SEANCE DU MARDI 7 NOVEMBRE 1989
La séance est ouverte à 10 H
M. le Président : Messieurs, nous commençons par la requête de M. MAMERE Madame le rapporteur, si vous voulez bien commencer.
Mme Marie-Dominique HAGELSTEEN présente le rapport suivant : M Noël MAMERE nous demande d'annuler les opérations électorales auxquelles il a été procédé les 18 et 26 juin 1989 dans la troisième circonscription du département de la Gironde pour la désignation d'un député à l'Assemblée nationale.
Il s'agit de l'élection partielle qui a fait suite à la démission de Mme LALUMIERE.
Au premier tour, les trois candidats arrivés en tête étaient les suivants :
M. Gérard CASTAGNERA avec 8178 voix,
M. Claude BARANDE 8089 voix,
M Noël MAMERE 8076 voix,
le candidat placé en 4ème position n'obtenant que 4435 voix.
Seul, M CASTAGNERA obtenait un nombre de voix supérieur à 12,50 % des électeurs inscrits (65.096). Toutefois, en application du quatrième alinéa de l'article L. 162 du Code électoral, M. BARANDE, arrivé en seconde position, a pu se maintenir au second tour M. MAMERE était, au contraire, exclu de la compétition.
A l'issue du second tour de scrutin, c'est M. BARANDE qui a finalement été élu.
M. Noël MAMERE conteste devant vous cette élection en soutenant que les irrégularités qui ont entaché le premier tour de scrutin n'auraient pas dû permettre à M. BARANDE de se maintenir au second tour et donc d'être élu.
1. La recevabilité de la requête de M. MAMERE ne pose pas de problème particulier.
En effet, votre jurisprudence admet qu'un candidat conteste une élection en invoquant les irrégularités qui ont pu affecter le premier tour de scrutin, dès lors que celles-ci ont pu l'empêcher de figurer au second tour.
n° 88-1073-1085 du 3 oct. 1988 A.N. Paris, 19e circ. p. 142 ; n° 88-1057 du 21 oct. 1988 A.N. Hérault, 1ère circ. p. 167 ; n° 88-1100 du 23 nov. 1988 A.N. Var, 1ère circ. p 218.
Tel était bien le cas de M. MAMERE qui, s'il était arrivé en deuxième position au 1er tour, aurait pu se maintenir au second tour malgré la circonstance qu'il n'avait pas recueilli un nombre de voix au moins égal à 12,50 % d'inscrits.
2. La requête de M. MAMERE pose quelques questions de principe délicates.
Avant de les aborder, nous examinerons rapidement les moyens invoqués qui ne soulèvent aucune difficulté. Ce sont ceux qui ont trait essentiellement :
- au déroulement de la campagne électorale ;
- à la signature des listes d'émargement au moment de la clôture du scrutin ;
- aux opérations de dépouillement.
3. En ce qui concerne la campagne électorale, M. MAMERE fait valoir en premier lieu que M. BARANDE s'est livré à la clôture de la campagne à une propagande excessive par haut-parleur.
En fait, il semble que le 16 juin 1989, soit le vendredi précédant le 1er tour de scrutin, vers 17 h, un groupe de jeunes ait parcouru à bicyclette les rues de la commune de Villenave d'Ornon, en circulant derrière un camion qui portait des affiches de M. BARANDE, et qui diffusait de la musique, sans toutefois, semble-t-il, appeler à voter pour ce candidat.
En tout état de cause, il paraît difficile de voir dans cette manifestation un excès de propagande de nature à avoir influencé la régularité du scrutin, alors surtout qu'il est allégué par l'adversaire de M. MAMERE que ce dernier en aurait fait autant.
- Le deuxième grief a trait à la diffusion par M. BARANDE d'une liste de soutien qui serait fallacieuse. Mais ce grief est assorti de peu de précisions. Il ne peut certainement être retenu en l'état.
- Enfin, M. MAMERE fait valoir qu'un tract reproduisant un article du journal "Le Meilleur" aurait fait l'objet d'une distribution massive et tardive, alors qu'il contenait des d'imputations hautement attentoires à son honneur.
Aucune précision n'est apportée sur la date de diffusion exacte de ce tract. Mais il s'agit en fait de la reproduction d'un article du journal "Le Meilleur", paru le samedi 3 juin, soit bien avant le jour du scrutin et qui ne contient rien qui puisse être regardé comme excédant les limites de la polémique électorale.
(Voir en ce sens :
- 88-1076 - 3 oct. 1988 A.N. Charente 3e circ, p. 145 (absence de précision sur ampleur et diffusion) ;
- 88-1112-1115, 25 nov. 1988, A.N. Martinique 1ère p. 224).
4. S'agissant maintenant des opérations de vote, M. MAMERE a invoqué la violation des prescriptions de l'article R. 62 du Code électoral qui exige que les listes électorales soient signées "dès la clôture du scrutin" par tous les membres du bureau.
En effet, dans tous les bureaux de vote de la commune de Villenave d'Ornon, il a été procédé à cette formalité en collant à la fin de la liste d'émargement de chaque bureau une feuille pré-imprimée sur laquelle le Président et les assesseurs ont opposé leur signature.
Par ailleurs, dans le 8e bureau de la même commune, seuls le Président et un assesseur ont signé la liste d'émargement.
Mais rien dans les pièces du dossier ne permet d'inférer de ces faits que les listes d'émargement n'ont pas été signées après la clôture du scrutin.
Or, par deux décisions du 25 nov. 1988, n° 88-1115 - A.N. Haute-Corse 1ère, p. 285 et n° 88-1059 A.N. Aisne, 5e, p. 234, le Conseil constitutionnel a jugé que la tenue irrégulière des listes d'émargement, en l'absence de toute observation sur le sujet dans les procès-verbaux des bureaux correspondants et en l'absence de discordance entre le nombre d'émargements constatés et celui des bulletins et enveloppes trouvés dans l'urne, ne pouvait être regardé ni comme ayant rendu possible un décompte inexact de suffrages ni entrainé de fraudes.
Or, les procès-verbaux de tous les bureaux de vote de la commune de Villenave d'Ornon signés par les membres de ces bureaux ne comportent aucune observation sur le sujet.
Par ailleurs, si dans deux des bureaux de vote, on a constaté une discordance entre le nombre d'émargements et le nombre des suffrages recensés, cette discordance qui est d'une unité à chaque fois seulement est trop faible pour qu'on en tire quelque conséquence.
5. En ce qui concerne les opérations de vote, M. MAMERE a également soutenu que dans le 8e bureau de la commune de Villenave d'Ornon, une électrice radiée de la liste électorale, avait néanmoins voté. En fait, le requérant confond deux électrices : Mme DUCOUT (n° 374) qui a voté aux deux tours, et Mme DULON (n° 373) qui a été radiée et qui n'a pas voté.
6. M. MAMERE fait aussi valoir que lors du premier tour, soit le 18 juin 1989, se déroulait aussi l'élection au Parlement européen et que certains bulletins de vote qui lui étaient favorables ont été trouvés dans l'urne destinée aux élections européennes. Il vous demande de vous faire communiquer ces bulletins ainsi que les procès-verbaux des bureaux de vote concernés et de lui attribuer des bulletins qui auraient ainsi été émis en sa faveur.
Mais cette démarche paraît inutile. En effet, à supposer même que des électeurs se soient trompés et aient glissé le bulletin relatif aux élections législatives dans l'enveloppe concernant l'élection européenne, on ne voit pas comment considérer que des suffrages émis dans ces conditions, c'est-à-dire qui n'ont pas été recueillis dans l'urne affectée à l'élection en cause, pourraient être réguliers dès lors, en tous cas, qu'aucun défaut grave dans l'organisation de ces deux scrutins parallèles ayant pu conduire à des confusions systématiques, n'est invoqué par M. MAMERE.
(Voir C.E. El. régionales de Midi-Pyrénées - 25 mars 1987 - Leb. p. 107).
L'argument de M. MAMERE peut donc être écarté.
7. Enfin, s'agissant d'opérations de dépouillement, M. MAMERE invoque certaines irrégularités qui auraient été commises dans le premier bureau de la commune de Villenave d'Ornon.
Il fait valoir que dans ce bureau si M. BARANDE a réalisé un meilleur score, les résultats n'auraient été communiqués que plus d'une heure après les autres résultats et alors que ceux-ci étaient connus.
Mais il n'établit pas plus avant ce fait et aucune observation ne figure à ce sujet sur les procès-verbaux.
M. MAMERE fait aussi remarquer que certains documents de dépouillement de ce bureau sont irréguliers. En effet, certaines feuilles de dépouillement ont été remplies au crayon à papier ; elles comporteraient des surcharges, voire des modifications.
Mais l'examen minutieux de ces documents, qui sont signés par le Président et les scrutateurs, ne revèle aucun élément douteux. Par ailleurs, aucune observation ne figure sur le procès-verbal d'opérations électorales correspondant à ce bureau et qui a été signé par les membres du bureau de vote et les délégués des candidats. Ce moyen devra donc également être écarté.
