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Eléanore PHILIBERT
PV1988-06-04

SEANCE DU 4 JUIN 1988

La séance est ouverte à 9 h 30. Tous les membres sont présents, sauf MM. VEDEL et SIMONNET.

M. le Président : Nous sommes saisis de requêtes dont l'objet au moins est considérable puisqu'il s'agit de repousser les élections législatives. Le Conseil constitutionnel se devait d'anticiper pour éviter que l'on puisse dire qu'il a préjugé le mérite des requêtes en différant sa décision. Il est donc souhaitable qu'il se prononce en temps utile. Je remercie les membres d'avoir bien voulu se réunir. M. SIMONNET est toujours souffrant. M. VEDEL est retenu en province pour un deuil familial. Le quorum est atteint.

M. JOZEAU-MARIGNE donne lecture de son rapport sur les requêtes dirigées contre

- le décret du Président de la République du 14 mai 1988 portant dissolution de l’Assemblée nationale ;

- le décret n° 88-719 du même jour portant convocation des collèges électoraux pour l'élection des députés à l’Assemblée nationale et fixant le déroulement des opérations électorales.

Monsieur le Président, mes chers collègues,

En l'espace de quelques jours, entre le 25 mai et le 31 mai, le Conseil constitutionnel a été saisi de quatre requêtes, dont il importe de rappeler très brièvement le contenu.

Une première requête émane de Monsieur Rosny MINVIELLE de GUILHEM de LATAILLADE. Elle a été présentée au Conseil constitutionnel le 25 mai. Elle est dirigée contre le décret du Président de la République du 14 mai 1988 portant dissolution de l’Assemblée nationale. Je précise que le requérant est avocat, inscrit au barreau de Paris. Par souci de concision, je me permettrai de l'appeler MINVIELLE.

Les trois autres requêtes dont le Conseil a été saisi, respectivement les 27 mai, 30 mai et 31 mai, sont dirigées contre un autre décret du 14 mai 1988. Il s'agit d'un décret n° 88-719, portant convocation des collèges électoraux pour l'élection des députés à l'Assemblée nationale et fixant le déroulement des opérations électorales.

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Ces requêtes ont été présentées, dans l'ordre chronologique :

- par M. Thierry GALLIENNE, domicilié rue Pasteur à SAINT-CLOUD ;

- par M. Jean-Louis LEMAIRE, domicilié 14, rue de Rémusat à PARIS 16° ;

- et, enfin, par Messieurs Jean-Marie LE PEN et Georges-Paul WAGNER, qui sont l'un et l'autre députés sortants et candidats aux élections législatives

Je me propose, Monsieur le Président, mes chers collègues, d'examiner dans un premier temps, les trois requêtes contestant le décret de convocation du corps électoral. En effet, l'examen de ces trois requêtes ne soulève aucune difficulté sur le plan juridique compte tenu de votre jurisprudence DELMAS de 1981. Ce n'est que dans un second temps que j'analyserai la requête de M. MINVIELLE dirigée contre le décret de dissolution. Cette requête présente à juger une question de droit originale, dont la solution n'est cependant, à mes yeux, guère douteuse.

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I - Examinons donc, tout d'abord, les requêtes mettant en cause le décret portant convocation du corps électoral et fixant le déroulement des opérations électorales

Je disais à l'instant que l'examen de ces requêtes ne présentait pas de difficulté, en me référant à la position adoptée par le Conseil, dans une décision du 11 juin 1981, rendue à la suite d'une requête de M. DELMAS, député. Ce dernier avait contesté, d'abord devant le Conseil d'Etat, puis devant le Conseil constitutionnel, la légalité de deux décrets du 22 mai 1981 portant convocation des collèges électoraux pour l'élection des députés et fixant le déroulement des opérations électorales.

L'argumentation que développait alors M. DELMAS consistait à soutenir que les dates qui avaient été retenues pour le dépôt des candidatures, la durée de la campagne électorale et les élections étaient contraires aux délais fixés par le Code électoral, dans ses articles L. 157, L.164, L. 166 et L. 173.

Comme vous avez pu le constater, c'est une argumentation du même ordre qui nous a été présentée par MM. GALLIENNE, LEMAIRE, LE PEN et WAGNER.

