ORDRE DU JOUR DE LA SEANCE DU mardi 17 mars 1987
[7] Déclassement
Nature juridique des dispositions de l'article 77 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 concernant les caisses de crédit municipal.
(n° 87-150 L)
SEANCE DU MARDI 17 MARS 1987
Examen, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, de la nature juridique d'une disposition contenue dans l'article premier du décret n° 55-622 du 20 mai 1955, tel qu'il résulte de l'article 77 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat.
Monsieur le Président ouvre la séance à 15 h 30, tous les membres étant présents, excepté Monsieur MARCILHACY. Le Président donne la parole à Monsieur SIMONNET, rapporteur.
Monsieur SIMONNET remercie tout d'abord la doctrine à laquelle il a beaucoup emprunté : la doctrine, c'est-à-dire le Thémis de droit administratif de Monsieur VEDEL, un article de Monsieur Bruno GENEVOIS, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, sur la nature juridique des établissements publics "à double visage" (Rev. fr. droit adm. 1 (2). mars-avril 1985) et l'étude de Monsieur François GAZIER sur les établissements publics, étude à laquelle a participé Monsieur Lucien PAOLI (Etudes et documents du Conseil d'Etat, 1985). "Sous les auspices de ces auteurs, je me sens plus assuré pour présenter mon rapport".
Le Gouvernement, par lettre du 18 février 1987, a demandé au Conseil constitutionnel le déclassement d'une disposition contenue dans l'article premier du décret n° 55-622 du 20 mai 1955, tel qu'il résulte de l'article 77 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983.
Ces caisses, les anciens "Monts de piété", sont aujourd'hui au nombre de vingt et une. Elles emploient mille personnes, octroient 500 000 prêts d'un montant total de 8 milliards, soit une moyenne de 15 000 F. par prêt.
Un décret de 1919 a apporté deux modifications. La première, formelle, concerne l'appellation : les caisses de crédit municipal ont été substituées aux Monts de piété. La seconde concerne la vocation des caisses. Si la première activité, le prêt sur gage est maintenue, il en est ajouté une deuxième, le prêt ordinaire à taux normal. Dès lors, pour avoir les fonds nécessaires, les caisses ont la possibilité d'ouvrir des comptes avec ou sans intérêt (les bons de caisse). Pour l'histoire, on peut rappeler que cela a permis l'affaire Stavisky à Bayonne, en 1933, affaire qui a ébranlé la IIIème République, notamment le 6 février 1934.
Cette seconde activité est une activité bancaire classique régie par le droit des sociétés. De ce fait, les caisses de crédit municipal exercent à la fois une mission de service public et ont une activité industrielle et commerciale. Dès lors, comme beaucoup d'autres, ces établissements "à double visage" ont un caractère mixte, caractère que le législateur a légalisé, en 1982, dans la loi sur le développement des institutions représentatives du personnel et, en 1983, dans celle sur la démocratisation du secteur public.
Jusqu'en 1983, le législateur n'a pas précisé le caractère des caisses de crédit municipal.
Cette précision est absente dans le décret-loi du 20 mai 1955. Le Tribunal des conflits, dans sa décision du 15 janvier 1979, a considéré que "les caisses de crédit municipal sont des établissements publics d'aide sociale, chargés d'un service public qui, ayant pour objet de combattre l'usure par l'octroi désintéressé de prêts sur gages et par d'autres procédés charitables, est exclusif de tout caractère industriel ou commercial". Le législateur a ensuite suivi le Tribunal des conflits ; l'article 77 de la loi du 22 juillet 1983, qui résulte d'un amendement du Gouvernement, a complété le texte de l'article du décret de 1955 pour préciser que les caisses de crédit municipal étaient des établissements publics "à caractère administratif". C'est cette adjonction qui fait l'objet de la demande de déclassement. Cet amendement avait été présenté par le ministère de l'intérieur. Cependant, le ministère de l'économie et des finances, dans la loi bancaire du 24 janvier 1984, a précisé qu'au nombre des établissements de crédit figuraient les caisses de crédit municipal qui, en tant que telles, sont soumises au droit commercial. Les caisses de crédit municipal ont donc une double activité, une activité à caractère sociale et une activité industrielle et commerciale.