Nous pouvons en venir maintenant à la partie de la requête de M. MAMERE qui pose les questions les plus intéressantes.
8. La première de celle-ci est de savoir comment, en cas de défalcation de suffrages irréguliers, on apprécie l'incidence de cette opération sur le scrutin.
On rappelle que par une décision récente (n° 88-1060 du 25 nov. 1988, Essonne 4e circ, p. 238), le Conseil constitutionnel a jugé que l'imputation des suffrages irréguliers devait porter sur le nombre de voix recueillies par le candidat le plus favorisé dans l'ensemble de la circonscription.
Or, à l'issue du premier tour, M. MAMERE, arrivé en 3e position, était à 102 voix de M. CASTAGNERA, candidat arrivé en tête. L'écart de voix était donc relativement important.
Mais, s'agissant des cas dans lesquels le Conseil constitutionnel a eu à statuer sur des élections au regard d’irrégularités qui entachaient le premier tour seulement, il a posé le principe selon lequel il n'y avait motif à prononcer l'annulation que si ces irrégularités, soit avaient empêché un candidat d'être présent au second tour, soit avaient modifié l'ordre de préférence exprimé par les électeurs.
n° 78-846 A.N. Vaucluse 2e circ. 17 mai 1978, p. 81. n° 86-116 A.N. Val-de-Marne 10e circ., 23 nov. 88, p 227.
Or, à l'issue du premier tour, M MAMERE n'était qu'à 13 voix de M. BARANDE, candidat arrivé en seconde position, et seul, autorisé à se maintenir en vertu des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 162.
C'est dire que si les irrégularités constatées ont porté sur plus de 13 suffrages, le résultat du 1 er tour devient incertain puisqu'il faut supposer que ces 13 suffrages ont été ceux qui ont permis à M. BARANDE de se maintenir au second tour en excluant M. MAMERE.
L'écart à prendre en considération est donc non pas celui qui sépare M. MAMERE du candidat arrivé en tête, mais aussi celui qui le sépare du candidat arrivé en seconde position dans l'ensemble de la circonscription, soit ici un écart de 13 voix.
La présente affaire donne donc l'occasion pour la première fois, semble-t-il, au Conseil constitutionnel de compléter la jurisprudence (4e circ, de l'Essonne du 25 nov. 1988) en précisant que dans le cas où les résultats du second tour sont contestés par des motifs tirés d'irrégularités qui ont affecté le premier tour, il faut imputer les suffrages irréguliers sur le nombre de voix recueillies par le dernier candidat admis à participer au second tour En effet, seule cette opération permet de vérifier que ces irrégularités n'ont pas empêché un candidat d'être présent au second tour.
9. Ce point étant acquis, il faut en venir à l'argumentation de M MAMERE qui tend à établir l'irrégularité d'un certain nombre de suffrages émis dans les bureaux de vote de la commune de Villenave d'Ornon, dont M. BARANDE était le maire.
9.1. Une première irrégularité ne vous retiendra pas longtemps car elle est classique en jurisprudence.
Il est en effet certain que dans le premier et le neuvième bureaux de cette commune le nombre des bulletins et des enveloppes trouvés dans l'urne excède de deux unités celui des émargements.
Par transposition de notre jurisprudence, (26 nov. 88 - Essonne 4e circ. p. 238), il faudra donc diminuer de deux unités le nombre de voix recueilli par M. BARANDE.
9.2. Les autres irrégularités invoquées par M. MAMERE sont toutes tirées de la méconnaissance des dispositions introduites dans le Code électoral par la loi du 30 décembre 1988.
Il s'agit donc de dispositions nouvelles dont pour la première fois vous avez à faire application.
Ces définitions sont celles qui figurent maintenant à l'article L. 62-1 du Code électoral et qui prévoient que "le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l'encre en face de son nom sur la liste d'émargement" et celles qui constituent le deuxième alinéa de l'article L. 64 du même code et selon lesquelles : "Lorsqu'un électeur se trouve dans l'impossibilité de signer, l'émargement prévu par le troisième alinéa de l'article L. 62-1 est apposé par un électeur de son choix qui fait suivre sa signature de la mention suivante : l'électeur ne peut signer lui-même".
Or, sur les listes d'émargement de certains bureaux de vote de la commune de Villenave d'Ornon, on peut relever :
- d'une part, 7 émargements effectués au moyen d'une croix et non d'une signature ;
- d'autre part, 17 signatures dont M. MAMERE soutient qu'elles diffèrent de manière évidente entre le premier et le second tour de scrutin.
M. MAMERE vous demande de considérer que les suffrages ainsi émis sont irréguliers, soit parce qu'ils sont directement contraires aux prescriptions de la loi de 1988 qui demande que le vote de l'électeur soit attesté par sa propre signature, soit parce que les signatures étant douteuses, l'identité de l'électeur qui a voté ne peut être tenue pour certaine.
La question que pose la requête de M. MAMERE est donc de savoir quelle conséquence le juge de l'élection doit tirer de l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 1988. Doit-il considérer que tout suffrage non émis dans les conditions prescrites par la loi doit être tenu pour irrégulier ? Doit-il, au contraire, se réserver le pouvoir d'apprécier dans chaque cas si le non respect des formalités prévues par la loi révèle l'existence de manoeuvres frauduleuses de nature à entacher la sincérité du scrutin ?
Rappelons qu'avant l'intervention de la loi de décembre 1988, la jurisprudence avait considéré que le fait que le vote de certains électeurs ait été attesté par l'apposition d'une croix et non, comme le prescrivait l'article R. 61 du Code électoral, par le paraphe ou la signature d'un membre du bureau, n'était pas de nature à entacher le scrutin d'irrégularité en l'absence d'allégations relatives à l'existence d'une fraude".
88-1058, 21 oct. 1988 Bouches-du-Rhône, 3e, p. 169 ; 86-1012, 17 février 1986 Meurthe-et-Moselle, p 58.
Dans le sens de la thèse du requérant les arguments que l'on peut faire valoir sont simples. Ils sont tout entier tirés de l'intervention de la loi de 1988.
En effet, celle-ci a eu très directement et très explicitement pour objet de moraliser le déroulement d'opérations électorales, et plus précisément de lutter contre certaines techniques de fraudes, notamment le "bourrage d'urnes" qui n'est rendu possible que par de faux émargements. Or, ceux-ci sont largement facilités quand l'électeur ne signe pas lui-même la liste ni quand sa signature peut résulter d'une simple croix.
Si le Conseil constitutionnel n'attachait pas un caractère substantiel aux formalités nouvelles introduites par le législateur, il pouvait apparaître comme ne s'associant pas à l'effort que celui-ci a fait pour mieux garantir la sincérité du scrutin. La volonté claire et expresse du législateur d'une part, le caractère hautement louable de l'objectif poursuivi d'autre part, tels sont les deux éléments qui plaident dans le sens d'une application stricte par le juge de l'élection des dispositions introduites par la loi de 1988.
Mais cette solution ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes.
Certains sont d'ordre pratique mais pourraient être réglés au fur et à mesure par la jurisprudence. Le présent dossier en donne d'ailleurs quelques illustrations. C'est le problème des signatures qui diffèrent entre le premier et le second tour. Jusqu'à quel point admettre des divergences ? Qu'en sera-t-il des personnes qui utilisent tour à tour un paraphe et une signature ? Que juger dans le cas où un électeur aura opposé une empreinte digitale, qui est un signe d'identification infiniment plus fiable que la signature,
Par ailleurs, l'interprétation formaliste de la loi de 1988 se heurte à une objection plus grave. Dans le cas d'une élection où l'écart de voix est faible, elle peut conduire à prononcer une annulation alors même qu'aucune fraude ni aucune manoeuvre n'est alléguée.
C'est d'ailleurs le cas de ce dossier dans lequel, même dans la commune de Villenave d'Ornon, les procès-verbaux ne renferment aucune protestation d'aucune suite, ni sur des manoeuvres en général, ni sur le problème plus particulier des listes d'émargement et de l'identité des électeurs.
Dans ces conditions, il n'est peut-être pas tout à fait opportun que le juge de l'élection prononce une annulation pour des motifs de pure forme alors qu'il n'est pas du tout certain que sur le fond les votes en question aient été irréguliers. Il y a là un risque de formalisme excessif.
On peut alors envisager une autre solution qui, sans faire fi de la volonté exprimée par le législateur, essaye d'en faire une application non pas absolue mais relative en rapprochant le non respect de la loi de 1988 d'autres éléments du dossier afin de se faire une conviction sur la régularité du déroulement des opérations électorales.
En effet, ce qu'a voulu le législateur c'est prévenir la technique dite du "bourrage d'urnes” en la rendant plus difficile.
Si le juge de l'élection constatait un non-respect systématique des dispositions qu'il a prises à cet effet, accompagné d'autres éléments laissant supposer des fraudes ou des manoeuvres, il pourrait en tirer les conséquences sur la régularité du scrutin.
