d'un texte ne résulte pas de la comparaison entre la loi nouvelle et la loi ancienne ;
- les requérants demandent enfin que la méthode suivie par le Gouvernement pour procéder à la délimitation des circonscriptions serve de base au découpage actuel. Les suivre conduirait non plus à constitutionnaliser les dispositions d'une loi antérieure mais une méthode de travail qui au demeurant ne comporte aucune hiérarchie ; tantôt la primauté est donnée à la démographie, tantôt c'est la référence au découpage de 1958, tantôt enfin la géographie prédomine. De tout cela, il n'est pas possible de tirer une règle absolue.
En conclusion, Monsieur LECOURT s'excuse d'être en désaccord avec Monsieur FABRE. Il propose que l'on s'écarte du projet de décision qui caricaturé revient à faire des exceptions la règle, à substituer à l'erreur manifeste d'appréciation la notion d'arbitraire "tout azimut" et à renverser la charge de la preuve. Il faut donc, selon lui, réécrire un projet de décision qui rappellerait le principe de la décision des 1er et 2 juillet 1986.
Monsieur le Président donne ensuite la parole à Monsieur SIMONNET.
Monsieur SIMONNET déclare qu'à partir de l'examen des circonscriptions département par département, il arrive aux mêmes conclusions que Monsieur LECOURT. Il se demande en effet ce que le Conseil constitutionnel peut avoir à dire sur un pareil sujet. En quoi peut-il intervenir dès lors que le principe d'égalité est respecté ? Enfin, en quoi consiste l'arbitraire ?
Prenant alors des exemples, Monsieur SIMONNET expose le cas des Ardennes et de Charleville-Mézières. Dans l'ancien découpage, Charleville et Mézière étaient répartis entre deux circonscriptions : les cantons Nord de chacune de ces villes étaient rattachés à une circonscription, les cantons Sud à une autre. Aujourd'hui, la coupure est maintenue, mais selon un axe Ouest-Est. En quoi est-ce arbitraire ? Pour l'Ariège, où il y a trois arrondissements et deux sièges, en 1958 on avait préféré découper l'arrondissement le plus peuplé, celui de Paniers ; en 1986, c'est le moins peuplé, celui de Saint-Girons, qui est découpé. En quoi est-ce arbitraire ? Pour la Haute-Garonne enfin où le nombre de députés passe de 6 à 8, Toulouse qui était réparti entre 6 circonscriptions, se trouve désormais réparti entre 7 circonscriptions. En quoi est-ce arbitraire ? En conclusion, l'intervenant estime qu'il n'y a pas lieu de se substituer au législateur et de refaire sa copie puisque l'égalité est respectée. Il a regardé tous les dossiers, aucun ne justifie une sanction. Ainsi, il ne voit pas comment le Conseil pourrait se prononcer, département par département, au nom. de la Constitution.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE, après avoir souligné l'extrême importance de ce débat, déclare qu'il a été frappé par les arguments développés par Monsieur LECOURT ainsi que par les observations du Gouvernement relatives au détournement de pouvoir allégué par les requérants. Il cite : "Un tel grief ne saurait être utilement invoqué devant le Conseil constitutionnel à l'encontre d'une loi. Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité prévu par l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel limite en effet son examen à la conformité à la Constitution des dispositions qui lui sont déférées, sans rechercher l'intention du législateur qui, en vertu de l'article 6 de la Déclaration 6e 1789, exprime "la volonté générale". Dès lors, on ne saurait taxer le législateur d'agir pour des motifs autres que ceux tirés de l'intérêt général.
"La recherche des motifs qui ont guidé le législateur confinerait d'ailleurs à un contrôle de l'opportunité de la loi que le Conseil constitutionnel se refuse à examiner (n° 84-179 DC du 12 septembre 1984). Le caractère inopérant du moyen tiré, à l'encontre d'une loi, d'un détournement de pouvoir qu'aurait commis le législateur explique que, maintes fois saisi d'un tel grief, le Conseil constitutionnel n'ait jamais estimé nécessaire d'y répondre. Une investigation de cet ordre serait d'autant moins concevable en l'espèce que la matière traitée -le régime électoral de l’Assemblée nationale- relève, selon la tradition républicaine, du domaine d'appréciation des assemblées". Monsieur JOZEAU-MARIGNE se demande donc comment le Conseil pourrait entrer dans le détail. Il interroge le rapporteur sur le point de savoir qui aura à faire la preuve des distorsions manifestes visées dans le projet de décision. Il considère, quant à lui, qu'il y a un principe, celui de l’égalité, et qu'il faut s'y tenir. Pour lui la loi c'est le Parlement, le Parlement a voté -à cet égard les ordonnances sont différentes de la loi- et il n'est pas possible de juger de l'arbitraire, alors que toutes les précautions ont été prises pour procéder à la délimitation des circonscriptions ? Donc, le Conseil ne peut juger de l'arbitraire du législateur.
Pour Monsieur VEDEL, le Conseil se trouve confronté à l’une des questions les plus difficiles qu'il ait eu à débattre. Il se trouve dans une situation existentielle où il doit prendre conscience que la question posée ne peut être réglée par la seule logique juridique. Monsieur LECOURT, dans son admirable démonstration, a dressé la liste de tous les obstacles qu'il fallait franchir. Son raisonnement n'a entraîné, même si sur un point, celui qui touche à la différence de contrôle entre la loi et les ordonnances, je ne peux le suivre : en effet, l'ordonnance n'est pas frappée d'une "capitis diminutio" et la Constitution s'impose aussi bien au législateur qu'au Gouvernement. Mais d'autre part, tout juge est ainsi fait qu'il ne prend pas l'allure du géomètre : le résultat, qu'il croit bon, influence son raisonnement. Il lui faut donc parfois batailler à front renversé, aller à bâbord ou à tribord sur cette balancelle selon qu'il croit la loi bonne ou mauvaise. Soit le Parlement est souverain et alors que fait le Conseil constitutionnel ? Soit le Parlement doit se conformer à la Constitution et, dans ce cas, le contrôle ou Conseil constitutionnel intervient. Ce qu'il faut considérer dans la démarche du juge, spécialement lorsque c'est un jeune juge, c'est qu'il est amené, lorsqu'il s'agit des limites de son contrôle, à les définir et à les forger dans une perspective jurisprudentielle dans laquelle les besoins du contrôle servent à la définition de ses limites. C'est le cas pour le contrôle de l'arbitraire. S'agissant du principe d'égalit par exemple, au nom de quoi une différence est-elle justifiée ? Seule les discriminations interdites par la Constitution peuvent être contrôlées. Mais dans le cas d’une discrimination non prévue par la Constitution, que peut faire le juge ? A titre d'exemple, Monsieur VEDEL cite le cas d'une discrimination frappant les chauves. Se référant à l'erreur manifeste d'appréciation, le juge dit que la discrimination est arbitraire : cela veut dire que le Conseil n'est pas d'accord et qu'il pense que la matière mérite d'être contrôlée. Avec l'erreur manifeste, on se trouve dans les zones où il y a de larges libertés d'appréciation pour le législateur, c'est le cas, par exemple, du domaine pénal.
