SEANCE DU 20 FEVRIER 1987
A 15 heures, Monsieur le Président ouvre la séance en présence de tous les membres du Conseil, àl'exception de Monsieur MARCILHACY excusé. Il annonce qu'à l'ordre du jour figure une demande de déclassement portant sur un texte long que Monsieur SIMONNET rapportera avec bonheur.
Monsieur SIMONNET présente le rapport suivant.
Le Premier ministre, nous a saisi le 27 janvier 1987 d'une demande tendant à voir déclasser le caractère réglementaire d'un certain nombre de dispositions qu'il est envisagé d'introduire dans le livre II du code rural consacré à la chasse, la pêche et la protection de la nature.
Cette demande de déclassement se présente sous la forme de 14 fiches parmi lesquelles cinq ne font pas de difficulté, trois offrent peu de difficultés et six méritent de retenir notre attention.
1) Les fiches qui ne font de difficulté :
Fiche n° 1 : L'article 366 bis 1 du code rural prévoit que le permis de chasser est délivré par "le préfet" et qu'il est visé annuellement par "le préfet ou par le maire" agissant au nom de l'Etat. Il en est de même de l'article 22-1 de la loi du 27 décembre 1974, loi de finances rectificative pour 1974, qui institue un permis de chasser délivré à titre permanent par "le préfet".
Le Gouvernement nous demande de déclasser ces dispositions qui désignent le préfet ou le maire comme l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de chasser ou le viser annuellement.
Nous estimons, dans de nombreuses décisions, que dans la mesure où un texte désigne le préfet ou le maire pour exercer des attributions de l'Etat, il ne relève pas du domaine réservé à la loi par la Constitution.
Je vous propose d'accorder le déclassement.
Fiche n° 2 : Il s'agit cette fois des étrangers non résidents auxquels il peut être délivré, non pas un permis de chasser, mais une licence de deux jours. L'article 366 bis II du code rural désigne "le préfet du département où ils chassent" comme l'autorité administrative chargée de délivrer les licences de chasse pour les étrangers.
Je pense que l'on peut donner une même réponse positive à la demande de déclassement.
Fiche n° 3 : L’article 366 bis III du code rural concerne le retrait provisoire du permis de chasser opéré par "le préfet".
Le Gouvernement, comme dans les cas précédents, se propose de substituer à la mention de préfet l'expression "autorité administrative". Nous pouvons répondre aussi positivement à cette demande de déclassement.
Fiche n° 9 : Cette fiche intéresse l'autorisation de la chasse maritime dont disposent gratuitement les marins-pêcheurs professionnels et qui les dispense du visa de leur permis de chasser. Cette autorisation est délivrée, selon l'article 13 de la loi du 14 mai 1975, par "l'administration des affaires maritimes".
Nous pouvons accorder le déclassement demandé sur ce point par le Premier ministre.
Fiche n° 12 : Il nous est demandé de déclasser la désignation précise des autorités de l'Etat chargées, par les lois du 10 juillet 1976 et du 22 juillet 1983, d'effectuer divers actes concernant la création des réserves naturelles ou de leur périmètres de protection.
Cette demande ne soulève pas davantage de difficulté.
2) Les trois fiches qui posent quelques difficultés :
Fiche n° 6 : L'article 396, 3ème alinéa, du code rural fixe les limites d'âge des présidents des fédérations départementales des chasseurs. Les présidents de ces fédérations, qui sont des associations, sont nommés par l'Etat qui réglemente leurs limites d'âge. Ils doivent avoir plus de 23 ans et moins de 72 ans. Pourquoi l'Etat intervient-il dans la nomination et l'âge des présidents de ces associations, alors qu'en principe cela relève du rôle des associations ? Parce que la loi a confié à ces groupements des missions de service public, à savoir : la répression du braconnage, la protection et la reproduction du gibier, l'aménagement des réserves de chasse. En contrepartie, l'Etat intervient dans la constitution et l'organisation de ces groupements. La loi dit qu'il ne peut y avoir qu'une seule fédération par département. L'obtention du permis de chasser vaut adhésion automatique à la fédération. Les statuts de ces fédérations doivent être conformes à un modèle type. Leur budget est soumis à l'ingénieur des eaux et forêts. Leur président est nommé par le ministre de l'agriculture et non pas par les adhérents de l'association.
