SEANCE DU 26 JUILLET 1989
La séance est ouverte à dix heures trente en présence de tous les membres à l'exception de Monsieur Daniel MAYER qui assiste aux obsèques de Madame Marie-Madeleine FOURCADE. Il ne prendra part au délibéré qu'à partir de la fin de l'examen de l'article 15 de la loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier.
Monsieur le Président : Monsieur LATSCHA, c'est à vous de commencer.
Monsieur Jacques LATSCHA : Je serai bref.
Le Premier ministre nous a demandé le 6 juillet 1989, dans les conditions prévues à l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, d'apprécier la nature juridique des dispositions contenues dans l'article 28, second alinéa, de la loi n° 82-595 du 10 juillet 1982 relative aux présidents des chambres régionales des comptes et au statut des membres de ces chambres.
Nous sommes compétents pour statuer sur cette demande puisque les dispositions qui nous sont soumises résultent d'une loi postérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution.
Cette question ne soulève pas de difficultés.
Les chambres régionales des comptes ont été instituées par la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Elles sont chargées de juger dans leur ressort, qui est celui de chaque région, l'ensemble des comptes des comptables publics des collectivités territoriales et de leurs établissements publics Elles concourent au contrôle budgétaire de ces collectivités et établissements et peuvent présenter aux collectivités territoriales soumises à leur juridiction des observations sur leur gestion.
Les membres des chambres régionales des comptes sont des magistrats inamovibles.
Postérieurement à la loi du 2 mars 1982 sont intervenues la loi n° 82-594 du 10 juillet 1982 qui a notamment précisé l'organisation, la compétence et les pouvoirs des chambres régionales des comptes et la loi n° 82-595 également du 10 juillet 1982, relative aux présidents des chambres et fixant le statut de leurs membres.
Ces membres constituent un corps de magistrats comprenant les grades de président de section, de conseiller hors classe, de conseiller de première classe et de conseiller de seconde classe.
Les conseillers de 2ème classe sont recrutés normalement par la voie de l'école nationale d'administration.
Toutefois, la loi 82-595 du 10 juillet 1982 a prévu deux autres voies de recrutement : un tour extérieur et un recrutement à titre transitoire conçu pour permettre la constitution initiale du corps.
Le recrutement au tour extérieur est prévu, pour chacun des trois grades de conseiller, de 2ème classe, de 1ère classe et hors-classe, dans des proportions fixées par la loi du 10 juillet 1982, au bénéfice de fonctionnaires de catégorie A, de magistrats de l'ordre judiciaire ou d'agents des collectivités territoriales de niveau équivalent justifiant d'un minimum de durée de services. Les nominations sont prononcées après inscription sur des listes d'aptitude établies par ordre de mérite sur proposition d'une commission. La loi renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin, notamment, de préciser les modalités d'organisation et de fonctionnement de la commission ainsi que les modalités d'établissement des listes d'aptitude.
En ce qui concerne le recrutement "transitoire", seul concerné par la présente demande de déclassement, ce sont les articles 27 à 31 de la loi du 10 juillet 1982 qui en fixent les règles.
En vertu de l'article 27, ce recrutement "transitoire", dont la seule justification est la constitution initiale du corps, ne peut intervenir que jusqu'au 31 décembre 1986 mais cette date limite a été reportée au 31 décembre 1990 par l'article 79 de la loi du 13 janvier 1989. Un recrutement exceptionnel de 11 conseillers est, à ce titre, prévu en 1989. Peuvent bénéficier
de ces mesures transitoires de recrutement les mêmes catégories de fonctionnaires, magistrats et agents que celles pouvant prétendre à une nomination au tour extérieur.
L'article 28 de la loi prévoit que les nominations opérées dans le cadre des mesures transitoires sont prononcées après inscription sur des listes d'aptitude établies par ordre de mérite par un jury. L'article précise, dans son alinéa 2, qui est la disposition dont le déclassement nous est demandé, que ces listes sont établies pour chaque grade après examen du dossier des candidats et au vu des résultats d'une épreuve orale constituée par un entretien avec le jury dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat.
Cet alinéa 2 de l'article 28 fait donc obligation au jury d'entendre chaque candidat. La même obligation existe d'ailleurs pour les nominations au tour extérieur dont j'ai dit quelques mots précédemment, à cette différence près que, alors que pour le recrutement "transitoire", l'obligation est inscrite dans la loi, elle résulte seulement d'un décret (le décret n° 82-970 du 16 novembre 1982) pour le tour extérieur. Cela tient à ce que l'article 17 de la loi du 10 juillet 1982 a renvoyé sur ce point à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les modalités d'établissement des listes d'aptitude pour les nominations au tour extérieur.
Or les sélections organisées en 1983 et 1985 pour la mise en place des chambres régionales des comptes, tout comme la première sélection au tour extérieur organisée en 1988, ont démontré, estime le ministre de l'économie, des finances et du budget, qu'une telle procédure était beaucoup trop lourde.
Le ministre relève que, afin de pourvoir les 13 emplois offerts au tour extérieur au titre des années 1987 et 1988, la commission de sélection compétente a dû entendre chacun des 340 candidats admis à concourir : pour ce faire, les 11 membres de la commission ont dû siéger six demi-journées par semaine entre le 15 novembre 1988 et le 28 janvier 1989.
Afin d'alléger ce dispositif, le gouvernement envisage de remplacer l'obligation d'entendre chaque candidat par une procédure comportant deux phases, semblable à celle qui est fixée par le décret du 15 février 1988 pour le recrutement exceptionnel de membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Selon le projet qui nous a été communiqué, le jury procéderait à une pré-sélection des candidats sur dossier et, à l'issue de cet examen, établirait une liste d'admissibilité des candidats autorisés à subir l'épreuve orale ; seraient ainsi seuls entendus par le jury les candidats ayant franchi avec succès l'épreuve sur dossier.
Cette réforme serait introduite tant pour les nominations au tour extérieur que pour les recrutements "transitoires".
S'agissant du tour extérieur, elle n'impose pas la modification de dispositions législatives puisque, comme je l'ai dit, les conditions dans lesquelles la commission chargée d'examiner les mérites des candidats entend ces derniers, sont fixées, non par la loi du 10 juillet 1982, mais par l'article 15 du décret du 16 novembre 1982, intervenu en vertu d'une délégation de la loi.
En revanche, en ce qui concerne le recrutement "transitoire" nous avons vu que c'est la loi du 10 juillet 1982 elle-même qui, dans son article 28, fixe les conditions dans lesquelles le jury apprécie les mérites des candidats.
La réforme envisagée passe donc nécessairement par une modification de ce deuxième alinéa de l'article 28 de la loi, qui prévoit un entretien du jury avec chaque candidat. D'où la demande de déclassement dont nous sommes saisis.
En vertu de l'article 37, alinéa 2 de la Constitution, les textes de forme législative intervenus après l'entrée en vigueur de la Constitution - ce qui est le cas de la disposition dont le déclassement nous est demandé - ne peuvent être modifiés que si le Conseil constitutionnel a déclaré qu'ils ont un caractère réglementaire.
Nous sommes dans le domaine de la fonction publique de l'Etat.
Or l'article 34 de la Constitution dispose qeu la loi fixe les règles concernant "les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat".
La disposition qui nous est soumise fixe-t-elle des règles concernant ces garanties fondamentales ?
La réponse serait à l'évidence affirmative si nous étions saisis du premier alinéa de l'article 28. Cet alinéa, en prévoyant que les nominations dans le cadre du régime transitoire sont prononcées après inscription sur des listes d'aptitude établies par ordre de mérite édicte une règle concernant une garantie fondamentale accordée aux fonctionnaires de l'Etat. Cette disposition qui garantit que les nominations interviendront en fonction des capacités des candidats, découle de l'article 6 de la Déclaration de 1789, en vertu duquel tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion, dans sa décision n° 84-179 DC du 12 septembre 1984 (recueil 1984 p. 73) de rappeler cette obligation constitutionnelle en ce qui concerne l'institution d'un tour extérieur dans les corps d'inspection et de contrôle. L'intervention obligatoire d'un jury pour établir, par ordre de mérite, des listes d'aptitude au vu desquelles il sera procédé aux nominations destinées à permettre la constitution initiale du corps des conseillers des chambres régionales des comptes a pour objet d'assurer le respect de l'article 6 de la Déclaration de 1789. Elle est au nombre des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires de l'Etat.
Il n'en est pas de même à mon avis du deuxième alinéa de l'article 28, qui seul nous est soumis.
Par une décision n° 63-23 L du 19 février 1963 (recueil 1963 p. 29), nous avons jugé que si l’article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat, il appartient au pouvoir réglementaire de mettre en oeuvre lesdites règles à l'occasion des dispositions qu'il édicte pour fixer le statut de chaque corps ou administration. La décision, après avoir posé ce considérant de principe, en a fait application en estimant que des dispositions relatives aux conditions d'admission à un concours pour l'accès au grade de commissaire sous-lieutenant de l'Armée de l'air relevaient du domaine réglementaire, n'étant que la mise en oeuvre du principe du concours qui, lui, touche aux garanties fondamentales accordées à ces officiers.
Le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis, qui précise que les listes d'aptitude que le jury doit dresser par ordre de mérite, en vertu de l'alinéa 1er de l'article 28, sont établies après examen du dossier des candidats et au vu des résultats d'une épreuve orale constituée par un entretien avec le jury, est la mise en oeuvre de la règle de valeur législative posée à l'alinéa 1er. Il concerne, en effet, des modalités suivant lesquelles le jury appréciera les mérites des candidats. Conformément à la jurisprudence ci-dessus rappelée, il relève du domaine du règlement.
En conclusion, j'ai l'honneur de proposer au Conseil constitutionnel de reconnaître un caractère réglementaire aux dispositions qui nous sont soumises.
Monsieur le Président : Quelqu'un désire-t-il intervenir ?
Monsieur Jacques LATSCHA lit le projet de décisions.
Le projet de décision est adopté à l'unanimité.
Monsieur le Président donne la parole à Monsieur Jean CABANNES.
Monsieur Jean CABANNES : C'est avec humilité que je présente mon premier rapport au Conseil. Je tiens à souligner la qualité des rencontres que nous avons eues avec le Gouvernement et les auteurs de la saisine. Venons-en au litige.
Nous avons été saisis le 3 juillet dernier d'un recours, signé par M. DAILLY et 61 de ses collègues, dirigé contre la loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier adoptée en dernière lecture par l'Assemblée nationale le 1er juillet.
Ce texte comprend quatre titres : le premier est relatif aux pouvoirs et aux missions de la Commission des opérations de bourse : le titre II vise la réglementation des acquisitions de titres des sociétés et a trait de ce fait aux offres publiques d'achat ou d'échange , le titre III comporte des dispositions relatives aux gérants de portefeuille ; le titre IV a pour principal objet d'améliorer le dispositif de surveillance des marchés en renforçant les pouvoirs d'intervention de la COB en matière disciplinaire et en les coordonnant avec ceux exercés par les autorités professionnelles de marché.
Dans la mesure où nous sommes en présence de dispositions très diverses, je ne vous présenterai pas d'introduction générale mais je situerai chaque moyen dans la perspective de la réglementation existante et des intentions du législateur.
Plutôt que de suivre l'ordre chronologique des articles contestés, il m'a semblé préférable d'opérer une distinction entre :
- d'un côté, des questions concernant les articles 15, 36 et 43, qui ne me paraissent pas présenter des difficultés particulières ;
- d'une
I - Examinons donc, dans un premier temps, les problèmes posés par les articles 15, 36 et 43.
Pour chacun d'eux, M. DAILLY développe une argumentation très complète. Nous allons voir que les moyens et arguments invoqués sont inégalement convaincants.
Chacun des trois articles contestés soulève des questions différentes par ordre de difficulté croissante.
- l'article 15 concerne les pouvoirs de réglementation du Conseil des bourses de valeurs en matière d'O.P.A. ;
- l'article 36 est relatif à la réglementation des organismes collectifs de placement en valeurs mobilières ;
- l'article 43 a trait à l'entrée en vigueur de la loi.
Sécurité et transparence du marché financier
article 15
Cet article a pour objet d'ajouter à la loi du 22 janvier 1988 sur les bourses de valeurs un article 6 bis qui habilite le Conseil des bourses de valeurs à fixer, par son règlement général, afin d'assurer l'égalité des actionnnaires et la transparence du marché, des règles concernant les offres publiques d'achat ou d'échange, les acquisitions de blocs de titres, les procédures d'offre et de demande de retrait de titres.
Il habilite en premier lieu le Conseil des bourses de valeurs à fixer les conditions dans lesquelles toute personne physique ou morale agissant seule ou de concert et venant à détenir directement ou indirectement une fraction du capital ou des droits de vote aux assemblées générales d'une société dont les titres sont inscrits à la cote officielle d'une bourse de valeurs ou à la cote du second marché est tenue d'en informer immédiatement le conseil et de déposer un projet d'offre publique en vue d'acquérir une quantité déterminée de titres de la société, faute de quoi les titres qu'elle détient au delà de la fraction du capital ou des droits de vote sont privés de droit de vote.
Il habilite en deuxième lieu le Conseil des bourses devaleurs à fixer les conditions dans lesquelles le projet d'acquisition d'un bloc de titres conférant la majorité du capital ou des droits de vote d'une société inscrite à la cote officielle, à la cote du second marché ou dont les titres sont négociés sur le marché hors-cote d'une bourse de valeurs, oblige le ou les acquéreurs à acheter en bourse, au cours ou au prix auquel la cession du bloc est réalisée, les titres qui leur sont alors présentés.