Or, qu’a répondu le Conseil dans l’affaire DELMAS ?

La décision du 11 juin 1981, rendue sur le rapport de M. le Doyen VEDEL, a pris position sur trois questions juridiques très importantes.

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1) En premier lieu, le Conseil constitutionnel a décidé qu'il était bien compétent pour statuer sur la requête de M. DELMAS en application de l'article 59 de la Constitution. Je rappelle à cet égard qu'aux termes de l'article 59 : "Le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs".

La solution adoptée sur le plan de la compétence n'innovait en rien par rapport à la jurisprudence antérieure. Le Conseil avait déjà admis qu'il pouvait en tant que juge de l'élection se prononcer sur la régularité de l'acte fixant la date de l'élection (cf. en ce sens : 30 janvier 1968. Assemblée nationale, Corse, 3ème circonscription au Recueil de 1967 p. 199).

2) En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel a admis la recevabilité de la requête par laquelle M. DELMAS mettait directement en cause la régularité du décret de convocation du corps électoral.

C'est sur ce point que la décision traduit une réelle originalité. En principe le Conseil constitutionnel ne peut être saisi que par voie de réclamations contre les résultats des élections.

Il a admis cependant qu'il pouvait statuer sur la validité du décret de convocation du corps électoral avant même que les opérations électorales n'aient commencé en se fondant sur l'idée de nécessité. C'est ce qu'a rappelé, tout récemment, devant nous, M. le Doyen VEDEL, au cours de la séance du 6 avril 1988.

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3) En dernier lieu, la décision DELMAS a fait justice de la contestation qui reposait sur le fait que n'étaient pas respectés les délais prévus par le Code électoral.

Sur ce point, la décision du Conseil a retenu à titre principal que si les dispositions de nature législative du Code électoral s'imposent lors d'un renouvellement normal de l'Assemblée, il n'en va pas de même dans l'hypothèse d'une dissolution. En pareil cas, s'appliquent et doivent prévaloir les dispositions de l'article 12 de la Constitution selon lesquelles, les élections ont lieu "vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution".

L'idée selon laquelle les dispositions constitutionnelles régissant la dissolution l'emportent sur des dispositions législatives relatives au jour des élections, avait déjà été adoptée par le Conseil d'Etat dans un avis de son Assemblée générale du 2 décembre 1955 (mentionné par M. le Doyen VEDEL dans son ouvrage de Droit administratif - 8ème édition p. 380).

Je vous propose de vous en tenir au cas présent, purement et simplement, à la jurisprudence DELMAS.

Sa transposition me paraît s'imposer. Je signale à cet égard que le calendrier adopté pour les législatives de juin 1988 par le décret du 14 mai 1988 est identique à celui qui avait été retenu pour les législatives des 14 et 21 juin 1981, par les décrets du 22 mai 1981. Pas plus qu'en 1981, le calendrier fixé ne met en cause la liberté et la sincérité du scrutin.

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Le projet de décision qui vous a été distribué :

- procède à la jonction des trois requêtes portant sur le même objet ;

- répond directement sur le fond à l'argumentation dont le Conseil est saisi, sans reprendre en détail les questions de compétence et de recevabilité car elles ont été tranchées en 1981.

J'ajouterai que, dans un article de presse publié ce matin, j'ai lu que M. LE PEN escompte que M. Valéry GISCARD d'ESTAING viendra soutenir devant nous sa requête.

La discussion est ouverte par M. le Président.

M. LECOURT souligne qu'il n'a rien à modifier ni à ajouter à l'excellent rapport. Il est cependant utile, dans un tel contexte, d'attirer l'attention du Président de la République sur la difficulté devant laquelle nous nous trouvons d'avoir à respecter l'article 12 de la Constitution en transgressant légèrement l'article 34.

Dans le texte que nous examinons, nous constatons que le code électoral est inadapté (1). En réalité, l'article LO. 122 du code électoral réserve le cas des élections faisant suite à une dissolution. Mon observation se borne à cela. Sur le fond, je n'ai pas la moindre observation.

M. le Président : Vous avez tout à fait raison. Le Législateur devrait régler cette disparité.

M. FABRE : Est-ce que l'observation sera rendue publique ? Cela risque d'affaiblir notre position !

M. le Président : Non la hiérarchie des normes s'impose ! Notre rapport établi à la suite des élections le signalera. Même s'il est prévu qu'il ne sera pas rendu public, l'existence de photocopies lui assurera une publicité...

