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PV1988-07-20<br><br><br><br> Florian KARTNER

SEANCE DU 20 JUILLET 1988

La séance est ouverte à 10 heures. Tous les membres étant présents à l'exception de Monsieur Maurice-René SIMONNET.

Monsieur le Président salue la présence de Monsieur JOZEAU-MARIGNE qui "s'arrache du Val de Grâce pour se joindre à nous avec le feu vert, sans doute, des autorités médicales".

Il signale ensuite que l'ordre du jour comporte la question du remplacement de Monsieur ROBINEAU, rapporteur adjoint près le Conseil constitutionnel qui vient d'être nommé directeur de l'éducation surveillée .

Qui doit le remplacer ?

Monsieur le Secrétaire général signale qu'il s'agit de Monsieur Christian VIGOUROUX dont il rappelle brièvement le curriculum vitae : E.N.A., auditeur au Conseil d'Etat, puis maître des requêtes, adjoint au directeur de l'urbanisme et des paysages, actuellement commissaire du gouvernement qui a eu à conclure sur l'extradition d'un basque espagnol et sur l'expulsion de ressortissants iraniens.

Monsieur le Président MAYER fait l'éloge de Monsieur ROBINEAU.

Monsieur le Président s'associe aux commentaires de Monsieur MAYER et souligne que la charge est lourde et que la fonction conduit à de plus hautes destinées. Dont acte pour la désignation de Monsieur VIGOUROUX conclut-il.

Monsieur FABRE promet trois minutes de détente avec l'affaire dont il est le rapporteur et qui concerne le désistement de Messieurs Guy VAXELAIRE et Jean VALROFF de leur recours contre l'élection de Monsieur SPILLER, dit "Coco", marchand de meubles dont l'enseigne pourrait être "Tout ce qui bouge reçoit quelque chose de SPILLER" (soit un réfrigérateur, soit un salon...).

C'est un candidat indépendant qui est arrivé en tête de la droite au premier tour de scrutin et qui l'a emporté au second tour avec 24285 voix devant Monsieur VAXELAIRE, 20907 voix.

La contestation de son élection repose sur les articles 49 et 52 du code électoral, et plus précisément sur l'excès de la publicité commerciale (les distributions de bienfaits, commente Monsieur FABRE, en font un "Marcel DASSAULT au petit pied").

Mais Monsieur SPILLER rapidement dégoûté de Paris envisage de donner sa démission et le fait savoir.


Cependant, les dispositions de l'article 6 du règlement cie l’Assemblée nationale ne permettent pas cette démission, dès lors que l'élection a été contestée, avant que le Conseil constitutionnel n'ait rendu une décision de rejet.

Ainsi donc, pour permettre la démission annoncée ; les requérants se désistent-ils de leur recours. Cela devrait conduire à de nouvelles élections .

Nous ne pouvons que donner acte du désistement.

Monsieur le Président : Très bien... la suite de l'ordre du jour comporte le contrôle de la loi d'amnistie qui nous a été déférée. Monsieur le Doyen VEDEL a bien voulu se charger du rapport. Je l'en remercie d'autant plus que les délais ont été très brefs comme l'implique la nature de la loi. Elle devrait pouvoir être promulguée demain au grand soulagement de l'Administration pénitentiaire et au bénéfice de ceux qui sont concernés.

A vous Monsieur le Doyen... Il est 10 h 08.

Monsieur VEDEL souligne que la loi d'amnistie constitue une tradition lors de l'élection présidentielle et qu'il pourrait conter mille choses pittoresques à son sujet, mais sur lesquelles il ne s'étendra pas. Généralement la loi d'amnistie, consécutive à une élection présidentielle, ne pose pas de problèmes. Ici, au contraire, on se trouve devant un double conflit, majorité/opposition et Assemblée nationale/Sénat.

Tout a tenu à l'article 15 de la loi qui prévoit l'amnistie des sanctions professionnelles des salariés qui relèvent du droit privé.

L'amnistie est-elle applicable à cette catégorie ?

Peut-elle conduire à la réintégration ?

Voila le coeur du débat et la pomme de discorde.

Pour le reste il s'agit du débat classique : n'oublier personne... ne pas poser de limites... trop étroites...

Le Sénat a d'abord supprimé l'article 15 qui ne comportait pas de droit à réintégration. L'Assemblée nationale l'a rétabli en ajoutant le paragraphe II qui concerne la réintégration. Le Sénat en seconde lecture a opposé la question préalable.

La procédure a ensuite normalement suivi son cours et, après l'échec de la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale a imposé son point de vue .

La présentation de la loi est assez classique.

Dans son chapitre I elle tient compte d'abord de la nature des infractions (contraventions, délits, dont conflits du travail, élections, presse, etc...), ensuite du quantum ou de la nature de la peine, ce qui permet l'amnistie pour les condamnations en dessous d'un certain tarif. Cela peut d'ailleurs entraîner des complications en raison du sursis simple et du sursis avec mise à l'épreuve. La grâce amnistiante, c'est à dire l'amnistie par mesure individuelle est aussi prévue (chapitre II).

C'est le chapitre III qui nous intéresse : il concerne l'amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles et de certaines mesures administratives. Les effets de l'amnistie sont présentés en termes classiques.

Le chapitre V concerne les exclusions du bénéfice de l'amnistie. La liste est longue et diverse... Mais il n'est pas utile de connaître l'ensemble de la loi dans le détail pour résoudre les problèmes qui nous sont posés. La vigilance de Monsieur le Secrétaire général a cependant été extrême et cela nous a conduit à soulever au cours de la discussion avec les représentants du gouvernement deux petits problèmes :

- l'un concerne l'article 13 dont le texte aurait pu être mieux rédigé, mais finalement il n'y a rien à dire après les explications données concernant le sens des dispositions sur l'interdiction du territoire ;

- l'autre provient de ce que l'amnistie concerne (sous forme d'exclusion) certaines infractions liées à des textes de nature réglementaire. La question pouvait se poser de savoir si le visa d'un texte réglementaire aboutissait à sa validation avec la conséquence qui en résulte de la suppression du contrôle du juge administratif. Interrogation qui se justifiait d'autant plus que le texte sur le prix du livre concerné est en instance dvant la juridiction européenne.

correction du texte: devant au lieu de dvant

Mais nous avons été rassurés par les représentants du gouvernement sur ce point aussi .

La validation, comme cela a été souligné, doit apparaître comme une nécessité et en l'espèce, ni subjectivement ni objectivement une telle nécessité ne peut être retenue et donc il n'y a aucun risque de validation.

Ceci pour rassurer les membres du Conseil sur les vices cachés du texte :

Nous sommes en présence de deux saisines :

- l'une émanant de 60 députés,

- l'autre de 60 sénateurs.

Elles se présentent de manière différente.


Les députés annoncent dans leur saisine un mémoire ampliatif ultérieur. Cela est acceptable et le mémoire s'incorpore à la saisine car il a le même objet qu'elle.

Pour les sénateurs, la saisine a été suivie d'un mémoire présenté au nom de MM. PASQUA et DAILLY mais signé uniquement de Monsieur PASQUA. L'incorporation à la saisine n'est dans ces conditions pas possible.

Monsieur le Président : Pourquoi Monsieur DAILLY, s'il n'a pas signé, est-il mentionné ?

Monsieur le Secrétaire général : Monsieur DAILLY n'entend pas signer, il s'agit donc d'un mémoire complémentaire de Monsieur PASQUA qui ne doit pas être publié au Journal Officiel.

Monsieur le Président : Il faut allerter le Sénat et je note donc qu'il ne s'agit pas d'un mémoire recevable.

Monsieur VEDEL : Le problème du mémoire complémentaire renvoie à la déontologie du Conseil constitutionnel. Nous avons pris l'habitude de répondre à chacun des moyens même si la discussion induite est légère. C'est dans ce sens que nous agirons pour les députés, mais pour les sénateurs, nous nous en tiendrons uniquement aux arguments développés dans la saisine officielle. Je signale que le mémoire de Monsieur PASQUA contient un argument relatif à la procédure législative inattendu et auquel on ne répondra pas.

Il consiste à nous demander d'appliquer en l'espèce la jurisprudence sur l'amendement SEGUIN (1). Il s'agit là d'un argument un peu "délirant" car l'amendement sur l'article 15 concerne bien la loi d'amnistie. Si l'argument s'était trouvé dans la saisine des députés, une réponse leste aurait été nécessaire.

Si vous me suivez, vous garderez le silence sur ce point.

Qu'est-ce qui est attaqué dans la loi ? Les articles 7 c) et 15.