Il habilite enfin le Conseil des bourses de valeurs à fixer les conditions applicables aux procédures d'offre et de demande de retrait lorsque le ou les actionnaires majoritaires d'une société inscrite à la cote officielle ou à la cote du second marché détiennent une fraction déterminée des droits de vote ou lorsqu'une société inscrite à l'une de ces cotes est transformée en société en commandite par actions.
Les auteurs de la saisine soutiennent que l'article 15 méconnaît les règles constitutionnelles qui déterminent le partage des compétences entre la loi et le règlement et porte atteinte au principe d'égalité devant la loi.
a) En premier lieu, il méconnaît, selon eux, l'article 34 de la Constitution, qui réserve à la loi le soin de fixer les principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles et commerciales. En effet, le régime juridique des offres publiques, comportant des dispositions contraignantes, touche précisément au régime de la propriété et des obligations.
L'article 15 méconnaît l'article 34 de la Constitution puisqu'il ne détermine ni le quantum du seuil de déclenchement obligatoire d'une offre publique d'achat ou d'échange, ni la quantité minimale de titres sur laquelle doit porter cette offre publique et la nature de ces titres, ni les conditions dans lesquelles le conseil des’ bourses de valeurs pourra déroger à l'obligation de déposer un projet d'offre publique, ni le quantum du seuil de détention à partir duquel, soit les actionnnaires majoritaires pourront offrir aux actionnaires minoritaires le rachat de leurs titres, soit les actionnaires minoritaires pourront demander ce rachat. Enfin, l'article 15 ne fixe pas le prix minimum auquel ces différentes offres devront être formulées.
Selon les auteurs de la saisine, les différentes mesures ci-dessus énumérées sont du domaine de la loi et ne sauraient être prises par le réglement du conseil des bourses des valeurs.
b) Il est soutenu en second lieu que l'article 15 méconnaît le principe d'égalité en ne prévoyant pas l'obligation pour tout actionnaire qui vient à détenir plus du tiers, plus de la moitié ou plus des deux tiers du capital ou des droits de vote, de déposer un projet d'offre publique d'achat ou d'échange.
L'argumentation des auteurs de la saisine ne paraît pas pouvoir être retenue. Je reprendrai successivement les deux moyens soulevés.
a) En ce qui concerne le moyen tiré de la violation des règles de compétence :
Le Conseil des bourses de valeurs a été institué par la loi du 22 janvier 1988 sur les bourses de valeurs. En vertu de cette loi, il a le caractère d'un organisme professionnel doté de la personnalité morale, auprès duquel est nommé par le ministre chargé de l'économie un commissaire du gouvernement. En vertu de l'article 6 de cette loi, le conseil des bourses de valeurs établit un règlement général qui fixe, notamment, les règles relatives au fonctionnement du marché et qui est soumis à l'homologation du ministre chargé de l'économie. Le règlement est soumis au contrôle juridictionnel de la juridiction administrative. En vertu de l'article 11 de la même loi, le gouvernement prend par décret les mesures nécessitées par les circonstances, en cas de carence du conseil des bourses de valeurs.
L'article 15 critiqué devant nous ne me paraît pas avoir méconnu l'étendue de la compétence du législateur en renvoyant à la compétence réglementaire les modalités pratiques de contrôle des diverses opérations qu'il mentionne, qu'il s'agisse de la fixation des seuils de déclenchement de la procédure d'offre publique d'achat, de la fixation de la quantité minimale des titres sur laquelle elle devra porter, des seuils de déclenchement des procédures d'offre et de demande de retrait ainsi que de la fixation des prix minimum auxquels les offres ci-dessus mentionnées devront être faites.
S'il appartient, en effet, au législateur de déterminer les principes fondamentaux applicables aux procédures d'offre publique d'achat ou d'échange, de maintien des cours et d'offre de retrait, relève en revanche de l'autorité réglementaire la détermination des modalités de mise en oeuvre de ces principes fondamentaux. Or la fixation des seuils et des quantum que les auteurs de la saisine s'étonnent de ne pas trouver dans la loi sont la mise en oeuvre des principes posés par l'article 15.
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Mais n'appartenait-il pas au Premier ministre et non au Conseil des bourses de valeurs d'assurer cette mise en oeuvre ?
En vertu de l'article 21 de la Constitution, sous réserve des dispositions de l'article 13, c'est le Premier ministre qui exerce le pouvoir réglementaire à l'échelon national.
Par une décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, rendue sur la loi relative à la liberté de communication, le Conseil a jugé que l'article 21 ne faisait pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l'Etat autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en oeuvre une loi, à la condition toutefois que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée, tant par leur champ d'application que par leur contenu.
En l'espèce, la loi habilitait le conseil supérieur de l'audiovisuel (C.S.A.) à fixer par voie réglementaire, non seulement les règles déontologiques concernant la publicité, mais aussi l'ensemble des règles relatives à la communication institutionnelle, au parrainage et aux pratiques analogues à celui-ci. Le Conseil a estimé que, en raison de sa portée trop étendue, cette habilitation méconnaissait les dispositions de l'article 21.
J'estime que nous sommes dans une situation différente de celle qui a donné lieu à cette décision du 17 janvier 1989. La matière traitée présente un caractère à la fois technique et très diversifié qui requiert de la souplesse et peut justifier en droit le rôle confié aux professionnels. La compétence laissée au Conseil des bourses de valeurs par l'article 15 de la loi déférée est limitée dans son champ d'application et devra s'exercer dans le respect des principes posés en la matière par le législateur. Les règles qui seront posées par le conseil seront soumises au contrôle du ministre chargé de l'économie. Dans ces conditions, la délégation confiée au conseil des bourses de valeurs ne me paraît pas contraire à l'article 21 de la Constitution.
b) En ce qui concerne le moyen tiré de la violation duprincipe d'égalité :
Rappelons que ce grief est fondé par les auteurs de la saisine sur ce que, en n'envisageant qu'un seul seuil de déclenchement du dépôt obligatoire d'un projet d'offre publique d'achat ou d'échange, à savoir la détention du tiers des titres du capital conférant des droits de vote à l'assemblée générale des actionnnaires, et non pas plusieurs seuils correspondant respectivement au tiers, à la moitié et aux deux tiers de ce capital, le Conseil des bourses de valeurs placera les actionnaires minoritaires des sociétés dans lesquelles un actionnaire viendra à détenir plus de la moitié ou des deux tiers des titres dans une situation discriminatoire par rapport à celle des actionnaires des sociétés dans lesquelles un actionnaire viendra à franchir le seuil du tiers des titres.
Dans ce dernier cas, en effet, les actionnaires pourront apporter leurs titres à un prix garanti alors que dans les deux autres cas les actionnaires ne bénéficieront pas de cette garantie qu'apporte l'offre publique puisque le franchissement par un actionnaire du seuil de la moitié ou du seuil des deux tiers ne
l'oblige pas à déposer un projet d'offre publique d'achat. Cette discrimination est d'autant plus choquante que, dans ces deux derniers cas, les actionnaires minoritaires, qui ne pourront exiger le rachat de la totalité de leurs titres par l'actionnaire majoritaire, seront privés de toute possibilité de faire valoir leur volonté.
Ce moyen n'est pas dépourvu de toute pertinence en opportunité, les actionnaires minoritaires étant moins bien traités que les actionnaires restant majoritaires. Mais il est inopérant au regard des conclusions des auteurs de la saisine, qui ne peuvent qu'être dirigées contre la loi déférée. En effet, cette loi ne précise nullement le quantum du ou des seuils de déclenchement obligatoire d'une offre publique d'achat ou d'échange ni la quantité minimale de titres sur lesquels doit porter l'offre publique. Le grief est en réalité dirigé contre une intention prêtée au Conseil des bourses de valeurs.
En conclusion, je propose au Conseil de ne pas retenir les moyens dirigés contre l’article 15.
Monsieur le Président : J'ouvre la discussion sur ce point. Elle est intéressante sous l'angle de la compétence.
Monsieur Jacques LATSCHA : L'analyse de cet article 15 m'a donné beaucoup de travail.
Les décisions concernant les O.P.A. mettent en jeu des intérêts et des sommes considérables. Je me suis interrogé. Il n'y a rien à mon sens dans la loi sur les O.P.A. et la cessibilité des actions mais il y a incontestablement un problème de compétence législative touchant à la protection de la propriété mobilière. Je note au passage que le saisissant a fait un effort pour argumenter son recours sur ce point.
Cela dit, la réglementation des O.P.A. est circonstancielle. Elle est née d'un certain nombre d'opérations boursières. J'ajouterai, qu'ayant interrogé un de mes amis, membre du Conseil des bourses de valeurs, il m'a indiqué que les dirigeants d'entreprise ne cachaient pas leur préférence pour un système où le législateur confierait la réglementation en la matière au pouvoir réglementaire. Il est paradoxal que lors des travaux préparatoires, le ministre d'Etat, ministre de l'économie et des finances ait exposé longuement le contenu du règlement du Conseil des bourses de valeur alors qu'il ne ressort pas a priori de sa compétence. Cependant j'avoue que malgré mes interrogations, je ne suis pas en état de mettre sur pied un texte qui précise que cette question relève de la compétence législative.
Monsieur le Président : Je considère aussi que derrière cette grande technicité il y a une question qui n'est pas sans incidences. Je ne suis pas surpris par la réaction des milieux professionnels dont vous vous êtes fait l'écho. Ils craignent le carcan législatif. Il est vrai que pour le Gouvernement, le retour devant le Parlement est toujours une entreprise difficile. On assiste une fois de plus à une déperdition du pouvoir du législateur au profit du pouvoir réglementaire mais sur un plan constitutionnel peut-on estimer pour autant que le législateur a abandonné une partie de son pouvoir au profit du règlement ?
Monsieur Jacques LATSCHA : J'ai trouvé la meilleure articulation sur cette question à la page 115 du tome II du rapport du Sénat.
Il se trouve qu'avec plusieurs membres du Conseil d'Etat j'ai été amené à rédiger la législation sur les sociétés au Maroc mais il nous a fallu plusieurs semaines pour mettre sur pied un texte.
Monsieur le Président : Si nous censurions, nous le ferions en faisant valoir que le législateur est resté en deçà de sa compétence. En outre nous devons nous garder d'exposer le Conseil à des critiques techniques.
Monsieur Maurice FAURE : Reprenons la méthode que nous avons suivie hier.
Monsieur Jean CABANNES : La réglementation est illisible. Il faut éviter de faire un monstre législatif. C'est la loi de 1988 qu'il fallait critiquer. Je ne pense pas que le choix soit très ouvert.
Monsieur le Secrétaire général, à l'invitation de Monsieur le Président :
Le Conseil des bourses de valeur a succédé à la compagnie des agents de change. Le Conseil des bourses de valeur a élaboré une réglementation sur le fondement de la loi de 1988 mais le Gouvernement a trouvé l'habilitation résultant de la loi un peu juste et a souhaité la compléter à travers le projet de loi sur la sécurité et la transparence du marché financier. La difficulté est née de ce que le projet du Conseil des bourses de valeurs était connu. Les parlementaires ont jugé que cette réglementation relevait plutôt de leur compétence. Cependant le législateur n'est pas en deçà de ses compétences. La loi n'a pas à
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fixer les règles mais les principes fondamentaux. Par exemple parce que la loi doit fixer les règles en matière fiscale, l'intervention de la loi est très détaillée alors qu'en matière de sécurité sociale il revient au législateur de définir les principes fondamentaux. La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la loi sur les bourses de valeur a avalisé ce partage de compétences. Si une certaine sensibilité des parlementaires à cette question de compétence les a conduits à s'interroger sur l'étendue de la compétence législative, le vrai problème se pose peut-être plus à l'intérieur même du pouvoir réglementaire entre la compétence du Gouvernement et celle du Conseil des bourses de valeurs. En ce sens le projet de Monsieur le rapporteur est très orthodoxe.
Monsieur le Président : Vous avez très bien fait de rappeler ces données. Je crois qu'il serait utile de donner lecture de l'article 6 de la loi du 22 janvier 1988.
J'ajoute que lorsque nous avions été saisis de la loi sur les bourses de valeurs, nous ne nous étions pas interrogés sur la question de la répartition des compétences. Nous n'avions visé que les articles 13 et 14 de la loi. De toute façon le projet de règlement sera homologué par le ministre.
Monsieur Jacques LATSCHA : J'ai tenu à faire part du malaise que j'avais ressenti à la lecture de ce texte de loi. Au début des années soixante, la pratique des O.P.A. était peu connue. Il s'agit donc d'une matière nouvelle. Aux termes de l'article 6 de la loi du 22 janvier 1988, le Conseil des bourses de valeurs reçoit une compétence réglementaire générale mais en matière disciplinaire la faillite de certaines sociétés de bourse a montré que l'objectif du législateur n'avait pu être atteint. Cependant je me reconnais incapable de dire ce qu'il faut rédiger et le pouvoir d'homologation qui est prévu me gêne.
Monsieur le Président : Je vous propose de lire le projet de considérant relatif à l'article 15.
Monsieur CABANNES lit le considérant.
Monsieur le Président : Je vous proposerai de supprimer le mot "pratique" dans le deuxième considérant page 11.
Du moment que le Parlement n'a pas voulu exercer la plénitude de son pouvoir, ces compétences relèvent du pouvoir réglementaire.
Monsieur Jacques ROBERT : Je pense qu'il convient de souligner que l'autorité publique n'est pas directement concernée.
Monsieur le Secrétaire général : Les développements sur les modalités d'exercice de la compétence réglementaire figurent au considérant suivant.
