SEANCE DU 21 JUILLET 1988
La séance est ouverte à 10 heures, tous les membres étant présents à l'exception de Monsieur SIMONNET et de Monsieur JOZEAU-MARIGNE.
Monsieur le Président ouvre la séance en faisant état des commentaires de la presse sur la décision du Conseil constitutionnel sur la loi d'amnistie. Il considère que le Conseil constitutionnel a été largement diffamé par un éditorial paru dans l'Humanité et demande si le Conseil constitutionnel souhaite répondre.
Les membres répondent unanimement que non.
Monsieur VEDEL ne croit pas que les critiques en question dépassent le cadre de la critique acceptable en régime démocratique. Il remarque que la référence au Pétainisme ne concerne que le mode de désignation des membres du Conseil constitutionnel.
Monsieur le Président : "Il était de mon devoir de poser la question".
Monsieur VEDEL souligne qu'il y aurait un sérieux problème si la critique émanait des pouvoirs publics.
Monsieur le Président : "Bon, laissons glisser, comme il convient".
Monsieur le Secrétaire général présente l'ordre du jour de la séance.
Cette séance s'inscrit dans le prolongement des délibérés des 8 juin, 13 et 14 juillet 1988.
Le 8 juin, le Conseil constitutionnel avait débattu des élections présidentielles et décidé de disjoindre le problème de l'organisation du vote des Français établis hors de France, qui a fait l'objet d'une lettre au Ministre des affaires étrangères.
Le 13 juillet, après en avoir longuement délibéré, le Conseil constitutionnel a décidé, d'une part, la transmission pure et simple des comptes de campagne au Premier ministre pour publication au Journal officiel avec une lettre d'accompagnement aux termes pesés et, d'autre part, l'incorporation de ses observations dans son rapport sur l'élection présidentielle.
C'est à ce stade que je situe mon propos d'aujourd'hui.
J'ai tenté de rassembler l'ensemble des observations émises lors de vos délibérés qui constituent les pages 5 à 11 du document qui vous a été distribué.
De très légères modifications sont à apporter à ce rapport en raison des remarques de Monsieur le Président dont j'ai tenu compte et de certaines corrections nécessaires d'erreurs matérielles .
Deux grandes idées se dégagent des observations d'ensemble :
- l'incertitude des règles applicables ; le cadre légal est imprécis et incertain ;
- plus fondamentalement, les lacunes de la législation. Cette loi est une "passoire" comme l'a dit Monsieur le Doyen VEDEL à plusieurs reprises.
Les incertitudes sont relatives à deux éléments :
1° la définition des dépenses de campagne ;
2° certaines difficultés particulières concernant la définition des dépenses de campagne ; il faut rappeler que le mémento des candidats qui a été pris "après avis" du Conseil constitutionnel, définit les dépenses de campagne comme celles intervenues entre la date de publication de la loi organique du 11 mars 1988 (le 12 mars 1988) et la date du scrutin. Cela concerne les actions intervenues pendant cette période et non les factures.
Cette interprétation n'a pas été suivie par tous les candidats comme vous avez pu le constater.
Il a ainsi été tenu compte d'actions réalisées avant la date du 12 mars (exemple : le rapport de Monsieur BRIET sur les comptes de campagne de Monsieur CHIRAC).
Un autre problème a concerné les candidats non présents au second tour. Le Conseil a estimé malgré les hésitations de certains de ses membres, que les candidats non admis au second tour ne pouvaient prendre en considération des dépenses qu'ils avaient exposées entre les deux tours.
Il a, par ailleurs, remarqué que le cautionnement était tout-à-fait en porte à faux par rapport à l'évolution des textes (la loi organique du 11 mars 1988 par rapport à la loi du 6 novembre 1962, Article 3-V). Il y a là une situation paradoxale et il serait nécessaire d'établir une harmonie des textes.
Une autre difficulté concerne les modalités de prise en compte de l'aide de l'Etat.
L'Etat apporte une aide double :
1° d'une part, il assume directement les dépenses de propagande (article 17 du décret n° 64-231 du 14 mars 1964) ;
2° d'autre part, le remboursement forfaitaire des frais de campagne résulte des dispositions de la loi organique du 11 mars 1988.
