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PV1987-12-01<br> Anaëlle KERAMBRUN


SEANCE DU MARDI 1er DECEMBRE 1987

ORDRE DU JOUR Voir le dossier de séance ci-joint  :

I - Examen, sur le rapport de Monsieur Bernard STIRN, rapporteur adjoint auprès du Conseil constitutionnel, de la requête et du mémoire complémentaire de Monsieur Jacques BIDALOU dirigés contre Monsieur Edouard LECLERC, candidat â l'élection du Président de la République.

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Monsieur le Président ouvre la séance à 12 heures. Il invite les membres du Conseil à prendre place et note que si MM. JOXE légèrement souffrant et VEDEL, qui va subir une petite intervention chirurgicale sont absents, le quorum est cependant atteint, quorum bien suffisant pour traiter de l'affaire inscrite à l'ordre du jour. Il donne la parole à Monsieur STIRN.

Le caractère fantasque de Monsieur BIDALOU est bien connu, déclare le RAPPORTEUR, et, ayant fini par perdre son bon sens, ce magistrat a été mis à la retraite. Placé d'office à la retraite, il souligne que le requérant a conservé une manie contentieuse qui l'a conduit à saisir de nombreuses juridictions. C'est pourtant la première fois qu'il s'adresse au Conseil constitutionnel.

Le Conseil se trouve donc saisi de deux mémoires, l'un daté du 02 octobre 1987, le second du 02 novembre 1987, tous deux intitulés "réclamation contre des opérations préliminaires à la prochaine élection présidentielle". Ces deux mémoires sont rédigés dans un style désordonné, dont l'auteur est coutumier, il y développe deux séries de moyens. D'une part, il revient sur les irrégulatités qui auraient affecté le déroulement de sa carrière, d'autre part, il expose des griefs plus directement concentrés sur la prochaine élection présidentielle. S'agissant de ces derniers, il indique que lui-même se porte candidat à cette élection et dénonce les propos tenus par Monsieur Edouard LECLERC, dans une interview au Quotidien de Paris. Monsieur LECLERC y déclare qu'en raison de l'existence en France de 500 centres LECLERC, il n'est pas sorcier de demander à chacun de ses centres de recueillir au moins une signature d'un maire ou d'un conseiller général. Dans son mémoire complémentaire, Monsieur BIDALOU critique l'utilisation par Monsieur LECLERC du "fichier client" pour la diffusion d'un manifeste. Le requérant demande en conséquence au Conseil de "disqualifier le candidat Edouard LECLERC" et de prendre toutes les mesures qu'impose la situation.

Avant même de regarder la réponse qui peut être faite à ces mémoires, Monsieur STIRN pense qu'il est bon de rappeler, d'une part, les textes qui fondent la compétence du Conseil en la matière et, d'autre part, sa jurisprudence.




1. S'agissant des textes, il rappelle tout d'abord la teneur des dispositions de l'article 58 de la Constitution, en soulignant l'étendue de la compétence que le Conseil tire de cet article. Cette compétence a été définie ensuite par des textes allant de la loi organique au décret en Conseil d'Etat. La loi organique, indique Monsieur STIRN, a été prévue par l'article 63 de la Constitution. En vertu de cet article, l'article 30 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 a prévu que les attributions du Conseil en matière d'élection à la Présidence de la République seraient déterminées par la loi organique relative â cette élection. Tel a été l'objet de la loi référendaire du 6 novembre 1962 et plus spécialement de son article 3, modifié par les lois organiques du 18 juin 1976 et du 20 décembre 1983. Les dispositions qui intéressent plus spécialement aujourd'hui le Conseil sont, précise le rapporteur, celles figurant aux paragraphes I et III de cet article. Aux termes du paragraphe I, le Conseil arrête la liste des candidats et rend public le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur cette liste. En vertu du paragraphe III, le Conseil veille à la régularité des opérations et examine les réclamations dans les mêmes conditions que celles qui sont fixées pour les opérations de référendum par les articles 46, 48, 49 et 50 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Le Conseil tranche définitivement toutes les réclamations. Enfin, le paragraphe V de l'article 3 avait prévu l'intervention d'un règlement d'administration publique, aujourd'hui décret en Conseil d'Etat, pour fixer les modalités d'application. C'est ce qu'a fait le décret du 14 mars 1964 modifié depuis par les décrets des 14 août 1976,11 mars 1980 et 21 janvier 1981. Tels sont donc les textes qui encadrent l'intervention du Conseil constitutionnel.