Monsieur Jacques ROBERT : Cela est différent de l'homologation.
Monsieur le Président : L'homologation fait l'objet de discussion entre les professionnels et le ministre.
Monsieur Jacques ROBERT <>: Une fois encore l'homologation ne porte pas sur la même chose.
Monsieur Jacques LATSCHA : Le ministre a en fait un pouvoir d'intervention en cas de carence. En relisant les considérants, il m'apparaît que l'article 15 ne comporte pas de principes fondamentaux.
Monsieur Maurice FAURE : J'avoue mon incompétence dans ce milieu. La difficulté tient à ce que nous sommes à la frontière du règlement et de la loi. Cependant j'ai été plus ébloui qu'éclairé par les propos de Monsieur LATSCHA puisqu'il n'a pu trancher le problème. Serions-nous plus compétents demain ? Est-ce notre rôle ? J'estime que dans un cas aussi complexe, la sagesse est de se rallier à notre rapporteur. Il y a cent ans, le parlement n'occupait que de grandes questions politiques. Il en est allé ainsi de l'institution du service militaire, de l'introduction de l'instruction obligatoire. Un texte comme celui-ci ne peut être appréhendé que par quelques spécialistes et il est à craindre que l'évolution aille de plus en plus dans cette direction. Si le Parlement est vide c'est parce qu'il y a seulement huit spécialistes capables de discuter du texte inscrit à l'ordre du jour. En revanche, tout le monde peut être compétent sur la liberté syndicale.
Monsieur le Président : Je voudrais ajouter une autre considération. Il y a cent ans, la durée de fabrication d'un texte exigeait beaucoup plus de temps qu'aujourd'hui. Il a fallu trois ans pour élaborer le texte de 1881.
Monsieur Jean CABANNES : Il en est allé de même pour la discussion de la loi sur la propriété littéraire et artistique.
Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE : Au Parlement, seuls les parlementaires appartenant à la commission intéressée sont compétents. Il s'agit d'un problème complexe mais il faut conclure. Pour ma part je rejoins Monsieur FAURE ; Monsieur LATSCHA a reconnu la difficulté de proposer une nouvelle rédaction et je suis d'accord avec la proposition de notre rapporteur. Il est difficile de parler de deux domaines séparés. Est-ce que nous ne pourrions pas préférer à l'expression "des modalités pratiques du contrôle de ces diverses opérations" les mots "des modalités d'exercice..." ?
Monsieur Jean CABANNES : Ou la fixation des modalités de mise en oeuvre de ces principes.
Monsieur le Secrétaire général : Il revient au pouvoir réglementaire de fixer les modalités de mise en oeuvre.
Monsieur Jean CABANNES : ...de mise en oeuvre de ces principes.
Monsieur le Président : Nous devrions à ce moment-là inverser la phrase tout en maintenant les mots "en revanche". Je tiens à rappeler qu'il ne s'agit pas de libertés publiques mais c'est le fonctionnement du marché qui est en cause.
Monsieur Jacques LATSCHA : Je suis ces questions depuis quarante ans. Je vous ai fait part de mes réflexions et considère qu'il ne nous appartient pas de réécrire la loi.
Monsieur Jacques ROBERT : Je préfère le terme "modalités pratiques". Je laisserai l'opposition entre les principes définis par le législateur et la fixation des modalités pratiques. Je crains que sinon nous n'enfoncions des portes ouvertes.
Monsieur le Président : Il me paraît judicieux au contraire de le faire. Nous ne voulons rien dire de neuf ni d'original.
Monsieur Maurice FAURE : ... surtout quand on reconnaît son incompétence.
Monsieur Jean CABANNES donne lecture du considérant concernant les modalités d'exercice de la compétence réglementaire.
Monsieur le Secrétaire général : Monsieur PAOLI s'interroge sur la référence qui est faite dans ce considérant à l'autorité de l'Etat. Je tiens à préciser qu'il s'agit de là de la reprise des considérants relatifs à la C.N.C.L. et au C.S.A., mais que le conseil des bourses de valeurs est doté de la personnalité morale.
Monsieur le Président : Je suggère de substituer à autorité de l'Etat autre que le premier ministre autorité publique autre que le premier ministre.
Monsieur Jacques ROBERT : Je m'interroge sur l'intérêt de réécrire l'article 21 de la Constitution.
Monsieur le Président : Ou on le cite en entier, ou on ne le cite pas.
Monsieur le Secrétaire général : Le Conseil constitutionnel a toujours le souci de faire preuve de pédagogie et de citer les textes qu'il applique.
Monsieur Jean CABANNES : Ce fut aussi ma première réaction.
Monsieur le Président : Pour le raccourcir, l'avant-dernier considérant pourrait être ainsi rédigé : "En vertu de l'article 21 de la Constitution, le premier ministre exerce le pouvoir réglementaire et peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres.
Monsieur Maurice FAURE : A la fin de la page 11 nous avons deux paragraphes qui se suivent et qui disent la même chose.
Monsieur Jean CABANNES : Vous avez tout à fait raison.
Monsieur le Secrétaire général : Si le considérant relatif au rappel de l'article 21 de la Constitution est jugé superflu il n'y a pas d'inconvénient à le supprimer. Il suffit d'intégrer une incidente dans le dernier considérant "en vertu de l'article 21".
S'il y a suppression de la délégation du pouvoir réglementaire, il faudrait effacer le début du dernier considérant.
Monsieur Maurice FAURE : Je suis heureux d'avoir contribué à cette oeuvre.
Monsieur Jean CABANNES donne lecture des deux derniers considérants de la page 11, de la page 12 et le haut de la page 13.
Monsieur le Président : Nous tenons pour acquis en fait un texte qui n'est qu'un projet.
Monsieur le Secrétaire général : Monsieur DAILLY a été très ferme sur ce point dans son argumentation.
Monsieur le Président : Le Conseil n'a pas à tenir compte de ce projet. Nous n'avons pas à argumenter. Ou nous demande de juger d'une règle contraire à un projet de règlement.
Monsieur Jacques LATSCHA : La disposition de l'article 6 bis est claire : le règlement assure l'égalité des actionnaires.
Monsieur le Président : Il nous faut recomposer notre démonstration car c'est la proposition éventuelle du règlement des bourses de valeurs qui constitue la base.
Monsieur le Secrétaire général : Monsieur DAILLY déduit des termes de l'article 15 de la loi que celui-ci ne définit même pas la qualité minimale de titres sur laquelle doit porter l'offre publique obligatoire.
Monsieur Jean CABANNES : Il faut répondre que ce moyen est inopérant.
Monsieur le Président : Ce qui me choque ici c'est le fossé qui existe entre l'énoncé des moyens invoqués et le projet de règlement. Ou bien les auteurs de la saisine ne s'interrogent que sur le projet de règlement ou bien ils font valoir que l'article 15 prévoit des dispositions précises.
Monsieur Jean CABANNES : Je pense que c'est la première hypothèse qui est la bonne.
Monsieur Jean CABANNES donne lecture de la partie du projet relatif au principe d'égalité.
Monsieur Daniel MAYER entre et prend place.
Monsieur le Secrétaire général : Monsieur DAILLY estime que l'article 15 postule un seuil unique contraire au principe d'égalité.
Monsieur le Président : Vous ne pouvez pas faire référence au projet du conseil des bourses de valeur. Soit nous écartons ce moyen parce qu'il est inopérant, soit nous lui donnons un contenu législatif et nous disons qu'il n'est pas contraire au principe d'égalité.
Messieurs Maurice FAURE et Jacques ROBERT acquiescent montrant qu'ils partagent cette analyse.
Monsieur Jacques LATSCHA : Ce dernier point de vue serait d'autant plus justifié que le ministre des finances a fait part de ses réserves sur le projet de règlement.
Monsieur Jean CABANNES : On en revient donc à la première mouture.
Monsieur le Président : Mais on ne garde pas la première phrase.
Monsieur le Secrétaire général : S'il est affirmé que le moyen est inopérant le requérant est susceptible de dire que l'on n'a pas compris son argumentation.
Monsieur le Président : Je répète que nous sommes placés devant une alternative. Ou nous écartons le moyen relatif au règlement général du conseil des bourses de valeurs, ou l'on retient la substance juridique de l'article 15 mais on ne peut répondre sérieusement à un moyen qui n'a pas de fondement. Pour ma part je préférerais encore donner à ce moyen une apparence de sérieux.
Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE : Nous pourrions dire que le Conseil des bourses de valeurs fixerait la quantité minimale de titres.
Monsieur le Président : S'agissant d'une simple proposition, je suis en désaccord avec vous. Le Conseil constitutionnel n'a pas à prendre en considération ce texte.
Monsieur Maurice FAURE : On a le choix entre soit taper sur les doigts de Monsieur DAILLY soit ne pas répondre.
Monsieur le Président : Je suis partisan d'escamoter ce qui ne mérite même pas d'être discuté et je me propose de rédiger moi-même le projet.
Monsieur Jacques LATSCHA : Je suggère de retirer le premier considérant.
Monsieur le Président : Nous gardons le deuxième considérant.
Monsieur Jean CABANNES passe à l'examen des moyens tirés de l'inconstitutionnalité de l'article 36.
Cet article apporte plusieurs modifications à l'article 25 de la loi du 23 décembre 1988 relative aux organismes collectifs de placement en valeurs mobilières (O.P.C.V.M.) et portant création des fonds communs de créances.
Ainsi modifié, l'article 25 comporte les prescriptions suivantes.
Le premier alinéa prévoit que, dans des conditions et limites fixées par décret en Conseil d'Etat, l'actif d'un organisme de placement collectif en valeurs mobilières comprend des valeurs mobilières françaises ou étrangères, négociées ou non sur un marché réglementé, ainsi qu'à titre accessoire des liquidités. Les SICAV peuvent posséder les immeubles nécessaires à leur fonctionnement.
Le deuxième alinéa dispose qu'un organisme de placement collectif en valeurs mobilières ne peut employer en titres d'un même émetteur plus de 5% de ses actifs et renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les cas et les catégories de titres pour lesquels il peut être dérogé à cette limite.
En vertu du troisième alinéa de l'article 36, un organisme de placement collectif en valeurs mobilières peut procéder à des prêts et emprunts de titres et à des emprunts d'espèces dans la limite d'upe fraction de ses actifs. S'agissant des emprunts en espèces, cette limite ne peut être supérieure à 10 % des actifs.
Le quatrième alinéa prévoit qu'un organisme de placement collectif en valeurs mobilières ne peut obtenir plus de 10 % d'une même catégorie de valeurs mobilières d'un même émetteur II renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les catégories de valeurs mobilières ainsi que les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à cette limite.
Les auteurs de la saisine ne critiquent pas ces dispositions. En revanche, ils s'élèvent contre l'adjonction par l'article 36 de la loi déférée d'un cinquième alinéa à l'article 25 de la loi du 23 décembre 1988. Cet alinéa est ainsi libellé :"Des règles différentes selon les catégories d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières peuvent être prévues par décret".
Selon eux, cette disposition prive de toute portée le reste de l'article 25 en consentant au pouvoir réglementaire une délégation de la compétence législative qui méconnaît les dispositions des articles 34 et 38 de la Constitution.
On comprend le souci du législateur d'éviter d'édicter des règles trop rigides dans un domaine où règne une grande diversité de situations. D'autres dispositions de l'article 25 qui figuraient déjà dans la loi du 23 décembre 1988 comportent des délégations permettant à des décrets en Conseil d'Etat de déroger aux prescriptions de la loi. Ces dispositions ne sont pas critiquées par les auteurs de la saisine. Il est vrai que leur portée est restreinte.
La faculté de dérogation qui fait l'objet du cinquième alinéa ajouté par la loi déférée à la loi de 1988 est beaucoup plus large.
Sans doute pourrait-on envisager d'interpréter l'alinéa comme permettant de différencier une partie des règles applicables selon les différentes catégories d'organismes de placements collectifs à condition toutefois que soient respectées les règles prévues aux quatre premiers alinéas de l'article 25. Mais rien dans les travaux préparatoires n'accrédite cette interprétation.
Il semble bien que, dans l'intention du législateur, les mots "des règles différentes" signifie " des règles différentes de celles prévues ci-dessus".
Si, comme je le pense, il en est ainsi, l'alinéa est bien évidemment contraire à la Constitution.
Sa rédaction est tellement insolite qu'on peut se demander si elle ne résulte pas d'une inadvertance.
De toutes façons, ce texte est contraire à l'article 34 de la Constitution. Nous sommes dans une matière qui relève du domaine de la loi et le Parlement ne pouvait, sans méconnaître l'article 34, renoncer au profit de l'exécutif à exercer sa compétence.
Une délégation au profit de l'autorité réglementaire n'aurait été conforme à la Constitution que si elle avait été très étroitement délimitée et, notamment, si elle avait été "encadrée" par la loi, c'est-à-dire si ce.tte dernière avait précisé les critères et les conditions selon lesquels les dérogations pourraient être accordées.
En conclusion, j'estime que le dernier alinéa de l'article 25, tel qu'il résulte de l'article 36 de la loi déférée, n'est pas conforme à la Constitution.
Monsieur Maurice FAURE : Je partage votre point de vue.
Monsieur le Président : Je m'interroge ; devons-nous censurer ou interpréter ? Nous avons laissé passer tout à l'heure l'homologation et nous censurerions ici ?
Monsieur Jean CABANNES : Le problème est très différent. Cela revient à admettre que ce que la loi peut faire d'un côté, un règlement peut le défaire de l'autre. Il y a donc là une différence de nature et non de degré.