Dans ces conditions, je pense que nous pouvons être d'accord pour déclasser les dispositions relatives à leur limite d'âge.
Fiche n° 14 : Il s'agit de l'envoi des procès-verbaux des délits de chasse au procureur de la République. Certains agents publics ou personnes privées, telles que les gardes-chasse ou les lieutenants de louveterie dont on reparlera, peuvent dresser des procès-verbaux d'infraction, qui doivent être transmis au procureur de la République. Certains articles de la loi du 10 juillet 1976 définissent le mode d'envoi de ces procès-verbaux par "lettre recommandée".
Le Gouvernement demande le déclassement de cette obligation. S’il est du domaine de la loi d'édicter les règles de procédure pénale, donc la transmission obligatoire des procès-verbaux au procureur de la République, les modalités d'envoi relèvent du domaine réglementaire.
Nous pouvons accepter ce déclassement.
Fiche n° 10 : Elle concerne la désignation du tribunal compétent pour fixer la réparation des dégâts causés par les plans de chasse. L'Etat peut constituer des réserves de chasse où celle-ci est interdite. Egalement dans les réserves naturelles et les parcs nationaux, peuvent être limités le nombre de jours où l'on peut chasser et le nombre de bêtes que l'on peut tuer. Du fait de ces deux mesures -interdiction temporaire de chasser et contingentement- les animaux sauvages, sangliers et renards notamment, prospèrent et causent des dégâts aux cultures des terrains avoisinnants. Les victimes peuvent en demander indemnisation.
La loi prévoit que le tribunal compétent est un tribunal de l'ordre judiciaire. Mais la loi du 27 décembre 1968 va plus loin en précisant qu'il s'agit du tribunal d’instance.
Le Gouvernement demande le déclassement des mots "tribunal d'instance". La désignation du tribunal compétent au sein de l'ordre judiciaire relève de domaine du règlement.
Nous pouvons être d'accord pour ce déclassement.
3) Les six fiches qui posent problème :
Fiche n° 4 : La loi du 30 juillet 1963 a introduit une réforme du plan de chasse du grand gibier. La procédure de droit commun est la suivante : le conservateur des eaux et forêts et le président de la fédération départementale des chasseurs présentent une demande conjointe auprès du préfet qui fait ses propositions au ministre chargé de la chasse, lequel prend un arrêté. Il existe, par ailleurs, deux procédures particulières : en premier lieu, pour les réserves naturelles et les parcs nationaux, c'est le ministre chargé de la protection de la nature qui institue et met en oeuvre le plan de chasse. En second lieu, dans les zones de montagne, il faut délimiter les massifs montagneux où la chasse au grand gibier sera autorisée : il revient au préfet, après avis du président de la fédération départementale des chasseurs et des communes concernées, de fixer cette délimitation.
Autrefois, le plan de chasse consistait à fixer le nombre de jours et les heures d'ouverture de la chasse selon chaque espèce : ainsi, selon un texte remontant à la Restauration, le chamois pouvait être chassé un seul jour, "soit à tir, soit à courre, à cor et à cri, soit au vol" (article 373 du code rural). Depuis 1976, le plan de chasse détermine le nombre d'animaux à tirer par espèces : le contingent une fois atteint, la chasse est interdite.
Le Gouvernement se propose de rédiger ainsi ces dispositions : (le rapporteur donne lecture du projet de texte à figurer dans la partie législative du livre II du code rural).
Monsieur SIMONNET observe que, par rapport aux dispositions actuelles, passerait dans le domaine règlementaire la désignation des diverses autorités de l'Etat compétentes pour prendre des décisions, ainsi que celles des personnes physiques ou morales à consulter.
Monsieur VEDEL : Pourquoi cette fiche est-elle délicate ?
Monsieur SIMONNET : Parce qu’il nous faut faire le partage entre la loi et le règlement dans un texte complexe.
Monsieur VEDEL : Pourquoi avons-nous, dans notre dossier, des pièces jointes (1) relatives à la libre administration des collectivités locales ? Notre jurisprudence serait-elle contraire à celle du Conseil d'Etat ?
