SEANCE DU MERCREDI 7 JUIN 1989
La séance est ouverte à 12 h 15, tous les membres étant présents, à l'exception de Monsieur FAURE.
Monsieur le Président donne la parole à Monsieur FABRE.
Monsieur FABRE : Cela ne sera pas la décision de l'année mais cette affaire, aussi modeste fût-elle, doit retenir notre attention.
L'Assemblée nationale a adopté, le 16 mai dernier, une proposition de résolution tendant à modifier le premier alinéa de l'article 33 du Règlement de l'Assemblée nationale présentée par MM. Louis MERMAZ, Michel SAPIN et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Cette résolution a pour objet d'augmenter le nombre des membres des commissions spéciales désignés à la proportionnelle des groupes en les faisant passer de 31 à 57. Corrélativement, le nombre de membres pouvant appartenir à une même commission permanente est porté à 28 membres contre 15 jusqu'à maintenant.
Cette réforme s'inscrit dans le cadre des mesures visant à assurer une meilleure efficacité du travail parlementaire. Elle répond au souci de renforcer le rôle des commissions parlementaires spéciales qui sont concurrencées par la multiplication des commissions d'experts, de sages. Cependant, mon propos est moins de m'interroger sur les buts recherchés que sur la conformité à la Constitution de ce texte. Je constate qu'il a été adopté à l'unanimité, le seul orateur inscrit dans le débat étant un député communiste, Monsieur HAGE, qui s'est ému de la limitation du nombre des commissions permanentes.
En application de l'article 61, alinéa premier, de la Constitution et de l'article 17 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, le Président de l'Assemblée nationale a adressé au Président du Conseil constitutionnel le texte de cette résolution le 16 mai.
J'observe que le Conseil s'est déjà prononcé deux fois sur la conformité à la Constitution de modifications du règlement de l'Assemblée nationale touchant aux commissions spéciales ; la première fois le
20 novembre 1969, la seconde fois le 6 mai 1980. Mais j'aurai l'occasion d'y revenir.
Avant de nous interroger sur la conformité à la Constitution de cette résolution, il convient de la replacer dans le contexte du droit applicable et de la pratique parlementaire.
1. Le droit applicable
Je rappellerai successivement les règles relatives à la constitution et à la composition des commissions spéciales.
1.1. Les règles relatives à la constitution des commissions spéciales
Leur constitution obéit à des règles assez complexes.
Aux termes du premier alinéa de l'article 43 de la Constitution : "les projets et propositions de lois sont, à la demande du Gouvernement ou de l'Assemblée qui en est saisie, envoyés pour examen à des commissions spécialement désignées à cet effet".
Le second alinéa ajoute que : "les projets et propositions pour lesquels une telle demande n'a pas été faite sont envoyés à l'une des commissions permanentes dont le nombre est limité à six dans chaque assemblée".
De ces dispositions, il ressort que la constitution d'une commission spéciale est le droit commun et que le renvoi à une des six commissions permanentes est l'exception. Cette interprétation est logique si l'on se souvient que les commissions permanentes étaient au nombre de dix-neuf sous la IVème République.
A l'origine, l'article 32 du Règlement de l'Assemblée nationale prévoyait notamment que "sauf lorsqu'il s'agit d'un projet de loi de finances, d'un projet portant approbation des options du Plan ou du Plan lui-même, d'un traité ou d'un accord visé à l'article 128, ou si l'Assemblée a déjà refusé la constitution d'une commission spéciale", la constitution d'une commission spéciale à l'initiative de l'Assemblée était de droit lorsque deux commissions permanentes avaient demandé à se saisir pour avis d'un texte renvoyé à une autre commission permanente n'ayant pas encore statué sur l'ensemble. Cette disposition a été supprimée par une résolution du 16 avril 1980 qui a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 6 mai 1980 (Décision n° 80-113 DC du 6 mai 1980, p. 17).