Monsieur le Président : Comment le Gouvernement interprète-t-il cette disposition ?
Monsieur Jean CABANNES : Le Gouvernement n'a pas répondu bien qu'on lui ait tendu la perche.
Monsieur Jacques ROBERT : Dans le doute on ne peut que censurer.
Monsieur Jacques LATSCHA : Tout à l'heure, l'article 15 constituait l'amorce de l'attribution d'un pouvoir réglementaire au Conseil des bourses de valeurs. Là il est dit au cinquième alinéa qu'un décret pourra faire le contraire de ce que disent les quatre premiers alinéas.
Monsieur le Président : Cela paraît tellement absurde que l'on pourrait avoir une autre interprétation en estimant que des règles différentes respectent les principes posés par des situations diverses.
Les discussions parlementaires ne fournissent aucune indication sur cette question.
Monsieur Jean CABANNES relit le mémoire du secrétariat général du Gouvernement. Pourtant nous leur avons tendu une perche.
Monsieur le Président : Cette affaire est mal construite. Il convient de censurer l'article 36.
Monsieur Jean CABANNES donne lecture du considérant concernant l'article 36.
Monsieur Jacques ROBERT : Si votre interprétation est la bonne, ne risque-t-on pas de se ridiculiser ?
Ne diront-ils pas : ils n'ont rien compris. Il faut glisser quelque part que l'article est mal rédigé.
Monsieur Jean CABANNES : Il faut ajouter "en l'état" comme me le suggérait Monsieur le bâtonnier MOLLET-VIEVILLE.
Monsieur le Président : Nous pourrions moduler en reprenant la défense du Gouvernement.
Monsieur LATSCHA : Qu'ajoute au décret en Conseil d'Etat ce cinquième alinéa ?
Monsieur le Secrétaire général : C'est même un décret simple, contrairement à la hiérarchie des normes juridiques.
Monsieur Jacques LATSCHA : En plus.
Monsieur le Secrétaire général : On aurait pu penser que le projet de directive européenne aurait encadré la compétence réglementaire. Je vois Monsieur FAURE qui opine en pensant aux dispositions de l'article 189 du traité de Rome. On nous a répondu que ce domaine était de la compétence réglementaire et que seul le principe de répartition des actifs devait être posé par le législateur.
Monsieur le Président : C'est extraordinaire. Qui représentait le Gouvernement ?
Monsieur le Secrétaire général : Des hauts fonctionnaires du ministère de l'économie et des finances très compétents.
Monsieur Jean CABANNES : Du beau monde !
Monsieur Maurice FAURE : Cet article 15 tel qu'il est rédigé ne peut être que censuré mais je pense que nous pourrions souligner l'absence d'encadrement du dispositif.
Monsieur Jean CABANNES : La deuxième phrase du troisième considérant pourrait être ainsi rédigée : "il n'appartenait pas au législateur de conférer au Gouvernement le pouvoir général de fixer...".
Monsieur Jacques LATSCHA : Il n'y aurait qu'à supprimer la phrase.
Monsieur Jean CABANNES : C'est un arrêt d'assemblée plénière de la Cour de cassation !
Monsieur le Secrétaire général : Cette phrase pourrait être ainsi libellée : "il n'appartenait pas au législateur de conférer au Gouvernement le pouvoir sans limites" ou "sans aucune limite".
Monsieur Jean CABANNES : Je vous proposerai la rédaction suivante "il n'appartenait pas législateur de conférer au Gouvernement sans restriction le pouvoir de".
Cette modification est adoptée.
Monsieur Jean CABANNES aborde les moyens soulevés sur l'article 43 de la loi déférée.
L'article 43 contesté est ainsi rédigé :
" La commission des opérations de bourse, dans sa composition existant à la date de la publication de la présente loi, exerce les pouvoirs qui lui sont dévolus par l’ordonnance n°67-833 du 28 septembre 1967 précitée dans sa rédaction en vigueur à la même date jusqu'à l'installation de la commission dans la composition prévue par la présente loi. La date de l'installation est constatée par arrêté du ministre chargé de l'économie publié au Journal officiel de la République française. Les articles 6 et 13 de la présente loi entrent en vigueur à cett même date."
Les auteurs de la saisine font valoir que par l'effet de cet article l'entrée en vigueur de plusieurs dispositions de la loi se trouve subordonnée à la publication d'un arrêté ministériel, ce qui constitue une violation des articles 34 et 37 de la Constitution qui déterminent la répartition des compétences entre la loi et le règlement.
Je vous propose d'écarter le moyen : En effet, le Conseil constitutionnel a déjà précisé les conditions d'entrée en vigueur des lois (A) et les circonstances de l'espèce ne permettent pas de retenir une méconnaissance des principes fixés par la jurisprudence (B).
(A) - Une loi nouvelle s'applique normalement une fois qu'elle a été publiée dans les conditions prévues par le décret-loi du 5 novembre 1970, sauf si la loi en décide autrement ou si l'intervention de textes d'application est indispensable à son exécution.
Mais la compétence reconnue au législateur lui fait obligation de ne pas abandonner purement et simplement ses prérogatives au Gouvernement.
La décision du Conseil constitutionnel ri 86-223 DC du 29 décembre 1986, précise que s'il est loisible au législateur "de laisser au gouvernement la faculté de fixer la date à laquelle produira effet l'abrogation d'une loi fixant des obligations imposées aux contribuables, il ne peut, sans par là même méconnaître la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution, lui conférer sur ce point un pouvoir qui n'est assorti d'aucune limite".
L'entrée en vigueur de la loi ne peut donc être remise purement et simplement à l'appréciation du gouvernement. Par ailleurs, bien évidemment, l'entrée en vigueur de la loi pénale plus douce doit être immédiate comme cela a été jugé par la décision des 19 et 20 janvier 1981.
C'est au regard de ces principes que doit être appréciée l'argumentation des auteurs de la saisine.
(B) Si la formulation de l'article 43 n'est pas des mieux venues, l'éclairage des travaux préparatoires permet d'écarter le moyen d'inconstitutionnalité.
Il apparaît clairement dans les travaux préparatoires que la volonté du législateur était de faire en sorte que les nouvelles compétences de la C.O B. n'entrent en vigueur qu'une fois celle-ci installée dans sa nouvelle composition.
S'il est prévu que les articles 6 et 13 entreront eux-mêmes en vigueur à la même date, c'est tout simplement parce que ces articles, qui ne concernent pas les pouvoirs de la C.O.B. auraient dû entrer en vigueur immédiatement. Mais cela aurait entraîné la disparition de certaines incriminations, celles prévues par les articles 10 et 10-2 de l'ordonnance de 1967, pendant la période transitoire.
Leur entrée en vigueur est donc elle aussi retardée. Mais contrairement à ce que soutiennent les requérants, il n'en résulte pas une dépossession du législateur au profit d'un arrêté ministériel en ce qui concerne l'entrée en vigueur des dispositions concernées par l'article 43.
D'une part, il existe un terme objectif constitué par l'expiration du mandat des membres de l'ancienne C.O.B. L'installation de la nouvelle C O.B. interviendra au plus tard à ce terme.
D'autre part, l'arrêté ministériel est tenu de constater l'installation dans la nouvelle composition. Il y a pour le ministre une compétence liée.
Dans ces conditions, il me paraît que les principes posés par le Conseil constitutionnel sont respectés et je vous propose donc de rejeter le moyen dirigé contre l'article 43.
J'ajoute que dans la magistrature, des règles différentes s'appliquent pour l'avancement et le traitement en fonction de la date d'installation.
Monsieur Jean CABANNES donne lecture du projet de décision relatif à l'article 43 de la loi déférée.
Monsieur MAYER : Je suggérerai page 15 du projet, dans le deuxième considérant, de remplacer "n'est assorti" par "ne serait assorti".
Cette proposition est adoptée. Cette partie de la décision ainsi modifiée est adoptée à l'unanimité.
Monsieur Jean CABANNES donne lecture du passage du projet de décision relatif à l'article 15.
La séance est levée à 12 heures 45 et est reprise à 14 heures 30 en présence de tous les membres du Conseil.
Monsieur Jean CABANNES : Je remercie Monsieur MAYER d'avoir représenté le Conseil constitutionnel lors de la cérémonie d'enterrement de Madame Marie-Madeleine FOURCADE.
Je rappelle que la partie de la décision concernant l'article 15 de la loi est conforme dans ses grandes lignes au projet initial et j'en viens maintenant à ce qui constituera l'essentiel de mon propos. Il s'agit de l'examen de l'article 5 de la loi relatif à l'extension des pouvoirs de sanction de la C.O.B.
Je crois qu'il n'est pas inutile de préciser au préalable comment se présente la situation de la C.O.B. (A) avant d'examiner la constitutionnalité des dispositions de l'article 5 (B).
(A) - Il est à peine besoin de rappeler que la C.O B. a été créée par une ordonnance du 28 septembre 1967, en s'inspirant de la "Securities and Exchange Commission" qui avait vu le jour en 1934.
La C.O.B. est une autorité de l'Etat indépendante du pouvoir politique et composée à l'origine d'un collège de 5 membres, dont un Président nommé par décret en Conseil des ministres.
a) A l'origine les attributions de la C.O.B. étaient doubles.
- contrôle de l'information des porteurs de valeurs mobilières et du public sur les sociétés faisant publiquement appel à l'épargne et sur les valeurs émises par ces sociétés ;
- mission de veiller au bon fonctionnement des bourses de valeurs après avis de la Chambre syndicale des agents de change à laquelle a succédé en 1988 la société des bourses de valeurs.
b) En l'espace d'une vingtaine d'années les pouvoirs de la C.O.B. ont été sensiblement accrus et ceci à différents points de vue.
- Le champ des missions s'est agrandi au fur et à mesure que les placements et les marchés se diversifiaient. En particulier, les lois des 11 juillet 1985, 14 décembre 1985 et 22 janvier 1988 ont ajouté à la mission ancienne de contrôle du bon fonctionnement des bourses de valeurs, la surveillance des marchés de valeurs mobilières, de produits financiers cotés ou de contrats à terme négociables.
- Cette extension du champ de son contrôle s'est accompagnée d'un renforcement du pouvoir de réglementation depuis la loi du 14 décembre 1985. Mais nous verrons que les règlements de la C.O.B. doivent être homologués par le ministre chargé de l'Economie.
- Par ailleurs, la C.O.B. a vu son pouvoir d'enquête accru par l’effet de la loi du 22 janvier 1988, texte dont le Conseil constitutionnel a reconnu la conformité à la Constitution (décision du 19 janvier 1988 au rapport du Doyen VEDEL.
Enfin, le recours aux autorités judiciaires a été élargi par la loi du 14 décembre 1985 qui autorise le président de la C.O.B. à saisir le président du tribunal de grande instance de Paris pour faire respecter par ordonnance les dispositions législatives ou réglementaires protégeant les droits des épargnants. Le juge est compétent pour connaître des exceptions d'illégalité II peut prendre, même d'office, toute mesure conservatoire et prononcer une astreinte pour l'exécution de son ordonnance (art 4-2 de l'ordonnance précitée).
Pour exécuter ces missions, le fonctionnement de l'institution a été amélioré. Celle-ci a été dotée de ressources propres assises sur des redevances requises pour les émissions de valeurs mobilières, la création de SICAV ou de fonds communs de placement, le dépôt de documents d'information ou de projets de contrat-type.
c) La loi qui nous est déférée marque une étape supplémentaire dans le renforcement des pouvoirs de la C.O.B.
Quatre idées semblent avoir motivé le législateur :
- Première idée accroître l'autonomie de la C.O.B. Cette idée s'est traduite essentiellement par la nouvelle composition de la Commission Elle passe de 5 à 8 membres. Le Président est toujours nommé par Décret en Conseil des ministres. Les autres membres ne sont pas nommés par le gouvernement.
- Deuxième idée le pouvoir de contrôle de la commission est accru, grâce en particulier à une extension de ses pouvoirs d'investigation. Ces pouvoirs s'exerceront sous le contrôle de l'autorité judiciaire. La loi reprend sur ce point les exigences posées en matière de perquisitions fiscales par la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 1983.
- Troisième idée la possibilité est reconnue à la C.O.B. de se porter partie civile dans une instance pénale.
- Enfin et surtout, la loi confère à la C.O.B un important pouvoir de sanctions pécuniaires.
Ce dernier fait l'objet d'articles 9-1 et 9-2 ajoutés à l'ordonnance du 28 septembre 1967 par l'article 5 de la loi déférée.
J'en arrive donc à l'article 5 de la loi déférée.
En la forme, cet article 5 comporte trois paragraphes, dont il me faut au préalable indiquer le contenu.
Le premier paragraphe est relatif à des mesures conservatoires judiciaires que la C.O.B peut solliciter auprès du président du Tribunal de grande Instance. Je n'insiste pas outre mesure sur ce point car il ne fait l'objet d'aucune contestation de la part des saisissants.
Le deuxième paragraphe de l'article 5 doit retenir davantage notre attention. Il ajoute à l'ordonnance du 28 septembre 1967 un article 9-1 qui confère un pouvoir d'injonction à la C.O.B. , pouvoir qui prélude à un pouvoir de sanction que nous allons retrouver dans un instant.
Aux termes de l'article 9-1 :
"La Commission des opérations de bourse peut ordonner" qu'il soit mis fin aux pratiques contraires à ses règlements, lorsque ces pratiques ont pour effet de :
- fausser le fonctionnement du marché ;
- procurer aux intéressés un avantage injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du marché ;
- porter atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs ou à leurs intérêts ;
- faire bénéficier les émetteurs et les investisseurs des agissements d'intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles".