En l'absence totale d'autres éléments, il ne se fonderait pas uniquement sur le non-respect des prescriptions de la loi de 1988 pour considérer que des suffrages sont irréguliers.
Dans la présente affaire, ayant à faire application pour la première fois des dispositions nouvelles, votre formation d'instruction a considéré qu'avant de prendre parti entre ces deux solutions, elle devait être mieux informée sur la portée d'irrégularités alléguées par M. MAMERE.
Elle a donc ordonné une mesure d'instruction. Une lettre du Secrétaire général du Conseil constitutionnel a donc été envoyée aux électeurs dont l'émargement était contesté par M. MAMERE. Elle leur demandait de répondre par oui ou par non à la seule question suivante : "Avez-vous voté lors du premier tour de l'élection législative qui s'est déroulée le 18 juin 1989 ?".
La plus grande partie des personnes interrogées ont répondu au Conseil constitutionnel.
De l'ensemble de ces éléments ainsi rassemblés, il résulte que ;
- sur les 7 électeurs dont l'émargement au premier tour consiste en une croix, tous ont formellement reconnu avoir voté le 18 juin ;
. 2 dans l'attestation dressée devant l'huissier,
. 4 dans leur réponse au Conseil constitutionnel,
. 1 dans une attestation produite par l'avocat.
- sur les 17 émargements présentant des signatures qui avaient varié entre le 1er et le 2ème tour, 14 électeurs ont admis avoir voté lors du premier tour, soit :
. 4 dont l'attestation résulte du constat d'huissier,
. 9 qui ont répondu affirmativement au Conseil,
. 1 personne dont l'attestation de vote à été produite directement par l'avocat.
On peut donc considérer que sur les 24 votes irréguliers allégués par M. MAMERE, seuls 3 n'ont pas été justifiés du tout. (4 si l'on considérait qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des attestations spontanées produites par M. BARANDE très peu de temps avant que vous-même prononciez votre mesure d'instruction).
Les résultats de cette mesure d'instruction ont conduit votre formation d'instruction aux deux conclusions suivantes :
- d'une part, ils font ressortir que le moyen de M. MAMERE, tiré de la méconnaissance des dispositions de la loi de décembre 1988 est, en tout état de cause, inopérant, puisque seuls 3 suffrages pouvaient éventuellement être considérés comme irréguliers. Ces 3 suffrages ajoutés aux 2 bulletins trouvés dans les urnes qui excédaient le nombre d'émargements, ne permettent pas d'abolir l'écart de 13 voix qui séparait au 1er tour M. MAMERE de M. BARANDE.
- d'autre part, ils démontrent qu'une solution qui consisterait à appliquer de manière très rigoureuse la loi de décembre 1988 méconnaîtrait les réalités. On a vu, en effet, ici que M. MAMERE invoquait 24 suffrages irréguliers. Au total, seuls 3 votes restent éventuellement douteux.
Ceci a conduit votre formation d'instruction à préférer un projet qui conduit à apprécier les irrégularités commises au regard des dispositions nouvelles figurant à l'article L. 62-1 et L. 64 du Code électoral non pas de manière absolue mais de manière relative, en prenant en compte également les conditions générales de déroulement du scrutin. Cette solution est celle que paraît avoir également retenu le Conseil d'Etat puisque dans une décision
On a vu ici que les conditions générales de déroulement du scrutin ne révélaient ni climat de fraude ni pratiques douteuses. Cette constatation est confortée par les résultats de la mesure d'instruction donnée par le Conseil constitutionnel.
D'où le projet de décision qui vous est proposé et qui conduit au rejet de la requête de M. MAMERE.
M. le Président : Merci, Madame le Rapporteur, pour cet exposé très clair et très complet. Nous avons fait procéder à une vérification en raison de notre incertitude en ce qui concerne certaines signatures des listes d'émargement. La réponse à notre enquête est claire et nette. Il aurait été paradoxal d'annuler les élections alors que nous savions que les personnes dont la signature est contestée ont voté.
M. Maurice FAURE : Je m'associe tout à fait à cette jurisprudence, mais je souhaite ne pas siéger dans cette affaire en raison d'un contentieux actuel devant le Conseil d'Etat où je suis mis en cause et où se pose le même problème de signatures (1).
M. le Président à l'attention du Secrétaire général : Notez que M. FAURE ne siège pas dans cette affaire.
Madame le Rapporteur donne lecture du projet de décision.
M. Jacques ROBERT souhaite que soit condamnée la pratique de la signature par une croix. Nous devrions souligner dans la décision que nous ne sommes pas d'accord !
M. CABANNES : Nous pouvons souligner que les votes sont illégaux.
M. le Président : La censure serait absurde, mais nous regrettons le procédé. Il faut que les gens s'habituent à la nouvelle réglementation. Nous pouvons retenir le qualificatif regrettable et souligner que la censure n'est pas nécessairement exclue mais qu'elle l'est en l'espèce.
Le 2ème considérant de la page 6 du projet est modifié dans ce sens.
M. Maurice FAURE : Mais s'il y avait beaucoup de voix ?
M. le Président : II s'agit d'une présomption simple et non pas irréfragable, nous devrions donc tenir compte des circonstances. Nous aurons bien d'autres contestations sur ce point :
p. 7 du projet, le dernier considérant est modifié pour faire masse du nombre total de voix qui peuvent être retranchées des voix recueillies par MM. CASTAGNERA et BARANDE.
Le projet, ainsi modifié, est adopté à l'unanimité, M. Maurice FAURE ne prenant pas part au vote.
SEANCE DU 7 NOVEMBRE 1989 (Suite)
Monsieur le Président : la parole est à Monsieur FABRE pour présenter son rapport sur l'affaire GATEL.
Monsieur FABRE : Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 juin 1989 par le Président de l'Assemblée nationale, au nom du Bureau de l'Assemblée, de la situation de Monsieur Jean GATEL, député de Vaucluse, qui préside une association "ASSOCIC-Service" et qui envisage de conserver cette fonction.
Dans une très courte lettre, le Bureau fait part de ses doutes quant à la compatibilité de cette activité avec le mandat de député, et sans expliciter les raisons de ces doutes, ce qui est regrettable, il demande à notre Conseil, en application du troisième alinéa de l'article L.O. 151 du code électoral d'apprécier souverainement si le parlementaire intéressé se trouve dans un cas d'incompatibilité.
Je vous rappelle les termes de cet article : "Le Bureau examine si les activités ainsi déclarées (par le député) sont compatibles avec le mandat parlementaire. S'il y a doute sur la compatibilité des fonctions ou activités exercées ou en cas de contestation à ce sujet, le Bureau de l'Assemblée intéressée le garde des Sceaux, ministre de la Justice, ou le parlementaire lui-même, saisit le Conseil constitutionnel qui apprécie souverainement si le parlementaire intéressé se trouve dans un cas d'incompatibilité";
Je ferai quelques remarques préliminaires avant d'aborder la discussion proprement dite. J'ai souligné la vacuité de la saisine qui n'éclaire pas sur le doute qui a amené le Bureau de l'Assemblée à saisir le Conseil constitutionnel. Nos tâches, celles du Secrétaire général et du service juridique, ne s'en pas trouvées facilitées.
Nous avons donc puisé nos renseignements dans les documents fournis par Monsieur GATEL, ses notes et mémoires, ses déclarations réitérées, les statuts de l'association en cause ainsi que les compte-rendus de ses conseils d'administration.
Nous avons demandé au ministre d'Etat, ministre de l'Economie et des Finances des éclaircissements. Sa réponse du 13 septembre n'apporte aucun renseignement nouveau mais seulement des informations succintes sur la structure et l'activité d'"ASSOCIC-Services".
C'est donc dans les documents précités que nous avons recherché les raisons des doutes du Bureau.
Faute de précisions de la part du Bureau, Monsieur GATEL a fait porter sa défense sur les alinéas 2 et 5 de l'article L.O. 146 du code électoral qui visent respectivement les sociétés ayant exclusivement un objet financier et les sociétés dont plus de la moitié du capital est constituée par des participations de sociétés à activités essentiellement financières.
En réalité, il nous est apparu que c'est l'alinéa 3 qui était susceptible de créer l'incompatibilité.
C'est ce qui ressort des brèves observations du ministre des Finances qui souligne qu'"ASSOCIC-Services" entretient des liens étroits avec le groupe "C.I.C., entreprise publique".
Monsieur GATEL a donc été amené à réviser son argumentation sur un terrain qui, nous allons le voir, ne lui est pas davantage favorable.
C'est ce même article L.O. 146-3 qui nous a conduit à déclarer incompatibles avec le mandat de député les fonctions de président du conseil d'administration de l'A.T.I.C. (Association technique et l'importation charbonnière) exercées par Monsieur GARREC (décision du 6 décembre 1988 au rapport de Monsieur VEDEL).
On ne se trouve pas ici dans une situation aussi claire que dans le cas de Monsieur GARREC. Néanmoins, les principes qui nous ont guidés dans notre décision précédente trouvent ici une nouvelle application.
