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PV1987-09-23

Nathan HUMBERT

COMPTE-RENDU DE LA SEANCE DU MERCREDI 23 SEPTEMBRE 1987

Examen, sur le rapport de Monsieur Maurice-René SIMONNET, de la nature juridique de certaines dispositions de l'article L. 69-1 du code des postes et télécommunications.

La séance est ouverte à 10 heures, tous les membres sont présents.

Monsieur le Président donne la parole à Monsieur SIMONNET.

Monsieur SIMONNET rappelle que le Conseil a été saisi par le Premier ministre le 28 août 1987, donc que le Conseil, en statuant aujourd'hui, est largement dans les temps. La saisine porte sur l'article 69-1 du code des postes et télécommunications tel qu'il résulte de la loi du 28 juin 1978 ; cette loi était postérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution, il appartient donc bien au Conseil constitutionnel de se prononcer sur cette demande de déclassement.

Pour exposer les raisons qui fondent cette demande de déclassement, le rapporteur rappelle qu'il y a eu une multiplication, ces dernières décennies, des réseaux souterrains. Il cite les adductions d'eau et de gaz, les réseaux d'électricité, les oléoducs et enfin, les câbles de télécommunication. Il note que ces différents réseaux sont placés sous la responsabilité de différents ministres et que chaque ministre a pris des mesures particulières pour assurer la protection de son réseau. Cela a entraîné une multiplication des réglementations qui fait que celui qui coupe une canalisation d'eau n'est pas sanctionné comme celui qui abîme une conduite de gaz. Parallèlement à cette multiplication des réglementations on a assisté à une augmentation des dégradations faites aux différents réseaux et ceci en raison de la modernisation des machines : un coup de pioche est en effet moins destructeur qu'une pelleteuse.

Cependant, un point commun apparait. Il réside dans la sanction, à savoir la contravention de grande voirie, dont on sent bien, souligne le rapporteur, que ce terme est hérité de l'ancien régime. Cependant, ce terme trompe son monde. En effet, la contravention de grande voirie n'est pas une contravention de police et ne sanctionne plus, depuis 1926, des atteintes à la voirie proprement dite. Elle vise les infractions au domaine public férroviaire, fluvial, portuaire ou littoral et, également, les réseaux souterrains de télécommunications.

Que réprime donc la contravention de grande voirie ? Tout fait matériel qui peut compromettre la conservation d'une dépendance du domaine public ou nuire à l'usage auquel cette dépendance est légalement destinée. Ce rappel étant fait, Monsieur SIMONNET indique que le Gouvernement a l'intention d’unifier le régime des travaux exécutés dans le sous-sol des voies publiques, mais qu'il ne peut modifier par décret l'article L. 69-1 du code des postes et télécommunications dont la rédaction résulte de la loi du 28 juin 1978. D'où cette demande de déclassement qui vise à gommer une trop grande précision figurant au troisième alinéa de l'article L. 69-1 du code.

D’une manière générale, en insérant dans ce code, l'article 69-1, le législateur de 1978 avait voulu renforcer des pénalités qui ne dissuadaient plus personne. En effet, le taux de l'amende était alors de 2 000 F. Le projet du Gouvernement proposait de le porter à 20 000 F. et finalement, à l'initiative du Parlement, il fut fixé à 30 000 F. Le rapporteur note que Monsieur MARZIN, rapporteur devant le Sénat, avait alors souligné que seule la loi pouvait élever dans une telle proportion le plafond de cette amende puisque le pouvoir réglementaire ne pouvait pas, à cette époque, fixer des amendes dépassant 2 000 F.

Cependant, le rapporteur devant l’Assemblée nationale, Monsieur AURILLAC, avait demandé, compte tenu de l'importance de cette augmentation, qu'il soit prévu une cause éxonératoire en cas de demande de renseignements non satisfaite. Cette demande ne pouvait être le fait que du maître d'oeuvre ou du maître de l'ouvrage.

La demande de déclassement, poursuit Monsieur SIMONNET, porte uniquement sur ce point, à savoir la désignation des catégories de personnes pouvant présenter une demande de renseignements.

Le rapporteur analyse ensuite, alinéa par alinéa, l'article 69-1 du code des postes et télécommunications. Il note enfin que si les contraventions de grande voirie constituaient une catégorie juridique simple, le problème ne se poserait pas mais, qu'hélas, il y a des éléments législatifs et des éléments réglementaires.