Mais, même dans ces domaines, il y a un moment où le juge estime qu'il faut s’arrêter -par exemple en se référant au principe de la nécessité des peines- et, dès lors qu'il se réfère à l'erreur manifeste, il n'exprime pas une idée, nais la manière dont il conçoit son contrôle. Ainsi, l'observateur et l'objet ne peuvent être séparés ou alors, si l'on s'attache à connaître l'objet, on renonce à l'observateur.
Monsieur VEDEL fait ensuite part au Conseil des conclusions de la démarche qu'il a faite en partant soit du général comme Monsieur LECOURT, soit du particulier, comme Monsieur SIMONNET. Au terme de cet examen, son intuition, à l'état de nébuleuse jusqu'au moment où les propos de Monsieur LECOURT l'ont rendue très nette, est qu'il y a une attache constitutionnelle très forte en ce qui concerne la démographie, c'est le principe de l'égalité. Par contre, s'agissant du Gerry-mandering, de l'art d'accommoder les circonscriptions, le rattachement aux textes constitutionnels est plus difficile et il est délicat de le censurer, dès lors qu'il n’a pas pour effet de porter atteinte à l'égalité de suffrage.
Pour condamner le Gerry-mandering sur le plan constitutionnel, il faudrait admettre le droit des groupements politiques et des partis à être représentés. On peut à cet égard s'étonner que personne n'ait dit qu'il était scandaleux de faire disparaître, avec le rétablissement du scrutin majoritaire, le Front national. Mais cette reconnaissance du croit des partis à être représentés entraînerait la constitutionnalisation de la représentation proportionnelle. L'exemple des grandes démocraties que sont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne prouve le contraire. Monsieur VEDEL fait part de la difficulté qu'il a rencontrée à essayer de construire la théorie juridique du g=Gerry-mandering. Quelles notions peuvent en effet servir à la fonder ? L’idée d'égalité, en ce sens où l'égalité serait vidée de son contenu dès lors qu'un individu serait intentionnellement placé dans une situation telle que son vote ne servirait à rien. L'intervenant cite, pour s'amuser, son propre cas où il a voté pendant de longues années dans la circonscription parisienne du Vllème arrondissement de Paris qui élisait toujours Monsieur FREDERIC-DUPONT ! Il pense que cette voie est difficile à utiliser. Alors il expose la solution à laquelle il est parvenu. On ne peut évacuer la notion selon laquelle il n'y aurait pas de grief d'arbitraire possible, étant entendu qu'en retenant ce grief on ne doit pas être conduit à demander au législateur de se justifier et que ne sauraient être censurées que des situations où il y a manifestement artifice.
En conclusion, Monsieur VEDEL propose, sans renoncer à l'idée que l'arbitraire n'est pas permis, de revoir dans son principe le projet du rapporteur -qui est adaptable- et de voir finalement, après examen des circonscriptions, à quel résultat on arriverait. En l'absence de dossiers douteux, le débat sera simplifié. Par contre, et si l'on découvre ce mauvais dossiers, il conviendra alors de trouver une norme.
Monsieur MAYER, se référant à la conclusion ce Monsieur VEDEL pense qu'elle ouvre la voie à une méthode de travail. Il reproche par ailleurs à la saisine d'avoir critiqué trop de départements, ce qui conduit à noyer ce qui est flagrant. En fait, c'est en procédant à l'examen des dossiers que pourront surgir les cas manifestement arbitraires.
Monsieur JOXE déclare être dans le même état d'esprit que Messieurs VEDEL et MAYER et qu'il est d'accord pour examiner les différents dossiers.
Monsieur FABRE se rallie à la proposition de Monsieur VEDEL. Il indique au Conseil qu'il a déjà opéré un premier tri, ce qui l'a conduit à écarter environ la moitié des départements critiqués.
Monsieur le Président regrette, à cet instant, le secret des délibérés du Conseil, car la qualité des propos échangés permettrait de mesurer l'effort, la finesse et la rigueur des raisonnements. Il pense qu'un délibéré en direct devant la télévision ferait beaucoup gagner au Conseil.
Reprenant l'exposé de Monsieur LECOURT, Monsieur le Président note que, selon lui, la démographie est essentielle et qu'il n'est pas utile d'aller plus avant dès lors que le principe d'égalité est respecté. Sans rappeler le détail de l'argumentation précédemment développée, il pense que, si la jurisprudence du Conseil d'Etat ne doit pas inspirer le Conseil constitutionnel, ce dernier doit cependant tenir compte des normes qu'il a. posées au Conseil d'Etat dans sa décision des 1er et 2 juillet 1986 et au non desquelles figuraient certes l'élément démographique, mais aussi l'absence d'arbitraire. S'agissant de l'argumentation développée par Monsieur VEDEL, il pense comme lui que le Conseil ne peut pas baisser les bras et laisser faire n'importe quoi. En ce qui concerne la Cour suprême des Etats-Unis, il est sur que les préoccupations sont différentes de celles du Conseil ; il n'en reste pas moins vrai qu'il est intéressant de noter que cette cour est passée du contrôle de l'égalité théorique au contrôle de l'égalité réelle et ce, à la suite d'un Gerry-mandering exagéré (Monsieur le Président illustre son propos en présentant au Conseil une circonscription américaine caractéristique du Gerry-mandering) .
La question se pose donc du choix que va devoir faire le Conseil : soit il ferme le dossier en s'arrêtant à l'égalité démographique, avec comme conséquence qu'aucune barrière -sauf l'égalité démographique- ne serait posée au législateur futur avec les risques que cela comporte, soit le Conseil s'engage dans la voie du contrôle des circonscriptions mais, alors, il faut être prudent et contrôler avec "tact et mesure".
D'un côté, le risque d'arbitraire d'une majorité ; de l'autre, la capacité du Conseil à trop entrer dans le détail. Ainsi, et dans la perspective d'une alternance politique constante, il faut être prudent.
Monsieur le Président estime qu'il y va de l'intérêt du Conseil d’aller plus avant en examinant les cas litigieux. Pour cet examen, où la question de la preuve est importante, il appartient aux requérants de dénoncer, au Gouvernement de répondre et au Conseil constitutionnel de juger de l'artifice. A la fin de l'examen, il faudra faire le point et voir quelles motivations retenir.
Cette motion d'ordre est approuvée par le Conseil .
La séance est levée à 13 h 15.
Deuxième séance du lundi 17 novembre 1986
La séance est ouverte à 14h30.
</descMonsieur le Président donne la parole au rapporteur.
