SEANCE DU 5 DECEMBRE 1989
La séance est ouverte à 10 heures. Tous les membres sont présents.
Monsieur SCHNEIDER, rapporteur-adjoint auprès du Conseil constitutionnel est introduit dans la salle des séances.
Monsieur le Président : bonjour Monsieur le rapporteur. Nous commençons par l'élection sénatoriale dans la Gironde.
Monsieur SCHNEIDER présente son rapport.
Il commence par rappeler les résultats. Dans le département de la Gironde il y avait 5 sièges de sénateurs à pourvoir. Il y a eu 2694 votants et 2681 suffrages exprimés. La liste de Monsieur MADRELLE a obtenu 1224 voix et 3 élus, celle de Monsieur PINTAT : 1161 et 2 élus. La liste arrivée en troisième position est loin derrière avec 131 voix.
Sous le numéro 88-1133, Monsieur Jean-Pierre LACROIX demande l'annulation de ces élections. Sous le numéro 88-1134, c'est Monsieur Jean-Pierre ROCHER, agissant en qualité de président de l'association des licenciés sans procédure de la régie départementale des passages d'eau de la Gironde qui présente une demande d'annulation des mêmes élections.
Votre section d'instruction vous propose de retenir l'irrecevabilité pour le recours présenté par l'association par les mêmes motifs que ceux qui ont été retenus dans votre décision du 13 juilet 1988 (A.N., Charente-Maritime, rec. p. 97).
La requête de Monsieur LACROIX peut être rejetée sans difficulté au fond. Votre section vous propose de vous situer sur ce terrain car la formulation des conclusions pourrait poser un problème sur le terrain de la recevabilité.
A cet égard, la requête est suffisamment précise et motivée. Par ailleurs, si elle a été rédigée avant les élections, elle n'a été enregistrée qu'après celles-ci.
En revanche, nous nous trouvons dans le cadre d'un scrutin de liste, donc indivisible, comme l'a, à de nombreuses reprises, jugé le Conseil d'Etat. Dès lors, les conclusions, en annulation partielle présentées sont irrecevables, sauf à accepter de statuer ultra petita. Inutile de trancher le problème puisque le rejet au fond ne pose aucune difficulté.
Monsieur LACROIX reproche à Monsieur MADRELLE l'utilisation abusive des moyens procurés par le Conseil général.
Il y a d'abord la diffusion du numéro spécial de la "lettre aux élus", il y a aussi l'invitation à un buffet froid des grands électeurs à l'issue du scrutin. L'invitation étant signée par Monsieur MADRELLE, Président du Conseil général.
On se trouve donc devant l'invocation d'une pression, mais les circonstances de l'espèce montrent clairement que les faits dénoncés ont été sans influence sur la sincérité du scrutin.
Concernant la lettre aux élus, il s'agit d'une revue de presse exhaustive et qui ne comporte aucun caractère tendancieux ou polémique.
Pour les "mondanités", seul le second document envoyé pour informer de l'existence d'un buffet est signé par le Président du Conseil général. On ne peut dénoter aucune arrière pensée dans l'organisation d'un tel buffet au bénéfice de tous. Par ailleurs, les grands électeurs sont un électorat stable dont il est difficile du
Votre section d'instruction vous propose donc de rejeter la première requête pour irrecevabilité et la seconde au fond ce qui n'est évidemment pas contradictoire.
Monsieur le Président : messieurs, sur ces questions.... gastronomiques ? Monsieur MAYER me dit que c'est parce que le buffet était froid qu'il y a eu contestation ?
Bon passons à la lecture du projet.
Monsieur le rapporteur donne lecture du projet de décision qui est adopté à l'unanimité.
Monsieur le Président : très bien. Nous poursuivons avec le recours de Monsieur CHAUFFOUR.
Monsieur SCHNEIDER présente son rapport sur l'affaire n° 89-1137. Monsieur CHAUFFOUR, est un habitué du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel.
La seule question que pose son recours est celle du choix du terrain du rejet. Au fond le recours est inconsistant, mais il est aussi irrecevable puisque Monsieur CHAUFFOUR a été placé sous tutelle par un jugement de 1982.
En 1986 vous n'avez pas opposé à Monsieur CHAUFFOUR son incapacité et vous avez retenu d'autres irrecevabilités.
Votre section d'instruction vous propose cette fois-ci de lui opposer son incapacité.
Monsieur le rapporteur lit le projet de décision.
Monsieur le Président : je n'ai pas besoin de vous rappeler qui est Monsieur CHAUFFOUR. Mais ne faudrait-il pas développer le jugement ?
Monsieur CABANNES : je trouve que c'est assez développé et que c'est suffisamment clair.
Monsieur FABRE : n'aurait-on pas pu faire l'économie d'un tel contentieux ?
Monsieur le Secrétaire général : s'il arrive au secrétaire général avec l'accord du Conseil de répondre dans certaines circonstances en dehors d'une liaison formelle du contentieux, ce n'est pas possible en matière électorale où le champ de contestation est ouvert à tout électeur.
Monsieur MAYER : lorsque la section d'instruction a étudié la requête, j'avais suggéré qu'on évite de parler de la tutelle dans notre décision. Nous nous sommes interrogés sur ce qui serait le plus dissuasif. Mes deux collègues ont pensé que l'irrecevabilité allait mieux dans ce sens.
Monsieur le Président : de toute façon, nous le verrons réapparaître !
Monsieur FAURE : il y a une trop grande tendance des élus locaux à utiliser les moyens matériels mis à leur disposition. Il faudrait manifester une certaine réprobation devant ce genre de pratique.
Monsieur le Président : nous pouvons rouvrir le délibéré de la précédente affaire sur ce point. Le souhaitez-vous ? Moi je n'y suis pas favorable.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : lorsque nous avons discuté en section, nous avons souligné qu'il ne s'agit pas d'un procédé auquel on peut applaudir. Mais nous avons remarqué que la première invitation était anonyme. Le second papier qui était signé par Monsieur MADRELLE précisait l'heure de la collation. Nous avons estimé qu'il n'y avait pas de quoi fouetter un chat !
Monsieur le Président : cependant vidons le buffet !
Monsieur FAURE : je me livrais à une remarque de caractère général...