L'article 7 c) qui prévoit des conditions d'amnistie plus favorables dans les D.O.M. T.O.M. qu'en métropole est critiqué comme étant contraire au principe d'égalité devant la loi. L'article 15 est contesté en ce que l'amnistie intervient dans des rapports de droit privé et, plus véhémentement, en ce qu'elle comporte une obligation de réintégration.

Les sénateurs ne contestent pas l'article 7 c) et concentrent leur feu sur l'article 15. Une rencontre avec des représentants du secrétariat général du Gouvernement, de la chancellerie et du ministère du Travail a eu lieu. A sa suite, deux notes ont été produites par le Gouvernement. Enfin, Maître LYON-CAEN a produit un mémoire pour la C.G.T.

Le problème de l'article 7 c) ne nous retiendra pas longtemps. (Lecture).

(1) Allusion â la décision du 23 janvier 1987.

Pour la note de bas de page le numéro de page n'apparaît pas, je ne sais pa si c'est normal ou non. 


Il y a donc une modulation de l'amnistie entre les D.O.M. T.O.M. et le reste du territoire. C'est une disposition bizarre et unique dans les lois d'amnistie qui a été introduite au Sénat. (Séance du 30 juin 1988) par Monsieur RAMASSAMY, soutenu par Monsieur VIRAPOULE. (Lecture du passage justifiant la modulation).

Cette argumentation fut d'ailleurs soutenue par tous les sénateurs d'outre-mer sans distinction d'appartenance politique. Monsieur le Garde des Sceaux a cependant émis des réserves sur la constitutionnalité de l'amendement. Monsieur DREYFUS SCHMIDT pensait que le Conseil constitutionnel ne pourrait être saisi alors que l'ensemble des groupes étaient signataires de l'amendement au travers des élus des départements et territoires d'outre-mer !

Monsieur le Président remarque, qu'effectivement, une disposition inconstitutionnelle peut subsister si on ne saisit pas le Conseil constitutionnel.

Monsieur VEDEL tout en remarquant que Monsieur DREYFUS-SCHMIDT s'est imprudemment avancé souligne que la disposition aurait été censurée d'office dans le cadre de la saisine du Conseil constitutionnel. Derrière l'aspect anodin, c'est une chose essentielle qui est concernée. Il faut cependant écouter les arguments de défense du Gouvernement. Il invoque votre décision sur la Corse (1) et la distinction possible de parties du territoire si elle intervient sur des fondements objectifs. (Lecture du considérant n° 13 de cette décision). Or, fait remarquer le Gouvernement, quoi de plus objectif que le critère géographique ?

Bien entendu, cette argumentation ne tient pas. Le critère d'application de l'article 7 c) est d'ailleurs incertain... Qui est vraiment concerné ? Peut-il s'agir de métropolitains condamnés dans les D.O.M. T.O.M. ? Y-a-t-il une citoyenneté pénale ?

Tout cela est incohérent.

La décision de 1982 veut dire que l'amnistie peut viser certaines infractions liées à des évènements déterminés pour lesquelles le pardon et l'oubli s'imposent (Algérie-Corse). Mais il ne s'agit pas de cela en l'espèce. C'est un critère arbitraire qui n'a pas de rapport avec le but de la loi d'amnistie qui est retenu.

On ne peut imaginer une atteinte plus grave portée au principe d'égalité posé par l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Une autre justification est esquissée à partir des articles 73 et 74 de la Constitution. (Lecture).

Mais en quoi une situation particulière ou une organisation particulière pourraient-elles justifier la disposition ? Quel rapport ont ces articles avec la loi d'amnistie ?

Je pense avoir épuisé ce que l'on pourrait dire et vous ne serez pas étonnés si je propose la censure.

(1) Décision n° 82-138 DC du 25 février 1982, Rec. p. 41.



Monsieur le Président propose que l'on discute à ce stade de l'exposé sur l'article 7 c).

Monsieur FABRE souligne l'espoir que cette disposition avait pu faire naître et la déception qui suivra la censure.

Monsieur le Président : Ou l'inverse... la situation est dialectique et on peut être satisfait de la censure.

Ou

Monsieur MAYER : On pourrait ne pas censurer s'il était de notoriété publique que la justice est systématiquement plus sévère en outre-mer, mais je suis d'accord avec Monsieur le rapporteur.

Monsieur le Président : Il faudrait procéder cour par cour et même chambre par chambre si on retenait le principe posé.

Monsieur le Président JOZEAU-MARIGNE se souvient sans doute de notre travail commun pour vérifier les règles de procédure pénale dans les D.O.M. T.O.M. et en métropole. On peut difficilement admettre une évolution en sens contraire. La voie ouverte est celle de la grâce. Nous pouvons passer à la lecture du projet pour en finir avec l'article 7.

Monsieur VEDEL propose une petite modification (p. 2) pour préciser dans l'annonce de plan que l'article 15 est relatif à l'amnistie des sanctions d'isciplinaires et à la réintégration de certains salariés.

Disciplinaires au lieu de d'isciplinaires

Monsieur le Président souligne en réponse à une remarque de Monsieur MOLLET-VIEVILLE que le Conseil statue par une seule décision sur le tout sans avoir à joindre par un considérant spécial les deux saisines.

Monsieur VEDEL lit le projet (p. 1 à 4).

Monsieur le Président : Messieurs... (pas d'observations) le projet est adopté.

Monsieur VEDEL (en souriant) : Nous venons Messieurs d'opérer un revirement de jurisprudence... les mots "en revanche" ont été remplacés par les mots "par contre"... !

Monsieur MAYER souligne qu'il a failli découper et apporter au Conseil un article sur ce sujet.

Monsieur MOLLET-VIEVILLE suggère qu'une virgule soit ajoutée après "statut particulier".

Monsieur VEDEL s'y oppose au nom de la syntaxe.

Monsieur VEDEL poursuit ensuite l'exposé de son rapport en rappelant que l'Histoire de l'article 15 est liée a celle de la loi.

Devant le Sénat en première lecture, il n'y a pas eu de modification par la Commission, mais en séance publique, trois attitudes se dégagent :


1° ralliement de certains au point de vue du Gouvernement et de la Commission ;

2° on ajoute, à gauche, le principe de la réintégration des salariés protégés (délégués du personnel et représentants syndicaux), ce qui donne lieu à un vif débat ;

3° à l'opposé, certains remettent en cause l'article 15 dans sa première teneur dans la mesure où l'amnistie concerne des rapports de droit privé... d'où la suppression pure et simple de l'article 15 par le Sénat à l'instigation de Monsieur DAILLY.

L'Assemblée nationale a rétabli l'article 15 et ajouté un paragraphe II consacré au droit à réintégration... qui est issue d'une proposition du parti communiste...

Le Sénat en deuxième lecture votera la question préalable et l'Assemblée nationale imposera finalement son point de vue.

Quels sont les griefs qui sont formulés contre l'article 15 ? Ils sont de deux ordres :

1° d'une part est contesté le principe de l'intervention possible de la loi d'amnistie dans les relations de droit privé ;

2° d'autre part, est contesté comme tel le droit à réintégration.

Il convient de séparer les deux griefs et de les examiner successivement.

Commençons par l'article 15. Dans son ensemble la thèse soutenue par le Sénateur DAILLY et par Madame CATHALA à l'Assemblée nationale est que par nature l'amnistie concerne des faits pénalement punissables en leur enlevant leur caractère délictueux, en supprimant rétroactivement la sanction et en imposant l'oubli. Ils concèdent cependant que l'on peut glisser du pénal vers le para-pénal (discipline des fonctionnaires et des ordres professionnels). L'Etat est encore chez lui.

Mais les rapports employeurs/salariés ne sont pas des rapports de droit public. Le législateur ne peut pénétrer dans ce domaine.

Deux arguments sont invoqués à l'appui de cette thèse : la tradition républicaine et la volonté du constituant.

En ce qui concerne la tradition républicaine, il est vrai que la grande majorité des lois d'amnistie ne concerne pas les sanctions intervenues dans les relations de droit privé.

La définition la plus traditionnelle ne paraît pas correspondre à l'intrusion du législateur décidant une amnistie dans les rapports de droit privé.


Mais qu'implique en droit la tradition républicaine ?

Le Conseil d'Etat y fit référence sous la IVème République dans un avis du 6 février 1953 relatif à la portée de l'article 13 de la Constitution de 1946.

Mais c'est une notion que l'on ne trouve pas directement dans la Constitution actuelle.

Ce que la Constitution connaît, ce sont à travers son préambule et celui de la Constitution de 1946 les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

On pourrait donc considérer que les requérants invoquent comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République le fait que l'amnistie ne peut concerner que le domaine pénal ou para-pénal.

Cette invocation est-elle fondée ?