Désormais, la constitution d'une commission spéciale est de droit lorsqu'elle est demandée par le Gouvernement et - sauf pour les textes particuliers que je viens de citer ou si l'Assemblée a déjà refusé la constitution d'une commission spéciale - lorsqu'elle est demandée dans le délai de deux jours francs suivant la distribution, du projet ou de la proposition de loi par un ou plusieurs présidents de groupes dont l'effectif global représente la majorité absolue des membres composant l'Assemblée. En outre, la constitution d'une commission spéciale peut être décidée par l'Assemblée sur la demande, soit du président d'une commission permanente, soit du président d'un groupe, soit de 30 députés au moins dont la liste ne varietur est publiée au Journal officiel à la suite du compte-rendu intégral ; la demande devant être présentée dans le même délai que précédemment.
1.2. Les règles relatives à la composition des commissions spéciales
Actuellement, les commissions spéciales se composent de 31 membres désignés à la représentation proportionnelle des groupes suivant la procédure prévue à l'article 34 du Règlement. Elles ne peuvent comprendre plus de 15 membres appartenant, lors de leur constitution, à une même commission permanente.
L'augmentation du nombre des commissaires dans les commissions spéciales connaît deux précédents :
Une résolution en date du 23 octobre 1969, tout en maintenant ce chiffre de 31 membres, permettait au Président de l'Assemblée nationale de faire passer cet effectif à 41 membres. Dans une décision du 20 novembre 1969 (décision n° 69-37 DC du 20 novembre 1969, p. 15), le Conseil constitutionnel a estimé que cette disposition n'était pas conforme à la Constitution, au motif qu'elle pouvait aboutir à déléguer, sans habilitation, au Président de l'Assemblée, une compétence qui, en vertu de l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, n'appartient qu'à l'Assemblée nationale elle-même.
En 1981, les membres du groupe socialiste ont déposé une nouvelle proposition de résolution visant à fixer à 65 le nombre des membres des commissions spéciales.
2. La pratique parlementaire
Dans la pratique, le recours aux commissions spéciales est demeuré l'exception. 62 commissions spéciales ont été instituées au cours des huit législatures passées et seulement 36 textes ont été adoptés dans ce cadre.
La rareté du recours aux commissions spéciales s'explique au moins pour quatre raisons :
- d'abord, les commissions permanentes éprouvent quelque difficulté à se dessaisir de leurs compétences, d'autant que le travail au sein des commissions est de plus en plus le fait de parlementaires spécialisés ;
- ensuite, la formule de la commission spéciale attire l'attention sur les textes, ce qui n'a pas toujours paru opportun ;
- par ailleurs, la saisine pour avis prévue par l'article 87 du Règlement permet, lorsque le projet ou la proposition de loi comporte des dispositions diverses, de faire appel aux compétences des commissions permanentes intéressées ;
- enfin, la faiblesse des effectifs des commissions spéciales a constitué un obstacle à leur création. Le chiffre de 31 membres ne permettait pas aux groupes de réunir les députés concernés par un texte en assurant au mieux une répartition équilibrée entre les membres des commissions permanentes.
Cette dernière difficulté est à l'origine de la résolution qui nous est soumise. Or, le recours à une commission spéciale présente un double intérêt. Non seulement il permet de réunir des députés qui apparaissent comme des spécialistes mais il faut savoir aussi que la procédure de la commission saisie pour avis n'est pas sans poser des problèmes dans la mesure où des conflits entre commissions permanentes, l'une saisie au fond, l'autre pour avis, peuvent surgir.