Monsiuer mayerTout cela me rappelle des élections dans les Pyrénées-Orientales où le scrutin devait avoir lieu l'après-midi et où le buffet avait été tellement arrosé que les grands électeurs n'avaient pas pu franchir les quelques marches qui conduisaient à l'urne.
Monsieur FABRE : remarque qu'il y a une indemnité pour les grands électeurs et qu'elle couvre le repas. Le buffet est de tradition. Ce qui pourrait seulement être l'objet d'une contestation.... c'est son insuffisance !
Monsieur MOLLET-VIEVILLE souligne que tout cela avait reçut
La discussion est close par un vote unanime sur le projet sauf de la part de Monsieur FAURE.
Monsieur le Président : revenons à Monsieur CHAUFFOUR.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : je penche résolument pour l'irrecevabilité. Si nous commençons à étudier les affaires au fond avec Monsieur CHAUFFOUR, à qui allons-nous réserver l'irrecevabilité ? C'est le moment ou jamais de trancher la question de savoir si l'on doit opposer l'incapacité. Nous devons répondre lapidairement. Sinon c'est une invitation à revenir devant nous. Je suis donc partisan du texte proposé.
Monsieur LATSCHA : je pense que nous devons nous en tenir à l'irrecevabilité. Monsieur CHAUFFOUR est graphologiquement fou d'ailleurs !
Monsieur CABANNES : moi je suis comme Monsieur BRUN, je ne connais pas ce Monsieur CHAUFFOUR.
Monsieur MAYER : on peut organiser un rendez-vous !
Monsieur le rapporteur signale que Monsieur CHAUFFOUR présente une dizaine de recours par
Monsieur le Président : nous pouvons nous en tenir au strict respect des principes juridiques. La requête n'est pas recevable. Nous le disons et nous n'allons pas plus loin !
Merci Monsieur le rapporteur.
Monsieur SCHNEIDER quitte la salle des séances.
Monsieur DAEL lui succède.
Il présente son rapport sur la requête présentée par Monsieur DURANTIN
Le 24 septembre 1989, Monsieur GENTON a été élu sénateur au premier tour et Monsieur VINÇON au deuxième tour.
La requête de Monsieur DURANTIN contre ces élections est recevable en application de l'article 33 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel codifié à l'article L.O. 180 du code électoral.
5 -
En réalité, le dossier ne fait apparaitre aucune pression. Tout simplement la candidature de Monsieur DURANTIN n'était pas crédible.
Je vous propose de rejeter la requête.
Monsieur FAURE : c'est un CHAUFFOUR qui s'ignore !
Monsieur le Président : qu'est-ce que fait ce Monsieur par ailleurs ?
(Le service juridique précise qu'il se présente comme un enseignant).
Monsieur DAEL donne lecture du projet de décision.
Monsieur FABRE s'interroge sur la présentation du grief. On a l'air de compatir avec le fait que Monsieur DURANTIN n'a pas pu trouver de colistier ni de remplaçant.
Monsieur le Président : de toute façon on ne pourrait prendre en considération le grief en l'absence de manoeuvres.
Monsieur le rapporteur signale qu'il s'agit du moyen présenté par le requérant.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : l'expression ni colistier, ni remplaçant pose problème. Nous sommes dans le cadre d'un scrutin plurinominal majoritaire. Le terme colistier est donc impropre.
Monsieur le Président : ce qui me gêne c'est que la renonciation soit liée à la notion de circonstance. La circonstance c'est ce qui est extérieur, or Monsieur DURANTIN a renoncé de lui-même à sa candidature. Il y a renoncé, il n'y a pas de manoeuvre, cela entraîne le rejet.
Après discussion et sur proposition de Monsieur ROBERT le terme circonstance est remplacé par celui de renonciation qui traduit mieux la situation au regard de la remarque de Monsieur le Président BADINTER.
Monsieur le Secrétaire général demande s'il faut maintenir la référence au colistier après la remarque de Monsieur JOZEAU-MARIGNE.
Monsieur MAYER fait remarquer que c'est le requérant qui utilise le terme.
Monsieur FABRE revient sur sa précédente intervention et souhaite une formulation qui souligne bien que le constat est celui du requérant.
Monsieur le Secrétaire général propose la formule : "Monsieur DURANTIN soutient qu'il n'a pu trouver" qui est adoptée.
Monsieur PAUGAM succède à Monsieur DAEL et présente le rapport suivant sur la requête n° 89-1135.
La requête de Monsieur Jean-Michel DELORGEY, député, tend à l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 24 septembre dernier à la préfecture de l'Allier pour la désignation de deux sénateurs.
L'élection, comme en convient le requérant lui-même, a été acquise assez largement. Au premier tour, MM. CLUZEL et BARRAUX, candidats U.D.F. ont en effet obtenu 427 et 345 voix contre 321 et 265 à leurs concurrents socialistes, 220 et 209 aux candidats
Le requérant, qui est grand électeur et qui est par ailleurs inscrit sur les listes électorales de la ville de Vichy, se fonde sur le fait que, le jour du scrutin, de très nombreux grands électeurs ont été accueillis dans les locaux du conseil général où était organisée une exposition sur l'écrivain René FALLET. Or les deux sénateurs élus sont, respectivement, Président et Vice-Président de l'assemblée départementale.
Cette requête vous conduira à examiner deux séries de questions, celles qui ont trait à sa recevabilité et celles qui concernent le fond de l'affaire.
I. LA RECEVABILITE
Les défendeurs invoquent trois arguments à l'encontre de la recevabilité de la requête.
Vous écarterez d'emblée le troisième argument, qui a trait à l'imprécision des moyens et à l'inexistence de toute justification.
En effet, si la motivation de la requête est succinteLes deux autres arguments méritent, à notre sens, un examen plus approfondi.
Les défendeurs invoquent tout d'abord le caractère prématuré de la requête.
Celle-ci est, en effet, datée du 24 septembre et a manifestement été rédigée avant la proclamation des résultats, puisque son auteurs
Or, l'article 33 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose, dans son premier alinéa, que "l'élection d'un député ou d'un sénateur peut être contestée devant le Conseil constitutionnel durant les dix jours qui suivent la proclamation des résultats du scrutin".
Le délai ne commençait donc à courir que le 25 septembre, ce qui peut, à première vue, poser problème.
Mais lorsque votre jurisprudence a rejeté des requêtes comme prématurées, ce fut toujours parce que celles-ci avaient été enregistrées avant la proclamation des résultats.