La première question à laquelle on doit répondre est donc de savoir comment s'opère le partage entre ce qui est législatif et ce qui est réglementaire. Cette question n'ayant jamais été tranchée à ce jour par le Conseil constitutionnel, il convient, à ses yeux, d'être prudent. La loi qualifiant expréssement ces contraventions d'infractions, le fondement législatif est semble-t-il à rechercher dans le droit pénal, dans le domaine répressif et donc dans l’article 34 de la Constitution qui dispose que la loi fixe les règles concernant la détermination des crimes et des délits ainsi que les peines qui leur sont applicables. Ceci implique à contrario que la compétence réglementaire s'impose pour les contraventions.

Monsieur SIMONNET s'attache ensuite à montrer la spécificité des contraventions de grande voirie par rapport aux contraventions de police qui relèvent elles, de la compétence réglementaire.

Tout d'abord, les contraventions de grande voirie ne comportent jamais de peines privatives de liberté, mais seulement une amende.
Elle relèvent non du juge pénal ordinaire, mais du juge administratif en sa qualité de gardien traditionnel du domaine public. La procédure qui leur est applicable est ainsi fixée aux articles L. 12 à L. 21 du code des tribunaux administratifs. Enfin, le taux de ces contraventions peut varier et être supérieur au plafond fixé aux contraventions de police, ce qui affecte alors leur nature juridique. Le rapporteur donne alors lecture de l'avis du Consei je ne sais pas si on doit écrire le mot précédant "Conseil" avec un "l" car dans le PV il n'y a pas de L alors que le mot normal s'écrit "Conseil". d'Etat de 1977 qui avait précédé l'adoption de la loi de 1 978 : "En matière de contravention de grande voirie, la définition de l'infraction et celle de la sanction relèvent de la loi lorsque l'infraction est punie d'une amende d'un montant maximum supérieur à celui des amendes pour contraventions de police. Dans le cas contraire, elles relèvent du pouvoir réglementaire".

Après avoir de nouveau insisté sur la spécificité des contraventions de grande voirie par rapport aux contraventions de police (les contraventions de grande voirie ne sont pas régies par le code pénal ; elles sont fondées non sur la culpabilité mais sur la protection du domaine et la réparation du dommage), Monsieur SIMONNET constate que la solution retenue par le Conseil d’Etat en 1977 a été suivie par la suite lors des modifications apportées au code des postes et télécommunications et au code des ports maritimes. C'est aussi cette solution, qui se fonde sur la gravité de la sanction, qu'il propose au Conseil. S'agissant enfin de la demande proprement dite de déclassement, il constate que la désignation des personnes ne met pas en cause la clause exonératoire de l'infraction, donc que le Conseil peut accepter cette demande.

Monsieur le Président remercie le rapporteur pour son exposé très complet et ouvre la discussion.

Monsieur VEDEL constate qu'il n'y a pas lieu à débat. Le rapport a été très complet et le projet de décision le satisfait. S'il prend la parole c'est pour évoquer l'étrangeté de l'article 34 de la Constitution en ce qui concerne les règles répressives. En effet, à lire la Constitution, la règle selon laquelle les crimes et les délits relèvent de la compétence législative implique, a contrario, que le reste est règlementaire. Mais, et c'est là le paradoxe, le constituant ne définit nullement les crimes et les délits comme il aurait pu le faire et c'est au législateur qu'il revient d'y procéder. La définition est fonction d'une qualification dépendant de la répression qui est rattachée aux crimes et délits. C'est donc la Constitution qui réserve au législateur le soin de déterminer lui-même les crimes et les délits.

Monsieur VEDEL rappelle que le Conseil constitutionnel a déjà rencontré ce problème. Dans cette affaire où il n'y avait pas de contentieux, le Conseil a été amené à prendre une position doctrinale. Autrefois, la tradition voulait que les contraventions soient punies d'amendes légères, "les fameux seize francs" et de six jours de prison. Dans le code pénal actuel on constate que les amendes ont été augmentées, ce qui est normal en raison de la dévaluation monétaire, mais, en même temps, les peines peuvent aller, en cas de récidive, jusqu'à deux mois d'emprisonnement. Face à cette situation, en 1973, (Décision n° 73-80 L du 28 novembre 1973), le Conseil constitutionnel a réagi et a dit, dans une petite phrase, demeurée fameuse "que les peines de prison ne pouvaient découler de textes réglementaires". Certes cette position doctrinale, approuvée dans l'ensemble, n'a pas l'autorité de la chose jugée, mais il convient de l'avoir aujourd'hui à l'esprit.

Le paradoxe est que le législateur est compétent pour déterminer les crimes et les délits. Donc, à la lettre, il n'est pas compétent pour les contraventions de grande voirie qui ne sont ni des crimes ni des délits. Donc, ces contraventions relèveraient de la compétence réglementaire qui pourrait, de la sorte, édicter des peines de prison très lourdes.