Non et pour deux raisons :

1° on se trouve devant une tradition purement négative et la simple négation n'est pas de nature à créer un principe fondamental. Ce n'est pas parce que la loi s'est abstenue de toucher à la matière qu'il en résulte le principe qu'elle ne peut y toucher (le problème est différent pour le recours pour excès de pouvoir (1)).

2° au surplus la tradition ne s'impose que si elle est continue. Or ce n'est pas le cas en l'espèce.

Deux textes constituent des exceptions : les lois d'amnistie du 12 juillet 1937 et du 4 août 1981.

Certes, le précédent de 1981 ne peut être retenu car il est postérieur à la construction de 1946. Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ne peuvent provenir que de lois antérieures à 1946 (les constituants n'ont pu prendre en compte que des lois de la IIIème République et non des lois postérieures à 1946 qu'ils ne connaissent pas).

Mais la loi du 12 juillet 1937 est bien une loi de la République au sens du préambule de la Constitution de 1946.

Or pour la première fois, peut-être, elle prévoit l'amnistie dans des relations de droit privé (même s'il s'agit de services publics concédés visés par l'article 5).

Et cela suffit â faire tomber l'argument.

Donc l'abstention ne permet pas de retenir l'existence d'un principe et il y aurait de toute façon une exception à ce prétendu principe.

(1) Allusion à la décision du 23 janvier 1987, relative au droit de concurrence.

Droit de la concurrence au lieu de droit de concurrence


D'où le deuxième argument des requérants sans doute sensibles à la faiblesse du précédent qui repose sur la volonté du constituant telle qu'elle ressortirait des dispositions de l'article 34 de la Constitution.

Les auteurs de la saisine soulignent que dans le texte de l'article 34, l'amnistie est citée juste après la procédure pénale.

Mais c'est là une argumentation qui prouve trop. L'inclusion dans l'amnistie des sanctions disciplinaires manifeste le glissement vers le para-pénal et l'on peut poursuivre dans ce sens avec les rapports de droit privé.

Je suis donc favorable au rejet de cette argumentation.

Mais on pourrait me reprocher tout ce détour alors qu'il suffirait de constater que la loi a compétence pour déterminer les principes fondamentaux de droit du travail.

Le législateur ne pourrait-il pas prendre les mêmes dispositions sur ce fondement ?

Le faisant, ce que je voulais faire, je me serais trompé.

En effet, la loi d'amnistie a un caractère particulier car elle permet de déroger au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs (1). L'amnistie n'est pas pensable sans cette dérogation qui remet en cause l'indépendance du pouvoir judiciaire.

Si nous nous en étions tenus à la compétence législative en matière de principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical, nous aurions pu obtenir certains effets mais nous nous serions heurtés à l'obstacle de la chose jugée... d'où la justification de l'amnistie.

Nous sommes donc bien tenus de donner la définition constitutionnelle d'une institution qui n'est pas définie dans la Constitution.

Normalement la définition est législative, jurisprudentielle et doctrinale, mais dans certains cas nous sommes obligés de dire ce qui dans une autre branche du droit est de nature constitutionnelle.

Ainsi le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires a un sens reconnu, mais il y a un noyau constitutionnel que nous avons déterminé (2).

Nous nous trouvons en l'espèce devant une opération de même nature qui consiste à définir le noyau constitutionnel de l'amnistie.

La définition classique, aussi bien des pénalistes que des administrativistes limite l'amnistie au domaine pénal et para-pénal. Mais nous ne sommes pas liés par cette définition. La conception constitutionnelle de l'amnistie est synthétique. Elle englobe tous les aspects que peut revêtir l'amnistie. Encore faut-il qu'une telle définition comporte des limites, sinon le législateur pourrait faire n'importe quoi.

(1) cf. C.C. 22 juillet 1980.
(2) allusion à la décision du 23.01.87. Droit de la concurrence.




Trois éléments me paraissent permettre de préciser la définition constitutionnelle :

1° l'amnistie s'applique en matière de répression au sens large,

2° elle implique l'effacement des effets juridiques et l'oubli,

3° le but en est l'apaisement politique et social.

Voilà donc les caractères de l'amnistie sur lesquels nous pourrions discuter.

Monsieur le Président : C'est une question qui est passionnante. L'aspect essentiel est de saisir si l'on peut sortir du domaine pénal et disciplinaire dans la fonction publique pour entrer dans le domaine professionnel et les rapports de droit privé. Ce n'est pas simple. L'exposé très riche de Monsieur le Doyen propose un pas en avant par rapport à la doctrine classique. Je porte pour ma part un intérêt très vif à cette question.

En 1981, j'avais pris une position clairement opposée.

Monsieur VEDEL : Vous êtes souvent cité.

Monsieur le Président : J'avoue que je ne m'attendais pas à être de ce fait un auteur favori de Messieurs PASQUA et TOUBON.

Je souligne que la loi de 1937 ne concerne pas des rapports de pur droit privé puisqu'elle concerne les services publics concédés.

Vous pouvez aller jusqu'aux limites de la puissance publique. Mais vous ne pouvez pas vous engager dans des rapports de droit privé.

Le législateur a ici compétence dans un cadre autre : celui de la fixation des principes fondamentaux du droit du travail.

Monsieur VEDEL : Mais vous ne pouvez pas sur ce fondement justifier l'atteinte portée à la chose jugée et â la séparation des pouvoirs.

Monsieur le Président : Il faut s'en tenir à une conception stricte de l'amnistie.

Elle intéresse les rapports de l'Etat et des citoyens, voir les rapports de travail au sein du service public. Elle ne s'étend pas aux purs rapports de droit privé. Les conséquences d'une conception trop large pourraient être absurdes, par exemple, en matière civile avec l'amnistie des fautes conjugales. Si j'ai été solidement démenti par l’Assemblée nationale en 1981, ma conviction n'avait pas changé.

Je n'ai jamais pu suivre l'autre position qui conduit, par la réintégration, au rétablissement forcé du contrat. La question reste donc de savoir quel est le domaine constitutionnel de la loi d'amnistie.




Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Je suis heureux de revenir sur ce débat. Je rejoins notre rapporteur. Je voudrais insister sur le point traité à la page 8 du projet qui concerne la volonté du constituant : on ne peut tirer une limitation au droit pénal de l'amnistie à partir de l'article 34 de la Constitution et sous prétexte que l'amnistie est citée juste après la procédure pénale. On se place en effet dans le titre V de la Constitution qui traite des rapports du parlement et du Gouvernement. Les articles 34 et 37 déterminent les compétences respectives du législateur et du pouvoir réglementaire. Tout ce qui n'est pas du domaine de la loi ressortit au domaine réglementaire. Pour moi donc, l'énumération de l'article 34 concerne la globalité des matières énumérées, c'est donc l'amnistie dans sa globalité qui est de la compétence du législateur.

Je remarque d'ailleurs que la référence à l'amnistie est séparée des autres références... si l'on avait voulu limiter l'amnistie aux crimes et délits, on aurait rédigé autrement. Je ne veux pas m'étendre plus longtemps. Le propos du doyen à été parfait.

a été au lieu de à été

Monsieur le Président : Oui je pense en effet que le constituant a voulu qu'il n'y ait pas d'amnistie par voie réglementaire. Mais le problème reste de savoir ce que le législateur peut faire dans le cadre de l'amnistie.

Monsieur VEDEL : La compétence qu'a le législateur ne le dispense pas du respect des réglés de fond.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Je prétends que la rédaction de l'article 34 est un démenti à l'argument des requérants.

Monsieur VEDEL : Il y a un aspect souligné par le Gouvernement dont il faut tenir compte les besoins sociaux revêtent une forme évolutive. De plus, il y a une publicisation du droit du travail et on ne peut plus penser comme il y a vingt ans.

Monsieur LECOURT Je veux rendre un très vif hommage au rapporteur. J'avais envisagé une orientation plus rigoureuse avant de l'entendre. La démonstration extrêmement judicieuse m'a quelque peu ébranlé. Mais au point où j'en suis, il y a tout de même un certain nombre d'incertitudes. L'amnistie est liée dans l'article 34 à la détermination des crimes et délits, à la procédure pénale, à la création de nouveaux ordres de juridiction...

Cette amnistie doit répondre à des règles propres dérivées de la Constitution elle-même.

Je prends avec réserve l'exemple de la loi de 1937. Il y a un cadre constitutionnel nouveau qui nous conduit à nous interroger sur les limitations de l'amnistie dans le cadre de l'article 34. L'affaire n'est pas simple.

Nous sommes ici en présence d'un texte large. L'argumentation à laquelle j'étais d'abord attaché me conduisait à admettre l'amnistie dans le domaine de la fonction publique au sens large mais ici, dans le cadre de rapports de droit privé, la prudence est nécessaire.



Est-ce que le législateur peut considérer comme amnistiables des faits concernant les rapports de droit privé ? Je veux bien l'admettre, mais nous risquons d'être entraînés très loin.