On peut citer en ce sens, notamment, les décisions suivantes : A.N., Gironde, 1ère circ., n° 62-249, 8 janvier 1963 ; A.N., Alpes-Maritimes, 4ème circ., n° 68-506, 515, 17 octobre 1968 ; A.N., Val de Marne, 7ème circ., n° 78-828, 27 avril 1978 et Sénat, Polynésie française, n° 80-888, 2 décembre 1980.
Or, dans le cas présent, la requête a été enregistrée au secrétariat général du Conseil le 4 octobre, donc dans le délai prévu par la loi organique.
L'écart qui apparaît entre la date de la lettre et celle de son enregistrement s'explique par la procédure suivie par le requérant qui a adressé sa correspondance au nom personnel du Préfet.
Mais si on peut juger cette procédure assez curieuse, il paraît difficile de considérer la requête comme irrecevable pour la seule raison qu'elle a été rédigé prématurément.
Enfin, les défendeurs relèvent que la requête ne désigne pas les parlementaires dont l'élection est contestée. Or l'article 35 de la loi organique du 7 novembre 1958 dispose, dans son premier alinéa, que les requêtes doivent, notamment, contenir "le nom des élus dont l'élection est attaquée".
Toutefois, en la matière, votre jurisprudence est assez libérale.
Certes, vous avez, à plusieurs reprises, écarté des requêtes qui tendaient à l'annulation pure et simple des élections à l'Assemblée nationale dans l'ensemble du pays (A.N., n° 68-509, 26 juillet 1968, A.N., N) 73-585, 22 mars 1973 et A.N. n° 88-1038, 13 juillet 1988) ou qui demandaient l'annulation d'un grand nombre d'opérations électorales législatives sans indiquer les noms des députés dont l'élection aurait été contestée dans telle ou telle circonscription (A.N., n° 73-588, 22 mars 1973).
De même, la commission constitutionnelle provisoire a-t-elle déclaré irrecevable une requête collective qui demandait "l'annulation des élections législatives de Toulouse" sans autre précision sur l'identité du député dont chaque requérant entendait contester l'élection et alors qu'il existait déjà plusieurs circonscriptions à Toulouse (A.N., Haute-Garonne, n° 56-61 bis, 27 janvier 1959).
En revanche, et s'agissant toujours des élections des députés à l'Assemblée nationale au scrutin uninominal majoritaire, vous avez accueilli les requêtes qui, sans mentionner le nom du député dont elles contestaient l'élection, tendaient à l'annulation des opérations électorales dans une circonscription déterminée (A.N., Rhône, 6ème circ., 15 janvier 1963 et A.N., Puy-de-Dôme, 1ère circ., n° 78-858/885, 17 mai 1978)/
Dans le cas qui vous est soumis aujourd'hui, il s'agit des élections sénatoriales dans un département élisant 2 sénateurs, donc d'un scrutin majoritaire mais plurinominal. Or la rédaction de la requête est suffisamment peu claire pour qu'on puisse se demander si l'élection contestée est celle du seul M. CLUZEL ou celle des deux sénateurs. Notons que dans sa lettre d'observations du 31 octobre, le ministre de l'intérieur opte pour la première interprétation. Et le mémoire en réplique présenté par M. BELORGEY le 30 octobre va également dans ce sens.
Vous avez déjà eu l'occasion de vous prononcer sur une affaire semblable en 1972. Il s'agissait, là aussi d'élections sénatoriales dans un département désignant deux sénateurs. Bien que la requête ne mentionnât pas les noms des élus dont l'élection était attaquée, vous avez considéré que, dans la mesure où il ressortait clairement de son texte même qu'elle était dirigée contre les opérations électorales qui avaient eu lieu le 26 septembre 1971 dans le département de l'Ain, elle pouvait être regardée comme recevable (Sénat, Ain, n° 71-575/578, 20 janvier 1972).
Compte tenu de cette jurisprudence, et du fait que le requérant avait tout d'abord demandé au Préfet de bien vouloir tenir sa lettre "comme valant recours contre les opérations électorales", c'est-à-dire, pouvait-il sembler, contre l'élection des deux sénateurs, nous aurions été tenté de vous suggérer de retenir la même solution si la dernière pièce produite par M. BELORGEY n'allait pas dans l'autre sens.
Mais peut-être n'est-il pas indispensable que vous vous prononciez explicitement, dans le texte de la décision que vous allez rendre, sur la recevabilité de la requête. Par économie de moyens et pour ne pas créer de précédent, vous pourriez aborder directement le fond de l'affaire, en insérant seulement dans la décision un membre de phrase qui indiquait que vous ne prenez pas position sur la recevabilité.
En effet, si celle-ci peut poser problèmes, le rejet sur le fond a semblé à votre section d'instruction devoir être prononcé en tout état de cause.
II. L'EXAMEN AU FOND.
Le fait que les locaux du conseil général - où se tenait depuis plusieurs jours une exposition sur l'écrivain René FALLET - aient été ouverts au public et en particulier aux grands électeurs sénatoriaux le 24 septembre peut-il être considéré comme constituant une pression ou une manoeuvre de nature à influencer le résultat du scrutin ?
Il ne nous le semble pas, et cela pour plusieurs raisons.
Observons tout d'abord que les locaux du conseil général de l'Allier, même s'ils sont proches de la préfecture, sont nettement distincts de celle-ci, où se déroulaient les opérations électorales. S'ils ont été ouverts le jour du scrutin, c'est à la demande de conseillers généraux de divers groupes qui souhaitaient notamment pouvoir utiliser le parking et le téléphone.
En deuxième lieu, il convient de noter que l'exposition avait été inaugurée plusieurs jours avant le scrutin et qu'aucune réception n'a été organisée le jour de celui-ci dans l'hôtel du département. La note de service du Président précisait même que le bar du conseil général serait fermé ce jour-là.
Quant à l'organisation d'une visite spéciale à l'intention des grands électeurs, invoquée dans la lettre du ministère de l'intérieur, ce ministère lui-même reconnaît qu'il n'en a aucune preuve.
On ne voit pas en quoi une exposition sur l'auteur de "Paris au mois d'août", de "La soupe aux choux" et du "Beaujolais nouveau est arrivé" aurait pu influencer le vote des grands électeurs qui l'ont visitée.