Monsieur le Secrétaire général fait observer que cela est exclu à raison même de la nature de ces contraventions et que le Conseil d'Etat s'y est toujours opposé.

Monsieur VEDEL le reconnaît et indique qu'il voulait souligner, en raisonnant par l'absurde, le danger qu'il y avait à faire de cette matière répressive une matière toute entière réglementaire.

Il y a certes un particularisme de la contravention de grande voirie. Ce particularisme est effectif même s'il est parfois exagéré. Ainsi, il y a des contraventions de police qui sont purement matérielles ; il suffit de songer aux dispositions réprimant le stationnement irrégulier sur les voies publiques. 

Mais, pour en revenir à notre problème, Monsieur le rapporteur à je pense qu'il y a une faute d'orthographe à "à" dans la décision du conseil constitutionnelraison. Il faut se demander ce que le législateur a voulu faire. La contravention de grande voirie a un aspect répressif. Il nous faut donc nous rattacher aux dispositions de l'article 34 qui traitent de la matière répressive. Nous n'avons pas d'autres dispositions à nous mettre sous la dent si j'ose dire. C'est la seule branche à laquelle nous puissions nous raccrocher pour régler le problème de compétence. Nous raisonnons alors par analogie. Au-delà du seuil des contraventions de police, la contravention de grande voirie ressortit à la compétence du législateur. Le projet répond tout à fait à la préoccupation de na pas laisser au pouvoir réglementaire une compétence intégrale.

Monsieur VEDEL indique enfin qu'il avait pensé introduire dans la décision un obiter dictum rappelant celui de la décision de 1973. Seulement, ici, ce n'est pas possible de le faire puisque les contraventions de grande voirie ne comportent jamais de peines privatives de liberté.

Monsieur le Président souhaite présenter quelques observations. Il indique tout d'abord que la commission chargée du nouveau code pénal avait conclu au caractère intenable de la situation actuelle. A ses yeux, une contravention ne peut être passible d'une peine privative de liberté. Aujourd'hui, le Conseil n'a pas l'occasion de le dire. S'agissant du régime des contraventions de grande voirie, il se déclare frappé par le caractère extraordinaire de la procédure où il n'y a pas de ministère public et où les dérogations à la procédure pénale ordinaire sont nombreuses.

Monsieur VEDEL prend alors la défense des contraventions de grande voirie en citant un exemple précis dans lequel le fait qu'elles n'ont pas un caractère infamant avait permis de trouver une issue heureuse. Il s'agissait de la principauté de Monaco qui voulant s'étendre, s'était annexée cinquante mètres carrés des eaux territoriales françaises. C'était du temps du Général de Gaulle et la principauté craignait déjà de voir apparaître la flotte. Pour se tirer d'affaire, on dressa une contravention de grande voirie à Monaco et l'honneur de tous fut sauf !

Monsieur FABRE note que cette affaire, au départ minime qui porte sur le déclassement de quatorze mots, débouche sur un débat qui la dépasse très largement. A ses yeux, en demandant le déclassement, le Gouvernement va, par le décret qu'il s'apprête à prendre, avoir des pouvoirs très étendus.

Monsieur VEDEL fait observer que le déclassement ne concerne que le libellé de la clause d'éxonérationfaute à "éxonération"? et non l'article L. 69-1 dans sa totalité.

Monsieur FABRE s'interroge, en tant qu'ancien médiateur, sur le fait qu'il est possible que l'administration puisse ne pas répondre à une demande de renseignement émanant d'un administré.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE déclare adhérer au projet de décision. Comme Monsieur FABRE, il pense que les contraventions de grande voirie soulèvent des questions plus vastes que l'on croit. Elles ont en effet une incidence très grande en raison de la multiplicité des amendes encourues pour le même fait. Ces contraventions sont en dehors du droit commun. En définitive, dans une affaire aussi délicate, il pense que le rapporteur a eu raison de faire cet exposé général pour aboutir à sa conclusion. Enfin, à titre d'exemple, il souligne les problèmes qu'il rencontre avec les forains et les gitans qui viennent installer non des tentes mais des "mobils homes" dans la baie du Mont-Saint-Michel.

Monsieur le Président constate qu'aucun membre ne désire plus intervenir.

Monsieur SIMONNET rappelle qu'en 1926, Raymond POINCARE, (dont il se souvient lorsqu'enfant il l'avait entendu plaider à Valence, et un ancien Président de la République venant plaider à Valence, cela déplaçait du monde) avait senti ce qu'il y avait de contraire aux principes généraux du droit dans ces contraventions. Il avait alors donné la voirie au juge pénal.