Monsieur le rapporteur m'a rassuré par la limitation de l'extension de l'amnistie à des rapports très proches de droit public, ma réserve s'est donc estompée. Il n'en reste pas moins qu'il faut prévoir les développements futurs (cf. p. 12 du projet qui signale les limites de la compétence reconnue au législateur. Il convient de les préciser en privilégiant la notion d'équilibre).

Au fur et à mesure que nous nous étendrons sur cette notion d'amnistie nous interviendrons dans des rapports privés. Nous pourrions ainsi amnistier la faute civile détachée de toute faute pénale. C'est une voie où nous risquons d'aller trop loin. Monsieur le rapporteur m'a en grande partie convaincu mais certaines objections subsistent donc.

Monsieur VEDEL : La démarche qui vient d'être retracée a été la mienne, mais on est obligé d'en passer par la contrainte intellectuelle suivante : soit l'amnistie concerne uniquement le domaine pénal, soit on ouvre nécessairement la voie à l'extension. Le pas décisif a été franchi en 1905 et non en 1937 avec l'amnistie des sanctions disciplinaires alors même que l'Etat n'était pas chez lui (pour les collectivités territoriales, les ordres professionnels et en particulier pour les avocats) ou bien alors il faut faire tourner la roue du temps tout à fait à l'envers, ou bien on peut donc admettre que le législateur aille plus loin, avec certaines limites.

Une étude en profondeur aurait été passionnante sur la nature du pouvoir disciplinaire dans les entreprises privées qui a d'ailleurs fait l'objet de plusieurs thèses (cf. celle de Bréthe de la Gressaye), mais j'ai été pris par le temps.

Monsieur FABRE complimente aussi le rapporteur et se demande qui doit fixer les limites : le législateur ou le Conseil constitutionnel ? Les droits sont évolutifs, par exemple la déclaration de 1789 ne prend pas en compte les droits sociaux, par exemple le législateur est intervenu dans les relations de droit privé avec les lois Auroux.

Le Conseil constitutionnel ne peut contrarier la volonté du législateur en l'absence de limites imposées par la Constitution. Il faut tenir compte en outre de la volonté d'apaisement. Pourquoi accepter l'amnistie de condamnés de droit commun et pas celle de salariés ? Je rejoins Monsieur le rapporteur par d'autres voies. Il peut faire figurer dans l'amnistie des catégories nouvelles de délinquants.

Monsieur le Président : Ce ne sont pas des délinquants au sens pénal ; on se retrouve en matière de droit privé.

Monsieur MAYER : La toile de fonds de la réintégration ne pèse-t-elle pas d'ores et déjà sur nos collègues ? Monsieur LECOURT craint un avenir incertain : je m'associe totalement aux conclusions du rapporteur.



Monsieur VEDEL : En 1981 une minorité meurtrie mais agissante n'a pas soulevé d'objections.

Un autre candidat élus aurait peut-être conservé l'article 15-I (c'est-à-dire l'article 14-I de la loi de 1981). C'est le Sénat en première lecture qui, sous l'impulsion de Monsieur DAILLY a refusé l'article 15 dans sa totalité.

Il y a eu ensuite la réponse du berger à la bergère.

Monsieur le Président : S'il n'y avait pas eu l'article 15-II peut-être n'aurions nous pas eu à connaître cette loi ?

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Deux raisons font que, très minoritaire, je propose de limiter très strictement la compétence du législateur à la matière pénale. D'une part la position de Monsieur le Président BADINTER en 1981, d'autre part les remarques de Monsieur le Président MAYER, qui conduisent à l'effacement de la sanction infligée en matière contractuelle et à une réintégration qui s'imposerait.

Monsieur MAYER : Non c'est le contraire. J'ai parlé du risque de la réintégration et je ne suis pas favorable à une réintégration automatique.

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Ca ne change rien à mon point de vue. Je reste opposé à ce qu'une loi d'amnistie déborde le domaine strictement pénal. La porte ouverte le sera plus encore. Je préfère la rigueur aux risques de l'ouverture.

Monsieur le Président : Ce dont nous débattons, c'est de l'inconstitutionnalité. Je n'ai jamais dit en 1981 que l'utilisation de l'amnistie dans les rapports de droit privé était inconstitutionnelle. La loi mauvaise ne veut pas dire loi inconstitutionnelle. Contrairement au doyen, ma construction est la suivante :

le législateur est compétent pour l'amnistie. Par ailleurs, la loi fixe les principes fondamentaux du droit du travail. Je ne suis pas absolument convaincu qu'il faille en passer par la loi d'amnistie pour aboutir au résultat recherché. Pour moi, il n'y a pas nécessairement inconstitutionnalité mais mauvaise approche du problème par le législateur. Il reste Monsieur le Doyen que vous suscitez une interrogation chez moi en raison du problème de l'autorité de la chose jugée.

Monsieur VEDEL : La loi d'amnistie est effectivement nécessaire. Elle amnistie les faits qui ont constitué des infractions.

Monsieur le Président : Mais les conséquences civiles demeurent sinon les victimes seraient lésées. L'amnistie retire le caractère pénalement fautif au fait qu'il était passible d'une sanction disciplinaire ou pénale. Quand on discute une loi d'amnistie, la seule tendance des parlementaires est de charger le bateau de tous les côtés.



Monsieur VEDEL : L'amnistie des contraventions est le scandale des lois d'amnistie.

Monsieur le Président : Je pense comme Monsieur le Doyen, que le législateur à ici compétence, mais pas par la même voie que lui. Monsieur le Bâtonnier, attention, vous interdisez au législateur d'intervenir en dehors du domaine pénal !

a ici compétence au lieu à ici compétence

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Je reste convaincu de la nécessité d'exclure le disciplinaire du domaine d'application de l'amnistie. J'ai malheureusement trop vu les effets des lois d'amnistie qui permettent la réapparition au Palais d'anciens confrères sanctionnés.

On passe à la lecture du projet de décision concernant passage du rapport discuté.

Monsieur LECOURT fait remarquer qu’il a une observation à faire à propos de l'emploi du terme rétroactif à la page 9 du projet.

Monsieur VEDEL partage son sentiment et accepte donc la remarque.

Monsieur le Président souligne que le Conseil a toujours évité de se référer à la volonté du constituant et qu'il préfère se référer à la Constitution et il se demande s'il ne faudrait pas le rappeler.

Monsieur VEDEL souligne que ce qui est critiquable c'est d'appliquer la formule à quelqu'un qui n'est pas le constituant. C'est le peuple français qui est le constituant. Si ce peuple avait pris parti nous pourrions en déduire quelque chose.

Monsieur le Secrétaire général fait remarquer que la saisine comporte l'emploi du mot constituant mais le Conseil n'est pas obligé de la reprendre à son compte dans la réponse faite au moyen.

Monsieur le Président : Oui il vaut mieux éviter le terme volonté du Constituant. Je préfèrerais par ailleurs que l'adjectif illicite soit remplacé par répréhensible.

La discussion se poursuit pour aboutir à une formulation beaucoup plus ramassée du considérant qui obtient l’assentiment de la majorité.

Monsieur le Président souligne "Je mesure combien cela a été difficile pour vous Monsieur le Doyen." Il faut être prudent, tout ce qui dans un domaine très sensible est ramassé est meilleur.

Le texte du projet amendé est voté : 6 voix pour ; 1 voix contre (Monsieur MOLLET-VIEVILLE) 1 abstention (Monsieur le Président BADINTER).

La séance est levée à 12 heures 35.

Reprise de la séance à 14 heures 30. Tous les membres du Conseil sont présents sauf Monsieur SIMONNET.



Monsieur le Doyen VEDEL reprend l'exposé de son rapport en soulignant que le paragraphe II de l'article 15 dont il aborde l'analyse pose des problèmes peut être moins faciles à trancher. Ce paragraphe II prévoit (lecture) .

Le texte est un peu complexe. Ses caractéristiques sont les suivantes :

- Le régime concerne les salariés protégés. La réintégration est prévue si les faits qui ont conduit au licenciement sont intervenus à l'occasion de l'exercice des fonctions de représentant élu du personnel, de représentant syndical au comité d'entreprise ou de délégué syndical.

Il ne peut y avoir de réintégration :

- Si les faits sont contraires à la probité et aux bonnes moeurs,

- Si la faute lourde a consisté en des coups et blessures sanctionnés par une condamnation non visée à l’article 7. Cela concerne les condamnations à plus de quatre mois d'emprisonnement sans sursis et à plus de douze mois d'emprisonnement avec sursis,

- Enfin, la force majeure dispense de la réintégration.

La procédure de réintégration fait intervenir l'inspecteur du travail et la juridiction prud'hommale.