Aussi bien, votre jurisprudence n'a t-elle jusqu'à présent jamais annulé d'élection pour des motifs un tant soit peu comparables.
On peut citer à cet égard deux espèces, qui sont d'ailleurs mentionnées par les défenseurs.
Dans la première affaire (A.N., Algérie, 9ème circ., n° 58-204, 24 avril 1959) il était reproché au promoteur de la liste élue d'avoir, en violation des instructions générales données par l'Administration, utilisé des locaux dépendant de la préfecture pendant les pourparlers qui ont abouti à la constitution de cette liste. Vous avez estimé que cette circonstance, en l'absence de toute intervention de l'administration préfectorale en faveur de la liste en cause, ne pouvait conférer à celle-ci le caractère d'une candidature officielle et, par suite, exercer une influence sur les résultats du scrutin.
Dans la seconde affaire (A.N., Saint-Pierre et Miquelon, n° 78-880, 14 juin 1978) le candidat proclamé élu avait fait usage, pendant la campagne électorale, de locaux dépendant du conseil général. Vous avez, là encore, jugé que cette irrégularité n'avait pu, dans les circonstance de l'espèce, avoir d'effet sur le résultat de l'élection.
Or il est évident que, dans ces deux cas, le lien avec le scrutin existait incontestablement, alors que, dans l'affaire qui vous est aujourd'hui soumise, il n'apparaît nullement.
Dans ces conditions et a fortiori, votre section d'instruction vous propose de rejeter sur le fond la requête présentée par M. Jean-Michel BELORGEY.
Monsieur le Président : j'ouvre la discussion. Il y a donc deux problèmes ; recevabilité et fond. Le fond ne résiste pas à l'examen. Monsieur BELORGEY est membre du Conseil d'Etat, si nous rejetons pour irrecevable, on va dire qu'il n'est même pas capable de rédiger une requête recevable !
Monsieur CABANNES : il est des cas dans lesquels il est nécessaire de trancher des questions de principe, même quand elles concernent la recevabilité et que la requête pourrait être rejetée au fond. Or la question de fond ne pose pas de problème, alors que la recevabilité en pose un. Je serais donc favorable à un projet qui trancherait cette question.
Monsieur le Président : dans les deux cas la solution est la même, c'est le rejet.
Monsieur LATSCHA : le bar était fermé pour des raisons que l'on comprend aisément ! La question de la recevabilité me paraît devoir être tranchée.
Monsieur MAYER : la requête de Monsieur BELORGEY sous-entend "si mes amis politiques sont élus, eux, alors je ne fais pas de recours". Je pense que nous devrions trancher le problème de recevabilité.
Monsieur ROBERT : le fait que le médecin se soigne le plus mal ne lui enlève pas sa qualité. Cela ne me gêne pas qu'un membre du Conseil d'Etat ne soit pas capable de rédiger correctement une requête.
Monsieur le Président : cela affecte cruellement certains !
Monsieur ROBERT : mais je suis partisan que l'on tranche le problème de recevabilité.
Monsieur FAURE : le fait de statuer sur le fond implique que l'on accepte la recevabilité.
Monsieur le Président : ce n'est pas exact. C'est parce que le fond ne tient pas la route qu'on ne s'interroge pas sur la recevabilité. La question de recevabilité est escamotée.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : le Conseil d'Etat utilise une expression qui me plait beaucoup pour qualifier cette méthode, c'est celle de l'économie des moyens.
Soit on escamote le problème de la recevabilité en rejetant au fond, soit on tranche ce problème. La question est alors de savoir si l'on tient compte de la date de la requête ou de celle de son enregistrement au Conseil constitutionnel.
La requête a été rédigée avant le scrutin dans l'hypothèse d'une victoire des adversaires politiques du requérant mais elle a été enregistrée au Conseil constitutionnel après le scrutin.
Monsieur le Président : qui veut que nous statuions sur la question de la recevabilité ?
Cinq membres votent pour (MM. CABANNES, LATSCHA, FABRE, FAURE, ROBERT).
Monsieur le rapporteur reprend succinctement les arguments qu'il a développés dans son rapport sur le problème de la recevabilité :
- l'imprécision des moyens est écarté par les membres du Conseil ;
- le caractère prématuré de la requête est lui aussi écarté en raison de ce que la requête a été enregistrée après le scrutin. Monsieur le Secrétaire général avait fait remarquer que le Conseil d'Etat appréciait toujours la recevabilité à la date de l'enregistrement. Monsieur MAYER
avait critiqué la requête comme conditionnelle et prématurée. Monsieur MOLLET-VIEVILLE avait relu la lettre de Monsieur BELORGEY au préfet. Elle concerne des problèmes à venir mais elle n'a été enregistrée qu'après le scrutin. Je ne crois pas qu'on puisse dans ces conditions la déclarer irrecevable. Monsieur FAURE avait souligné que la lettre pouvait être préparée avant le scrutin, sans être irrecevable, point de vue partagé par Monsieur JOZEAU-MARIGNE.
Monsieur FABRE pense que la thèse de Monsieur MAYER est la bonne mais il reconnaît qu'il est hésitant.
Monsieur LATSCHA souligne que le problème de recevabilité concerne surtout à ses yeux la précision sur l'élection attaquée.
Monsieur le Président met aux voix la question de la recevabilité au regard du caractère prématuré de la requête.
Six conseillers votent pour la recevabilité (MM. ROBERT, LATSCHA, MOLLET-VIEVILLE, FAURE, BADINTER, JOZEAU-MARIGNE).
Monsieur le Rapporteur rappelle ensuite son argumentation sur les précisions relatives à l'élection contestée exigée par la jurisprudence. Il lit le considérant de la décision n° 71-575/578 du 20 janvier 1972, Sénat, Ain, rec. p. 50 : "Considérant, d'une part, qu'il résulte clairement du texte même de la première requête que celle-ci est dirigée contre les opérations électorales qui ont eu lieu le 26 septembre 1971 dans le département de l'Ain et qui ont abouti à la proclamation de l'élection de MM. BILLIEMAZ et RUET en qualité de sénateurs ; qu'ainsi, nonobstant la circonstance que cette requête ne mentionne pas les noms des élus dont l'élection est attaquée, son objet était suffisamment explicite".