Ces dossiers restent cependant délicats car ils touchent aux personnes autant qu'aux principes.
Nous devons donc les étudier avec un soin tout particulier.
Commençons par revoir les termes de l'article L.O. 146 du code électoral. Je cite : "Sont incompatibles avec le mandat parlementaire les fonctions de chef d'entreprise, de président de conseil d'administration, de président et de membre de directoire, de président de conseil de surveillance, d'administrateur délégué, de directeur général, directeur général adjoint ou gérant exercées dans : ... 3° Les sociétés ou entreprises dont l'activité consiste principalement dans l'exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l'Etat, d'une collectivité ou d'un établissement public ou d'une entreprise nationale ou d'un Etat étranger" ;
Au regard de ces dispositions, trois questions se posent, auxquelles, après analyse, je vous proposerai de répondre positivement :
1° "ASSOCIC-Services" est-elle une entreprise ?
2° Son activité consiste-t-elle dans la prestation de services pour une entreprise ?
3° Et cette dernière entreprise a-t-elle le caractère d'une entreprise nationale ?
1° "ASSOCIC-Services est bien une entreprise
Ni la forme juridique d'association de la loi de 1901 ni la nature de l'activité ne permettent d'en douter au regard des principes posés par notre propre jurisprudence. Je me réfère à l'affaire GARREC : la démonstration en a été faite par le rapport du Doyen VEDEL.
Nous avons jugé, conformément à son rapport, qu'une association de la loi de 1901 pouvait être considérée comme une entreprise au sens de l'article précité malgré son but non lucratif. La raison en est a contrario que l'article L.O. 146-4° vise, lui, les "entreprises à but lucratif". Nous avons en outre énoncé que les considérations qui justifient l'incompatibilité énoncée à l'article L.O. 146-3° n'impliquent pas que les fonctions visées soient exercées nécessairement dans une entreprise à but lucratif.
Quant à l'activité "d'Associc-Services", que je préciserai par la suite pour bien montrer son lien avec les activités du groupe C.I.C., il s'agit d'une activité de prestation de services qui est bien concernée en tant que telle par l'article.
2° Cette entreprise agit-elle bien pour le compte ou sous le contrôle du C.I.C. ?
Cela ne fait guère de doute si l'on admet que la notion de "pour le compte" complétée par la nuance "ou sous le contrôle" renvoie à une situation de mandataire ou de "quasi-mandataire".
Or c'est bien d'une association assez particulière qu'il s'agit quand on analyse les relations étroites qu'elle a avec le groupe C.I.C.
L'étroitesse de ces liens peut être démontrée à travers l'objet, la structure et le financement de l'association.
a) L'objet :
Certes, l'article 2 de ses statuts dispose que (je cite) : "l'association a pour objet par tous les moyens, de faciliter l'existence légale, la vie administrative et les activités de ses membres, notamment en mettant à leur disposition à titre gratuit ou onéreux, sous toute formes appropriées, une structure d'assistance leur permettant de satisfaire à leurs obligations légales en matière comptable ou fiscale, de gérer leur trésorerie et la couverture des risques auxquels ils sont exposés et, d'une autre façon générale, de résoudre les problèmes de toute nature auxquels ils se trouvent confrontés, tout en développant la vie associative".
Cependant la lecture du document publicitaire d'"Associc-Service" et du mémoire de Monsieur Jean GATEL, l'examen des procès-verbaux du conseil d'administration et du rapport moral et financier pour l'année 1988, montrent qu'"ASSOCIC-Services" ne fait pas mystère de sa vocation de supplétif du C.I.C., en étant chargée de promouvoir les activités du groupe bancaire au sein du monde associatif.
Ainsi en présentant les prestations qu'elle offre aux associations dans une plaquette au sigle du C.I.C., "ASSOCIC-Services" affirme qu'elle s'appuie "sur le réseau national des banques du groupe C.I.C.". Dans son mémoire Monsieur Jean GATEL reconnaît que cette structure a pour objet d'offrir des prestations de services au milieu associatif "dans le but de fidéliser la clientèle du groupe C.I.C." ; de même le rapport moral et financier de l'association indique sans détours : "au niveau de notre
Il ne s'agit donc moins de "servir" le monde associatif, que de s'en servir au profit du groupe C.I.C.
b) La structure
La structure d'"Associc-Services" témoigne aussi du degré important de dépendance de l'association à l'égard du C.I.C.
Je rappellerai d'abord que parmi les membres fondateurs de l'association, on compte treize banques du groupe C.I.C., la société d'investissement à capital variable "Associc" du C.I.C. tournée spécialement vers les placements des associations, et l'association compte-vie. On retrouve cette interpénétration avec le groupe C.I.C. dans la composition du bureau d'"Associc-Services". Son vice-président est le président de la S.I.C.A.V. "Associc" que je viens de citer. Quant aux autres membres du bureau, ils représentent des banques du groupe és qualités.
Notons au passage que si Monsieur GATEL ne fait pas mention dans son papier à lettre de son mandat de député, il y fait figurer son titre d'ancien secrétaire d'Etat chargé de 1'Economie sociale.
c) Le financement
Le financement de l'association constitue une preuve supplémentaire de l'intégration de l'association dans ce groupe bancaire du C.I.C. En effet, le budget prévisionnel pour 1989 montre que sur un million six cent soixante seize mille francs de recette, les cotisations des S.I.C.A.V. du groupe s'élèvent à un million de francs, celles du groupe bancaire à 500 000 F., soit plus de 80 % du budget de l'association alors que le montant des cotisations ne s'élèvent qu'à 90 000 F.
3° Le C.I.C- est-il une entreprise nationale ?
Il ne fait pas de doute que l'actuel groupe C.I.C. est bien une entreprise nationale.
Ce concept est lié à l'idée de nationalisation mais renvoie plus largement à la notion d'entreprise publique, (c'est le terme) utilisé par le ministre c'est-à-dire d'entreprise contrôlée majoritairement par l'Etat.
Or les différentes banques qui composent le groupe C.I.C. ont été nationalisées par l'article 12 de la loi n° 82-155 du 11 février 1982.
Actuellement la Société mère du groupe, la Compagnie financière de Crédit Industriel et Commercial, dépend à plus de 85 % de l'Etat (dont plus de 55 % au G.A.N.).
Elle détient la totalité du capital de 12 banques et une majorité dans les deux autres banques du groupe.
Il s'agit donc bien d'une entreprise nationale.
Certes l'activité d'"Associc-Services" n'est pas du même ordre que celle de l'A.T.I.C. mais l'article L.O. 146-3° concerne aussi bien l'Etat que des entreprises nationales, la différence d'échelle d'activité ne saurait donc être prise en compte.
Par ailleurs, comme pour Monsieur René GARREC, et pour répondre à une observation de Monsieur Jean GATEL, nous devons souligner que le caractère bénévole des fonctions assurées est sans incidence sur le jeu de l'incompatibilité.
Ayant répondu par l'affirmative aux trois questions posées, je ne peux que conclure à l'incompatibilité des fonctions de Monsieur Jean GATEL à l'"Associc-Services" avec son mandat de député.
Cette décision pourra paraître sévère à certains, mais dans ce domaine, comme dans la plupart des autres, nous avons tendance à suivre la voie de la rigueur plutôt que celle du laxisme.
Je vous propose donc un projet de décision qui retient l'incompatibilité. Au Conseil d'en juger.
Monsieur le Président : je vous remercie pour cet excellent rapport. Les problèmes soulevés par l'incompatibilité des fonctions d'un parlementaire avec son mandat avaient déjà fait l'objet de débats l'année dernière.
Monsieur FAURE : auprès de quelles associations intervient "ASSOCIC-Services" ?
Monsieur FABRE : auprès de toutes les associations. Elle est tournée vers le monde associatif, c'est-à-dire potentiellement toutes les associations.
Elle leur fournit des services d'information, les aide à préparer un budget et pour bénéficier de ces prestations les associations intéressées peuvent s'adresser aux antennes d'ASSOCIC dans le réseau bancaire du groupe C.I.C., le but avoué de cette association étant de fidéliser la clientèle.
Monsieur le Président : c'est un instrument de promotion qui offre des services aux associations contre l'ouverture d'un compte au C.I.C.
Monsieur ROBERT : qu'est-ce qui fait courir Monsieur GATEL ?
Monsieur FABRE : si le Conseil déclarait cette présidence incompatible avec son mandat, il en ressentirait une blessure d'amour propre car il affirme exercer ses fonctions à titre bénévole. Il fait profiter l'association de son expérience de secrétaire d'Etat à l'économie sociale ; il parle dans ses mémoires de mécénat et de service.
Monsieur FAURE : quelles conséquences aurait une déclaration d'incompatibilité ?
Monsieur le Président : il a le choix entre soit conserver ses fonctions et abandonner son mandat parlementaire, soit au contraire abandonner ses fonctions et conserver son mandat.