Le Gouvernement veut maintenir la possibilité de choix entre ces deux activités. Pour ce faire, il ne modifie rien, si ce n'est qu'il envisage de supprimer la référence à la mention du caractère administratif et, ainsi, de revenir à la rédaction de l'article premier du décret de 1955 antérieure à la loi du 22 juillet 1983.
S'agissant des règles concernant la création de catégories d'établissements publics, le Conseil, dans sa décision n° 82-127 L du 10 novembre 1982 concernant le Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, a considéré que "le législateur est seul compétent pour fixer ses règles de création, lesquelles comprennent nécessairement ses règles constitutives".
Dans ces conditions, si le caractère touchait aux règles constitutives et que la suppression de sa mention équivalait à une création ou à la transformation d'une catégorie, le déclassement ne serait pas possible. Tel n'est pas le cas.
Les caisses de crédit municipal appartiennent bien à une seule et même catégorie, si l'on considère les conditions d'appartenance à une même catégorie posée par la jurisprudence postérieure à la décision du 25 juillet 1979. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a évolué.
Dans sa décision n° 61-15 L du 18 juillet 1961 sur l'Institut des Hautes-Etudes d'Outre-mer, le Conseil exigeait la réunion de trois critères permettant de définir l'appartenance à une même catégorie.
Le premier critère concerne le rattachement à une collectivité territoriale. Ce critère n'a pas changé. Les caisses de crédit municipal sont des établissements publics communaux.
Le deuxième critère a trait au caractère de l'établissement public, soit administratif, soit industriel et commercial. Ce deuxième critère a été jugé trop restrictif, notamment en raison de l'existence des établissements publics "à double visage" dont la jurisprudence a établi une longue liste : Office national de la Navigation (Tribunal des conflits, 10 février 1949) ; O.N.I.C. (Tribunal des conflits, 23 novembre 1959, 14 novembre 1960 et 8 novembre 1962) ; O.N.I.B.E.V. (Conseil d'Etat, 2 octobre 1981 et 24 octobre 1984) ; O.N.I.V.I.T. (Conseil d'Etat, 15 octobre 1980 et 21 janvier 1983) ; Ports autonomes (Conseil d'Etat, 17 avril 1959, et Tribunal des conflits, 11 décembre 1972) ; Chambre de commerce et d'industrie (Conseil d'Etat, 25 janvier 1952, Tribunal des conflits, 13 décembre 1976 et 27 janvier 1978) ; Aéroport de Paris (Tribunal des conflits,13 décembre 1976). Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 79-108 L du 25 juillet 1979 relative à l'Agence nationale pour l'emploi, a abandonné ce critère considérant qu'il n'y a pas lieu de retenir également parmi les critères déterminant l'appartenance d'établissements publics à une même catégorie la condition qu'ils présentent le même caractère - administratif, industriel et commercial, scientifique et technique, ou scientifique et culturel - et cela en raison de ce que les règles constitutives d'un établissement public ne comportent pas nécessairement l'indication de ce caractère, qui peut au surplus être modifié par un acte réglementaire.
S'agissant, enfin, du troisième critère, celui concernant la spécialité, il y a eu un adoucissement certain de la position du Conseil constitutionnel qui est passé de la notion de "spécialité étroitement comparable" à celle de "spécialité analogue" dans sa décision du 30 mai 1979 (A.N.V.A.R.).
La jurisprudence ainsi fixée en 1979 a été confirmée depuis à plusieurs reprises (décisions n° 79-109 L du 13 septembre 1979, n° 82-122 L du 25 mars 1982 et n° 83-133 L du 12 octobre 1983). A contrario, dans la décision n° 83-168 DC du 20 janvier 1984 sur la loi relative au statut de la fonction publique territoriale, le Conseil constitutionnel a considéré que "les centres de gestion constituent une catégorie nouvelle d'établissements publics sans équivalent avec les catégories d'établissements publics existantes ; que, dès lors, il appartenait au législateur de fixer les règles relatives à la composition du Conseil d'administration de ces centres".
En conclusion de son rapport,
Monsieur le Président remercie le rapporteur et ouvre la discussion. Aucun des membres ne désirant intervenir, le Président invite Monsieur SIMONNET à donner lecture de son projet de décision.