Monsieur ROBERT : je crois que le recours est très clair. C'est un candidat bien spécifié dont l'élection est attaquée. Le contentieux électoral permet libéralement de contester les élections. On risquerait sinon de restreindre des possibilités de contestation, ce qui serait très peu démocratique.
Monsieur Maurice FAURE partage ce point de vue. Il fait remarquer que le singulier "maître de maison" utilisé dans la requête ne peut viser que Monsieur CLUZEL, président du conseil général. Certes la recevabilité est boiteuse sur différents aspects, mais comment le souligner.
Monsieur le Président : vous revenez sur le projet d'origine. Je vois une solution intermédiaire, mais d'un autre ordre.
MOLLET-VIEVILLE souligne que le candidat dont l'élection est contestée est bien Monsieur CLUZEL. Il lit la lettre envoyée au Préfet et conclut : d'autre part l'élection contestée est suffisamment désignée. Si la solution intérmédiaire
Monsieur FABRE propose au contraire d'insister sur la recevabilité.
Monsieur le Président : la requête est-elle claire ou ambiguë ?
Le contentieux électoral est de toute manière un contentieux démocratique dans lequel nous sommes peu enclins à annuler et où un ouverture très large aux recours est une nécessité. Je constate que notre jurisprudence essaie de ne pas fermer la voie aux recours.
Monsieur LATSCHA : ce qui me gêne c'est qu'il n'y a pas dans la requête le nom des élus dont l'élection est contestée.
Monsieur le Président : le décryptage est aisé, il s'agit de Monsieur CLUZEL, même si l'imprécision est indigne d'un membre du Conseil d'Etat.
Monsieur LATSCHA : supposons que la requête soit fondée, quelle élection annulerait-on ?
Monsieur le Secrétaire général : il ne peut s'agir que de l'élection de Monsieur CLUZEL. On se trouve ici dans le cadre du scrutin plurinominal et l'élection n'est pas indivisible.
Monsieur CABANNES : il n'empêche que l'on se trouve devant une requête incertaine, ambiguë et mal fagottée
Monsieur le Président : non ce n'est pas incertain même si c'est un peu confus. J'en reviens au projet du rapporteur.
Monsieur le Secrétaire général rappelle que c'est la commodité du juge qui explique la formule "sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête", qui est proposée dans le projet. Le Conseil constitutionnel s'est toujours réservé l'économie des moyens. Le Conseil a admis que la requête était motivée, qu'elle a été enregistrée après le scrutin, que c'est l'élection de Monsieur CLUZEL qui est en cause. Dans les conditions ne vaut-il pas mieux s'en tenir à la formule du projet ?
Monsieur le Président : le Conseil a souhaité examiner la question de la recevabilité, il l'a fait. Je vais mettre aux voix. Qui est pour la recevabilité ? 5 voix pour (Messieurs ROBERT, FAURE, FABRE, BADINTER, JOZEAU-MARIGNE).
Nous passons maintenant à l'examen du fond.
Monsieur FAURE fait remarquer qu'il n'y a aucune contradiction dans la demande d'un débat sur la recevabilité et finalement l'admission de celle-ci.
Monsieur le Président s'adressant au rapporteur. Nous en venons au fond.
Monsieur ROBERT : sur le fond c'est fait.
Monsieur le Président : j'aurai des observations.
Monsieur le rapporteur rappelle la discussion au fond et l'absence d'influence du grief invoqué.
Monsieur le Président : c'est évident.
Monsieur le rapporteur donne lecture du projet.
Monsieur le Président : il faut briser la phrase du considérant unique en plusieurs morceaux, remplacer "contenu politique" par "caractère politique" et "en un autre lieu à la préfecture" par "dans un autre immeuble"
Est-ce que nous intégrons des remarques sur la recevabilité de la requête ? Je vois trois hypothèses :
- ou bien nous disons qu'elle est recevable et mal fondée ;
- ou bien nous mettons à la fin "en tout état de cause", ce qui est une allusion au problème de la recevabilité ;
- ou bien nous nous en tenons au projet.
Le Conseil se prononce pour la deuxième formule proposée.
Monsieur le Président nous entendons maintenant Monsieur Bernard STIRN.
Monsieur Bernard STIRN présente son rapport sur les élections dans le Gers.
Les élections du 24 septembre 1989 dans le département du Gers où il y a deux sièges à pourvoir ont donné les résultats suivants : 753 électeurs inscrits ; 750 votants ; 743 suffrages exprimés. La majorité absolue étant à 372 voix.
Au premier tour, Monsieur GASTAING a obtenu 410 voix et Monsieur GARCIA 342 voix.
Au deuxième tour Monsieur GARCIA a obtenu 382 voix et 32 suffrages de plus que Monsieur RISPART qui est l'un des requérants avec Monsieur LABORIE autre candidat malheureux.
Les deux requêtes invoquent les mêmes griefs tirés des perturbations dans l'organisation du premier tour qui s'est déroulé au Palais de justice d'Auch. Les requérants font valoir que le scrutin a débuté avec 45 minutes de retard ; que certains grands électeurs ne sont pas passés par l'isoloir. L'inorganisation du scrutin a été reconnue par les élus, par la presse locale, par le Préfet qui a exprimé ses regrets. Le Ministre de l'intérieur ne conteste pas les faits ;
A partir de ceux-ci les requérants articulent quatre griefs. Deux ne présentent pas de difficulté, un autre est un peu plus délicat et le dernier pose problème.
Deux griefs sont sans pertinence dans la mesure où ils ne sont pas établis. Ils concernent le fait que des personnes sans autorisation se seraient trouvées dans la salle de vote et que le vote pour le second tour aurait eu lieu avant la proclamation des résultats du premier tour.
Plus sérieux est le grief invoqué en raison de l'ouverture tardive du scrutin, en réalité 45 minutes. La jurisprudence du Conseil constitutionnel permet d'écarter ce grief.
Le Conseil d'Etat a été amené à décider que l'ouvertur
Le Conseil constitutionnel a lui même jugé qu'un retard était sans influence dans sa décision du 8 juillet 1986, rec. p. 105.
Le cadre du droit ainsi précisé, on peut être certain que dans notre espèce le retard a été sans influence puisque 750 grands électeurs sur les 753 ont voté.
Votre section vous propose donc de juger qur
Le dernier grief concerne le passage par l'isoloir. Il n'est pas contesté que cela concerne une dizaine de grands électeurs. Vu l'écart des voix cela ne peut guère conduire à une annulation.