Monsieur FABRE : il doit régulariser sa situation dans le délai de quinze jours de la notification qui lui est faite de la décision du Conseil constitutionnel. A défaut, le Conseil constitutionnel le déclare démissionnaire d'office de son mandat.
Monsieur FAURE : le problème ne serait pas posé si l'association avait été dans le giron de la banque Rotschild.
Monsieur ROBERT : c'est normal.
Monsieur le Président : le texte est destiné à empêcher des pratiques favorables aux entreprises nationales.
Monsieur FABRE : l'incompatibilité qui est édictée répond au souci de protéger le parlementaire contre les pressions en assurant son indépendance.
Monsieur FAURE : il faut éviter le trafic d'influence.
Monsieur LATSCHA : le troisième alinéa de l'article L.O. 146 du code électoral concerne surtout les marchés de travaux.
Monsieur FABRE : les problèmes posés par les prestations de services sont toujours délicats.
Monsieur le Président : les parlementaires ne doivent pas être les coursiers des entreprises nationalisées. Il est difficile d'interdire complètement tout cumul de mandat avec l'exercice d'une fonction privée.
Monsieur MAYER : comment s'est conclue l'affaire GARREC ?
Monsieur le Secrétaire général : Monsieur GARREC a choisi d'exercer son mandat parlementaire.
Monsieur le Président : lorsqu'on confronte l'article L.O. 146-3° du code électoral avec la situation de Monsieur GATEL, il est patent qu'"ASSOCIC-Services" exécute des services pour le compte ou sous le contrôle d'une entreprise nationale. Sur quinze membres fondateurs, treize sont issus du groupe C.I.C. ; "ASSOCIC-Services" se présente comme une "fille du réseau bancaire" et l'association utilise pour sa publicité un papier à entête.
Monsieur LATSCHA : le problème intéressant est celui de la notion d'entreprise. Le cas de l'A.T.I.C. était frappant car nous étions bien en présence d'une entreprise sous le couvert d'une association. Je vous approuve totalement dans votre démarche. Ce que je constate, c'est l'inadaptation de la loi sur les associations à la réalité. Il suffit pour s'en convaincre de voir les ressources d'"ASSOCIC-Services", qui est financé pour l'essentiel par des S.I.C.A.V. et des banques et pour une très faible part par ses propres adhérents.
Monsieur le Président : on peut se reporter aussi à la liste des membres du Conseil d'administration. Cette association est entièrement sous le contrôle du C.I.C. Sous le couvert d'une association, "ASSOCIC-Services" fait partie du C.I.C.
Monsieur LATSCHA : cette association a son siège au C.I.C.
Monsieur le Président : elle fait partie du C.I.C.
Monsieur FAURE : Monsieur GATEL n'avait qu'à démissionner.
Monsieur le Président : c'eût été préférable pour lui plutôt que de voir un choix imposé par une décision du Conseil constitutionnel.
Monsieur FABRE : il fait valoir que sa nomination à la tête de l'association n'obéit pas à des considérations politiques puisqu'elle remonte à avant 1988.
Monsieur le Président : je ne comprends pas pourquoi Monsieur GATEL et son conseil se sont tant obstiné. Monsieur le Secrétaire général m'a indiqué que Monsieur GATEL croyait être dans son bon droit car son association n'a pas la dimension de l'A.T.I.C. L'A.T.I.C. était une grosse affaire.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : il tient absolument à avoir une décision ?
Monsieur le Président : il n'a qu'à démissionner d'ici ce soir. Il a eu le temps de réfléchir. Notre décision n'est pas blessante.
Monsieur ROBERT : tout le monde autour de lui a dû lui demander de démissionner.
Monsieur FABRE : il s'est entêté. J'ai évité d'employer l'expression "fille du réseau" dans le projet de décision.
Monsieur FABRE donne lecture du début du projet de décision.
Monsieur ROBERT : la formulation "institution économique consistant dans la mise en oeuvre" ne me convient pas.
Monsieur le Président : je me demande s'il est nécessaire de définir ici l'entreprise. Cette notion en fait n'a jamais été définie. La définition que l'on va en donner ne satisfera pas la doctrine et l'on n'en a pas besoin. Il est difficile de l'assimiler à une institution. De plus une institution ne met pas en oeuvre. Je suggère que l'on fasse sauter la première phrase du second considérant page 3.
Monsieur FABRE : il faut convenir objectivement que le caractère de l'entreprise est moins évident que dans l'affaire GARREC. C'est parce que j'avais un doute que j'ai tenté cette définition.
Monsieur le Président : il est dit au considérant précédent que "les considérations qui justifient l'incompatibilité énoncée au 3° de l'article L.O. 146 n'impliquent pas que les fonctions visées soient exercées nécessairement dans une entreprise à but lucratif".
Monsieur FABRE poursuit la lecture des pages 4 et 5 du projet de décision.
Monsieur LATSCHA : le premier considérant de la page 5 enfonce le clou. Je me demande si les S.I.C.A.V. sont autorisées à financer ainsi des associations. Je ne suis pas sûr que ce financement soit conforme au statut des S.I.C.A.V.
Monsieur le Président : ce qui est caractéristique, c'est que l'association agit sous le contrôle d'une entreprise nationale.
Monsieur le Secrétaire général : cette idée est développée au second considérant de la page 5.
Monsieur le Président : c'est le noeud de notre argumentation. Nous sommes gentils. Nous ne le citons pas lui-même.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Si, on le dit page 5. Je rejoindrai Monsieur LATSCHA en estimant qu'il n'est peut-être pas utile d'insérer à la fin de la page 4 qu'"ASSOCIC-Services est placée sous le contrôle du C.I.C.".
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : il me paraît logique de le maintenir.
Monsieur MAYER : je suis aussi d'avis de laisser cette rédaction page 4 mais pour répondre à une préoccupation, je serais enclin à ne pas faire de communiqué de presse pour cette affaire.
Monsieur le Président : la décision sera publiée au Journal officiel.
Monsieur LATSCHA : nous pourrions supprimer la dernière phrase du second considérant page 5.
Monsieur le Président : oui effectivement si nous n'avons pas défini auparavant l'entreprise.
Monsieur FAURE : le premier considérant est-il bien utile ? On peut peut-être le résumer. Quel inconvénient y voyez-vous ?
Monsieur le Président : il s'agit des statuts et des prestations offertes par l'association au profit de ses membres.
Monsieur ROBERT : il n'y a pas que les membres de l'association qui sont intéressés par ses services.
Monsieur FABRE : les services sont offerts contre l'appartenance des associations à la clientèle du C.I.C.
Monsieur ROBERT : il y a un double emploi entre la fin de la page 5 et la page 4.
Monsieur le Président : il faut mettre en valeur l'idée qu'"ASSOCIC-Services" est sous le contrôle du C.I.C. et lui rend des services. Je suis d'accord pour supprimer la fin de la page 5.
Monsieur MAYER : cela s'impose si l'on ne veut pas définir la notion d'entreprise.
Monsieur le Président : nous avons intérêt à faire apparaître page 5 que le C.I.C. est une entreprise nationale.
Monsieur le Secrétaire général : le balancement entre les structures de l'association d'une part et ses activités d'autre part reprend l'argumentation développée par Monsieur GATEL. Il faudrait dans ces conditions supprimer plutôt la fin de la page 4.
Monsieur le Président : a mon sens, il faut insister plus sur le fait que l'association est sous le contrôle du C.I.C. que sur le fait qu'elle agit pour son compte.
Monsieur LATSCHA : dans ces conditions il faut supprimer dans le second considérant du projet de décision page 5 la mention "pour le compte de".
Monsieur le Président : qu'il s'agisse de ses membres fondateurs ou de la composition de son conseil d'administration, il faut convenir que l'association est bien placée sous le contrôle du C.I.C.
Monsieur LATSCHA : l'association ne cache pas qu'elle a pour but de fidéliser la clientèle.
Monsieur FAURE : effectivement lorsqu'elle fournit des prestations à ses membres elle agit sous le contrôle du C.I.C.
Dans le dernier considérant je suggérerai de substituer les mots "d'ASSOCIC-Services" aux mots "de cet organisme".
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : si nous recevions un telefax de Monsieur GATEL nous annonçant sa démission de la présidence d'"ASSOCIC-Services", il n'y aurait pas lieu à statuer.
Après ces délibérations, la dernière phrase du second considérant de la page 4 est supprimée. Le second considérant de la page 5 et ainsi rédigé : "Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'association "ASSOCIC-Services" a pour activité principale la prestation de services à ses membres et qu'elle agit sous le contrôle du "Crédit Industriel et Commercial", lequel est une entreprise nationale par l'effet des dispositions de l'article 12 de la loi n° 82-155 du 11 février 1982 ;".
Monsieur ROBERT : est-il vraiment exact qu'"ASSOCIC-Services" a pour objet de "promouvoir" le développement du réseau du C.I.C. ?
Monsieur le Président : nous pourrions dire que son objet est de "contribuer à promouvoir".