M. JOZEAU-MARIGNE : Votre intervention, M. LECOURT, me fait penser à une chose : le projet du gouvernement n'est-il pas contraire à une directive européenne ?

M. LECOURT : En cas de différence, le droit international l'emporte sur le droit interne.

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M. le Président JOZEAU-MARIGNE donne alors lecture de son rapport sur la requête de M. MINVIELLE.

Nous allons retrouver des questions de compétence, sous un angle un peu différent, avec l'examen de la requête de M. MINVIELLE dirigée contre le décret du Président de la République du 14 mai 1988, portant dissolution de l’Assemblée nationale.

Cette requête est doublement originale :

- elle l'est d'abord par son objet : c'est la première fois, en effet, que le Conseil constitutionnel est saisi d'un recours dirigé contre le décret par lequel le Président de la République décide de dissoudre l’Assemblée nationale ;

- elle est originale également par l'argumentation qu'elle développe. Le long argumentaire qu'elle développe. Le long argumentaire de M. MINVIELLE peut se résumer en cette idée : avant de dissoudre l’Assemblée nationale, le Président de la République devait, en vertu de l'article 12 de la Constitution, consulter "les présidents des assemblées". Il aurait dû à ce titre consulter, non seulement le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat mais aussi le Président du Conseil économique et social. Il n'a pas été jusqu'à dire qu'il aurait fallu consulter les présidents des assemblées départementales...

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L'énoncé même de cette argumentation en montre la faiblesse. Il est évident en effet que le Conseil économique et social ne saurait en rien être assimilé à une assemblée parlementaire. Sous l'empire de la Constitution de 1946, cela a déjà été jugé par le Conseil d'Etat (1). cf. en ce sens les arrêts VOUTERS du 13 mars 1957 (sol. impl.) et SIMONET du 17 mai 1957.

Mais si la requête de M. MINVIELLE ne vaut rien sur le fond, elle pose au préalable une question de compétence.

J'examinerai d'abord les raisons qui pourraient justifier que vous acceptiez de vous reconnaître compétent, puis les arguments qui me paraissent plaider en sens contraire.

L'argumentation de M. MINVIELLE repose sur l'exégèse d'une décision du Conseil d'Etat du 3 juin 1981, rendue dans l'affaire DELMAS.

Selon les termes employés par le Conseil d'Etat : "il n'appartient qu'au Conseil constitutionnel qui est, en vertu de l'article 59 de la Constitution du 4 octobre 1958, juge de l'élection des députés à l'Assemblée nationale, d'apprécier la légalité des actes qui sont le préliminaire des opérations électorales".

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J'observe sur le plan de la forme que le Conseil d'Etat aurait dû se borner à décliner sa compétence sans se risquer à prendre position sur la compétence éventuelle du Conseil constitutionnel. En réalité, la rédaction de l'arrêt du Conseil d'Etat a été calquée sur le mode de rédaction des décisions du Tribunal des Conflits, lorsque ce Haut Tribunal répartit les compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire.

En fait, l'idée que développe M. MINVIELLE est que le Conseil constitutionnel serait compétent sur le fondement de l'article 59 de la Constitution, article dont je rappelle le texte :

"Le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs".

Ni sur le plan du droit, ni sur le plan de l'opportunité jurisprudentielle, la démonstration faite par M. MINVIELLE ne m'a convaincu.

Sur le plan strictement juridique, il faut partir de cette idée que la compétence du Conseil constitutionnel est définie par la Constitution . C'est ce que le Conseil a admis à diverses reprises :

- d'abord dans une décision de principe du 14 septembre 1961 (Rec. p. 55-, qui était en tous points conformes à une analyse que fit le doyen VEDEL, dans le journal "Le Monde" daté du 14 septembre 1961) ;

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- et plus récemment, il a confirmé ce point de vue par une décision du 16 avril 1986, Mme PIAT, décision que j'ai eu l'honneur de rapporter devant vous.

Je rappelle également que selon l'article 63 de la Constitution, c'est à la loi organique qu'il revient de déterminer les règles d'organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel, la procédure qui est suivie devant lui, et notamment les délais ouverts pour le saisir de contestations.