La question délicate est de savoir sur quel terrain il faut rejeter le grief.
Devant la section d'instruction j'avais souligné que le non passage par l'isoloir est apprécié différemment selon les élections.
La jurisprudence administrative se montre rigoureuse. C'est une règle impérative et le Conseil d'Etat annule systématiquement, aussi bien pour les élection municipales que pour les élections cantonales, le nombre de voix correspondant aux non passages par l'isoloir quand le dénombrement est possible. On trouve donc des décisions d'annulation des élections parce que les électeurs ne sont pas passés par l'isoloir : C.E., 13 janvier 1922, élec. municipales de Milo, p. 37 ; C.E., 27 juillet 1923, élec. cantonales de Sari d'Orcino, p. 635. Dans d'autres décisions le Conseil d'Etat annule le nombre de voix correspondant au non passage par l'isoloir : C.E., 12 février 1964, élec. municipales de Bonneuil sur Marne, p. 181 ; C.E., 4 mai 1983, élec. cantonales de Fontaine.
Enfin, on peut signaler aussi une jurisprudence qui annule les élections en cas d'incertitude : C.E., 13 juillet 1963, élec. municipales de Coderousse ; C.E., 30 mars 1984, élec. municipales de Saint-François ; C.E., 19 juin 1957, élec. municipales de Pierreville, p. 403 ; C.E., 12 mai 1972, élec. cantonales de Saint-Louis de Marie Galande.
Je remarque que le Conseil d'Etat ne tient plus compte des efforts des présidents des bureaux de vote pour faire respecter la règle du passage pas l'isoloir.
Tout cela va dans le sens de la rigueur. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est beaucoup plus nuancée. Il y a d'abord ce qui concerne l'Assemblée nationale. Dans certains cas, il y a application de la jurisprudence du juge administratif avec rejet compte tenu de l'écart des voix : C.C. , 16 janvier 1959, Algérie, 14ème circ. ; C.C., 28 novembre 1968, Basses-Alpes 1ère circ., p. 143.
Une autre jurisprudence souligne qu'il n'y a eu ni contrainte ni pression. C'est donc une jurisprudence plus souple, moins arithmétique : C.C., 27 juin 1973, A.N., Réunion 2ème circ., p. 119 ; C.C., 12 juillet 1978, A.N., Guadeloupe 2ème circ., p. 203 ; C.C., 5 novembre 1981, Corse du sude
Enfin, je signale qu'en matière de référendum, le Conseil constitutionnel a annulé les résultats d'un bureau de vote en raison de l'absence d'isoloir. Il y avait dans ces conditions, atteinte au principe fondamental du secret du vote comme le souligne la décision du 9 novembre 1988.
En ce qui concerne les élections sénatoriales on note l'importance décisive de la référence à la contrainte et aux pressions : C.C., Sénat, Alpes-Maritimes, 27 janvier 1972, p. 41 ; C.C., Sénat, Réunion, 5 février 1975, p. 48 ; C.C. , Sénat, Var, 3 décembre 1981, p. 231.
L'irrégularité est signalé
Votre section d'instruction s'est interrogée face à cette jurisprudence.
Des raisons peuvent être invoquées dans le sens de la jurisprudence actuelle. Les grands électeurs sont généralement des élus qui ont le sens de leurs responsabilités. Le secret du vote n'a dans ces conditions pas la même portée, même si le passage par l'isoloir n'est pas une simple formalité.
La section nous propose une solution intermédiaire entre cette jurisprudence et celle du Conseil d'Etat. Il s'agit sans rejoindre l'approche quantitative, de souligner le petit nombre de cas litigieux. C'est une solution équilibrée qui fait référence aux données quantitatives mais qui laisse une marge d'appréciation au Conseil.
Dans ce dossier on est à l'aise compte tenu d'un écart de voix qui ne permet pas l'annulation, mais si l'écart était plus faible, ce défaut de passage par l'isoloir devrait-il nécessairement entraîner l'annulation à défaut de contraintes ou de pressions ?
Le projet s'en tient à plus de rigueur dans le cadre de la jurisprudence actuelle, la motivation est donc différente.
Monsieur le Président remercie Monsieur STIRN et ouvre la discussion.
Monsieur FABRE : ne faudrait-il pas introduire notre considérant "pour regrettable...".
Monsieur le Président : non je n'y suis pas favorable. Nous devrions tenir compte des irrégularités si elles concernaient un nombre suffisant de votants.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : nous avons discuté de ce problème en section d'instruction. Mais 750 votes sur 753 inscrits, c'est l'unanimité en matière d'élections sénatoriales.
Monsieur le Président : certes, mais cela ne répond pas à la question de l'isoloir.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : on nous dit qu'une dizaine de grands électeurs ne seraient pas passés par l'isoloir. Or l'écart des voix dépasse largement ce nombre.
Monsieur FABRE : il y avait quand même une aimable pagaille et il faudrait le déplorer !
Monsiuer FAURE
Je ne suis pas d'accord avec Monsieur le rapporteur quand il pense que le passage par l'isoloir est moins protecteur pour les grands électeurs dont les opinions seraient connues et le mandat quasi impératif.
Je pense au contraire que l'électeur le plus sensible à la pression c'est justement le grand électeur. Il est généralement maire et beaucoup de ses projets dépendent pour leur financement du conseil général.
Monsieur MAYER : Vous êtes un homme d'expérience !
Monsieur FAURE : dans ce domaine, oui, cher ami.
Monsieur le Président demande au rapporteur de lire le projet. Notre choix sera entre le projet et la décision "mathématique". Je propose de retenir cette dernière solution car le passage par l'isoloir est une formalité essentielle. Le fait de ne pas passer par l'isoloir devrait, en tous cas, entraîner la nullité du vote.
Monsieur MAYER : il est difficile de dire dans
Monsieur FAURE : je suis personnellement pour le maintien du projet qui est plus souple. Sinon on se ligote pour l'avenir.
Monsieur ROBERT : oui, mais on admet alors qu'on peut ne pas passer par l'isoloir impunément quand les cas sont peu nombreux ou qu'il n'y a pas eu de pressions.