Monsieur Fabre indique qu'il n'a pas retenu tous les départements. Il se déclare bien entendu prêt à examiner tout département qu'il aurait écarté, si l'un des conseillers le désirait. Il présente quelques observations préliminaires :
- le Gouvernement n'a jamais mis en avant qu'il n'avait pas à se justifier ; il a présenté des arguments en réponse aux critiques des requérants ;
- le Pas-de-Calais a été ajouté aux départements visés par la requête des députés socialistes : ce département a fait notamment l'objet de critiques de la part des députés communistes. Ces critiques ont été adressées au Conseil par Monsieur LAJOINIE, Président du groupe communiste à l'assemblée nationale ;
- finalement, l'examen a porté sur la délimitation des circonscriptions de 48 départements ;
- d'une manière générale, l'équilibre démographique est respecté, même si, dans certains cas, il n'y a pas amélioration des écarts entre les circonscriptions ; à cet égard, la Commission des Six a invité le Gouvernement à mieux respecter la fourchette des + ou - 20 % et, finalement, il n'y a que 32 cas où l'écart est compris entre 15 % et 20 % ;
- s'agissant enfin d'un contrôle restreint, un certain nombre de départements n'ont pas été retenus même si ces départements -ce dont il faudra tenir compte dans l'appréciation générale- ne sont pas
"blancs-blancs" ; il s'agit des départements suivants : Ain, Bouches-du-Rhône, Charente, Cher, Creuse, Eure, Eure-et-Loir, Finistère, Hérault, Ille-et-Vilaine, Indre-et-Loire, Landes, Loiret, Lot-et-Garonne, Maine-et-Loire, Nièvre, Nord, Oise, Rhône, Sarthe, Somme, Tarn, Var, Vendée, Essonne et Seine-Saint-Denis.
Personne ne demandant à intervenir sur l'un de ces 26 départements, Monsieur le Président invite Monsieur FABRE à exposer le premier dossier.
1. ALPES DE HAUTE PROVENCE
Monsieur FABRE indique tout d'abord qu'il est important de souligner les cas dans lesquels le nombre de députés est inchangé car, dès lors, les changements sont moins justifiés.
S'agissant des Alpes de Haute Provence où le nombre de députés est inchangé (2 députés) et où, de plus, la régie des deux députés par département favorise la surreprésentation, il y a eu un grand bouleversement et pas d'amélioration de l’équilibre démographique. Barcelonnette et Manosque se trouvent dans la même circonscription, les cantons de l'Est sont très éloignés de ceux de l'Ouest et les problèmes de liaison, gui se font selon un axe Nord-Sud, sont compliqués par le découpage orienté selon un axe Est-Ouest.
L'explication donnée par le Gouvernement est la volonté de délimiter les deux circonscriptions par le cours de la Durance. Seulement, le rapporteur indique que cette logique n'a pas été suivie jusqu'au bout comme en témoignent les cantons de Volonne et de Peyruis.
Monsieur LECOURT indique que les Alpes de Haute Provence est le cas type qu'il voulait mettre en avant et où le Conseil doit se méfier de tout, y compris des cartes. En effet, Barcelonnette, au Nord, pour correspondre avec Digne, au Sud, doit nécessairement passer par la Durance, donc empiéter sur la deuxième circonscription, pour ensuite rejoindre Digne par un crochet. En effet, entre Barcelonnette et Digne, il n'y a pas un accès libre en toute saison, la route étant enneigée près de six mois sur douze. Il y a donc là un problème qui n'est pas un faux problème. Cela montre qu'il faut se méfier des cartes qui conduiraient à censurer pour arbitraire un découpage qui s'avère rationnel au plan local. De plus, on est ici en présence, avec le transfert du canton de Peyruis, d'une modification demandée par la Commission des Six et le Conseil d'Etat. On ne saurait conclure à l'arbitraire dès qu'il y a eu modifications à la suite des recommandations, soit des Six, soit eu Conseil d'Etat, soit avis favorable de leur part.
Monsieur FABRE estime qu'il ne faut pas coller à la lettre des avis émis par les Six ou le Conseil d'Etat. De plus, il reconnaît que, s'il est difficile de se rendre de Barcelonnette à Digne, compte tenu notamment du passage du col d’Allos, il faut aujourd'hui descendre jusqu'à Manosque. Enfin, aucune amélioration n'est apportée quant à l'équilibre démographique. Est-ce justifié ?
Pour Monsieur SIMONNET, qui s'est marié à Mirabeau, le découpage de 1958 a été fait dans la hâte et la précipitation : il était absurde. Le découpage de 1986 est excellent. Tant sur le plan géographique que d'un point de vue administratif. Il note que le découpage de 1958 coupait les deux principaux arrondissements, ceux de Digne et Forcalquier, alors que celui de 1986 s’organise autour d'eux. En 1958 c'était un cauchemar, en 1986, le découpage est conforme à la réalité.
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Monsieur MAYER s'interroge sur la valeur de la méthode de travail retenue. Il note qu'au delà des distances qui séparent Barcelonnette et Manosque, il y a aussi des mentalités différentes. Il considère qu’en maintenant les cantons de Volonne et de Peyruis avec Forcalquier, il n'aurait pas fallu aller chercher dans l'Ubaye la population nécessaire pour équilibrer les circonscriptions. Enfin, n’est-on pas frappé de la comparaison avec le département voisin des Hautes-Alpes où l'ancien découpage a été maintenu.
Monsieur SIMONNET réplique que le découpage des Hautes-Alpes en 1958 avait été bien fait et qu'il n'y avait pas lieu de le modifier.
Monsieur MAYER pense qu'il aurait fallu n'écarter aucun département et examiner les 48 départements pour pouvoir tenir compte de l'ensemble au moment du bilan.
Monsieur VEDEL, citant le poète "Vers Barcelone tendrement Barcelonnette se tourne", note qu'il y a bien des manières de juger des pôles d'attraction. Il déclare ensuite que jamais il ne dira qu'un découpage est arbitraire quand l'un au moins des deux organismes qui ont examiné les ordonnances a donné un avis favorable. Il penche donc plutôt pour examiner les cas où, ni les Six, ni le Conseil d'Etat n'ont été favorables. En effet il ne se reconnaît pas le droit d'aller dire que c'est manifestement erroné alors que quelqu'un y a cru.
Monsieur FABRE indique qu'il n'y a qu'un seul département qui ait fait l'objet d'un double avis défavorable, c'est le Val-de-Marne.
Monsieur le Président note que les Six ont eu une préoccupation essentiellement, pour ne pas dire uniquement, démographique et que le Conseil d'Etat à émis finalement un avis défavorable à l'encontre de 13 départements. Même si le conseil n'est pas lié par ces avis, ces avis existent et il y a donc un problème..
Monsieur JOZEAU-MARIGNE intervient alors pour déclarer que le Conseil s'écarte de ce qui avait été arrêté à la fin de la séance du matin. Le Conseil s'était rallié à une méthode permettant d'aller plus loin à condition que le législateur n'ait pas à se justifier et que la délimitation soit manifestement arbitraire et intolérable. Comment le Conseil pourrait trouver des griefs manifestes et intolérables là où les Six et le Conseil d'Etat ont donné un avis favorable. Il estime qu'en procédant à un examen de détail, comme cela vient d'être fait, le Conseil sort de son rôle.
Monsieur le Président affirme qu'il faut s'en tenir à ce qui est manifeste mais que le Conseil ne peut cependant pas déléguer sa responsabilité à d'autres organes.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE dit qu'il ne s'agit pas de délégation.
Monsieur FABRE souligne que, d'une part, les observations les Six ont précédé les avis du Conseil d'Etat et que, d'autre part, les préoccupations des uns et des autres n'étaient pas les mêmes. Aussi leurs avis ne sont pas à mettre au même niveau.
Monsieur VEDEL observe que le Conseil d'Etat, lorsqu'il a été consulté, a recherché si ce qui était proposé était ce qu'il y avait de mieux ou si l’on pouvait faire mieux encore. S'agissant du Conseil constitutionnel, il lui incombe seulement de dire si ce qui est proposé est mauvais. Il ne doit pas dire, "vous pouvez mieux faire" mais seulement "c'est ou non contraire à la Constitution". Cependant il pense que les avis négatifs du Conseil c'Etat peuvent servir de base à l'examen des dossiers.