En lui-même cet article ne soulève pas de critiques de la part des auteurs des saisines.
L'article 9-1 n'est contesté que dans la mesure où il sert de prélude à l'article 9-2, c'est-à-dire au pouvoir de sanction de la C.O.B. L'article 9-2 est ajouté à l'ordonnance de 1967 par le paragraphe III de l'article 5 de la loi.
Il me faut citer intégralement l'article 9-2, qui est incontestablement au coeur de nos préoccupations :
"A l'encontre des auteurs des pratiques visées à l'article précédent, la Commission des opérations de bourse peut, après une procédure contradictoire, prononcer les sanctions suivantes :
1° une sanction pécuniaire qui ne peut excéder dixmillions de francs ;
2° ou, lorsque des profits ont été réalisés, une sanction pécuniaire qui ne peut excéder le décuple de leur montant...".
Comme on peut le constater au vu de ce premier alinéa de l'article 9-2, les sanctions suceptibles d'être infligées sont rigoureuses.
L'alinéa suivant de l'article 9-2 apporte un élément plus rassurant en ce qu'il se réfère au principe de proportionnalité :
"Le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits tirés de ces manquements".
L'article 9-2 comporte trois autres alinéas qui apportent diverses précisions :
"Les intéressés peuvent se faire représenter ou assister.
La Commission des opérations de bourse peut également ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'elle désigne. En cas de sanction pécuniaire, les frais sont supportés par les intéressés.
Les décisions de la Commission des opérations de bourse sont motivées. En cas de sanction pécuniaire, les sommes sont versées au Trésor public".
Bien entendu, toutes ces dispositions doivent être replacées dans le cadre d'ensemble de la loi déférée et plus encore de l'ordonnance du 28 septembre 1967, prise dans son intégralité.
2.2. Nous allons voir d'ailleurs que l'examen des moyens d'inconstitutionnalité nous obligera à aller au-delà du texte de l'article 5 de la loi déférée.
Ces moyens ont été élaborés par l'un des auteurs de la saisine. Leur paternité revient, non pas au très entreprenant président DAILLY, mais au sénateur Charles JOLIBOIS, qui exerce la pofession d'avocat.
En effet, lors de l'entretien que j'ai eu avec MM. DAILLY et JOLIBOIS, en présence de notre Secrétaire général, c'est le sénateur JOLIBOIS qui a pris la parole contre l'article 5.
Il a développé oralement ce qu'il avait précédemment écrit.
A ses yeux, le pouvoir de sanction dévolu à la C.O.B. est inconstitutionnel pour trois raisons essentielles :- en premier lieu, il porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
- en deuxième lieu, le pouvoir de sanction de la C.O.B. n'est pas admissible car l'indépendance de la Commission n'est pas assurée. Cette indépendance ne serait garantie, ni par le statut des membres de la Commission, ni par les moyens financiers dont elle dispose.
- il est soutenu, en troisième lieu, que le pouvoir de sanction de la C.O B. est contraire à la règle non bis in idem dans la mesure où les sanctions que la C O.B. peut infliger sont susceptibles de se cumuler avec des sanctions pénales.
Je vais reprendre tour à tour chacun des aspects de l'argumentation présentée.
a- Le moyen tiré de la violation du principe de la séparation des pouvoirs conduit à s'interroger sur la légitimité dans notre ordonnancement juridique, de sanctions administratives.
La position des saisissants est simple. Elle repose sur l'idée qu'une autorité administrative ne peut se voir conférer le pouvoir de sanctionner une réglementation qu'elle a elle-même élaborée.
L'idée ainsi exprimée est incontestablement très séduisante. Elle ne suppose pas pour être affirmée un effort de construction juridique très grand par rapport au texte de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Dans un premier élan, je m'étais presque attaché à cette idée.
Elle me paraît très protectrice des droits des individus.
Elle aurait au surplus le mérite de favoriser la tâche de votre rapporteur qui pourrait, en retenant le premier moyen dirigé contre l'article 5, arrêter là son analyse (du moins pour la rédaction du projet de décision).
Néanmoins, et non sans avoir hésité, il me paraît difficile de faire droit au moyen tiré de la violation du principe de la séparation des pouvoirs et ceci pour deux séries de raisons.
- Une première raison tient à ce que le moyen invoqué manque en fait, comme le souligne la noteécrite du Gouvernement.
Certes, l'article 9-1 ajouté à l'ordonnance du 28 septembre 1967 énonce que la C.O B :
"peut ordonner qu'il soit mis fin aux pratiques contraires à ses règlements". Ces deux derniers mots peuvent donner à penser que la C.O.B. dispose d'un pouvoir réglementaire propre.
Tel ne me semble pas être le cas. Il suffit pour s'en convaincre de replacer le texte de l'article 9-1 dans le contexte d'ensemble de l'ordonnance.
L'attribution de compétences réglementaires à la C.O.B. résulte de l'article 4-1 ajouté à l'ordonnance de 1967 par l'article 31 d'une loi du 14 décembre 1985.
Que nous dit l'article 4-1 ?
"Pour l'exécution de sa mission, la commission peut prendre des règlements concernant le fonctionnement des marchés placés sous son contrôle ou prescrivant des règles de pratique professionnelle qui s'imposent aux personnes faisant publiquement appel à l'épargne, ainsi qu'aux personnes qui, à raison de leurs activités professionnelles, interviennent dans des opérations sur des titres placés par appel public ou assurant la gestio individuelle ou collective de portefeuilles de titres".
A s'en tenir à ce premier alinéa, on pourrait soutenir qu'il y a exercice d'un pouvoir réglementaire propre.
Mais l'article 4.1. comporte deux précisions complémentaires :
"Lorsqu'ils concernent un marché déterminé, les règlements de la commission sont pris après avis de la o des autorités du marché considéré.
Ces règlements sont publiés au Journal officiel de la République française, après homologation par arrêté du ministre chargé de l'économie et des finances.
L'exigence de l'homologation me paraît jouer ici un rôle capital car elle modifie en droit comme en fait la nature des règlements.
L'homologation implique en effet que l'autorité qui homologue reprend à son compte la norme homologuée.
Notre droit public en donne plusieurs exemples significatifs. Ainsi les codes de déontologie élaborés par les ordres professionnels à caractère national sont homologués par décret ou même pour certains d'entre eux par décret en Conseil d'Etat
Dans un autre ordre d'idées, la réglementation des vins d'appellation d'origine contrôlée résulte de délibérations de l'institut national des Vins d'appellation d'origine contrôlée (I.N.A.O.), homologuées par décret.
On peut citer également le cas des accords interprofessionnels en agriculture qui sont homologués par arrêté ministériel et qui, de ce fait, ont le caractère d'actes administratifs. On peut se reporter sur ce dernier point à un arrêt du Conseil d'Etat du 19 juin 1981- Syndicat viticole de Margaux. Vous vous doutez d'ou je tiens mes sources.
Pour me résumer, je dirais que l'exigence d'une hombdogaXion par arrêté ministériel des règlements élaborés par la C.O.B. fait perdre de sa force au moyen tiré de l'atteinte à la séparation des pouvoirs.
- Mais il est une deuxième raison qui me conduit à écarter ce moyen. Elle est tirée de l'analyse de votre jurisprudence.
Il ressort de vos décisions que la séparation des pouvoirs est synonyme, ni plus ni moins, de l'indépendance des pouvoirs. C'est ainsi que le pouvoir réglementaire, prérogative de l'exécutif, doit s'exercer indépendamment de l'intervention d'une commission parlementaire (cf votre décision du 30 décembre 1970).
De même, le pouvoir de juger doit s'exercer en toute indépendance, tant vis-à-vis du Gouvernement que vis-à-vis du Parlement. Plusieurs décisions l'ont affirmé à l'occasion de l'examen de lois de validation, et, en particulier, la décision du 22 juillet 1980, rendue sur le rapport du doyen VEDEL.
J'ai donc le sentiment que la jurisprudence n'a pas entendu conférer une portée trop large à la séparation des pouvoirs. Significative à cet égard est votre décision du 17 janvier 1989 relative au Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Cette décision a admis que le C.S.A. puisse être doté du pouvoir d'infliger des sanctions pécuniaires, alors que cet organisme dispose dans des domaines déterminés d'un pouvoir réglementaire .
Votre décision m'a semblé révélatrice d'un état d'esprit dont je me suis moi-même inspiré.
Tout se passe en effet comme si vous admettiez dans son principe qu'une autorité administrative indépendante puisse être dotée d'un pouvoir de sanction, quitte à encadrer de façon rigoureuse l'exercice de ses pouvoirs.
L'encadrement peut et doit revêtir deux formes :
- d'une part, l'attribution de compétences réglementaires peut être mesurée assez chichement, eu égard aux dispositions de l'article 21 de la Constitution,
- d'autre part, l'attribution d'un pouvoir de sanction doit s'accompagner de règles de fond et de procédure qui permettent d'assurer la sauvegarde des droits et libertés de valeur constitutionnelle.
A cet égard, la note du Gouvernement met l'accent sur les garanties dont est entouré le pouvoir de sanction :
. grande précision des règlements qui constituent la norme dont la violation est sanctionnée ;
. institution d'une procédure contradictoire ;
. motivation obligatoire des décisions ;
. affirmation du principe de proportionnalité, au moins dans l'ordre administratif ;
. possibilité de recours de plein contentieux devant la juridiction judiciaire avec une procédure de sursis à exécution.
Pour ces diverses raisons, je vous proposerai de ne pas retenir le premier moyen invoqué à l'encontre de l'article 5.
b) Il me faut donc poursuivre plus avant l'analyse avec l'examen du deuxième moyen.
Ce moyen est tiré de ce que la C.O B. ne présenterait pas des garanties d'indépendance suffisantes permettant de lui conférer un pouvoir de sanction pécuniaire.
Le moyen lui-même comporte deux branches car sont en cause deux éléments : le statut des membres et les moyens financiers dont dispose la Commission.
On peut statuer sans attendre sur la seconde branche du moyen.
Les auteurs de la saisine reprennent devant notre Conseil une controverse qui les a opposés au Ministre chargé de l'Economie.
Pour Monsieur JOLIBOIS, et il a joué un rôle esséntiel, c'est un bon avocat, la C.O.B. devrait être financée sur des crédits budgétaires soumis chaque année au contrôle du Parlement dans le cadre de l'examen de la loi de finances.
Cette position de principe s'accompagne d'un argument d'ordre juridique tiré de la violation par la loi de l'article 2 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, aux termes duquel :
"Lorsque des dispositions d'ordre légistatif ou réglementaire doivent entraîner des charges nouvelles, aucun projet de loi ne peut être définitivement voté, aucun décret ne peut être signé tant que ces charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par la présente ordonnance", c'est-à-dire dans le cadre d'une loi de finances ou d'une loi de finances rectificative.
Cette argumentation ne résiste pas à l'analyse et ceci pour deux motifs dont chacun se suffit à lui-même :
- d'une part, votre jurisprudence s'est toujours refusée à donner une interprétation littérale de l'article 2 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 Cet article interdit la remise en cause par une loi ordinaire de l'équilibre financier prévu par la loi de finances. Il ne saurait paralyser l'activité législative (cf. sur ce point une décision de principe du 27 juillet 1978, reprise ultérieurement par la décision du 16 janvie 1982 et la décision des 25 et 26 juin 1986).
- d'autre part, et en tout état de cause, le Gouverneriez n'a aucune peine à montrer que la C.O B. est financée à l'heure actuelle non par des crédits budgétaires mais par le produit de redevances qu'elle a été autorisée à percevoir sur le fondement d l'article 117 de la loi de finances pour 1985.
L'autre branche du deuxième moyen est plus intéressante car elle conduit à s'interroger sur le point de savoir si la composition de la C.O.B. lui assure une indépendance suffisante.
La composition est, je le rappelle, fixée par l'article de l'ordonnance du 28 septembre 1967, dans sa rédaction résultant de l'article premier de la loi déférée.
La C.O.B. est composée d'un président et de huit membres
Le président est nommé par décret en Conseil des ministres pour une durée de six ans non renouvelable. Il est soumis aux règles d'incompatibilités prévues pour les emplois publics.
Les auteurs de la saisine ne formulent aucune réserve en ce qui concerne le statut du président ... Mieux même, le président DAILLY s'est risqué à avancer devant moi le nom du futur président ...
Monsieur le Président : Pouvez-vous nous faire part de ce nom ?
Monsieur Jean CABANNES : Monsieur SAINT-GEOURS... Puis il poursuivit :
Les critiques des saisissants concernent les membres de la Commission. Le mode de désignation de certains d'entre eux n'apparaît pas satisfaisant. M. JOLIBOIS ne met pas en cause la présence au sein de la Commission, de membres du Conseil d'Etat, de la Cour de Cassation et de la Cour des Comptes, non plus que celle d'un représentant de la Banque de France désigné par le Gouverneur.
La critique se concentre sur la présence au sein de la C.O.B. de deux professionnels :
- un membre du conseil des bourses de valeur désigné par ce conseil ;
- un membre du conseil du marché à terme désigné par ce conseil.
On ne peut pas à mon sens frapper de suspicion des profespionnais qui seront désignés par des organismes créés par la loi et exerçant dans l'intérêt général des prérogatives de puissance publique.
La méfiance dont font preuve les saisissants me semble donc excessive.
Reste un argument qui est tiré de ce qu'aucun des membres de la C.O B., hors le cas du président, ne sera soumis à un régime d'incompatibilités.