Dans quelle mesure cela doit-il apparaître dans les comptes ?
Contrairement à ce que soutenait Monsieur BERTHET, le Conseil constitutionnel a décidé que ces dépenses de l'Etat ne devaient pas figurer dans le compte de campagne. Il ne s'agit pas en effet, au sens de l'article L.O. 163-1 du code électoral, de "recettes perçues" au moment de l'établissement du compte.
Une autre difficulté a été soulignée par Monsieur MARTIN-LAPRADE à propos du compte de campagne de Monsieur MITTERRAND.
Figurent dans ce compte des frais financiers prévisionnels concernant le financement du découvert du compte jusqu'au remboursement escompté de l'Etat.
Si le remboursement intervient avant, il y aura enrichissement ou du moins anomalie. D'où, sans doute, la nécessité de la fixation d'une date pour le remboursement accompagné du paiement d'intérêts au-delà de cette date.
Cela n'a pas échappé au "Canard enchaîné" qui ironise sur cette législation, en soulignant que les frais financiers de Monsieur MITTERRAND sont élevés ; que les frais d'affichage de Monsieur CHIRAC sont plus faibles que ceux de Monsieur LAJOINIE... J'en viens maintenant aux lacunes.
- Un premier élément paradoxal apparaît quand on remarque que les règles sont moins rigoureuses pour l'élection présidentielle que pour les élections législatives. L'article L.O. 163-4 du code électoral, aux termes duquel, aucun candidat ne peut recevoir, directement ou indirectement, des contributions ou aides matérielles d'un Etat étranger ou d'une personne physique ou morale de nationalité étrangère, ne concerne que les élections législatives et la disposition n'est d'ailleurs pas assortie de sanctions.
De la même façon, la loi organique prévoit la présentation des comptes par un expert-comptable en matière d'élections législatives alors qu'elle est muette sur ce point en ce qui concerne les élections présidentielles.
La différence de rédaction des textes est inexplicable.
Les modalités de contrôle présentent aussi des insuffisances notoires. Le Conseil constitutionnel ne peut se borner à les relever. Il peut proposer des éléments de réflexion.
1° Les rapporteurs soulignent que le contrôle est plus aisé s'il y a un compte bancaire unique affecté aux recettes et aux dépenses. Une difficulté juridique réside cependant dans le décalage entre la candidature officielle et la période de six mois antérieure au scrutin.
2° On pourrait vérifier la présentation des comptes de campagne par l'élaboration d'un compte-type.
3° On pourrait renforcer les responsabilités de l'expert-comptable en soulignant qu'il est seul habilité à présenter les comptes de campagne : on pourrait préciser qu'il ne s'agit pas d'une simple présentation, mais aussi d'une certification.
4° Enfin, dernier aspect, le plus difficile, il faudrait tenter de conférer à ce compte un caractère universel.
Le texte précise que le compte retrace les dépenses effectuées par le candidat ou "pour son compte". Cette dernière expression renvoie à l'idée de mandat. Cela paraît insuffisant. Quid de l'intervention d'un parti ou d'un groupement en faveur d'un candidat sous forme de dons ou d'avances ?
Voilà, Monsieur le Président, Messieurs, les réflexions que je soumets à votre approbation".
Monsieur le Président : "Merci, Monsieur le Secrétaire général. Nous procéderons à une discussion point par point pour la clarté du débat".
Monsieur FABRE s'interroge sur la communication faite au ministère des affaires étrangères.
Lecture de la lettre adressée au Ministre est donnée par Monsieur le Secrétaire général.
Monsieur FABRE : "Je ne demandais pas à avoir connaissance du contenu ! Merci".
Monsieur le Président : "Ce n'est pas confidentiel. Comme vous le voyez, nous ne négligeons aucun détail".
Monsieur MAYER se demande, à propos des dispositions de la page 4 du projet consacrées à la rémunération des membres des commissions de contrôle des opérations de vote, s'il appartient bien au Conseil constitutionnel de souligner ce genre de problème.
Monsie le Président : "Oui".