Monsieur le Président pense que les avis du Conseil d'Etat sont des indices et qu'il appartient au Conseil de dire s'il y a artifice manifeste.
Monsieur FABRE indique que les dossiers suivants, les Ardennes et l'Ariège ont fait l'objet d'un avis défavorable du Conseil d'Etat.
2. ARDENNES
Monsieur FABRE expose que, dans ce département où le nombre de députés est inchangé (3), l'ancienne délimitation assurait un équilibre démographique satisfaisant. Or, la division de
Charleville-Mézières qui s'opérait avant selon le cours de la Meuse et une voie ferrée, a été modifiée et les nouvelles limites sont complexes. La délimitation proposée â la Commission des Six entraînant de forts écarts démographiques, cette dernière a suggéré, pour y remédier, le transfert du canton de Signy-le-Petit. Le Gouvernement fonde la nouvelle délimitation sur le devenir géographique des circonscriptions en cause, argument avancé ici mais non repris ailleurs alors qu'il serait justifié. Le cas des Ardennes, qui a reçu un avis défavorable du Conseil d'Etat, entre dans la catégorie ces départements où il n'y a pas d'explications plausibles à la nouvelle délimitation.
Messieurs VEDEL et JOZEAU-MARIGNE demandent, le premier, de quel Signy il s'agit, de Signy-le-Petit ou de Signy l'Abbaye, et, le second, l'importance du canton de Signy-le-Petit.
Monsieur SIMONNET indique que la Meuse, comme la Seine en certains endroits, dessine des méandres avec des parties non urbanisées selon lui, il n'y a aucun arbitraire à rattacher de telles portions de territoire à une circonscription de la rive opposée.
Monsieur MAYER se demande pourquoi il y a eu changement alors que la situation antérieure permettait d'aboutir au même résultat.
Monsieur SIMONNET indique que le changement s'imposait dans la mesure où il fallait mettre ensemble des cantons en déclin et des cantons en expansion.
Monsieur FABRE souligne l'incohérence dans l'application des critères que le Gouvernement s'est fixé et qui sont utilisés alternativement comme le dit la requête "pour la bonne cause". Il se demande par ailleurs si l'on doit tenir compte de l'évolution démographique future.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE estime que la prise en compte de l'évolution démographique résulte de la décision du Conseil des 1er et 2 juillet 1986.
Monsieur FABRE indique à Monsieur JOZEAU-MARIGNE que le canton de Signy-le-Petit comprend 3 776 habitants et que sa demande de transfert par les Six illustre parfaitement la démarche essentiellement démographique de cette commission qui ne s'est pas interrogée sur la nécessité d'une remise en cause de l'ancienne délimitation.
Monsieur MAYER s'étonne que ce découpage, même après modification, n'ait pas reçu l'avis favorable du Conseil d'Etat dont on connaît pourtant la sagesse. Il se demande ce que peut cacher cet avis défavorable.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE insiste pour que le Conseil ne sorte pas de son rôle.
Monsieur le Secrétaire général indique que, selon le rapporteur-adjoint, l'arbitraire dénoncé par le Conseil d'Etat réside dans le fait que le nouveau découpage de Charleville-Mézières aboutit à briser l'unité de chacune des composantes de l'agglomération et qu'il heurte des réalités naturelles : cours de la lieuse. De plus, il fait naître un écart démographique qu'il est nécessaire de compenser.
Monsieur SIMONNET note que Charleville et Mézière ont toujours été découpées et que la nouvelle délimitation ne fait que changer l'orientation du découpage.
Monsieur MAYER note que l'arbitraire consiste à appliquer un principe dans un cas et un autre principe dans un autre cas pourtant identique au premier.
Monsieur LECOURT insiste pour que l'on s'en tienne au seul principe retenu, à savoir l'égalité démographique.
Monsieur le Président note que si l'on suit Monsieur LECOURT, l'examen des dossiers n'a plus à être poursuivi.
Monsieur VEDEL déclare s'être mis dans l'état d'âme le plus bête et que l'erreur manifeste ne lui avait pas sauté aux yeux. Sans doute les intentions ne sont pas pures, mais le Conseil n'est pas là pour canoniser l'auteur du découpage, mais seulement pour constater qu'il ne mérite pas la prison. En ouvrant ce dossier, il s'attendait au pire, or le dossier n'est pas mauvais.
Monsieur FABRE observe que si l'on doit s'en tenir au strict respect de la fourchette des + ou - 20 % le débat est vain, puisque sa démonstration s'appuie d'une part sur la différence d'application des critères et la non nécessité de bouleverser ce qui peut être maintenu dans l'ancienne délimitation. Dans ce cas, le Conseil n'a pas à poursuivre cet examen département par département.
Monsieur le Président souhaite que l'examen se poursuive avec le cas de l'Ariège.
3. ARIEGE
Monsieur FABRE note que le nombre de députés est inchangé (2). L'ancien découpage correspondait aux réalités géographiques et la très légère amélioration démographique aurait été obtenue et même renforcée par le seul transfert eu canton de la Bastide-de-Sérou. Il aurait donc été possible de faire autrement et de ne pas faire une circonscription de plaine et une circonscription de montagne, dont chacun sait qu'elle est par nature, plus conservatrice. Aucune motivation enfin ne vient rendre compte des changements.
Monsieur SIMONNET pense que cette délimitation s’inspire de la volonté de respecter les arrondissements. Ainsi c'est désormais non l'arrondissement le plus important, celui de Paniers, mais le plus petit, celui de St-Girons qui est partagé entre les deux circonscriptions. Le transfert du canton de la Bastide-de-Sérou aurait été contraire à la tradition administrative. Enfin la contrainte des communications ne peut pas être opposée à ce découpage compte tenu de l'évolution du réseau routier.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE pense qu'il ne peut y avoir d’arbitraire dans un département qui a toujours voté à gauche et qui n’a eu un député de droite que grâce au scrutin proportionnel.
Monsieur MAYER pense que le rattachement de Castillon pose un problème.
Monsieur FABRE souligne que la remarque de Monsieur JOZEAU-MARIGNE contribue à accroître le sentiment d’arbitraire. Il s'interroge par ailleurs sur l'argumentation de Monsieur SIMONNET fondée sur le respect des arrondissements. Enfin, la connaissance qu'il a de ce département où il s'est marié et où il garde des attaches familiales, lui permet de dire que si toute la montagne est dans le même secteur c'est parce qu'elle vote conservateur. Par ailleurs, ajoute-t-il en s'amusant, les circulations ne sont pas si faciles que le dit Monsieur SIMONNET qui ignore sans doute qu'en passant devant le restaurant "Les Charmilles" tous les habitués regardent si le col du Périgueux est ouvert ou non à la circulation.
Suit une conversation "mi-figue, mi-raisin" sur les mérites gastronomiques du département à laquelle participent Messieurs FABRE, MAYER et SIMONNET.
Monsieur le Président interroge Monsieur FABRE sur ses sentiments à l'égard du découpage de l'Ariège.