Le chiffre de 57 commissaires a été retenu pour permettre d'augmenter le nombre de membres tout en assurant une représentation équilibrée des groupes. Il est inférieur au chiffre des commissions permanentes les moins nombreuses (affaires étrangères, défense, finances et lois), soit 73 membres. Avec 31 membres, les socialistes pouvaient prétendre à 15 sièges, le R.P.R. à 7, l'U.D.F. à 5, l'U.D.C. et les communistes à 2 chacun, étant entendu qu'aux termes du second alinéa de l'article 33 du Règlement de l'Assemblée nationale, "les commissions spéciales peuvent s'adjoindre au plus deux membres choisis parmi les députés n'appartenant à aucun groupe”.
Avec 57 membres, la représentation serait, dans la composition actuelle de l'Assemblée, la suivante : 27 sièges pour le groupe socialiste, 14 sièges pour le R.P.R., 9 pour l'U.D.F., 4 pour l'U.D.C. et 3 pour les communistes.
3. La conformité à la Constitution de la résolution
Cette résolution ne soulève pas de problème de constitutionnalité. Il appartient à l'Assemblée d'apprécier elle-même à partir de quel seuil tous les groupes peuvent bénéficier de l'accroissement des effectifs des commissions spéciales. Il revient à l'Assemblée de déterminer aussi le nombre maximum de commissaires appartenant à une même commission permanente.
Je soumets donc à votre approbation un projet de conformité.
Monsieur le Président : Quelqu'un souhaite-t-il prendre la parole ?
Monsieur ROBERT : Je n'ai pas la même lecture de l'article 43 de la Constitution que notre rapporteur.
Je l'interprète au contraire comme donnant une compétence de droit commun aux commissions permanentes dans la mesure où le second alinéa de l'article 43 prévoit que ces commissions sont compétentes sur les projets et propositions de loi concernés lorsqu'aucune demande n'a été présentée par le Gouvernement ou l'assemblée saisie. Mais cette observation ne change rien au fond du problème.
Monsieur le Président : Historiquement, je ne suis pas sûr que telle ait été la volonté du constituant qui avait manifesté l'intention de restreindre l'influence des commissions permanentes. J'ajoute que, dans la pratique, la constitution de commissions spéciales est demeurée l'exception. Le Conseil s'est déjà penché sur la question des commissions spéciales. En 1969, il a déclaré non conforme à la Constitution une modification du règlement qui conférait un pouvoir de délégation au président de l'assemblée.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Mon expérience parlementaire m'a conduit à connaître de près la constitution et le fonctionnement des commissions spéciales. Je tiens à faire observer que cette modification ne donne pas de majorité absolue, au sein d'une commission spéciale, aux membres d'une commission permanente. Dans la pratique, les commissions permanentes ont en fait été toujours compétentes et il n'a été recouru aux commissions spéciales qu'exceptionnellement. Lorsqu'un texte est déposé au Sénat, le rapporteur désigné et le président de la commission permanente se penchent sur ce texte avec l'idée que l'assemblée prendra une décision qui dépassera les clivages politiques habituels. Le problème de la compétence des commissions se pose lorsque deux commissions permanentes se déclarent intéressées par le texte. L'intervention des commissions saisies pour avis a eu, en ce sens, pour effet, d'écarter les commissions spéciales. Il n'était pas rare au Sénat que la commission des lois fût saisie au fond et que la commission des finances et celle des affaires culturelles fussent saisies pour avis. Sans trahir de secret, il arrivait par exemple que la commission des finances, présidée par Monsieur BONNEFOUS, soit déssaisie au profit de la commission des lois mais une solution à l'amiable était alors trouvée.
Monsieur le Président : Il est indiscutable que les commissions spéciales n'ont été constituées qu'exceptionnellement.
Monsieur MAYER : Les commissaires sont-ils nommés définitivement dans une commission ou peuvent-ils changer de commission ?
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Lorsqu'un commissaire souhaite changer de commission, il démissionne et permute avec un de ses collègues de son groupe. De telles pratiques sont rares mais cela se fait.
Monsieur FABRE : La procédure de nomination des membres des commissions permanentes est assez lourde puisque les noms des commissaires sont affichés et publiés au Journal officiel.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Les nominations se font en concertation avec les bureaux des groupes. La liste des candidats est affichée et il peut y être fait opposition pendant un délai d'une heure après cet avis.