2. En ce qui concerne la jurisprudence, Monsieur STIRN propose d'examiner successivement la position adoptée par le Conseil à l'égard des requêtes préliminaires "farfelues", puis les décisions concernant l'établissement de la liste des candidats, enfin la décision "Delmas" du 11 juin 1981 sur le décret de convocation des électeurs.

En 1981, le Conseil a été saisi à plusieurs reprises avant l'élection de requêtes peu sérieuses. Ces requêtes ont toutes été rejetées par une formule identique "Aucune des dispositions susvisées ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour statuer sur de telles conclusions". En l'espèce, il était demandé au Conseil soit d'intervenir dans des opérations préliminaires à l'élection - modalités de présentation des candidats (21 janvier 1981 - Krivine) ; égalité de traitement des candidats par les organismes publics et privés de presse et de communication audiovisuelle (9 mars 1981 - Nicolo) - soit de contrôler des actes réglementaires relatifs aux formulaires de présentation (19 mars 1981 - Rennemann ; 31 mars 1981 - Gillouard et, même date, Malraux ) .

Pour l'établissement de la liste des candidats, la décision la plus intéressante au regard de l'espèce est la décision du 11 avril 1981 (Scherne) de laquelle il ressort que le droit de contester l'établissement de la liste des candidats n'est ouvert qu'aux personnes ayant fait l'objet d'au moins une présentation.

Enfin, Monsieur STIRN examine la décision "Delmas" du 11 juin 1981. Il rappelle que le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 3 juin 1981 avait jugé que le décret portant convocation des électeurs pour les élections législatives était un acte préléminaire aux opérations électorales dont il n'appartenait qu'au Conseil constitutionnel, juge de l'élection d'apprécier la légalité. Peu de jours après, dans sa décision du 11 juin, le Conseil, non sans rappeler que le juge de l'élection ne connaît normalement que des réclamations contre les résultats, avait accepté de statuer avant l’élection dès lors que les griefs invoqués mettaient en cause la régularité de l'ensemble des élections.

Cette jurisprudence, dit Monsieur STIRN, dont Monsieur BIDALOU fait grand cas dans ces mémoires, est, de toute évidence, très circonscrite et ne peut trouver à s'appliquer ici. Il souligne d'ailleurs que par la suite, dans son arrêt BAUBY du 28 septembre 1983, le Conseil d'Etat s'est reconnu compétent pour connaître de la circulaire du ministre de l'Intérieur relative à la présentation des candidatures à l'élection du Président de la République.

3. Dans le cadre des textes et â la lumière de cette jurisprudence, Monsieur STIRN indique alors au Conseil qu'il convient de distinguer, dans les mémoires, deux séries de conclusions, selon qu'elles relèvent ou non de la compétence du Conseil. Entrent dans la compétence du Conseil, les conclusions relatives à la candidature potentielle de Monsieur LECLERC où le Conseil est saisi comme juge de l'élection. Mais ces conclusions ne sont pas recevables. Quant aux autres conclusions, elles sortent évidemment de la compétence du Conseil qui serait invité à intervenir dans le déroulement de procédures administratives.

Le rapporteur expose au Conseil qu'il a conçu le projet de décision sur ces bases. Certes, la question de la formulation du projet peut être posée. Peut-être une rédaction plus sobre serait mieux adaptée. Il n'en reste pas moins qu'il a été contraint de traiter, contrairement à la logique, de la recevabilité tout d'abord, de la compétence ensuite, pour pouvoir englober tout le reste des conclusions sans avoir plus à les préciser.