Monsieur FABRE répond que l'anomalie de la nouvelle délimitation n'est pas justifiée.
Monsieur SIMONNET, en réplique à Monsieur FABRE, insiste sur l'importance de l'arrondissement dans la vie de province, circonscription a laquelle les administrés sont très attachés.
4. CALVADOS
Monsieur FABRE déclare que le détachement d'Ouistreham, avant port de Caen, de cette dernière ville, n'est pas justifié dans la mesure où une autre solution, plus respectueuse des entités géographiques, était possible .
Monsieur JOZEAU-MARIGNE indique que, dans ce département qu'il connaît bien, la question n'était pas de savoir si Ouistreham devait être maintenu avec Caen. La question se posait de son rattachement à Bayeux ou à Deauville. En effet, en passant de 5 à 6 députés et pour tenir compte des équilibres démographiques, la solution retenue était la seule possible : elle consiste à séparer la population urbaine de Caen, qui forme deux circonscriptions, de la population rurale répartie entre les quatre autres circonscriptions. Donc le problème n’est pas le détachement de Ouistreham, ni non plus celui du canton de Bourguébus qui a été demandé par la Commission des Six.
Monsieur SIMONNET note que le Conseil d'Etat a émis un avis favorable.
5. CHARENTE-MARITIME
Monsieur FABRE regrette que Monsieur MARCILHACY, même si cette position l'honore, n'ait pas voulu faire connaître son avis. L'objet essentiel de la critique porte sur la partition de Royan, sans autre justification avancée par le Gouvernement que cette partition répond à la nécessité de délimiter les circonscriptions autour de pôle d'attraction. On est tenté, comme le font les requérants, d'avancer que des arrières pensées politiques ont ici prévalu.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE, dont un oncle était
sénateur-maire de Saintes, note que, dans ce département, la partition de Royan était commandée par la nécessité d'équilibrer démographiquement les circonscriptions. En laissant la ville de Royan en entier dans la quatrième circonscription, il aurait été impossible de faire une cinquième circonscription.
Monsieur MAYER demande à Monsieur JOZEAU-MARIGNE si ce découpage ne répond pas à des préoccupations tendant à favoriser Messieurs de LIPKOWSKI et BUSSEREAU et si, dans le même temps, la réunion de Saintes et de St-Jean d'Angely dans la même circonscription ne tend pas à gêner les élus socialistes.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE pense que tout découpage doit respecter la règle de l'égalité démographique ce qui n'exclut pas d'essayer de favoriser la réélection des députés sortants.
Monsieur SIMONNET indique que seule la ville de Royan pouvait servir de pôle d'attraction.
Monsieur FABRE souligne l'avis défavorable du Conseil d'Etat.
Monsieur le Président s'interroge, quant à lui, sur la force d'attraction d'une ville comme Royan, qui avec ses 18 500 habitants représente, pour les quatrième et cinquième circonscriptions, un pôle de 9 452 habitants.
C. COTES DU NORD
Monsieur FABRE note que le nombre de députés est inchangé (5). Les requérants font grief à la délimitation nouvelle d'avoir bouleversé l'ensemble de la carte électorale alors que seule une compensation devait être opérée de la première vers les troisième et quatrième circonscriptions. Ce changement qui d'emblée saute aux yeux n'est pas justifié et de plus une autre solution, plus économe et aussi bonne démographiquement, aurait pu être retenue.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE, dont l'épouse est originaire de St-Brieuc et qui va très souvent dans cette région où il a une propriété, note que si l'on reste à 5 députés, le poids démographique de St-Brieuc rend compte du découpage. Les cinq circonscriptions étant équilibrées autour des villes les plus importantes, il n'y a rien à redire. La référence aux cartes, ajoute-t-il, est mauvaise. En effet, en ce qui concerne Châtelaudren, dont son grand-père était maire, son rattachement à
St-Brieuc est naturel, alors que son rattachement à Guingamp ne l'était pas : d'un côté il y a le pays gallo, de l'autre le pays Mao séparés par une rivière, le Mississipi.
Monsieur SIMONNET souligne qu'il y a toujours eu dans ce département la répartition entre pays de la mer et pays de l'intérieur
Monsieur FABRE observe que le Conseil d'Etat n'a pas trouvé dans les arguments champêtres qui viennent d'être avancés de justifications adéquates, d'où son avis défavorable. En conclusion, cette délimitation nouvelle lui paraît difficile à expliquer.
Monsieur le Secrétaire général précise que, selon le rapporteur-adjoint, cet avis négatif du Conseil d'Etat condamne l'absence d'économie de moyens. Il suffisait de changer moins pour arriver au même résultat.
Pour Monsieur VEDEL, c'est en fait le problème que se posent les Touaregs lorsqu'il faut changer de pâturages.
7. DOUBS
Monsieur FABRE expose que la nouvelle délimitation conduit à séparer Sochaux de Montbéliard sans apporter d'amélioration démographique. Sochaux et Montbéliard forment une entité. Leur partition permet de détacher les quartiers populaires de la ville pour les rattacher à des cantons ruraux. C'est sans doute cela qui a entraîné l'avis défavorable du Conseil d'Etat.
Monsieur le Président note, pour s'être intéressé à le géographie électorale du Doubs alors qu'il était universitaire à Besançon, que cette séparation étonne.
Monsieur SIMONNET souligne que le nombre de députés est passé de 3 à 5 et que, de surcroît, il est difficile d'équilibrer des circonscriptions lorsque l'on est en présence de villes importantes entourées de cantons très peuplés. Aussi de même que Besançon a été coupée, Montbéliard et Sochaux ont été séparées pour former, chacune le pôle d'attraction d'une circonscription.
Monsieur MAYER se demande si cette opération n'a pas pour but de couper la vivacité de la classe ouvrière.
Monsieur SIMONNET répond que chez Peugeot, la classe ouvrière est calme.
Monsieur MAYER dit qu'elle est raisonnable, mais que lorsque cela va mal, elle est présente.
Monsieur VEDEL ne connaît Sochaux que par la mobylette qu’il possède et Monsieur JOZEAU-MARIGNE ignore tout du département du Doubs où il n'a pas de famille.
Monsieur le Président fait alors le point : il note que Monsieur SIMONNET est très documenté, que Monsieur FABRE est bien documenté, que Monsieur JOZEAU-MARIGNE connaît très bien un certain nombre de départements, que Monsieur VEDEL intervient peu, que Messieurs LECOURT et JOXE sont silencieux et enfin que Monsieur MAYER fait des remarques pertinentes. Il se demande si le Conseil constitutionnel, avec la hauteur de jugement qui doit être la sienne, peut se livrer à ce type de contrôle et s'il peut le faire avec efficacité.
Monsieur LECOURT fait remarquer que, compte tenu de cette situation, il a proposé une solution.
Monsieur VEDEL indique que son silence est dû au fait que jusqu'ici il n'a rien vu de disproportionné et que rien ne l’a indigné. Il ajoute que, de toutes les façons, les français voteront comme ils l'entendent.
A la suite d'un débat où interviennent Monsieur le Président, Messieurs LECOURT, FABRE, VEDEL, MAYER et SIMONNET, le Conseil décide de poursuivre l'examen des départements en séance de nuit.