Le texte mérite d'être mis en relation avec celui comparable de la loi du 4 août 1981.

En 1981 le texte est identique pour le paragraphe I. Pour le paragraphe II il y a deux différences :

1° La réintégration n'est imposée que si elle est "possible". Le texte de 1988 fait référence lui à la "force majeure" ce qui est plus favorable aux réintégrations.

2° En 1981 la réintégration concerne les salariés protégés licenciés à raison de faits en relation avec leur fonction de représentants élus du personnel ou de délégués syndicaux. En 1988, le texte vise les fautes commises à l'occasion de l'exercice de la fonction de représentant élu du personnel, de représentant syndical au comité d'entreprise ou de délégué syndical.

Si la nuance peut paraître faible, la jurisprudence de la chambre sociale de la cour de cassation a admis qu'à partir d'un certain degré de gravité la faute ne peut plus être regardée comme étant en relation avec les fonctions. La nouvelle formulation de 1988 paraît vouloir contourner cette jurisprudence restrictive.

Monsieur le Président : Oui c'est tout à fait exact. Si l'on veut couvrir les fautes lourdes, la rédaction de 1988 s'impose.



Monsieur VEDEL poursuivant, fait remarquer que trois sortes de griefs sont invoqués par les requérants. Les deux premiers étant faciles a écarter, le troisième constituant le noyau dur.

1° le premier grief est formulé en termes un peu sybillins à partir de notre décision du 22 octobre 1982 relative à la loi sur le développement des institutions représentatives du personnel. La loi prévoyait l'exclusion de l'action en séparation des dommages en relation avec un conflit du travail.

Le Conseil constitutionnel a censuré la disposition pour violation du principe d'égalité. Un principe général du droit civil implique que tout dommage qu'un individu cause par sa faute entraîne réparation. Il ne s'agit pas d'un principe de valeur constitutionnelle mais la dérogation à ce principe conduit à une rupture arbitraire de l'égalité.

S'il est possible au législateur d'aménager le régime en l'assouplissant, l'exclusion de toute réparation n'est pas possible.

Les sénateurs soutiennent que la loi de 1988, dans ses dispositions sur la réintégration, contredit directement la décision de 1982.

(Citation de la saisine) Cela fait partie de l'écume de l'argumentation. Que faut-il penser ?

Si c'est l'autorité de la chose jugée qui est visée, c'est une erreur. Le mérite essentiel du grief consisterait à vous permettre de préciser l'autorité de la chose juée ! Mais il ne s'agit pas de la même loi et l'autorité de la chose jugée ne peut donc être utilement invoquée.

Monsieur le Président : On va discuter ce point (lecture p. 9 du projet).

Pas d'observation. Adopté.

Monsieur VEDEL continue en analysant le second grief.

Il consiste à soutenir que la réintégration est en dehors de l'amnistie. Celle-ci ne saurait permettre une remise en état de la situation antérieure.

L'amnistie se borne à effacer le passé et à l'oubli des faits amnistiés.

Ainsi la dispense de la peine ne joue que pour l'avenir et on ne rembourse pas le "nigaud" qui a payé sa contravention.

Pourquoi alors la loi d'amnistie pourrait-elle prévoir la réintégration des salariés de droit privé ?

La réponse peut être faite en deux temps. Normalement l'amnistie n'emporte pas réintégration.

Mais il n'y a pas de règle constitutionnelle qui l'interdise (voir par exemple la réintégration des cheminots après les grèves des années 1920 et la restitution aux généraux condamnés en Algérie de leurs traitements, grades et décorations).



Seulement qui fera la remise en état ?

Si c'est l'Etat, la collectivité, qui prend à sa charge l'indemnisation c'est parfait. Ce fut le cas en 1951 et en 1953 pour des faits liés à la résistance.

Mais que se passe-t-il quand la charge incombe ni à l'auteur des faits ni à la collectivité, mais à des tiers étrangers qui sont parfois victimes ?

La loi elle-même souligne d'ailleurs sur un plan général qu'elle ne porte pas préjudice aux droits des tiers. Ainsi l'action civile sur le fondement de l'article 1382 et autres est toujours possible nonobstant l'amnistie .

La question se pose donc de savoir si l'on peut faire supporter la charge que constitue la réintégration aux tiers victimes des faits amnistiés, qui ont des droits et des libertés constitutionnellement préservés .

Les arguments en droit et en fait contre cette possibilité sont nombreux :

- la remise en état qui n'est jamais accordée l'est ici.

- les salariés du secteur privé sont mieux traités que ceux du secteur public où l'amnistie ne comporte pas normalement le droit à réintégration.

- la réintégration comporte d'innombrables difficultés d'exécution.

Quid si le poste est occupé ? Faut-il licencier le titulaire du poste ou est-ce un cas de force majeure ?

Des problèmes quasi physiques pourront se poser parfois, faut-il réintégrer l'ouvrier qui a donné des coups et faire supporter sa présence par les victimes ?

Or cette réintégration s'applique à tout salarié protégé licencié pour faute sauf en cas de coups et blessures si la sanction a été supérieure à quatre mois sans sursis ou douze mois avec sursis. Pour qui connaît la pratique judiciaire, seront réintégrés des salariés qui se seront livrés à des coups et blessures caractérisés.

Comment se présentent les arguments des requérants ?

Les choses sont simples voire simplettes. Dans la hâte ils ne choisissent pas les meilleurs arguments. Ils invoquent :

- la réserve des droits des tiers,

- la liberté de contracter,

- la séparation des pouvoirs,



- la rupture de l'égalité :

- entre travailleurs ordinaires et salariés protégés,

- entre les entreprises, entre l'auteur du dommage et la victime.

Toutes considérations qui auraient pu être mieux présentées, mais qui ont leur poids.

Que répondent le secrétariat général du Gouvernement et les Ministères concernés ?

D'abord que la liberté de contracter est un principe du code civil qui ne saurait être regardé comme ayant une valeur constitutionnelle. Elle ne figure pas dans le préambule de la constitution ni au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la république. Il y aurait par ailleurs un danger à constitutionnaliser un tel principe car la société civile est sujette à évolution.

Sur l'égalité, l'atteinte invoquée est assez facilement récusée aux motifs que la protection sociale explique le régime des salariés protégés, que l'inégalité entre les entreprises est de fait et non de droit, comme entre auteur et victime.

Il n'y a rien cependant sur l'égalité devant les charges publiques alors que c'est la question principale.

Voilà la première ligne de défense, la deuxième ligne de défense consiste dans une interprétation de la loi qui vise à en retirer le venin.

Ainsi insiste-t-on sur le fait que l'amnistie et donc la réintégration ne peuvent concerner les fautes comportant atteinte à la probité, à l'honneur ou aux bonnes moeurs et sur le fait que la notion de force majeure doit être de compréhension très large et non pas réduite à l'interprétation civiliste - par ailleurs, la réintégration implique l'intervention de l'inspection du travail et le contrôle juridictionnel. Il ne pourrait donc pas y avoir de réintégration abusive - Le malheur pour cette thèse, c'est qu'elle ne tient pas.

Le Conseil constitutionnel interprète ou complète la loi en cas d'omission de celle-ci, ou bien si un doute est possible.

Ici on ne peut suivre cette voie.

Les débats parlementaires prouvent clairement la finalité du texte. On ne peut pas sauver un texte au motif que le juge le travestira dans son appréciation.

Finalement le secrétariat général du gouvernement propose l'annulation partielle de la loi (article 15-II) au cas où son argumentation ne serait pas suivie.



J'ajoute que nous avons, pour le compte de la C.G.T., une consultation de Maître LYON CAEN qui est généralement mieux inspiré. Il souligne que la réintégration, c'est le droit, mais il invoque la réintégration des salariés injustement licenciés. Ce n'est donc pas probant.

Il nous faut arbitrer outre ces différentes thèses en prenant un peu de distance par rapport à ces argumentations.

En droit, la réintégration, dans les termes présents, conduit à imposer une forme de réparation de la part du tiers innocent et victime. La régularité du licenciement a déjà été contrôlé.

La loi d'amnistie efface rétroactivement mais ici c'est une loi de réparation qui apparaît et non d'amnistie.

Nous avons des exemples historiques de lois de réparation (cf. la restitutions des biens spoliés pour des raisons sociales). Mais, dans notre espèce, ce n'est guère acceptable. La France est un Etat de droit, la République française a continué entre 1981 et 1988 et la notion de loi de réparation n'a aucune justification pour cette période. On peut alors se demander quelles sont les atteintes à des droits constitutionnellement protégés ?