Monsieur SIMONNET : On fait passer dans le domaine règlementaire la désignation des autorités à consulter.
Monsieur le Secrétaire général : ... L'avis des communes, plus précisément !
Monsieur VEDEL : Ce qui est en cause, c'est donc la consultation des communes concernées.
Monsieur SIMONNET : reprend le fil de son rapport :
Fiche n° 5 : La loi du 23 février 1926, dont les termes ont été repris par la loi du 17 juin 1967, prévoit que "le Gouvernement exerce la surveillance et la police de la chasse dans l'intérêt général" (art. 384, alinéa 1 du code rural).
Ces dispositions contiennent deux assertions : une police spéciale de la chasse est instituée et celle-ci est confiée au Gouvernement. Sur le premier point, cette police spéciale peut mettre en cause les principes fondamentaux du régime de la propriété ; elle peut interdire à un propriétaire de chasser sur son propre terrain. Dans cette mesure, cela relève de la loi. Sur le deuxième point, la désignation du titulaire de la fonction peut passer dans le domaine réglementaire.
Le Gouvernement demande la suppression de cette disposition dans son entier en estimant qu'elle constitue une déclaration de principe sans conséquence normative : il jette l'enfant avec l'eau du bain.
On ne peut lui donner qu'une satisfaction partielle. L'institution d'une police spéciale relève du domaine de la loi.
(1) CE, 3 avril 1968, Sieur Papin, Lebon, p. 230 ; Ass.,
14 février 1975, Epouse Merlin, Lebon p. 110 ; CC, n° 75-84 L,
19 novembre 1975, Rec. p. 35 ; n° 80-120 L, 30 décembre 1980, Rec. p. 78.
Fiche n° 7 : Il s'agit de l'information des propriétaires soumis à une association communale de chasse. Ces associations communales de chasse ont pour but de favoriser la chasse, notamment au moyen de la création, sur une partie de la commune, d'une réserve interdite à la chasse pendant une durée variant d'un an à six ans. A tour de rôle, chaque propriétaire se voit privé de son droit de chasse sur son propre terrain. Il en est de même pour ceux qui ont loué un droit de chasse : ils sont privés de la possibilité de chasser sur ce terrain. Cette interdiction est une restriction au droit de propriété.
La loi du 10 juillet 1964, article 3, 2ème alinéa, prévoit une information collective et individuelle des propriétaires et détenteurs de droits de chasse lors de la constitution d'une association communale. Faute d'opposition de leur part, leur accord est réputé donné à la constitution de l'association. Les modalités d’information sont inscrites dans la loi : par lettre recommandée avec accusé de réception.
Je propose le déclassement de ces modalités. L'obligation de l'information individuelle relève de la loi parce qu'il y a un risque de privatisation partielle de l'usage du droit de propriété ; par contre les modalités pratiques de cette information sont du domaine du règlement.
Fiche n° 8 : La loi du 10 juillet 1964, en son article 6, 1er alinéa, fixe à un an le délai de constitution des associations communales. Pourquoi un délai si court ? Parce que cela représente une menance pour la propriété privée ; il faut lever cette épée de Damoclès.
Le Gouvernement demande que cette obligation disparaisse de la loi au motif que cette disposition n'est assortie d'aucune sanction et qu'elle n'aurait qu'un caractère indicatif. Un tel raisonnement est difficilement acceptable : ce n'est pas parce qu'une obligation n'est pas assortie de sanction qu'elle cesse d'être une obligation.
Monsieur VEDEL : Le passage de la loi au règlement permet parfois de prévoir une sanction : c'est le cas de l'article R26-15° du code pénal.
Monsieur SIMONNET : C'est exact, mais si on entre dans l'explication des motifs du Gouvernement, on va très loin. On ne peut accepter sur ce point le raisonnement du Gouvernement.
Fiche n° 11 : Elle concerne le statut de la louveterie.
C'est l'ordonnance royale du 20 août 1814 qui a créé le statut de la louveterie, adapté ensuite par la loi du 9 juillet 1971.