Monsieur le Président remercie Monsieur MAYER d'accepter de siéger de nuit. Le Conseil s'oppose à la proposition faite par Monsieur SIMONNET de faire examiner, d'ici la séance du soir, les départements restant par une commission qui opérerait un tri.
Monsieur FABRE appelle l'attention du Conseil sur l'intérêt qu'il y aurait a dégager une solution.
La séance est levée à 16 h 30.
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TROISIEME SEANCE DU LUNDI 17 NOVEMBRE 1986
La séance est ouverte à 21 heures.
Monsieur le Président donne la parole à Monsieur FABRE.
Monsieur FABRE observe qu'au cours de l'après-midi le Conseil n'a examine que 7 départements. Si cet examen se prolonge, quel temps restera-t-il pour trouver une solution ? Peut-être conviendrait-il d'accélérer l'examen en ne retenant que les cas les plus significatifs.
Monsieur le Président interroge le Conseil sur cette motion d'ordre qui limiterait l'examen à 6 dossiers.
Monsieur MAYER pense que le rapporteur aurait peut-être satisfaction en commençant par le cas du Val-de-Marne qui a fait l'objet d'un double avis défavorable.
8. VAL-DE-MARNE
Monsieur FABRE rappelle qu'il s'agit d'un département très peuplé (1 193 655 habitants) dont le nombre de députés est passé de 8 à 12. Il fallait trouver des solutions qui certes n'étaient pas faciles nais, finalement, ce découpage reçoit un double avis défavorable. Plusieurs critiques, et c'est ce cumul qui est important, peuvent lui être faites. L'équilibre démographique qui va de - 14 % à + 18 % n'est pas bon ; plusieurs villes se voient réparties entre plusieurs circonscriptions (Créteil, Vitry, Saint-Maur, Champigny), enfin, le découpage ne tient pas compte du cours de la Marne. En réponse, le Gouvernement fait valoir qu'il faut respecter la démographie et que le traitement est semblable à ce qui a été fait ailleurs, comme par exemple à Laval en Mayenne. Ces réponses n'emportent pas la conviction.
Monsieur SIMONNET souligne qu'à la suite du premier avis défavorable de la Commission des Six, deux de ses trois observations ont été suivies par le Gouvernement et que, dans son deuxième avis, les Six n'ont pas émis d'avis contre ce découpage.
Monsieur le Président fait observer que les Six ne pouvaient le faire, car le Val-de-Marne n'a pas été soumis aux Six lors du deuxième examen.
Monsieur SIMONNET indique que dans ce département où il y a 49 cantons et 47 communes, il était nécessaire de découper les communes dès lors qu'il fallait respecter les limites cantonales. D'ailleurs, les communes découpées sont des communes immenses et, si d'autres solutions étaient possibles, comme le prétendent les requérants, personne ne les a exposées...
Monsieur FABRE ne met pas tant en cause le découpage des communes que la rupture de l'unité de communes sans tenir compte de la Marne comme cela a été fait à Saint-Maur. Cet éclatement communal n'a-t-il pas des conséquences politiques pour un maire qui voit ainsi sa commune répartie entre plusieurs circonscriptions ?
Monsieur SIMONNET note que, dans le Rhône, il arrive qu'une circonscription chevauche le fleuve et personne n'a contesté cette délimitation.
<>Monsieur FABRE insiste sur le caractère global de la critique qui porte, non sur un point précis, mais sur l'accumulation de distorsions, de telle sorte que le découpage paraît bel et bien factice.
Monsieur SIMONNET demande ce qui a motivé l'avis défavorable du Conseil d'Etat. Il pose la même question en ce qui concerne la Drôme.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE se demande où est l'erreur manifeste dans un département où l'on passe de 8 à 12 députés. Aucune preuve n'est avancée. Aucune proposition n'est avancée. En réalité, le Val-de-Marne est une cité continue dont toutes les villes sont coupées par la Marne. Il n'est pas possible de trouver, dans ce découpage, une attitude intolérable.
Monsieur le Président fait observer que les députés communistes ont fait une proposition mais qu'on ne peut s'y référer, dès lors qu'il leur est impossible de saisir valablement le Conseil constitutionnel.
Monsieur SIMONNET fait observer que les limites administratives ont été le plus possible respectées.
Monsieur FABRE souligne que l'équilibre démographique n'est pas bon. De plus, alors que le Conseil ne l'a pas demandé ailleurs, il ne croit pas possible d'exiger que les requérants présentent des solutions de remplacement.
Monsieur SIMONNET estime alors qu'ils n'avaient pas à écrire que la preuve avait été faite, que d'autres solutions étaient possibles : la preuve n'est pas faite.
Monsieur VEDEL déclare qu'en l'espèce le rapport
"qualité-prix" n'est pas bon. Il admet que l'unité de Champigny aurait pu être conservée, quitte à lui adjoindre Brie-sur-Marne, mais cela aurait conduit à modifier, par voie de conséquence, d'autres circonscriptions. De plus, la critique se serait transformée : pourquoi avoir conservé l'unité de Champigny et non celle de Créteil ? Ce qui est certain, c'est que ce découpage dévoile des intentions qui visent Messieurs NUNGESSER et GIRAUD, nais non l'opposition.
Monsieur le Président souligne qu'il y a deux lectures possibles du découpage : l'objective et celle du terrain avec ses conséquences électorales. Il note que devant le Conseil, d'où rien ne transpire, il est donc possible de tout dire, puisque rien ne sera répété.
Monsieur VEDEL ajoute qu'il y a des cas où le
Gerry-mandering peut jouer contre l'opposition. Ce n'est pas le cas en l'espèce. Il ne joue pas non plus en faveur de la majorité, mais seulement en faveur de certains de ses membres.
Monsieur MAYER demande de ne pas mettre en cause ceux qui sont tranquilles pour neuf ans :
Monsieur FABRE réitère sa conviction d'être face à une délimitation artificielle.
9. VAL-D'OISE
A la demande du Président, Monsieur FABRE expose le cas du
Val-d'Oise. Les critiques portent sur le dédoublement de Pontoise et de Sarcelles, ainsi que sur le rattachement de Saint-Ouen l'Aumône à Cergy. De plus, il n'a pas été tenu compte de l'évolution démographique depuis 1982 alors que la ville nouvelle a augmenté de 21 000 habitants. A l'Est du département, la division de Sarcelles est critiquée de même que la délimitation de la sixième circonscription dont les formes torturées ne peuvent qu'étonner.
En conclusion, les choix retenus conduisent à des circonscriptions hétérogènes, sans que rien vienne justifier ces choix.
Monsieur SIMONNET observe qu'il y a eu, dans ce cas, un double avis favorable.
en s'étonnant car il tracé des
certain. Il se demande pourrait être confirmé
Monsieur le Président l'observe également tout en s'étonnant car il lui semble que l'évolution démographique et le tracé des circonscriptions aboutissent à un déséquilibre certain. Il se demande si le sentiment qui se dégage à cet instant ne pourrait être confirmé par l'examen du territoire de Belfort.