Pour les employeurs on peut tenir compte d'une série de droits attachés à la qualité d'entrepreneur dans le secteur privé : le droit de propriété, la liberté d'entreprendre sont en cause. Paradoxalement l'amnistie met à la charge de l'employeur tous les sacrifices et va créer une sorte de responsabilité dans les relations commettant-préposé.

La liberté de contracter a subi, elle, de sérieuses atteintes (cf. loyers, baux commerciaux).

Mais il convient de faire attention aux deux aspects de cette liberté :

1° l'aspect civil : on ne peut pas choisir n'importe qui, on ne peut pas mettre n'importe quelle clause dans un contrat.

2° mais cet aspect peut dépasser le cadre contractuel et concerner la liberté de la personne. Il interdit par exemple qu'on répute comme personnel quelque chose qui ne l'est pas (cf. dans le cadre de la réquisition, le réquisitionné reste réquisitionné, cf. notre décision sur la démocratisation du secteur public (1) en ce qui concerne la disposition prévoyant la désignation, par décret "le cas échéant", des représentants des actionnaires censurée en raison du principe qu'il n'appartenait pas au législateur de conférer purement et simplement au gouvernement le pouvoir discrétionnaire d'assigner des représentants à des actionnaires privés.

Or la réintégration porte atteinte à cette liberté de la personne. Elle conduit à faire accepter physiquement quelqu'un envers qui on éprouve une certaine répulsion.

(1) Décision n° 83-162 DC des 19 et 20 juillet 1983, Rec. p. 49, cf. plus spécialement p. 54.


L'égalité devant les charges publiques est également en cause.

Ainsi l'Etat ne juge pas bon de réintégrer ses propres agents et impose cette charge à des entrepreneurs privés.

Si on veut aller plus loin on pourrait même avancer l'argument diabolique que l'employeur est réprimé, lui-même, d'autant que la loi a un effet rétroactif.

A ce stade, devant ce qui paraît bien inconstitutionnel, pourquoi n'ai-je pas proposé une censure pure et simple ?

Ce n'est ni par souci politique, qui pénètre parfois dans cette maison, ni par goût du compromis, mais dans l'optique de la continuité nécessaire de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision d'octobre 1982 (1)).

Que disions-nous en 1982 ?

Nous nous trouvions devant les mêmes presonnes délégués du personnel etc... auxquelles la loi accordait un régime exorbitant. La réponse du Conseil constitutionnel a été de dire non. Le régime n'est ni raisonnable ni constitutionnel. Mais nous avions bien souligné que leur situation méritait considération et qu'ils devaient être spécialement protégés. Il y aurait donc place pour une possibilité de responsabilité restreinte, mais pas pour une absence de responsabilité.

L'exercice de ces fonctions présente effectivement des difficultés particulières.

Nous retrouvons ici des fonctions sociales à mi-chemin du public et du privé. Or le droit administratif admet la responsabilité pour faute lourde pour les activités délicates.

Est-il inconcevable d'admettre un traitement différent dans le cadre d'activités délicates à finalité sociale ?

Pourquoi ce traitement ?

- à cause des conditions d'exercice des fonctions. Le délégué est laché dans des évènements obscurs, confus, c'est un métier dur sur le terrain. Il y a des camarades avec lesquels il n'est pas facile de discuter.

- par ailleurs, le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglemente comme le souligne le préambule de la constitution de 1946, or depuis 42 ans, cette réglementation n'a toujours pas vu le jour pour ce qui n'est pas le service public. C'est la jurisprudence de la chambre sociale de la cour de cassation et la jurisprudence administrative qui ont résolu les problèmes les plus difficiles.

Or la jurisprudence est un droit secret ou semi-secret qu'on ne peut demander aux salariés de connaître.

(1) Décision n° 82-144 DC du 22 octobre 1982, p. 61



De là venait l'idée qu'il faut distinguer selon la catégorie des fautes imputables. La faute simple est excusable. Pour la faute lourde caractérisée, le sacrifice qui serait demandé serait trop grand. Il y aurait donc une limitation nécessaire, un droit à réintégration dans le respect des droits des tiers et des victimes.

Le Conseil constitutionnel est donc conduit à tracer les limites.

Deux difficultés se font jour :

- l'arbitrage et l'avenir.

1. En ce qui concerne l'arbitrage entre les droits des salariés protégés et les droits des employeurs et des tiers il y a une part non pas d'arbitraire mais d'arbitrage à laquelle nous sommes habitués.

Il y a une frontière non écrite à découvrir.

C'est le fait du juge que de fixer de telles limites :

Par exemple pour la durée de la garde à vue, pour le découpage des circonscriptions, pour le caractère disproportionné de la sanction.

Dans chaque cas on trouve les traces d'une frontière virtuelle dans les textes dont le dessin finit par nous appartenir.

La deuxième idée consiste à opérer une conciliation.

C'est ce que fait le juge administratif entre les libertés et l'ordre public (cf. en matière de liberté du culte, de liberté de stationnement). En matière d'amnistie, il faut concilier les droits des travailleurs protégés avec ceux des employeurs, autant de droits qui peuvent se rattacher à la constitution. La providence a bien fait les choses. Une rédaction chanceuse permet la suppression d'une partie du texte. Cela conduit à une solution équilibrée sans avoir besoin de retarder les effets du paragraphe premier. Voilà ce à quoi m'ont conduit les réflexions que j'ai exposées.

Monsieur le Président : Merci pour cet exposé très nourri et très complet. La question est complexe et n'est pas exempte de passions. Il y a un bras de fer entre une entreprise nationale et la C.G.T., cela pourrait paraître anecdotique : une nomanklatura contre une autre nomanklatura. Mais les principes enfin sont très importants, or les principes, c'est notre pain, c'est de cela dont nous devons nous nourrir. J'ouvre la discussion.

Monsieur FABRE remarque que le rapporteur privilégie la sagesse, la conciliation et le réalisme. L'ancien médiateur y est sensible et se rallie.

Monsieur MOLLET-VIEVILLE remarque qu'il restera logique et conséquent. Puisqu'il était contre le paragraphe 1er, a fortiori est-il opposé au paragraphe II, "malgré le rapport remarquable de Monsieur le Doyen qui a failli (le) convaincer".



Monsieur MAYER est d'accord avec le rapporteur en soulignant qu'il est heureux qu'il ait trouvé cette conciliation entre l'intransigeance d'un texte et les nécessités morales du moment.

Monsieur JOXE s'interroge en soulignant que cette interrogation porte plus sur l'avenir que sur le présent.

Monsieur le Président : Certes on constitutionnalise la possibilité de réintégration !

Monsieur JOZEAU-MARIGNE souligne qu'il est d'accord avec la remarque de Monsieur MAYER.

Monsieur LECOURT : Notre rapporteur est si profond et convaincant que j'ai l'impression d'être un petit bateau derrière un transatlantique attiré par le sillage.

Monsieur le Président : c'est le canot de sauvetage (!)

Monsieur LECOURT : J'éprouve cependant une difficulté. J'approuve la conception de la faute lourde du rapporteur. Mais le texte me laisse relativement perplexe.

En cas de faute non lourde, on va se trouver devant une obligation de réintégration.

Monsieur le Président : Sauf cas de force majeure !

Monsieur LECOURT : Donc la faute simple engendre toute une procédure qui permet à l'intéressé d'obtenir sa réintégration. Ce qui m'arrête, c'est cette obligation de réintégration vis à vis du successeur.

L'employeur qui a succédé à celui qui a licencié sera soumis à cette obligation. Voilà un employeur qui a repris l'entreprise, qui a tout ignoré du licenciement et qui va se voir imposer, sans qu'il y ait de son fait, une réintégration. Il y a donc ici un tiers qui voit tomber sur lui cette obligation nouvelle.

Un second problème se pose à moi s'agissant de la liberté contractuelle. Il n'y a pas que des obligations portant sur un bien réel. Il y a des obligations qui mettent en cause la personne même du contractant. C'est une obligation de faire qui à la limite peut se résoudre en dommages et intérêts.

Si je ne m'oppose pas à tout ce que propose Monsieur le rapporteur, je pourrais peut-être regretter d'avoir approuvé le paragraphe I. Je crains qu'on ne donne à la notion constitutionnelle d'amnistie une dynamique qui n'est plus seulement effacement mais obligation d'oubli et obligation de faire.

C'est un problème difficile pour moi car je suis en contradiction avec la position que j'ai prise ce matin.



Monsieur FABRE souligne les précautions prises par le législateur avec la procédure de réintégration. Il n'y a pas d'automaticité fait-il remarquer.

Monsieur LECOURT : La seule limite c'est la force majeure.

Monsieur le Président : Il y a tout de même un certain contrôle administratif et judiciaire.

Monsieur VEDEL : Il y a compétence liée de l'inspecteur du travail et de la juridiction prud'hommale.