A Monsieur FABRE, le rapporteur indique que si le Gouvernement se donne une facilité, il ne demande pas cependant le déclassement de l'ensemble de l'article qui reste contraignant pour le pouvoir réglementaire. La demande est limitée et ne donne pas carte blanche au Gouvernement.

A Monsieur JOZEAU-MARIGNE, qui a souligné l'opportunité d'une présentation générale de la question, il dit qu'il s'est beaucoup interrogé, car "il n'est pas un fanatique de travail, surtout en septembre", mais que finalement cet exposé lui était apparu nécessaire. Par ailleurs, l'ancien secrétaire d'Etat à la marine marchande ne peut qu'approuver les propos du Président du conseil général de la Manche lorsqu'il déplore l'invasion du domaine public. "Mais heureusement, il y a maintenant le conservatoire de l'espace littoral parcque ce pauvre domaine maritime il en voit" !

Le rapporteur donne ensuite lecture du projet de décision (voir annexe).

la deuxième phrase du deuxième considérant de la page 3 est modifiée à l'initiative du rapporteur pour mieux faire ressortir l'opposition entre les crimes et les délits, d'une part, et les contraventions de police, d'autre part.

Une brève discussion s'engage sur la rédaction du dernier considérant de la page 3 qui fait apparaître l'originalité des contraventions de grande voirie par rapport aux contraventions de police.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE suggère d'inverser certains mots dans la rédaction.

Monsieur SIMONNET souligne que le projet reprend sur ce point une formulation émanant du Conseil d'Etat.

Monsieur le Président fait observer : "N'ayons pas l'air de corriger le voisin" puis ajoute avec un sourire "Cela bouleverserait Monsieur PAOLI et Monsieur GENEVOIS...".

Le début du premier considérant de la page 4 est modifié à l'initiative du rapporteur qui a reçu de Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE une rédaction que le Conseil approuve.

Monsieur le Président se demande tout compte fait si le projet doit être aussi précis et s'il ne serait pas possible de faire l'économie du dernier considérant de la page 3.

Monsieur VEDEL exprime son désaccord sur ce point.

Il relève que si les qualifications juridiques adoptées par le juge constitutionnel sont autonomes par rapport à celles adoptées par les juridictions ordinaires, elles n'impliquent pas nécessairement un particularisme.

Ce dernier ne se justifierait que si l'adoption d'une qualification déterminée conditionnait la constitutionnalité. la situation est la même qu'en matière d'interprétation. Nous n'avons à donner une interprétation de la loi que si celle-ci conditionne sa constitutionnalité .

Or, au cas présent, la formule que vous proposez de retenir laisse supposer que les contraventions de grande voirie sont des contraventions de police. Ce n'est pas du tout le point de vue de la maison d'en face. Outre le maintien de la courtoisie de nos rapports avec elle, je ne vois pas l'intérêt sur le plan du raisonnement juridique de ne pas adopter le projet tel qu'il est.

Monsieur le Président indique qu'il a simplement recherché un raccourci rédactionnel.

Monsieur VEDEL : il y aurait ce faisant une motivation très équivoque.

Il n'y a rien d'inconstitutionnel dans la procédure des contraventions de grande voirie. Elle n'est d'ailleurs pas sans avantage sur le plan pratique. Avec l'exemple de la Principauté de Monaco je me suis situé sur un plan anecdotique. Mais, il y a en fait une multiplicité de contraventions de grande voirie. On en trouve pour de très petites choses ou alors pour des histoires de gros sous. Il n'y a rien là d'inconstitutionnel.

Monsieur le Président se rallie au projet présenté qui, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.

Monsieur le Président donne alors connaissance au Conseil du calendrier de ses prochains travaux.

Lundi 5 octobre

Matin : présence du Conseil constitutionnel au Conseil d'Etat pour les cérémonies du transfert des cendres de René CASSIN au Panthéon.

Après-midi : réunion du Conseil pour la nomination des rapporteurs-adjoints et l'examen d'un recours pour rectification d'erreur matérielle.


Vendredi 9 octobre 17 h 30

Monsieur le President invite les membres qui le peuvent à assister à la réception qui sera donnée en l'honneur d'une délégation de la Cour constitutionnelle italienne qui se rend à Paris dans le cadre des 13èmes journées juridiques franco-italiennes organisées par la société de législation comparée.

Mardi 13 octobre

Monsieur le Président rappelle la soirée du Conseil constitutionnel.

Vendredi 23 octobre

Matin : réunion du Conseil en vue de la préparation des élections présidentielles.

déjeuner offert en l'honneur du Président de la Cour constitutionnelle autrichienne.

Après-midi : séance de travail avec le Président de la Cour autrichienne.

La séance est lévée à 11 h 30.

Cette décision contient des annexes.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.