L'argument ne vaut pas pour tous les membres de la C 0 B ayant le statut de magistrat ou celui de fonctionnaires.
De toute façon, l'argument n'emporte pas la conviction dès l'instant que la C.O.B. ayant le caractère d'un organisme public se trouve par là même soumise à une obligation d'impartialité dans l'exercice de ses missions. C'est là une règle posée de longue date par la jurisprudence du Conseil d'Etat (cf. l'arrêt VAULOT de 1927), et dans laquelle le professeur Marcel WALINE voyait même un principe général du droit.
J'ajoute une ultime remarque au sujet du thème de l'indépendance. Le fait que le mandat des membres soit renouvelable une fois n'est pas à mes yeux rédhibitoire. Il y a,
en effet, de nombreux exemples de juridictions dont les membres sont, à l'expiration de leur mandat, soumis à renouvellement Tel a été le cas par exemple pour la Cour de Justice des Communautés Européennes de Monsieur Robert LECOURT et pour la Cour Européenne des Droits de l'Homme du bâtonnier PETTITI.
c) Il est temps pour moi d'en venir au troisième et dernier moyen dirigé contre l'article 5.
Il est fait grief au législateur d'avoir méconnu la règle non bis in idem.
En effet, nous disent les saisissants, les sanctions administratives que la C.O.B. a le droit de prononcer sont susceptibles de se cumuler avec des sanctions pénales et ceci pour des mêmes faits
On peut évidemment soulever deux objections à l'encontre du moyen tel qu'il est ainsi formulé :
- 1ère objection : la règle non bis in idem n'est pas consacrée par un texte de valeur constitutionnelle et ne peut dès lors être considérée comme un principe de valeur constitutionnelle.
En droit pénal, elle se déduit de l'article 5 du code pénal, texte de valeur législative.
En droit administratif, certains arrêts du Conseil d'Etat ont vu dans la règle non bis in idem un principe général du droit ... Mais, au vu de votre jurisprudence, ce principe semble avoir au mieux valeur législative.
- deuxième objection : la règle non bis in idem est écartée lorsqu'il y a confrontation de sanctions pénales et de sanctions administratives.
Il a toujours été admis en jurisprudence qu'un même fait, qui constitue à la fois une faute disciplinaire et une infraction pénale, puisse donner lieu à une sanction disciplinaireet à ne condamnation pénale qui se cumulent.
Mais ces deux objections n'épuisent pas pour autant le débat. On peut et on doit poursuivre l'analyse en évoquant un principe constitutionnel que vous reconnaissez pleinement de proportionnalité des délits et des peines.
Ce principe a été déduit par le Conseil constitutionnel des dispositions de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme aux termes desquelles . "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires" (cf. la décision des 19 et 20 janvier 1981).
Le Conseil a jugé par la suite que ce principe ne s'applique pas seulement aux sanctions pénales mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire (cf. C.C 30 décembre 1982 ; C.C 30 décembre 1987 ; C.C. 17 janvier 1989).
Le principe de proportionnalité des délits et des peines a donc une portée très générale. Il n'est cependant soumis qu'à un contrôle restreint de notre part que connaissent toutes les juridictions judiciaire et administratives.
Le Conseil ne prononce censure pour violation du principe de proportionnalité que si la disproportion est manifeste.
Il est à peine besoin de rappeler que vous avez eu l'occasion de censurer pour disproportion manifeste une disposition qui entendait punir la divulgation du montant du revenu d'un contribuable d'une amende fiscale égale au montant de ce revenu (cf. C.C. 30 décembre 1987).
Pour en revenir à la présente affaire, j'avoue être quelque peu inquiet à la perspective de voir le régime des sanctions administratives résultant de l'article 9-2 de l'ordonnance de 1967 se cumuler avec le régime des sanctions pénales qui résulte des articles 10-1 et 10-3 de la même ordonnance.
En effet, les délits boursiers peuvent se recouper dans certains cas avec les infractions administratives sanctionnées par la CO.B.
Ces délits boursiers, qu'il s'agisse du délit d'initié, du délit de fausse information ou du délit de manipulation des cours, sont sanctionnés de façon très rigoureuse, au moins en théorie.
La répression en a même été accrue par la loi qui nous est déférée et ceci, à l'initiative des auteurs de la saisine...
En effet, M. BOURGINE comme M. JOLIBOIS ont été à l'origine d'un amendement adopté par le Sénat et visant à permettre au juge pénal de prononcer des amendes au moins aussi fortes que les sanctions administratives infligées par la C.O.B.
Si bien que chacun des trois délits boursiers que je viens de mentionner est désormais passible "d'un emprisonnement de deux mois à deux ans et d'une amende de 6000 F à 10 millions de francs, dont le montant pourra être porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même profit."
Nous nous trouvons donc face à une situation où, à raison des mêmes faits, une même personne qui a réalisé indûment des profits boursiers pourrait faire l'objet à la fois :
- d'une sanction administrative égale à 10 fois le montant des profits ;
- et d'une amende pénale égale à 10 fois le montant des profits.
Il me semble qu'il y aurait là une sanction manifestement disproportionnée.
Pour ce motif, je vous propose de déclarer contraire à la Constitution le 2°) de l'article 9-2 de l'ordonnance de 1967 ajouté à cette ordonnance par l'article 5-III de la loi déférée.
Ce faisant, j'ai le sentiment d'être fidèle à la jurisprudence du Conseil. Elle ne condamne pas par principe les sanctions administratives , elle cherche à les encadrer. Pour que cet encadrement ne soit pas un vain mot, une censure limitée del'article 5 de la loi me paraît souhaitable.Parti au départ de l'article 16 de la Déclaration, j'avais été tenté vous proposer une censure totale. Je vous propose de vous rallier à mon projet dont je vais vous donner lecture.
(Monsieur Jean CABANNES donne lecture du projet de décision relatif à l'article 5 de la loi).
J'en ai terminé, Monsieur le Président, mes chers collègues avec le présent rapport... qui est pour moi le premier d'un genre quelque peu nouveau. Je vous remercie d'avoir prêté une oreille attentive et indulgente au premier rapport d'un nouveau juge constitutionnel.
Monsieur le Président : Je vous remercie, Monsieur CABANNES, pour cet exposé très précis et très complet. Je tiens à rappeler que nous ne démarrons par sur un territoire vierge.
Nous avons rendu deux décisions sur le Conseil des bourses de valeurs et le Conseil supérieur de l'audivisuel. Il est vrai que nous assistons à un éparpillement du pouvoir de sanction qui est transféré de l'autorité judiciaire à des autorités administratives. Les juges ne sont pas toujours compétents pour traiter de questions délicates, infligent de faibles sanctions et sont réticents à s'aventurer sur des terrains nouveaux et complexes. Cette situation explique le développement des autorités administratives indépendantes.
Cependant la défense doit pouvoir s'exercer. Il convient d'être totalement intransigeant sur le respect de la procédure contradictoire, sur l'accès au dossier, sur le ministère d'avocat, sur le sursis à statuer et sur la possibilité de recours. A ce niveau, une exécution provisoire pourrait être un désastre. Jusque là, notre jurisprudence a souligné que les garanties que je viens d'évoquer devaient être respectées au profit des justiciables.
Monsieur Jacques ROBERT : Je voudrais faire trois remarques.
D'abord on ne peut pas revenir sur le principe de l'existence des autorités administratives indépendantes ; s'engager dans cette voie serait aller à contrecourant.
Cependant il faut veiller à ce que le requérant soit défendu.
Ensuite la règle non bis in idem n'est pas un principe général du droit.
Enfin, on pourrait baser notre décision sur le principe de proportionnalité mais si nous choisissons ce terrain, au motif que l'amende infligée à hauteur de dix fois le montant de l'infraction est excessive, que fera-t-on si le législateur abaisse le seuil à neuf fois ?
Le problème s'est posé dans les mêmes termes à propos du découpage électoral en Nouvelle-Calédonie. Il y a là une évaluation subjective à opérer qui nous met dans une situation délicate.
Monsieur le Président : Je partage votre souci aussi ai-je un projet qui répond à cette préoccupation.
Monsieur Robert FABRE : Nous avions déjà pris position l'an dernier.
Monsieur le Président : J'ai fait distribuer un document qui met en lumière la réglementation des sanctions pécuniaires infligées par des autorités administratives indépendantes. Sont mentionnées la C.O.B., le C.S.A., le Conseil des bourses de valeurs et le Conseil de la concurrence. Mais il est vrai que le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur cette problématique à propos du Conseil de la concurrence. La lecture de ce tableau montre que nous avons accepté le décuple du profit sans sourciller, à propos du Conseil des bourses de valeurs et une sanction égale à 5 % du chiffre d'affaires de l'entreprise pour le C.S.A..
Par conséquent, nous avons admis la possibilité pour une autorité administrative indépendante de prononcer une sanction pécuniaire. A partir de là, pouvons-nous dire que le décuple est excessif ? Je crois que si un retour en arrière est impossible, ou ne peut pas ne pas envisager de ne pas marquer un temps d'arrêt.
Mais la rupture de la proportionnalité ne tient pas tant au montant trop élevé de la sanction pécuniaire qu'au cumul des sanctions. A ce propos j'ai été intéressé par l'observation de Monsieur Jacques ROBERT, En effet, si nous déclarons cette disposition inconstitutionnelle, nous rendons les autorités administratives indépendantes impuissantes. L'autre possibilité qui s'offre à nous consiste à interdire au nom de la proportionnalité le cumul des deux sanctions en faisant valoir qu'il méconnaîtrait la règle du non cumul et dépasserait le montant maximum de chaque sanction.
Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE : J'ai beaucoup réfléchi à cette question et partage votre analyse. Cependant, je me désolidarise de votre conclusion qui repose plus sur un calcul que sur un principe. Je ne rejoins pas Monsieur ROBERT dans la mesure où j'estime que l'on ne peut pas balayer la règle non bis in idem. Le danger c'est que l'en admettant qu'une première juridiction n'aboutisse qu'à une sanction égale à 50 % du maximum et que la seconde soit tentée de prononcer une sanction égale à la seconde moitié. La règle du non cumul doit être pour nous un principe intangible. Je me demande si les deux condamnations ne pourraient pas se fondre comme en droit pénal, cette solution serait susceptible de constituer un palliatif.
Monsieur Robert FABRE : Dans la vie courante, lorsqu'un automobiliste commet une infraction, le préfet peut prononcer la suspension du permis de conduire et le tribunal correctionnel peut infliger des amendes au contrevenant.
Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE : Je ne m'attendais pas à cet exemple. Effectivement c'est un tout petit créneau mais le principe est là.
Monsieur le Président : Le contentieux disciplinaire permet le cumul.
Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE : Lorsqu'un avocat fait l'objet de poursuites disciplinaires devant le Conseil de l'ordre, celui-ci ne prend pas de décision avant que le juge de droit commun n'ait statué.
Monsieur le Président : Cette jurisprudence inspire ma suggestion mais elle n'infirme pas le principe du cumul des sanctions disciplinaires et des sanctions pénales. Nous ne pouvons censurer que sur le fondement de la proportionnalité. Constitutionnaliser la règle non bis in idem est impossible.
Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE : Il y a effectivement une disproportion. Le Conseil des bourses de valeurs peut édicter des sanctions allant jusqu'au décuple des profits éventuellement réalisés. Ce texte prévoit non seulement le décuple mais aussi le cumul. L'addition est donc beaucoup plus lourde. Nous pourrions envisager d'adopter une interprétation neutralisante mais je serais plutôt partisan de la censurer car il faut effectivement s'opposer au cumul des sanctions.
Monsieur le Président : Nous risquons de rencontrer des problèmes insurmontables car si nous censurons, il n'y aura plus de sanction possible et il reviendra au législateur de rédiger un nouveau texte. Le Conseil constitutionnel se retrouvera donc dans une situation délicate.
Lorsque le Conseil a eu à statuer sur les dispositions du code de procédure pénale relative à la période de sûreté, en 1986, il a estimé qu'il était dans l'impossibilité de dire qu'il s'agissait d'une simple disposition de procédure pénale et a eu recours à une interprétation neutralisante. Je pense qu'il n'y a aucune difficulté. La Cour d'appel nous suivra. Nous sommes confrontés à un problème rédactionnel. Si nous ne prenons pas position sur la question du cumul, ce problème reviendra à l'ordre du jour.
Monsieur Robert FABRE : Je crains que nous ne soyons liés par la décision du 19 janvier 1988 sur les bourses de valeurs aussi me paraît-il préférable de dire que les sanctions cumulées ne peuvent dépasser un plafond.
Monsieur le Président : J'ai préparé un amendement en ce sens.
Monsieur Jacques LATSCHA : Lorsque l'on examine la liste des sanctions pécuniaires, ou observe deux choses : dans certains cas, ces sanctions visent des cocontractants ; dans d'autres, elles constituent des sanctions disciplinaires. Les dispositions prévues pour les sanctions infligées aux sociétés de bourse par le Conseil des bourses de valeurs existaient déjà antérieurement avec la chambre syndicale des agents de change.
Par ailleurs, je voudrais attirer votre attention sur les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme. (Monsieur LATSCHA lit cet article). Or le secrétariat général du Gouvernement dans ses observations reconnaît lui-même la possibilité d'un cumul de sanctions. Il admet que "certaines infractions aux règlements de la C.O.B. peuvent être, par ailleurs, un élément constitutif d'un délit boursier donnant effectivement lieu à poursuites pénales".