Monsieur le Président indique que cette expression le laisse perplexe. Certes, il voit bien que cela représente les règles concernant la création d'une catégorie, mais il observe qu'on passe ainsi des éléments constitutifs aux règles constitutives. Il y a eu une contraction de la formule. Le Petit Robert, auquel il s'est reporté, donne pour le mot "constitutif" la définition : "qui entre dans la composition de". Il se demande s'il n'y aurait pas intérêt à revenir en arrière et à parler de "règles déterminant les éléments constitutifs...".
Monsieur VEDEL : "Ce lapsus est révélateur, il correspond à l'intention profonde de nos prédécesseurs et, de plus, il est passé dans la langue". Il poursuit, "constitutif" est ici synonyme de "constituant". Dans les règles qui déterminent l'existence d'une catégorie, il y en a qui ont une valeur constituante, qui déterminent les éléments qui ne peuvent être changés que par la loi. Ainsi, dans cette pièce, les murs, les fenêtres, les portes, les meubles sont des éléments constitutifs, mais seuls les murs sont "des règles constitutives". Est-il bon de changer une expression qui maintenant a valeur en droit ? Si on regardait dans la jurisprudence de cours comparables, on pourrait trouver de telles anomalies, comme par exemple à la Cour de cassation. "Je ne sais s'il est bon de changer sur un scrupule de grammaire avec 30 ans de retard".
Monsieur le Président se demande si cette expression figure dans la dernière édition du vocabulaire juridique de Capitant.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE interroge le Président sur la formule qu'il propose.
Monsieur le Président : Les éléments constitutifs ou les règles énonçant les éléments constitutifs.
Monsieur VEDEL : Non pas les règles ! Il demande que l'on considère que le Conseil a acquis une dimension historique, qu'il est enraciné dans l'histoire depuis trente ans. De même que l'erreur du jeune assistant devient dogme lorsqu'il est devenu professeur, de même l'erreur d'une jeune juridiction devient vérité lorsqu'elle est maintenue par une juridiction parvenue à maturité. En cédant au voeu du Président, on aboutirait à avoir quatorze commentaires sur le changement de définition des règles de détermination des catégories d'établissements publics. Il faut donc bien réfléchir. C'est une monnaie, tout le monde y est habitué.
Monsieur le Président accepte de laisser les choses en l'état, mais réaffirme qu'il est très sensible à toute absence de rigueur dans l'expression. Cela vaut également pour la Cour de cassation et notamment pour l'une de ses chambres qu'il ne citera pas.
Monsieur VEDEL rappelle alors, pour illustrer son propos, que dans la définition des quatre cas d'ouvertures du recours pour excès de pouvoir on continue toujours à parler "d'ouverture pour violation de la loi" par référence à la vieille formule "violation de la loi et des droits acquis", alors que le terme est désormais impropre. Cependant, le terme reste parce qu'on en a pris l'habitude.
Monsieur VEDEL veut bien que l'on fasse de la philosophie. A cet égard, il note que "l'erreur manifeste" est du domaine des choses plus ou moins raisonnables. De même, à partir de quand y-a-t-il changement de catégorie ? Il y a une limite, il y a un seuil où l'on passe d'une catégorie à l'autre. "Comment exprimer en langage juridique les frontières naturelles ?" . Il appartient au Conseil d'apprécier où se situe la limite. Elle se situe dans l'ordre du raisonnable comme par exemple en matière de durée de la garde à vue. Ainsi, si le mot est vague, c'est parce que la chose elle-même est vague.
Monsieur le Secrétaire général fait valoir que les commentateurs s'y retrouvent et que la notion de règles constitutives, si elle n'est pas heureuse, est bien connue des spécialistes.
Monsieur le Président : "Soit, nous serons plus vigilants quand nous créerons des termes nouveaux !".
Monsieur SIMONNET achève ensuite la lecture du projet de décision.
Monsieur le Président constate l'adoption du projet.
La séance est levée à 16 h 15.
A l'issue de cette séance, Monsieur le Président constate que "le stock" des affaires soumises au Conseil est épuisé et qu'il faut donc attendre la prochaine récolte. Il donne ensuite au Conseil des nouvelles de Monsieur MARCILHACY. Monsieur VEDEL confirme qu'il se rétablit "doucement mais sûrement". Monsieur le Président rappelle enfin que le Conseil se retrouvera, le 7 avril, pour son traditionnel déjeuner du premier mardi du mois.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.