Pour être complet, Monsieur STIRN fait part au Conseil qu'il a été saisi la veille, le 30 novembre 1987, d'une autre requête émanant de Monsieur SALVAN. Cette requête se présente sous la forme d'une lettre informelle, qui est plus un brouillon qu'un pourvoi. Cette lettre est déclenchée par un article de Monsieur BIDALOU, joint â la requête, article écrit dans le journal "ZERO".

Le rapporteur expose au Conseil qu'il pourrait légitimement hésiter à considérer cette requête comme telle. Deux arguments cependant peuvent y contribuer. Le premier, formel, tient à l'intitulé même de requête adressée au juge de l'élection. Le second réside dans le fait que les griefs soulevés sont identiques à ceux de Monsieur BIDALOU. Ainsi ces deux requêtes pourraient être rejetées aujourd'hui pour les mêmes motifs.

A cette fin Monsieur STIRN indique qu'il a proposé un projet de décision, plus ramassé que le projet BIDALOU, chacun des deux projets permettant de répondre à ces deux requêtes.

Monsieur le Président remercie le rapporteur et ouvre la discussion.


Monsieur FABRE déclare porter un jugement très critique sur l'attitude de Monsieur BIDALOU. De son point de vue il faut donner le moins d'éclat possible à cette décision. Aussi, il se demande s'il convient de préciser que le candidat critiqué est Monsieur LECLERC. Pour les uns, le citer serait le disqualifier. Pour les autres ce serait lui donner une publicité dont il n'a pas besoin. Il pense donc que le mieux serait de trouver une formule neutre qui puisse, le cas échéant, être réutilisée.

Monsieur le Président est également partisan, face à l'extravagance du requérant, de rechercher la formulation la plus brève et la plus réduite. Il indique d'ailleurs que contrairement à l'habitude, il n'y aura pas de communiqué de presse. La décision sera publiée au Journal Officiel, ce qui sera largement suffisamment. Pour lui l'essentiel est d'ouvrir le moins possible la voie à d'autres requêtes, même s'il est conscient que le Conseil n'y échappera pas. Ainsi, il pense que le projet SALVAN, qui attend le point d'abstraction nécessaire, est meilleur.

Monsieur SIMONNET demande si la demande de Monsieur FABRE vaut aussi pour les visas de la décision ?

Monsieur le Président pense que oui et propose une rédaction qui fait apparaître qu'il n'y a pas encore de candidat mais seulement des personnes ayant manifesté l'intention d'être candidat â la Présidence de la République. En effet, Monsieur le Président estime que Monsieur LECLERC a fait une déclaration d'intention mais qu'il n'obtiendra pas le nombre requis des présentations.

Monsieur SIMONNET fait remarquer qu'étant implanté dans plus de 30 départements, il pourra sans difficulté récolter les 500 signatures. "Il sera donc candidat".

Monsieur le Président : "Vous croyez vraiment qu'il aura les 500 signatures ? Cher ami je vous parie un cigare que non I"

Monsieur SIMONNET indique qu'il est très facile d'obtenir les signatures de maires de toute petite communé. Il suffit d'un banquet, d'un chèque !

Monsieur STIRN donne alors lecture du projet SALVAN. Ce projet, légèrement modifié à la demande de MM. JOZEAU-MARIGNE et SIMONNET est adopté. Le projet BIDALOU est ensuite adopté, le premier considérant étant calqué, sous réserve d'une adaptation rendue nécessaire par la dualité des conclusions, sur le considérant du projet SALVAN. Ces projets sont adoptés.

Monsieur le Président remercie Monsieur STIRN en ces termes "Maintenant que vous êtes un spécialiste de BIDALOU, cela va vous poursuivre toute votre carrière." Il rappelle enfin aux membres qu'ils se retrouvent à 13 heures pour leur déjeuner mensuel.

La séance est levée à 12 h 30.

Cette décision comporte des annexes.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.