J'aurais la tentation de remettre en cause les pouvoirs de la C.O.B. mais je pense que nous pouvons les limiter en invoquant les dispositions de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et en mettant en valeur la nécessaire proportionnalité des peines et des infractions. A la différence des sanctions du Conseil des bourses de valeurs qui visent des personnes limitativement énumérées et qui sont des professionnels, les sanctions de la C.O.B. ne s'adressent pas seulement aux professionnels.
Il n'en reste pas moins que je suis profondément choqué par cette possibilité de cumul.
Monsieur le Président : Cela nous choque effectivement. Il n'en irait pas de même si nous avions uniquement affaire à la compétence judiciaire. Nous nous trouvons devant une dualité de sanctions et le législateur accroît la possibilité de la sanction maximale tout en sachant que tout finira devant le juge. En fait, c'est une dualité de commodités. Je demanderai aussi la censure du cumul des pouvoirs du président de la C.O.B. qui est à la fois partie et juge, en exerçant les pouvoirs réservés à la partie civile.
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Monsieur Jacques LATSCHA : Le fait que la règle "non bis en idem" ne soit pas inconstitutionnelle me gêne. J'ajoute que la prolifération de ces sanctions est d'autant plus dangereuse qu'elles s'écartent des garanties du droit pénal.
Il convient de tenir compte des règles du droit pénal et de respecter les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme, qui est une grande conquête de la Révolution.
Monsieur le Président : Ce n'est pas parce qu'il y a dualité de sanctions que l'on peut admettre l'existence d'une sanction qui dépasserait la sanction pénale. La dépossession de l'autorité judiciaire ne doit pas se faire au détriment du justiciable. Les mêmes effets peuvent être obtenus par la neutralisation.
Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE : En 1988, la discussion n'avait pas porté sur le montant des sanctions car cette question n'avait pas fait l'objet de saisine. Les recherches que je viens de demander sont éclairantes à ce sujet. Aucun parlementaire n'a protesté contre le dispositif prévu. C'est donc la première fois que nous abordons cette question car en 1988 nous avons seulement considéré que l'unique sanction ne posait pas problème. Dans l'affaire qui nous est soumise, c'est l'adjonction qui entraîne une disproportion.
Monsieur le Président : Quand le Conseil constitutionnel est saisi d'un D.M.O.S. ou d'un projet de loi de finances, il ne peut appréhender toutes les dispositions du texte. Là, nous avons affaire à une question qui touche la sûreté des personnes. Par conséquent nous ne pouvons pas ne pas exercer de contrôle. Nous devons même l'effectuer au trébuchet. Ne pas le faire c'est s'exposer à la critique. La sûreté du citoyen impose l'exercice d'un contrôle strict de notre part. Non seulement il ne s'agit pas d'une disposition de droit civil ou d'une règlementation de l'habitat mais de plus nous sommes liés parce que nous avons pris position dans notre décision du 17 janvier sur la liberté de communication en affirmant qu'une sanction pécuniaire ne peut se cumuler avec une sanction pénale.
Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE : Je ne conteste pas votre réponse mais je ne vous suis pas totalement lorsque vous dites : "Nous ne pouvons pas le faire en raison de notre décision sur le Conseil des bourses de valeurs". La loi du 22 janvier 1988 sur les bourses de valeurs prévoit une sanction d'une part à hauteur du décuple du profit et d'autre part à hauteur du triple. Il n'était donc pas question de cumul. La disproportion en l'espèce tient non seulement au chiffre mais aussi au cumul.
Monsieur le Président : Ce que nous voulons sanctionner, c'est le cumul mais nous ne pouvons pas annuler puisque nous avons accepté le principe de la sanction en cas de non cumul.
Si nous retranchons, nous ne répondons pas à la question. Nous l'avalisons, là où il n'y a pas de cumul.
Monsieur Maurice MOLLET-VIEVILLE : Une sanction doit être personnelle. Un individu ne saurait être redevable de sanctions devant plusieurs juridictions. Le droit pénal, en cas de cumul d'infractions, a inventé la confusion d'infractions. Or là, la Cour n'aura pas la possibilité de recourir à ce palliatif que constitue la confusion d'infractions.
Monsieur le Président : La confusion est une obligation. Elle est de droit. La juridiction saisie en dernier ressort doit en tenir compte. Or les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à tout le monde.
Monsieur Maurice MOLLET-VIEVILLE : Il faut que la confusion soit prononcée non pas quand le maximum est atteint mais quel que soit le montant.
Monsieur le Président : Nous sommes en train de refaire la loi. Ce dispositif relève de la compétence du législateur. Le Conseil constitutionnel a avalisé le principe du décuple du profit réalisé le 19 janvier 1988 lorsqu'il a examiné la conformité à la Constitution de la loi sur les bourses de valeurs mais il ne s'est pas prononcé sur la question du cumul.
Comme nous avons laissé de côté cette question, il me paraît nécessaire de prendre position.
Monsieur Maurice FAURE : L'administration a une fâcheuse tendance à laisser se multiplier les organes administratifs. Ceux-ci disposent du pouvoir réglementaire et du pouvoir de sanction. Il en va ainsi du Conseil de la concurrence, du Conseil supérieur de l'audiovisuel, de la C.O.B. Pour nous la solution la plus facile consisterait à déclarer le cumul de sanctions inconstitutionnel. Nous devons trouver une autre solution, une voie détournée. Notre président serait le meilleur élève de l'école de la rue de Madrid. (Sourires). Notre solution la plus pratique est le contrôle de la proportionnalité.
En revanche, je suis en désaccord avec Monsieur MOLLET-VIEVILLE. Je ne pense pas que le juge aura la tentation des 50 %. Comme je suis un pragmatique, j'accepte les solutions ingénieuses.
Monsieur Robert FABRE : Permettez-moi d'avoir un éclairage différent. Nous nous demandons si nous ne risquons pas de taper trop fort mais nous devons nous interroger au préalable sur les agissements en cause. Nous devons tenir compte aussi des réactions de l'opinion. Nous volons au secours des scélérats.
Monsieur le Président : Vous n'avez pas tort.
Monsieur Maurice FAURE : ...au secours de la raison ! Cela serait le risque si nous choisissons l'annulation. Il en va différemment si nous choisissons le plafonnement.
Monsieur Jacques LATSCHA : La sanction du C.S.A. n'existe que si elle n'est pas constitutive d'une infraction pénale. J'ajoute que nous sommes en train d'assister à la naissance d'un droit pénal parallèle.
Monsieur le Président : Il est né depuis longtemps. Nous assistons à sa croissance effrénée et nous aurons d'autres exemples dans le droit de l'environnement, dans le droit de la santé.
Monsieur Jean CABANNES : C'est très grave.
Monsieur Jacques LATSCHA : Aux Etats-Unis, les sanctions sont très sévères mais la "Securities Exchange commission" dispose aussi d'un pouvoir de transaction.
Monsieur le Président : A New-York, 982 des infractions se résolvent par des transactions.
Monsieur Jean CABANNES donne lecture du projet de décision de la page 2 à la page 8.
Monsieur le Président : Je souscris à votre projet jusqu'aux mots : "un montant identique".
Je m'en sépare à partir de là et vous propose la nouvelle rédaction suivante : " que si l'éventualité de cette double procédure peut ainsi conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions prononcées par les autorités administratives et judiciaires ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues".
Cette proposition reçoit-elle votre accord ?
Monsieur Jean CABANNES : Nous pourrions prolonger cette idée en ajoutant : "Qu'il appartiendra aux autorités de veiller à ce que...".
Ces modifications sont adoptées.
Monsieur le Président : Nous passons maintenant à l'examen de l'article 10.
C'est une nouvelle rédaction de l'article 12-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 qui renvoie aux articles 10-1 et 10-3, c'est-à-dire aux dispositions relatives au délit d'initié et à la manipulation des cours ; il permet au président de la C.O.B. de se constituer partie civile.
Monsieur Jean CABANNES lit un projet de décision relatif à l'article 10 de la loi déférée.
Monsieur Panier MAYER : L'ordre chronologique risque de ne pas être suivi.
Monsieur Jacques LATSCHA : La commission aura déjà fait usage de son pouvoir de sanction à ce moment-là.
Monsieur le Président : Les problèmes du pouvoir de sanction et de l'intervention de la C.O.B. dans le procès sont distincts. On ne peut les lier. Mais peut-être ai-je levé un mauvais lièvre ?
Monsieur Jean CABANNES : La C.O.B. n'est pas un juge.
Monsieur le Président : Nous venons de décider qu'elle peut édicter des sanctions pénales.
Monsieur Jean CABANNES : À trop vouloir démontrer...
Je crains qu'à trop en dire nous nous exposions à un danger, d'où mon premier mouvement qui consistait à s'appuyer purement et simplement sur l'article 16 et reprenait votre considérant sur la règle "non bis in idem".
Monsieur le Président : La règle "non bis in idem" n'est pas un principe constitutionnel mais je soulève cette question parce qu'elle m'est apparue.
Rajeunissez, Monsieur le Premier avocat général et Monsieur MOLLET-VIEVILLE, vous voyez arriver le président de la C.O.B. devant vous, comment allez-vous procéder ?
Monsieur Jean CABANNES : Je procéderai à un examen contradictoire très serré.
Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE : Je reste choqué par le cumul des sanctions.
Monsieur Jean CABANNES : Je vous cite le passage du rapport de Monsieur BOURGINES relatif aux initiatives du président de la C.O.B. devant les juridictions. Monsieur Jean CABANNES lit les extraits des pages 60 et 61 du rapport du Sénat n° 339.
Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE : La loi permet actuellement à la C.O.B. de demander des dommages-intérêts pour la réparation du préjudice subi.
Monsieur le Secrétaire général : Nous avons interrogé les représentants du Gouvernement pour savoir si au cas où des sanctions pécuniaires seraient prononcées sur la base des dispositions de l'article 9-2 de la loi déférée, la commission pourrait mettre en mouvement l'action publique, il nous a été répondu qu'il n'en était pas question. La même réponse a été donnée à Monsieur JOLIBOIS, sénateur.
Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE : Imaginez que le président de la C.O.B.
Monsieur Maurice FAURE : Nous sommes trois à prendre cela moins au tragique que vous. Il s'agit en fait d'un problème de rédaction.
Monsieur le Président : C'est une question très importante. Ce sont même les prémisses de problèmes ultérieurs. Le seul fondement constitutionnel dont nous soyons sûrs est constitué par le principe des droits de la défense. Cependant il arrive que certaines autorités administratives prennent des sanctions disciplinaires et se constituent partie civile. Quelle est la procédure devant le Conseil de l'ordre ?
Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE : Le bâtonnier est entendu mais l'ordre ne se constitue pas partie civile.
Monsieur le Président : Jamais l'avocat n'est poursuivi pour infraction.
Monsieur Robert FABRE : Dans le cas de l'ordre des pharmaciens, l'ordre peut prononcer des sanctions et se porter partie civile.
Monsieur Maurice FAURE : Quelles sanctions sont prononcées ?
Monsieur Robert FABRE : La fermeture de l'officine.
Monsieur Jean CABANNES : Nous pourrions ajouter les mots : "Qu'en outre, sous peine de méconnaître les droits de la défense...".
Monsieur le Secrétaire général : Les intérêts civils pour réparation sont fréquents.
Monsieur Jacques ROBERT : Vous trouvez anormal que le président de la C.O.B. oblige le parquet à réagir ? Pour ma part, je trouve cela normal et que se produira-t-il si le parquet ne veut pas agir ?
Monsieur Jacques LATSCHA : Les cas qui viennent d'être cités concernent des professions organisées. Nous sommes dans une situation différente. Que va-t-il se passer pendant l'instruction ?
Monsieur Jean CABANNES : Je vous propose de revenir à l'amendement initial.
Monsieur le Secrétaire général : Sa rédaction est une incitation à la modération.
Monsieur le Président : Nous serions ailleurs, je voterai contre mais je m'interroge toujours sur le fondement constitutionnel de notre démarche.
Monsieur Maurice FAURE : Si vous ne pouvez pas prouver l'inconstitutionnalité, la discussion est close. Il faut savoir ce que l'on veut.
Monsieur le Président : Non, il faut savoir ce que l'on peut. Le Conseil doit s'interroger pour éviter que cette pratique se renouvelle lorsque le législateur aura la tentation de procéder de même avec une autre autorité indépendante.
J'estime que nous devons avoir un tableau complet pour pouvoir prendre une décision en connaissance de cause. Il faut poursuivre nos recherches et nous reprendrons vendredi nos travaux.
Le délai d'un mois expire quel jour ?
Monsieur le Secrétaire général : Le 4 août.
Monsieur le Président : Nous avons les exemples des ordres professionnels et des autorités administratives indépendantes mais ces informations me semblent encore insuffisantes.
Monsieur Jacques ROBERT : Nous n'avons pas de base constitutionnelle.
Monsieur le Président : Nous suspendons la séance et nous la reprendrons à 17 heures 45 avec la saisine du texte relatif à la présidence unique d'Antenne 2, FR3.
La séance est suspendue à 17 heures 30.
La séance est reprise à 17 heures 45.
Monsieur Daniel MAYER : Je ne pensais pas que je ferai ce rapport.
Pour la seconde fois en cette année 1989, le Conseil constitutionnel examine une modification de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication.
La première fois, il s'était agi avec le texte qui allait devenir la loi du 18 janvier 1989, de substituer le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel à la Commission Nationale de la Communication et des libertés tout en renforçant les pouvoirs de l'instance de régulation. Le texte contenait 110 articles.
Le texte qui vous est aujourd'hui soumis qui ne comporte que deux articles, a une portée plus restreinte, puisqu'il se borne à instituer une présidence commune aux deux sociétés nationales de programme de télévision que sont Antenne 2 et FR3 tout en conservant à chacune d'elles, son identité.