Cette modification est adoptée.
Monsieur FAURE : je me rends compte strictement que le choix du nom "ASSOCIC" n'est pas neutre en lui-même.
Monsieur MAYER : Sic !
Monsieur FABRE donne lecture du projet de décision page 6 en tenant compte d'une modification proposée par Monsieur FAURE et adoptée;
Monsieur CABANNES : quelle est la formation politique de Monsieur GATEL ?
Monsieur le Secrétaire général : il est député socialiste et ancien secrétaire d'Etat du gouvernement FABIUS.
Le projet de décision ainsi modifié est adopté à l'unanimité.
La séance est levée à 12 h 25.
La séance est reprise à 14 heures 35 en présence de tous les membres.
M. le Président : Monsieur MAYER, vous avez la parole pour présenter votre rapport.
M. MAYER : Le texte soumis à notre examen aujourd'hui est d'origine parlementaire. II s'agit d'un texte de loi issu d'une proposition de loi, déposée le 18 avril 1989 par L. MERMAZ et les membres du groupe socialiste. Le texte déféré se compose d'un article unique s'insérant dans l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
"Ne donnera lieu à aucune action le rapport d'un parlementaire établi pour rendre compte d'une mission qui lui a été confiée par le Premier ministre, en application de l'article L.O. 144 du code électoral".
Cette disposition législative nouvelle tire sa justification des péripéties judiciaires qui ont accompagné la diffusion du rapport sur les sectes, élaboré par M. Alain VIVIEN, parlementaire en mission.
Je rappellerai les faits car ils sont en eux-mêmes très instructifs.
Le 1er septembre 1982, M Alain VIVIEN, député, a été placé en mission auprès du Secrétaire d'Etat auprès du ministre des affaires sociales et de la solidarité nationale, chargé de la famille, afin d'étudier "les problèmes posés par le développement des sectes religieuses et pseudo-religieuses".
Dans le cadre de cette mission, M. VIVIEN a remis au Premier ministre en février 1983 un rapport intitulé :
"Les sectes en France, expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation".
Ce rapport a été publié deux ans plus tard par la Documentation française dans la collection des "Rapports officiels" et sous le titre simplifié et plus neutre ; "Les sectes en France".
Mais si le titre en était édulcoré, le contenu du rapport demeurait inchangé. Il était fort critique à l'égard de certains groupements.
Ces derniers, et en particulier L'Eglise de Scientologie, ont réagi en engageant trois séries d'actions devant les tribunaux.
Deux de ces actions sont aujourd'hui closes et je ne le mentionne que pour mémoire.
D'une part, une plainte en diffamation engagée à l'encontre de Mme GALLOUEDEC, directeur de la Documentation française, a été déclarée irrecevable tant en première instance qu'en appel.
D'autre part, un recours au Conseil d'Etat tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du Premier ministre de publier le rapport VIVIEN a été rejeté par un arrêt de la Section du contentieux du 21 octobre 1988.
Reste, et c'est l'élément essentiel qui explique la raison d'être de la loi déférée, l'action en diffamation engagée contre M. Alain VIVIEN.
L'affaire est d'importance car il s'agit du premier cas d'action en diffamation contre un parlementaire en mission.
L'Assemblée nationale s'est d'abord refusée à lever l'immunité de M. VIVIEN, ceci en juillet 1985.
Dans une phase ultérieure de la procédure, le Tribunal de grande Instance de Paris, par jugement du 6 mars 1986, puis la Cour d'Appel de Paris, par arrêt du 11 mars 1987, ont écarté l'exception tirée de l'irresponsabilité du parlementaire en mission.
Autrement dit, ces juridictions ont estimé que le parlementaire qui effectue une mission auprès du gouvernement ne se trouve pas dans l'exercice de ses fonctions de parlementaire au sens du premier alinéa de l'article 26 de la Constitution.
Comme l'a précisé à ma demande le gouvernement, l'"affaire VIVIEN" si affaire il y a, n'est pas close. En effet, la plainte en diffamation a été jugée irrecevable par le Tribunal correctionnel, mais un appel a été introduit et la Cour n'a pas encore statué.
C'est dans ce contexte que se situe la proposition de loi de M. MERMAZ et la loi aujourd'hui examinée.
Dans l'esprit de ses auteurs, le texte de loi vise à tirer toutes les conséquences du premier alinéa de l'article 26 de la Constitution. Il ressort des débats parlementaires que le rapport établi par un parlementaire en mission doit bénéficier de la même immunité que le rapport qu'il établit pour le compte d'une commission permanente, d'une commission spéciale ou d'une commission d'enquête.
L'analyse des débats fait apparaître que cette prise de position a recueilli un large accord au sein de chaque Assemblée.
Le Gouvernement a soutenu le texte par la voix de M. le Garde des Sceaux, qui, pour illustrer la liberté d'opinion des parlementaires, s'est référé à Mirabeau.
Il y a eu cependant en première lecture, devant l'Assemblée, une note discordante. M. Pierre MAZEAUD a soutenu que le texte étendrait indûment le champ d'application de l'irresponsabilité parlementaire.
Cette argumentation a été reprise devant nous par M. PONS, M. MAZEAUD et un groupe de députés du R.P.R.
Les problèmes de fond soulevés par cette saisine peuvent être analysés sous deux aspects.
1°- Induite par la saisine, la première question est de savoir dans quelle mesure le rapport établi par un parlementaire en mission entre ou non dans le cadre des fonctions parlementaires telles que les détermine la Constitution.
2°- En fonction de la réponse que je me propose de donner à cette première question, j’aurais à examiner dans un second temps si la loi déférée n'est pas contraire au principe d'égalité.
I - Examinons d'abord la question de l'étendue de l'irresponsabilité du Parlementaire.
Après avoir retracé rapidement l'historique et les fondements du régime de l'irresponsabilité parlementaire, nous verrons plus précisément ce qu'il en est dans le cas qui nous est soumis.
1. L'historique de l'irresponsabilité et ses fondements.
L'origine de l'irresponsabilité parlementaire remonte à une décision de l'Assemblée nationale du 28 juin 1789. La Constitution du 14 septembre 1791 avait décidé également que "les représentants de la nation ne pourraient être recherchés, accusés ni jugés dans aucun temps, pour ce qu'ils auraient dit, écrit ou fait dans l'exercice de leurs fonctions de représentants". On retrouve une même inspiration dans la Constitution de l'An III et de l'An VIII. La Charte a gardé le silence sur l'inviolabilité due aux actes accomplis dans l'enceinte parlementaire mais une loi de 1819 a réparé cette lacune. La protection des opinions des députés émises au sein de l'Assemblée figure aussi dans les Constitutions de 1848 et 1852. L'article 13 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 indique "qu'aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions".
L'irresponsabilité parlementaire trouve aussi un prolongement dans l'article 41, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, modifiée par l'article 9 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958. II dispose que "ne donneront ouverture à aucune action les discours venus dans le sein de l'Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de ces deux assemblées".
L'article 41 alinéa 2, de cette même loi complète ces dispositions par une immunité de l'information parlementaire. Le compte-rendu des séances publiques de l'Assemblée nationale et du Sénat, fait de bonne foi dans les journaux, ne donne lieu à aucune action pénale ou civile.
Ainsi que le rappelle M. le Professeur Jacques ROBERT dans le commentaire qu'il a fait de l'article 26 de la Constitution, dans le cadre de l'ouvrage de MM. LUCHAIRE et CONAC, l'irresponsabilité présente un caractère absolu et s'oppose à toute forme de poursuite. Il s'agit d'assurer au parlementaire, dans l'exercice de ses fonctions, une pleine indépendance et une totale liberté d'expression.
2.- Peut-on considérer que la loi déférée se borne à tirer toutes les conséquences du premier alinéa de l'article 26 de la Constitution ?
a) La Commission ad hoc chargée en 1985 d'examiner la demande de levée d'immunité parlementaire de M. Alain VIVIEN avait pour sa part conclu que les dispositions de l'article 26, alinéa premier de la Constitution, devaient s'étendre aux travaux réali- sés par les parlementaires en mission. Pour les rapporteurs de la proposition de loi devant l'Assemblée nationale et le Sénat,
le complément apporté à l'article 41 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 tendait seulement à préciser le champ d'application de l'irresponsabilité de l'article 26 alinéa premier. Quant au gouvernement, dans son mémoire, il fait valoir que lorsqu'un parlementaire se voit confier une mission en vertu de l'article L.O. 144 du code électoral, c'est en qualité de parlementaire qu'il est désigné. Le lien direct entre la mission dévolue au parlementaire et sa fonction de parlementaire résulterait de l'article L.O. 144 dans la mesure où l'intéressé exercerait la plénitude de ses fonctions de parlementaire. Dans ces conditions, il apparaîtrait nécessaire de donner à l'immunité parlementaire un champ d'application qui corresponde à la diversité des actes de la fonction parlementaire.
b) Ces arguments ne me paraissent pas devoir être retenus pour au moins deux raisons essentielles.