Monsieur le Président : Oui les travaux préparatoires sont nets et manifestent une réaction contre la jurisprudence née de la loi de 1981.

Monsieur VEDEL fait remarquer que la force majeure établit une situation de compétence liée. On ne peut faire, souligne-t-il, une réintégration qui irait directement à l'encontre de la volonté du législateur.

Monsieur MAYER : En quoi le processus est-il contraire à la constitution ?

Monsieur le Président : En rien. Je voudrais souligner l'originalité de la situation. Pour le Conseil constitutionnel, suivre les propositions de Monsieur VEDEL cela aboutit au même résultat que si on annulait la paragraphe II de l'article 15 (jamais un délégué n'est licencié si ce n'est pour faute lourde).

Reste à s'interroger sur la solution. Doit-on garder le cas de fautes légères.

J'ai beaucoup balancé.

Le salarié protégé remplit une fonction sensible qui explique son statut. Cela se vérifie lors des licencements.

On peut donc concevoir des dispositions particulières en ce qui concerne un statut particulier.

Pour qu'on puisse limiter le droit à réintégration quasi-automatique, il faut faire valoir que derrière la protection renforcée on ne peut pas imposer contre son gré à un entrepreneur un collaborateur.

Il y a une affaire terrible derrière tout cela. S'il n'y a pas de liberté constitutionnelle de contracter, (pensons à la législation sur le refus de vente) par contre il y a les droits de la personne.

Je suivrai la position prise par Monsieur le rapporteur. Mais ce n'est peut-être pas tout à fait satisfaisant.

Je ne quitterai pas la table avec la joie des grandes décisions, mais cela va dépendre de la rédaction, il faut préciser les limites.



Monsieur VEDEL : La décision de principe contraire au projet qui vous est soumis était d'une rédaction beaucoup plus courte. (Lecture du projet). C'est un peu roide.

Monsieur le Secrétaire général : Un projet de censure de l'ensemble de l'article serait particulièrement restrictif du pouvoir d'appréciation du législateur en matière d'amnistie. C'est à lui qu'il revient d'apprécier ce qui va dans le sens de la paix sociale. Des limites doivent être fixées mais elles ne peuvent être trop rigides.

Monsieur VEDEL : Je dirai pour répondre aux judicieuses observations de Monsieur LECOURT concernant l'obligation du successeur que l'article L. 122-12 du code du travail pose le principe de la continuation du contrat. Là on tire un peu sur la corde du fait de l'absence de définition de la liberté de contracter. C'est un peu hypocrite.

Monsieur le Président : La ligne d'argumentation consiste à affirmer la nécessité d'une protection particulière pouvant aller jusqu'à la réintégration, mais sans heurter d'autres principes tout à fait essentiels.

Monsieur le Secrétaire général : La notion de faute lourde permet de résoudre le problème. Si l'on tient compte de ce que les fautes doivent être amnistiées et de ce que la loi réserve l'atteinte à la probité et aux bonnes moeurs, la censure partielle aboutit à un texte équilibré dans sa vision d'ensemble. Il aboutit concrètement à des résultats voisins de ceux qui résulteraient d'une suppression totale du paragraphe II de l'article 15, mais il faut aussi ménager l'avenir, ce que le projet proposé permet de faire.

Monsieur le Président : Le problème c'est l'avenir. Il ne faut pas que la protection devienne excuse. Elle doit trouver ses limites.

Monsieur le Doyen, nous pouvons passer à la lecture du projet... Que chacun soit vigilant... la plume à la main.

Monsieur VEDEL procède à la lecture du projet à compter du milieu de la page 10.

Monsieur le Président propose de modifier la rédaction du premier considérant de la page 11. Le projet est ainsi libellé :

"...la remise en l'état ne méconnaisse pas les droits et les libertés de personnes tierces".

La référence à une méconnaissance des droits et libertés ne lui paraît pas adaptée. L'employeur aura le sentiment que la réintégration du salarié se traduit nécessairement par une méconnaissance de ses droits.

Monsieur le Secrétaire général signale que le Conseil d'Etat s'est trouvé fréquemment confronté au problème que soulève Monsieur le Président à propos de la liberté du commerce et de l'industrie. Pour tourner la difficulté, il lui est arrivé d'employer une formule du type : telle mesure "ne porte pas une atteinte illégale à la liberté du commerce et de l'industrie". Il faudrait pouvoir trouver au niveau du Conseil constitutionnel une formulation équivalente.



Après une brève discussion, le Conseil constitutionnel adopte provisoirement la rédaction suivante :

"que la remise en l'état ne porte pas atteinte aux droits et libertés de personnes tierces". (1)

Monsieur le Doyen VEDEL poursuit la lecture du projet (pages 11 et 12).

Monsieur le Président s'interroge sur la construction adoptée. Ne serait-il pas préférable d'analyser d'abord l'argumentation des auteurs de la saisine, ensuite de fixer les principes applicables et enfin d'en faire application en l'espèce.

Monsieur VEDEL indique qu'il préfère maintenir son projet tel quel car il procède d'une construction logique. L'avantage de la rédaction proposée est d'éviter au Conseil de prendre expressément parti sur la liberté de contracter.

Après discussion, Monsieur le Président renonce à mettre en cause l'économie d'ensemble du projet tout en se réservant de suggérer ultérieurement des modifications.

A la page 12, considérant du milieu de la page, les mots "des membres de son personnel" sont, à la demande du Président BADINTER, remplacés par les mots "des salariés de l'entreprise".

A la page 12, dernier considérant, Monsieur le Président ne souhaite pas qu'on dise : "qu'il appartient au Conseil constitutionnel de veiller au respect de ces limites".

Il considère que le Conseil doit exercer son contrôle sans avoir à le proclamer.

Monsieur VEDEL fait observer que le formulation critiquée est le fruit d'un compromis avec Monsieur le Secrétaire général. Il avait eu l'idée d'écrire primitivement qu'il appartenait au Conseil constitutionnel de fixer les limites. Cette dernière formule lui a paru à la réflexion trop abrupte et il s'est orienté vers la rédaction présentement soumise au Conseil. Mais il n'y est pas spécialement attaché. Ou bien on dit quelque chose d'énergique, ou bien on ne dit rien !

La formulation au lieu de le formulation 

Le Conseil décide alors la suppression du membre de phrase "qu'il appartient au Conseil constitutionnel de veiller au respect de ces limites".

A la page 13 (au premier considérant), sur la suggestion de Monsieur le Président, est substituée au membre de phrase "effacement de leur caractère délictueux ou illicite", la formulation suivante : "effacement de leur caractère répréhensible". L'idée du Président BADINTER est de mieux faire apparaître par ce biais que l'amnistie vaut pour la matière pénale alors qu'une référence au caractère illicite évoque plutôt le droit civil.

(1) Dans la suite du délibéré, cette rédaction sera elle-même modifiée.


Toujours au premier considérant de la page 13, Monsieur le Président conteste l'utilité de la mise en cause de la carence du législateur a réglementer l'exercice du droit de grève. Il propose en conséquence la suppression du membre de phrase :

"difficultés accrues par les lacunes qui affectent la réglementation du droit de grève prévue par le préambule de la Constitution de 1946".

Monsieur MAYER fait observer que pendant près de trois ans il a été Ministre du travail. Il est donc responsable pour les 3/42ème de la carence dénoncée par le projet. Il ajoute qu'il est malheureusement impossible d'édicter une réglementation globale du droit de grève sans donner l'impression aux salariés et aux syndicats qu'on supprime ce droit.

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Je suis pour ma part favorable à la suggestion de Monsieur le Président.

Monsieur VEDEL : Je ne me battrai pas sur ce point. En incluant ce membre de phrase dans le projet, je souhaitais simplement faire écho à ce que le Conseil constitutionnel avait dit dans sa décision du 22 octobre 1982.

Cela dit, c'est de l'opportunité. Si le Conseil souhaite la suppression, il ne s'y oppose pas.

Le membre de phrase en cause est donc supprimé.

A la page 13 (premier considérant).

Monsieur LECOURT s'interroge sur la portée exacte du projet lorsqu'il énonce que la protection des représentants élus du personnel "découle d'exigences constitutionnelles".

Monsieur VEDEL lui indique qu'il y a là une référence implicite au préambule de la Constitution de 1946.

Monsieur le Secrétaire général rappelle les dispositions du huitième alinéa de ce préambule aux termes desquelles "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises"

Le second considérant de la page 13 fait également l'objet de diverses modifications.

Monsieur le Président se demande s'il est bien utile d'opposer comme le fait le projet "les droits et les libertés de chacun et les droits et les libertés d'autrui".

Monsieur VEDEL souligne qu'il a entendu qu'il n'y avait pas seulement conflit entre les droits et les libertés de l'individu et ceux d'autrui, mais qu'il y avait pour un même individu, conflit au sein des droits et libertés dont il jouit.