Lors de la discussion de la loi du 18 janvier 1989, le gouvernement avait marqué sa volonté de porter remède aux difficultés du secteur public de l'audiovisuel. A cet effet, il a mis en place des groupes de concertation chargés de formuler des propositions sur son
avenir Le fruit de ces réflexions a fait l'objet d'un débat organisé à l'Assemblée Nationale et au Sénat respectivement les 9 mai et 1er juin dernier.
Le constat établi à cette occasion est alarmant : l'audience cumulée d'Antenne 2 et de FR3 n'atteint pas 36 % et ne cesse de décroître ; la situation financière d'Antenne 2 est très préoccupante car les recettes publicitaires qui doivent couvrir 65 % du financement de la chaîne, dépendent directement de l'attrait qu'elle suscite auprès du public. Certes, TF1 qui recueille 45 % de l'audience totale et qui dispose par là même de moyens financiers supérieurs fait de l'ombre aux deux chaînes publiques. Mais, cette crise, trouve également son origine dans la concurrence anarchique que se livrent entre elles A2 et FR3. L'absence de toute concertation les conduit, par exemple, à programmer des films ou des émissions susceptibles d'intéresser le même public aux mêmes heures. D'où l'idée de remplacer la double présidence de ces chaînes par une présidence commune afin qu'elles puissent désormais développer une stratégie complémentaire et non plus concurrente. Hormis cette unicité dans l'administration, la spécificité des deux chaînes publiques est respectée. Leurs conseils d'administration restent distincts, le président siégeant tour à tour dans chacun, les budgets demeurent séparés et les personnels conservent leur statut propre. Je note d'ailleurs que depuis deux ou trois jours on assiste à des modifications marquées par des démarcations et une complémentarité des deux chaînes.
Les députés auteurs de la saisine ne contestent pas le principe de la présidence commune qui fait l'objet de l'article 1 de la loi déférée. Ils font porter leur critique sur l'alinéa premier de l'article 2 selon lequel le Conseil Supérieur de l'audiovisuel désigne, dans le mois qui suit la publication de la loi, et pour une durée de 3 ans, la personnalité appelée à siéger au conseil d'administration des deux sociétés nationales de programme et à les présider Ils dénoncent plus particulièrement les conséquences qu'entraîne cette disposition pour les présidents actuels des chaînes publiques : la cessation anticipée de leurs mandats alors même que, nommés le 3 décembre 1986 pour 3 ans, leurs fonctions ne devraient s'achever que le 3 décembre 1989.
Je me suis interrogé sur les raisons qui ont conduit le législateur à prévoir la nomination du nouveau président dans le mois qui suit la publication de la loi, alors qu'il aurait suffi d'attendre 3 mois au plus, pour faire coïncider le terme des mandats avec son entrée en vigueur. Cette "précipitation", m'a-t'on répondu, est justifiée par la situation très critique des deux chaînes qui appellent la mise en oeuvre de mesures immédiates, notamment une révision urgente des grilles de programmation des mois à venir.
A l'encontre de l'article 2 les auteurs de la saisine invoquent deux jurisprudences du Conseil qu'ils ont tendance à quelque peu mélanger... et que je vais au contraire m'efforcer de distinguer avec soin.
1 - Un premier courant jurisprudentiel est relatif aux conditions dans lesquelles le législateur peut faire usage de son pouvoir d'abrogation ou de modification de la législation antérieure.
Selon les termes de nos décisions du 29 juillet 1986 et du 18 septembre 1986, "il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci". Mais, avons nous précisé, l'exercice de ce pouvoir d'abrogation ou de modification "ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel".
La question qui se pose à nous est de savoir si les modifications apportées au mode de désignation des présidents des sociétés nationales Antenne 2 et FR3 est de nature à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
La réponse me paraît devoir être négative.
Sans doute peut-on soutenir que les dispositions garantissant l'indénendancua des présidents de chaîne du secteur public audiovisuel correspondent à une exigence constitutionnelle. Se trouve en cause la liberté de communication proclamée par l'article 11 de la Déclaration des Droits de 'Homme.
Mais les modifications apportées par la loi déférée au mode de désignation des présidents de chaînes n'affectent pas l'indépendance de ces derniers. La loi nouvelle maintient en effet la règle selon laquelle les présidents de chaîne sont nommés par une autorité administrative indépendante.
Demeure aussi applicable la règle selon laquelle la durée du mandat est de 3 ans.
2 - Mais, à ce niveau du raisonnement on se trouve confronté à une autre jurisprudence du Conseil que les saisissants ont songé à invoquer.
Cette jurisprudence tend à interdire au législateur d'apporter des atteintes excessives à une situation existante en matière de libertés publiques.
Elle tire son origine d'une décision des 10 et 11 octobre 1984, qui fut rapportée devant notre Conseil par le Doyen Vedel.
Il est dit dans cette décision que "s'il est loisible au législateur, lorsqu'il organise l'exercice d'une liberté publique... d'adopter pour l'avenir, des règles plus rigoureuses que celles qui étaient auparavant en vigueur, il ne peut, s'agissant de situations existantes intéressant une liberté publique, les remettre en cause que dans deux hypothèses : celle où ces situations auraient été illégalement acquises ; celle où leur remise en cause serait réellement nécessaire pour assurer la réalisation de l'objectif constitutionnel poursuivi".
Dans l'affaire jugée en octobre 1984, était en question la situation de groupes de presse au regard d'une législation nouvelle sur les concentrations.
Ce précédent ne peut à l'évidence être directement transposé à notre affaire.
Les auteurs de la saisine se prévalent d'ailleurs d'une autre décision qui s'inscrit dans la ligne de la décision précédente, mais qui est beaucoup moins catégorique dans sa formulation.
Les saisissants invoquent en effet notre décision des 25 et 26 juin 1986 dans sa partie concernant les conditions dans lesquelles la loi mettait fin au mandat des présidents des sociétés qui devaient être privatisées.
On lit dans le 67e considérant de notre décision ceci :
"Considérant que, s'agissant d¹ entreprises dont l'activité ne touche pas à l'exercice des libertés publioues, il était loisible au législateur, en vue de l'application de la loi présentement examinée, d'ouvrir la possibilité de changements dans l'administration de ces entreprises, sans pour autant méconnaître un principe ou une règle de valeur constitutionnelle".
La rédaction de ce considérant suggère un argument a contrario dont les auteurs de la saisine n'ont pas manqué de s'emparer pour critiquer l'article 2 de la loi déférée.
Leur raisonnement peut être résumé comme suit : en prévoyant que le président commun à Antenne 2 et FR3 sera nommé par le C.S.A. dans le mois suivant la publication de la loi, la loi abrège le mandat des présidents actuellement en fonction. Cette réduction de la durée du mandat par l'effet de la loi serait inconstitutionnelle au motif qu'Antenne 2 et FR3 exercent leur activité dans un domaine qui touche à l'exercice des libertés publiques.
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Le raisonnement qu'il nous est proposé d'adopter me paraît aller trop loin, aussi bien en droit qu'au regard du simple bon sens... dont je persiste à penser qu'il n'est pas étranger à la science juridique.
Sur un plan juridique, je crois indispensable de faire le départ entre l'objet d'une disposition législative et ses effets. Notre jurisprudence vise à exercer un contrôle sur les conditions dans lesquelles une législation qui a pour objet l'exercice des libertés publiques est susceptible de s'appliquer à des situations en cours à sa date d'intervention.
Au cas présent, nous sommes fondamentalement en présence d'une législation nouvelle qui vise à mieux adapter le service public à l'exercice de ses missions. Un tel objectif ne heurte en lui-même aucune exigence de caractère constitutionnel. Mieux même, on peut rappeler que le principe d'adaptation, permanente du service public est un principe qui a été dégagé par la doctrine et la jurisprudence, à l'instar d'autres principes : la continuité du service, la neutralité du service, l'égalité entre les usagers du service.
La réforme a pour effet second d'abréger le mandat de deux responsables de chaînes de télévision. Un tel effet ne me paraît pas contraire à la Constitution dès lors que l'objet principal de la loi est lui-même parfaitement conforme à la Constitution.
Je suis d'autant plus enclin à me prononcer en ce sens, qu'il y aurait quelque paradoxe à interdire au législateur de faire entrer dans les faits une réforme d'un service public, qui est en elle-même irréprochable sur le plan constitutionnel.
En définitive, je vous proposerais d'admettre la conformité à la Constitution de la loi qui nous est soumise.
Je ne vous cacherais pas cependant mon léger scepticisme sur l'efficacité de la réforme qu'a voulue le législateur... Mais c'est là un tout autre problème que celui qui nous occupe aujourd'hui.
Enfin j'ajoute que je suis encore candidat pour d'autres rapports.
Monsieur le Président : Je vous remercie pour cet engagement. La discussion est ouverte.
Monsieur Jacques ROBERT : J'ai beaucoup apprécié le rapport de Monsieur MAYER. Si j'adhère à son analyse de l'article premier, en revanche, je suis plus réservé pour ce qui est de l'article 2. Il faut tenir compte de l'effet second de l'application de la loi. Or la décision du 26 juin 1986 me paraît enserrer notre démarche dans certaines limites. Il n'est nul besoin de souligner l'importance de l'indépendance des présidents de chaînes qui est un principe constitutionnel. Il me paraît grave que l'on ne puisse attendre trois mois pour faire coïncider la fin des mandats des présidents de chaîne avec l'entrée en vigueur de la loi.
Nous sommes à deux mois. Cela me paraît choquant car nous heurtons des principes. Il ne s'agit pas là d'un effet secondaire. Il est dangereux d'opérer une révocation déguisée et de passer outre à ce qui a été dit. Je serais donc d'avis d'accepter l'article 1 mais pas l'article 2. On peut se payer le luxe d'une censure.
Monsieur Maurice FAURE : Le budget des chaînes se prépare longtemps avant.- Les trois mois à gagner ne sont pas sans intérêt.- Un redressement rapide s'impose. C'est un argument d'opportunité.
Monsieur Jean CABANNES : Peut-on trouver un principe constitutionnel ? Monsieur ROBERT vient d'en invoquer un. La décision citée est celle des 25 et 26 juin 1986.
Monsieur le Président : Dans la décision sur les privatisations des entreprises publiques, nous avions en tête des révocations en nombre important. Ce n'est pas la situation aujourd'hui. Une révocation pure et simple serait inconstitutionnelle mais là le problème est ailleurs. Il s'agit de savoir si une situation acquise peut empêcher une réforme. L'avenir dira si cette réforme est bonne ou mauvaise mais peut-on faire obstacle à une réforme de structure ? Ce qui est en question, c'est la cohérence de notre jurisprudence.
Du moment qu'il y a une nomination par la même autorité indépendante, il est difficile de censurer. On ne peut pas aboutir à conférer un statut d'inamovibilité aux responsables d'un service public. Que se passerait-il s'il y avait encore deux ans à courir. On serait condamné à l'immobilisme.
Nous avons un char avec deux chevaux. Et si les deux chevaux se mordent ? Les pouvoirs publics peuvent-ils rester inactifs. Dans l'avenir on risque de devoir faire une société Holding. Il n'est pas possible de figer l'évolution du service public.
Monsieur CONDAMINE n'est pas sans recours.
Monsieur Jean CABANNES : Les législateurs ad'hominem me font penser à l'affaire ROUSSELET.
Monsieur le Président : Je ne peux pas qu'il s'agisse ici d'une législation ad'hominem, même si une compensation aurait pu être trouvée à Monsieur CONDAMINE (1).
Monsieur Daniel MAYER : Je voudrais ajouter un argument supplémentaire. Comme cela a été souligné, la programmation sera applicable dès la rentrée. Il s'agit d'une réorganisation du service public.
Monsieur Jacques LATSCHA a sur ce point un geste dubitatif. Il souligne que le nouveau président va devoir mettre sur place une équipe.
Monsieur Jean CABANNES : Dans ce type de réorganisation, on ne met pas les gens dehors, mais on fait des placards plus beaux...
Monsieur le Président : La conviction de Madame le ministre de la communication est que la situation actuelle ne peut durer.
Monsieur Maurice FAURE : Le débat n'est pas de savoir si c'est bien ou non, mais il consiste à déterminer si c'est ou non constitutionnel.
Au vu de notre discussion, Monsieur ROBERT n'abandonne-t-il pas son argument portant sur le fait qu'il y a seulement trois mois à courir.
Ce qu'il faut, c'est éviter que s'aggrave la désorganisation du service public. Pour ma part, je n'ai pas sur ce point de scrupules de conscience. Pour moi, la réforme répond bien au souci d'aboutir à un redressement du secteur public.
Monsieur le Président : La loi ne procède à aucune nomination directe non plus qu'à aucune révocation directe.
Monsieur Daniel MAYER : Je suis convaincu qu'il n'y a pas d'habileté. Madame TASCA croit en la réforme. J'ai connu son père (2). Nous avons travaillé au même journal.
Monsieur Maurice FAURE : "Elle" y croit... (sous entendu, ce n'est pas le cas de tout le monde).
Monsieur le Président avec détachement : Nous y croyons...
La rédaction du deuxième considérant du projet de décision est modifiée comme suit. Sont substitués aux mots : "Qu'il est à tout moment loisible" les mots "que s'il est à tout moment loisible". Il en va de même pour les mots : "; que, cependant" qui sont remplacés par les mots : ", c'est à la condition que".
Le projet de décision ainsi amendé est adopté à l'unanimité.
La séance est levée à 18 heures 30.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.