En premier lieu, il nous faut tenir compte du fait que l'irresponsabilité édictée par l'article 26, alinéa premier, est un texte dérogatoire au droit commun. Or, il est de jurisprudence que toute dérogation doit s'entendre restrictivement.
C'est d'ailleurs en ce sens que s'est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de Cassation dans un arrêt FORNI jugé le 7 mars 1988. Dans cette affaire, il a été jugé que les déclarations faites par le président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale lors d'une interview donnée par téléphone à son domicile, n'avaient pas le caractère d'actes de la fonction parlementaire. En la circonstance, la Chambre criminelle a même posé en principe que seules les activités prévues par la Constitution dans ses titres IV (le Parlement) et V (Des Rapports entre le Parlement et le Gouvernement) caractérisaient les actes de la fonction parlementaire. L'arrêt laisse entendre
En second lieu, et abstraction faite de ce premier argument, je répugne pour ma part à admettre que la mission effectuée pour le compte du gouvernement puisse caractériser un acte de la fonction parlementaire.
La mission auprès du Gouvernement s'ajoute à l'exercice du mandat parlementaire. Elle ne constitue nullement une composante inhérente à l'exercice de ce mandat.
En effet, les parlementaires en mission sont nommés par décret du Premier ministre et ne sont pas choisis par leurs pairs en commission comme les rapporteurs parlementaires. Ils bénéficient de l'aide de l'administration pour la rédaction de leur rapport et remettent ce dernier au gouvernement à l'expira- tion du délai de six mois visé à l'article L.O. 144 du code électoral. Il revient au Premier ministre, comme le montre l’exemple du rapport de M. Alain VIVIEN, de décider de la publication du rapport, cette décision étant soumise au contrôle de la légalité du Conseil d'Etat. Sur l'ensemble des rapports qui ont été élaborés par des parlementaires en mission, dix-huit ont d'ailleurs fait l'objet d'une publication par la Documentation française.
Le rapport VIVIEN est le seul à faire l'objet de demande de poursuites en diffamation. Pav conséquent, s'agissant d'actes détachables du mandat parlementaire l'extension de l'immunité qui nous est proposée n'entre pas dans le champ d'application de l'article 26 alinéa 1er de la Constitution.
II - Dès lors que la loi qui nous est déférée ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 26 alinéa 1er de la Constitution, se pose le problème de sa conformité au principe d'égalité devant la loi.
Ce principe prend en l'espèce plus précisément la forme du principe d'égalité devant la loi pénale et plus largement devant la justice, en raison de la double irresponsabilité civile et pénale instaurée par la loi.
Je vais m'efforcer de montrer que si le principe d'égalité devant la justice est en cause. On peut néanmoins admettre qu'il n'est pas méconnu.
A - La mise en cause du principe d'égalité.
Le principe d'égalité devant la loi trouve son origine dans les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui précisent que la loi "doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse" et dans celles de l'article 2 de la Constitution de 1958 qui soulignent que la République n'assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion".
L'irresponsabilité civile et pénale du parlementaire en mission, à l'occasion de son rapport, pose un problème délicat au regard de ces principes.
On peut noter que les régimes législatifs d'irresponsabilité pénale et civile totale sont peu nombreux. Je ne vois guère que le cas du Médiateur qui aux termes de l'article 3 de la loi du 3 janvier 1973 bénéficie d'une immunité calquée sur celle de l'article 26 alinéa 1er de la Constitution.
Plus nombreux sont les cas dans lesquels l'irresponsabilité pour être très large, n'est pas cependant totale. Je pense aux immunités concernant le compte-rendu des séances publiques des assemblées politiques et à celles concernant le compte-rendu des débats en justice et la publication des jugements.
Mais si le principe d'égalité devant la loi est bien concerné, doit-on considérer qu'il est méconnu ?
B - Deux ordres de considérations me conduisent à vous proposer de juger que ce n'est pas le cas.
- d'une part, le constat que cette solution peut trouver des justifications dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel :
- d'autre part, la conviction qu'elle s'impose en opportunité dans les circonstances de l'espèce.
1. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le principe d'égalité est rigoureuse c'est celle à laquelle nous nous référons chaque fois que nous avons un débat important entre nous, elle n'interdit pas la solution du rejet de la contestation. Quels sont les principes de cette jurisprudence ?
Le mieux est de laisser parler le Conseil constitutionnel lui-même en vous lisant le considérant de principe que je tire de notre décision du 4 juillet 1989 relative à la loi sur les "noyaux durs" des entreprises privatisées. Nous avons rappelé que "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit".
Ce sont donc les notions de "situation particulière" et "d'intérêt général" qui justifient la différence de traitement.
Les deux aspects se recoupent dans la réalité, bien que dans le premier cas il n'y ait pas vraiment atteinte au principe d'égalité alors que dans le second il y a dérogation justifiée.
C'est le terrain de la "situation particulière" qui est invoqué par le gouvernement dans ses observations pour soutenir que le principe d'égalité devant la loi n'est pas méconnu. Admettre la "situation particulière" justifiant une différence de traitement dans le cas où la loi aménage un système d'irres- ponsabilité totale civile et pénale peut paraître difficile.
On peut faire valoir cependant que la loi n'exclut pas la responsabilité de l'Etat. Mais le Conseil d'Etat dans sa décision du 21 octobre 1988 (Eglise de scientologie de Paris) paraît écarter quant à lui une telle possibilité en soulignant que les moyens de fond concernant le contenu du rapport du parlementaire en mission ne peuvent utilement être invoqués dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir contre la décision du Ministre de publier le rapport.
Indépendamment de cette construction, il me semble que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'intérêt général permet la solution de rejet.
Certes le Conseil constitutionnel s'est montré rigoureux dans deux hypothèses où l'irresponsabilité totale civile et pénale n'a pas été admise.
Pour la responsabilité civile, je pense à la décision du 22 octobre 1982 où le Conseil a censuré une disposition
Mais d'autres décisions soulignent que des considérations d'intérêt général peuvent justifier une atteinte au principe d'égalité.
Ainsi la décision n° 83-162 DC des 19 et 20 juillet 1983 a justifié les particularités du régime de responsabilité applicable aux représentants des salariés dans les conseils d'administration des entreprises publiques par les spécificités du mandat des intéressés en soulignant qu'il n'y avait pas "lieu de rechercher si l'intérêt général pouvait justifier une atteinte au principe d'égalité".
Cette recherche a conduit à des réponses positives dans certaines décisions.
La plus nette est celle du 16 janvier 1982 concernant la loi sur les nationalisations. C’est l'intérêt général que le Conseil retient pour justifier l'absence de nationalisation des banques dont la majorité du capital appartenait à des non-résidents.
On peut rapprocher de cette décision celles, plus anciennes pour certaines, qui font référence à la notion de "discriminations injustifiées" et qui concernent la procédure pénale.
Derrière la justification des discriminations, c'est bien l'intérêt général qui se profile.
Or, des considérations d'intérêt général peuvent être retenues en l'espèce.
Elles résultent tout simplement de la nature de la tâche des parlementaires en mission. Cette tâche qui est manifestement d'intérêt public justifie une protection particulière. Il convient que le parlementaire conserve son entière liberté d'expression. Il ne s'agit pas d'un privilège mais d'une protection nécessaire, au bénéfice, en dernière analyse, du citoyen.
Mais j'irai plus loin en soulignant que ma conviction se nourrit aussi de considérations, je n'aime pas beaucoup ce mot plus "opportunes", sans que l'on puisse de ce seul fait les opposer à l'intérêt général. Il ne faut pas se dresser contre le Parlement quasi-unanime.
Comme je l'ai souligné au début de mon propos, derrière cette loi, il y a une affaire concrète qui met aux prises un parlementaire en mission et certaines sectes. Je ne souhaite pas que notre décision puisse être utilisée comme un appui aux sectes dans les instances en cours.
Certes cet appui serait indirect, involontaire mais largement utilisé.
Par ailleurs, notre décision de censure remettrait en cause l'immunité dont bénéficie le Médiateur de la République. Or, pour ce qui le concerne aussi, je pense que l'immunité est utile à sa fonction.
Telles sont les raisons qui me conduisent à vous proposer un projet de rejet de la contestation même si il est en contradiction avec mes considérations premières.
Monsieur le Président : Je vous remercie pour ce rapport très complet sur une question qui a peu de portée pratique mais qui présente un intérêt théorique certain.
M. Jacques ROBERT : Je suis très partagé et si je penche plutôt vers la solution préconisée par le rapporteur, c'est plus pour des arguments d'opportunité que pour des arguments juridiques. C'est un terrain difficile qui touche au fonctionnement de l'institution parlementaire et l'on ne peut manquer de s'interroger sur la manière dont une décision de censure serait accueillie. Il n'en reste pas moins que sur le fond je ne souscris pas aux observations du rapporteur qui tend à interpréter de manière extensive le champ d'application de l'article 26 de la Constitution (1). J'ajoute que je crains qu'il y ait une confusion dans son esprit entre l'église de scientologie et la secte Moon. J'ai donné une consultation pour la première alors que je ne l'aurais jamais fait pour la secte Moon.