Il résulte a contrario de ce dernier texte, que les attributions du Conseil constitutionnel sont bien du ressort de la Constitution. La loi organique doit se borner à fixer des modalités d'application et notamment des délais de procédure.

C'est bien ainsi qu'il a été procédé pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs.

Les modalités d'application de la compétence que le Conseil tient de l'article 59 de la Constitution, ont été fixées par les articles 32 à 45 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958. L'idée directrice de l'ordonnance est que le Conseil constitutionnel est saisi d'une réclamation dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats du scrutin. La réclamation peut émaner d'un candidat malchanceux ou d'un électeur de la circonscription. Au demeurant, il est logique que le juge de l'élection puisse être saisi d'une réclamation tendant à l'annulation d'une élection.

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Dans le cadre ainsi défini, le juge de l'élection a compétence pour connaître des actes qui contribuent directement à la réalisation de l'opération électorale : décret de convocation du corps électoral ; jugements du tribunal administratif ou décisions du préfet concernant l'enregistrement des candidatures.

Nous avons vu précédemment, avec l'examen de la décision DELMAS que le Conseil pouvait, à titre exceptionnel, statuer sur le décret de convocation du corps électoral avant les élections.

Mais cela ne signifie pas que la compétence du juge de l'élection puisse remonter dans le temps sans aucune limite.

J'observe à cet égard que le Conseil se refuse à connaître, en tant que juge de l'élection, de la constitutionnalité d'une loi dont il est fait application à l'occasion d'opérations électorales. Il s'agit là d'une jurisprudence constante, qui a été confirmée par une décision du 1er avril 1986 (Rec. p. 33).

Il est intéressant de relever également que le Conseil d'Etat considère qu'un décret portant dissolution d'un Conseil municipal est détachable des élections municipales qui doivent intervenir ultérieurement. Cela ressort d'une décision du 9 novembre 1959 ROSAN GIRARD.

Autrement dit, le décret de dissolution du Conseil municipal n'est pas du ressort du juge des élections. Il n'est pas le préliminaire nécessaire des élections législatives. En règle générale, l'élection des députés n'est pas précédée par une dissolution. Le cas de l'élection des sénateurs est encore plus significatif.

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Sauf à donner à la notion d'opérations électorales un sens qui n'est, ni celui couramment admis en droit français, ni celui qui résulte de l'article 59 de la Constitution, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour statuer sur la requête de M. MINVIELLE.

Justifiée en droit, cette solution me paraît également très opportune.

L'intervention du Conseil constitutionnel sera plus facilement admise et son autorité sera plus forte s'il sait rester dans les limites de la compétence que lui assigne la Constitution.

Or, il n'est pas inutile de rappeler que le décret de dissolution est une prérogative propre du Président de la République qu'il exerce sans contreseing.

Dans l'exercice de ce pouvoir, il n'entre aucun élément d'appréciation qui puisse relever d'un contrôle juridictionnel.

Le Chef de l'Etat est simplement assujetti à une double obligation :

- une obligation préalable de consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées ;

- une impossibilité de faire usage du droit de dissolution au cours de certaines périodes de temps : pendant un délai d'un an suivant les élections intervenues, à la suite d'une précédente dissolution ; pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels de l'article 16. De plus, on sait que

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le Président du Sénat, lorsqu'il exerce provisoirement les fonctions de Président de la République, n’a pas le pouvoir de dissoudre l'Assemblée nationale.

Toutes ces règles ont un caractère objectif. Leur respect paraît aller de soi. Si elles venaient, par impossible, à être transgressées, on serait alors dans une période de crise grave où serait en jeu la responsabilité du Président de la République.

Il me semble qu’en pareille hypothèse c'est la mise en oeuvre de l'article 68 de la Constitution qui serait d'une quelconque utilité, et non une application de l'article 59 qui en forcerait abusivement les termes.

Pour ces diverses raisons, je vous propose de rejeter la requête de M. MINVIELLE, au moyen d'un projet inspiré sur le plan rédactionnel de la décision Madame PIAT.

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M. le Président ouvre la discussion.