Monsieur le Président : oui, c'est le problème. L'isoloir cesse d'être une formalité substantielle. Vous ignorez les conséquences que cela peut avoir ensuite. On rallie sinon une pratique qui est détestable et qui consiste à ne pas passer par l'isoloir.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : l'isoloir est capital et le Conseil d'Etat en impose le respect dans la jurisprudence que nous a rappelé Monsieur le rapporteur. Je pense comme Monsieur FAURE que c'est encore plus important dans le cadre de l'élection sénatoriale.
S'il y avait eu une cinquantaine de cas de non passage par l'isoloir, j'aurais été partisan de l'annulation. Mais je pense qu'il faut tenir compte des pressions pour être complet.
Monsieur LATSCHA félicite Monsieur STIRN pour son rapport très clair. Il pense lui aussi qu'il y a une sensibilité plus grande des électeurs sénatoriaux aux pressions. Le passage dans l'isoloir est une procédure très importante. Il faut insister sur ce point et expliciter tout simplement notre position.
Monsieur FAURE : le projet proposé ne signifie pas que nous sommes laxistes. Il souligne dans l'espèce le nombre limité de cas de non-respect de la règle et l'absence de pression. Si l'on retenait la thèse purement numérique, il faudrait annuler dans tous les cas.
Monsieur le Président : il faut tenir compte de deux niveaux distincts : celui des votes et celui de l'élection. Il faut donc nécessairement tenir compte de l'écart des voix pour annuler. C'est seulement s'il y avait eu des pressions inadmissibles que nous pourrions annuler indépendamment de l'écart des voix.
Monsieur le Président lit le considérant du projet consacré au problème de l'isoloir : "que si, lors de ce premier tour, des électeurs en nombre limité, n'ont pas utilisé l'isoloir, cette irrégularité, qui n'a pas fait l'objet d'observations au procès-verbal, n'a pas été commise sous l'effet de pressions ni de la contrainte et n'a pas, dans les circonstances de l'affaire, altéré la sincérité du scrutin".
Le caractère substantiel du passage par l'isoloir est gommé dans cette formulation par l'exigence de pressions et de la contrainte. Or il y a bien altération du secret du scrutin.
Je suis partisan de la fermeté en ce qui concerne l'isoloir.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE remarque que l'on pourrait souligner dans la décision que le secret du vote n'est pas violé.
Monsieur ROBERT propose d'intégrer dans la décision trois considérants différents pour : affirmer le caractère de formalité substantielle du passage par l'isoloir, remarquer que le nombre limité de cas litigieux ne permet pas l'annulation de l'élection, parler de l'absence de pression et de la contrainte.
Monsieur le Président : je ne vous suivrais pas jusque là. Les considérants ne servant pas au dispositif ne servent à rien. Il faut nous réserver cette argumentation pour d'autres circonstances.
Monsieur le rapporteur propose une formulation arithmétique
Monsieur FAURE souligne la difficulté de dénombrer ceux qui ne sont pas passés par l'isoloir.
Monsieur le Président : il y a les observations au procès-verbal...
La discussion se porte sur le projet et la variante proposée par le rapporteur.
Monsieur ROBERT fait remarquer que l'irrégularité serait sans conséquence en cas de très grand écart des voix même si 1500 ou 3000 électeurs ne passaient pas par l'isoloir, c'est très grave souligne-t-il !
Monsieur le Président: le Conseil constitutionnel a toujours jugé que l'irrégularité sans influence sur le résultat du scrutin ne pouvait entraîner l'annulation. Il n'en va différemment qu'en cas de climat de fraude manifeste. Vous nous proposez de revenir sur notre jurisprudence ! Je pense qu'on se trouve finalement devant trois propositions : le projet de la section d'instruction, l'annulation ou l'absence d'annulation compte tenu de l'écart des voix.
Je mets aux voix le projet de la section d'instruction. Le projet obtient six voix (MM. MOLLET-VIEVILLE, FAURE, FABRE, LATSCHA, CABANNES et MAYER).
Monsieur le Président : je suis un peu étonné de ce vote !
La discussion s'engage sur le calendrier futur. Monsieur le Président signale que pour les saisines attendues, Monsieur CABANNES sera rapporteur sur la loi portant amnistie concernant la Nouvelle-Calédonie, Monsieur JOZEAU-MARIGNE sera rapporteur de la saisine sur le budget, Monsieur FABRE sera rapporteur sur l'incompatibilité concernant Monsieur TAPIE dont le Conseil constitutionnel a été saisi par le bureau de l'Assemblée nationale.
Pour le budget le vendredi 29 devrait suffire, si nous devions en juger autrement à la lecture de la saisine, les prolongations éventuelles auraient lieu le 28 et non le 30 décembre. Il est 12 h 35 et il est décidé que la séance recommancera
La discussion s'engage ensuite sur la cérémonie au Panthéon en l'honneur de Condorcet, de l'abbé Grégoire et de Monge.
Monsieur le Président informe les membres du Conseil qu'il vient de recevoir la réponse du Président de la République à sa lettre sur la réforme du protocole. Lecture de la lettre est donnée.
La séance est reprise à 14 h 35. Tous les membres sont présents.
Monsieur ROBERT présente son rapport sur la demande du Premier ministre tendant à l'appréciation de la nature juridique des mots "à caractère administratif" contenus dans l'article 22 de la loi n° 66-948 du 22 décembre 1966.
C'est une belle question juridique pour une petite affaire. Je propose deux projets dont l'hermétisme pourra rebuter certains, mais il s'agit de questions difficiles et subtiles. Il y a deux projets parce que l'on peut mener deux raisonnements qui peuvent se défendre. Mes préférences vont cependant au projet A
Nous sommes saisis dans le cadre des dispositions de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution par le Premier ministre, d'une demande de déclasssement concernant l'article 22 de la loi de finances rectificative pour 1966.
Cet article est très court. Il comprend deux alinéas. Le premier crée un établissement public administratif, l'institut national de la consommation, et définit sa mission. Le deuxième renvoie à un décret d'application le soin de fixer les règles d'organisation et de fonctionnement.
Le déclassement concerne dans le premier alinéa, les deux mots "à caractère réglementaire" dont on nous demande de déclarer la nature réglementaire.
Qu'est-ce que l'institut national de la consommation ?
Un établissement public national investi d'une mission de recherche, d'information et d'études sur la consommation, donc dans un domaine spécifique.
On peut trouver un établissement de ce type dans l'institut national de la recherche pédagogique.