L'administration nomme les lieutenants de louveterie parmi les chasseurs expérimentés. Ils ont pour mission de détruire les animaux nuisibles : les sangliers, les renards. Quand, en dehors des périodes de chasse, se produisent des dégâts causés par ces animaux, le maire doit demander au préfet, commissaire de la République, d'organiser une battue. On recueille l'avis du lieutenant de louveterie, qui contrôle l'exécution des opérations, notamment pour éviter les débordements des chasseurs. Ce lieutenant de louveterie participe aussi à la répression du braconnage.
La loi de 1971 n'hésite pas à entrer dans les détails : "chaque lieutenant de louveterie devra s'engager par écrit à entretenir, à des frais, soit un minimum de quatre chiens courants réservés exclusivement à la chasse du sanglier ou du renard, soit au moins deux chiens de déterrage".
Le Gouvernement souhaite alléger la loi. L'essentiel à retenir du statut des lieutenants de louveterie serait : leur qualité d'agent assermenté au titre de la police de la chasse, leur compétence dans les battues communales, leur nomination par l'autorité administrative et le concours, sous son contrôle, qu'ils apportent à la destruction des animaux nuisibles.
Fiche n° 13 : Elle concerne la gestion des réserves naturelles. L'Etat ne souhaite pas gérer lui-même toutes ces réserves naturelles : il passe des conventions avec ceux qui veulent bien se charger de cette gestion et en assurer la police. La gestion peut être confiée à des établissements publics. La création d'une nouvelle catégorie d'établissements publics à cet effet relève du domaine de la loi. Le Gouvernement demande de ne garder dans la loi que ce dernier point. Cela donnerait dans le domaine réglementaire le texte suivant : "Le ministre chargé de la protection de la nature fixe les modalités de gestion administrative de la réserve naturelle et de contrôle du respect des prescriptions contenues dans l'acte de classement ainsi que, le cas échéant, les concours techniques et financiers de l'Etat. Il peut, à cet effet, passer des conventions avec les propriétaires des terrains classés, des associations régies par la loi du 1er juillet 1901, des fondations, des collectivités locales ou des établissements publics".
Resterait dans le domaine législatif la phrase : "la gestion des réserves naturelles peut être confiée à des établissements publics créés à cet effet", je crois que c'est en effet sa place.
Monsieur le Président demande qui désire intervenir ou formuler des observations.
Après un silence, Monsieur VEDEL déclare n'avoir pas compris la gradation des difficultés : la dernière fiche qui serait selon le rapporteur la plus difficile, lui paraît la plus facile...
Monsieur SIMONNET : je n'ai pas fait un classement parmi les six fiches qui posent quelques problèmes.
Monsieur le Président : le rapporteur a le privilège de choisir son ordre d'exposition.
Monsieur FABRE : sur la fiche n° 6, le renvoi au règlement ne risque-t-il pas de poser des difficultés. N'y aura-t-il pas des distorsions dans la fixation des limites d'âge des présidents selon les départements !
Monsieur VEDEL : ils sont plus verts dans les départements de montagne !
Monsieur FABRE : cela va avoir des effets sur la composition du Conseil supérieur de la chasse. Chaque préfet va-t-il fixer la limite d'âge ?
Monsieur le Président : non, ce sera déterminé au plan national.
Monsieur FABRE : en ce qui concerne la fiche n° 5 qui a trait à la police de la chasse. Actuellement, la désignation des
Monsieur le Secrétaire général : le ministre de l'agriculture. Il peut y avoir ensuite une opération de déconcentration. Il est du domaine réglementaire de répartir les attributions entre le ministre et le préfet.
Monsieur VEDEL : la louveterie est une armée bizarre : on accède directement au grade de lieutenant et, après, on plafonne.
Monsieur SIMONNET, à l'invitation de Monsieur le Président, donne lecture du projet de décision. Une correction est apportée aux considérants 7 et 8 pour mieux faire apparaître la distinction qu'ils établissent, sans qu'il soit besoin de mentionner le Premier ministre et afin de souligner le caractère administratif des autorités de l'Etat concernées.
Ce projet ainsi amendé est adopté. Monsieur le Président remercie le rapporteur. La séance est levée à 16 h 25 après l'indication des prochaines réunions fixées le 3 mars 1987 à 10 h 30 en présence, au début, de l'équipe de cinéma, et le 17 mars 1987.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.