Monsieur FABRE : Les règles relatives à la désignation des candidats dans les commissions spéciales figurent à l'article 34 du Règlement de l'Assemblé nationale.
La réduction du nombre des commissions permanentes a eu pour effet d'élargir le champ de compétences de ces commissions et certaines commissions, comme celle des affaires culturelles, sont de véritables fourre-tout.
Pour revenir à l'observation présentée par Monsieur ROBERT, elle semble logique de prime abord mais je n'ai pas retenu cette lecture d'autant qu'elle ne correspondait pas à l'intention des rédacteurs de la Constitution.
Monsieur le Président : Quel est votre sentiment sur le projet de décision ?
Le projet de décision est adopté à l'unanimité.
Monsieur le Président : Nous devons procéder aussi au remplacement de Monsieur VIGOUROUX, rapporteur adjoint. Son successeur est Monsieur SCHNEIDER qui a un curriculum vitae brillant.
Monsieur le Secrétaire général : Monsieur PAOLI me fait remarquer qu'il est même chevalier du mérite agricole.
Monsieur ROBERT, en plaisantant : Cela n'est pas infamant !
Monsieur le Président, avec un sourire : Monsieur le Secrétaire général : si votre voeu le plus cher est d'obtenir le poireau, nous ne manquerons pas de vous soutenir !
Le Secrétaire général fait un signe de dénégation amusée.
Monsieur le Président : S'agissant de notre programme de travail, force est de constater que la morte saison se poursuit. Notre prochaine réunion coïncidera avec notre déjeuner, le 4 juillet. Nous nous pencherons, à cette occasion, sur des modifications des règlements du Sénat et de l'Assemblée et sur les "noyaux durs", ce texte devant être adopté vers le 12 juin.
Monsieur LATSCHA : Je suis prêt.
Monsieur le Président : Après les fêtes, nous devrions nous réunir de nouveau les 25 et 26 juillet. La Loi JOXE, sur l'entrée et le séjour des étrangers en France, en cours de discussion, soulève des problèmes importants. Nous verrons comment évolue ce texte au fur-et-à-mesure des navettes.
Monsieur le Secrétaire général : Le Conseil pourrait être saisi d'autres textes. J'avais pensé un moment que le projet relatif à l'organisation judiciaire en Nouvelle-Calédonie ferait l'objet d'un recours mais il y a eu un accord en commission mixte paritaire. La nouvelle réglementation des loyers suscite une forte opposition de la part de l'Union des propriétaires immobiliers. Il y a enfin la réforme de la C.O.B. Nous suivons de près la discussion de ces textes. La session extraordinaire, s'il y en a une, ne devrait pas dépasser le 8 juillet. Si les réunions des 25 et 26 juillet ne suffisaient pas, il conviendrait, à l'extrême limite, de prévoir une séance le 1er août. Nous y verrons plus clair le 4 juillet.
Monsieur le Président : Nous pourrions adopter une procédure plus vivante que la procédure traditionnelle pour l'examen de la Loi JOXE. Ce texte suscite un certain dépit dans les juridictions administratives. Le Premier Président DRAI que j'ai rencontré a des arguments à faire valoir. Le Vice-président du Conseil d'Etat a aussi les siens. Nous pourrions les entendre, le Vice-président du Conseil d'Etat pouvant d'ailleurs être suppléé par le Président de la section du contentieux.
Monsieur le Secrétaire général : Le texte a été présenté devant l'assemblée générale du Conseil d'Etat.
Monsieur le Président : Nous pourrions recueillir les avis des présidents DRAI et LONG ou de son représentant. Je n'exclus pas non plus l'audition de Maître LECLERC de la Ligue des Droits de l'Homme.
La séance est levée à 12 h 45.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.