Monsieur MAYER : "Est-ce que cela ne relève pas tout simplement du civisme ? Mais, s'il faut que cela soit rémunéré...".
Monsieur le Secrétaire général : "Un arrêté interministériel, signé conjointement par le Ministre de l'intérieur, le Ministre de la justice et le Ministre des finances, est plus difficile à faire modifier qu'un décret".
Monsieur MAYER : "D'accord mais au fond de moi j'hésite sur le principe de la rémunération".
Monsieur le Président s'interroge sur le caractère approprié du terme "incertitude" des règles applicables (page 5) et souhaite que le terme soit remplacé par "imprécision".
Cette modification est adoptée.
Monsieur le Président s'interroge ensuite sur l'instruction de l'Administration fiscale du 9 mai 1988 dont il est fait mention à la page 6 du projet.
Monsieur VEDEL remarque qu'il faut suggérer une harmonisation du fait du hiatus possible entre la législation fiscale et la législation financière.
"Est-ce que le Ministre des finances admet la déduction fiscale des dons faits aux partis ?
Une doctrine commune est nécessaire sinon on risque de se trouver devant des enrichissements ou des appauvrissements".
Monsieur le Président : "Peut-on seulement faire application de cette circulaire ?".
Monsieur le Secrétaire général : "Elle a été publiée au bulletin officiel de la direction générale des impôts".
Monsieur le Président : "Alors d'accord...".
Monsieur FABRE pense que la question de l'acquisition de biens durables dépassant la durée de la campagne qui a posé des problèmes au Conseil constitutionnel n'est pas suffisamment éclaircie.
Monsieur le Président : "Il doit en effet y avoir une formule précise de ce qui est pris en compte dans le compte de campagne pour l'actif immobilisé".
Monsieur le Secrétaire général : "Aucun problème, je rajoute un alinéa".
Monsieur MAYER fait remarquer, concernant le b) de la page 6 du projet relatif aux dépenses engagées entre les deux tours de scrutin, qu'il ne comprend pas comment on peut mettre sur le même plan le ministère de l'intérieur et l'ordre des experts-comptables.
Monsieur le Secrétaire général souligne qu'il s'agit d'un service public organisé par l'Etat.
Monsieur le Président : "Je ne vois pas d'inconvénient...".
Monsieur MAYER : "Je suis hostile aux ordres professionnels...".
On passe à l'analyse de la page 7 du projet.
Monsieur le Président souhaite qu'on ajoute à la fin du premier paragraphe, après "s'arrête au premier tour", la précision "puisque les intéressés cessent d'être candidats".
Monsieur MAYER rappelle son hostilité à cette disposition qui lui paraît injuste.
Monsieur le Président évoque le risque de transfert de dépense et le non-respect consécutif du plafonnement à défaut de cette disposition.
Monsieur MAYER : "Ce que nous devons déplorer, ce sont les abstentions. On augmente le nombre des abstentions avec notre attitude".
Monsieur FABRE : "on pourrait inclure la lettre de désistement dans le compte de campagne !".
Monsieur le président : "Ce n'est pas couvert par le texte. Ce n'est pas compris dans la période. Il faut s'en tenir à cette simple évidence".
Monsieur VEDEL : "Il est cruel d'exclure la lettre de remerciement (!)''.
Monsieur LECOURT : "Le même problème se pose au deuxième tour".
Monsieur MAYER : "Le remerciement inclut également les orientations. On rejette des électeurs dans l'abstention, alors que le rôle de l'Etat est d'encourager le civisme".
Monsieur VEDEL : "J'ajoute avec malice et sans gravité que le troisième candidat a, en 1969, pu préconiser l'abstention".
Monsieur le Président : "Celui qui continue la lutte n'a qu'à prendre les frais sur ses ressources".
Monsieur le Secrétaire général donne lecture de la modification du projet résultant de la remarque de Monsieur FABRE (c) nouveau).
Concernant le nouveau paragraphe d) relatif au problème de la prise en compte du cautionnement dans le compte de campagne, Monsieur le Secrétaire général fait remarquer que la question posée est susceptible de plusieurs réponses sur le plan juridique, soit que l'on privilégie la loi postérieure à caractère général, soit que les règles sur le remboursement se voient conférer le caractère de loi spéciale.