A l'origine l'I.N.C. avait essentiellement une mission d'information des consommateurs, mais une activité d'édition est apparue qui a pris une importance considérable. Elle couvre 70 % du budget en 1988 avec la publication : 50 millions de consommateurs.
(1) Voir lettre dans le dossier de séance.
Le caractère d'établissement public administratif paraît mal adapté à cette évolution, à cause des contraintes de la comptabilité publique. D'où la volonté de transformer l'I.N.C. en établissement public industriel et commercial pour trouver un plus grande souplesse de gestion et un coût financier allégé.
La question se pose donc de savoir si la détermination du caractère d'un établissement public peut être effectuée par décret.
L'article 34 de la Constitution réserve à la compétence du législateur la fixation "des règles concernant la création des catégories d'établissements publics".
Le législateur peut donc créer une catégorie d'établissements publics et en fixer les règles constitutives.
La détermination du caractère administratif ou industriel et commercial de l'I.N.C. relève-t-elle du pouvoir réglementaire ?
La réponse serait très simple si l'on devait s'en tenir aux décisions du Conseil constitutionnel. L'évidence s'impose. A trois reprises le Conseil a retenu la compétence réglementaire dans des conditions analogues. Le 25 juillet 1979
On retrouve ces mêmes principes dans la décision du 25 mars 1982
Si l'on fait la synthèse de ces décisions on note que premièrement les règles constitutives ne comportent pas l'indication du caractère de l'établissement, deuxièmement que le caractère est donc fixé par décret.
On pourrait alors se dire n'allons pas plus loin, restons fidèles à ces trois décisions qui vont dans le même sens.
Je crois que cette vision serait artificielle. Il faut repartir de l'article 34 et de la notion de catégorie d'établissements publics.
Le Conseil a jugé qu'une catégorie pouvait être composée par un seul établissement. C'est le cas pour la R.A.T.P. et L'O.R.T.F. La décision du 18 juillet 1961
Quelle est la justification de la restriction de la compétence législative ? La Constitution ne retient pas la compétence législative que pour la création de catégories d'établissements publics, mais aussi pour la fixation des règles constitutives.
Mais que sont les règles constitutives ?
Ce sont les règles qui dessinent l'épure, les lignes essentielles. La concrétisation est du domaine du règlement.
Ainsi relèvent de la compétence du législateur : la détermination des missions, le choix des types de ressources, la détermination des relations avec l'autorité de tutelle, la structure du conseil d'administration.
Relèvent du règlement la détermination du nombre des membres du conseil d'administration, la représentation de chaque catégorie.
La répartition des compétences est évidemment la même quand il s'agit de modifier les règles existantes.
Le Conseil constitutionnel a pris conscience des risques d'excessive dépossession du pouvoir réglementaire qui pourrait résulter de la jurisprudence issue de la décision du 25 juillet 1979 dans sa décision du 17 mars 1987 sur les caisses de crédit municipal. Il a précisé qu'il appartenait au pouvoir réglementaire de déterminer le caractère d'un établissement public, "sauf à ne pas dénaturer les règles constitutives de l'établissement telles qu'elles sont définies par la loi".
La répartition devient donc la suivant : la compétence est celle du législateur pour déterminer les catégories et celle du pouvoir réglementaire pour la détermination du caractère des établissements, sauf dénaturation des règles constitutives.
Qu'en est-il dans notre espèce ?
La loi du 22 décembre 1966 a créé un établissement public national administratif et défini la nature de sa mission. Elle a renvoyé pour les conditions d'application à un décret en Conseil d'Etat. Deux décrets sont ainsi intervenus. Celui du 5 décembre 1967 a fixé les modalités de compostion
Aujourd'hui le projet de décret qui est joint au dossier que nous a soumis le Gouvernement vise à donner une plus grande souplesse de gestion du personnel avec un contrôle financier allégé.
Reste le problème des ressources. Dès 1966 la mission d'information des consommateurs était reconnue, aujourd'hui la principale source de financement se trouve dans l'activité d'édition. Il faut donc pour faciliter la gestion, transformer l'I.N.C. en établissement public industriel et commercial.
En conclusion de cette analyse, deux solutions sont concevables :
- la solution "jésuite" consiste à rester fidèle à notre jurisprudence en répétant ce qui a été dit trois fois par le Conseil constitutionnel ;
- une autre solution consiste à faire remarquer que l'article 22 ne pose que peu de règles constitutives et que le législateur n'a pas exercé sa compétence.
Deux raisonnements peuvent alors être menés.
Soit, et c'est le projet B, on juge que la nature de l'établissement ne fait pas partie des règles constitutives si le législateur a déterminé ces règles constitutives. Le corollaire étant que faute de cette détermination par le législateur, le caractère devient une composante des règles constitutives.
Soit nous avons le projet A. Il consiste à prendre acte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le caractère de l'établissement relève de la compétence réglementaire sauf à ne pas dénaturer les règles constitutives.
Mais le législateur a défini de manière très large les missions en renvoyant au règlement les modalités d'application. Il appartiendra au pouvoir réglementaire de préciser ces règles. Le Conseil constitutionnel n'a pas à se pencher sur le contenu du futur décret. Nous n'avons à nous occuper que de l'article laconique de la loi de 1966 qui définit les missions en termes suffissamment
De toute manière il appartiendra au Conseil d'Etat d'apprécier, en cas de litige, l'adéquation du caractère de l'établissement et de ses activités.
L'avantage est que nous restons dans la ligne de la jurisprudence du Conseil d'Etat. Nous acceptons le déclassement et nous faisons confiance au pouvoir réglementaire.
Voilà toutes les raisons pour lesquelles je présente deux projets A et B. Mais je suis partisan du projet A.
Monsieur le Président : merci Monsieur le professeur. Il y a effectivement une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel avec cinq décisions. Je suis tout à fait partisan du projet A moyennant certains allègements rédactionnels.
Les autres membres du Conseil partagent cette opinion et Monsieur le rapporteur lit le projet.
Monsieur le Président propose la suppression du deuxième considérant de la page 3 du projet. Il n'est pas souhaitable que nous fassions référence à l'intention du législateur souligne-t-il
Le projet modifié dans ce sens est adopté à l'unanimité.
Monsieur le Président : merci Monsieur le rapporteur pour ce travail difficile et ingrat.
La séance est levée à 15 h 10.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.