Dans son rapport sur la demande de levée d'immunité parlementaire de M. VIVIEN, la Commission ad hoc a conclu que les dispositions de l'article 26, alinéa premier, de la Constitution devaient s'étendre aux travaux réalisés par les parlementaires en mission, les actes de ces derniers n'étant pas détachables de ceux de leur mandat. Mais le principe même de la mission parlementaire constitue une exception au régime des incompatibilités. La commission ad hoc avait estimé que la Constitution n'était pas explicite sur cette question et qu'il appartenait au juge de statuer. Or celui-ci a statué unanimement contre l'interprétation extensive de l'article 26 de la Constitution. Le Tribunal de grande instance de Paris et la Cour d'appel de Paris n'ont pas admis l'irresponsabilité du parlementaire en mission. La Cour de Cassation a entendu donner une définition des actes de la fonction parlementaire bien délimitée. Je n'aime pas beaucoup que la loi puisse passer sur des décisions de justice violant ainsi l'autorité de la chose jugée.
Les rapports des parlementaires en mission ne relèvent pas de la fonction parlementaire, à la différence des rapports présentés dans le cadre des assemblées. J'ajoute que les parlementaires en mission ne sont pas choisis en raison de leur qualité de parlementaires mais en raison de leurs compétences.
Il reste à savoir si nous devons entrer dans le fonctionnement du système parlementaire.
M. CABANNES : Je partage l'analyse de M. ROBERT mais je m'en sépare lorsqu'il avance des arguments d'opportunité. J'estime et ceci traduit le point de vue de la jurisprudence qu'il n'y a pas de différence de traitement à faire entre le "missionnaire" et le parlementaire en mission. De fait, tous les deux sont placés sous la dépendance du gouvernement. Par conséquent, l'interprétation restrictive s'impose. Une extension risquerait de conduire à une immunité totale.
M. FABRE : J'ai été médiateur et parlementaire en mission. J'hésite à dire que la mission confiée au parlementaire soit incompatible avec son mandat. Celle-ci dure six mois et pendant ce temps le parlementaire conserve tous les attributs et les prérogatives liés à son mandat. II n'est pas choisi en raison de sa compétence car ce travail est sans rapport avec celui que peut effectuer un fonctionnaire. Le parlementaire peut dépasser le cadre de son rapport. Je me suis vu confier une mission sur l'emploi par le Président de la République et je tiens à vous lire la lettre de mission du Président de la République pour attirer votre attention sur l'esprit de ces missions. Le parlementaire en mission se voit attribuer un rapport parce qu'il est parlementaire et représente un consensus. En adoptant le point de vue inverse, on risque de restreindre le recours à ces missions parlementaires En ce sens, je rejoins l'opinion de M. MAYER.
Monsieur le Président : Pour cette raison, il faut laisser au parlement le soin de donner des missions à des parlementaires dans la mesure où ils seraient couverts par l'immunité parlementaire et admettre que tel n'est pas le cas lorsque des missions sont dévolues à des magistrats.
M. CABANNES : Je ne bénéficiais d'aucune immunité lorsque j'étais chargé de la mission "Gendarmerie-Police".
M. FABRE : Moi non plus. Lorsque j'ai effectué ma mission sur l'emploi et que j'ai proposé la suppression du cumul d'un emploi et d'une pension de retraite, j'ai reçu des menaces de mort.
M. JOZEAU-MARIGNE : C'est un problème difficile. Qu'est-ce qu'un parlementaire en mission ?
Sous le IVème République, les parlementaires en mission constituaient le vivier des sous-secrétaires d'Etat. Le Gouvernement cherchait des hommes compétents qui puissent étudier un dossier délicat. Leurs conclusions servaient de base à un projet de loi ultérieur. Le choix se porte sur un parlementaire car on pense qu'il sait ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Pendant six mois, son action parlementaire sera en fait suspendue et à l'expiration de ce délai soit sa mission est terminée, soit elle est prolongée et il perd son mandat, devant céder la place à son suppléant. Je rappelle que pendant les sessions, les parlementaires ne peuvent être poursuivis qu'avec l'autorisation de l'assemblée sauf ce cas de flagrant délit et qu'hors session les parlementaires ne peuvent être arrêtés qu'avec l'autorisation du Bureau de leur assemblée sauf le cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnations définitives. Les parlementaires en mission sont désignés par le gouvernement. Or, imaginons une personne qui se considère diffamée par le rapport d'un parlementaire en mission, on lui opposera l'immunité du parlementaire et sa plainte ne pourra pas déboucher. Le fait que la quasi totalité des parlementaires ait voté ce texte ne doit pas nous arrêter. Nous ne pouvons accepter qu'un individu soit soustrait à la justice de son pays.
Lorsque des proposition ou des projets de loi étaient déposés alors qu’une instance judiciaire était en cours, j'hésitais beaucoup car ils avaient pour objet de porter atteinte à la séparation des pouvoirs.
M. MOLLET-VIEVILLE : J'ai écouté M. Daniel MAYER avec beaucoup d'intérêt et sa démonstration a emporté mon adhésion. En revanche je suis plus réservé sur les considérations d'opportunité dont il a assorti son rapport. La jurisprudence a interprété restrictivement le champ de l'immunité. Le modeste avocat que je suis ...
Monsieur le Président : Allons, allons.
M. MOLLET-VIEVILLE ... n'admet pas dans le principe ce genre de procédé, cette ingérence du législateur.
J'estime par ailleurs que si le gouvernement choisit un parlementaire pour exercer cette mission, son choix aurait pu aussi bien porter sur un fonctionnaire. Par conséquent, je considère que cette proposition de loi n'a été votée que pour les besoins de la cause ; qu'elle ait été adoptée à la quasi unanimité m'indiffère. Dans ces conditions, je serais partisan de déclarer cette proposition de loi non conforme à la Constitution.
M. FAURE : JEFFERSON avait proposé à ses interlocuteurs une convention lors de l'élaboration de la Constitution américaine. Elle consistait à ne pas dresser de procès-verbal des débats pour permettre aux gens de changer d'avis. L'avantage de notre cénacle est de voir les opinions évoluer.
Le seul argument en faveur du rejet est un argument d'opportunité. Les arguments juridiques sont plutôt défavorables à cette proposition de loi.
Monsieur le Président : Jusqu'à présent.
Monsieur FAURE : Sur la question de savoir si la mission confiée par le gouvernement à un parlementaire fait partie de son mandat, ma réponse est plutôt non. L'immunité parlementaire a été instituée pour couvrir les activités du parlementaire pendant l'exercice de son mandat et pas du tout pour les activités de l'espèce.
L'argument d'opportunité est-il suffisamment fort pour admettre la conformité à la Constitution de cette proposition de loi ? La réponse n'est pas évidente. II est toujours gênant de s'opposer à un vote quasi-unanime mais l'argument qui doit l'emporter sur celui-ci doit être suffisamment fort, surtout si la décision du Conseil constitutionnel s'apparente dans les faits à une troisième lecture. C'est là que j'hésite. Chacun sait ce que représente un parlementaire en mission. Pas grand chose, sinon rien. Le rapport de mission est une compensation destinée à des parlementaires déçus. Il y a comme cela quelques sucres d'orge dont j'ai bénéficié. On peut citer parmi ceux-ci l'appartenance à la délégation à la session annuelle des Nations-Unies. D'ailleurs, il n'y a pas une seule mission qui ait débouché sur quoi que ce soit, sinon sur des procès pour M. Alain VIVIEN. J'ignore si nous sommes tenus par des délais pour statuer.
Monsieur le Secrétaire général : Oui : un mois au cas présent.
M. FAURE : On ne peut pas dire que l'argument d'opportunité soit très fort. Celui qui est encore le plus sérieux tient à la difficulté de prendre une décision à l'encontre d'un vote unanime. Mais cette décision n'émeuvra pas les foules. Il convient de tenir compte de l'opportunité quand la décision n'est pas tout à fait contraignante. J'attends que les autres conseillers se soient exprimés sur la question.
M. LATSCHA : J'ai attendu les interventions des anciens parlementaires avant de faire connaître mon opinion. Les arguments de MM. ROBERT et CABANNES sont très forts et j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt la prise de position de M. FAURE. Le texte dont nous sommes saisis modifie les conditions de l'exercice de la mission confiée au parlementaire par le gouvernement, alors même que celle-ci n'est pas liée au mandat de l'intéressé.
Comme le dit M. FAURE, les arguments d'opportunité doivent être sérieux pour pouvoir jouer. Ils peuvent aller dans des sens différents.
Un désir de réserve s'est toujours manifesté au sein du Conseil constitutionnel à l'égard des prérogatives du Parlement. Par conséquent je suis sensible à l'argument d'opportunité qui a été invoqué. C'est sous c
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.