M. LECOURT : J'approuve complètement les orientations du rapport. Je voudrais cependant soulever une difficulté, non pas dans cette affaire, mais dans l'interprétation de l'article 12 de la Constitution au regard de notre propre compétence. Selon l'article 12, alinéa 1er de la Constitution, le Président n'est limité par aucune règle pour dissoudre l'Assemblée nationale.

Il y a cependant un cas de limitation dans le dernier alinéa de l'article 12 : le Président ne peut pas dissoudre pendant les 12 premiers mois qui suivent une élection après dissolution. Qui contrôlera s'il y a eu dissolution avant l'expiration des 12 premiers mois ? Je suis d'accord, on n'échappera pas dans notre espèce à l'irrecevabilité de la demande. Mais pour la compétence dans le cadre de l'article 12, 4ème alinéa, ne faut-il pas être prudent ?

M. le Président : C'est un problème très important. Quel est le mobile de cette requête ? Est-elle inspirée par un groupe promotionnel du Conseil économique et social ? C'est le fond avoué de la requête. Sans doute, le Conseil constitutionnel doit-il statuer sur la recevabilité de la requête de tout citoyen en tant qu'électeur. Mais on veut nous forcer à nous prononcer sur les limites de la compétence notamment en cas de méconnaissance de l'article 12, alinéa 4, de la Constitution. Cela relève de la Haute Cour de Justice ou du contrôle du Conseil d'Etat. Mais l'idée que le Conseil d'Etat pourrait censurer un tel acte constituerait un saut vertigineux. C'est la théorie des actes de gouvernement qui trouve ici application. Je m'interroge et je vous interroge. Ne serait-il pas souhaitable que le Conseil constitutionnel puisse, à la requête des parlementaires, statuer ? Devons-nous trancher cette question ? Prenons garde à une jurisprudence trop contraignante.

M. JOZEAU-MARIGNE : J'avais souligné moi-même les limites du droit de dissolution. Je pense tout haut. Contre un tel décret de dissolution, il faut nous réserver une possibilité. II faudrait suggérer cela.

M. le Secrétaire général : On peut tous penser à l'hypothèse d'une violation très grave de la Constitution. Dans le cas, il n'y aurait pas d'autre issue que la traduction du Président de la République devant la Haute Cour. Peut-être pourrait-on également faire référence à la théorie de l'inexistance de l'acte ou encore à la notion de voie de fait ? Si l'illégalité est très grave, l’acte est inexistant et sa nullité peut être constatée sans condition de délai.

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M. LECOURT : Ainsi, dès lors que le Conseil constitutionnel pourrait déceler derrière l'illégalité une inexistence, nous reconnaîtrions notre compétence ? On ne peut donc pas dire aujourd'hui que le Conseil est incompétent.

M. le Secrétaire général : Je pense plutôt à un parallèle avec la théorie de la voie de fait. Dans le cas où, d'actes administratifs manifestement illégaux et portant atteinte à un droit fondamental, la jurisprudence du Tribunal des Conflits a dégagé la théorie de la voie de fait. S'il y a voie de fait, l'acte est dénaturé et le juge judiciaire peut en constater la nullité alors qu'il n'est pas compétent normalement pour en apprécier la légalité. Dans un souci d'efficacité le juge des conflits a admis depuis un arrêt GUIGON de 1988 que le juge administratif pouvait lui aussi constater la nullité en cas d'acte constitutif d'une voie de fait.

On pourrait songer à transposer une semblable construction juridique à l'intervention d'un décret de dissolution qui violerait de façon manifeste une règle de fond édictée par la Constitution. Je ne suggère là qu'une piste possible si le Conseil constitutionel voulait réserver une hypothèse extrême.

M. le Président : Ne nous lançons pas aujourd'hui dans une théorie très élaborée. Réservons le cas pour l'avenir. Il faut en dire le moins possible face à cette requête. Il ne faut pas tomber dans le piège qui nous est tendu.

Le projet de décision est modifié. La formule "pour statuer sur une requête dirigée contre le décret portant dissolution de l’Assemblée nationale" est remplacée par "pour statuer sur la requête susvisée" (1). Lors de la séance du 13 juillet 1988, le Conseil constitutionnel a écarté sa compétence pour connaître par la voie de l'exception d'un décret de dissolution.

La séance est levée à 10 h 30.

Cette délibération contient des annexes.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.