Monsieur FABRE fait remarquer qu'il y a un risque d'augmentation du cautionnement que certains pourront récupérer et d'autres pas. Il pense donc qu'il faut faire figurer le cautionnement, même s'il devait ne pas être remboursé.
Monsieur VEDEL : "Cela ne rime plus à rien si l'on rembourse automatiquement le cautionnement".
Monsieur le Président : "Cela supprime effectivement l'effet dissuasif".
Monsieur le Secrétaire général : "Les 500 signatures sont un barrage suffisant. Sur cette question de droit, je suis très hésitant en droit. Le Conseil constitutionnel n'est pas obligé de la trancher... Il peut se borner à souligner qu'il y a un problème".
Monsieur VEDEL : "Je vous trouve bien timide. Normalement, la lex specialis l'emporte. Reste, il est vrai, la difficulté du point de savoir ce que l'on rembourse ou non".
Monsieur le Secrétaire général souligne que le texte de 1988 vise "l'ensemble des dépenses".
Monsieur VEDEL : "Le cautionnement est une amende...".
Monsieur le Président : "Non, il ne saurait y avoir amende en l'absence de faute. Le cautionnement est un pari du candidat sur ses propres chances. Je suis partisan de l'intégrer dans le compte de campagne".
Monsieur FABRE pense que le Conseil constitutionnel devrait prendre position...
(La rédaction retenue se borne à estimer souhaitable que des précisions soient apportées).
Monsieur VEDEL remarque, au sujet de l'ensemble du développement de la page 8 du projet concernant les modalités de prise en compte de l'aide apportée par l'Etat, qu'il s'agit en fait d'un jeu d'écriture, d'une recette à valoir qui ne donne pas un sou de plus. Il y a, en revanche un risque d'enrichissement sans cause si l'on en vient à tenir compte de dépenses que l'Etat a déjà remboursées. Je sens mal ce paragraphe !".
Monsieur le Secrétaire général souligne que le débat a été soulevé par les rapporteurs-adjoints.
Monsieur VEDEL : "Ce sont des gens de la Cour des comptes...".
Monsieur le Président : "Tout ce que vous dites est exact, mais il y a un risque de confusion. Nous ne voulons pas définir les règles comptables cependant. Je suis gêné par le terme de recette pour un remboursement de dépenses. C'est vrai qu'il n'y a pas vraiment d'altération du compte mais la présentation qui tient compte du remboursement de la caution en recette n'est pas conforme aux textes en vigueur".
Pour la page 9 du projet, Monsieur le Président se demande si l'introduction est nécessaire, s'il n'y a pas un risque de redondance.
Monsieur VEDEL : "Je plaiderais pour la présentation de Monsieur le Secrétaire général".
Monsieur le Secrétaire général : "Il y a un élément d'annonce de plan conforme à ce qui m'a été enseigné par mes maîtres...".
Monsieur le Président souligne ensuite, concernant le paragraphe consacré aux contributions ou aides matérielles étrangères, que derrière le principe on pourrait viser l'existence d'une situation concrète de financement de ce type.
"Pourquoi est-ce que le Conseil hésiterait à le faire ? Je regrette que l'on n'ait pas demandé des informations complémentaires à Monsieur LE PEN".
Monsieur le Président propose que le paragraphe débute par la formule "pour éviter qu'un candidat puisse recevoir directement ou indirectement".
La rédaction est modifiée dans ce sens, après un long échange de vues sur ce point.
Le Conseil examine ensuite la fin du projet et modifie le d) concernant l'aide des partis et groupements politiques. Il est substitué aux termes "groupement politique" le terme "groupement" tout court.
En conclusion, Monsieur VEDEL souligne que la loi est mal faite, ce qui pousse Monsieur MAYER, sur le ton de la boutade, à souhaiter un retour a la situation antérieure à la loi du 6 novembre 1962.
La séance est levée à 11 h 30, rendez-vous étant pris pour le début du mois de septembre pour l'examen éventuel des textes relatifs à l'organisation d'un référendum sur la Nouvelle-Calédonie.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.