10. TERRITOIRE DE BELFORT
Monsieur FABRE indique que, si le Conseil d'Etat a donné finalement un avis favorable, l'avis du rapporteur est très défavorable. A la traditionnelle séparation Belfort ville, Belfort Campagne, le Gouvernement, en faisant de la prospective démographique, a préféré un découpage divisant Belfort selon un axe Nord-Sud. En 1958, le découpage était conforme aux traditions et aux habitudes, le nouveau découpage rompt avec le passé sans améliorer sensiblement l'écart démographique qui a été, initialement, de 13,2 %. Le rapporteur se refuse à voir ce qui rend compte de ce découpage sur le terrain. Il note que la commune de Delle n'a pas été retenue au Sud comme pôle d'attraction et estime que, si cette délimitation n'est pas arbitraire, elle est tout à fait artificielle.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE souligne que ce découpage a reçu un avis favorable des Six et du Conseil d'Etat.
Monsieur le Président observe que la coupure de Belfort en deux trouve une explication politique. Sinon on ne comprend pas pourquoi un usage remontant à 1870 aurait été modifié. S'il l'a été, ce n'est sans doute pas sans lien avec les personnalités que sont Messieurs CHEVENEMENT et FORNI.
Monsieur VEDEL pense que, lorsqu'il y a une division ville-campagne, il comprend l'effet recherché par les auteurs d'un découpage. Mais, lorsque les ciseaux passent au milieu d'une ville, il ne voit pas quel est l'effet qui peut être recherché. l
Monsieur FABRE souligne que le maire d'une grande ville a un impact important lors des élections. Dès lors qu'il voit sa ville répartie entre deux circonscriptions, les choses ne sont plus du tout les mêmes.
Monsieur le Président demande à Monsieur FABRE combien il reste de cas à examiner.
Cinq, répond le rapporteur.
Monsieur le Président pense qu'à ce stade le Conseil doit s'interroger. Il note que Monsieur FABRE propose des censures auxquelles Monsieur SIMONNET s'oppose ; que Monsieur
JOZEAU-MARIGNE intervient ; que Monsieur MAYER fait des observations ; que Messieurs LECOURT, VEDEL et JOXE ont été taisants. Il exprime son sentiment de profonde préoccupation. On demande en effet au Conseil de statuer sur des situations qu'il connaît mal et de juger le fait, sans lui donner les éléments pour le faire. Est-ce la peine d'aller plus loin et de continuer à confronter stérilement des points de vue sans espoir qu'une telle confrontation fasse avancer la réflexion ? A cet instant, se lèvent donc des interrogations sur la décision que le Conseil va prendre. Cette décision, très importante pour l'avenir, fait problème dans la mesure où il a le sentiment en conscience de ne pouvoir se prononcer, faute d'une investigation profonde et complète. On a seulement une critique, une réponse et des avis, rien de plus.
En disant qu'il y a une erreur manifeste, une erreur évidente, cela résulterait d'une discussion, or l'impossibilité d'instruire ces dossiers lui apparaît vraiment. Monsieur le Président interroge les membres du Conseil sur la façon dont chacun voit les choses à cet instant de la nuit.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE expose que le Conseil est en présence d'une question de principe. Peut-on faire grief au Parlement d'une erreur alors qu'on ne peut lui demander de se justifier ? Comment être juge du fait alors que le Conseil est juge du droit ? Dans ces conditions, il faut trouver une rédaction qui permette, comme d'habitude, d'exprimer globalement et généralement la position du Conseil.
Monsieur LECOURT déclare avoir réfléchi, non à une rédaction d'ensemble mais au point central d'un raisonnement. Après l'examen des dossiers, on constate que l'ensemble se situe exactement dans le cadre de la décision des 1er et 2 juillet 1986. Certes, les cas les plus délicats présentent des difficultés que tous, législateur, Commission des Six et Conseil d'Etat, ont difficilement surmontées. S'il ne faut pas cacher ces difficultés, il faut observer que, finalement, il y a une équivalence démographique globalement satisfaisante. Il y a certes des critiques, mais jamais il n’y a de critères qui s'imposent partout. Ces critiques sont de simples critiques qui ne peuvent être assimilées à un acte d'arbitraire, une accumulation d'artifices ou d'erreurs manifestes. Dans ces conditions, Monsieur LECOURT pense que
En conclusion, Monsieur LECOURT estime que cette réflexion pourrait fournir matière à un texte dans lequel serait retenu l'idée de critiques mais aussi 1'idée de complexité et de variété des situations locales prises dans le respect de la règle démographique : entre les différentes possibilités de délimitation ainsi permises, le Conseil n'a pas a choisir.
Monsieur FABRE, intervenant après un moment de silence, se demande si ce silence exprime le consentement du Conseil.
Monsieur le Président et Monsieur MAYER disent que non.
Monsieur FABRE note le désir exprimé par Monsieur LECOURT de faire figurer dans le projet de décision, des critiques sur la délimitation de certaines circonscriptions, sans pour autant aller jusqu'à la censure. S'agissant du texte de cette décision, il se demande comment le Conseil, sans donner l'impression d'avoir subi des pressions, peut à la fois approuver l'ensemble du découpage et faire des réserves sur certains cas. S'en remettant à ceux de ses collègues qui ont une meilleure plume que la sienne, il insiste sur la nécessité que la décision traduise bien l'idée de réserves.
Monsieur le Président remercie Monsieur FABRE de cette intervention très juste. Il faut effectivement qu'il y ait des échos des réserves dans cette décision. Il ne faut pas que l'on puisse dire que le Conseil constitutionnel a censuré le Conseil d'Etat et il est donc important de marquer la spécificité de la situation du Conseil. Il faut marquer que le Conseil n'a. pas à élaborer le meilleur découpage et qu'il soit bien compris qu'il n'a pas été en mesure de développer ses investigations.
Monsieur VEDEL pense, lui aussi, qu'il faut bien marquer que les positions du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel sont différentes : le Conseil d'Etat, comme co-auteur d'un texte, doit aller au meilleur alors qu'il n'appartient au Conseil constitutionnel que de censurer ce qui est mauvais. La seconde idée, à ses yeux importante, est de se rattacher tout de même à des principes constitutionnels. Or, s'il existe une filiation directe entre principe d'égalité et équilibre démographique, la filiation entre texte constitutionnel et découpage est beaucoup plus subtile ; c'est une route à d'innombrables carrefours, à l'image, en quelque sorte, du Val-de-Marne ! Il faut donc montrer dans la décision que les règles sont respectées et, pour le reste, il serait oit que, quelles que soient les critiques qui puissent être faites, compte tenu de la variété et de la complexité des situations locales, il n'est pas manifestement établi que le découpage soit de nature â porter substantiellement atteinte au principe posé par l'article 2 de la Constitution.
Monsieur le Président expose alors les principes qui devraient sous-tendre la décision :
- l'équilibre démographique du découpage est satisfaisant ;
- des critiques se sont élevées ;
- même s'il y a eu des critiques, la mission du Conseil constitutionnel, à la différence du Conseil d'Etat, n'est pas d'assurer le meilleur découpage, ni d’arbitrer entre différents projets de délimitation ;
- le Conseil constitutionnel a des pouvoirs spécifiques : il n'a pas le même pouvoir que le Parlement, ni les mêmes moyens d'investigation et d'instruction que la juridiction administrative ;
- qu'en l'état, et quelles que soient les critiques émises, le Conseil n'est pas en présence d'un texte de nature à entraîner la censure.