Monsieur MOLLET-VIEVILLE suggère de dire "droits et libertés des uns et des autres", mais sa suggestion n'est pas acceptée.

Monsieur FABRE souligne à cet égard que cela ferait penser au titre d'un film de Claude LELOUCH.

Monsieur MAYER se déclare sensible à l'argumentation de Monsieur le Doyen VEDEL. On peut connaître un drame intime qui naît d'un conflit de droits.

Finalement, le Conseil décide sur ce point d'adopter la proposition du rapporteur.

Monsieur le Président s'interroge également sur la définition de la faute légère donnée par le projet par opposition à la faute lourde.

La référence à "une faute sans malice ni gravité" faite sur ce point par le projet ne lui paraît pas s'imposer. Le Conseil constitutionnel n'a pas à apparaître comme le guide des juridictions de l'ordre judiciaire dans l'appréciation de la gravité d'une faute.

Monsieur VEDEL objecte à ce point de vue que la directive donnée par le Conseil n'est pas bien grave. La formulation qu'il propôse lui paraît aller dans le sens d'une plus grande intelligibilité de la décision. Nous rendons une décision de principe. Nous affirmons même des principes très importants. Cette décision aura des enfants et des petits enfants.

qu'il propose au lieu de qu'il propôse

Monsieur le Président rétorque qu'il ne faut pas venir compliquer la terminologie. On en arrive avec la théorie de la faute à tous les degrés de l'arc-en-ciel. N'ajoutons pas à la gamme existante la faute sans malice ni gravité.

Monsieur VEDEL : Je veux bien. On pourrait se contenter de dire "faute n'ayant pas le caractère de faute lourde". Mais je fais observer que la théorie de la proportionnalité a fait des progrès.

Monsieur le Président : Vous savez bien qu'il convient de distinguer la gravité de l'acte en lui-même et la gravité de ses conséquenes. Si je pousse malencontreusement Monsieur JOZEAU-MARIGNE, cela peut avoir des conséquences plus graves que si je venais à lui donner un coup de poing.

Monsieur VEDEL : Vous abordez là un vieux sujet de réflexion.

La notion de faute lourde a vu le jour en matière de responsabilité contractuelle pour faire échec à une clause de non-responsabilité.

Le droit administratif a repris cette idée en matière contractuelle. Il l'a utilisée également en matière de responsabilité extracontractuelle, spécialement pour apprécier les conditions de mise en jeu de la responsabilité de services publics confrontés à des tâches particulièrement difficiles.

Il ne me semble nullement illogique de transposer cette construction au domaine du droit du travail. Il s'agit d'utiliser une technologie juridique. Je n'insiste pas.



Monsleur le Président fait également porter la discussion sur le membre de phrase "les contraintes que cette réintégration peut faire peser". Les contraintes peuvent être indépendantes de la gravité de la faute.

Monsieur VEDEL indique qu'au regard de la liberté personnelle de l'employeur il y a une corrélation entre la gravité de la faute commise par le salarié et la gravité de la contrainte pesant sur l'employeur du fait de sa réintégration.

Monsieur le Président se demande si à la place du mot "contraintes" on ne devrait pas dire "charges".

Monsieur le Secrétaire général émet l'idée que le projet de Monsieur le Rapporteur est difficile à modifier sur le point considéré. Il oppose avec netteté la faute simple (second considérant de la page 13) et la faute lourde (premier considérant de la page 14). Ces deux considérants s'éclairent l'un l'autre.

Dans chaque cas, est employé le mot contrainte.

Monsieur VEDEL : La rédaction d'un projet ne doit pas conduire à poser des devinettes au lecteur. Il évoque le cas des nuisances de voisinage et l'ampleur des charges qui en résultent. La pratique du tambour est plus génante que celle de la flûte.

gênante au lieu de génante 

Monsieur le Président commente : Le tambour n'est pas la flûte ; la flûte n'est pas le tambour.

Monsieur VEDEL : Monsieur le Président, je pense que nous devons être clair. Nous écrivons pour un public syndical. Le projet retient un élément de bon sens touchant le licenciement. Nous le disons en termes juridiques tout simplement.

Monsieur MOLLET-VIEVILLE propose la rédaction suivante :

"que les contraintes personnelles qui en sont la conséquence ne sont pas manifestement disproportionnées par rapport au but...".

Monsieur VEDEL réplique :

"Belle marquise..." ! puis ajoute : pourquoi poser des énigmes aux gens qui nous lisent. Le projet repose sur une idée simple et de bon sens.

Monsieur FABRE : Il n'est pas fait référence à la force majeure.

Monsieur le Secrétaire général : Il est fait mention de la force majeure au deuxième considérant de la page 14. Il est souhaitable d'éviter des répétitions. Il suffit peut-être d'indiquer au deuxième considérant de la page 13 : "a droit dans les conditions prévues par la loi, à être réintégré dans ses fonctions".

Le Conseil adopte cette proposition puis décide également au second considérant de la page 13 d'adopter la formulation "faute n'ayant pas le caractère de faute lourde" de préférence à "faute sans gravité".



Ce point une fois réglé, le Président suggère que le premier considérant de la page 14 soit allégué.

Monsieur VEDEL s'y oppose énergiquement. "Il s'agit d'un pendant au raisonnement et non pas d'une répétition.

Ce projet n'est pas mon oeuvre unique. Il est volontairement balancé. Si vous supprimez un élément du raisonnement, vous aboutissez à obscurcir le projet.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE opine en faveur de la rédaction proposée pour le second considérant de la page 13 et le premier considérant de la page 14.

Monsieur MOLLET-VIEVILLE est du même avis.

Monsieur le Président n'insiste pas.

Ce point une fois réglé, Monsieur LECOURT intervient au sujet de la référence à "l'ancien employeur". A ses yeux, la contrainte résultant de la réintégration est beaucoup plus forte pour l'employeur qui a pris la suite d'un précédent.

Monsieur le Président objecte qu'il est difficile de mettre en cause le principe de la continuité de l'entreprise.

Monsieur le Secrétaire général suggère que l'on tourne la difficulté en utilisant une formulation plus neutre "que les contraintes découlant de cette réintégration ne dépassent pas...".

Monsieur le Président, toujours sur un plan purement rédactionnel propose à la page 15 de dire "que de telles dispositions dépassent manifestement les limites que le respect de la Constitution impose au législateur" au lieu de "dépassent de loin".

Monsieur VEDEL donne son accord.

Monsieur LECOURT revient sur la situation comparée de l'ancien employeur et du nouvel employeur.

Monsieur FABRE indique qu'il a connu une entreprise qui s'est sabordée à seule fin de pouvoir licencier son personnel. Le patron a ensuite créé une nouvelle entreprise et il a rembauché librement.

Monsieur le Président : En pratique il y a un débat en cas de cession d'une entreprise. L'entreprise qui succède reprend l'intégralité des droits et obligations. La loi tire la conséquence logique d'un principe traditionnel du droit du travail. Elle n'en fait pas une application inconstitutionnelle.

Monsieur VEDEL : La contrainte d'ordre psychologique liée au retour du salarié évincé est beaucoup moins forte pour le nouvel employeur qui ne le connaissait pas que pour l'employeur qui l'avait lui-même licencié.




Monsieur le président : De toute façon, avec notre décision, on élimine toute application de l'article 15-II.

Il n'y aura de réintégration qu'en cas de faute simple. Or pour que le licenciement d'un salarié protégé soit autorisé, il faut en pratique que l'intéressé ait commis une faute lourde.

De plus, la loi réserve la force majeure. Je me demande ce que feront les tribunaux en cas de réglement judiciaire.

Je reviens un instant sur la page 11. Plutôt que "ne porte pas atteinte aux droits et libertés" il serait préférable d'écrire "ne soit pas contraire à...".

Le Conseil donne son accord.

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Puisque vous revenez en arrière, Monsieur le Président, à la page 12 du projet, on pourrait mentionner non seulement l'employeur mais aussi "l'ancien employeur".

Monsieur VEDEL : Je crains que cette suggestion n'aille à l'encontre du but recherché.

La partie du projet concernant le droit à réintégration est mise aux voix.

Elle est adoptée par sept voix contre une (Monsieur MOLLET-VIEVILLE).

Le projet dans son ensemble est adopté par sept voix pour et une contre (Monsieur MOLLET-VIEVILLE).

La séance est levée à 17 h 40. Monsieur le Président soulignant que le Conseil se réunira le lendemain à 10 heures pour le rapport de synthèse sur les comptes de campagne.

cette décision comporte des annexes

Notez qu'une des annexes est constitué des observations du Conseil sur l'élection présidentielle

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.