Monsieur VEDEL, citant le cas du département ce la
Haute-Garonne qu'il a des raisons de bien connaître, se demande en effet comment le Conseil aurait pu faire autrement que d'arriver à une telle décision.
Monsieur FABRE regrette que le Conseil n'ait pas examiné la délimitation de ce département, car il aurait alors évoqué le cas réservé au quartier populaire de Moscou, qui aurait mérité qu'on en parle.
Monsieur MAYER, interrogé par Monsieur le Président, s'attriste de l'impuissance collective du Conseil. Il fait part de son désir d'inclure l'idée suivante dans la décision : dès lors que l'étude successive de chaque département a montré qu'au cas par cas il n'y avait pas de quoi fouetter un chat, ne conviendrait-il pas ce souligner que l'ensemble de ce découpage est une immense manœuvre organisée par Monsieur PASQUA en faveur de ses amis du R.P.R. pour que ce parti ait une majorité durable. Il se demande en effet si l'ensemble de ce découpage ne peut pas poser quelques questions dont la décision se ferait l'écho.
Monsieur le Président estime que faire ainsi, tout en concluant à la conformité, serait donner finalement un satisfecit à ce qui soulève bien des soupçons. Par ailleurs, il s'interroge sur la possibilité que le Conseil aurait d'écrire un considérant de ce type : "Considérant que le découpage est visiblement inspiré par le souci de...".
Monsieur MAYER demande que l'on ne sourie pas de son propos dont il souligne la gravité. Il pense en effet que ce type de manœuvre détache des électeurs de la démocratie. Il rappelle, à cet égard, le mauvais exemple qu'ils ont pu donner, Monsieur LECOURT et lui-même, lorsque, après s'être affrontés dans la compétition électorale dans le même département, ils siégeaient, côte à côte, le lendemain des élections, dans le même gouvernement. La démocratie, selon lui, exige de la rigidité dans l'expression : la souplesse douceâtre de ceux qui sont au courant peut détourner de la démocratie.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE déclare que, pour une fois, il ne peut suivre Monsieur MAYER dans son jugement sur l'ensemble du découpage. Rappelant le cas des Côtes-du-Nord où, selon lui, on ne pouvait pas faire autre chose que ce qui a été fait, il estime qu'on ne peut transformer le juge du droit en juge du fait.
Monsieur MAYER se demande comment sera appréciée la décision que le Conseil s'apprête à prendre.
Monsieur le Président souligne que c'est le "non possumus" qu'elle contiendra qui sera important.
Pour Monsieur MAYER, le fait ce constater que, dans le plus grand nombre de départements, il n'y a que de petites critiques à émettre, lui rappelle l'histoire du marchand de cravates qui perd un peu d'argent sur chaque cravate mais qui, heureusement, se rattrape sur la quantité !
Monsieur FABRE estime que la décision devrait rendre compte de l'étude du Conseil qui ne s'est pas arrêté aux principes mais qui a permis d'aboutir à des critiques et à ces interrogations. Il se demande comment la préoccupation de Monsieur MAYER pourrait être exprimée.
Monsieur MAYER demande à Monsieur VEDEL s'il a un projet de rédaction.
Monsieur VEDEL indique que ce n'est pas un projet, mais que l'on pourrait écrire quelque chose du type : "Considérant que, même si les requérants sont à même de proposer des délimitations réellement ou apparemment plus satisfaisantes, l'examen du dossier, compte tenu de la variété et de la complexité des situations locales, ne laisse pas apparaître le découpage comme entaché d'arbitraire’’.
Monsieur LECOURT estime que cette rédaction laisse penser que l’arbitraire serait acceptable dans d'autres conditions.
Monsieur le Président, se référant aux principes qu'il a
lui-même énoncés ainsi qu'aux interventions de Messieurs LECOURT et VEDEL, propose que le secrétariat général prépare un projet de décision qui sera d'abord soumis à un comité de rédaction comprenant le Président, Messieurs FABRE, LECOURT et VEDEL, puis à l'ensemble du Conseil.
Le Conseil approuve cette proposition.
La séance est levée à 22 h 45.
-oOo-
SEANCE DU MARDI 18 NOVEMBRE 1986
Monsieur le Président invite Monsieur FABRE à donner lecture du projet de décision eue vient d'établir le comité de rédaction.
Monsieur FABRE, avant d'en donner lecture, souligne qu'il n'en est plus le père, même si certains passages lui donnent cependant satisfaction.
Au cours de cette lecture, Monsieur MAYER indique qu'il n'accepte la référence au pouvoir général d'appréciation et de décision du Parlement que dans la mesure où cette référence reprend, à la lettre, les précédents : il craint, en effet, compte tenu des critiques faites au Conseil constitutionnel ces derniers mois, que l'emploi des mots "pouvoir identique" laisse penser que le Conseil ait eu l'ambition d'être une troisième chambre.
Monsieur le Président, à la demande de Monsieur le Secrétaire général, demande si la rédaction retenue pour le considérant de principe, où la référence à l'arbitraire a été supprimée, signifie bien que le Conseil contrôle un arbitraire manifeste.
Monsieur LECOURT répond que cette référence à l'arbitraire est reprise dans l'argument des requérants, ce qui implique, effectivement, un contrôle minimum de l'arbitraire.
Monsieur le Président, exprimant une interrogation de Monsieur PAOLI, souligne qu'il est délicat de ne faire référence à la notion d'arbitraire que dans l'argumentation des requérants, sans la reprendre dans les normes de contrôle du Conseil.
Monsieur LECOURT estime que le Conseil n'a pas à la reprendre à son compte, cette décision incluant dans le rejet tout ce qui peut s'attacher a l'erreur manifeste et à l'arbitraire.
Monsieur VEDEL note que, si l'on suivait Monsieur PAOLI, il faudrait doctrinaliser l'arbitraire, ce qui n'est pas commode car cela supposerait que l'arbitraire soit manifeste et qu'il ait une certaine gravité. Il reconnaît que la décision "escamote la question".
Monsieur le Président constate que la question est effectivement noyée mais que, s'il fallait la reprendre, tout serait alors à recommencer.
Monsieur VEDEL fait remarquer que le style de cette décision, par la brièveté, est typique de la décision d'embarras qui ne veut pas compromettre l'avenir.
Monsieur le Président note cependant que la philosophie de cette décision est claire : ce n'est pas une approbation d'un texte que le Conseil n'était pas en mesure de censurer en raison, d'une part, du rôle du législateur et, d'autre part, de l'insuffisance des moyens d'investigation.
Le Conseil approuve le projet de décision.
Monsieur le Président indique au Conseil que cette décision ne sera notifiée aux autorités et rendue publique qu'à 15 heures. Il demande que, jusqu'à cette heure, silence soit gardé. Le Conseil ayant le privilège du secret, il faut le tenir et le respecter. Seul, Monsieur MARCILHACY sera informé d'ici là de la décision qui vient d'être prise.
Avant de Lever la séance, Monsieur le Président fixe la prochaine séance au mardi 2 décembre à 11 heures. Au cours de cette séance, le Conseil examinera, sur le rapport de Monsieur Maurice-René SIMONNET, un déclassement demandé par le Premier ministre, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution.
La séance est levée à 11 heures.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.